Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE PROPHÈTE ÉZÉCHIEL.

CLXXXI. — Vocation d'Ézéchiel et son ministère, jusqu'au siège deJérusalem.

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2388. (1.) Ézéchiel appartenait à la famille d'Aaron comme Jérémie (3). Il fut emmené captif à Babylone au temps du roi Jéhojackim, et transporté avec d'autres Juifs sur les bords du fleuve Chébar, l'an 606, ou plus probablement en même temps que Jéhojackin, l'an 600, À partir de cette dernière époque, il y avait cinq ans que durait la captivité, lorsque Ézéchiel se vit appelé de Dieu à l'office de prophète. C'était «la trentième année,» dit le texte sacré. Quelques-uns pensent qu'il faut entendre ces mots de la trentième année de la vie d'Ézéchiel; d'autres de la trentième année depuis la pâque de Josias [2299]; d'autres enfin font remarquer qu'il y avait alors trente ans que Nabopolassar, vainqueur de Ninive, avait fondé le second empire assyro-babylonien, et qu'au temps d'Ézéchiel les Babyloniens comptaient probablement leurs années dès cette date. Quoi qu'il en soit, ce devait être vers Tan 594 avant l'ère chrétienne, six ans avant la destruction de Jérusalem. Jérémie prophétisait depuis trente-cinq ans environ.

2389. (1-3.) Ézéchiel nous raconte lui-même sa vocation. Ce fut dans une vision plus extraordinaire qu'aucune de celles qui nous ont été rapportées précédemment; je n'en reproduis pas la description. Lisez-la telle que le texte sacré nous la donne, et vous avouerez qu'on ne saurait imaginer rien de plus magnifique ni de plus saisissant. Cette vision, nous est-il dit, représentait la gloire de l'Éternel (1: 28). Tout en effet y est plein de majesté; mais ce qui surtout y arrête les regards, c'est le personnage auguste qu'Ézéchiel vit assis sur un trône plus splendide que celui de Salomon (26, 27): l'atmosphère qui l'environnait jetait un éclat semblable à celui du feu; cependant elle était douce à voir comme l'arc-en-ciel, et le personnage lui-même avait le simple aspect d'un homme.

2390. Sans vouloir expliquer tous les emblèmes de cette vision, voici quelques éclaircissements qui peuvent en faciliter l'intelligence. La face d'homme paraît désigner la sagesse ou la raison; celle de lion, la noblesse; celle de bœuf, la force; celle d'aigle, la perspicacité; quant aux ailes, c'est à ce signe qu'on reconnaît les anges du Très-Haut et la rapidité de leur action: tout cet ensemble peut représenter les mystères des conseils éternels du Tout-Puissant (10). — La roue, formée de quatre roues et toute pleine d'yeux, est peut-être un emblème des voies de la Providence dans les événements d'ici-bas; et si cette roue suit avec régularité les mouvements des animaux célestes (15), c'est pour exprimer que les choses de la terre sont réglées par les pensées et les volontés du ciel. Enfin, dans la vocation d'Ésaïe, qu'il est naturel de rapprocher de celle-ci [2156], le Seigneur parut au-dessous des séraphins, par la raison que nous en avons donnée; ici, nous le voyons assis au-dessus de tout, parce qu'Ézéchiel avait à prophétiser ses jugements et sa gloire, plutôt que son humiliation.

2391. (2.) Celui que nous appelons le Seigneur et que le prophète vit sous une apparence d'homme ne saurait être que l’Emmanuel d'Ésaïe (2172], l'Ange de l'alliance de Moïse [845], l'Éternel qui se fit voir aussi à Abraham [322], le Seigneur de gloire qui ayant, six cents ans après Ezéchiel, revêtu notre humanité, déploya sa gloire d'une façon toute pareille aux yeux de son disciple Jean (Apoc. 1: 12-16), et que nous verrons tous dans cette même humanité glorieuse, quand il reviendra pour exercer la plénitude de son règne. À son aspect, le prophète s'était jeté la face contre terre; mais il lui fut dit: «Relève-toi et je te parlerai.» Aussitôt l'Esprit du Seigneur entra au dedans de lui; il se sentit ferme sur ses pieds et il put écouter la voix qui lui parlait. Elle l'appelait simplement «fils d'homme,» sans doute parce que sa qualité de sacrificateur n'entrait pour rien dans la charge extraordinaire qu'il allait recevoir (1-2).

2392. La mission que reçut Ézéchiel fut de prêcher la conversion aux Juifs de la captivité tout en leur annonçant, comme ses prédécesseurs, les merveilles des siècles à venir (3). Il pouvait sembler que dans l'état où se trouvaient ses malheureux compatriotes, rien ne lui serait plus facile que d'amener leurs cœurs à de sérieuses pensées; mais non, telle est l'opposition naturelle de notre volonté à celle de Dieu, qu'en toutes circonstances les serviteurs de l'Éternel doivent s'attendre à de rudes contradictions de la part des pécheurs (4); Ézéchiel surtout, qui avait tant de choses lugubres à prédire! Cependant le Seigneur l'exhorte à ne point se laisser intimider, mais à remplir au contraire son office avec une fidélité soutenue, «soit qu'on l'écoute, soit qu'on ne l'écoute pas,» et il lui promet le secours assuré de sa grâce (5, 6, 7). Tout cela fut exprimé et par des paroles, et par des visions dont le sens me paraît assez clair (3: 1-27).

2393. (4-7.) Ces choses, avons-nous dit, se passèrent six ans avant la destruction de Jérusalem, ou quatre ans avant que Nébucadnetzar en commençât le siège. Les Juifs, emmenés précédemment en captivité, se flattaient toujours qu'ils reverraient bientôt leur pays. Abusés ainsi par une espérance toute charnelle, leurs cœurs ne se convertissaient point. Pour les tirer de cette illusion, l'Éternel leur fit annoncer le siège de Jérusalem, la famine qui allait en dévorer les habitants, la destruction qui fondrait sur eux et le sort lamentable réservé à leur roi, aux principaux du pays et à tant de gens avec eux. Ces prophéties étaient accompagnées d'actes symboliques, comme nous en avons vu ailleurs et pour la même raison [1802, 2025, 2040, 2115, 2176]. Mais il n'est pas nécessaire de croire que tous ces actes aient été réellement exécutés. L'ordre, par exemple, qui fut donné au prophète de se raser la tête à la manière des esclaves, et de brûler le tiers de sa tonsure au milieu de Jérusalem quand les jours du siège seraient accomplis (5:1-4), cet ordre assurément ne saurait être envisagé que comme un symbole, aussi bien que l'acte lui-même, censé effectué aussitôt que prescrit. J'en dis autant de l'invitation de demeurer couché sur son côté durant trois cent quatre-vingt-dix jours (4: 4-6). — Ce n'est pas qu'on puisse appliquer cette règle à tous les cas. La difficulté est de savoir quand les prophètes durent réellement effectuer ces actes symboliques, et quand, se borner à écrire l'ordre qui leur était enjoint. Au fond, cela ne change rien à la vérité de l'oracle, ni à la forme de l'enseignement (2076, 2078,2115); car c'était toujours dire aux auditeurs: Voilà ce que je devrais faire pour signifier ce qui vous est arrivé, ou ce qui vous arrivera.

2394. Quant à ces 390 jours qu'avait duré la maladie des enfants d'Israël (c'est ce que signifie l'emblème), il est facile de calculer que depuis Jéroboam, en 975, jusqu'à la prise de Jérusalem, en 588 [2306], il y a 387 ans. Un jour comptant pour une année, et en faisant le nombre rond, selon l'usage de la Bible, nous avons 390 ans. Pour ce qui est des quarante jours particulièrement assignés au péché de Juda, on pense qu'il faut les compter depuis la restauration du culte sous Josias.

2395. Parmi les ordres qui furent donnés à Ézéchiel, il en est un que l'ignorance ou la mauvaise foi de quelques incrédules a trouvé fort étrange, comme si l'on ne savait pas que, dans les pays chauds, il est assez fréquent qu'on se serve, faute de bois, de fiente d'animaux desséchée au soleil (4: 12). Et quand on voudrait prendre la chose dans son sens le plus repoussant, il faudrait se rappeler ce que nous venons de dire sur l'exécution des ordres de cette nature, ordres qui n'étaient souvent eux-mêmes que des symboles ou des manières d'exprimer certaines prophéties. Celui-ci du reste signifiait que, durant le siège de Jérusalem, on se trouverait dans une telle pénurie qu'on manquerait des choses même les plus viles. Après ces observations générales sur le chapitre 4, la lecture peut en être faite sans autre aide, si l'on a d'ailleurs étudié convenablement les autres prophètes et surtout Jérémie.

2396. (8-11.) L'année suivante, Ézéchiel eut une vision qui est d'un haut intérêt, en ce qu'elle lui révéla ce dont Jérémie lui-même, son contemporain, n'avait probablement qu'une connaissance imparfaite, je veux dire les désordres affreux des Juifs de Jérusalem. Jérémie n'avait jamais été initié dans ces mystères d'iniquité, connus de Dieu seul et de ceux qui les pratiquaient, comme si l'Éternel en eût voulu épargner la vue à son vieux serviteur, déjà suffisamment affecté de ce qu'il connaissait. Ézéchiel donc fut transporté, en esprit, à Jérusalem, et il eut dans une vision le douloureux spectacle des infamies qui se commettaient, à l'intérieur même du temple, par les Juifs idolâtres. Il vit aussi les préparatifs que Dieu faisait pour châtier ces crimes: des charbons enflammés tombant sur la ville et la gloire de l'Éternel se retirant du sanctuaire. Il entendit les horribles complots des impies et il assista, mais toujours en vision, à la mort funeste de l'un d'eux. Puis il ouït, de la bouche de l'Éternel, la promesse du rétablissement d'Israël et de la conversion future de ce peuple: «Je leur donnerai un seul et même cœur et je mettrai en eux un esprit nouveau, et j'ôterai de leur chair leur cœur de pierre et leur donnerai un cœur de chair, afin qu'ils suivent mes ordonnances... et ils seront mon peuple et moi je serai leur Dieu» (11: 14-21). Or quand le prophète eut vu et entendu cela, il lui sembla que l'Esprit de l'Éternel l'enlevait de nouveau et le ramenait en Chaldée; et dès qu'il fut hors de son extase, il se hâta de rapporter à ses frères la vision qu'il avait eue (24, 25).

2397. (12.) Par un acte symbolique dont le langage est expliqué dans le livre même, Ézéchiel dut faire connaître à ses compagnons de captivité, toujours rebelles et incrédules, que la fuite seule pourrait garantir de leur perte les habitants de Jérusalem; que toutefois le roi Sédécias essayerait vainement de s'enfuir; qu'il ne verrait pas Babylone [2305] et que pourtant il y mourrait; que le pays de leurs pères allait être dans une désolation inouïe, et que ceux qui échapperaient à la destruction ne serviraient qu'à attester les crimes de la nation et la justice suprême de l'Éternel. Comme les auditeurs du prophète pensaient que ces maux étaient encore éloignés, il leur déclara positivement au contraire que le jour en était fort proche.

2398. (13,14.) Ces deux chapitres renferment des menaces contre les faux prophètes, savoir contre ceux «qui suivent leur esprit propre, annonçant la mort aux âmes qui ne doivent pas mourir et la vie aux âmes qui ne doivent pas vivre» (13: 3,19), puis contre les idolâtres qui, toutefois, consultaient l'Éternel et ne pouvaient le faire qu'avec hypocrisie. Ces menaces s'adressent en définitive à tous les pécheurs non convertis, docteurs ou non. Nous ne devons donc pas nous étonner que les châtiments de Dieu se promènent encore sur la face de la terre. Il s'y trouve sans doute des fidèles comme Noé au temps du déluge, comme Job quelques siècles après, comme Daniel parmi les captifs (14: 14, 20); mais la présence de quelques justes ne saurait préserver le monde de la ruine qu'il mérite, et leur intercession est de nulle force pour sauver ceux qui rejettent le salut et les promesses de Dieu.

2399. (15.) Le peuple juif est comparé par Ésaïe à une vigne que Dieu s'est plantée (Es. 5: 1-7); il l'est ici à une vigne dont le bois est sec et qui ne peut absolument servir que pour être brûlé. Que faire, en effet, du sarment desséché, sinon cela? mais quel terrible emblème du pécheur qui refuse de se convertir!

2400. (16.) Voici un tableau bien saisissant; c'est la reproduction d'une idée qui, présentée à plus d'une occasion, s'offre en cet endroit avec des touches inaccoutumées. Jérusalem, ville jadis et s longtemps païenne [1492], mais devenue enfin le siège de la gloire du Seigneur, est comme une jeune fille abandonnée à l'heure de sa naissance, puis recueillie par un homme puissant et bon, qui l'éleva et en fit son épouse. Ingrate et abjurant toute pudeur, elle l’a quitté pour se livrer aux étrangers (les faux dieux); mais ces mêmes étrangers seront les instruments de sa perte. Elle a deux sœurs qu'elle estimait beaucoup au-dessous d'elle, Sodome et Samarie (quel rapprochement!); mais elle est en définitive plus coupable qu'elles deux. Cependant, ô bonté divine! il y aura une nouvelle union avec la femme adultère et ses désordres (ses pratiques idolâtres) lui seront pardonnés [2113].

2401. (17.) Prophétie contre Sédécias, sévèrement repris pour avoir violé les traités qui le liaient à Nébucadnetzar et pour avoir mis sa confiance dans le roi d'Égypte (11-21). Elle est précédée d'une parabole qui s'explique dans le chapitre même (1-20). Quant à l'oracle de la fin (22-24), il paraît ne pouvoir convenir qu'au Messie et à son œuvre, au Messie, dis-je, fils de David, comme Sédécias.

2402. (18.) Deux grandes doctrines sont exposées en ce chapitre. L'une, que si Dieu punit souvent ici-bas les péchés des pères sur les enfants, surtout certains péchés et l'idolâtrie en particulier [745], ce n'est pas à dire qu'il veuille envelopper dans une même perdition le père coupable et les fils innocents, à supposer qu'il y en ait de tels. La seconde, que si un homme, tant méchant soit-il, se convertit réellement à Dieu, ses péchés lui sont pardonnés, vu que la vraie conversion et le vrai repentir n'existent pas sans la foi aux promesses. — Rapprochées d'autres endroits de l'Écriture (notamment Deut. 6: 25; Eccl. 12: 15, 16 [1008, 1857]), ces déclarations pourraient signifier que, sous le règne de la Loi et à considérer les œuvres qu'elle commande, nul ne saurait être sauvé; car l'Éternel y promet la vie éternelle seulement à ceux qui ont suivi tous ses statuts, ou à ceux qui, les ayant violés, se détournent finalement de tous leurs péchés et reviennent à observer tous les commandements. Or qui est-ce qui a jamais fait cela?

2403. (19.) Sous l'emblème de jeunes lions pris au piège et enchaînés, Ézéchiel raconte le triste sort de Jéhoackaz et de Jéhojackim, fils de Josias, prophétisant aussi celui de Sédécias leur frère; et, sous celui d'une vigne détruite par le feu, il décrit les désolations du royaume de Juda. Telle fut la complainte qu'il écrivit, comme les prophéties précédentes, bien peu de temps avant le siège de Jérusalem.

2404. (20.) L'an 592, qui était la septième année du règne de Sédécias, les anciens d'Israël d'entre les captifs se rendirent auprès d'Ézéchiel pour ouïr de sa bouche la Parole de Dieu. Après leur avoir déclaré que l'Éternel les avait rejetés, le prophète leur fait tout l'historique des révoltes de leurs pères, déjà dans le désert. Il leur montre combien furent justes les jugements dont l'Éternel les frappa; mais, comme les autres prophètes, il ne manque pas de leur annoncer, pour un autre temps, le rétablissement de leur postérité dans l'alliance du Seigneur. Ceci n'est au fond que la reprise des pensées contenues au 16e chapitre; seulement le Saint-Esprit y abandonne la forme allégorique, qui, plus impressive, a cependant moins de clarté.

2405. (21-23.) Plus la catastrophe approche, plus le langage du prophète devient effrayant. C'est le caractère général de ces trois chapitres. Dans le premier, on voit le roi de Babylone conduit par la main même de Dieu contre Jérusalem; dans le second, le prophète énumère les principaux crimes des Juifs; dans le troisième, Samarie, sous le nom de Ohola (son propre tabernacle), et Jérusalem, sous celui de Oholiba (mon tabernacle en elle), sont comparées à deux sœurs qui se livrent à l'infamie et méritent d'être lapidées. — Si l'on s'avisait de trouver que le langage prophétique revêt ici des formes révoltantes, je dirais qu'il le fallait ainsi pour peindre les crimes autrement plus révoltants de Juda et d'Israël. — Telles furent les prophéties d'Ézéchiel avant le siège de Jérusalem, c'est-à-dire de 594 à 590; l'Éternel préparait ainsi les Israélites captifs aux terribles nouvelles qu'ils allaient bientôt recevoir.


CLXXXII. — Le prophète Ézéchiel depuis le commencement du siège de Jérusalem.


2406. (24.) Le jour même où Nébucadnetzar mit le siège devant Jérusalem, le dixième jour du dixième mois de l'an 590 avant notre ère, le prophète Ézéchiel fut averti par le Seigneur de cet événement. Il dut l'annoncer aux captifs au moyen d'une parabole dont il leur donna l'explication, et qui signifiait que Jérusalem serait consumée par le courroux du Tout-Puissant. De plus, la femme du prophète mourut, ce jour même, de mort subite; il en fut prévenu quelques moments à l'avance, et, pour servir de type aux enfants d'Israël, il lui fut interdit de prendre le deuil, bien que ce fût une circonstance où il était permis aux sacrificateurs de quitter leurs vêtements de sainte joie [909]. Mais le prophète devait prêcher par là que les restes du peuple juif se verraient dans une trop grande détresse pour songer seulement à pleurer ceux qu'envelopperait la catastrophe; ou bien, qu'ils ne se soucieraient pas plus de porter leur deuil qu'on ne porte celui d'un malfaiteur qui tombe sous le glaive des tribunaux.

2407. (25.) Malheur toutefois aux infidèles qui se réjouiront des calamités du peuple de Dieu! Les Hammonites, les Moabites, les Iduméens et les Philistins, ces constants ennemis d'Israël, insulteront à ses infortunes; mais les jugements du Très-Haut sauront bien les atteindre à leur tour. Et les peuples soi-disant chrétiens qui plus tard ont si cruellement persécuté les Juifs, ne leur ont-ils pas été des Moabites et des Philistins?»

2408. (26-28.) Il y a ici un léger intervertissement dans l'ordre chronologique des chapitres, comme il est facile de le voir en comparant le premier verset du chapitre 26 avec le premier verset du 29; mais, vu la nature des prophéties qui y sont contenues, on peut sans inconvénient les lire tels qu'ils sont placés dans la Bible. — Au commencement de l'année qui vit tomber Jérusalem, si ce n'est le premier jour du mois où elle fut prise d'assaut, Ézéchiel prononça contre Tyr des paroles admirables par la forme et encore plus par le fond, oracle qui rappelle d'ailleurs l'oracle tout pareil du prophète Ésaïe (Ésaïe 23). Ici, comme là, nous voyons ce qu'étaient la puissance et les richesses de cette cité célèbre et des villes de son ressort; mais nous y voyons aussi dans quel état l'Éternel avait résolu de les réduire. L'accomplissement de la prophétie ne se fit pas longtemps attendre. Quatre ou cinq ans après la ruine de Jérusalem, Nébucadnetzar tourna ses armes contre les villes des Phéniciens, et, au bout de treize années de siège, il réduisit l'orgueilleuse Tyr sous sa domination. Cependant, ce fut plus tard seulement que la ville fut entièrement détruite. — À la fin du chapitre 28 il est dit quelques mots du rétablissement d'Israël, comme pour faire ressortir d'autant mieux ce qu'il y aurait d'étonnant dans la destruction sans retour des puissants états de son voisinage.

