Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XXVII. Nouvelles révélations de Dieu à Abraham.

La Circoncision. — Isaac promis par deux fois.

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17: 1-2
§ 310. Treize années s'écoulèrent depuis la naissance d'Ismaël sans qu'Abraham reçût aucune nouvelle révélation du Seigneur, si du moins nous pouvons l'inférer du silence de la Bible. Toutes choses, sans doute, se passaient paisiblement dans les tentes du patriarche. Ismaël grandissait, et son père se plaisait à voir dans ce jeune garçon l'héritier de ses biens et surtout celui de la promesse. Mais, après ces treize années, durant lesquelles l'âme d'Abraham ne dut pas être parfaitement heureuse, par cela même que le Seigneur semblait avoir interrompu ses communications, il fut favorisé d'une vision qui vint rafraîchir le souvenir qu'il avait gardé de la précédente (§ 288 et suiv.), comme de celle qu'Agar avait pu lui raconter. L'Éternel lui apparut, et, après avoir proclamé son nom: le Dieu Fort, Tout-Puissant, il exhorte Abraham à marcher devant sa face ainsi qu'Hénoc, à être intègre et droit comme Noé; puis il lui donne à entendre qu'il est venu pour contracter solennellement alliance avec lui. Les bases en avaient été posées par le Seigneur longtemps auparavant, savoir à l'époque même où il appela Abraham. On peut bien dire qu'il y avait eu dès lors une alliance entre Dieu et lui; mais voici le moment précis où elle fut ratifiée.

17: 3-9
§ 311. Abraham, plein d'une vénération profonde pour son Dieu, et tout ému dans l'attente de ce qu'il allait ouïr, se prosterna le visage contre terre; nous de même, c'est avec une sérieuse attention que nous devons écouter ce qui fut dit au père des croyants.

§ 312. Conformément aux premières paroles que le Seigneur avait jadis adressées à Abraham, l'alliance définitive qu'il traita avec le patriarche fut toute fondée sur des promesses. S'il commença par des exhortations, c'est qu'en effet celui qui veut absolument vivre dans le péché n'a rien de bon à attendre de Dieu, mais après tout, nul ne peut subsister devant lui que par sa grâce.

17: 4-6
§ 313. Les promesses de Dieu sont au fond toujours les mêmes, nous le voyons bien ici. Mais il y a pourtant dans cette nouvelle proclamation qu'en fait le Seigneur, quelques traits particuliers sur lesquels je dois fixer votre pensée. — Jusqu'ici, Dieu s'était borné à dire qu'Abraham aurait une nombreuse postérité; maintenant, il lui déclare que de lui sortirait un grand nombre de nations, qu'il deviendrait des nations, c'est-à-dire que des peuples mêmes qui ne descendraient pas de lui deviendraient un avec lui par la foi, enfin que des rois se glorifieraient de l'avoir pour père. Dans le but de rattacher cette prophétie à un signe permanent, l'Éternel changea le nom du patriarche. Il s'était appelé jusqu'à ce moment Abram, ce qui voulait dire Père illustre; Dieu lui impose le nom de ABRAHAM, qui signifie Père d'une grande multitude.

17: 7
§ 314. L'alliance de Dieu avec Abraham est une alliance éternelle. Il avait déclaré par Noé qu'il serait le Dieu de Sem (§ 233); ici nous voyons quelle est la branche des descendants de Sem qui devait hériter de cette promesse. Puis, quand Dieu dit à Abraham qu'il serait éternellement son Dieu et celui de sa postérité, il faut nécessairement entendre cela de la postérité spirituelle d'Abraham, savoir de tous ceux qui, ayant hérité de sa foi, ont aussi, par le fait, le même Dieu que lui.

17: 10-14
§ 315. Tout comme il y eut un signe de l'alliance de Dieu avec Noé, il devait y en avoir un de son alliance avec Abraham. Mais comme la promesse particulière faite à Noé s'adressait à tout le genre humain, le signe qui servit de sceau à la promesse, fut un signe extérieur, très apparent et en quelque sorte universel. Il ne pouvait en être de même pour Abraham et les siens. Il fallait un signe personnel, connu, pour ainsi dire, de Dieu seul et de celui qui le portait. En conséquence, Dieu institua la cérémonie religieuse de la circoncision, cérémonie que les Juifs pratiquent encore; avec eux les Mahométans, qui la tiennent des Arabes, et beaucoup d'autres peuples par simple imitation.

§ 316. Ordonnée de Dieu, cette cérémonie était parfaitement sainte; car ce retranchement du prépuce était destiné à rappeler que ce qui est né de la chair est chair, ou autrement que l'héritage naturel qui nous est transmis par nos pères, c'est le péché, non la grâce et la foi; en sorte qu'Abraham, lui-même pécheur, n'engendrerait que des pécheurs. Puis, cette cérémonie montrait qu'il faut que le péché originel soit retranché, pour qu'on puisse devenir héritier de la promesse; et comme la circoncision vint après la promesse, après qu'Abraham y eut cru, après qu'il eut été déclaré juste devant Dieu par sa foi, nous voyons que ce n'était pas assurément la circoncision qui rendait enfant de Dieu, mais qu’elle était simplement le signe et le sceau de la justification qui s'obtient par la foi (Rom. IV, 11). — Il est facile de remarquer que tout cela peut se dire également du baptême; aussi l'envisage-t-on généralement comme la cérémonie qui a remplacé celle de la circoncision.

§ 317. Il est à remarquer qu'Abraham dut circoncire tous les gens de sa maison, et non pas seulement ses fils; ce qui était, je pense, une manière de montrer précisément ce que je disais tout à l'heure (§ 314), c'est qu'au point de vue religieux Abraham n'est pas le père, ou la tige seulement de ceux qui sont sortis de lui. Dès l'origine donc, l'alliance faite avec Abraham comprit des hommes appartenant à diverses branches de la famille humaine.

17: 15-21
§ 318. Après cela, l'Éternel annonça à Abraham que Sara lui donnerait un fils, et le verset 16 exprime que ce serait par elle, ou autrement par le fils dont elle deviendrait mère, que s'accompliraient les promesses. À l'ouïe de cette parole, le premier mouvement du patriarche fut de se prosterner la face contre terre; puis, cédant à une tentation d'incrédulité, il lui vint sur les lèvres ce rire moqueur et défiant que Satan entretient chez ceux qu'il veut perdre, et auquel même un enfant de Dieu peut céder par intervalle s'il n'y prend garde. Est-ce qu'Abraham élevait réellement des doutes sur la toute-puissance de Dieu? Nous ne saurions le penser. Mais il aimait tendrement Ismaël. Il eût voulu en faire son héritier. Il le demanda même à l'Éternel; et c'est 18 ainsi que, ses affections naturelles se plaçant entre lui et le Seigneur, il hésita un moment dans sa foi, parce que, pour un moment du moins, il voulut autre chose que ce que Dieu voulait.

§ 319. Cependant, le Seigneur, dans sa miséricorde, ne repousse pas son serviteur à cause des infirmités de sa foi. Il l'assure qu'Ismaël aurait aussi sa part des bénédictions; mais il lui déclare de nouveau que l'héritier proprement dit de toutes les promesses, serait le fils qui lui naîtrait de Saraï l'année suivante et il lui donne d'avance le nom d'Isaac. — Quant à Sara, nom que l'Éternel imposa à la mère des croyants, il veut dire princesse.

17: 15-21
§ 320. Lorsque Celui qui venait de parler à Abraham fut remonté au Ciel, le patriarche s'empressa d'exécuter son commandement au sujet de la circoncision. Ismaël avait alors treize ans; de là vient que, de nos jours, les Arabes circoncisent leurs fils à cet âge.

18: 1-8
§ 321. Peu de temps après, Abraham étant assis devant sa tente dans la plaine de Mamré, il eut une nouvelle révélation de l'Éternel. Celle-ci est, à beaucoup d'égards, une des plus remarquables. Elle nous atteste non seulement que le Seigneur s'est fait voir à Abraham, mais encore qu'il s'est montré à lui en figure d'homme. Ainsi, ce n'est pas seulement quand le Seigneur naquit de la Vierge Marie qu'il est venu sur la terre, mais déjà dans les anciens temps; et, d'après ce qui est dit en St.-Jean, chap. I, vers. 18: «Personne ne vit jamais Dieu, son Fils unique est celui qui nous l'a fait connaître,» nous sommes sûrs que c'est lui, la Parole éternelle du Père, qui s'est manifesté à Abraham dans cette occasion, comme dans les précédentes (§§ 310, 305, 288, 259, probablement aussi 284).

§ 322. Trois hommes se présentèrent devant Abraham , mais ce fut à l'un d'eux qu'il rendit particulièrement honneur (vers. 3). Les deux autres sont appelés des anges (Chap. XIX, 1); mais Lui, il est appelé expressément l'Éternel (XVIII, vers. 1, 13, 17, 20, 26, 33); Abraham l'invoque comme le Seigneur (vers. 27, 30), et enfin cet Homme-Dieu parle en des termes qui appartiennent à Dieu seul (vers. 26, 28, 29, 30, 31, 32), car il n'y a que Dieu qui puisse pardonner les péchés.

§ 323. Quant à Abraham, qui reconnut très bien Celui qui venait à lui avec tant de condescendance, il le reçut de la même manière que Lazarre et ses sœurs, Simon le lépreux, et tant d'autres, reçurent le Seigneur dans leurs maisons, lorsque, plusieurs siècles après, il vint sur la terre dans la personne et sous le nom de Jésus, le Christ. Il l'accueillit comme nous devons l'accueillir nous-mêmes, car il demande à habiter dans nos cœurs, et, spirituellement, dans nos demeures. — On s'étonne, au premier abord, de la quantité de nourriture qu'Abraham fit apprêter pour ses hôtes; mais il faut se rappeler les nombreux domestiques qu'il avait à sa table.

18: 9-14
§ 324. Un des buts que le Seigneur se proposait en se manifestant derechef à Abraham, c'était de lui répéter la promesse relative à Isaac et de le faire devant Sara. Celle-ci, selon l'usage des femmes dans l'Orient, ne s'était pas montrée; mais de l'intérieur de sa tente elle pouvait ouïr tout ce qui se disait, et elle l'écoutait en effet. Quand elle entendit que, l'année suivante, elle aurait un fils, elle éprouva le même sentiment d'incrédulité qui avait traversé le cœur d'Abraham, la première fois que cette merveille lui avait été annoncée. Mais, chez Sara ce ne fut pas comme chez Abraham, une affection légitime en soi qui l'empêchait de croire; son incrédulité fut plus réelle et plus coupable: elle se défia décidément du pouvoir de Dieu. Tout cela se passa dans l'intérieur de son âme. Elle ne dit rien de ce qu'elle éprouvait, car elle rit en elle-même; et de plus, elle n'était vue de personne. Aussi quel ne dut pas être son étonnement, lorsqu'elle entendit la voix de Celui qui parlait dehors, dire à Abraham: «Pourquoi Sara a-telle ri? Pourquoi a-elle douté ? Y a-t-il quelque chose de caché et d'impossible à l'Éternel?» Sara eut donc lieu de se convaincre que celui qui parlait à Abraham connaît toutes choses; et celui qui connaît toutes choses, peut toutes choses aussi. Mais elle ne se donna pas le temps de faire ces réflexions. La peur fut, sur l'heure, son unique sentiment, et elle n'eut rien de plus pressé que de nier d'avoir ri. Il paraîtrait que, dans son émotion, elle s'écria à haute voix: «Je n'ai point ri,» ajoutant, comme Adam, le mensonge à son péché. Aussi s'attira-t-elle de la part du Seigneur cette parole sévère «Cela n'est pas.»

§ 325. Nous aurions tort cependant de voir en Sara une femme impie qui se moquait habituellement de la Parole divine. Hélas! il lui arriva comme à tous ceux qui dans les choses du Seigneur, regardent à l'homme plutôt qu'à Dieu. La Bible nous parle de la foi de Sara (Héb. XI, 11); elle ne fut donc pas une incrédule; mais il y eut en elle une incrédulité momentanée très-répréhensible; une incrédulité dont elle eut honte, bien que ce n'ait pas été de la bonne manière. Comme on voit clairement ici que le doute vient de Satan; car, qu'est-il au fond, si ce n'est un démenti qu'on donne à Dieu, et un acheminement à toutes sortes d'erreurs et de mensonges? Si bien que l'enfant de Dieu lui-même, quand il lui arrive de manquer de foi, tombe dans des fautes aussi graves que celles des mondains les plus irréligieux.


XXVIII. Destruction de Sodome.


18: 16-23
§ 326. «Le secret de l'Éternel est pour ceux qui le craignent.» Lorsque les hôtes d'Abraham le quittèrent, ils dirigèrent leurs pas du côté de Sodome, et, comme Abraham les accompagnait, il demeura seul avec le Seigneur, tandis que les deux autres se rendaient à leur destination. Alors le Seigneur jugea bon de révéler au patriarche ce qu'il allait faire, et il est très intéressant de remarquer par quels motifs il lui accorda cette faveur. En toute première ligne, ce fut par la raison même qu'Abraham était l'héritier des promesses de Dieu; d'où nous voyons comment le Seigneur se plaît à combler de grâces ceux qu'il a reçus en sa grâce. Puis c'était parce qu'il était sûr que la piété d'Abraham était véritable. Il ne manquerait pas de l'inculquer à ses enfants, et il se montrerait digne ainsi de la vocation que Dieu lui avait adressée.

§ 327. C'est une expression bien remarquable que celle qui se trouve en ce verset. Les péchés des hommes sont représentés comme ayant tous une voix que Dieu entend du lieu de sa demeure. Oh! qu'il doit être horrible le cri que produit la multitude des péchés qui se commettent à chaque instant ici-bas! Que de mensonges, que de disputes, que de fraudes, que d'impuretés, et, même que de vols et de meurtres qui souillent le monde sans relâche et dont la voix accusatrice s'élève devant Dieu! En vérité, il n'est pas surprenant que ses châtiments se promènent sur la terre; il faut s'étonner plutôt de sa patience incompréhensible!

§ 328. Cependant, l'Éternel a montré dans tous les temps, par de grands exemples, qu'il n'est point indifférent au péché. C'est ce qu'indique cette manière de parler: «Je descendrai et je verrai maintenant...» La corruption des habitants de Sodome et des villes voisines était devenue telle, que Dieu déclare ne pouvoir la souffrir davantage. S'il avait promis de ne plus détruire le genre humain par un déluge, il ne fallait pas que les impies pussent imaginer que leurs crimes demeureraient impunis. Sans doute que la justice divine ne s'exerce pas tout entière ici-bas; mais il est nécessaire que Dieu la rappelle de quelque manière aux hommes, trop portés, hélas! à la mettre en oubli. C'est ce qu'il se proposait de faire en frappant les habitants de Sodome, et, quoiqu'il ne le dise pas expressément à Abraham, celui-ci connaissait trop bien leurs désordres pour ne pas comprendre tout de suite de quoi il s'agissait.

18: 23-33
§ 329. Alors vint une des plus belles prières que la Bible nous ait conservées. C'est ce qu'on appelle une prière d'intercession; c'est-à-dire une de ces oraisons par lesquelles nous implorons la grâce de Dieu sur d'autres que sur nous. Rien, dans la Parole, ne nous conduit à croire, comme le pensent les catholiques romains, que les fidèles trépassés prient pour nous. Il n'y a dans le ciel qu'un seul Intercesseur pour les hommes, c'est Jésus-Christ; mais il est certain, d'un autre côté, que les fidèles qui sont sur la terre doivent intercéder auprès du Seigneur en faveur de leurs parents, de leurs amis, de leurs ennemis, de tous les hommes, pourvu qu'ils soient vivants, car nous ne pouvons pas prier pour des morts.

§ 330. Nous apprenons par la prière d'Abraham ce qu'est la vraie prière. C'est un entretien de l'âme fidèle avec son Dieu. Elle ne consiste pas, comme quelques-uns le pensent, en de beaux et de longs discours. C'est quelque chose qui est beaucoup plus à la portée de tout le monde qu'on ne le croit communément. Parler à Dieu et écouter ses réponses; voilà la prière. Si Dieu ne nous répond plus d'une voix qui frappe nos oreilles, il nous répond dans le cœur par sa Parole, la Bible, et par son Saint-Esprit; souvent aussi il dirige les événements de manière à nous faire connaître clairement sa volonté.

§ 331. Nous apprenons aussi de la prière d'Abraham avec quel abandon et quelle confiance, mais aussi avec quelle vénération et quelle humilité nous devons invoquer le Seigneur. Puis, elle nous montre la persévérance qui doit caractériser nos prières. Ne craignons pas d'importuner Dieu. Abraham cessa plus vite d'implorer le Seigneur que le Seigneur ne se lassa de lui répondre. Enfin, nous y voyons quels sont les sentiments qui dictent les bonnes prières: ce sont l'amour du prochain et le zèle pour la gloire de Dieu. Quelle belle âme que celle d'Abraham, ou plutôt quels beaux fruits la grâce de Dieu y avait fait mûrir! Comme il aime ces pauvres pécheurs de Sodome, et comme il craint qu'on ne parle mal de l'Éternel et de ses voies!

§ 332. Après cela, nous avons à admirer ici non seulement l'infinie bonté avec laquelle le Seigneur écoute Abraham, mais encore la miséricorde qu'il manifeste jusqu'à la fin. À coup sûr, il ne punit que lorsqu'il le faut. C'est ce que le patriarche sentit parfaitement. Quand il vit qu'il n'y avait pas même dix justes dans la ville, et que le Seigneur l'eût certainement épargnée s'il s'y était trouvé ce petit nombre d'âmes fidèles, le patriarche n'insista pas davantage. Avec un Dieu si bon, il n'y a pas à craindre que le châtiment dépasse l'offense, et, très certainement, nous ne pouvons pas nous flatter d'aimer les hommes plus qu'il ne le fait. Rappelons-nous cette observation, toutes les fois que nous serions tentés de trouver trop sévère la punition dont la Parole de Dieu menace les pécheurs non convertis.

19: 1-11
§ 333. Il est donc bien vrai que la corruption des hommes de Sodome et de Gomorrhe était horrible, puisqu'il ne se trouvait pas dix personnes parmi eux qui eussent cette foi par laquelle on est juste devant l'Éternel. Les deux anges arrivèrent sur le soir à Sodome. Deux anges; voilà ce qu'étaient les hommes qui étaient venus chez Abraham avec le Seigneur. Des anges! Deux de ces êtres excellents en force, en sagesse et en pureté dont l'Éternel s'est plus d'une fois servi pour annoncer de bonnes nouvelles à ses enfants sur la terre; de là leur vient leur nom d'Ange, qui signifie messager. Ceux-ci avaient été revêtus par la puissance de Dieu d'une forme humaine, et c'est auprès de Lot qu'il les envoie avant de détruire l'impie Sodome, cette ville où le neveu d'Abraham avait eu le tort de se fixer! Mais Dieu se montra toujours plein de compassion envers ceux qui lui appartiennent.

§ 334. En lisant les treize premiers versets du chapitre où nous sommes parvenus, vous remarquerez l'empressement avec lequel Lot reçut ces hommes, en qui peut-être il ne vit d'abord que deux étrangers qu'il s'agissait de mettre à l'abri des outrages des méchants hommes de la ville. Vous remarquerez ensuite l'effroyable corruption des habitants de Sodome qui voulaient faire subir aux hôtes de Lot les plus infâmes traitements. Après quoi vous verrez dans la proposition que Lot fit à ces pervers de livrer ses filles à leurs honteuses passions, jusqu'à quel point le sentiment moral peut s'affaiblir, même chez un enfant de Dieu, quand il vit habituellement avec des impies. Lot n'avait point trempé dans toutes les iniquités des gens de Sodome; car il est écrit (2 Pierre II, 8) que son âme juste s'affligeait au spectacle de leurs turpitudes; il sentait qu'il devait, à tout prix, protéger ses hôtes contre leurs horribles entreprises; mais il eut dû comprendre qu'il n'est jamais permis de faire le mal pour que le bien en arrive. Vous remarquerez, enfin, commentées hommes abominables, XIX irrités de la résistance de Lot, se jettent sur lui, le menacent de lui faire un parti pire encore.

§ 335. Quand les choses en furent à ce point extrême, le Seigneur fit voir à Lot, sans grande peine, qu'il est puissant pour délivrer et qu'il n'a pas besoin que nous le secondions par nos inventions quelquefois bien coupables. Ses anges, prenant Lot par la main, les retirèrent dans la maison, dont ils tinrent la porte de manière à ce que nul ne pût l’ouvrit; puis ils répandirent sur les hommes de Sodome un esprit d'aveuglement et de trouble qui les dérouta complètement. C'est ainsi que, bien souvent, l'Éternel dissipe les conseils des méchants et qu'il délivre son peuple.

19: 12-16
§ 336. Alors, sans doute, Lot comprit que ces deux hommes étaient des envoyés de l'Éternel, et tout cela dut le préparer merveilleusement à recevoir leur message. Aussi n'hésita-t-il pas à les croire. Mais il n'en fut pas de même de ses futurs gendres. Ceux-ci, pleins d'impiété dans le cœur, tournèrent en ridicule ce qui leur fut dit de la part du Seigneur, précisément de la même manière que les moqueurs au temps du déluge. Lot, lui-même, ébranlé peut-être par les propos de ses gendres, montra quelque hésitation lorsque le moment de partir fut arrivé. Mais Dieu est si bon que les anges le prirent par la main et l'entraînèrent; avec lui, sa femme et ses deux filles.

19: 17-25
§ 337. Il fallait maintenant, pour obtenir vie sauve, qu'ils atteignissent promptement la montagne voisine; mais Lot, craignant de ne pas en avoir le temps, supplia le Seigneur de préserver, pour l'amour de lui, la petite ville de Tsohar qui était dans la plaine, et cette demande lui fut accordée. Il s'agissait, en effet, de se hâter, car Lot était sorti de Sodome à l'aube du jour, et au lever du soleil, comme il entrait à Tsohar, il plut des cieux du souffre et du feu, et tout ce territoire avec ses habitants, subit une destruction bien plus épouvantable que celle du déluge. La Mer Morte couvre maintenant une vallée autrefois si magnifique, et la contrée environnante semble avoir essuyé, hier seulement, ce terrible jugement de Dieu.

19: 26
§ 338. Les habitants de Sodome et de Gomorrhe ne furent pas les seuls qui périrent. La femme même de Lot, par un regret coupable pour un monde que Dieu avait maudit, voulut, à ce qu'il paraît, retourner en arrière; mais elle fut enveloppée par la catastrophe, et son corps devint semblable à une statue, ou plutôt à une colonne de sel; c'est-à-dire qu'il fut comme cristallisé et qu'il resta là pour servir de monument à la justice divine contre ceux qui ne sont pas droits de cœur.

19: 27-29
§ 339. Abraham ayant, dès le matin, gravi le sommet de la montagne qui domine la vallée, il eut sous les yeux ce terrible spectacle. Je n'essaierai pas de décrire les sentiments qu'il dut lui inspirer. Pour nous qui le contemplons de loin, nous avons à faire là-dessus de bien sérieuses réflexions. Ce magnifique pays détruit par l'Éternel il y a plus de trente-huit siècles, est une image de notre monde tout entier, que Dieu consumera pareillement par le feu, au jour de la destruction des hommes impies (2 Pier. III, 7); les gendres de Lot représentent cette masse d'incrédules qui se moquent des jugements de Dieu; Lot, malgré ses torts fort graves, est l'image de ceux que Dieu sauvera de la destruction éternelle. Or, nous voyons clairement, par son exemple, que le salut vient de Dieu. Il faut aussi que le Seigneur nous prenne par la main pour nous sortir du monde de péché au milieu duquel nous vivons. Il nous montre le Ciel qui est la montagne où nous devons-nous réfugier, et la petite Tsohar (ce mot veut dire petit) est une image de l'Église ici-bas, savoir de l'assemblée toujours si peu nombreuse des sauvés. Et comme il fut dit à Lot que le feu du ciel ne descendrait pas qu'il ne fût entré à Tsohar, il faut de même que le nombre des élus de Dieu, dont se compose son Église, soit accompli avant que la fin de toutes choses arrive.

§ 340. Quant à la femme de Lot, sur qui notre Seigneur attire principalement l'attention de ses disciples en St.-Luc, chapitre XVII, verset 32, elle est le triste représentant de ceux qui n'ont qu'une foi morte: or, parmi les hommes à qui l'Évangile est prêché, c'est hélas, le plus grand nombre. Combien, en effet, qui ne nient pas les vérités de la Parole de Dieu, qui ne s'en moquent pas, qui, pour en temps, ont l'air de suivre les enfants de Dieu, mais dont le cœur est partagé entre le ciel et la terre et qui se privent ainsi du salut. Mes chers lecteurs, «souvenez-vous de la femme de Lot,» abandonnez de tout votre cœur le monde et ses convoitises et hâtez-vous de prendre votre refuge dans l'Église vivante de Jésus-Christ.


XXIX. Naissance de Moab et d'Isaac.


19: 30-35
§ 341. Lot commit peut-être une faute en quittant Tsohar, où il était par la permission du Seigneur. Effrayé du spectacle dont il avait été le témoin, il oublia que, sous la garde de Dieu, l'on n'a rien à redouter, et, pour fuir un danger imaginaire, il s'exposa à un danger bien plus réel, quoiqu'assurément il ne pût le prévoir. Ses deux filles, à ce qu'il paraît, ne s'étaient que trop imprégnées de la contagion qui régnait à Sodome. Par le plus funeste oubli de Dieu, elles conçurent une de ces idées désordonnées que Satan souffle au cœur mauvais de l'homme et qui ne s'accomplissent que trop aisément lorsqu'on ne vit pas en la présence de Dieu. Dans la crainte de demeurer à toujours privées de maris et de postérité, ces malheureuses filles méditèrent et consommèrent le crime le plus révoltant. Ce fut l'aînée qui en forma la première l’odieux projet et qui entraîna sa sœur cadette; comme on voit bien souvent dans les familles ceux qui devraient être en bon exemple, exciter les autres au mal. Cependant, les filles de Lot connaissaient trop leur père pour imaginer qu'il tremperait volontairement dans une pareille abomination; c'est pourquoi, elles commencèrent par attenter à sa raison en l'enivrant, afin qu'il n'eût ni la conscience, ni le souvenir de l'effroyable iniquité qu'elles lui faisaient commettre.

§ 342. C'est assurément une horrible histoire que celle-là. Il faut qu'elle soit bien vraie pour que Moïse nous l'ait racontée; et si Dieu a voulu que nous la trouvassions dans sa Parole, c'est sans doute à cause des graves leçons qu'elle renferme. D'abord, nous y avons, après l'histoire de Noé, une nouvelle preuve des dangers auxquels on expose son âme par l'abus des liqueurs enivrantes. Hélas! combien d'hommes qui, ayant bu avec excès, se sont, pour ainsi dire, réveillés de leur sommeil tout couverts du sang d'un de leurs semblables. Dans leur ivresse, ils prirent une arme, ils frappèrent, ils furent meurtriers sans le savoir. Pareillement aussi, Lot commit un horrible inceste dans l'ignorance de soi-même où il s'était plongé. Combien de jeunes gens qui, échauffés par les fumées du vin, laissent de côté toute pudeur et entrent dans une voie de souillures qui conduit d'ordinaire à la plus complète impiété!

§ 343. Nous apprenons aussi, par cette histoire des filles de Lot, à quels désordres on arrive quand on oublie Dieu. Ceux qui demeurent insensibles aux châtiments et aux délivrances du Seigneur, ce qui fut le cas des filles de Lot, n'ont plus rien qui puisse retenir le cours de leurs passions. Et si quelque crainte terrestre s'empare de leur âme, il n'est quoi que ce soit qu'ils ne fassent pour s'en délivrer. La mauvaise crainte, que de péchés elle fait commettre! On craint la pauvreté, on craint les moqueries, on craint de perdre un bon établissement, on craint d'échouer dans une entreprise; et, pour éviter des maux si grands aux yeux de la chair, on se précipite dans le mal le plus grand qui se puisse, dans le seul mal qu'il soit permis de craindre par dessus tout: le péché; quelquefois, dans une longue suite d'horribles péchés.