2409. (29-32.) Commençons par faire remarquer la prophétie contenue à la fin du chapitre 29, versets 17-21. Prononcée dix-sept ans après les autres, savoir la vingt-septième année de la captivité de Jéhojackin et quinze ans après la prise de Jérusalem, elle a été intercalée en cet endroit comme faisant partie du recueil des prophéties d'Ézéchiel contre l'Égypte. La parole de l'Éternel lui fut adressée sur ce sujet à six reprises différentes: sept mois, quatre mois et deux mois avant la prise de Jérusalem; puis, deux fois dans l'année qui suivit cette catastrophe et deux ans environ avant la prise de Tyr. La première fois (29: 1-16) c'était, selon toute apparence, lorsque l'Égypte dirigeait une armée contre Nébucadnetzar, occupé au siège de Jérusalem [2367]. L'Éternel annonce l'extrême abaissement du royaume des Pharaons. Il ne sera pas détruit comme tant d'autres, mais il vieillira faible et constamment opprimé (15), prophétie qui se réalise encore de nos jours.

2410. (32.) Je ne saurais m'arrêter à tous les détails de ces merveilleux oracles. Remarquez toutefois ceux de ce chapitre. Jérusalem avait vu venir le jour de la destruction. Tandis peut-être que Jérémie prononçait ses Lamentations sur la ville désolée, Ézéchiel, des bords de l'Euphrate ou du Chébar, élevait la voix pour dire, selon que l'Esprit le faisait parler, les prochains malheurs et les futures destinées de l'Égypte, ce royaume qui, aux jours de Moïse, avait eu le redoutable honneur de marcher en tête des persécuteurs du peuple de Dieu (1-16). Puis, voilà Pharaon qui descend chez les morts (17-32). Il y rencontre et les Assyriens et les Perses, et les peuples issus de Japhet, et les Iduméens fils d’Isaac, et les orgueilleux Sidoniens: tous ont été percés, ont péri par l'épée, eux qui répandaient l'effroi sur la terre des vivants. Tels sont ceux que verra Pharaon. S'il y a quelque consolation dans cette pensée, il ne sera donc pas le seul dont le sang coulera au jour grand et terrible des jugements du Très-Haut! Cette scène tout entière est sublime. Oh! demandons-nous si nous ne serions point nous-mêmes du nombre des incirconcis de cœur, qui seront couchés parmi les morts doublement condamnés à périr?

2411. (33.) Ils sont bien solennels aussi les avertissements que nous avons maintenant sous les yeux (1-20). Tout prophète, ou, en d'autres termes, tout ministre de la Parole est placé ici-bas comme une sentinelle sur les murs d'une ville assiégée. Malheur à la sentinelle si elle laisse approcher l'ennemi sans mot dire! Malheur au peuple s'il n'écoute pas la voix de la sentinelle fidèle! Malheur aux uns et aux autres, s'ils s'endorment dans une folle sécurité! Voici du reste ce que Dieu dit à ceux qui vivent sous la loi et qui veulent avoir la vie par elle. Un homme aurait beau avoir rempli tous ses devoirs, s'il vient à tomber dans le péché, il est coupable et digne de châtiment; mais qu'un pécheur, d'un autre côté, délaisse ses fautes passées et qu'il se mette à vivre selon les commandements de Dieu, «sans faire rien qui soit mal,» alors ce pécheur vivra et ne mourra point. À ce compte-là, qui donc possédera la vie éternelle? C'est une question que résout le Nouveau Testament, ainsi que nous le verrons plus tard, s'il plaît à Dieu; mais l'Ancien Testament ne la laisse pourtant pas entièrement indécise [291, 2313].

2412. Plus d'une année s'était écoulée avant qu'Ézéchiel et ses compagnons de captivité sur les bords du Chébar eussent la nouvelle de la prise de Jérusalem. Ils étaient assez loin du centre de l'empire, et puis c'étaient de pauvres esclaves! Cependant, la veille même du jour où arriva près d'eux un de leurs compatriotes fugitifs, l'Éternel avait préparé l'âme de son serviteur; et, quand le coup fut porté, il lui donna la force nécessaire pour continuer auprès des captifs ses pénibles fonctions. Parce qu'ils étaient enfants d'Abraham, ils s'imaginaient que, malgré leur petit nombre, ils allaient posséder le pays; mais le prophète dut les détromper et leur reprocher leurs mauvaises mœurs. Il dut aussi leur dire, de la part de Dieu, le cas qu'il fallait faire de l'empressement qu'ils mettaient à écouter le prophète sans prendre aucun souci de pratiquer sa parole: trop fidèle image de tant de soi-disant chrétiens qui s'entassent au pied d'une chaire pour entendre un orateur, qui se retirent la bouche pleine d'éloges sur le talent qu'il a déployé, et qui croient avoir, par cette apparence de zèle, rendu leur culte au Seigneur (21-33). 

2413. (34, 35.) Nous avons après cela des menaces et des censures adressées aux chefs du peuple, désignés sous le nom de pasteurs ou de bergers. L'Éternel promet lui-même d'être le pasteur de son vrai peuple; il punira ses oppresseurs et le délivrera de leurs mains. Tout cela conduit à une belle prophétie messianique, où le Christ reçoit le nom même de David [2251] et où le salut qu'il procure est appelé une alliance de paix (34: 23, 25). Mais ce qu'il apporte aussi, comme nous l'avons vu tant de fois, c'est la destruction de ses adversaires, ce que signifie la prophétie contre la montagne de Séïr, c'est-à-dire contre les descendants d'Esaü et leurs imitateurs (Genèse 36: 8).

2414. (36.) Ici vient un des beaux chapitres de la Bible; je voudrais pouvoir l'exposer en détail, bien que le Saint-Esprit ne fasse guère qu'y reproduire d'anciennes prophéties. Les ennemis du peuple de Dieu y sont sévèrement repris de la joie qu'ils manifestèrent en apprenant la ruine de ce peuple, ruine momentanée, mais qu'ils pouvaient croire définitive, et l'Éternel annonce que leur propre châtiment sera bien plus terrible (1-7). À cette époque, d'abondantes bénédictions seront pour toujours répandues sur la maison d'Israël et sur le pays de ses pères (8-15). Rejetés à cause de leurs crimes, les Juifs seront rétablis, non parce qu'ils le mériteront, mais parce qu'il plaira au Seigneur de se glorifier en eux de cette manière (16-24); car enfin, et rien n'est plus digne d'attention, c'est lorsque Dieu aura rendu ses grâces temporelles et spirituelles à son peuple après sa conversion, qu'on verra celui-ci vraiment humilié et tout rempli de l'Esprit de la prière (25-38).

2415. Cette même promesse fait le sujet d'un nouveau chapitre (37). Par la vision des ossements desséchés auxquels l'Esprit de Dieu rend la vie, l'Éternel prophétise le rétablissement d'Israël (1-14); et, par l'acte symbolique des deux pièces de bois qu'Ézéchiel dut rapprocher l'une de l'autre, il annonce la réunion des tribus que le schisme de Jéroboam avait divisées (15-28). Il est donc facile de voir que l'oracle n'est pas encore accompli; que, par conséquent, s'il est ici question du retour de la captivité de Babylone, cet événement n'y entre qu'en sa qualité de figure et de précurseur de la restauration finale des enfants d'Abraham. D'un autre côté, il est manifeste que ceci est une prophétie messianique, témoin soit ce qui est dit du roi qui régnera sur eux, roi désigné derechef sous le nom de David (24, 25), comme tout à l'heure et ailleurs encore; roi dont le règne est un règne éternel, un règne de grâce et de sainteté. Enfin, ce qui est digne de remarque, c'est que, selon la prophétie, le rétablissement des Juifs doit être pour les nations un puissant moyen de conversion à l'Éternel (23, 26, 27, 28). — Mais si telle est la vraie interprétation de l'oracle, on comprend que plusieurs personnes aient cru voir dans la vision des os secs, deux choses qui nous y paraissent bien réellement contenues, savoir, une image de ce qui se passe dans le réveil des âmes et une prophétie de la résurrection des morts, faits qui appartiennent l'un et l'autre au royaume du Messie, puisque le Seigneur ne règne réellement que sur les pécheurs convertis par son Esprit, et que son retour dans la gloire doit coïncider avec la résurrection de ses saints.

2416. (38, 39.) À prendre cette prophétie-ci dans ses grands traits et selon le sens naturel qu'elle présente au premier abord, elle porte nos pensées vers des temps qui ne sont point encore venus. Israël étant rétabli dans le pays de ses pères, paisible et sans défense, se verra brusquement attaqué par un prince puissant, conducteur d'armées innombrables et recrutées parmi tous les peuples. Mais cette guerre impie doit tourner à la confusion de ceux qui l'auront entreprise; ils périront sous les coups de l'Éternel, et, de cette nouvelle crise, la gloire du Seigneur sortira plus éclatante que jamais. — Maintenant, faut-il entendre tout ceci dans le sens littéral ou le prendre au sens figuré? Ce Gog, roi du pays de Magog, est-il vraiment un homme qui sera prince de Russie (Rosch, mot traduit dans nos Bibles par chef), de Moscou (Mésech) et de Tobolsk(Thubal)? (27:13; 32:26.) Y aura-t-il une invasion à main armée, un combat où le sang coulera? Ou bien ce Gog serait-il une personnification de Satan, et toute cette description, celle d'un débordement d'impiété qui devrait se manifester dans les derniers jours, pour être comprimé par la puissance de l'Esprit de l'Éternel? Voilà des questions sur lesquelles il n'est peut-être pas fort sage de répondre d'une manière trop affirmative. Quand il s'agit de prophéties non accomplies, il est permis de douter, non pas qu'elles s'accompliront, mais qu'on en ait dès à présent une vraie et entière intelligence. Ce qui, dans tous les cas, demeure incontestable, c'est que la guerre de Satan contre Dieu durera aussi longtemps que ce monde, et que Satan ne saurait après tout remporter la victoire qu'il poursuit en désespéré. Il est également vrai que les hommes qui se font ses instruments dans cette horrible lutte, aiguisent des armes contre eux-mêmes et marchent à leur destruction. Ce qui n'est pas moins évident enfin, c'est que la paix et la sûreté, dans ce monde comme dans l'autre, n'appartiennent qu'au seul Israël de Dieu.

2417. (40-48.) En l'année 574, quatorze ans après la destruction de Jérusalem, le prophète Ézéchiel eut, pour la consolation des captifs, une dernière vision dont le sens prophétique est encore plus difficile à déterminer que celui des précédentes. Après avoir lu ou entendu les diverses explications qu'on a essayé d'en donner, j'avoue que mes opinions sur ce sujet n'ont point pu se fixer, comme il le faudrait peut-être chez quelqu'un qui s'est imposé la tâche de faciliter à tous les esprits l'intelligence des Écritures. — Pour m'en tenir d'abord à ce qui est le plus simple et le plus évident, voici ce qu'on pourrait appeler l'objet immédiat de la vision.

2418. (40-42.) Transporté, en esprit [2396] ou dans une extase, sur une haute montagne, au centre d'un pays que le prophète reconnut pour être la Judée, il vit, du côté du sud, une ville, et au milieu de cette ville une maison sainte dont un ange mesurait les dimensions. La maison avait des cours intérieures et extérieures dont les portes sont décrites avec détail; là étaient huit tables pour les sacrifices, des appartements destinés aux chantres et aux sacrificateurs. Introduit dans la maison, le prophète en voit les piliers, les portes, les chambres, les fondements, les ornements, tous mesurés et décrits avec exactitude. Du temple il est reconduit au parvis extérieur; puis, les édifices qui l'entourent sont pareillement mesurés et décrits, ainsi que le terrain tout entier sur lequel reposaient ces constructions idéales. — C'est, comme on le voit, le plan d'un nouveau temple; et si l'on compare ce tableau avec la description qui est faite ailleurs soit du temple de Salomon, soit de la tente du désert, on est frappé tout à la fois de la ressemblance et des différences.

2419. (43, 44.) Après cela, le prophète voit la gloire de l'Éternel rentrer dans le temple, non sous la forme d'une nuée, comme jadis, mais avec l'appareil magnifique qui en avait accompagné la première manifestation à Ézéchiel, vingt ans auparavant. Alors, le Seigneur lui-même fait entendre sa voix. Il promet de préserver désormais les fils d'Israël des péchés qui les avaient privés de sa présence; il ordonne au prophète de leur montrer le modèle de la sainte maison; il décrit l'autel destiné à recevoir les holocaustes et la manière de le consacrer ainsi que les sacrificateurs eux-mêmes; il fixe l'ordre qu'on doit suivre à divers égards. — Le prince a une place particulière qui lui est assignée; les étrangers incirconcis de cœur ou de corps ne pourront entrer dans le sanctuaire, ni les sacrificateurs jadis infidèles y faire le sacrifice. Ceux des fils de Tsadoc qui ne renièrent jamais l'Éternel seront seuls admis à le servir dans son nouveau temple, et ils auront soin d'observer, quant à la pureté extérieure, les ordonnances particulières au sacerdoce, répandant d'ailleurs l'instruction au milieu du peuple et y exerçant la justice.

2420. (45, 46: 1-18.) Il se fera un nouveau partage de la terre de Canaan, comme au temps de Josué, mais en suivant des règles différentes. La part des Lévites leur sera tout autrement allouée; puis, il y en aura une pour le prince et pour sa famille, outre les contributions qui lui seront payées par le peuple. On offrira de nouveau des sacrifices d'expiation; on célébrera la Pâque et la fête des pains sans levain. Tous les sabbats, le monarque et le peuple présenteront des holocaustes et des sacrifices de prospérité; chaque jour on immolera un agneau d'un an, pour servir d'holocauste perpétuel. Le prince pourra disposer de ses biens en faveur de ses fils, mais il ne lui sera pas permis d'enrichir ses serviteurs.

2421. (46: 19-24; 47: 1-12.) Ainsi avait parlé le Seigneur, lorsque le prophète fut admis à pénétrer dans les appartements destinés aux sacrificateurs, et à voir les cours et les laboratoires où devaient se cuire les chairs des victimes et se boulanger les gâteaux d'offrande à l'Éternel. De là il fut ramené à la porte de la maison, et il vit une source qui jaillissait sous le seuil, du côté de l'Orient. Cette eau, qui d'abord mouillait à peine la plante des pieds, allait croissant en largeur et en profondeur, de manière à devenir un fleuve infranchissable. Elle se dirigeait du côté du désert, pour le fertiliser, et se jetait dans la mer Morte, afin d'en rendre les eaux salubres. Le torrent d'ailleurs abondait en poissons, et, sur les deux rives, des arbres fruitiers rendaient chaque mois de nouveaux fruits, et leurs feuilles servaient à guérir les maladies des hommes. Ici se termine la vision, mais non la révélation de l'Éternel, car il va s'adresser encore une fois à son prophète.

2422. (47: 13-23; 48.) C'est pour reparler du partage de Canaan. Le Seigneur fixe les nouvelles limites du pays et la place, toute nouvelle aussi, qu'y occupera chaque tribu. De là il revient à la ville qu'Ézéchiel avait vue au commencement de sa vision. Elle aura douze portes, une pour chaque tribu, et son nom sera Jéhovah-schammah, l'Éternel est ici.

2423. L'exposition que je viens de faire de ces visions et de ces oracles n'apprend rien qu'un lecteur attentif ne puisse facilement découvrir dans le texte sacré. Maintenant, il faudrait dire si tout cela doit s'entendre au sens littéral, ou dans le sens allégorique et spirituel. Conduits par l'abondance et la précision des détails, bon nombre d'interprètes se prononcent pour la première alternative. Par cela même, ils n'envisagent point l'oracle comme ayant eu déjà son accomplissement. Car, bien que les Juifs soient rentrés en grand nombre dans leur pays après les soixante-dix ans de captivité, bien qu'ils aient rebâti Jérusalem et reconstruit le temple, bien qu'ils aient eu plus tard des princes et qu'ils se soient remis de tout leur cœur à observer les ordonnances religieuses de la loi, il n'y a rien eu dans leur nouvelle situation qu'on puisse envisager comme l'accomplissement entier et littéral de cette grande prophétie. Si donc elle fut réellement destinée à tracer d'avance un moment de l'histoire temporelle et religieuse du peuple juif, il faut reconnaître que ce moment n'a pas encore paru, et tous sont d'accord sur ce point.

2424. On arrive à la même conséquence, lorsqu'on prend cette prophétie au sens spirituel et symbolique. Dans cette supposition elle décrirait un ordre de choses que l'Évangile n'a pas encore produit, si ce n'est en de faibles proportions; car, alors, la Judée représenterait le monde entier; la ville, à son tour, serait l'Église au sein de laquelle le Seigneur habite et dont le nom est Jéhovah-schammah.

2425. Quelle que soit donc l'hypothèse qu'on adopte, il s'agit ici de choses à venir; par là même, il est impossible d'interpréter la prophétie autrement que d'une manière plus ou moins conjecturale. Or mes lecteurs savent que j'ai toujours évité de les porter sur un terrain où le pied du chrétien le plus pieux peut facilement glisser. Ce que j'ai bien plus à cœur, c'est de leur inculquer, par mon exemple, une grande prudence sur ces sujets difficiles: prudence qui consiste à ne pas se prononcer d'une manière trop tranchée pour une opinion ou pour une autre; à ne pas traiter d'ignorants ou d'incrédules ceux qui, là-dessus, ne partagent pas notre manière de voir; à méditer, dans la prophétie, moins ce qui satisfait une sorte de curiosité et ce qui souvent détourne de la vie active du chrétien, que ce qui est le plus propre à édifier notre âme. Sous ce dernier rapport je leur recommande particulièrement la vision du fleuve qui prenait sa source au seuil du temple prophétique. Cette belle image des grâces de Dieu nous retrace les vérités éternelles du salut et leur propagation dans le monde pour donner aux âmes la vie et la santé: c'est toujours à cela finalement qu'il faut en revenir, comme à ce qui est le plus essentiel. Quelle que soit, en définitive, l'idée qu'on se fasse de la nouvelle Jérusalem, et du nouveau temple, et des nouvelles institutions destinées au nouveau peuple, il demeure vrai que le genre humain, semblable à la mer Morte, est tout entier dans le péché; qu'un jour viendra cependant où la face du monde moral sera changée, et peut-être, jusqu'à un certain point, celle du monde matériel; que les eaux de nettoiement, de purification et de vie ne peuvent sortir que du temple de l'Éternel; que ce temple, après tout, c'est Jésus-Christ, et, par lui, son Église [1790]; qu'il n'est rien, en conséquence, dont nous devions être plus désireux que d'appartenir à Jésus-Christ; rien non plus que les chrétiens doivent avoir à cœur comme de répandre son glorieux nom par toute la terre.

2426. Bien que le livre d'Ézéchiel finisse en cet endroit, nous avons la certitude que ce ne fut pas alors que se termina sa carrière prophétique; car deux années après cette grande vision (29: 17-21), il dut encore prophétiser contre l'Égypte, ainsi que nous l'avons dit ailleurs [2409]. Après quoi nous ignorons quand et comment il mourut. La tradition place son tombeau près du fleuve Chébar, en Mésopotamie; dans tous les cas, il est certain que la captivité de Juda durait toujours et que la mort d'Ézéchiel, en de telles circonstances, fut doublement une heureuse mort.


LE PROPHÈTE DANIEL.

CLXXXIII. — Éducation de Daniel; songe de Nébucadnetzar; les trois amis de Daniel dans la fournaise.


2427. (1:1 -7.) Six ans avant qu'Ézéchiel eût été emmené captif à Babylone et douze ans avant qu'il reçût la charge de prophète, Daniel, très jeune encore, fut arraché de la maison paternelle, au nombre des otages que Nébucadnetzar avait exigés de Jéhojackim pour s'assurer le payement des contributions dont il l'avait frappé. C'était vers l'an 606. Jérémie prophétisait depuis environ vingt-trois ans. Plusieurs enfants de la famille royale ou d'autres familles de distinction avaient eu le même sort. Parmi eux se trouvaient Hananias, Misaël et Azarias, dont les noms avaient été changés contre ceux de Sadrac, Mésach et Abednégo, en signe de leur esclavage [2302]: Daniel avait reçu celui de Beltsazar. Ces enfants furent élevés par les soins de Nébucadnetzar, de manière à pouvoir lui être utiles dans la suite; car, avec les vues qu'entretenait son ambition, il prévoyait qu'il pourrait lui être bon d'avoir dans son gouvernement quelques Israélites dignes de sa confiance.

2428. (8-21.) Mais l'Éternel avait résolu de prendre lui-même à son service ces quatre jeunes gens, vases d'élection dont il voulait tirer sa gloire. Au milieu de ce peuple idolâtre et de cette cour somptueuse, il leur fit la grâce de se souvenir du Dieu de leurs pères Abraham, Isaac et Jacob. Daniel et ses amis recevaient leur nourriture de la propre table du roi; mais ils savaient que ses viandes avaient d'abord été consacrées aux faux dieux et que le vin qu'il buvait servait aux libations dont on honorait leur culte: c'est pourquoi ils supplièrent Asçpenas, leur gouverneur, de ne pas exiger qu'ils en fissent leur repas. Après un essai de dix jours, le meltsar, ou maître d'hôtel, vit que leur santé n'était nullement éprouvée par la sévérité de leur régime; en sorte qu’il continua de les traiter comme ils l'avaient demandé avec de si vives instances. Du reste, leurs études, bénies de Dieu, développèrent singulièrement leur intelligence, et quand, après trois années, le roi se fit rendre compte de leur travail et les appela devant lui pour subir un examen, il les distingua parmi tous ceux qu'il destinait à quelque fonction dans son empire. Or, cette prééminence, de Daniel entre autres, subsista jusqu'au temps du roi Cyrus et par delà, comme nous le verrons bientôt.

2429. Les instituteurs de Daniel et de ses amis, appelés mages, étaient sans doute de ces philosophes, astrologues et devins, qui sont bien connus dans l'histoire des pays orientaux. Il paraît qu'ils enseignaient certains procédés au moyen desquels ils faisaient profession d'expliquer les songes et en général de pronostiquer l'avenir. Mais Daniel fut à une meilleure école. On avait voulu en faire un mage; ce nom même lui fut donné: Dieu fit de lui un sage et un prophète. S'il devint illustre à la cour des rois babyloniens, puis à celle des rois de Perse, il le dut à l'Esprit-Saint qui habitait en lui.

2430. (2: 1-12.) L'an 603 ou 604, seconde année de Nébucadnetzar, quinze ans avant la destruction de Jérusalem et Daniel étant jeune encore, le monarque eut un songe qui le frappa vivement, et dont il demeura d'autant plus troublé qu'il lui fut impossible de s'en retracer les circonstances. Recourant à sa ressource ordinaire, il appela les mages et les astrologues, desquels il exigea tout à la fois l'exposition et l'explication de l'espèce de vision qu'il avait eue et dont il ne se pouvait souvenir. Or, s'il est facile à l'imposture ou à la superstition de tenter d'interpréter un songe, il lui est évidemment impossible de découvrir ce qu’un homme a rêvé dans le désordre des pensées du sommeil. Aussi les devins de Nébucadnetzar entrèrent-ils en grande frayeur, déclarant que les dieux seuls pouvaient satisfaire le monarque. C'était avouer que, jusqu'à cette heure, ils avaient menti quand ils se donnaient pour les interprètes infaillibles de la divinité. Le roi donc ne voyant plus en eux que des misérables qui l'avaient abusé, ordonna de les faire mourir.

2431. (13-30.) Daniel ne se trouvait pas avec eux en ce moment: il était trop jeune pour qu'on eût songé à lui. Mais si l'ordre entier des mages avait dû être exterminé, comme le voulait le roi, Daniel et ses trois amis auraient naturellement partagé leur sort. Telle n'était pas cependant la volonté d'un Roi plus grand que celui de Babylone. Au contraire, et le songe de Nébucadnetzar, et l'oubli qu'il en avait fait, et son décret sanguinaire contre les astrologues, tout cela n'était que le moyen choisi par le Seigneur pour introduire Daniel dans la carrière prophétique, en le faisant l'interprète d'une des révélations les plus étonnantes de la Parole.

2432. Vous lirez dans la Bible même comment Daniel, ayant appris ce qui se passait et ayant obtenu du roi un léger sursis, réunit ses trois amis et implora de concert avec eux la miséricorde de l'Éternel; comment les secrets du cœur de Nébucadnetzar et ceux des siècles à venir lui furent découverts, et par quelles actions de grâces il remercia Dieu de la faveur qu'il lui accordait. Vous remarquerez aussi avec quelle noblesse, quelle simplicité et quelle fidélité tout à la fois, ce jeune serviteur de Dieu rendit gloire à l'Éternel, qui avait dirigé les pensées de Nébucadnetzar durant la nuit et qui les lui avait fait connaître à lui-même pour les révéler au roi. Puis vient l'exposition du songe et son explication.

2433. (31-36.) Nébucadnetzar avait vu une statue colossale d'un aspect à la fois splendide et effrayant. La tête en était d'or, la poitrine et les bras d'argent, le ventre et les hanches d'airain, les jambes de fer, les pieds en partie de fer et de terre. Tandis qu'il la contemplait, il avait vu une pierre venir d'elle-même et sans aucune impulsion apparente, frapper les pieds du colosse et les briser. Alors, fer, terre, airain, argent et or, tout fut réduit en poudre et disparut. Mais la pierre qui avait renversé et détruit la statue devint une grande montagne qui couvrit toute la terre.

2434. (37-48.) C'était là, dit Daniel, un emblème de quatre monarchies qui devaient se succéder dans le monde, y compris celle des Babyloniens, la tête d'or. Premièrement celle des Mèdes et des Perses, représentée par l'argent; puis celle d'Alexandre et des Grecs, par l'airain [980]; enfin celle des Romains, par le fer. Sous cette quatrième monarchie commencerait un empire d'éternelle durée, figuré par la pierre qui devint une grande montagne [2165].

2435. En effet, mes lecteurs peuvent savoir que, vers l'an 538, c'est-à-dire soixante-cinq ans après le songe de Nébucadnetzar, Cyrus prit Babylone et devint le vrai fondateur de l'empire des Perses; que deux siècles après, l'an 331, Alexandre le Grand fit la conquête de l'Asie, et enfin que, l'an 167 avant l'ère chrétienne, les Romains s'emparèrent de la Macédoine, berceau d'Alexandre, et se soumirent bientôt les contrées de l'Asie sur lesquelles Nébucadnetzar, Cyrus, Alexandre et ses successeurs avaient étendu leur domination. Ils peuvent savoir également que ce fut à l'époque de la grandeur romaine que naquit notre Seigneur Jésus-Christ, fondateur d'un royaume d'une nature toute nouvelle. Très chétif à son origine, ce royaume est destiné à remplir le monde entier, sans qu'aucune puissance soit capable de le renverser jamais: il est appelé dans le Nouveau Testament le royaume des cieux.

2436. Tout ceci est facile à comprendre. Mais ce qui l'est moins, c'est ce qui est dit du fer mêlé avec la terre et de ces alliances humaines qui devaient faire la faiblesse de l'empire romain. Les uns entendent cela du mélange des peuples barbares avec les peuples civilisés; d'autres, de l'appui trompeur que se prêtent mutuellement le pouvoir politique et le pouvoir ecclésiastique. Après quoi, il est des personnes qui regardent cette prophétie comme accomplie déjà dans ses traits essentiels, tandis que, selon quelques-uns, la petite pierre n'a pas encore brisé les pieds de la statue et que cette catastrophe n'aura pas lieu avant le retour de notre Seigneur. À ce point de vue et en ce qui concerne la prophétie, l'empire romain subsisterait encore maintenant dans ses éléments essentiels. Peut-être la vraie interprétation est-elle que cette portion de l'oracle n'a eu qu'un commencement d'exécution.

2437. (46-49.) Quand Nébucadnetzar eut entendu les paroles de Daniel, qu'il eut reconnu le songe tel qu'il l'avait eu et qu'il ne put douter en conséquence de l'interprétation, il se prosterna devant l'organe des décrets du Très-Haut; lui, le grand roi, devant un jeune homme captif dans ses États! Il lui fit donner de quoi présenter à son Dieu des oblations et des parfums, déclarant qu'il n'y avait point de divinité pareille au Dieu d'Israël. Ce n'était pas la conversion du cœur, il s'en faut bien; toujours est-il que Daniel fut en grande faveur auprès du monarque, qu'il devint par la suite gouverneur de la province de Babylonie, et qu'à sa demande, ses trois amis furent chargés de le seconder dans son administration. C'est ainsi qu'il plaît à Dieu quelquefois d'honorer par des distinctions terrestres ceux qui l'honorent [540, 1311]; mais que sont tous ces honneurs en comparaison du témoignage que le Seigneur lui-même rendit à la piété de Daniel par la bouche du prophète Ézéchiel, dix ans après cela? (Ezéch. 14: 14, 20.) Être mis, si jeune encore, au rang des Job et des Noé, c'est une gloire qui surpasse celle de chef d'un grand empire!

2438. (3: 1-12.) Longtemps après ces choses, vers l'an 580, pense-t-on, ou huit ans après la destruction de Jérusalem, Nébucadnetzar, fier de ses nombreuses conquêtes, auxquelles il allait bientôt ajouter celle de l'opulente ville de Tyr, se fit ériger une magnifique statue que ses sujets reçurent l'ordre exprès d'adorer. On rassembla dans la plaine de Doura les fonctionnaires publics de ce vaste empire, et, au milieu d'une fête qu'on sut rendre fort brillante, ils se prosternèrent tous devant l'idole. Il n'y eut d'exception que de la part des amis de Daniel: Sadrach, Mésach et Abednégo. Ils s'y refusèrent absolument et par là donnèrent large prise à l'envie dont ils étaient les objets, sans compter que le monde ne peut supporter qu'on proteste contre les erreurs quelquefois si grossières de sa religion. Quant à Daniel, personne ne saurait le soupçonner d'avoir fléchi le genou devant ce Bahal; mais peut-être n'osa-t-on pas le dénoncer au monarque, vu le rang élevé qu'il occupait à sa cour et dans son estime.

2439. (13-30.) L'irritation se porta donc sur ses trois amis, et rien n'est beau comme la réponse qu'ils firent à Nébucadnetzar. Ils y montrent une résolution inébranlable, fruit d'une confiance parfaite en leur Dieu; mais il n'y a rien dans cette confiance qui sente le fanatisme. Ils ne disent pas que l'Éternel les délivrera certainement de la fournaise; ils disent que s'il veut les garder au sein des flammes, il le peut; dans tous les cas, mieux vaut mourir ainsi que d'éviter la mort en reniant sa foi: voilà leur pensée. Or l'Éternel voulut déployer sa puissance en faveur de ses serviteurs si fidèles, moins encore dans leur intérêt que pour l'instruction et l'affermissement de tous ceux qui, de siècle en siècle, seraient appelés à souffrir par motif de conscience. D'abord, les hommes qui les jetèrent dans la fournaise périrent par les flammes qu'elle vomissait; puis il plut au Seigneur d'envoyer son ange, qui, enveloppant les trois Israélites de la puissance même du Très-Haut, les gardait et les fortifiait. Nébucadnetzar vit de ses yeux ce quatrième personnage, dont l'aspect n'était point celui d'un homme mortel. Il appela les martyrs hors de la fournaise, et, confondu d'admiration, il bénit le Dieu de Sadrach, de Mésach et d'Abednégo, les louant hautement d'avoir contrevenu à ses ordres pour obéir à leur foi. Il poussa même l'exaltation de ce premier moment jusqu'à menacer de mort quiconque parlerait mal de Jéhovah, droit que le Seigneur ne lui avait point conféré. Tout cela ne prouvait pas encore que le monarque fût converti, mais on ne saurait douter que son âme ne fût profondément remuée. Or remarquez, je vous prie, pour vous servir d'exemple, que le moyen dont Dieu se servit en vue de manifester sa gloire, fut la fidélité même des amis de Daniel.


CLXXXIV. — Abaissement et conversion de Nébucadnetzar; vision de Daniel sous le règne de Belschazar; fin mémorable de ce prince.


2440. (4: 1-33.) L'an 570, deux ans après la prise de Tyr, la puissance des Babyloniens étant arrivée à son apogée, Nébucadnetzar eut un songe qu'il se fit expliquer par Daniel, comme celui qu'il avait eu trente-trois ans auparavant. Celui-ci lui était entièrement personnel. Sous l'emblème d'un grand arbre tout à coup ébranché et coupé jusqu'au tronc, le Dieu des cieux, le suprême souverain des royaumes de la terre, voulut annoncer à l'orgueilleux monarque des humiliations telles que nul prince n'en avait essuyé avant lui. En effet, l'année suivante, comme Nébucadnetzar se promenait sur la terrasse de son palais, se glorifiant de sa force, il fut frappé par la main même de l'Éternel et réduit à un état pire que la mort. Il tomba en démence. Privé de la raison jusqu'à la stupidité, on dut l'éloigner des affaires et de la société des hommes. Il traîna sa misérable existence dans quelque lieu écarté de son palais, vivant en plein air, mangeant de tout ce qu'on lui présentait, même de l'herbe des champs. Nul soin ne fut plus donné à sa personne, et c'est à peine s'il lui restait une figure humaine.

2441. (34-37.) Sept temps ou sept années se passèrent de la sorte; après quoi la raison lui fut rendue, et, ce qui vaut mieux que cela, il lui fut donné par la grâce de Dieu de reconnaître ses péchés et de se convertir du cœur à l'Éternel. La sincérité de sa conversion est manifeste, puisqu'il voulut lui-même rendre publique une histoire qui aurait très bien pu demeurer enveloppée dans les mystères de son palais. Il promulgua donc un édit destiné à faire le tour de l'empire, et Daniel s'est contenté d'enregistrer dans son livre cette proclamation si remarquable. Il ne l'accompagne d'aucune réflexion; mais il est facile d'y voir combien Dieu est jaloux de sa gloire, comment il voulut montrer aux Israélites captifs que si Nébucadnetzar avait triomphé de leurs rois et détruit leur sainte cité, ce n'était pas à dire qu'il fût plus puissant que lui; comment enfin il se plaît quelquefois à exercer sa miséricorde envers ses plus grands ennemis. Après cela, disons-nous bien qu'il n'est pas nécessaire d'occuper un trône pour se laisser emporter par l'orgueil. Or, malheur à nous, si, enflés par nos succès de quelque nature qu'ils soient, nous négligeons d'en rendre à Dieu toute la gloire. Nous serons tôt ou tard humiliés comme le roi de Babylone, mais il n'est pas dit que Dieu nous fera certainement la même grâce qu'à lui. Elle fut grande cette grâce, plus grande que les inouïes prospérités de son long règne.

2442. Ce fut entre l'an 564 et l'an 563 que Nébucadnetzar reprit les rênes de son empire, et l'an 562 qu'il mourut, ayant pour successeur son fils Evilmérodac, qui rendit de grands honneurs au roi Jéhojackin encore vivant (2 Rois 25: 27-30; Jérémie 52: 31-34). Evilmérodac ne régna que deux ans, et fut remplacé d'abord par Nériglissor son beau-frère et son meurtrier, puis par Laborosoarchod son neveu, et enfin par Belschazar ou Balthasar, son fils, appelé aussi Naboned. S'il est dit fils de Nébucadnetzar, c'est comme Roboam était fils de David et Laban fils de Nacor. Aux chapitres 5 et 7 de son livre, Daniel nous raconte la mort de ce roi, et ce qui lui arriva à lui-même sous son successeur; mais avant de le suivre dans ce récit, étudions les visions qu'il eut à cette époque.

2443. (7:1, 2.) La première année de Belschazar, savoir l'an 555 avant l'ère chrétienne, Daniel, alors âgé d'au moins soixante ans, eut à son tour la vision prophétique des mêmes événements dont Nébucadnetzar avait été averti en songe quarante-huit ans auparavant. Car, bien que la vision soit différente dans ses apparences, le sens en est au fond le même, mais avec un développement important qui manquait à la première. Au monarque, les choses ont été présentées du point de vue de la politique; c'est essentiellement du point de vue religieux qu'elles le sont au prophète.

2444. (3-7.) De la mer, qui représente la multitude des peuples, Daniel voit s'élever successivement quatre bêtes; et, bien que l'explication de ces figures symboliques ne nous soit pas donnée, il est facile de reconnaître dans le lion à ailes d'aigle et au cœur d'homme, la tête d'or de la statue qui avait effrayé Nébucadnetzar [2433]; dans l'ours, la poitrine d'argent ou les Perses; dans le léopard avec ses quatre ailes et ses quatre têtes, l'empire d'Alexandre; et dans la quatrième bête aux dents de fer, les redoutables Romains. Mais voici la portion la plus importante et la plus difficile de la prophétie.

2445. (7-14.) La quatrième bête avait dix cornes, entre lesquelles s'en éleva une, toute petite d'abord, qui, des dix cornes, en supplanta trois. Sur cette petite corne parurent des yeux d'homme, et elle avait une bouche pleine de paroles arrogantes. Puis le prophète vit l'Ancien des jours, l'Éternel, assis sur son trône de jugement; la bête fut tuée à cause des paroles arrogantes proférées par la petite corne: tuée et jetée au feu; et les autres bêtes, qui avaient conservé jusque-là une sorte d'existence et de force, furent privées de toute domination. À leur place, quelqu'un qui est appelé le Fils De L'homme reçut un empire universel et éternel.

2446. (15-24.) De tout ce que le prophète avait sous les yeux, rien n'attira son attention comme la quatrième bête, et rien ne l'avait plus vivement frappé que sa petite corne; car encore que petite, elle faisait, à la vue, plus d'effet que toutes les autres (20); d'ailleurs elle intentait la guerre aux saints et avait l'avantage sur eux! (21.) Qu'est-ce donc que cela pouvait signifier? (16.) Daniel fit cette question à l'un des personnages qui lui semblaient, comme lui, spectateurs de la vision, et il en reçut l'explication de l'énigme. Mais l'explication elle-même n'a pas toute la clarté que notre esprit curieux désirerait, en sorte que nous retrouvons ici le caractère général des prophéties relatives aux derniers temps, prophéties toujours enveloppées d'un fond d'obscurité.

2447. Quoi qu'il en soit, il est assez évident que ce Fils de l'homme vu par Daniel sur les nuées des cieux (13), c'est notre Seigneur Jésus-Christ, tel que nous le verrons lorsqu'il entrera dans son règne; le peuple des saints du Très-Haut, c'est son Église (18, 22), dont les membres sont appelés «saints et fidèles» (p. ex.: Eph. 1: 1); la bête à dix cornes, c'est Rome, comme nous l'avons dit [2444]. Cela étant, la petite corne ne peut être vraiment que le pouvoir papal, qui s'est élevé dans l'empire romain en effaçant tout autre pouvoir et en persécutant, dans tous les siècles, les enfants de Dieu qui ne se soumettent pas à ses usurpations et qui protestent contre ses blasphèmes (8-20). Les dix cornes sont les nations barbares qui, au cinquième siècle de notre ère, envahirent l'empire latin ou ancien empire romain, savoir les Vandales, les Ostrogoths, les Visigoths, les Gépides, les Hérules, les Lombards, les Francs, les Bourguignons, les Suèves et les Alains; les trois cornes enfin aux dépens desquelles les papes se sont constitué un royaume temporel sont les Hérules, les Ostrogoths et les Lombards (24).

2448. (25.) Quant aux prétentions arrogantes des papes, à leurs impiétés et à leurs blasphèmes, l'histoire nous les atteste avec surabondance, quel que soit l'historien. Le pape se fait adorer et il estime sa parole égale, si ce n'est même supérieure, à la Parole de Dieu. Sous les inspirations de ce pouvoir antichrétien ou à son ordre, le sang des fidèles serviteurs de Jésus-Christ a été répandu par flots. Il a métamorphosé en un culte idolâtre le culte spirituel de l'Évangile, et substitué à l'efficace de la mort du Sauveur celle des œuvres humaines et les folies de la superstition. Mais cette puissance des ténèbres n'aura qu'une existence limitée. Un temps, deux temps et la moitié d'un temps, par où l'on entend généralement trois années prophétiques et demie, ou trois fois et demi 360 jours, chaque jour comptant pour une année réelle: telle sera, pense-t-on, la durée de son empire. Alors, cet empire sera détruit par l'avènement même du règne de notre Sauveur et de la gloire de ses saints, c'est-à-dire que les systèmes antichrétiens qui auront eu jusque-là l'empire du monde devront céder le trône et le sceptre au pur système de l'Évangile. Voilà les consolantes assurances que nous donne l'infaillible Parole de notre Dieu. Que si l'on voulait entendre par les trois temps et demi, trois ans et demi comme on les compte dans l'usage ordinaire, fi en résulterait que la petite corne n'a pas encore été manifestée, et que le pouvoir papal n'en aurait été qu'une première et incomplète apparition. C'est un système d'interprétation dont les événements seuls peuvent démontrer la vérité ou l'erreur.