19: 36-38
§ 344. Mais le Seigneur a eu d'autres raisons encore pour enregistrer en son Livre le récit qui nous occupe. Il fait connaître l'origine de deux nations qui, plus tard, eurent de nombreux rapports avec le peuple d'Israël; je veux dire les Moabites et les Hammonites. Il ne faut pas oublier, en lisant la Genèse, que Moïse l'écrivit dans le désert, lorsque les Israélites étaient près d'entrer au pays de Canaan; or, les Moabites et les Hammonites en occupaient les frontières orientales, et le Seigneur voulut faire savoir aux Israélites que ces deux peuples étaient en relations de parenté avec eux, puisqu'ils descendaient l'un et l'autre du neveu d'Abraham. Ce qui est surtout à remarquer, c'est qu'environ cent ans après la mort de Moïse, une Moabite, cette Ruth dont nous avons l'histoire après le livre des Juges, épousa Booz, de la tribu de Juda. D'elle naquit Obed, d'Obed Isaï, et d'Isaï le roi David. Or, non seulement vous savez le grand rôle que joua David au milieu du peuple de Dieu, mais encore vous n'ignorez pas que notre Seigneur Jésus-Christ est descendu de lui, selon la chair. De cette manière, l'histoire des filles de Lot se lie à l'histoire même de notre Sauveur. Vous comprenez, en conséquence, que Dieu ait voulu qu'elle nous fût racontée.

20: 1-7
§ 345. Avant de nous rapporter la naissance d'Isaac, l'historien sacré mentionne un fait peu honorable pour Abraham. C'est la répétition de la faute qu'il avait commise vingt ans auparavant en Égypte. Combien il devait en coûter à Moïse pour retracer des événements si contraires à l'honneur du père de son peuple! mais il écrivait sous la dictée du Dieu de vérité, et Dieu voulait que nous vissions comment les fidèles eux-mêmes peuvent retomber dans leurs anciens péchés, lorsqu'ils oublient, ne fût-ce qu'un moment, les leçons de la foi et celles de l'expérience. Et puis, de quelle bonté ne voyons-nous pas que Dieu use envers ses enfants! Malgré la faute que commet Abraham, le Seigneur ne laisse pas de le protéger. Il semble qu'il veuille par ses compassions mêmes agir sur son cœur; et c'est bien ainsi qu'il en use souvent avec nous; de sorte que nous devons nous humilier quand Dieu nous bénit, encore plus, si cela se peut dire, que lorsqu'il nous châtie. La crainte qu'Abraham éprouva chez le roi de Guérar, atteste enfin que le Seigneur avait opéré en Sara un miracle complet. Il avait renouvelé sa jeunesse. Aussi allait-elle avoir finalement le bonheur de devenir mère du fils que l'Éternel avait promis.

§ 346. Il est aisé de concevoir la joie qu'éprouvèrent Abraham et Sara, lorsque ce fils leur fut donné. Ils avaient l'un cent ans et l’autre quatre-vingt-dix. Vingt-cinq années s'étaient écoulées depuis qu'ils étaient entrés en Canaan. Enfin, voilà celui de qui naîtra la véritable postérité d'Abraham, celui qui héritera de toutes les promesses. Ils le circoncirent le huitième jour, selon le commandement de Dieu, et les Juifs continuent cet usage. Ainsi Isaac reçut le sceau de la justification par la foi, avant qu'il pût croire aux promesses; mais en mettant sur sa personne ce signe de l'alliance de grâce, c'était dire qu'il avait besoin, pour être un véritable enfant de Dieu, que le Seigneur lui renouvelât le cœur et lui donnât la foi d'Abraham son père.

§ 347. Le nom de cet enfant fut Isaac, ce qui en hébreu signifie rire. Sara exprime elle-même pourquoi ses parents l'appelèrent ainsi. Ils voulaient avoir dans son nom un mémorial de la joie que sa naissance leur avait inspirée. Ce nom leur rappelait aussi le mouvement d'incrédulité qu'ils avaient ressenti l'un et l'autre une année auparavant. Y prirent-ils garde? C'est ce qu'on ne saurait affirmer. Il se pourrait bien aussi que Sara ne comprît pas la portée des paroles prophétiques qui sortirent alors de sa bouche: «Tous ceux qui l'apprendront se réjouiront avec moi.» Oh! oui, quand nous pensons que c'est d'Isaac qu'est descendu Jésus-Christ, et qu'en plus d'un point Isaac a été, comme nous le verrons bientôt, une prophétie vivante de Jésus-Christ, nous avons, nous aussi, de quoi nous réjouir en pensant à sa naissance.

20: 8-11
§ 348. Il y a tout lieu de croire, d'après l'usage qui se conserve parmi les Juifs et qui existe chez quelques peuples de l'Orient, qu'Isaac fut allaité par sa mère pendant deux ou trois ans. À ce moment, il y eut une fête de famille chez Abraham. Mais hélas, au milieu des pauvres humains, les pleurs, triste effet du péché, logent tout près de la joie. Abraham avait eu déjà beaucoup à souffrir en son cœur, par suite de ses relations avec Agar, et il n'était pas au bout de ses peines. Ismaël, qui était maintenant un jeune homme de seize à dix-sept ans, jaloux de ce qu'on faisait pour son frère cadet, le témoigna de manière à froisser les sentiments de Sara. Celle-ci, vive et passionnée, demanda formellement d'éloigner Agar et son fils, en se fondant sur ce que celui-ci ne devait point partager l'héritage d'Isaac. Ce fut un coup sensible pour le patriarche, qui, tout en aimant tendrement le fils de la promesse, ne pouvait pas cependant ne point aimer celui qui s'était élevé sous ses yeux et qui lui paraissait de si grande espérance.

20: 12-14
§ 349. Comme Abraham entretenait cette douleur dans son âme, et que peut-être il la racontait à son Dieu, il reçut de lui un commandement et une promesse, ces deux choses qui marchent toujours de front dans la Parole divine. Le commandement c'était d'accorder à Sara ce qu'elle demandait, parce qu'en effet Isaac était seul tenu pour vrai fils; la promesse était celle que le Seigneur avait faite précédemment à Agar au sujet d'Ismaël, savoir qu'il serait aussi le père d'une nation parce qu'il sortait d'Abraham. C'est ici que nous allons retrouver dans le patriarche les traits caractéristiques d'un enfant de Dieu. Malgré la grandeur du sacrifice qui lui était ordonné, il n'hésite pas un seul moment; se hâtant d'obéir à Dieu, il se lève de bon matin, congédie sa servante et son fils, et les remet à la garde du Seigneur, ce qui explique pourquoi il les renvoya si mal pourvus des choses nécessaires à un voyage qui du reste ne devait pas être long.

20: 15-21
§ 350. Cependant, Agar et son fils n'étaient pas au terme d'un chemin dont ils ignoraient l'issue, lorsqu'ils furent dans la plus grande détresse où l'on puisse se trouver. Au milieu du désert, l'eau vint à leur manquer, Ismaël, jeune homme vigoureux pourtant, succomba le premier à la fatigue et à l'épuisement, comme on voit toujours les personnes d'âge plus mûr, telle qu'était Agar, résister sans trop de peine à des privations sous lesquelles plient et se brisent des jeunes gens en qui le besoin d'aliments est plus impérieux. Agar se mit à pleurer. Dans son désespoir, elle s'éloigna de son fils pour ne le point voir mourir. Ismaël, de son côté, poussait des cris de détresse. Alors vint l'Ange de l'Éternel, ce même Ange qui était apparu à Agar au puits du Vivant qui me voit, dix-sept ou dix-huit ans auparavant. C'était bien en effet le Seigneur; car qui est-ce, si ce n'est l'Éternel lui-même, qui peut dire d'un jeune homme: «Je le ferai devenir une grande nation!» Ce fut donc le Seigneur, l'Ange de Dieu, ou Dieu notre Sauveur qui appela Agar, qui la consola d'un ton plein de miséricorde et qui lui montra une eau qu'elle n'avait point aperçue tant elle était hors d'elle-même. Car voilà ce qui arrive tous les jours. Dans le trouble et l'agitation de l'âme, on ne voit pas les moyens de grâce que Dieu met à notre portée. Quoi qu’il en soit, Agar put, non seulement se désaltérer elle et son fils, mais encore renouveler sa provision dans la bouteille de peau qu'elle portait avec elle, et de cette manière ils atteignirent bientôt, l'un et l'autre, le désert de Paran. Ce fut là qu'Ismaël s'établit, qu'il épousa une femme de la même nation que sa mère, et qu'il commença la vie aventureuse et nomade qui a été généralement celle de sa nombreuse et illustre postérité, les Arabes (§ 307).


XXX. Le sacrifice d'Abraham.


21: 23-34

§ 351. Avant d'étudier l'important sujet qui se présente maintenant à nous, il y a quelques mots à dire sur l'alliance qu'Abraham traita avec Abimélec. D'abord, ce dut être quelque chose de bien poignant pour le patriarche de s'entendre reprocher indirectement son mensonge. Quoi de plus humiliant en effet pour un enfant de Dieu, que de s'attirer la juste censure des mondains! Rien d'ailleurs ne s'oppose autant à la conversion des âmes. Cependant, il se rencontre toujours quelques personnes, comme Abimélec, qui savent discerner dans les fidèles ce qui est de l'homme et ce qui est de Dieu. Le roi de Guérar n'avait pu méconnaître que l'Éternel était avec Abraham. C'est ce qui lui fit désirer de posséder son amitié, et peut-être avait-il appris du patriarche à connaître Dieu et à croire en sa parole. Quant au nom de Beerséba, qui fut donné à la localité où Abraham et Abimélec se jurèrent fidèle alliance, il signifie le puits du serment. Là fut plus tard une ville qui se trouvait à l'extrême frontière méridionale du pays de Canaan. C'était aussi là qu'Agar avait eu, en dernier lieu, une révélation du Seigneur (§ 350).

22: 1
§ 352. Après ces choses, et assez longtemps après, à ce qu'il paraît, l'Éternel se manifesta derechef à Abraham. Il l'avait appelé jadis à quitter le pays de ses pères pour venir en Canaan, il va lui demander maintenant un plus grand sacrifice. Abraham entend une voix bien connue qui prononce son nom, et, sans savoir encore ce que le Seigneur lui veut: il répond «me voici.» Me voici, ô Dieu, pour faire ta volonté. Où veux-tu que j'aille? Que veux-tu que je fasse? Je suis prêt à tout, moyennant ta grâce: tel doit être le langage du fidèle. C'était une épreuve, et une grande épreuve que l'Éternel destinait à son serviteur. Lorsque Dieu nous envoie des afflictions, ou qu'il nous ordonne des choses difficiles, on dit qu'il nous éprouve. Cela signifie que, dans l'intérêt même de notre foi et de notre piété, comme aussi pour sa gloire, il veut exercer notre obéissance. Mais, donner à notre obéissance l'occasion de s'exercer, c'est aussi nous exposer à désobéir; et voilà pourquoi le même mot qui veut dire éprouver, signifie aussi tenter. Ainsi Dieu éprouva, ou tenta Abraham. Ce qui ne doit pas s'entendre comme si Dieu eût excité son serviteur à la révolte; au contraire, il l'invite à l'obéissance; mais il le place dans une position où sa foi pouvait être aisément ébranlée.

22: 2
§ 353. Le Seigneur ne dissimule point à Abraham la grandeur du sacrifice qu'il exige de lui. Il s'agit de prendre lui-même, et tout de suite, son propre fils, son fils devenu unique par le départ d'Ismaël, son fils tendrement aimé, son Isaac, c'est-à-dire toute sa joie, pour faire de lui ce que Dieu seul, le souverain Créateur des cieux et de la terre, avait bien le droit d'ordonner, mais ce que jamais cœur paternel ne saurait regarder comme possible. C'est-à-dire qu'il s'agissait pour Abraham de montrer qu'il aimait Dieu plus que toutes choses au monde, plus que ses propres dons, plus qu'un être pour lequel Abraham se serait assurément immolé volontiers s'il l'eût fallu. Je ne pense pas que, dans aucun temps, Dieu ait demandé à quelqu'un de ses serviteurs un acte plus grand de renoncement.

§ 354. Et ce qui rendait l'épreuve particulièrement grave, c'est que Dieu semblait se mettre en contradiction avec lui-même; là était essentiellement la tentation de désobéir. Eh! quoi, pouvait dire à Abraham celui qui pousse au péché, eh! quoi, l'Éternel t'a dit qu'en Isaac serait ta postérité et maintenant il te le redemande! Ne dois-tu pas, en lui désobéissant, lui montrer la foi que tu as dans sa promesse? N'est-ce pas là peut-être ce qu'il attend de toi? Mais non; jamais, et sous aucun prétexte l'enfant de Dieu ne désobéit volontairement à son Père céleste. Un commandement positif va avant tout et décide tout. Pour ne prendre qu'un exemple: Dieu promet aux siens de les garder, en sorte que personne ne les ravira de sa main. En conclurons-nous que nous n'avons pas besoin d'être attentifs sur nous-mêmes; que ce serait faire injure à Dieu, comme si sa vigilance ne suffisait pas? Non, Dieu a dit: Veillez et priez, et nous n'écouterons aucune voix qui nous dira le contraire.

22: 3
§ 355. Abraham donc obéit aveuglément, et c'est ainsi que nous devons obéir, non pas à l'homme, mais à Dieu. Il obéit avec empressement; il évite tout ce qui pourrait mettre obstacle à son dessein. Taisant probablement à Sara ce qu'il était inutile et peut-être dangereux de lui révéler; ne prenant avec lui que deux de ses serviteurs et un âne avec quelque peu de bois sec propre à s'enflammer promptement; évitant ainsi tout ce qui pouvait éveiller les soupçons, ou seulement les questions, il se met en chemin, marchant à pied avec Isaac son fils,

22: 3
§ 356. Abraham habitait encore dans le midi, à Beerséba (vers. 19); le pays de Morija se trouvait à une certaine distance. Ce fut là qu'exista plus tard la ville sainte et royale de Jérusalem, et le temple de Salomon; pays de montagnes et de collines célèbres, depuis le mont de Sion jusqu'à la montagne des Oliviers et au Calvaire. Deux jours pleins furent employés à ce douloureux voyage; et mille fois, durant ce temps, le cœur du patriarche put être assiégé de mille doutes. Il aimait tendrement ceux qui lui appartenaient; nous l'avons vu à l'occasion de Lot, d'Éliéser, d'Ismaël. Quelle épreuve prolongée que la sienne, et quelle grâce de Dieu ne lui fallut-il pas pour demeurer ferme dans le dessein qu'il avait formé d'obéir au Seigneur. coûte que coûte! Cependant, représentez-vous l'émotion que ce saint homme éprouva lorsque, au troisième jour, il vit de loin le lieu où devait se consommer le sacrifice!