2449. (8: 1-8.) La troisième année de Belschazar, l'an 553, Daniel eut une vision plus facile à comprendre en quelques points et toutefois plus obscure à d'autres égards. Les scènes de la précédente vision avaient eu pour théâtre la portion occidentale du futur empire romain; celles-ci ont plutôt pour théâtre l'Orient. Sous l'image d'un bélier à deux cornes (et la corne est toujours signe de puissance (1 Sam. 2: 1), nous y voyons les Mèdes et les Perses détruisant la puissance babylonienne, événement qui eut lieu quatorze ans plus lard (20); puis le bouc macédonien, Alexandre, roi de Javan (237), venant avec une incroyable rapidité renverser la puissance des Perses (21). Mais bientôt son empire se divise en quatre autres sous le sceptre de ses successeurs, les rois d'Égypte, de Syrie, de Thrace et de Macédoine; après quoi il se subdivise à l'infini (22).

2450. Jusqu'ici tout est simple, grâce à l'explication que donne la prophétie elle-même, grâce surtout à son accomplissement dans les trois siècles postérieurs à Daniel; mais que signifie la petite corne sortie d'une des quatre cornes qui avaient cru sur la tête du bouc pour remplacer la grande? En d'autres termes, quel est le pouvoir nouveau qui devait s'étendre vers l'orient, le midi et l'occident, sans respecter la terre sainte (l'ornement de la terre); s'arroger une autorité divine, renverser et fouler aux pieds l'armée de l'Éternel, s'attaquer à Dieu même, abolir le sacrifice, renverser le sanctuaire, fouler aux pieds la vérité et réussir dans toutes ses entreprises? Quel est ce roi, ou ce pouvoir audacieux et fourbe qui, sans force apparente, détruira les puissants et les saints, fera périr une foule de gens en pleine paix, combattra le Seigneur des seigneurs, et finira par être brisé lui-même sans l'intervention de la main des hommes? (23-25.) Quelques-uns répondent: Antiochus Épiphane, un des successeurs d'Alexandre dans le royaume de Syrie; d'autres, Mahomet et sa fausse religion; d'autres enfin pensent que ce terrible adversaire de Dieu, ce grand ministre de Satan, n'a point encore été manifesté, et ils rapprochent cette prophétie de celle de Gog et Magog dans Ézéchiel [2416.]

2451. L'obscurité dont cette prophétie demeure enveloppée, après tant de siècles, et ce qu'elle dit elle-même de son sens éloigné (26), pourraient faire penser que les derniers ont raison; mais, d'un autre côté, il est difficile de ne pas admettre qu'elle n'ait eu un commencement d'exécution dans la personne du faux prophète de la Mecque. Quant aux 2,300 soirs et malins, ou, selon quelques-uns, les 2,300 ans qui forment le cycle de la prophétie, il est impossible d'en fixer le terme, tant qu'on est incertain sur le point de départ (14). C'est comme pour les 1,260 ans, ou les trois ans et demi qui sont donnés au pouvoir de la petite corne d'occident (2448).

2452. (5.) Pour retourner au récit contenu dans le chapitre 5, Cyrus ou Coresch, fils d'un prince perse et d'une princesse mède, ayant fait alliance avec son beau-père, Cyaxare, conquit toute l'Asie et vint mettre le siège devant Babylone, l'an 541. On était à la troisième année du siège; Belschazar, plein de confiance dans la force de ses épaisses murailles et de ses portes d'airain, consumait son temps et ses forces en des fêtes licencieuses où l'on célébrait les faux dieux et où, pour les mieux honorer, on leur offrait d'abondantes libations dans les vases sacrés que Nébucadnetzar avait enlevés au temple de l'Éternel, soixante-deux ans auparavant [2303]. Au plus fort de sa joie, Belschazar fut subitement troublé par une main qui traçait sur la muraille des caractères mystérieux. Hors de lui, il fait venir ses mages; mais aucun d'eux ne peut déchiffrer les mots qui demeuraient écrits sur la paroi.

2453. Alors entra la reine, qu'on avait informée de l'état violent où se trouvait le monarque. On pense que c'était sa mère ou son aïeule qui, se souvenant de Daniel, alors âgé d'environ soixante-quinze ans et oublié de la jeune cour, demanda qu'on l'appelât dans la salle du festin. C'était le soir. Le vénérable vieillard arrive au milieu de cette foule échauffée par les fumées du vin et devant ce roi terrifié. Avec une gravité et une autorité dignes de son âge et de son ministère, Daniel commence par rappeler à Belschazar de quelle manière l'Éternel avait châtié Nébucadnetzar son aïeul; puis il lui dit les paroles tracées par la main mystérieuse, il les lit et il les explique. Trois simples mots composent la sentence, mais ils sont à la fois chaldéens et hébreux. Le premier, écrit à double, signifie il a compte et il a fini; le second signifie il a pesé et tu as été trouvé léger; le troisième, partager et les Perses. Quant à ce que voulaient dire ces trois mots, apprenez-le de la bouche de Daniel. C'était l'arrêt de mort du roi de Babylone, arrêt qui, peu d'instants après, s'exécuta de la manière la plus foudroyante. Cyrus ayant détourné les eaux de l'Euphrate, entra dans Babylone par son lit desséché; la ville prise, le roi des Chaldéens fut tué et son empire passa entre les mains des Mèdes et des Perses, selon les prophéties d'Ésaïe et de ses successeurs [2188, 2334, 2362]; selon le songe de Nébucadnetzar également.


CLXXXV. — Prière de Daniel et prophétie messianique; Daniel dans la fosse aux lions; dernière vision du prophète.


2454. Laissant de côté le chapitre 6 pour y revenir bientôt, nous avons à raconter une vision qu'eut Daniel l'année même de la conquête de Babylone par les Perses. — Cyrus avait pour oncle et tout à la fois pour beau-père Cyaxare, appelé dans l'Écriture Darius le Mède [2452]. Celui-ci, jusqu'à sa mort, qui arriva deux ans après la prise de Babylone, exerça l'autorité royale, tandis que Cyrus demeurait à la tête des armées. Or, la première année de ce Darius, Daniel, qui cherchait dans les Livres sacrés la consolation et la force de ses vieux jours, pensa que les soixante-dix ans de captivité prédits par Jérémie (25: 11, 12), devaient être maintenant à leur terme, si du moins il fallait prendre pour point de départ l'an 606, où Daniel lui-même avait été transporté à Babylone, bien que la destruction de Jérusalem fût de dix-huit ans postérieure. Il y avait donc quelque incertitude sur le moment précis de la délivrance; mais que la délivrance approchât, c'est ce qui était incontestable, car les Chaldéens étaient maintenant humiliés.

2455. (1-23.) Dans cette perspective, le vieux prophète consacre un jour au jeûne et à la prière, et il présente au Seigneur des supplications fort touchantes, dont il nous a conservé lui-même la teneur. Après avoir confessé les péchés d'Israël, en des termes que nous devons emprunter pour confesser les nôtres; après avoir célébré la parfaite justice du Très-Haut, Daniel se recommande, lui et tout le peuple, à son infinie clémence. Tandis qu'il parlait encore, l'ange Gabriel (la force de Dieu), le même ange qui lui était apparu quinze ans auparavant sur les bords du fleuve Ullaï, vient de la part de Dieu l'entretenir du Christ et lui révéler le temps de sa venue, ce qui n'avait point encore été dit aux prophètes antérieurs.

2456. (24-27.) Il y aura une période prophétique de soixante-dix semaines, soit de quatre cent quatre-vingt-dix ans; 70 fois 7 jours faisant 490 jours, ou 490 ans, selon la manière de compter de la prophétie, au moins le pense-t-on généralement. C'est durant cette période que se fera l'expiation du péché, que la justice éternelle, une justice venant de Dieu, descendra sur la terre et que sera oint, ou fait christ, le Saint des saints (Ésaïe 6: 3). Le cycle aura pour point de départ l'ordre qui sera donné aux Juifs de retourner dans leur pays et de rebâtir Jérusalem. II se divise en deux autres cycles, l'un de soixante-deux semaines, plus sept semaines, c'est-à-dire soixante-neuf semaines; l'autre, d'une semaine seulement ou sept années. Puis chacun de ces nouveaux cycles se subdivise en deux périodes:

pour le premier, une période de sept semaines  ou... 49 ans
et une période de soixante-deux semaines... 434 ans
pour la seconde, deux périodes, chacune d'une demi-semaine... 7 ans

  490 ans

2457. Pendant la première période du premier cycle, la ville sainte sera rebâtie, mais non sans de grandes difficultés. Cet état de choses subsistera dans le cours de la seconde période, jusqu'à ce que paraisse, au bout des quatre cent quatre-vingt-trois ans dont se compose le premier grand cycle, le Messie ou le Christ, qui, rejeté, mourra pour les péchés de son peuple et non pour les siens. Après quoi viendra un peuple-roi, ou un peuple fameux par l'étendue de son empire, qui détruira de nouveau le sanctuaire et désolera la Judée, rebelle plus qu'elle ne le fut jamais.

2458. Le Christ toutefois n'aura pas fait une œuvre inutile. Plusieurs entreront par lui dans l'alliance immuable de la grâce de Dieu. C'est ce qui aura lieu durant le second cycle, celui qui ne comprend qu'une semaine. Au bout de trois ans et demi il s'offrira lui-même en sacrifice, et par là tout sacrifice et toute oblation deviendront désormais inutiles. Quant à l'autre demi-semaine, la prophétie laisse dans l'obscurité le rôle qui lui est assigné. Quelques personnes pensent qu'il faut entendre par là les commencements de la prédication de l'Évangile et la fondation de l'Église de Jésus-Christ par les apôtres; d'autres estiment que cette demi-semaine est encore à venir, bien qu'elle semble appartenir à une ère prophétique tout accomplie, moins cela. Dire qui a raison, ce n'est pas ce qui importe le plus; il vaut mieux adorer dans notre cœur ce grand Dieu, plein de miséricorde, qui, au temps marqué par lui, nous a donné le Sauveur, le Christ promis à Daniel.

2459. Enfin, la prophétie revient en arrière, pour nous montrer le dévastateur de Jérusalem arrivant comme une inondation, et la ruine fondant à son tour sur le dévastateur. C'est ainsi du moins qu'il faut traduire la fin du verset 27. Les aigles romaines auront donc aussi leurs humiliations; l'empire de la quatrième monarchie prendra fin, et de telle sorte qu'on y verra clairement un décret du Très-Haut. Il y a dans les conseils de l'Éternel une unité de plan qui n'échappera point à mes lecteurs. C'est toujours de la méchanceté de ses adversaires qu'il se sert pour punir les infidélités de son peuple, sauf à châtier plus tard de sa propre main, en quelque sorte, les iniquités des impies [2312, 2313].

2460. (6: 1-5.) Darius avait soixante-deux ans lorsqu'il ajouta le trône de Babylone aux nombreux trônes déjà conquis par Cyrus et par lui. Pour faciliter l'administration de ce vaste empire, il le divisa en cent vingt provinces ayant, chacune, leur gouverneur. Tous ces satrapes étaient sous la direction de trois principaux ministres, et Daniel, malgré son grand âge ou par cette raison même, fut appelé à présider le conseil. Le choix de Darius était plein de sagesse; mais les seigneurs chaldéens, mèdes et perses ne purent prendre leur parti de voir à leur tête ce Juif, ce captif, ce vieillard, dont la religion et la piété les offusquaient. Ils ne cessèrent donc de l'épier pour avoir l'occasion de le perdre auprès du monarque; toutefois, la conduite de Daniel était irréprochable, et ses ennemis virent bientôt qu'il n'y avait qu'un moyen de le trouver en faute. Il fallait le placer dans une de ces situations où le serviteur de l'Éternel est contraint de désobéir à la loi civile, pour demeurer fidèle à celle de Dieu.

2461. (6-27.) Ces hommes méchants arrachèrent donc à la faiblesse de Darius, ou obtinrent de son orgueil, un édit impie qui plaçait Daniel dans l'alternative, ou de renier Dieu pendant un mois, ou de se résoudre à une mort certaine autant qu'horrible. Son parti fut bientôt pris. Fidèle à quatre-vingts ans comme il l'avait été dans son jeune âge, il ne cessa de rendre ouvertement son culte au Seigneur, quoi qu'il pût en arriver. Trois fois par jour, il priait et louait l'Éternel en se tournant du côté de Jérusalem, comme l'avait dit Salomon [1791], et, ce qu'il ne faisait probablement pas auparavant, il tenait ses fenêtres tout ouvertes. Le résultat fut ce qu'on pouvait attendre. Dénoncé par ses ennemis et malgré la résistance de Darius, le saint prophète fut jeté dans une fosse où l'on gardait des lions; toutes les mesures furent prises pour que ces animaux carnassiers se jetassent immédiatement sur lui et le dévorassent; mais Celui qui ouvre et qui ferme la gueule du sépulcre, tient aussi dans sa main la gueule des lions, et il voulut montrer encore une fois les délivrances qu'il peut accorder à ses serviteurs.

2462. Darius lui-même, bien qu'aveuglé par ses superstitions, n'avait pu se persuader qu'un homme tel que Daniel se vît abandonné par le Dieu qu'il servait avec tant de conscience. Il l'avait dit à ses ministres en se séparant de lui, et le lendemain, à la pointe du jour, il se rendit vers la fosse des lions, espérant, mais sans trop s'en flatter, qu'il retrouverait Daniel vivant. Elles sont touchantes les paroles qu'échangèrent alors ces deux vieillards, et il fut bien terrible le jugement que le roi prononça contre les ennemis du prophète! Du reste, la proclamation de Darius après de tels événements n'a rien qui doive étonner. Mais tous ces faits sont pleins d'instruction, et je ne doute pas qu'avec l'aide de Dieu, mes lecteurs, même les plus jeunes, ne sachent les découvrir. Je dois me réserver quelque place pour l'étude des trois derniers chapitres de Daniel.

2463. (10-12.) Darius étant mort l'an 536, eut pour successeur le grand Cyrus, dont l'avènement avait été prédit par Ésaïe, deux siècles auparavant (2233), et qui, dans la prophétie, avait été représenté comme une sorte de type du Messie (2234). La troisième année de son règne (10: 1), Daniel eut une dernière vision, vision dont plusieurs détails me paraissent encore enveloppés d'un profond mystère, comme toutes celles qui se rapportent aux derniers temps, surtout quand elles renferment quelques données chronologiques.

2464. (10: 2-21; 11: 1.) Après trois semaines d'abstinence et de ferventes prières, comme il était sur les bords du fleuve Hiddékel [57], Daniel vit un homme dont l'aspect et la voix le remplirent d'épouvante. Ceux qui l'accompagnaient prirent la fuite, bien qu'ils n'eussent qu'une connaissance confuse de ce qui se passait. Daniel, demeuré seul, entendit des paroles fort énigmatiques, mais desquelles il dut pourtant inférer qu'il allait être informé de grandes catastrophes, et de catastrophes où la prospérité du peuple de Dieu se verrait fortement compromise. Aussi l'émotion de son âme allait-elle croissant, lorsqu'un personnage semblable à un fils des hommes, mais que le prophète appelle son Seigneur, s'approche de lui, à deux reprises, et le fortifie par sa grâce, en lui disant: «Ne crains point, homme chéri de Dieu! Salut pour toi! courage! courage!» Puis il lui parle d'une lutte qui aurait pour objet d'abord la Perse, et après cela, la Grèce: lutte où le peuple de Dieu ne pourrait manquer de se voir écrasé, sans l'assistance de Micaël son protecteur. Or Micaël veut dire Celui qui est semblable à Dieu. — Ainsi fut la vision dans ses traits essentiels; voici la prophétie.

2465. (11: 2.) Il est facile de voir que le commencement, tout au moins, n'est qu'un développement de la prophétie du bélier et du bouc, contenue au chapitre 8. Le Seigneur annonce que le quatrième roi après Cyrus se porterait avec une immense armée contre la Grèce, mais que, loin de la conquérir, il serait battu et que son empire deviendrait plus tard la proie des Grecs. Or, Cyrus eut pour successeurs Cambyse, Smerdis, Darius, fils d'Hystaspe, puis Xerxès, prince sous lequel la prophétie eut son accomplissement. — Après cela, revient l'oracle relatif aux conquêtes d'Alexandre et au partage qui se fit de son empire entre ses généraux (3, 4). Des quatre royaumes nés de ce vaste empire, il y en eut deux qui, par leur position, ne purent se faire la guerre sans que la Judée s'en ressentît: l'un était le royaume d'Égypte au midi; l'autre, le royaume de Syrie au nord. C'est d'eux que parle la prophétie sous les noms de roi du Midi et de roi du Septentrion. Il ne s'agit donc pas ici d'un seul et même monarque, mais de deux maisons royales, celle des Séleucides en Syrie et celle des Ptolémées en Égypte (5-45). Montrer comment la prophétie s'est réalisée à leur égard serait faire toute leur histoire, et ces détails nous entraîneraient trop loin.

2466. La plupart des interprètes estiment cependant qu'il ne faut pas restreindre à cela le champ de la prophétie. Même en ne lui donnant que ce sens, on en comprendrait l'utilité, puisqu'elle devait avoir pour effet, en s'accomplissant prochainement, de corroborer les prophéties relatives au Messie, et, en général, aux temps plus éloignés. Mais quand on considère de quelle vision solennelle l'oracle fut précédé, et comment le Seigneur y exprime plus d'une fois que les événements dont il y est parlé se rapportaient à une époque encore reculée; bien plus, quand on l'entend dire et redire qu'il fallait une grande perspicacité pour saisir le sens de la prophétie, et même qu'elle ne serait pas entièrement comprise avant que l'intelligence fût augmentée; quand, dis-je, on fait ces diverses réflexions, on se persuade qu'il s'agit ici de quelque chose de plus que ce qui paraît au premier abord.

2467. Dirai-je maintenant les diverses explications qu'on a essayées? Elles intéresseraient, j'en suis sûr, mes lecteurs; mais je ne suis pas aussi certain qu'elles leur fussent véritablement utiles. Je me bornerai donc à observer que, selon toute apparence, c'est dans l'Orient qu'il faut placer le théâtre des événements de cette prophétie, comme de celle du bélier et du bouc, et que s'il y est fait quelque allusion à Mahomet, peut-être qu'elle a surtout en vue le pouvoir antichrétien désigné sous l'image de la petite corne du chap. 8 [2450], et dans Ézéchiel sous le nom de Gog et Magog [2416]. Ce grand adversaire du Très-Haut n'a pas encore été manifesté, mais le temps de sa venue approche de plus en plus, et l'on ne saurait méconnaître à cet égard les signes des temps.

2468. (12.) Quant à l’époque précise, il n'est pas douteux qu'elle ne soit connue du Seigneur, et il a voulu que ses élus vissent, après l'événement, qu'il avait tout prédit. Mais la déterminer à l'avance, même avec les données de la Bible, c'est ce qui me paraît bien difficile, sinon impossible. Nous avons ici l'indication de trois époques prophétiques: d'abord, l'ancienne période de 1,260 jours ou ans; un temps, et deux temps et demi [2448]; puis une période de 1,290 jours, et une troisième de 1,335 (11,12). Il se peut que ce ne soient pas des périodes successives. La seconde serait alors la première, plus trente, et la troisième ne serait non plus que la seconde, plus quarante cinq; mais tant qu'on sera dans l'incertitude sur le point de départ de la première, on ne saura faire le compte des deux autres. À la vérité, la prophétie semble indiquer ce point de départ, mais elle le fait en des termes sur le sens desquels on tombe difficilement d'accord (11). Tant il est certain que, même en les révélant, Dieu a voulu se réserver la connaissance des temps et des époques.

2469. Mais ce qui demeure parfaitement clair au milieu de tout cela, c'est que le peuple de Dieu a dans Micaël un puissant défenseur (1); c'est qu'il y aura une résurrection d'entre les morts à la venue du grand jour de l'Éternel notre Dieu et Sauveur (2); que ceux qui auront cru et goûté sa bonne Parole, ceux surtout qui auront amené des âmes à la connaissance du salut, seront rendus participants de sa gloire éternelle (3). Voilà ce à quoi les impies ne prennent pas garde (10). Ah! bienheureux sont ceux qui étendent avec patience l'accomplissement des promesses de Dieu, et qui, comprenant la parole qu'il fit entendre à son vieux serviteur Daniel, marchent, comme celui-ci, vers leur fin, c'est-à-dire vers la vie éternelle que Jésus-Christ nous a acquise (12, 13). Oui, heureux ce Daniel qui, depuis sa première jeunesse jusqu'à la vieillesse toute blanche, fut un si fidèle serviteur de Dieu! Mes chers lecteurs, en est-il un seul parmi vous qui pût désirer une plus grande grâce? Or, sans être prophète comme Daniel, on peut être saint et fidèle comme lui, moyennant la force toute-puissante du Seigneur, de Celui qui, étant le vrai Micaël, la vraie image du Père, est puissant aux siècles des siècles pour donner aux siens la délivrance. — Nous allons voir dans le livre d'Esdras et dans celui de Néhémie, avec quelle fidélité sans égale il réalisa les promesses faites aux fils d'Israël par la bouche de ses prophètes.


ESDRAS.

CLXXXVI. — Reconstruction du temple.


2470. (1.) L'an 536, qui était la soixante-dixième année depuis qu'un certain nombre de Juifs eurent été transportés à Babylone [2303], et la première du règne de Cyrus, ce prince magnanime, dont l'Éternel avait touché et, paraît-il, converti le cœur, autorisa les Juifs à retourner dans leur pays et à rebâtir leur temple. Tout comme leurs pères étaient sortis d'Égypte chargés de présents [689], les captifs reçurent des sujets de Cyrus, et par son ordre, outre de l'argent et de l'or, des provisions en abondance et des bêtes de somme pour leur voyage. Daniel vivait encore, car cela se passait deux ans avant sa dernière vision, et l'on ne saurait douter que ses sollicitations ne soient entrées pour beaucoup dans la résolution du roi de Perse. Il montra sûrement au monarque les oracles d'Ésaïe qui le concernaient, et ceux de Jérémie sur la durée de la captivité. Ce fut de cette manière que la Parole de l'Éternel affranchit les Juifs de leur servitude. Ils partirent donc, emportant comme leur trésor le plus précieux les vases et ustensiles d'or et d'argent que Nébucadnetzar avait enlevés jadis au temple de Jérusalem.

2471. (2.) Daniel étant trop âgé pour conduire le peuple et même pour l'accompagner, Cyrus mit à sa tête en qualité de Tirsçatha (63) ou de gouverneur un nommé ZOROBABEL, aussi appelé Scesçbatsar, qui était petit-fils de Jéhojackin, l'avant-dernier roi de Juda. Sous ses ordres, cinquante mille Juifs environ, y compris leurs serviteurs et leurs servantes, arrivèrent à Jérusalem. La première chose qu'ils firent, ce fut de déposer dans un fonds commun des offrandes volontaires destinées à la reconstruction du temple, détruit jusque dans ses fondements. Après quoi, chacun retourna dans la ville où ses pères avaient habité.

2472. (3: 1-6.) Au septième mois de l'année suivante, 535 ans avant Jésus-Christ, tout ce peuple se réunit à Jérusalem pour célébrer la fête des Tabernacles ou des Feuillées, sous la direction de JÉHOSCHUAH ou Josué, sacrificateur qui secondait Zorobabel dans son administration, l'un s'occupant essentiellement des choses de Dieu, l'autre des affaires civiles. En attendant que le temple fût rebâti, on érigea un autel pour les holocaustes, selon la loi de Moïse; on le plaça sur une base solide, par crainte des dispositions hostiles des habitants du pays, belle image d'ailleurs de ce qui constitue la force d'une Église dans ses difficultés. Dès ce moment, le service régulier des sacrifices et des holocaustes se fit à Jérusalem selon la loi.

2473. (7-11.) Cependant, on s'était mis à l'œuvre dès le commencement de cette année, en faisant venir du Liban, comme la première fois [1778], les matériaux que Cyrus avait permis d'en extraire. Zorobabel avait nommé, d'entre les Lévites, des inspecteurs des travaux, et, pour soutenir le courage des ouvriers, on chantait avec accompagnement de musique les beaux psaumes de David, surtout celui qu'on ne manquait pas d'entonner dans les circonstances graves: «Célébrez l'Éternel, car il est bon, et sa miséricorde demeure à toujours» (Ps. 136) [1785, 2015].

2474. (12, 13.) Cette joie était bien celle de la foi; car, à vue humaine, il y avait plus de sujets de douleur que d'allégresse. Cinquante-trois ans s'étaient écoulés depuis que le temple de Salomon avait disparu dans les flammes, et quelques-uns de ceux qui étaient là pouvaient se souvenir de ce bel édifice. Or ils n'osaient pas se flatter que la nouvelle maison remplaçât jamais la première. Puis, en voyant combien ils étaient peu nombreux, comparativement à la multitude de leurs frères qui avaient lâchement préféré de demeurer sur les bords de l'Euphrate; en pensant aux embarras que ne manqueraient pas de leur susciter les colons étrangers établis dans le pays de Canaan par les rois d'Assyrie [2103, 2306], il était impossible qu'ils ne fussent pas tristes et inquiets. Le plus grand nombre, toutefois, se livraient à une joie sans mélange. Ils admiraient la bonté de Dieu et la fidélité avec laquelle il accomplit ses promesses; ils se confiaient en lui pour l'achèvement d'une œuvre qui était la sienne, et l'avenir ne leur paraissait ni sombre, ni incertain. Voilà dans quel esprit les fidèles travaillent à leur salut; voilà pareillement de quelle manière ils pourvoient aux nécessités de l'Église, lors même qu'une foule de considérations sembleraient autoriser le découragement; c'est dans la joie que doit s'édifier le temple de Dieu, qu'on entende par là ou l'Église, ou chacune des âmes qui la composent.

2475. (4: 1-6.) Ce qu'il était facile de prévoir arriva. Du vivant même de Cyrus, les colons étrangers, dont plusieurs occupaient le pays de Canaan depuis la prise de Samarie, deux siècles auparavant, prétendaient que le Dieu du pays était devenu leur dieu, bien qu'ils adorassent en outre les idoles [2103]. Ils exigèrent en conséquence que Zorobabel les admît à bâtir le temple de concert avec les Juifs revenus de la captivité. Sur le refus qui leur en fut fait, par la raison toute simple qu'ils n'appartenaient pas au peuple de Dieu, ils ne cessèrent d'intriguer contre les Juifs auprès du souverain.

2476. (6-24.) Cyrus étant mort l’an 530, il eut pour successeur son fils Cambyse, ici nommé Assuérus. Ce prince ne régna que huit ans, et après lui vint Smerdis le Mage, que le livre d'Esdras appelle Artaxerxès. Ce fut sous ce dernier monarque et pendant son règne, d'ailleurs fort court, que les Samaritains obtinrent un édit en vertu duquel ils arrêtèrent de vive force les travaux de Zorobabel et de Jéhoschuah. Mais ce n'est pas sans la permission de Dieu que son peuple est soumis à de telles épreuves. Quand la protection qu'il recevait de l'homme lui est retirée, c'est afin qu'il s'appuie d'autant plus fortement sur le Seigneur, et bientôt vient la délivrance.

2477. (5.) L'an 519, Darius, fils d'Hystaspe, ayant, depuis plus d'une année, détrôné l'imposteur Smerdis (4: 24), les Juifs, d'abord peu animés à leur œuvre, y remirent toutefois la main sans attendre une nouvelle permission. Ils y furent encouragés et comme contraints par deux prophètes que l'Éternel leur suscita fort à propos: Aggée et Zacharie, dont nous étudierons tout à l'heure les écrits. Le gouverneur général des provinces à l'ouest de l'Euphrate, Tattenaï, leur demanda compte de leur conduite, et, après l'avoir justifiée, ils obtinrent de continuer jusqu'à ce que le gouverneur eût reçu de Darius des instructions sur la marche qu'il devait tenir. Ce fut, dit la Bible, un effet signalé de la protection de Dieu (5: 5), et la chose est bien évidente.

2478. (6.) Par une autre bonté du Seigneur, le cœur de Darius se montra fort bien disposé en faveur des Juifs. Il retrouva l'édit publié par Cyrus dix-huit ans auparavant; il le confirma dans son entier, en y ajoutant même de nouvelles grâces. C'était l'an 518, soixante-dix ans après la destruction de Jérusalem; en sorte qu'on peut compter de deux manières également justes la période de captivité prédite par la bouche de Jérémie: ou de l'an 606 à l'an 536 [2470], ou de l'an 588 à l'année que je viens d'indiquer. De ce jour, les Juifs poussèrent activement les travaux; le temple fut achevé et consacré l'an 515, soit environ cinq cents ans après la consécration du premier temple. Là se trouvaient les prophètes Aggée et Zacharie, le souverain sacrificateur Jéhoschuah ou Josué, Zorobabel enfin, le prince du peuple. Ce n'étaient ni Moïse, ni même Salomon; mais l'Éternel et sa Parole s'y manifestèrent hautement, en sorte que si Israël avait vu des fêtes plus brillantes, il n'en avait pas vu de plus saintes.

2479. Le nombre des victimes ne fut pas fort considérable, attendu que le peuple lui-même était peu nombreux; et puis, il ne devait pas être riche, après tant d'argent dépensé pour la maison de l'Éternel. Mais lorsqu'il fut question de célébrer la Pâque, il n'arriva pas comme au temps d'Ezéchias, que les sacrificateurs avaient négligé de se purifier [2134]. Cette fois, tout se passa dans le meilleur ordre, et ce petit peuple de fidèles fut plus précieux aux yeux du Seigneur que les multitudes qui, au temps d'Ésaïe, par exemple, avaient foulé ses parvis d'un pied orgueilleux et hypocrite. L'homme a égard à l'apparence, mais Dieu regarde au cœur, comme il le disait une fois à Samuel (1 Sam. 16: 7). Une petite assemblée de vrais chrétiens, dans une chambre haute, vaut mieux qu'une foule de pécheurs non convertis dans une splendide cathédrale. Toutefois ce serait un beau jour que celui où la foule tout entière adorerait Dieu en esprit et en vérité! Or s'il est des prophéties qui semblent annoncer cette merveille [2165] (Ésaïe 11:9), le spectacle qu'Israël offrit à cette époque nous est une garantie de leur accomplissement. Car non seulement voilà le temple rebâti, comme la chose avait été prédite; voilà Jérusalem habitée de nouveau par les fils d'Abraham, mais encore nous trouvons ici le résidu de fidèles réservé par la grâce de Dieu pour servir de type à celui dont parle saint Paul dans son épître aux Romains [2181, 2279, 2285] (Rom. 11: 5). Certainement, la Parole de Dieu est magnifique, et, comme le dit Ésaïe, elle ne retourne point à Lui sans effet (55: 10-13).


LES PROPHÈTES AGGÉE ET ZACHARIE.

CLXXXVII. — Encouragements, réprimandes, visions et prophéties messianiques.


2480. (1.) Darius, fils d'Hystaspe, occupait le trône depuis plus d'une année, et les Juifs hésitaient encore à reprendre la construction du temple [2477]. Ils avaient utilisé leurs loisirs pour s'arranger des demeures commodes, et plusieurs semblaient prendre assez bien leur parti de cette situation, malgré les chétives récoltes qu'ils faisaient depuis quelque temps. Ce fut alors qu'AGGÉE parut au milieu d'eux, la Parole de l'Éternel dans la bouche et une grande piété dans le cœur. Il leur fit honte des bonnes maisons qu'ils habitaient, tandis que la maison de Dieu demeurait désolée; il leur apprit que si leurs champs et leurs vignes rendaient peu, c'était en punition de leur lâcheté et de leur peu de zèle. En entendant ces paroles, Zorobabel, Jéhoschuah et le peuple entier furent comme réveillés de leur sommeil; pleins de l'Esprit de Dieu, ils se remirent courageusement à l'œuvre, ainsi que nous l'avons vu tout à l'heure dans le livre d'Esdras.

2481. (2: 1-9.) Le mois suivant, la Parole de l'Éternel fut adressée une seconde fois à notre prophète, et il dut la transmettre, comme auparavant, à tout le peuple et à ses conducteurs. C'était dans un de ces instants peut-être où ils se laissaient aller au découragement, par la pensée que le temple qu'ils bâtissaient, n'aurait jamais la magnificence de celui que Nébucadnetzar avait détruit. «Courage, courage, leur dit l'Éternel; quelle que soit cette maison, mon alliance et mon Esprit demeurent avec vous. De toutes les délivrances de l'Éternel, cette maison verra la plus éclatante, car le Désiré des nations ou le plus précieux d'entre les hommes, la remplira de sa majesté. Ce ne sera donc pas par l'or et l'argent que la gloire du nouveau temple surpassera celle de l'ancien, mais on y verra Celui qui doit apporter la paix de Dieu sur la terre» Mes lecteurs voient, sans que je le leur dise, que nous avons ici une prophétie messianique; et de quelle joie ne dut-elle pas remplir ceux qui la comprirent!

2482. (10-23.) Ce ne fut pas le plus grand nombre peut-être, car encore que ce peuple fût remarquablement bien disposé, il s'en faut que tous se montrassent de vrais fidèles. C'est ce que nous dit la prédication qu'Aggée dut adresser à ses frères, deux mois après la précédente. La multitude s'estimait sainte parce qu'elle comptait de saints hommes au milieu d'elle, et notamment son chef Zorobabel, comme on voit quelquefois une Église se faire une sorte de boulevard de la piété de son pasteur. Mais non, la sainteté est affaire personnelle; la souillure au contraire salit tout ce qu'elle touche (12,13). Voilà pourquoi les Juifs du temps d'Aggée souffraient de la famine, et les plus pieux aussi bien que les autres. Ce n'est pas à dire que Dieu confonde le juste avec le méchant, car au jour où il ébranlera les cieux et la terre pour exercer sa justice, les Zorobabels, objets de l'élection divine, seront en la main de Dieu comme un anneau à cacheter, dont on ne se sépare jamais. — Tels furent les discours d'Aggée, au moins ceux qui nous ont été conservés.

2483. (1: 1-6.) Quant à Zacharie, fils de Barachie, ses écrits occupent une plus grande place dans les saintes Écritures. Sa première prédication est d'un mois antérieure à la dernière prédication d'Aggée. Elle est courte, mais instructive; sa force gît tout entière en des faits au souvenir desquels les enfants d'Israël ne pouvaient certes demeurer insensibles. Ils savaient de quels châtiments Dieu avait puni les iniquités de leurs ancêtres et comment aussi l'Éternel leur avait rendu sa faveur toutes les fois qu'ils étaient retournés vers lui.

2484. Après cela viennent neuf visions dont le prophète fut favorisé trois mois après. Ce sont les visions des cavaliers, des quatre cornes, de l'homme portant un cordeau, du grand sacrificateur accusé et absous, du chandelier et des deux oliviers, du volume volant, de l'épha, des quatre chars, et du couronnement de Josué ou Jéhoschuah.

2485. (1: 7-17.) La nuit, image naturelle des malheurs qui enveloppaient encore le peuple de Dieu, et en même temps du calme dont jouissait le vaste empire des Perses après tant de combats, la nuit couvrait la terre, lorsque Zacharie vit, sur un cheval rouge et escorté de trois autres chevaux, un homme appelé l'ange de l'Éternel, comme au temps des patriarches [305]. Se tenant au fond d'une vallée, au milieu de myrtes, symboles de l'amour, il se mit à intercéder en faveur de Jérusalem, et il lui fut promis par l'Éternel que cette ville et ses habitants seraient encore les objets de grandes miséricordes; que leurs ennemis, représentés par quatre cornes, pour dire qu'ils avaient été fort nombreux, seraient retranchés de la terre ou perdraient leur puissance (18-21), et enfin que Jérusalem jouirait d'une gloire aussi grande que jamais, puisque l'Éternel, le Sauveur, devait habiter au milieu d'elle et appeler de là tous les peuples à lui (2: 1-13). — C'est le résumé des trois premières visions.

2486. (3: 1-10.) Pour sentir l'importance de la quatrième, il faut se rappeler que Jéhoschuah ou Josué, est le même nom que Jésus [1181]; il faut ensuite rétablir la vraie traduction du verset 8, où il est dit: «Car ce sont des gens qu'on tient pour des monstres,» tandis qu'il y a dans l'original: «Ce sont des hommes types» ou «des hommes figuratifs.» Cela posé, nous avons ici une prophétie messianique des plus remarquables. Ce Josué qui se présente devant l'ange de l'Éternel ou devant le Seigneur, le Fils de Dieu, est, en type et en figure, ce même Seigneur, ce même Fils de Dieu revêtu de l'humanité pour accomplir le salut de son peuple, le divin Rédempteur, le Germe saint promis dès le commencement du monde (Gen. 3:15). Satan lui fera la guerre; mais l'Éternel dira à l'Éternel [37] de le tancer. Les vêtements de deuil que le prophète voit sur la personne de Jéhoschuah représentent l'humiliation du Sauveur; le reste de la vision décrit sa délivrance et sa gloire, l'expiation du péché par ses souffrances et la paix qu'il devait apporter aux âmes. Après cela, il n'est pas douteux que la vision ne puisse s'entendre aussi, et dans une certaine mesure, du sacrificateur Jéhoschuah, qui, de concert avec Zorobabel, conduisait à cette époque les fils d'Israël.

2487. (4: 1-14.) Ces deux serviteurs de Dieu sont personnellement les objets de la vision que Zacharie eut ensuite. Il vit un chandelier d'or tout semblable à celui qui était jadis dans le temple, et deux oliviers, l'un à droite, l'autre à gauche. Les oliviers sont Jéhoschuah et Zorobabel, les oints de l'Éternel. À bien considérer la vision, il semblerait que les oliviers fournissaient spontanément l'huile qui, coulant par deux conduits en or, remplissait constamment le réservoir d'où l'huile descendait dans les sept lampes du chandelier. Cela étant, Zorobabel et Jéhoschuah, l'un prince et l'autre sacrificateur, tous les deux «hommes figuratifs,» ainsi que nous venons de le voir, l'un complétant l'autre, comme Moïse et Josué [1181], seraient le type de Jésus, notre sacrificateur et notre roi, duquel découlent toutes les grâces du Saint-Esprit pour l'illumination des âmes. C'est devant lui surtout qu'il n'y a pas de grosse montagne (7), bien qu'il n'emploie pas la force matérielle pour établir son règne (6), et c'est son œuvre qu'il ne faut pas mépriser, quelque faibles qu'en paraissent parfois les commencements (10). Encore ici, la vision a rapport aux circonstances dans lesquelles se trouvait Israël et à l'œuvre que faisaient au milieu de ce peuple Jéhoschuah et Zorobabel; il est facile de le voir.

2488. (5, 6: 1 -8.) Les trois visions que je réunis sous un seul chef me paraissent avoir une même signification générale. Tandis que les précédentes étaient destinées à encourager et à consoler les enfants d'Israël contemporains du prophète, celles-ci prophétisaient les malheurs que s'attirerait de nouveau leur postérité, et même les jugements définitifs que l'Éternel, notre Dieu, doit exercer ici-bas. Le volume ou rouleau de parchemin qui, en volant, se déroulait et présentait une surface de 450 pieds au moins, est le livre des malédictions de Dieu contre les pécheurs; l'épha scellé d'un couvercle de plomb et contenant l'impiété, cet épha qui est transporté dans le pays de Scinhar, c'est-à-dire à Babylone (Gen. 11: 2-9), représente, pense-t-on, le peuple d'Israël coupable du sang de Jésus-Christ et châtié de ce crime d'une façon plus terrible que de tous ses crimes précédents. Les quatre chars enfin sont les jugements de Dieu qui, de toutes parts, doivent fondre sur le monde des impies, si ce ne sont pas les quatre monarchies de Daniel; et il est à remarquer qu'ici comme ailleurs, la prophétie fait mention spéciale des pays du Nord [2325]. — Quant aux détails de chaque vision, on peut les entendre de diverses manières, mais il y a toujours plus ou moins d'arbitraire dans ces interprétations, surtout quand on veut donner un sens spécial à chaque trait d'un emblème.