22: 5
§ 357. Pour ne pas avoir à lutter en même temps contre les sollicitations de son cœur et contre celles que pourraient lui faire ceux qui l'accompagnaient, il les laisse au pied de la montagne, en leur disant qu'après avoir rendu leur culte à l'Éternel, lui et son fils, ils reviendraient l’un et l'autre auprès d'eux. Est-ce donc qu'Abraham avait une telle habitude des détours, pour ne pas dire du mensonge, que, dans cette occasion solennelle, il se laisse aller encore une fois à déguiser la vérité? Je ne saurais d'aucune manière le supposer. Non; mais cette parole d'Abraham nous dévoile la pensée qui l'avait soutenu jusque-là. Il espère, contre espérance, que son fils lui sera rendu. Il va pour l'immoler; il l'immolera; mais, plein de confiance en l'Éternel, et sans pouvoir pénétrer comment la chose doit se passer, il attend de quelque manière une délivrance. Assurément ce n'est pas un vain jeu que sa conduite. Il est sérieusement résolu à faire tout ce qui lui a été dit; cependant sa foi et sa confiance demeurent entières, malgré tout ce qui semblerait devoir les ébranler. Ce sont là de saintes opérations de l'Esprit de Dieu qu'il faut avoir éprouvées pour les comprendre; mais il n'est pas de fidèles qui n'en sachent quelque chose.

22: 6-8
§ 358. Le moment difficile est arrivé. Jusqu'ici Abraham s'était borné à dire qu'il allait sacrifier sur la montagne de Morija, et cela était vrai. Maintenant, son fils, qui marche à côté de lui chargé du bois destiné à allumer le bûcher, lui demande avec une touchante simplicité où était la victime pour l'holocauste. Quelle réponse lui fera le pauvre père? La réponse de la foi: «Mon fils, Dieu se pourvoira lui-même pour l'holocauste.»

22: 9, 10
§ 359. Enfin, il faut bien révéler à Isaac toute la parole de l'Éternel, Quoique Abraham l'ait appelé l'enfant (verset 5), ce n'est pas à dire qu'il fût assez jeune pour que son vieux père eût pu s'en rendre maître malgré lui. Souvent, dans les estampes de la Bible, on représente Isaac sous les traits d'un fort jeune garçon; mais je ne saurais assez dire combien il faut peu se fier à ces peintures faites quelquefois par des hommes qui étaient sans connaissance du texte sacré. Ismaël est aussi appelé l'enfant (Chap. XXI, -15 , 46.), bien qu'il dût avoir 17 ans environ, puisqu'il était âgé de 14 ans quand Isaac naquit. Quant à ce dernier, il ne fallait pas qu'il fût jeune et faible pour porter le bois de l'holocauste. Il avait 37 ans lorsque Sara mourut, comme nous le verrons au chapitre suivant, et il ne paraît pas qu'elle ait vécu longtemps encore, depuis qu'Abraham lui eut ramené son fils. En sorte que, selon l'opinion la plus commune, j'estime qu'Isaac avait au moins trente ans lorsque son père le lia et le plaça sur le bois de l'autel pour l'immoler selon l'ordre de Dieu. Il y avait donc en Isaac la même foi et la même obéissance qu'en Abraham; seulement le sacrifice était moins grand de sa part, puis» qu'il allait passer dans le repos de son Dieu, tandis XXII qu'Abraham demeurerait seul sur la terre.

22: 11-14
§ 360. Au reste, la foi de ces deux serviteurs de Dieu ne fut pas trompée. Abraham se disposait à frapper, quand il entend, ô bonheur! la voix de son Seigneur lui-même. «Me voici,» dit Abraham plein de joie; comme il avait dit: «me voici,» pour l'obéissance. Bienheureux, en effet, ceux qui auront avec soumission écouté la voix de leur Dieu; ils n'éprouveront que paix et joie lorsque cette même voix les appellera au grand jour de la rétribution finale. Qui est, du reste, cet Ange de l'Éternel qui crie: Abraham! Ah! c'est vraiment le Seigneur, puisqu'il lui dit: «J'ai connu que tu crains Dieu, puisque tu n'as pas épargné ton fils, ton unique Pour Moi.» Parlant toujours à la manière des hommes, il dit: «J'ai connu,» quoiqu'il connût très bien Abraham (Chap. XVIII, 19); mais c'était pour dire: «Maintenant tu as montré ta foi par tes œuvres; et lorsque dans la suite des temps les hommes voudront savoir par ton exemple quelle est la foi qui justifie, ils sauront que c'est celle qui, s'appuyant sur mes promesses, produit la soumission du cœur et une prompte obéissance à ma volonté.»

§ 361. Mais si l'Éternel rend Isaac à son père, il veut toutefois qu'une victime soit immolée à sa place. Cette victime, il la fournit lui-même, soit qu'il l'ait créée pour cette occasion, soit qu'il ait fait que ce bélier se soit accroché par les cornes à quelque buisson, pour servir au sacrifice. Ainsi, toujours la même leçon dans toute la Bible. Depuis que l'homme est devenu pécheur, il faut un sacrifice, il faut une effusion de sang, il faut qu'une victime soit substituée à l'homme et c'est Dieu qui y pourvoit dans sa miséricorde.

§ 362. En mémoire de cette délivrance, et comme prédiction de ce qui devait arriver plus tard sur les mêmes montagnes de Morija, Abraham , prophète de l'Éternel, ainsi qu'il est dit au chap. XX, vers. 7, appela ce lieu-là L'ÉTERNEL Y POURVOIRA. (Jéhovah-irehé), et de bouche en bouche ses enfants se transmirent cet oracle: Il y sera pourvu en la montagne de l'Éternel. — «L'Éternel y pourvoira,» c'est, je l'ai dit, la parole de la foi. Marchons selon Dieu, et quand il s'élèvera dans nos cœurs quelque mauvaise crainte, quelque doute, quelque défiance, répétons avec assurance: «l'Éternel y pourvoira.» — «Il y sera pourvu en la montagne de l'Éternel!» telle est la parole prophétique. À quoi donc a-t-il été pourvu sur cette montagne? À votre salut et au mien, mes chers lecteurs. C'est là que notre Jésus, fils d'Abraham et d'Isaac selon la chair, est venu, qu'il a parlé, qu'il a souffert, qu'il est mort et qu'il est ressuscité pour nous donner la vie éternelle. Si la prophétie était obscure au temps d'Abraham, les événements se sont chargés de la colorer d'une vive lumière.

§ 363. Mais il y a ici plus qu'une prédiction ordinaire. Toute l'histoire du sacrifice d'Abraham nous parle de Jésus-Christ et du salut. Ce père qui offre en sacrifice son fils, son unique, celui qu'il aime, son Isaac, ne vous ferait-il pas penser à notre Père céleste, qui nous a donné son Fils unique et bien-aimé Jésus, le Sauveur, dont la naissance fut un grand sujet de joie pour tout le peuple de Dieu? Quand vous voyez Isaac montant à pied la sainte montagne chargé du bois pour l'holocauste, ne voyez-vous pas Jésus marchant au Calvaire en portant sa croix? Jésus avait à peu près l'âge d'Isaac quand il prit sur lui le poids d'une malédiction plus terrible que les flammes d'un bûcher. Il s'y est soumis volontairement, de même qu'Isaac se préparait à le faire. Par sa résurrection, il est retourné auprès de son Père, comme Isaac fut rendu au sien par une espèce de résurrection. Et pour qu'il ne manque rien à la ressemblance, le bélier qui est immolé à la place d'Isaac, ce bélier qui est Isaac par substitution, figure Jésus-Christ versant son sang et mourant réellement à notre place.

§ 364. L'histoire d'Isaac est donc une prophétie en action dont Jésus-Christ est l'accomplissement. C'est ce qu'on appelle un type ou une figure. On en reconnaît de deux sortes: les faits et les institutions qui, dans l'intention de Dieu, étaient destinés à annoncer des événements futurs, ou à prêcher certaines doctrines; puis les faits et les institutions qui, entendus allégoriquement, présentent des leçons analogues à celles qu'on trouve dans la Bible, mais sous une autre forme. Nous en avons déjà vu plusieurs de l'une et de l'autre sorte, quoique je ne leur aie pas encore donné ce nom. L'Éden était type du Ciel. Les sacrifices d'Abel et de Noé étaient des types du sacrifice de Jésus-Christ. Abel lui-même, qui mourut victime de la méchanceté de son frère, fut en cela un type de Jésus-Christ, Enoch, enlevé au Ciel, est le type de l'Ascension de Jésus-Christ. L'arche de Noé est type du salut que ce même Jésus nous a acquis. La vocation d'Abraham est le type de notre vocation céleste en Jésus-Christ. La destruction de Sodome, comme le déluge, est type de la fin du monde; Lot, type des fidèles; ses gendres, types des pécheurs manifestement non convertis; et sa femme, type des chrétiens de nom, qui ne possèdent qu'une foi morte. Quand on pense combien sont importants et magnifiques tous les faits qui se rattachent à notre rédemption par Jésus-Christ notre Sauveur, on ne s'étonne pas que Dieu les ait prédits, non seulement par des paroles, mais encore par des faits propres à les figurer d'avance. C'est à cela que le sacrifice d'Isaac fut particulièrement destiné.


XXXI. Renouvellement de la promesse. — Mort de Sara. — Mariage d'Isaac.


22: 15-18

§ 365. Pour la cinquième fois au moins l'Éternel daigna faire entendre à Abraham les magnifiques promesses qui constituaient son alliance avec lui et sa postérité. Il ne faut pas nous étonner de ce retour fréquent des mêmes paroles; car, d'un côté, Dieu ne pouvait rien dire à son fidèle serviteur qui fût plus propre à le réjouir, et, d'un autre côté, l'on doit prendre garde qu'il s'était écoulé plus de cinquante ans depuis que Dieu avait fait à Abraham la première promesse. Notre cœur est si oublieux, lorsqu'il s'agit de la parole du Seigneur, que nous ne saurions trop la lire et la relire. À défaut de parole écrite, il fallait bien qu'Abraham s'entendît répéter, de la bouche même de l'Éternel, ce qui seul était le principe vivant de son obéissance et de son amour.

§ 366. Ce fut avec une solennité toute particulière que le Seigneur s'adressa pour la dernière fois à Abraham. «J'ai juré par moi-même, dit l'Éternel» — Quand les hommes veulent qu'on ne doute pas de la vérité de leur parole, ils jurent par le nom de Dieu; mais comme Dieu n'a personne de plus grand que lui, il jura par lui-même. Il voulut de la sorte qu'Abraham se tînt pour parfaitement assuré que les promesses ne pouvaient, en aucune manière, manquer de s'accomplir.

§ 367. Mais quelles sont ces promesses? Ce sont au fond les mêmes que le Seigneur avait faites au patriarche lors de sa vocation (chap. XII), après sa séparation d'avec Lot (chap. XIII), à son retour de la guerre contre les rois (XV) et une année avant la naissance d'Isaac (XVII); on y voit cependant trois différences qui méritent d'être signalées. D'abord, le mot de nations au lieu de celui de familles, ce qui montre mieux encore que la bénédiction promise à Abraham et à sa postérité ne devait pas avoir pour unique objet la nation juive. Puis, le mot semence ou postérité à la place du mot toi, qui se trouve au chapitre XII. Par où l'on apprend dans quel sens toutes les nations de la terre seront tôt ou tard bénies en Abraham. Dieu voyait d'avance la nombreuse postérité de son serviteur, et, dans cette postérité, il voyait surtout Jésus, notre Sauveur, qui est le fils d'Abraham selon la chair, mais aussi le Fils unique du Père, l'Ange Jéhovah, lequel parlait à Abraham. C'est en Lui proprement que toutes les nations de la terre doivent être bénies, et déjà, grâce à son infinie charité, cette promesse est en partie réalisée. Remarquons, enfin, ces mots: «Ta postérité possédera la porte de ses ennemis;» ce qui signifie que, soit les Israélites, soit le peuple des fidèles en général, soit notre Seigneur Jésus-Christ en particulier, auraient des ennemis, mais que Dieu finirait par les leur assujettir; or, nous retrouverons plus d'une fois cette parole.

§ 368. Voyez ici comment la Révélation divine va se développant et s'éclaircissant par degrés. Quand Dieu fit à Adam la première promesse d'un Rédempteur, tout ce qu'on pouvait comprendre, c'est que ce Rédempteur serait homme, né d'une femme. Dans la prophétie de Noé, on découvre que l'homme promis sera de la race de Sem, et non pas de celles de Cam, ni de Japhet. Maintenant, il est clair que, parmi les descendants de Sem, c'est Abraham qui, par Isaac, est destiné à être le père du Rédempteur. Plus tard, nous verrons le champ se resserrer toujours plus, et la prophétie marquer d'abord celui des fils d'Isaac qui hériterait de la promesse, puis la tribu d'Israël d'où le Messie devrait naître, et ensuite, dans cette tribu, la famille à laquelle il appartiendrait. Mais je ne veux pas trop anticiper.

§ 369. Il est encore sur le sujet qui nous occupe une remarque très importante. Tout en renouvelant à Abraham ses promesses, le Seigneur indique les motifs pour lesquels il lui accorde une telle grâce: «Parce que.» dit-il, «tu n'a pas épargné ton fils, ton unique ( v. 16),» et que tu as obéi à ma voix» ( v. 18 ). Il est bien évident que l'obéissance d'Abraham a été un fruit de sa foi, que sa foi elle-même n'a pas précédé la promesse; que, par conséquent, c'est la promesse ou la grâce du Seigneur qui a fait d'Abraham un enfant de Dieu, et que ce n'est pas son obéissance qui lui a valu d'être l'objet des promesses et de la grâce du Seigneur. D'un autre côté, il est certain que si Abraham n'avait pas cru et encore de cette foi du cœur qui produit l'obéissance, il se serait privé lui-même de l'effet des promesses. Voilà une première explication de ces mots: «Parce que tu» as obéi à ma voix.»

§ 370. Ils signifient encore autre chose. En général, pour répéter à Abraham ses promesses, Dieu a choisi le moment où le patriarche venait de manifester hautement sa charité et son obéissance (Chap. XIII, XV, XXII); par où il a voulu nous montrer que, si c'est la foi qui nous fait être enfant de Dieu, d'un autre côté, ce qui affermit notre foi, ce sont les fruits de charité et d'obéissance que la grâce de Dieu lui fait rendre. Il ne s'agit pas ici du simple contentement qu'on éprouve quand on a rempli son devoir; c'est bien cela, mais c'est beaucoup plus encore; il s'agit d'un développement et d'un affermissement de cette foi même qui justifie le pécheur. «Abraham» crut à l'Éternel, et sa foi lui fut imputée à justice» (Chap. XV, 6); on pourrait dire aussi: Abraham ayant obéi à l'Éternel par la foi, son obéissance, véritable et sainte justice, fut comme le sceau et la couronne de sa foi.
Ici se termine l'histoire d'Abraham , en tant que père des croyants. Cependant, nous allons voir encore quelques traits intéressants de sa vieillesse.

22: 20-24
§ 371. À la distance où Abraham vivait de sa famille, il était demeuré sans aucune nouvelle de ce qui s'y passait, lorsqu'il apprit enfin que son frère Nacor avait de nombreux enfants, savoir douze fils, huit de Milca et quatre de Réuma; et déjà ces fils de Nacor étaient eux-mêmes devenus pères. Béthuel, entre autres, avait une fille nommée Rebecca, et sans doute qu'Abraham pensa tout de suite qu'elle serait pour Isaac un parti très convenable, si telle était la volonté de Dieu.

§ 372. La volonté de Dieu! Elle est quelquefois bien extraordinaire. Abraham , qui devait être le père d'une nombreuse postérité et qui l'est devenu, n'avait, pour ainsi dire, point de famille encore, lorsque son frère comptait déjà un grand nombre de fils et de petits-fils! Il ne faut donc pas nous imaginer que Dieu abandonne ses desseins parce qu'il met quelquefois certains retards dans leur exécution. C'est afin de rendre celle-ci d'autan plus remarquable. Par exemple, à voir combien il y a encore peu de chrétiens dans le monde, il semble que jamais le temps ne puisse venir où tous connaîtront le Seigneur; mais, quand le moment en sera arrivé, la chose s'accomplira, sans nul doute, avec la plus grande facilité et avec une admirable promptitude.

23: 1
§ 373. Trente-sept ans après la naissance d'Isaac, Sara mourut. Abraham était alors à Hébron, ou Kiriath-Arbah, là où se trouvait la plaine de Mamré (verset 19), c'est-à-dire dans le lieu même qu'occupaient ses tentes lorsque, trente-huit ans auparavant, le Seigneur était venu le visiter (Chap. XVIII). N'est-ce pas que cet endroit devait rappeler à Abraham et à Sara des choses bien propres à les consoler dans leur séparation? Il leur rappelait aussi, et notamment à Sara, une grande faute; mais Sara, néanmoins, partageait la foi et la piété de son mari; en conséquence, nous ne saurions douter qu'elle ne se soit endormie dans la paix de Dieu.

§ 374. Tout ce chapitre rapporte l'acquisition que fit Abraham d'un champ et d'une grotte, appelée la caverne de Macpéla, pour y déposer la dépouille mortelle de sa femme. On y voit comment se faisaient dans ces temps-là les contrats d'achat et de vente. Il n'y avait pas de notaires, ni d'actes stipulés, mais tout se traitait devant témoins. Ce qu'il y a de plus intéressant, c'est d'observer la bienveillance que les gens de l'endroit avaient pour Abraham et l'estime qu'ils faisaient de sa personne.

§ 375. Ce qui n'est pas moins digne de remarque, c'est la condition dans laquelle Dieu voulut qu'Abraham vécût durant son séjour sur la terre. Le père des croyants ne posséda pas un pouce de terrain dans le pays dont le Seigneur lui avait pourtant assuré la propriété perpétuelle. Je me trompe; Abraham finit par y être propriétaire d'un champ; mais pour en faire, quoi? un cimetière. Or, par le fait, les plus riches et les plus puissants d'entre les hommes ne sont pas mieux partagés, sous ce rapport, que ne le fut Abraham. On a beau posséder des maisons, des champs et des vignes, on finit par n'occuper qu'une petite place dans une fosse. N'est-ce donc pas une bien grande folie que de mettre son cœur aux choses de ce monde? — Il y avait là d'ailleurs pour Abraham une instruction toute particulière et qui ne lui échappa point (Hébr. XI, 13-16). Il comprit qu'il existe une autre Canaan, une cité céleste et bien meilleure vers laquelle devaient tendre ses désirs. Il vécut donc ici-bas comme étranger et voyageur, aspirant à une patrie plus excellente, ce que font encore tous ceux qui ont la foi d'Abraham et qui sont, comme lui, des enfants de Dieu.

24: 1
§ 376. Abraham se sentant vieillir, une pensée occupait fréquemment son esprit. Il n'est pas de père qui ne i désire de voir ses fils s'établir; mais Abraham devait le désirer plus que personne; sa foi même l'y.poussait: car c'était en Isaac, il le savait bien, que les promesses auraient leur accomplissement. Selon ces mêmes promesses, Dieu l'avait jusque-là béni en toutes choses; aussi pensait-il que l'Éternel conduirait pour le mieux cette grande affaire. Il ne se trompait pas dans ses espérances, et le chapitre XXIV nous raconte comment se fit le mariage d'Isaac avec sa cousine Rebecca, fille de Béthuel. Je ne doute pas que vous ne lisiez avec un vif intérêt ce récit plein de charme; pour moi, je veux me borner cette fois à de courtes explications, tout en vous signalant quelques circonstances particulièrement instructives.

24: 2
§ 377. On croit généralement que ce serviteur était celui qu'Abraham avait eu jadis la pensée de faire son héritier (Chap. XV, 2, 3). — «Mets la main sous ma cuisse,» ou plutôt sous ma hanche, car le mot hébreu est le même que celui qui se trouve au chapitre XXXII, verset 25; formalité qui semble bizarre et qui était peut-être une simple coutume, comme de nos jours on fait toucher dans la main. Sinon, elle avait quelque chose de bien sérieux. C'est au nom de la postérité dont il devait être le père, qu'Abraham fait jurer son serviteur; or nous savons qui est cette postérité: ce n'est pas seulement le peuple juif (§ 367).

24: 3-4
§ 378. Il y avait peut-être à cette époque, parmi les Cananéens, des jeunes filles honnêtes et pieuses entre lesquelles Isaac eût pu se choisir une femme; mais il ne convenait pas que le chef de la race élue épousât une fille appartenant à une race maudite.

§ 379. Combien était grande l'autorité paternelle qu'Abraham exerçait sur sa famille! Bien qu'Isaac eût alors quarante ans (XXV, 20), non seulement il n'est pas question qu'il se marie sans l'aveu de son père, mais encore il faut que, si le père venait à mourir, il se soumette aux directions du serviteur âgé qu'Abraham institue son tuteur et son guide.

24: 5-9
§ 380. Quand on marche dans la ligne du devoir, on peut être sûr que le Seigneur conduira toutes choses pour le mieux. Quoi qu'il arrive, Abraham ne veut pas que son fils quitte le pays de la promesse: il se confie en Dieu pour le reste. Nous aussi, «cherchons premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes les autres choses nous seront données par-dessus.»

24: 10-14
§ 381. Voyez comme la piété d'Abraham s'était communiquée à ses domestiques; voyez quelle prière simple et fervente Elihéser présente au Seigneur afin qu'il bénisse son voyage; voyez, enfin, le signe auquel il reconnaîtra l'épouse que Dieu destine à son maître: c'est sa bonté envers un étranger et un voyageur tel que lui.

24: 21
§ 382. Le fidèle dont les prières sont exaucées ne devrait pas s'en étonner; mais telle est toujours la petitesse de notre foi, que, même après avoir prié avec une pleine confiance, nous avons peine à en croire nos yeux lorsque le Seigneur nous exauce. Et puis, c'est qu'au fond nous sentons parfaitement que nous sommes indignes des faveurs de Dieu.

24: 22
§ 383. Les présents qu'Elihéser fit à Rebecca étaient sans doute destinés à la convaincre qu'il venait effectivement de la part d'un homme riche et puissant tel qu'était Abraham. Nous avons vu (chap. XIII, vers. 2) d'où il avait cet or, et nous n'ajouterons rien là-dessus pour le moment.

24: 24
§ 384. Ainsi Rebecca était petite-nièce d'Abraham et arrière-cousine d'Isaac, comme on peut le voir par cette table généalogique:

Taré
Abraham
Nacor
I
I
Isaac
Béthuel


I


Rebecca


24: 26-27
§ 385. Nouveau trait de la piété d'Elihéser. Bien des gens demandent à Dieu ses grâces, et ne savent pas l'en remercier quand ils les ont reçues: le serviteur d'Abraham ne faisait pas ainsi.

24: 29-31
§ 386. Laban, frère de Rebecca, était un homme intéressé. Ce qui le porte à croire que cet étranger vient de la part de l'Éternel, ce sont la bague et les bracelets qu'il a vus aux mains de sa sœur.

24: 33-49
§ 387. Quel admirable exemple de fidélité, de désintéressement et de véracité! Bien qu'au terme d'un long voyage, le serviteur d'Abraham ne veut prendre aucun repos qu'il ne se soit acquitté de sa commission, et il raconte de point en point, avec une parfaite exactitude, ce qui lui a été dit, ce qu'il a fait et ce qui lui est arrivé. C'est un beau modèle à imiter par les domestiques; voilà comment aussi nous devons nous comporter dans le service que nous rendons à Dieu.

24: 50
§ 388. Laban et Béthuel! Le fils nommé avant le père! Peut-être que, par suite de quelques infirmités, Béthuel avait dû remettre à Laban la direction de sa famille; peut-être que Laban, d'un caractère vif et dominateur, ne rendait pas à son père l'honneur qui lui était dû. Et pourtant, il y avait dans cette maison une certaine connaissance et une certaine crainte de l'Éternel. Quelque regret qu'ils aient de voir partir Rebecca, ils consentent à la laisser aller; ils ne sauraient se réjouir de cette séparation, mais ils ne sauraient non plus s'en affliger, puisque l'Éternel a parlé. C'est, je pense, ce que signifient ces mots: «Nous ne pouvons dire ni bien ni mal.»

24: 52
§ 389. Toujours plus convaincu que c'était le Seigneur qui avait mené son voyage à bonne fin (vers. 48), le serviteur d'Abraham se prosterne en terre devant l'Éternel; il ne cesse de se montrer animé de la plus vraie piété.

24: 56
§ 390. Et puis, comme il aime son maître! il ne faut pas que rien retarde les bonnes nouvelles qu'il a maintenant à lui apporter.

24: 59
§ 391. L'esclave qui avait nourri Rebecca était, selon l'usage, demeurée à son service; loin de la famille paternelle, elle devait lui tenir lieu de mère. On voit plus tard qu'elle s'appelait Déborah.

24: 62
§ 392. Isaac, homme pieux, savait aussi, comme Abraham et comme Elihéser, ce que c'est que de prier sans cesse. Il ne voulait pour femme que celle que Dieu lui donnerait. Tel était, à cette époque surtout, l'objet de ses prières, et il aimait à les faire dans le lieu où Agar avait vu le Seigneur (Chap. XVI, 1 4).

24: 65
§ 393. Vous remarquerez de vous-mêmes la modestie de Rebecca, et le contraste qu'offre sa conduite avec celle de tant de jeunes filles qui cherchent à attirer les regards sur elles, au lieu qu'elles devraient plutôt les éviter.

24: 67
§ 394. Il y avait trois ans que Sara était morte et Isaac la pleurait encore. La tendre affection qu'il avait eue pour sa mère était un gage de celle qu'il aurait pour sa femme. Du reste, son union avec Rebecca fut une sainte union. Contractée par la volonté de Dieu, sous son regard et après beaucoup de prières, elle ne pouvait autrement que d'être bénie. La passion n'y était pour rien, mais il y avait entre Isaac et Rebecca un même sentiment envers Dieu; par conséquent leur affection réciproque ne pouvait que s'augmenter et se fortifier avec le temps. Il n'y a de mariages réellement bénis que ceux qui reposent sur cette base.



XXXII. Mort d'Abraham. Naissance d'Esaü et de Jacob.


25: 1-4
§ 395. Dieu avait dit à Abraham qu'il serait le père de plusieurs nations. Déjà il avait deux fils. D'Ismaël sont descendus les Arabes, et d'Isaac, nous le verrons tout à l'heure, sortirent deux grands peuples. Toutefois, ce n'était pas assez pour montrer avec quelle puissance l'Éternel accomplit ses desseins et tient ce qu'il a promis. Abraham ayant épousé Kétura, il en eut six fils dont nous avons les noms au verset second de ce chapitre. Les deux versets suivants nous donnent ceux de quelques-uns des fils et des petits-fils d'Abraham par Kétura. C'est celui de Madian qu'il importe le plus de se rappeler, à cause du grand rôle que joua plus tard le peuple dont Madian fut le père. Nous verrons, par exemple, que la femme de Moïse, l'auteur de la Genèse, était Madianite.

25: 5-6
§ 396. Quelques personnes pensent qu'Abraham épousa Kétura du vivant de Sara, et elles se fondent sur ce qu'elle est appelée sa concubine, de même qu'Agar. Mais il se peut très bien que ce nom lui ait été donné par l'unique raison que Sara seule et son fils Isaac avaient eu part à la promesse. Ce fut aussi le motif qui porta Abraham à éloigner de lui tous ses fils, en ne gardant qu'Isaac au pays de Canaan; mais il ne laissa pas de leur donner une part de sa fortune, toute mobilière, en sorte qu'à sa mort Isaac dut être infiniment moins riche que ne l'avaient été ses parents. Cependant on n'est jamais pauvre ni à plaindre quand on a le Seigneur avec soi. En m'exprimant ainsi, je n'entends pas insinuer que les autres fils d'Abraham n'eussent pas la connaissance de Dieu et qu'ils aient été déshérités de sa grâce; mais le Sauveur ne devait pas naître de leur postérité.

25: 7
§ 397. Abraham ayant vécu 175 ans, il s'ensuit qu'au moment de sa mort, Isaac avait 75 ans. Et puisqu'Abraham était né l’an 352 (§ 245), ce fut l'an 527 après le déluge qu'il mourut, ou près de 2000 ans avant la naissance de Jésus-Christ. Tous les patriarches issus de Noé par Sem et ancêtres d'Abraham étaient morts, à l'exception d'Héber qui ne quitta ce monde que quatre ans ensuite (§ 246); mais il demeurait en des contrées fort éloignées du pays de Canaan.