2489. (6: 9-15.) La dernière vision n'a de sens que si on l'applique à notre Seigneur Jésus-Christ, car Josué ou Jéhoschuah, le collaborateur de Zorobabel, ne cumula point la couronne royale et la tiare du sacrificateur. Jésus, au contraire, lui qui est le rejeton du tronc d'Isaï (Es. 11: 1) [2182] et le vrai Melchisédec [284], lui qui reçoit ici, pour la seconde fois, le nom de Germe, Jésus est en même temps roi et sacrificateur; c'est en lui que la plénitude de Dieu habite corporellement, ou qui, par la formation de l'Église, a érigé le vrai temple [853, 854], un temple pour lequel les peuples étrangers ont fourni le plus de matériaux (15). Bien plus, c'est par Jésus qu'il y a eu conseil de paix entre la royauté et la sacrificature, c'est-à-dire entre la justice de Dieu et sa miséricorde; car s'il nous a sauvés, c'est en satisfaisant les justes exigences de la loi, et plus on s'attache à sa grâce, plus on vit dans l'obéissance aux commandements de l'Éternel. C'est déjà ce que David avait dit dans ses psaumes.

2490. (7, 8.) Environ deux ans après que ces révélations eurent été accordées au prophète Zacharie, les sacrificateurs et les prophètes furent consultés par des délégués du peuple au sujet des jeûnes qu'on avait célébrés durant la captivité de Babylone. Ces jeûnes étaient au nombre de quatre (8: 19), et c'étaient tous de tristes anniversaires. Le quatrième mois, la brèche avait été faite à la muraille de Jérusalem (2 Rois 25: 3,4); le cinquième, incendie du temple (2 Rois 25: 8, 9); le septième, meurtre de Guédalja (2 Rois 25: 25); le dixième, ouverture du siège (2 Rois 25: 1). Zacharie, répondant au peuple de la part du Seigneur, déclara, comme l'avait fait jadis Ésaïe (1), que Dieu ne prend aucun plaisir aux actes de dévotion, même les plus multipliés et les plus durs à la chair, quand le cœur n'y entre pour rien et qu'il ne se fait nul amendement dans les âmes. Il annonce de plus que tous ces jeûnes seront changés en jour de joie pour les enfants d'Israël ou pour l'Israël véritable [483]; mais les derniers mots de la prophétie semblent indiquer qu'elle se rapporte à des temps qui ne sont point accomplis, ou qui ne l'ont été qu'en partie lorsque les apôtres de Jésus-Christ, tous Juifs, prêchèrent l'Évangile, et que des hommes de toutes langues et nations saisirent le pan de leur manteau en leur disant: «Nous voulons aller avec vous, car nous avons appris que Dieu est avec vous.»

2491. (9, 10.) Pour donner l'intelligence complète des prophéties qui composent la seconde partie du livre de Zacharie, il faudrait un commentaire plus long que nous ne pouvons l'essayer, attendu qu'il s'y trouve bien des choses assez difficiles à entendre. Toutefois, dans ce qu'elles ont de général et de commun avec les oracles des prophètes antérieurs, les directions que nous avons données précédemment peuvent servir ici de guide: quant aux prophéties plus spéciales qui se trouvent jetées çà et là dans ces six chapitres, elles sont devenues très claires en s'accomplissant. C'est le cas, par exemple, de ce qui est dit au chapitre 9, verset 9, où le Saint-Esprit prophétise l'entrée triomphale de notre Seigneur Jésus-Christ dans la ville de Jérusalem. L'oracle dans son ensemble est, comme toujours, entremêlé de menaces et de promesses. Mes lecteurs sauront bien d'eux-mêmes et avec l'aide de Dieu, découvrir, autant du moins que la chose est possible, à qui s'adressent et les unes et les autres, comment elles se sont déjà réalisées en partie et quel est le temps qui est réservé à leur entier accomplissement. Quoi qu'il en soit d'ailleurs, il doit leur être toujours plus manifeste, qu'à toutes les époques, il n'y a de bénédiction qu'en Jésus-Christ: hors de lui, tout est misère.

2492. (11.) Après avoir lu ce que de savants docteurs ont écrit sur cette prophétie fort obscure, je ne puis pas dire que je sois parvenu à m'en rendre compte d'une manière très satisfaisante. Sans doute qu'elle a Jésus-Christ pour centre, comme l'attestent les paroles des versets 12 et 13, paroles qui se sont accomplies d'une manière si étonnante quand Judas vendit son maître pour trente pièces d'argent; en sorte que si l'Éternel semble s'adresser à Zacharie pour être le pasteur des brebis, c'est bien de Jésus qu'il est question, sous l'emblème du prophète, car c'est lui qui est le vrai Pasteur. Mais après cela, que d'incertitude ne reste-t-il pas sur le sens des principaux traits de la prophétie! On pense cependant assez généralement qu'elle a rapport à la destruction de Jérusalem par les Romains. Le Liban serait le temple même, construit avec les cèdres de cette montagne (1); les brebis destinées à la boucherie, les Juifs incrédules (4); les trois pasteurs seraient les conducteurs de ce peuple: anciens, sacrificateurs et scribes (8); enfin, dans le pasteur insensé, on devrait voir le corps entier des docteurs juifs qui, depuis dix-huit siècles, égarent leur malheureux peuple (15-17).

2493. (12, 13.) Tout porte à croire qu'il s'agit ici d'événements dont la terre n'a pas encore été le théâtre. Les Juifs étant rétablis dans le pays de leurs pères, se verront attaqués de nouveau par les hommes des nations; mais en ce jour-là l'Éternel protégera les habitants de Jérusalem, les plus faibles seront revêtus de la force de David et les plus fidèles recevront un accroissement de force divine. Alors il y aura un réveil de la piété tel qu'il n'y en eut en aucun temps; les Israélites regarderont vers Celui que leurs pères clouèrent sur la croix; ils pleureront comme on pleura la mort de Josias en Méguiddo [2301] et bien plus encore. Alors aussi le pardon et la sainteté découleront sur eux de la croix du Christ, source inépuisable des grâces de Dieu, et il n'y aura plus parmi eux ni idolâtrie, ni faux prophète. — Tel est le résumé de la prophétie jusqu'au verset 7 du chapitre 13. Ici (7-9) le Saint-Esprit reporte notre pensée sur le grand fait de l'amour de Dieu, duquel procèdent toutes les merveilles de sa miséricorde. Par la volonté du Très-Haut, l'épée frappera celui qu'il appelle en même temps son Pasteur et son Compagnon: l'homme, dit-il (quand on traduit littéralement), l'homme qui est mon prochain, mon associé. Quand il sera saisi par ses meurtriers, le petit troupeau qui l'entourait se dispersera (Matth. 26: 31, 56); mais les meurtriers, sauf un petit nombre, seront frappés à leur tour. Tout cela est devenu de l'histoire, et quand on voit comment cette portion de la prophétie s'est réalisée, on ne peut douter que ce qui est encore à venir ne s'accomplisse pareillement.

2494. (14.) Le livre de Zacharie se termine par une prophétie qui en rappelle un grand nombre de pareilles, éparses çà et là dans Ésaïe, dans Michée, dans Ézéchiel et ailleurs. On y voit la sainte cité prise, délivrée, glorifiée et purifiée; ou en d'autres termes, Jérusalem exposée à de nouvelles tribulations; les peuples qui lui furent hostiles, accablés sous le courroux du Très-Haut; et les saints du Souverain (Dan. 7: 27) introduits dans une félicité sans égale. Aucun trait de cette superbe prophétie ne paraît avoir reçu, jusqu'ici, son accomplissement. De là l'extrême difficulté qu'on éprouve à se prononcer d'une manière péremptoire sur le sens réel qu'il faut lui donner. Qu'elle doive être, en plusieurs de ses points, entendue au sens figuré, c'est ce qui ne fait aucun doute. Les derniers versets, par exemple, ne peuvent signifier autre chose sinon que tous et toutes choses seront tellement consacrés au Seigneur, qu'il n'y aura plus de distinction à faire entre le sacré et le profane (20, 21): les chaudières des particuliers seront saintes comme celles du temple; celles-ci le seront autant que les ustensiles employés aux sacrifices; et même les clochettes des chevaux (image bien forte), autant que la tiare du souverain sacrificateur [818]. Mais il ne suit pas de là que rien, dans la prédiction, ne puisse être pris au sens littéral. Toujours est-il que nous devons attendre nos Études sur l'Apocalypse pour avoir une plus complète intelligence de cet oracle final de Zacharie, comme de ceux qui terminent les livres d'Ézéchiel et de Daniel. — Cependant, nourrissons dès à présent nos âmes des magnifiques espérances que cette portion de la Parole de Dieu ne peut manquer de faire naître en ceux qui lisent avec foi. À supposer même qu'il ne fût ici question que des Juifs, nous savons que leurs destinées sont étroitement unies à celles de l'Église. Réjouissons-nous donc à la pensée du jour où «l'Eternel Notre Dieu (notre Dieu, si nous sommes vraiment à Jésus-Christ) viendra et tous ses saints avec lui» (5). En ce jour solennel, heureux ceux qui auront cru! Ils se rencontreront avec un Zacharie, un Daniel, un Ézéchiel, un Jérémie, un Ésaïe et ce qui vaut mieux encore, ils verront le Seigneur qui les a rachetés.


ESDRAS. (Fin.)

CLXXXVIII. — Commission donnée à Esdras par Artaxerxès.


2495. (Esdras 7.) Depuis la consécration du nouveau temple, en 513, il s'écoula cinquante-huit ans durant lesquels il ne se passa rien en Judée dont la Bible nous ait conservé le souvenir, sauf les prédications et les prophéties de Zacharie. Mais l'an 457, le Seigneur mit à l'œuvre un homme qui devait exercer une grande influence sur l'état religieux du peuple juif. Cet homme fut Esdras. La date de la commission qui lui fut donnée par Artaxerxès est une date importante, puisque l'événement a prouvé qu'il faut partir de là, et non d'ailleurs, comme nous le verrons en son temps, pour calculer les soixante-dix semaines de Daniel [2456].

2496. (1-6.) Esdras descendait d'Aaron par Eléasar. Hélas! ses parents, aussi bien que la plupart des Juifs, ne s'étaient point prévalus de l'édit de Cyrus pour retourner à Jérusalem. On serait autorisé d’en conclure qu'ils n'étaient pas fort zélés pour la loi de leur Dieu; mais cela n'empêcha pas que le jeune Esdras, préparé par la grâce de l'Éternel, ne se fût livré de bonne heure à l'étude des saintes Écritures. Il s'en était procuré tous les livres; il les avait copiés de sa main et peut-être plus d'une fois. De là lui vint sans doute le nom de scribe, ou d'écrivain et de copiste, qui est ajouté à son titre de sacrificateur.

2497. (7-28.) Artaxerxès, surnommé Longue-Main, était à la septième année de son règne; il venait de placer sur le trône Esther l'Israélite, ou il allait le faire, lorsqu'il envoya Esdras à Jérusalem avec des pouvoirs très étendus et en lui donnant par un édit les témoignages les plus signalés de la faveur royale. Après avoir rapporté cet édit, le pieux scribe trace ces belles paroles: «Béni soit Jéhovah, le Dieu de nos pères, qui a mis dans le cœur du roi la pensée d'honorer la maison de Jéhovah qui est à Jérusalem, et qui a fait que j'ai trouvé grâce devant le roi, devant ses conseillers et devant tous les principaux seigneurs du royaume!» On voit par ces actions de grâces, comme par le verset 6, que c'étaient les sollicitations d'Esdras qui avaient obtenu d'Artaxerxès de telles faveurs; mais c'est à la seule protection de Dieu qu'il attribue finalement le succès de ses démarches et de ses efforts.

2498. (8: 1-32.) Plein de confiance en cette divine protection, bien plus assurément qu'en celle du*roi, Esdras convoqua près du fleuve Ahava, dans l'Adiabène, toutes les familles des sacrificateurs qui habitaient encore la terre étrangère. Il y publia un jeûne d'humiliation et de prières, afin que Dieu leur donnât un bon voyage, à eux et à leurs petits enfants, et qu'il prît leurs biens sous sa garde. Parmi les choses qu'ils emportèrent, il y avait surtout une grande quantité d'or et d'argent, richesses destinées au sanctuaire de l'Éternel. Il eût été prudent, semble-t-il, de se faire escorter par des gens armés; mais, avec une foi digne d'imitation, Esdras avait dit que ce secours ne leur était pas nécessaire, en sorte qu'il aurait eu honte de demander au roi des gens de guerre et de la cavalerie (22).

2499. (33-36.) Dès qu'Esdras et ses compagnons de voyage furent arrivés à Jérusalem, ils s'empressèrent de déposer dans le temple leurs trésors; ils y offrirent des sacrifices; Esdras fit reconnaître par les satrapes ou gouverneurs de ces provinces, les pouvoirs extraordinaires que lui avait conférés Artaxerxès, puis, se hâtant de diriger son attention sur l'état spirituel de son peuple et avec l'autorité dont Dieu revêtait ses prophètes, il apporta d'une main courageuse le remède qu'il fallait à tant de maux.

2500. (9.) Au mépris de la loi de Moïse et sans écouter les leçons de l'expérience, les Israélites avaient pris pour femmes des étrangères. Les sacrificateurs et les Lévites s'étaient eux-mêmes rendus coupables de ce désordre. Esdras, qui savait que l'idolâtrie et les nombreuses prévarications de leurs ancêtres avaient eu constamment pour principale cause ces alliances impies ou tout au moins imprudentes, trembla et s'humilia pour ses coupables compatriotes. Il prononça une prière qui rappelle celle de Daniel [2455], prière pleine de foi, de sainteté et d'énergie. Il la fit en public, prosterné contre terre devant la maison de Dieu, et en parlant il sanglotait. Le peuple tout entier mêla ses larmes aux siennes; car il n'avait pas péché de propos délibéré, ou du moins il n'était pas endurci dans le mal.

2501. Alors les fils d'Israël confessèrent hautement leur faute; ils reconnurent à Esdras le droit de corriger le mal, se montrant d'ailleurs résolus à se séparer de leurs femmes étrangères et des enfants qu'elles leur avaient donnés, comme Abraham leur père s'était séparé d'Agar et d'Ismaël. Tous reçurent l'ordre de se rencontrer à Jérusalem dans les trois jours, et, malgré d'abondantes pluies, nul ne manqua au rendez-vous. Cependant, vu le nombre des cas à régler, Vu aussi l'état de la saison, Esdras les renvoya chez eux, en leur assignant les jours où ils devraient se présenter devant lui. On se quitta, avec la promesse de revenir et de se soumettre. Au bout de trois mois, tout fut remis dans l'ordre voulu de Dieu, et jamais Israël n'avait mieux prouvé le sincère désir où il était de demeurer fidèle à l'Éternel.


ESTHER.

CLXXXIX. — Court exposé de ce livre.


2502. (1.) Ce fut à cette époque, comme je l'ai dit occasionnellement [2497], qu'eut lieu l'élévation d'Esther. Le roi Assuérus, dont il est parlé dans son histoire, doit être le même que celui qui est appelé Artaxerxès dans celle qui vient de nous occuper. Esther, jeune Juive, plus remarquable encore par sa piété que par sa grande beauté, fut l'instrument dont Dieu se servit pour préserver ses compatriotes d'une des plus grandes catastrophes qui les aient jamais menacés. Le souvenir de cette délivrance se maintient encore aujourd'hui chez les Juifs, qui célèbrent partout avec beaucoup de zèle la fête de Purim, instituée à cette occasion, consacrant ainsi, dans leur captivité actuelle le souvenir de leur ancienne captivité (9: 20-32).

2503. Le livre d'Esther se trouve après celui de Néhémie; mais nous l'intercalons ici pour suivre l'ordre des temps. En nous introduisant dans l'intimité de la cour des rois de Perse, il nous montre ce qu'étaient les mœurs et le pouvoir de ces princes asiatiques dont la domination s'étendait sur tant de provinces. Nous y voyons leur luxe, leur intempérance, leurs caprices, leur tyrannie, mais aussi la dépendance où ils étaient de l'opinion des grands et les dangers auxquels les exposaient de fréquentes conspirations. Après sept jours de festins somptueux, le roi exige que la principale de ses femmes, celle qui avait le titre et le rang de reine, étale sa beauté devant les hommes de sa cour. La modestie de Vasçti, et non son orgueil, si je ne me trompe, se refuse à cette présentation inconvenante, et, persuadé par ses convives, le roi la répudie avec ignominie.

2504. (2.) La beauté d'Esther lui valut le triste privilège d'être choisie au nombre des jeunes filles dont on ornait le sérail d'Assuérus, et bientôt elle dut à la noblesse de son caractère et à la simplicité même de ses mœurs, l'honneur de remplacer la reine Vasçti. Hélas! il ne faut pas chercher dans ces mariages l'union de cœur et de pensées qui ne peut se trouver que dans le mariage tel que Dieu l'a institué! Toutefois Assuérus put apprécier les qualités morales qui distinguaient la jeune Israélite entre toutes ses compagnes. Il ignorait cependant qu'elle appartînt à ce peuple esclave qui inspirait généralement tant de mépris. Mardochée, cousin et père adoptif de la jeune fille, lui avait recommandé de garder le silence à ce sujet.

2505. Ce pauvre Mardochée, privé de sa chère fille, avait trouvé le moyen de conserver quelques relations avec elle. Il rôdait fréquemment aux environs du palais, et ce fut ainsi qu'il éventa un complot qui aurait pu devenir funeste à la vie du roi. Informée par lui, Esther révéla ce qui se passait à son royal époux, et les conspirateurs payèrent de leur tête le crime qu'ils avaient médité.

2506. (3). Après cela, l'histoire d'Esther nous montre Assuérus se déchargeant des soins de son empire sur un homme orgueilleux et vindicatif qui, par la permission du roi, se faisait rendre des honneurs en quelque sorte divins. Mardochée ayant refusé de se prosterner devant Haman, celui-ci jura la perte de ce Juif et de ses coreligionnaires, et, la haine l'emportant chez lui sur l'avarice, il obtint à prix d'argent l'ordre souverain qui lui était cependant nécessaire pour cette horrible exécution.

2507. (4.) Le jour fatal était fixé; déjà l'ordonnance avait été publiée à Suse, la capitale. Tandis que la population tout entière s'en était émue, le roi et son ministre se livraient tranquillement aux plaisirs de la table. Esther, enfermée dans son palais, aurait tout ignoré, si Mardochée n'eût trouvé le moyen de l'avertir; à l'instant même elle résolut de conjurer les malheurs effroyables qui menaçaient ses frères de la captivité.

2508. (5, 6.) Après avoir préparé son âme par un jeûne de trois jours, jeûne qu'elle invita les Juifs à célébrer aussi, elle engagea le roi à dîner dans ses appartements et à permettre qu'Haman fût admis à leur table. On comprend la joie de l'orgueilleux ministre, et l'on frémit en lisant l'entretien qu'il eut avec sa femme à cette occasion. Cependant, le Dieu d'Abraham, qui voulait humilier cet impie et élever l'humble Mardochée, dirigea les choses de manière que, cette nuit même, Assuérus se fit lire les registres où l'on consignait les faits journaliers de son règne. Il tomba sur le récit du complot auquel il avait échappé quelque temps auparavant, et, se souvenant qu'on n'avait pas récompensé l'homme qui l'avait révélé, il fit venir Haman. Celui-ci, consulté par le roi, crut qu'il s'agissait de l'élever lui-même encore davantage, et ce fut ainsi qu'il décida, sans y songer, le triomphe de Mardochée.