25: 8
§ 398. Abraham, est-il dit, «mourut dans une heureuse vieillesse,» c'est-à-dire après une vieillesse passée dans la paix et dans la grâce de son Dieu, car la Sainte Écriture ne saurait entendre le bonheur d'une autre manière; «rassasié de jours,» ce qui signifie qu'il n'aurait pas désiré de vivre plus longtemps, bien qu'il eût passé sur la terre moins d'années que la plupart de ses ancêtres; enfin il fut «recueilli vers ses peuples,» ou, en d'autres termes, sa dépouille mortelle, déposée dans une terre étrangère, retourna en poudre comme celle de ses aïeux, et de plus l'Éternel recueillit son âme là où étaient celles d'Abel, d'Enoch, de Noé, de Sem et de tous les fidèles morts avant lui.

§ 399. C'est un beau spectacle que celui qui nous est offert par la vie entière d'Abraham. Il ne fut pas exempt de péchés, mais quelle foi que la sienne! quelle piété, quelle charité, quel désintéressement, quelle douceur et quelle fermeté tout ensemble, quel amour de la justice et quelle obéissance sa foi ne produisit-elle pas! Il se considéra sans cesse comme étranger et voyageur sur la terre; aussi toutes ses pensées étaient-elles aux choses de Dieu. Sa carrière fut difficile; nulle épreuve ne lui manqua, mais tout cela tourna, par la grâce du Seigneur, à l'affermissement de ses espérances; et ce qui nous est dit au sujet de sa mort couronne cette belle vie toute consacrée à l'Éternel. Aussi l'on comprend très bien que, lorsque notre Sauveur a voulu parler du bonheur des cieux, il se soit servi, entre autres images, de celle d'une fête de famille où l'on sera assis à table avec Abraham.

25: 9-10
§ 400. Le patriarche fut enterré dans cette même caverne de Macpéla où il avait déposé Sara trente-huit ans auparavant, Ismaël se joignit à Isaac pour lui rendre les derniers devoirs. On voit par là qu'il avait conservé des relations avec la famille de son père, quoiqu’il eût plu à l'Éternel de lui donner ailleurs son héritage.

25: 11
§ 401. Ce qui concerne la mort et la sépulture d'Abraham nous est raconté par anticipation, pour ne pas interrompre le récit qui va nous être fait de la vie d'Isaac et de son fils. Et s'il nous est dit qu'après la mort d'Abraham Dieu bénit Isaac, cela signifie qu'il transféra sur lui toutes les promesses qu'il avait faites à son père.

25: 12-16
§ 402. Avant de passer à ce qui concerne Isaac et ses enfants, l'historien sacré nous donne les noms des douze fils qu'eut Ismaël. De ces douze noms, il faut se rappeler surtout ceux de Nébajoth et de Kédar, parce que la Bible désigne quelquefois toute la postérité d'Ismaël sous l'un et l'autre de ces deux noms.

25: 17-18
§ 403. Ismaël mourut à l'âge de 137 ans. Comme Abraham avait 86 ans lorsqu'Ismaël naquit, il en résulte que celui-ci survécut de quarante-huit ans à son père. Il est dit de lui, comme d'Abraham, qu'il fut recueilli vers ses peuples. — Puis on voit, par le verset 48, que les tribus Ismaélites ne tardèrent pas à étendre leurs tentes sur un vaste territoire au sud et à l'est du pays de Canaan. De cette manière, il vint un moment où elles se trouvèrent partout en présence des autres peuples issus d'Abraham, comme l'Ange l'avait dit à Agar (Chap. XVI, 12).

25: 19-21
§ 404. Moïse reprend maintenant l'histoire d'Isaac à l'époque de son mariage, lorsqu'il avait quarante ans. La première chose qu'il nous raconte, c'est l'épreuve à laquelle sa foi fut soumise par la volonté de Dieu. En suite des promesses faites à Abraham, Isaac pouvait s'attendre que le Seigneur lui donnerait promptement des enfants et qu'il aurait une nombreuse famille. Au lieu de cela, il se trouva que Rebecca était stérile. De cette manière, le Seigneur rendit d'autant plus frappant l'accomplissement de la promesse; mais, pour le premier moment, Isaac, et Abraham qui vivait encore, durent avoir bien de la peine à comprendre une dispensation si mystérieuse de la providence.

§ 405. L'épreuve dura vingt années, comme on le voit par le verset 26. Pendant tout ce temps, Isaac ne cessa de supplier le Seigneur de lui accorder des enfants. Il comprenait que, s'il est des grâces que nous devons demander à Dieu avec une certaine réserve, il en est d'autres qu'il ne faut pas se lasser d'implorer de sa miséricorde. Le vœu d'Isaac était te vœu même de la foi, et non le simple désir naturel de se voir une postérité; ce qu'il réclamait, c'était une grâce spirituelle et non un bien temporel. Et puis il se sentait encouragé par la promesse que Dieu avait faite à Abraham. Car il n'était pas de ceux qui disent: Dieu l'a promis; nous n'avons donc pas besoin de le lui demander. Au contraire, c'est bien plutôt si Dieu n'avait rien promis que nous n'aurions rien à réclamer de sa grâce. Par exemple, le Seigneur s'est engagé à conduire ses enfants par son Saint-Esprit; mais c'est précisément à cause de quoi il faut implorer ce divin secours. Ainsi encore, il a déclaré que son règne s'étendra sur toute la terre, et voilà pourquoi nous devons l'invoquer en disant: «Que ton règne vienne!»

25: 22-23
§ 406. La prière d'Isaac fut exaucée. Après vingt années, Rebecca devint enceinte. Sa délivrance approchant, elle s'aperçut que quelque chose d'extraordinaire se passait en elle. Tout émue, elle s'en alla probablement auprès d'un des autels qu'Abraham avait élevés, et là elle exposa devant l'Éternel l'état de son âme. Alors elle apprit du Seigneur qu'elle portait deux enfants en son sein; que les deux frères ne seraient pas pères d'une seule et même nation, mais qu'ils deviendraient chacun la tige d'un peuple à part; que ces deux peuples n'auraient pas une égale puissance, et que, finalement, celui des deux qui d'abord serait le moindre l'emporterait de beaucoup sur le plus grand. Nous verrons par la suite comment cette prophétie se réalisa dans les Iduméens et les Israélites, peuples issus, l'un d'Esaü et l'autre de Jacob, les deux fils que Rebecca devait bientôt mettre au monde. Mais nous pouvons, dès à présent, remarquer que Dieu voulut établir ici clairement la souveraineté de sa grâce, non seulement en n'appelant qu'un des fils d'Isaac à l'héritage de la promesse, mais de plus en proclamant son choix avant qu'ils n'eussent fait ni bien, ni mal.

25: 24-26
§ 407. À leur naissance, il y eut deux circonstances, non pas miraculeuses, mais extraordinaires, qui étaient destinées à corroborer la prophétie. Comme on l'a observé quelquefois chez d'autres enfants, mais peut-être à un moindre degré, Esaü naquit avec un corps très poilu. Puis on vit son frère jumeau vouloir en quelque sorte lui disputer la prééminence. Par cet acte, absolument indépendant de la volonté de l'enfant, l'Éternel avait l'intention de montrer que ce qu'il deviendrait plus tard, il le devrait à la volonté du Seigneur, bien plus qu'à la sienne.

25: 27
§ 408. La naissance de ces deux fils dut être une grande joie pour Abraham. Après les avoir attendus si longtemps (car les épreuves de la foi durent toute la vie), il eut le bonheur de vivre encore quinze ans avec eux. Mais, hélas! peut-être qu'avant sa mort il put déjà prévoir ce que deviendrait Esaü. Peu satisfait de la vie paisible des bergers et de la piété que respirait l'intérieur de sa famille, il ne se plaisait qu'à la chasse, où il devait se trouver en fréquentes relations avec les Cananéens, habitants du pays. Jacob, au contraire, était un jeune homme de mœurs simples et patriarcales comme celles d'Abraham et d'Isaac. Il partageait sa vie entre le soin des troupeaux et la société de ses parents. On voit qu'il y avait chez lui une piété naissante, tandis qu'Esaü prenait au contraire le chemin de la mondanité.

25: 28
§ 409. Cependant Isaac avait un faible pour son fils premier-né, et la cause que nous en donne l'Écriture ne lui fait guère honneur. Isaac aimait avec passion le gibier, et son fils Esaü lui en fournissait en abondance; de sorte que ce n'était pas proprement Esaü qu'il aimait, mais les viandes dont il le régalait. Il en est ainsi de presque toutes les affections des gens du monde: elles ont pour principe des intérêts égoïstes souvent bien honteux. Or, il est triste de trouver quelque chose de pareil chez un fils d'Abraham. Apprenons de là jusqu'où peut mener une passion quelconque, celle même dont on se défie le moins. La friandise conduit à bien des péchés. Ce fut elle qui porta Isaac à aimer celui de ses fils qui était tout du monde, plutôt que celui qui s'annonçait comme devant être un enfant de Dieu. Et puis, rappelez-vous Noé (§ 228).

§ 410. Rebecca, de son côté, préférait Jacob, soit à cause de la prophétie qui le concernait, soit parce que sa conduite était plus en harmonie avec la vocation qu'il avait reçue de l'Éternel, et avec les promesses faites à Abraham et à sa postérité. Ce n'est pas à dire qu'elle eût de la haine pour Esaü, ni qu'Isaac, qui malgré son faible était un enfant de Dieu, eût de la haine pour Jacob; mais si Isaac préférait l'aîné, Rebecca préférait le cadet; et assurément il est aisé de comprendre qu'elle le fît.

25: 20-34
§ 411. C'étaient des mœurs bien simples que celles des patriarches! Souvent il arrivait qu'ils faisaient eux-mêmes les apprêts de leurs repas. Jacob, un certain jour, se livrait à cette occupation lorsqu'Esaü, rentrant fatigué de la chasse, lui vendit son droit d'aînesse. Jacob eut tort sans contredit, de profiter comme il le fit de la lassitude et de l'incrédulité de son frère. Rebecca lui avait probablement raconté la prophétie qui le concernait, et, appréciant du fond de son âme la faveur de Dieu, l'on conçoit qu'il tînt à l'obtenir selon la promesse. Mais, tout en reconnaissant que son action attestait une certaine foi, disons aussi que Jacob y fit preuve d'ignorance, sinon de méchanceté. On peut aller plus loin. Sa foi était quelque chose encore de bien charnel, puisqu'il pensait que, de la volonté d'Esaü dépendait l'accomplissement des promesses de Dieu. S'il se fût plus entièrement attendu au Seigneur, jamais il n'eût songé à employer un tel moyen pour s'assurer ses grâces.

412. Quant à Esaü, il ne pouvait mieux montrer l'incrédulité de son âme. Pour lui, comme pour tous les mondains, l'important était de vivre, de satisfaire ses appétits: la grâce de Dieu vient après si elle peut. H vend contre un aliment le droit d'aînesse qu'il croit avoir; et combien de gens qui vendent le salut de leur âme pour quelques fêtes, pour quelques ajustements de toilette, pour quelques satisfactions d'amour-propre, bref, pour de misérables bagatelles. Et fût-ce pour un royaume, encore est-il qu'un royaume, et même le monde entier ne sont qu'une misère en comparaison de la grâce de Dieu.

§ 413. L'histoire d'Esaü rappelle cette parole de notre Seigneur, dans l'évangile de Luc, ch. VIII, vers. 18: «À celui qui n'a pas, même ce qu'il croit avoir lui sera ôté.» Il ne pouvait pas vendre un droit qui ne lui appartenait pas; mais il s'en croyait possesseur, et il le méprise et le vend, parce que ses pensées étaient toutes charnelles. Aussi son nom servira-t-il, jusqu'à la fin des siècles, à désigner les personnes qui tiennent pour peu de chose les gratuités de l'Éternel et le salut de leur âme. Esaü mangea et il but, puis il se leva et s'en alla comme ces quatre mots peignent bien la légèreté avec laquelle les mondains sacrifient tout à leurs passions et à l'insouciance qu'ils ont de leur salut! — Quant au peuple qui sortit de lui, il s'appela Edom, ou les Edomites, ou Iduméens, d'après le nom qu'Esaü reçut en cette rencontre et qui signifie le Roux, à cause du potage qu'il sollicita de son frère Jacob. Ce dernier nom, Jacob, veut dire le Supplanteur.


XXXIII. Jacob béni par Isaac.


26: 1-5
§ 414. «Il n'y a personne qui ne pèche,» est-il dit quelque part dans le livre de Dieu, et c’est ce que nous voyons bien par l'histoire de tous les hommes, même des plus saints. Une disette étant survenue dans la contrée qu'Isaac habitait, il passa chez le roi de Guérar, cher cet Abimélec qui, dans sa jeunesse, avait fait alliance avec Abraham, et qui devait être à cette époque d'un âge fort avancé; à moins qu'il ne s'agisse d'un fils de l'ami d'Abraham; car le mot Abimélec veut dire: Mon père roi, et l'on appelait ainsi les princes de Guérar. Cette interprétation est même la plus vraisemblable. Isaac comptait gagner l'Égypte, comme son père l'avait fait en pareille circonstance. Abraham ne vivait plus pour donner à Isaac ses sages conseils; mais l'Éternel lui apparut, et en lui répétant les promesses d'autres fois, il lui défendit de descendre dans le royaume des Mitsraïmites, et, pour l'encourager à l'obéissance, il lui rappela l'obéissance même de son père.

26: 6-35
§ 415. Isaac resta donc à Guérar. Mais comme il est, hélas! beaucoup plus facile d'imiter les péchés de ses ancêtres que leur piété, il tomba dans la même faute qu'Abraham, avec cette circonstance aggravante qu'Isaac ne pouvait en aucune manière donner à Rebecca le nom de sœur, à moins qu'il n'entendît par là simplement qu'elle était sa parente. À cette occasion la Bible nous parle de la beauté de Rebecca. Il est à présumer aussi qu'elle était beaucoup plus jeune que son mari. Dans tous les cas, nous voyons ici comment ces avantages extérieurs, que les hommes apprécient si fort, sont, de diverses manières, une source de péché.