2509. (7-10.) Enfin, l'historien sacré nous raconte de quelle manière Esther fit connaître au monarque, en présence même d'Haman, le puissant intérêt qu'elle avait dans le décret d'extermination prononcé contre les Juifs, comment l'auteur de ce décret alla lui-même au-devant de la mort qu'il méritait, comment il fut permis aux captifs de châtier leurs adversaires, comment enfin Mardochée prit la place d'Haman, et, nouveau Daniel, devint le premier ministre du roi de Perse.

2510. Telle est en abrégé l'histoire d'Esther, histoire dans laquelle le nom de l'Éternel ne paraît pas une seule fois, comme on l'a remarqué, mais qui nous montre, plus qu'aucune autre, avec quelle sollicitude la Providence de Dieu veille sur les siens, pour abaisser ceux qui s'élèvent et élever ceux qui s'abaissent. Nous y voyons le méchant creuser lui-même la fosse dans laquelle il tombe (Prov. 26: 27), et la triste fin qui est réservée aux persécuteurs du peuple de Dieu. La présence d'Esther et de Mardochée à la cour de Perse explique d'ailleurs les dispositions favorables qu'Assuérus montra dès lors envers les hommes de leur race et peut-être le respect qu'il eut pour le Dieu d'Israël. Sous tous ces rapports, on comprend que le Seigneur ait voulu que cette histoire, écrite par quelqu'un de ses prophètes, fit partie de sa sainte Parole. Elle est donc, comme tout le reste, «divinement inspirée, propre à enseigner, à convaincre, à corriger, et à rendre l'homme de Dieu accompli en toute bonne œuvre» (2Tim. 3: 16).


NÉHÉMIE.

CXC. — Commission donnée à Néhémie. Réédification des murs de Jérusalem.


2511. (1.) L'an 445, douze ans après qu'Esdras fut arrivé à Jérusalem, le Seigneur jugea bon de se susciter un nouvel ouvrier pour l'œuvre importante et difficile du rétablissement d'Israël: ce fut Néhémie, Israélite pieux qui se trouvait encore à cette époque dans la capitale du royaume et qui y servait Assuérus ou Artaxerxès Longue-Main, en qualité d'échanson. Quelques hommes de Juda étant venus à Suse pour voir leurs frères, Néhémie apprit d'eux que, si le temple avait été relevé par Zorobabel et le peuple ramené à son devoir par Esdras, la sainte ville de Jérusalem gisait toujours dans ses ruines. Les murailles de fortification n'avaient point été reconstruites; c'est pourquoi les Juifs ne s'y étaient domiciliés qu'en fort petit nombre.

2512. À ces nouvelles, le fidèle Néhémie fondit en larmes. Sentant avec raison que le peuple de Dieu ne devait prendre aucun repos qu'il n'eût fait disparaître jusqu'aux dernières traces de la malédiction dont l'Éternel avait frappé Jérusalem, il jeûna de ce jeûne individuel et secret que nous avons déjà vu pratiqué par plusieurs âmes pieuses [1539, 2455, 2508], et il pria le Dieu des cieux, l'Éternel, le Fort, le Grand, le Terrible, le Fidèle, de pardonner au peuple ses péchés, et d'accomplir en sa faveur toutes ses promesses de délivrance.

2513. (2.) Cela se passait au mois de Cisleu, qui était le neuvième mois des Juifs [681]. Environ quatre mois après, Néhémie, dont la douleur allait croissant, ne fut plus capable de la contenir, en sorte que sa tristesse ne put échapper aux regards du roi. Or, c'est un usage de toutes les cours, qu'on n'ose pas témoigner d'autres sentiments que ceux du monarque. S'il est dans le deuil, on prend le deuil; mais on n'est point admis à paraître devant lui avec les signes de l'affliction, s'il est lui-même dans la joie.

2514. (2-4.) Soit qu'Artaxerxes fût naturellement compatissant, soit qu'il eût, ce qui est probable, une affection particulière pour son échanson, il s'informa d'un ton plein de bonté de ce qui pouvait l'attrister si fort. Néhémie, vivement ému, n'hésita pas à ouvrir son cœur au monarque, et Artaxerxès encouragea son serviteur à lui demander ce qu'il jugerait bon en faveur de la ville de ses pères.

2515. C'est ici que brille surtout la grande piété de Néhémie. Avant de répondre, et dans le court instant qu'il pouvait prendre pour recueillir ses idées, il éleva son cœur à l'Éternel son Dieu, comme nous devons le faire en toute rencontre, et il puisa dans la prière le courage de demander au roi la plus grande faveur qu'il pût imaginer. Si Néhémie n'avait consulté que son avantage particulier, qu'aurait-il pu désirer de mieux que la place qu'il occupait à la cour des rois de Perse? Mais, non moins charitable que pieux, il avait en vue tout à la fois la gloire de l'Éternel et le bien de ses frères. C'est pourquoi, sans se laisser arrêter par la perspective des travaux, des difficultés, des dangers de l'œuvre qu'il considérait comme l'œuvre de Dieu, il sollicite la permission de rejoindre son malheureux peuple et de rebâtir la ville de Jérusalem.

2516. (6-9.) La reine, Esther sans doute, était assise auprès du roi, et sa présence ne laissa pas de contribuer au succès de l'Israélite. Il obtint un congé de quelques années. Par lettres patentes il fut accrédité auprès des gouverneurs des provinces et des intendants royaux; pour marque de l'autorité dont il était revêtu, il emmena avec lui quelque cavalerie, et il observe lui-même qu'il dut ces faveurs à la protection de son Dieu. Néhémie ne ressemblait donc pas à tant de gens qui prient et ne remercient point; qui, après avoir obtenu ce qu'ils demandaient, oublient d'en rendre grâces à Dieu, preuve qu'ils prient pour la forme seulement ou que leur cœur est encore plein d'orgueil et d'ingratitude.

2517. (10-16.) Néhémie ayant laissé son escorte en arrière, arriva seul à Jérusalem. Il y passa d'abord trois jours sans rien dire à personne de ce que Dieu lui avait mis au cœur d'entreprendre. Puis il sortit de nuit par l'endroit où était jadis la porte de la Vallée, comme on l'appelait, et il fit le tour de l'ancienne enceinte de Jérusalem, se frayant un chemin dans les vallons et sur les collines. Mais le terrain était si fort couvert de décombres, que la monture de Néhémie pouvait à peine y poser les pieds.

2518. Après avoir vu de ses yeux toute cette désolation, le pieux Israélite réunit les principaux du peuple et, leur parlant à la fin au nom de Dieu et de la part du roi, il les décida sans trop de peine à rebâtir les murailles de la ville. C'était un ouvrage immense. Les matériaux ne manquaient pas, mais ils étaient entassés les uns sur les autres, et, en plusieurs lieux sans doute, recouverts de terre et de végétation. Il fallait donc commencer par déblayer le terrain; et puis, quelle masse d'ouvriers et quelles sommes pour venir à bout de l'entreprise!... Aussi les adversaires des Juifs, et à leur tête Samballat, Tobija, Guescem, se moquèrent-ils de ce qu'ils appelaient leur folie; mais au fond c'était plutôt une secrète envie qui les animait. Ils ne voulaient pas que Jérusalem redevînt une ville forte; or Néhémie, qui y mettait d'autant plus d'importance que les adversaires s'y montraient plus opposés, leur parla de manière à les convaincre que, par la grâce de Dieu, sa résolution était bien affermie et qu'il ne se laisserait pas arrêter par eux.

2519. Si nous rapprochons l'œuvre de Néhémie de celle de Zorobabel, il nous semble y voir un type des travaux qui, à toutes les époques, occupèrent l'activité des conducteurs de l'Église, et, dans les difficultés qu'ils rencontrèrent, une vive image des obstacles contre lesquels eurent constamment à lutter ceux qui ont à cœur l'édification du corps de Christ, ou, autrement, du peuple de Dieu. Zorobabel bâtit le temple et Néhémie les murailles de Jérusalem. Le temple est, en type, l'Église intérieure, les croyants et leur foi avec leur piété, ou, si l'on veut, la doctrine et la vie qui font l'essence de l'Église; les murailles de la ville sont, toujours en figure, les institutions ecclésiastiques qui assurent le libre développement de la foi et les progrès de la vie chrétienne, ou l'organisation de l'Église, organisation par laquelle l'ensemble des fidèles se caractérise au-dehors et se met à couvert contre les envahissements du monde. Or les adversaires de l'Évangile se comportèrent dans tous les temps comme Samballat et ses associés. Ils se moquent en apparence des efforts que fait le peuple de Dieu pour se rassembler dans «la ville bien munie;», mais au fond ils s'en effrayent. On les voit donc s'y opposer par tous les moyens, et même, en désespoir de cause, ils tâchent de se faufiler parmi les chrétiens comme pour travailler avec eux au bien de l'Église, tandis que c'est plutôt pour les contrecarrer. Or, écoutez ce que leur dit Néhémie: «Le Dieu des cieux nous fera réussir; nous donc qui sommes ses serviteurs, nous nous lèverons et nous rebâtirons; mais vous, vous n'avez ni part, ni droit, ni rien à réclamer dans Jérusalem.»

2520. (3,4.) Ces chapitres-ci nous montrent dans quel ordre parfait s'exécutèrent les travaux. Le peuple tout entier s'y employa, chacun à la place qui lui était assignée. Pour se mettre à l'abri d'une surprise, tandis que les uns maniaient la truelle du maçon, d'autres montaient la garde l'épée à la main. Néhémie, posté sur une éminence avec un trompette à ses côtés, observait tout et se tenait prêt à appeler le secours sur le point qui serait menacé par l'ennemi; et puis, ce qui fait la principale force et ce qui garantit le succès, on priait beaucoup. — Mes lecteurs sauront bien faire eux-mêmes aux circonstances de leur Église l'application de ce qui précède.

2521. (5.) Cependant, les obstacles intérieurs sont pour l'ordinaire bien plus fâcheux que ceux du dehors. Un mal intestin dévorait le peuple juif et entravait son activité. Les riches avaient abusé de la nécessité des pauvres pour leur prêter à intérêt et pour les réduire en esclavage, deux choses que défendait la loi de Moïse [767, 775]. De là, des plaintes, des murmures, du découragement; et quand la charité manque, quand la loi de Dieu, une seule de ses lois, est ouvertement et généralement méconnue, l'édification du corps de Christ devient impossible. Aussi Néhémie s'éleva-t-il avec une grande force contre ces désordres, donnant lui-même l'exemple de la générosité, et, grâce à Dieu, ses paroles trouvèrent accès dans les cœurs. Décidément, ce peuple était différent de ses pères.

2522. (6.) Lorsque Samballat, Tobija et Guescem virent que l'ouvrage s'avançait et même qu'il était presque achevé, puisqu'il n'y avait plus qu'à placer les portes de la ville, ils formèrent le projet d'assassiner Néhémie ou du moins de l'enlever. N'ayant pas réussi à le faire tomber dans le piège, ils menacèrent de le dénoncer à Artaxerxès comme un homme qui outrepassait ses pouvoirs. Mais les menaces n'ébranlèrent point le gouverneur de Jérusalem; il invoqua l'Éternel et il ne se mit que plus activement à son œuvre. Il eut affaire avec des ennemis bien autrement dangereux. Plusieurs hommes de Juda, se donnant pour des prophètes du Très-Haut, vinrent le supplier de s'enfuir ou du moins de se cacher dans l'intérieur du temple, dont l'accès n'était permis qu'aux sacrificateurs et où il se verrait à l'abri de tout danger. La tentation était forte; mais Dieu donna à Néhémie l'intelligence de son devoir, et bientôt il put se convaincre que ce conseil venait de gens qui s'entendaient avec Samballat, car un homme religieux comme était Néhémie ne pouvait de moins que d'avoir des ennemis au sein même de son peuple. Ainsi, tout se réunissait pour l'entraver dans ses pieux desseins; mais l'Éternel était avec lui, et, au bout de cinquante-deux jours, les murailles furent relevées. Que ne peut, en effet, le peuple de Dieu quand il est uni, qu'il travaille, qu'il prie, et que le Seigneur est pour lui!


CXCI. — Fêtes et dénombrement; réformation.


2523. (7.) Les murailles de la ville étant achevées et les portes placées sur leurs gonds, Néhémie prit des mesures pour la sûreté des habitants, mesures dont il confia l'exécution à son frère Hanani et à un pieux homme de guerre nommé Hananja. Mais si la ville était aussi spacieuse que dans le temps de sa plus grande splendeur, elle présentait un aspect fort triste, vu le petit nombre de maisons qu'on y avait rebâties; car, bien qu'il se fût écoulé déjà plus de quatre-vingt-dix ans depuis l'arrivée de Zorobabel avec ses cinquante mille Juifs, le peuple était encore trop peu considérable pour une si vaste cité et pour le pays entier de Juda. Nous verrons bientôt les dispositions que prit Néhémie dans le but de mettre un terme à cette désolation; mais, en suivant son récit, nous avons d'abord à parler des solennités qui se célébrèrent à cette époque.

2524. (8.) C'est ici que reparaît le pieux sacrificateur et scribe Esdras, lequel fut pour Néhémie ce que Jehoschuah avait été pour Zorobabel. Le peuple, convoqué à Jérusalem, s'y réunit en masse. Près d'une des portes on avait élevé une estrade sur laquelle s'assirent Esdras et treize individus notables; la foule remplissait la place. Le livre de la Loi ayant été déroulé, tout le peuple se tint debout; Esdras bénit l'Éternel; la multitude, élevant les mains, cria Amen! puis l'assemblée se prosterna le visage contre terre. Quand on eut prié, les Lévites et entre autres treize d'entre eux prirent place dans les rangs serrés de la foule, lisant et expliquant la Parole de Dieu. Néhémie aussi, de concert avec Esdras, instruisait le peuple du haut de la tribune et lui faisait entendre des paroles d'encouragement, surtout celle-ci: «Que la joie de l'Éternel soit votre force!» En effet, ils se levèrent pleins d'allégresse et ils se témoignèrent les uns aux autres leur bonheur en s'envoyant des présents.

2525. Le lendemain, les principaux du peuple, les sacrificateurs et les scribes se réunirent auprès d'Esdras afin qu'il leur donnât plus ample connaissance de la loi de l'Éternel. Or, d'après cette loi, on devait, ce mois même, célébrer la fête des tabernacles [910]; c'est pourquoi les préparatifs s'en firent immédiatement. On passa huit jours, du matin au soir, à écouter la lecture et l'explication de la Parole de Dieu, qui se servait à elle-même d'interprète; la journée finie, on s'invitait réciproquement à des repas fraternels et, la nuit, chaque famille se retirait sous des cabanes de verdure, en guise de tentes.

2526. (9.) Ce fut un temps bien solennel que celui-là; car, le vingt-quatrième jour du mois, les Juifs terminèrent ces solennités par la célébration d'un jeûne, où, en continuant de lire et de méditer la Parole de Dieu, comme dans la fête des tabernacles, ils firent confession publique de leurs péchés et de ceux de leurs pères. La prière qui fut prononcée au nom du peuple, nous a été conservée par Néhémie. Elle est d'une grande beauté. Les Églises protestantes qui se servent de liturgies et célèbrent des jeûnes publics, ont emprunté de ces prières leurs supplications les plus touchantes, aussi bien que de celles qui se lisent aux chapitres neuvièmes de Daniel et d'Esdras. Resterait à savoir si de pareils jeûnes et des prières exactement semblables sont parfaitement dans l'esprit de l'alliance de grâce, question qui se représentera quand nous lirons le Nouveau Testament. Quoi qu'il en soit, nous voyons ici de quelle manière les pécheurs doivent s'humilier devant l'Éternel, lui faire confession de leurs fautes en repassant toute l'histoire de leur vie, et comment, si notre repentir est sincère, nous reconnaîtrons la justice des jugements de Dieu et nous nous consacrerons à lui par une entière obéissance.

2527. (10.) Le jeûne fut suivi d'une formalité qui était sans exemple, mais qui devait avoir pour effet d'unir les Israélites plus étroitement les uns aux autres et chacun d'eux à l'Éternel. Il y eut comme un traité d'alliance signé par quatre-vingt-cinq des principaux du peuple, et à leur tête Néhémie. La foule y donna son assentiment. Par cet acte, ils s'engagèrent à suivre la loi de l'Éternel et notamment à ne point s'allier par des mariages avec les étrangers, à garder scrupuleusement le jour du repos, à observer l'année sabbatique [784], à contribuer chaque année par un tiers de sicle aux frais du culte, et en général à faire tout ce qu'il fallait pour l'entretien des sacrificateurs et des lévites. Ils avaient compris que leurs maux, en tant que nation et nation consacrée à Dieu, avaient eu pour cause l'oubli de ces lois, et ils sentaient le besoin d'y revenir sérieusement.

2528. (11.) Ce fut en ce même temps qu'on pourvut à rétablir la population de Jérusalem. Il fut décidé que la dixième partie du peuple y fixerait sa demeure et l'on tira au sort ceux qui auraient ce privilège peu envié; car le séjour d'une cité si vaste et si dépeuplée, d'une cité dont les habitants devraient être sans cesse comme des soldats dans une place de guerre, ne valait sûrement pas celui des villes et des villages de la campagne. Le livre de Néhémie donne le catalogue des chefs de famille dont Jérusalem fut dès lors la résidence; il indique aussi les noms de quelques-uns de ceux qui s'établirent dans la province et, autant que possible, à ce qu'il paraît, sur les domaines qui avaient appartenu jadis à leurs pères.

2529. (12.) À cette liste, l'historien sacré joint celle des sacrificateurs et des Lévites qui étaient retournés à Jérusalem avec Zorobabel, liste où se trouve un Esdras qui ne saurait être le collègue et le collaborateur de Néhémie (1-9). Puis, nous avons la suite des souverains sacrificateurs depuis la captivité: Jehoschuah, Jojakim .Eliascib, Jojadah, Jonathan, Jadduah; mais les derniers de ces noms doivent avoir été ajoutés au rôle par quelque écrivain postérieur (10, 11). Enfin, Néhémie donne les noms des principaux sacrificateurs et Lévites appartenant à cette époque (12-26). Cela fait, il nous raconte la solennité par laquelle on consacra les murailles de Jérusalem, afin que ce fussent de saintes murailles, comme Jérusalem elle-même était une sainte cité, le temple une sainte maison, et tout Israël un saint peuple, c'est-à-dire un peuple consacré à Dieu [741].

2530. (27-43.) Les principaux de la nation et les sacrificateurs se partagèrent en deux chœurs, ayant à leur tête l'un Esdras, l'autre Néhémie. Ce double cortège, placé sur les larges murailles de la ville, partit du même point et, marchant en sens opposé, se rendit au temple, réjoui par le chant des louanges de Dieu. La procession avait fait halte près des portes principales et chaque fois les chants de joie avaient redoublé. Le peuple assistait en foule, comme il est aisé de le sous-entendre. Enfin, quand on eut atteint le temple, on offrit des sacrifices et l'allégresse générale fut à son comble.

2531. Il faut dire en effet que les enfants d'Israël avaient sous les yeux un spectacle auquel, peu d'années auparavant, ils n'auraient guère osé s'attendre. Il y avait plus de cent quarante ans que les murailles de Jérusalem avaient été renversées par Nébucadnetzar, et près de cent ans que Zorobabel était revenu de Babylone pour rétablir le culte de Jéhovah. Quel siècle que celui-là! Il avait amené de grands changements dans les mœurs des Israélites, selon de saintes promesses [2396]; il avait relevé bien des ruines; mais qu'il dut paraître long à ceux qui ne virent que le commencement des travaux, et combien plus à ceux qui purent croire un moment qu'ils ne seraient jamais achevés! Enfin, l'heure est venue, l'heure prédite par les prophètes où Jérusalem de nouveau se verra des habitants! N'est-ce pas aussi le moment où l'Éternel va régner sur son peuple et avec son peuple, selon les paroles de ces mêmes prophètes? Avouons que les Israélites pieux pouvaient très bien se faire cette question; car on admirait au milieu d'eux une foi, un zèle, un ensemble qu'on n'y avait peut-être jamais vus à ce point; l'Esprit de Dieu semblait s'y être répandu en toute abondance et bientôt sans doute le Messie allait venir Ainsi la joie d'Israël, à cette époque, avait pour principe les merveilles dont il était le témoin, et plus encore peut-être celles qu'il prévoyait comme prochaines.

2532. Quoi qu'il en soit, et pour compléter le type dont j'ai tracé l'esquisse plus haut [2519], tout ce qui se fit à Jérusalem depuis que les murailles en eurent été relevées, nous montre dans quel esprit et dans quel but les conducteurs et les membres de l'Église doivent travailler avec zèle à l'amélioration des institutions ecclésiastiques. C'est dans l'intérêt de l'édification commune et de la gloire de Dieu. Toute organisation qui n'a pas pour effet de réchauffer la charité et de purifier le culte, ne vaut pas la peine qu'elle donne; mais celle qui concourt à ce résultat est sainte comme la foi, ferme comme la Parole de Dieu, et divine comme le souverain Chef de l'Église.

2533. (13:1 -3.) Un objet important qu'on doit aussi se proposer dans l'organisation de l'Église, c'est d'écarter de cette société les personnes qui ne lui appartiennent pas. Sous la loi, l'Éternel avait pourvu à ce que les étrangers ne se mêlassent point avec son peuple, et cette institution devait être soutenue au besoin par la contrainte; mais sous l'Évangile, ce n'est pas par des expulsions violentes que l'Église maintient la pureté de son personnel. Elle a dans sa foi même, dans sa piété, dans la spiritualité de son culte, dans la surveillance morale que ses membres exercent les uns sur les autres, tout ce qu'il faut pour écarter de son sein la masse incrédule et corrompue. Seulement, au lieu d'être organisée de manière à réunir dans un mélange affreux les impies et les croyants, il faut qu'elle s'organise en société religieuse bien distincte du monde. Celui-ci, comme les termes mêmes le disent, contient toute une population par une nécessité inévitable; l'Église ne doit renfermer que des personnes qui professent volontairement la vérité.

2534. (4-31.) Voilà, je le répète, comment les choses doivent se passer maintenant; voilà comment Dieu les veut sous l'Évangile. Car, du temps de l'Ancienne Alliance, si les étrangers étaient exclus de l'assemblée, type de la pureté future de l'assemblée dont Jésus-Christ est la tête, tout descendant d'Abraham et les enfants des prosélytes appartenaient, par le seul fait de leur naissance, au peuple de Dieu, peuple saint, mais d’une sainteté ou d'une consécration purement extérieure. Aussi, voyez quels désordres reparurent au milieu des Israélites, du vivant même de Néhémie. Après un séjour de douze ans à Jérusalem, ce pieux gouverneur dut retourner à la cour d'Artaxerxès; mais étant revenu au bout de quatre ou cinq ans, pense-t-on, il vit que de grands maux s'étaient introduits jusque dans le sanctuaire. Réformateur plein de zèle et de résolution, il remit en vigueur la loi de l'Éternel; il chassa de Jérusalem ceux qui ne devaient pas y vivre; il y fit revenir les Lévites qui avaient dû s'en éloigner, et même il expulsa un petit-fils du souverain sacrificateur Eliascib, lequel avait épousé la fille de Samballat, et qui, selon toute apparence, ne voulut pas renvoyer sa femme.

2535. Quant aux autres actes du pieux réformateur, je renvoie mes lecteurs au récit qu'ils ont sous les yeux, et je ne sais si j'ai besoin d'attirer leur attention sur les trois prières qui s'y trouvent intercalées (14, 22, 31). En les rapprochant, on y voit le bonheur que Néhémie, un des plus saints hommes de l'Ancienne Alliance, ressentait à la pensée qu'il avait été, dans les mains de Dieu, l'instrument de la restauration d'Israël; puis le vif sentiment qu'il éprouvait de ses péchés et du prix infini des grâces du Seigneur. Heureux sont les serviteurs de l'Éternel qui, au terme d'une carrière laborieuse et prospère, se consolent et s'humilient à la manière du fils d'Hacalja.

2536. Ici se termine l'histoire sainte contenue dans l'Ancien Testament, mais il s'y trouve encore un livre à étudier. C'est celui de Malachie, le dernier des prophètes.


LE PROPHÈTE MALACHIE.

CXCII. — Censures et menaces; prophéties messianiques; conclusion.


2537. Nous ne connaissons absolument le prophète Malachie que par le livre qui porte son nom; et comme ce nom signifie Mon ange, ainsi qu'on l'a traduit au chapitre 3, verset 1er, quelques personnes pensent que l'auteur de ces oracles pourrait bien être Néhémie ou Esdras, ou tel autre homme de Dieu que le Saint-Esprit appellerait mon ange ou mon messager [333]. Ce titre, en effet, convient à tout prophète de l'Éternel; aussi le voyons-nous donné à Aggée (1: 13, où nos traductions portent ambassadeur). Or, il n'est pas trop difficile de comprendre pourquoi Dieu aurait voulu que l'auteur de ce livre-ci fût appelé son ange, d'une façon spéciale. Voici en effet le dernier message de l'Éternel au peuple d'Israël, et voici un ange qui va prophétiser, comme très prochaine, la venue de deux autres anges ou messagers, plus excellents que tous les autres: l'ange précurseur et l'ange de l'alliance (3: 1).

2538. Quoi qu'il en soit, tout conduit à penser que les paroles de Malachie furent prononcées et écrites au temps de Néhémie et même à l'époque précise où ce pieux gouverneur, de retour à Jérusalem, trouva le désordre et l'iniquité là où il avait laissé la règle et l'obéissance. Il faut si peu de temps pour qu'un peuple, contenu par la présence de magistrats honnêtes, se porte aux excès de la plus grande immoralité! Ce n'est pas là pourtant qu'en étaient venus les disciples d'un Esdras et d'un Néhémie. Rien dans les censures de Malachie n'autorise à les envisager comme aussi dégradés que l'avaient été leurs pères, à l'époque d'Osée ou même d'Ésaïe. Non, il ne s'agit ici ni d'une rechute dans l'idolâtrie, ni d'une mondanité sans frein; mais c'est un peuple qui se soumet avec peine aux exigences de la loi et les élude tant qu'il peut; qui ne sent pas toute l'étendue des bénédictions dont il est l'objet, ni la gravité des péchés par lesquels il s'en rend indigne; qui, en conséquence, est devenu raisonneur, mécontent de Dieu, toujours prêt à accuser les voies de la Providence et à se disculper soi-même. Par là s'explique la forme que revêtent presque habituellement les discours de Malachie: c'est une espèce de dialogue entre lui et les disputeurs de son siècle. Mais plus on se sent indigné de leur ingratitude et de leur orgueil, plus on admire la miséricorde de Dieu; car il choisit ce moment même pour proclamer encore une fois l'envoi du Messie et pour l'annoncer comme très prochain.

2539. (1.) L'Éternel aime; c'est de là que part Malachie, comme le fait la Bible dès ses premières pages [124]. L'Éternel a particulièrement aimé Israël, et comment celui-ci peut-il le mettre en doute, s'il se souvient de l'histoire de Jacob et d'Esaü, les fils d'Isaac; s'il considère surtout que le peuple issu d'Esaü, les Iduméens, sera détruit de manière à ne pas se relever, tandis que la gloire d'Israël doit être restaurée! (1-5.) Or, voici ce qui arrive lorsqu'on doute de l'amour de Dieu: on ne l'aime pas comme père, on ne l'honore pas comme Seigneur (6-14).

2540. Ceux même qui sont engagés le plus avant dans son service, les sacrificateurs, profanent les choses saintes, sinon à la manière d'Hophni et de Phinées [1305], de telle sorte toutefois que le peuple de Dieu finit par avoir, pour le nom de l'Éternel, moins de respect que les nations étrangères (2: 1-9). Oui, les impies, quoi qu'ils en disent, redoutent Dieu; mais quelle révérence ont-ils de lui, ceux qui lui rendent un culte hypocrite? Aussi l'Éternel prononce-t-il malédiction sur les Lévites prévaricateurs; et, à cette occasion, quelle belle peinture le prophète ne fait-il pas des vrais ministres de Dieu! Leur alliance avec le Seigneur est une alliance de vie et de paix; bien loin que le commerce habituel dans lequel ils sont avec les choses saintes diminue leur respect pour le Très-Haut, nul plus qu'eux ne tremble à sa parole (Ésaïe 66: 2); leur bouche ne s'ouvre que pour proférer la vérité; enfin, par la prédication des saints dogmes, prédication faite d'un cœur paisible et droit, ils retirent les âmes du péché; «car les lèvres du sacrificateur doivent garder la science, et c'est à sa bouche qu'on doit demander la loi, vu qu'il est le messager (ou l'ange) de l'Éternel des armées» (5-7). Mais si les ministres de Dieu, infidèles à leur mandat, sont pour plusieurs une cause de chute au lieu de relèvement, la malédiction du Seigneur est sur eux, et, au nombre des effets de cette malédiction, l'on ne doit pas tenir pour le moins considérable le mépris général dont ils finissent par être couverts (8,9).

2541. (10-16.) Quand les Israélites s'étaient, dans les temps antérieurs, abandonnés à l'idolâtrie, on les avait vus se livrer, par une conséquence immédiate, aux abominations de l'adultère et de la prostitution; aujourd'hui, leur relâchement, en ce qui concernait le culte de l'Éternel, se manifestait par des mœurs moins dépravées assurément, mais non moins contraires à la pensée de Dieu: c'étaient des mariages avec des femmes étrangères, la polygamie selon toute apparence, et de fréquents divorces; voilà de quelle manière le relâchement des mœurs correspondait à celui de la piété. Mais sur ce point encore ils cherchaient à se justifier, alléguant l'union d'Abraham avec Agar, comme si leurs désordres avaient pu s'expliquer aussi par une erreur de la foi [299]. Ce n'est pas tout: au lieu de s'humilier, ils contestent contre Dieu (17); ils prétendent, eux qui devaient si bien savoir le contraire, que Dieu se plaît dans la méchanceté des hommes; ils vont même jusqu'à invoquer la justice divine, dont ils pensaient apparemment n'avoir rien à redouter

2542. (3.) Au défi qui lui est porté, l'Éternel répond par une prophétie messianique dont le sens doit nous être parfaitement clair (1). Deux anges de Dieu, deux messagers de sa grâce, paraîtront en même temps sur la terre, le premier préparant le chemin du second. Celui-là, nouveau Malachie [2537], est le saint messager qu'Ésaïe avait déjà prophétisé [2221]; le second est l'ange éternel de l'alliance [788, 845], celui auquel appartient le temple, celui qui doit y faire entendre sa voix: il va venir; il n'y aura plus de prophète jusqu'à lui; aussi l'appellera-t-on désormais Celui Qui Vient, comme jadis on l'appelait Celui Qui Est [636].

2543. (2-6.) Mais par cela même qu'en cet endroit de la prophétie, la venue du Seigneur est annoncée à des hommes qui foulaient aux pieds les richesses de sa grâce, c'est en sa qualité de Juge qu'il leur est annoncé, et non en sa qualité de Sauveur. Nous le voyons donc ici tel qu'il sera manifesté lors de sa seconde venue, celle que les chrétiens attendent maintenant. Pareil au feu du fondeur et à la lessive du foulon, il nettoiera les souillures de son peuple en le passant au creuset; les méchants seront consumés, et les fidèles de plus en plus purifiés, «Revenez à moi, dit l'Éternel des armées, revenez à moi, et je reviendrai à vous!» (7-12.) — Voilà comment, pour l'amour du Christ, le Seigneur ne cesse de convier les pécheurs à la repentance, toujours menaçant pour ceux qui refusent d'écouter sa voix et toujours plein de promesses envers les âmes qui se convertissent à lui.

2544. (13-18.) Soit que le prophète décrive, après cela, ce qui se passait au milieu de ses auditeurs, soit qu'il ait dû prédire ce qui arriverait aux jours où l'Évangile serait prêché, toujours est-il que la promulgation des décrets de Dieu a constamment produit le double effet qu'on voit ici. Elle irrite ceux qui se perdent et les porte au blasphème; mais elle rend sérieux ceux qui se sauvent et elle les unit en Dieu par une sainte confédération. Puis, quels que soient les temps et les circonstances, ces derniers seuls sont les héritiers de la grâce de Dieu, sa propriété, ses enfants, et eux seuls ont le droit de l'appeler du nom de Père. Nul doute enfin qu'il n’y ait une différence fondamentale entre le juste et l'impie, entre celui qui sert Dieu et celui qui ne le sert pas; mais pour être en état d'apprécier cette différence, il faut nécessairement se convertir. — Ah! combien je voudrais pouvoir m'entretenir avec chacun de mes bien-aimés lecteurs autrement «qu'avec l'encre et la plume!» (3 Jean, 12.) Voici bien longtemps que je m'occupe pour eux et avec eux de l'étude des saintes Écritures, cherchant aussi à leur faire comprendre leur propre âme, et je ne leur ai pas encore adressé cette solennelle question: êtes-vous converti, mon cher lecteur? Connaissez-vous, par vous-même, la différence qui existe entre ceux que l'Écriture appelle justes, et ceux qu'elle appelle méchants? Servez-vous Dieu dans votre cœur et lui consacrez-vous votre vie? sinon, qui servez-vous, et à qui ou à quoi vous consacrez-vous?

2545. (4: 1-3.) Question solennelle, ai-je dit; «car voici un jour vient, embrasé comme une fournaise, et tous les orgueilleux et tous ceux qui commettent la méchanceté seront comme du chaume, et ce jour-là, qui vient, les embrasera, a dit l'Éternel des armées, et ne leur laissera ni racine ni rameau,» menace que rappela Jean Baptiste, l'ange précurseur [2542], lorsqu'il disait: «La hache est déjà mise à la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit, est coupé et jeté au feu» (Luc 3:9). «Mais sur vous qui craignez mon nom, se lèvera le soleil de la justice, et la santé est dans ses rayons. Et vous sortirez libres et bondirez comme les veaux tenus à l'étable; et vous foulerez les impies, car ils seront une cendre sous la plante de vos pieds, au jour que je prépare, dit l'Éternel des armées:» promesses dont la reproduction et le développement forment le fond de l'Évangile.

2546. C'est pourquoi, dit enfin l'Éternel (4-6), regardez à Moïse et à Élie: à Moïse, par qui la loi fut donnée en Horeb, loi qui vous prêche le besoin que vous avez de vous convertir et d'être sauvés; à Élie, le grand prophète qui doit venir avant le jour grand et redoutable de l'Éternel, pour annoncer la conversion et le salut, grâces sans lesquelles la terre entière périrait. Or, cet Élie à venir, cet Élie qui est l'objet du dernier oracle prononcé par le dernier des prophètes, les Israélites pieux purent croire que ce serait Élie le Tisçbite, l'illustre serviteur de Dieu que le ciel reçut sans qu'il eût passé par la mort; tout comme des chrétiens pieux peuvent penser que ce même Élie paraîtra sur la terre avant le retour de Jésus-Christ notre Sauveur. Cependant, le Seigneur lui-même nous informe que cette prophétie a eu tout au moins un premier accomplissement dans la personne de Jean Baptiste: «c'est lui, dit-il, qui est l'Élie qui devait venir» (Matth. 11: 14).

2547. Ainsi se terminent les révélations de l'Ancien Testament; non seulement par une prophétie messianique, mais encore par une prophétie relative au prophète qui devait ouvrir l'ère auguste du Messie promis. L'ensemble des nombreux oracles divins sur le Christ a donc pour couronnement la prédiction même par laquelle Ésaïe, mes lecteurs s'en souviennent, commence, lui, sa grande prophétie messianique [2219 et suivants]. Comme on voit qu'un seul et même Esprit, l'Esprit de l'Éternel, a dicté toutes ces choses! comme il est évident aussi que toute la Parole de Dieu se rapporte à Jésus-Christ!

2548. Il ne l'est pas moins que l'ancienne économie fut simplement une économie préparatoire; j'entends par l'ancienne économie, tout l'ordre de choses dont Moïse fut le premier prophète et Malachie le dernier. Qu'on en considère les institutions politiques ou les institutions religieuses, on sent que tout cela n'est que provisoire; dans le dogme même et dans la morale, il est manifeste qu'il y a un progrès possible, et l'on prévoit que ce progrès aura lieu tôt ou tard. L'histoire même de l'ancien peuple de Dieu est une histoire inachevée. Elle se termine brusquement avec le dernier chapitre de Néhémie, nous montrant Israël dans la situation d'une nation ou d'une Église qui se réforme; mais c'est une enfance dont on voudrait connaître et dont on ne saurait vraiment deviner l'âge mûr. Tout cela fait l'effet d'une grande et belle route, plantée d'arbres séculaires et laissant voir dans le lointain une ville magnifique vers laquelle le voyageur hâte ses pas. Mais tout à coup, un ravin large et profond que l'œil ne pouvait discerner, vient interrompre le chemin; il faudrait un pont pour franchir l'espace; ce pont n'existe pas, et la ville, la ville magnifique et sainte, demeure dans le lointain.

2549. Cependant, bien que l'ancienne économie soit une simple préparation à la nouvelle, bien qu'il y ait, à certains égards, tout un abîme entre les deux, il est impossible de ne pas admirer la plénitude, la perfection de cette œuvre préliminaire par laquelle le Seigneur préparait son œuvre grande et suprême. On a comparé l'Ancien Testament à l'échafaudage que l'on construit pour élever un édifice, le Nouveau Testament étant l'édifice lui-même; je le comparerais plus volontiers au bouton dont la fleur n'est que l'épanouissement, et le fruit, le dernier terme: tout est déjà dans le bouton, et la fleur et le fruit. Sans revenir sur les observations que j'ai présentées à mes lecteurs lorsque je m'y suis vu conduit par le cours de mes Études, et sans anticiper non plus sur celles qui se présenteront naturellement quand nous lirons ensemble l'Évangile, je crois pouvoir affirmer que tout ce qui caractérise la nouvelle économie, se trouve en germe dans l'ancienne. C'est au fond la même pensée, et les âmes qui furent alors sauvées, ne le furent pas autrement que de nos jours. Là déjà, on voit que l'homme est pécheur et que Dieu est amour; que lui seul peut effacer les transgressions et que le salut s'obtient par la foi; que cette foi produit la justice, et que ceux qui sont à Dieu par cette voie, sont aussi dans la voie de la paix et de l'éternel repos. Ainsi furent Noé, Abraham, Moïse, Josué, Samuel, David, tous les prophètes, et, sur leurs traces, d'innombrables créatures humaines qui, ayant cru aux promesses de Dieu, se sont endormies dans une sainte espérance. Tous ces saints de l'Ancien Testament se ressentirent, sans nul doute, de ce qu'il y avait d'incomplet encore dans la révélation qui les éclairait; mais tous reçurent d'elle, par le Saint-Esprit, ce qu'elle avait de propre à accomplir en leurs âmes l'œuvre de la grâce éternelle de notre Dieu.

2550. Il n’en est pas moins vrai que nous, qui jouissons de la nouvelle économie, nous avons sur nos pères en la foi, des avantages considérables. Maintenant nous possédons Jésus-Christ et son salut, non en figures, mais en réalité; nos lumières ne sont pas celles du Jour qui se lève, car «le soleil de la justice» brille, plein d'éclat et de majesté, sur nos têtes; et qu'il s'agisse de paix ou de sainteté, nous avons une source dont les eaux ne sont point comme étaient celles de Jéricho avant qu'Élisée les eût rendues saines, ou intermittentes comme celles dont le rocher abreuvait les Israélites dans le désert. Avec quelle joie ne devons-nous donc pas nous tourner maintenant vers le Nouveau Testament de notre Seigneur Jésus-Christ! Plus la préparation a été longue, plus nous sentirons, je pense, la grandeur du terme où nous arrivons. Ce terme lui-même ne sera pas définitif, car le Nouveau Testament n'est que l'introduction de la nouvelle économie: il annonce à son tour, comme le faisait l'Ancien, un ordre de choses qui n'est pas encore réalisé et que les chrétiens attendent avec une parfaite certitude de foi. Vous verrez néanmoins que, relativement à la précédente, cette partie de la révélation est complète: elle l'est en ce sens, qu'elle n'en demande pas une nouvelle. Après donc que nous l'aurons étudiée, nous connaîtrons tout ce que Dieu veut que les hommes sachent avant le retour glorieux de Celui qui fut promis à Adam, et qui doit finir par écraser la tête du serpent [108].


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