§ 416. J'ai dit qu'Isaac n'était point aussi riche que l'avait été son père, à cause des présents que celui-ci avait faits à ses autres fils. Ce fut pendant son séjour à Guérar qu'il vit accroître sa fortune, mais avec elle ses soucis et toutes sortes de difficultés. Ce qui valut mieux pour lui, ce fut la nouvelle révélation du Seigneur dont il fut favorisé après son retour à Beerséba, et les développements qu'y prit sa piété. À l'exemple d'Abraham, dont il suivait, en somme, les bonnes traces, il y bâtit un autel, et il y invoqua le nom du Seigneur.

26: 34-35
§ 417. Cependant les épreuves ne manquèrent pas non plus à Isaac, et même les plus pénibles de toutes, je veux dire des épreuves domestiques. Esaü, son fils aîné, cet Esaü pour lequel il sentait une préférence si mal justifiée, et qu'il avait peut-être élevé avec faiblesse, le remplit d'amertume en épousant deux femmes comme Lémec (§ 163), et encore deux Cananéennes. De ce moment, la paix fut bannie du sein de la famille.

27: 1-4
§ 418. Esaü avait quarante ans lorsqu'il prit ses deux femmes. Isaac était donc alors âgé de cent ans. Quoiqu'il en ait encore vécu quatre-vingts (Ch. XXXV, 29). sa vue s'était affaiblie de manière à ne plus y voir. D'ailleurs, comme il convient à un enfant de Dieu, il pensait souvent à son départ de ce monde et il s'y préparait sérieusement, car il ne savait à quelle heure le Seigneur le rappellerait à Lui. Une chose préoccupait surtout Isaac. C'était le règlement de l'héritage qu'il laisserait à ses fils. En général, les parents ne se tourmentent que trop du sort qu'ils pourront faire à leurs enfants. Quant à Isaac, il avait plus de raisons que personne pour y penser, car il s'agissait d'un héritage de tout autre nature que les patrimoines ordinaires.

§ 419. Il avait pu comprendre, par la parole que le Seigneur avait adressée à Rebecca quarante ans auparavant, qu'un seul de ses fils hériterait de toute la bénédiction qui avait reposé sur Abraham et sur lui. Il aurait pu comprendre aussi, et par cette même parole et par la conduite d'Esaü, que celui-ci n'était pas l'élu du Seigneur. Mais rien n'aveugle comme les passions, quelles qu'elles soient. On a vu de tout temps, même des enfants de Dieu se tromper grossièrement sur le sens des prophéties non accomplies, parce qu'ils se laissaient aller à les interpréter au gré de leurs désirs charnels. Malgré les chagrins que lui faisait Esaü, Isaac ne laissait pas de lui conserver une grande prédilection. Qui sait même si, par un de ces sophismes que la passion invente avec tant d'habileté, il ne concluait pas de ce qu'Esaü valait moins que Jacob, qu'il devait, selon la prophétie, être préféré à celui qui était réellement le plus grand, ou le meilleur? Quoi qu'il en soit, il avait résolu de bénir Esaü, et pour faire de cette solennité une fête de famille, il lui demanda de ce gibier qu'il aimait tant.

27: 6-29
§ 420. Isaac ne s'était point caché de Rebecca. Celle-ci avait tout entendu, et vous pouvez lire, dans les versets 6 à 27, comment elle en informa Jacob, comment elle lui suggéra l'idée de tromper son mari, comment Jacob, après quelque résistance, consentit aux désirs de sa mère, qui étaient aussi les siens, comment il parvint à tromper son vieux père et comment il emporta sa bénédiction. Ces faits n'ont pas besoin d'explications, mais ils abondent en enseignements.

§ 421. D'abord, quant à Rebecca, sa conduite eut beaucoup de rapport avec celle de Jacob envers Esaü, lorsqu'il lui avait extorqué son droit d'aînesse. C'est dans la foi qu'elle agit, mais non pas par la foi. Je pense que Rebecca était une vraie servante du Seigneur, et je ne veux pas dire que sa foi ne fût pas réelle. Mais en cette rencontre (et c'est un grand exemple pour les fidèles), elle ne fit pas autre chose que ce qu'eût fait quelqu'un qui, sans être incrédule, n'aurait pas eu cependant une foi vivante. Désireuse d'attirer sur Jacob les promesses de Dieu et persuadée que c'était lui qui devait en hériter, elle se servit, pour obtenir ce résultat, d'un moyen très coupable. Il est vrai que la crise était sérieuse, le temps pressait, encore quelques moments et Esaü allait être béni par son père; mais avec plus de foi, Rebecca s'en fût remise sur le Seigneur pour détourner le mal qu'elle craignait, et elle eût employé de tout autres moyens. Elle avait à son secours la prière auprès de Dieu, et, auprès de son mari, les représentations, les supplications et les larmes; mais la tromperie, jamais. Au lieu de cela, elle met dans toute cette affaire une passion violente, qui la porte même à ne pas se soucier de la malédiction que son mari pouvait faire retomber sur elle (vers. 13). Ah! Dieu veuille que mes lecteurs se souviennent toujours de cette leçon. Il ne suffit pas d'avoir des intentions pures, il faut en toutes choses n'user que de saintes et bonnes pratiques; pour cet effet, il ne faut rien faire avec passion.

§ 422. Jacob hésita quelques moments à condescendre aux vœux de sa mère. En effet, les enfants ne doivent jamais faire le mal, fût-ce même à l'instigation de leurs parents. Mais si Jacob hésita, ce fut moins par la pensée du péché que par la crainte d'être découvert; et combien de gens qui font de même! Aussi ne résista-t-il pas longtemps; puis une fois qu'il fut entré dans cette mauvaise voie, avec quelle effrayante assurance n'y sut-il pas courir! Non seulement il ment avec effronterie, et il répète à plusieurs reprises son mensonge, mais encore 20 il y fait intervenir le nom de Dieu, pour mieux couvrir sa fraude. Pauvre Jacob! dans ce moment même, il devait être malheureux à proportion de ce qu'il était coupable, et il n'est pas possible que son âme n'ait pas été profondément troublée, lorsqu'il reçut enfin une bénédiction qui aurait dû, sans cela, lui causer une si grande joie.

§ 423. Quant à Isaac, il nous est une preuve de l'impossibilité où nous sommes de lutter contre la volonté de Dieu. Il veut bénir Esaü; tout lui dit que ce n'est pas Esaü qu'il a devant lui; cependant, il se persuade que c'est son fils de prédilection sur lequel il pose ses mains paternelles, et finalement il se trouve avoir donné sa bénédiction à celui que l'Éternel avait béni, même avant sa naissance. Bien plus, il le fait en des termes qui nous le montrent animé par l'esprit de prophétie, en sorte qu'à bien dire il n'est que l'instrument de la volonté de Dieu. En effet, c'est Jésus, fils de Jacob selon la chair, c'est Jésus lui-même, et non pas seulement Jacob ou le peuple Juif issu de ce patriarche, que le Père se trouve avoir béni par la bouche d'Isaac; car s'il est vrai que la prophétie s'applique en partie au peuple d'Israël, elle ne sera pleinement réalisée qu'en Jésus-Christ. C'est lui que les peuples serviront, et c'est devant lui que les nations se prosterneront; car c'est lui qui est le Seigneur de ses frères, et en lui seul que se trouve la bénédiction.

§ 424. À voir ainsi la volonté de Dieu s'accomplir malgré la volonté contraire d'Isaac et par les péchés même de Rebecca et de Jacob, nous n'en conclurons pas qu'il faille faire le mal afin que le bien en arrive, ni que Dieu ait besoin de nos péchés pour accomplir ses desseins; encore moins que la conduite d'Isaac, de Rebecca et de Jacob ait été ce qu'elle aurait dû être; mais nous admirerons avec quelle sagesse, avec quelle bonté et avec quelle puissance Dieu tire le bien du mal; nous dirons que, si Dieu sait et peut réaliser ses desseins quand nous lui désobéissons et par nos désobéissances mêmes, à plus forte raison le fera-t-il si nous nous étudions à n'accomplir que sa volonté. Enfin, nous voyons par tout cela, que jamais aucun homme ne mérite proprement la grâce de Dieu; car il n'en est point chez qui le péché ne se trouve.

27: 30-40
§ 425. À peine Jacob a-t-il quitté son père, qu'Esaü se présente à son tour. La Bible exprime dans les termes les plus forts, l'étonnement du père, le désespoir du fils. On y voit en même temps que s'il y eut de la part d'Isaac quelque résignation à la volonté de Dieu, ainsi qu'on pouvait l'attendre de sa part, il n'en fut pas de même d'Esaü. Il s'irrite contre son père, et, avec les larmes du désespoir, il implore une bénédiction qu'Isaac ne saurait lui donner. Quelle effrayante image des pécheurs qui auront, comme Esaü, méprisé les grâces de Dieu! Un jour viendra, et peut-être déjà dans ce monde, où ils verront toute l'excellence des biens qu'ils ont rejetés; ils pleureront et crieront, mais ce sera trop tard. Trop tard! c'est un mot terrible que celui-là.

§ 426. Ce n'est pas à dire, quant à Esaü lui-même, que, par la suite, il n'ait pu se convertir. Quoique la Parole de Dieu ne nous l'enseigne pas expressément et qu'elle semble plutôt exprimer le contraire, nous rencontrerons une circonstance qui indiquerait assez qu'il se fit, à certaine époque, un changement notable dans son cœur. En attendant, remarquons la prophétie dont il fut l'objet. Esaü et ses descendants devaient, selon la parole d'Isaac, jouir d'une grande prospérité, être forts dans la guerre, se voir assujettis aux enfants de Jacob et finalement secouer le joug que ceux-ci auraient mis sur leur épaule. L'histoire du peuple d'Israël, dans ses rapports avec celle des Iduméens, nous montrera cette prophétie se réaliser bien longtemps après Moïse.

27: 41
§ 427. Du reste, si nous avons vu que, malgré les péchés de Rebecca et de Jacob , Dieu sut accomplir ses desseins, nous apprenons ici comment le péché engendre toujours, et nécessairement, le péché et la misère. Esaü prit une haine si violente contre Jacob, que, nouveau Caïn, il ne songea plus qu'à le faire mourir. Une seule chose le retenait, c'était la présence de son père; mais il lui tardait qu'il fût mort pour assouvir sa passion. Que de pensées criminelles agitaient à la fois le misérable cœur de cet incrédule! Doublement meurtrier, il voulait la mort de son frère et il attendait avec impatience celle de son père!


XXXIV. Fuite de Jacob.


27: 42-45
§ 428. Quelle douleur ne dut pas éprouver Rebecca en découvrant la haine qu'Esaü entretenait contre Jacob! Quelle amertume surtout de penser qu'elle avait elle-même contribué à la faire naître, et combien de tristes réflexions durent s'élever dans son cœur lorsqu'elle se vit comme contrainte d'éloigner d'elle, et pour un temps dont elle ne pouvait prévoir la durée, le fils qu'elle aimait si tendrement! C'est ainsi que, bien souvent, nous sommes punis par où nous avons péché; ce sont les punitions, en général, les plus salutaires, par cela même qu'elles nous rappellent le plus vivement nos fautes.

§ 429. Esaü se consolait en pensant que, tôt ou tard, il tuerait son frère! Il n'est que trop ordinaire, en effet, de voir les pécheurs s'efforcer d'oublier leurs crimes en s'abandonnant toujours plus au mal. On ne saurait nier qu'il n'y ait une certaine jouissance à satisfaire sa passion et à la nourrir; mais les consolations que le Saint-Esprit met dans le cœur des chrétiens, sont bien différentes de l'étourdissement où se jettent les pécheurs non convertis: il est à peine nécessaire de le dire.

§ 430. Est-ce que Rebecca trompe encore une fois son mari en ne lui disant pas le vrai motif pour lequel elle désirait le départ de Jacob; ou bien ne doit-on voir dans sa conduite qu'un ménagement de charité envers un vieillard qu'elle ne veut pas affliger inutilement? Il n'était guère possible qu'Isaac ne se fût pas aperçu de la jalousie d'Esaü; c'est peut-être à cause de cela que Rebecca juge d'autant moins nécessaire de lui en parler. D'ailleurs, la crainte qu'elle avait de voir Jacob épouser une Cananéenne, était très réelle; en sorte qu'il me paraîtrait injuste de l'accuser ici de mensonge. «Il y a,» nous dit l'Écriture, «un temps de se taire et un temps de parler.»

28: 1-5
§ 431. Isaac fit donc venir auprès de lui son fils Jacob. En lui défendant d'épouser une Cananéenne, il lui ordonna de se rendre à Paddan-Aram, auprès de Laban, frère de Rebecca, afin de prendre pour femme une de ses filles. Puis il le bénit au nom du Dieu fort, tout-puissant, lui annonçant de sa part, on le voit bien, qu'il ne manquerait pas de revenir en Canaan, et de plus, qu'il sortirait de lui une assemblée de peuples. Cela signifie que, tandis qu'Abraham avait été le père de plusieurs peuples très-distincts, les Ismaélites, les Madianites entre autres, et par Isaac les Israélites et les Iduméens, lui, Jacob, serait le père de plusieurs tribus qui ne formeraient qu'un seul peuple, une confédération ou une assemblée de peuples, comme dit Isaac.

28: 6-9
§ 432. Quand Esaü vit et entendit cela, il conçut la pensée, pour réparer la faute qu'il avait commise en épousant des Héthiennes, de prendre encore une femme, mais dans sa parenté, et c'est ainsi qu'il épousa une fille d'Ismaël. Quand on ne consulte que soi, et non pas le Seigneur, souvent on ressemble à un homme qui, voyant qu'il s'est trompé de route, se hâte d'en sortir, mais pour se précipiter dans un autre chemin tout aussi mauvais. Au tort dont Esaü s'était rendu coupable en épousant deux Cananéennes, il ajouta donc celui d'avoir une troisième femme.

28: 10-11
§ 433. Cependant, Jacob étant parti de Beerséba, il marchait du côté de Caran, cette ville de la Mésopotamie ou son aïeul Abraham avait autrefois séjourné (§ 248); de là il devait aller à Paddan-Aram chez son oncle Laban. Un soir qu'il se trouvait, après le soleil couché, près d'un établissement de Cananéens, nommé Luz (vers. 19), il se disposa à passer la nuit en plein air, comme cela lui était souvent arrivé tout en gardant les troupeaux de son père. Il était parti seul, paraît-il, avec son bâton de pèlerin à la main et quelques légères provisions de voyage. Comme un homme destitué de tout, le voilà donc qui va dormir à la belle étoile, n'ayant qu'une pierre pour reposer sa tête! Encore quelques heures de marche et il passera le Jourdain, frontière naturelle du pays de la promesse! Est-ce donc que le Seigneur l'aurait abandonné? Reverra-t-il une fois son père, comme celui-ci a paru l'espérer? N'est-ce point pour toujours au contraire qu'il va dire adieu au pays de Canaan? Tels furent peut-être les objets qui avaient occupé ses dernières pensées, lorsque, s'étant endormi, il eut en songe une des plus belles visions dont l'Écriture nous ait conservé le souvenir.

28: 12-13
§ 434. Jacob vit une échelle, ou pour mieux dire un escalier, semblable apparemment à celui d'un palais ou d'un temple; cet escalier, appuyé sur la terre, s'élevait jusqu'au-dessus des nues. Tout au haut se tenait l'Éternel, Celui qui était apparu à Abraham; des anges montaient de la terre au ciel, et descendaient du ciel à la terre. Belle image des relations que la grâce de Dieu établit entre elle et les élus! Les anges qui montent représentent la foi et les prières des enfants de Dieu; ceux qui descendent sont les bénédictions que le Seigneur répand sur les fidèles. Mais, soit les anges qui montent, soit ceux qui descendent, tous sont de Dieu, c'est-à-dire que notre foi et nos prières n'attirent sur nous les grâces d'en haut qu'autant qu'elles nous viennent elles-mêmes du ciel.

28: 13-15
§ 435. Alors Jacob entendit Celui qui était au-dessus de l'escalier s'annonçant comme l'Éternel, le Dieu d'Abraham et le Dieu d'Isaac. C'était donc bien le même Être devant qui Abraham s'était prosterné dans ce lieu (§ 262) et qui avait daigné se révéler personnellement à lui. Or, l'Éternel, fidèle à ses promesses, après avoir répété à Jacob celles qu'il avait faites à ses pères, en ajouta de particulières à Jacob et de bien précieuses. «Je suis avec toi; je te garderai partout où tu iras, et te ferai revenir en ce pays. Car je ne t'abandonnerai point que je ne t'aie fait ce que je t'ai dit.» Bien que ces promesses eussent essentiellement pour objet de consoler Jacob, elles ont de quoi réjouir tout enfant de Dieu. En effet, si nous appartenons au Seigneur, nous sommes sûrs qu'il est avec nous, qu'il nous garde, qu'il nous introduira dans son royaume, qu'il ne nous abandonnera pas jusqu'à ce qu'il ait accompli en nous toute l'œuvre de son bon plaisir; c'est-à-dire qu'il ne nous abandonnera jamais.

28: 16-17
§ 436. Quels vont être les sentiments de Jacob à son réveil? D'abord un sentiment de surprise. Habitué qu'il était à adorer Dieu au pied des autels que son père et son aïeul avaient érigés, il partageait, dans une certaine mesure, le préjugé si commun parmi les hommes, que le Seigneur ne manifeste pas également sa présence dans tous les lieux. Il lui avait semblé qu'en s'éloignant de la maison paternelle, il s'éloignait du Dieu de ses pères, comme on voit des personnes qui, en perdant de vue le clocher de leur village, oublient bien vite les principes religieux qu'elles sucèrent avec le lait. Mais le Seigneur voulut faire comprendre à Jacob qu'il devait le servir quelque part qu'il allât, et que partout il pourrait être l'objet de ses grâces.

§ 437. Quelle joie c'eût été pour le fils d'Isaac s'il avait, à cette époque, possédé une foi plus vivante, et s'il n'avait pas eu, au contraire, la conscience chargée des péchés qui étaient la première cause de sa fuite! Au lieu de cela, il eut peur. Ce lieu lui parut redoutable. Il l'appelle pourtant la maison de Dieu, et ce qu'il a vu c'est le ciel même qui s'est ouvert devant lui. Pauvre Jacob! Le Seigneur ne vient à toi qu'avec des promesses, et tu trembles! Tu as vu la maison de Dieu — le ciel, et non pas l'enfer, et toutefois tu t'effraies! Encore, cette crainte valait-elle mieux que l'indifférence et l'endurcissement. Ce fut peut-être alors que Jacob eut les premières pensées vraiment sérieuses. Nous ne l'envisagerons pas comme converti à Dieu dès cet instant, mais voici pourtant quelques bons symptômes.

28: 18-22
§ 438. Je les vois dans le soin que Jacob prend de consacrer solennellement le lieu où il avait eu cette vision, dans le nom qu'il lui impose, dans le vœu qu'il fait à l'Éternel. Prenant la pierre sur laquelle il avait placé sa tête, il la met en évidence; puis il y répand de l'huile pour la consacrer, ou simplement pour la pouvoir reconnaître plus tard. Après quoi il nomme ce lieu Béthel, mot qui se compose de deux mots hébreux: El que nous avons déjà vu entrer dans la composition du nom d'Ismaël (§ 307), et qui signifie Dieu, puis Beth qui veut dire une maison; en sorte que Béthel c'est la maison de Dieu. J'ai déjà rappelé que ce fut le premier endroit où Abraham avait élevé un autel au Seigneur (Chap. XII, 8). Enfin, par un vœu solennel, Jacob consacre à Dieu sa personne et ses biens. Il le fait en des termes qui pourraient donner lieu de croire qu'il doutait quelque peu de la vérité de sa vision; mais le si qu'il emploie peut être envisagé comme un équivalent de la conjonction quand. Les paroles de Jacob reviennent donc à ceci: «Quand l'Éternel m'aura fait ce qu'il m'a promis, certainement je me donnerai à lui avec tout ce que je posséderai.» Ce n'est pas à dire que, dans tous les cas, chaque homme ne se doive au Seigneur; mais il est sûr que plus il nous fait de grâces, plus nous lui avons d'obligations; puis, il est avéré qu'il n'y a que ceux qui ont reçu ses bénédictions spirituelles qui se consacrent véritablement à lui.

§ 439. C'est d'ailleurs une bonne chose que de fixer par des signes extérieurs le souvenir des temps et des lieux où le Seigneur nous a fait quelque grâce. Seulement il faut prendre garde que notre religion ne soit toute en solennités et en monuments. Surtout, il faut que ces signes extérieurs correspondent à des réalités. Or, c'est contre ces deux règles que pèche grandement la religion des catholiques-romains. Leurs cérémonies, si nombreuses, ne correspondent quelquefois à rien de vrai; par exemple, la fête de l'Assomption de Marie; et même celles qui se rattachent à quelque vérité, sont instituées et célébrées de telle façon que la vérité disparaît sous ce qui en est le signe; par exemple, le signe de la croix qui ne remplace que trop souvent la foi en Jésus-Christ crucifié. Lorsque Jacob dit: «Cette pierre sera la maison de Dieu,» il n'entendait pas autre chose sinon que cette pierre lui rappellerait qu'en ce même endroit il avait vu le Seigneur dans sa gloire. C'est comme lorsque Jésus-Christ a dit: «Ceci est mon corps.»


XXXV. Jacob chez Laban.


29: 1-12

§ 440. Arrivé au terme de son voyage, Jacob se trouva près de ce même puits, sans doute, où le serviteur d'Abraham avait rencontré Rebecca, bien des années auparavant. Les bergers que Jacob y vit d'abord n'étaient pas originaires de Paddan-Aram, mais ils purent néanmoins lui donner des nouvelles de son oncle, appelé ici le fils de Nacor, de même que, au verset 13 du chapitre précédent, Abraham est appelé le père de Jacob, quoiqu'il fût son grand-père. Pendant qu'ils parlaient encore, Jacob vit s'approcher une jeune fille qu'on lui dit être Rachel, fille de Laban, et par conséquent sa cousine germaine. Jacob aurait bien voulu que ces étrangers ne fussent pas témoins de l'entretien où il allait raconter à Rachel qui il était et pourquoi il se trouvait là; leur présence ne l'empêcha pas toutefois de manifester l'émotion de son cœur, en voyant sa parente et celle que, dès ce moment, il pensa que Dieu lui destinait pour épouse. Hélas! ce pauvre Jacob ne se doutait pas de toutes les épreuves qui l'attendaient dans la famille de son oncle!

29: 13-19
§ 441. Laban reçut au mieux le fils de sa sœur Rebecca; mais il est permis de croire que ce cœur intéressé (§ 386) comprit, dès l'abord, le parti qu'il retirerait de ses services. Jacob demeura chez lui un mois entier comme quelqu'un qui serait en visite chez des parents; mais, habitué à une vie laborieuse, il n'y resta pas sans rien faire. Laban, voyant son activité, voulut se l'attacher davantage, et, présumant bien quelle serait la réponse de Jacob, il lui offrit de le garder dans sa maison, moyennant un salaire qu'il fixerait lui-même. Outre Rachel, Laban avait encore une fille non mariée, qui s'appelait Léa. Elle était l'aînée; elle avait, à ce qu'il paraît, les yeux faibles et délicats, et elle n'égalait pas Rachel en beauté. D'ailleurs, Jacob aimait Rachel, sans doute parce qu'il avait cru voir en elle des sentiments et des goûts plus en rapport avec les siens; il consentit à servir Laban pendant sept ans pour obtenir la main de sa fille cadette. Alors, les parents ne dotaient guère leurs filles, mais plutôt il fallait en quelque sorte les leur acheter. C'est encore ainsi que cela se passe chez plusieurs peuples, notamment en Asie. Peut-être l'avare Laban est-il l'auteur de cette coutume.

29: 20
§ 442. Jacob, à cette époque, n'était plus jeune. Nous 20 dirons plus tard comment se fait le calcul de ses années, et alors vous verrez, peut-être avec étonnement, qu'il devait avoir environ 70 ans lorsqu'il arriva chez Laban. L'affection qu'il éprouvait pour Rachel n'était donc pas une de ces passions qui troublent l'âme et qui précipitent quelquefois dans tant de désordres. C'était une affection sérieuse, conçue sous le regard de Dieu, autant que Jacob en était alors capable. Cela explique tout à la fois comment il put attendre patiemment que les sept années fussent expirées, et pourquoi ce temps lui parut si court. Nous de même, si nous aimons Dieu de tout notre cœur, nous ne trouverons pas son service pénible; en général, on fait aisément tout ce qu'on fait par affection.

29: 21-30
§ 443. Quand le temps des épousailles fut arrivé, 21-30 Laban fit une fête, selon l'usage; mais cet homme rusé préparait à Jacob une vive peine. Au lieu de Rachel, il fit conduire Léa dans sa tente, et lorsque son gendre lui adressa de justes reproches sur cette indignité, Laban s'en tira comme le font les hommes de mauvaise foi. Il allégua pour excuse une prétendue coutume dont il aurait dû avertir Jacob tout de suite; mais au vrai, ce n'était qu'un vain prétexte, car tout cela s'arrangeait au mieux avec ses projets. Connaissant l'amour de Jacob pour Rachel, il pensa que s'il lui offrait de la lui donner, il ne se laisserait pas arrêter par la considération qu'elle était devenue sa belle-sœur, mais qu'il ferait comme son frère Esaü et comme bien d'autres en ces temps-là, Ah! les mondains ne connaissent que trop par où il faut prendre les hommes pour les entraîner au mal. Jacob céda. Il consentit à servir encore sept ans pour Rachel, et Laban obtint ainsi ce qu'il voulait.

§ 444. Il est assez probable que Jacob ne retira pas tout de suite de cette épreuve l'instruction qui y était contenue. Mais plus tard, sans doute, en rapprochant de sa conduite avec son frère Esaü celle de Laban à son égard, il put se dire que, comme il avait trompé son père en prenant la place d'Esaü, il s'était vu lui-même trompé par Laban, qui avait mis Léa à la place de Rachel, et il dut y voir un châtiment de Dieu. Assurément, Dieu n'est pas l'auteur des péchés des hommes; mais cela n'empêche pas qu'il ne se serve souvent des iniquités de quelques-uns pour châtier celles des autres. Si Jacob avait, dès le premier instant, compris la chose de cette manière, il n'eût pas commis la faute d'épouser deux femmes. Se soumettant au châtiment du Seigneur, il eût aimé Léa et il eût pu vivre heureux avec elle.

§ 445. Avant de poursuivre, mes lecteurs remarqueront au verset 27 un mot qui montre que les hommes conservaient encore soigneusement le souvenir de la création du monde, en observant la division du temps par semaine; observation dont la justesse subsisterait lors même qu'il faudrait entendre par cette semaine, les sept années de service de Jacob, car si l'on appelait sept ans une semaine, c'est qu'il y avait aussi une semaine de jours.

29: 31-35
§ 446. Jacob passa donc sept ans chez Laban sans être marié, puis il y fut sept autres années n'ayant pour femme que Léa; mais ces années ne furent pas un temps de bonheur pour lui. Il n'aimait pas Léa , et c'était un grand tort; Léa de son côté ne pouvait voir en sa sœur qu'une rivale, puisqu'elle était destinée à devenir bientôt la femme de Jacob. Il est aisé de concevoir le trouble qui devait régner dans cette famille.

§ 447. Cependant Léa eut successivement quatre fils, qui reçurent d'elle des noms en rapport avec les sentiments qu'elle éprouva lors de leur naissance.

L'aîné fut appelé Ruben
c-à-d.: Voici un fils
Le second Siméon "      " Exaucement
Le troisième Lévi "      " Lien, attachement
Le quatrième Juda "      " Louange de Dieu

§ 448. Si, pour juger Léa, nous n'avions que les paroles pieuses qu'elle prononça quand lui naquirent des fils, nous ne pourrions que nous faire une haute idée de sa foi et de sa confiance en Dieu. Mais on est malheureusement obligé de reconnaître qu'il y avait là plus d'apparence que de réalité. C'est comme tant de gens qui disent: Dieu soit loué! Dieu soit béni! lorsque quelqu'une de leurs passions est satisfaite et que leurs désirs terrestres sont exaucés, bien qu'au fond leur pensée ne s'élève point à Dieu.

30: 1-2
§ 449. Il est à présumer que Léa eut ces quatre fils avant que Jacob épousât Rachel. Cette seconde union ne fit qu'augmenter le malheur du patriarche et les désordres de sa maison. Dans le but manifeste de le châtier, Dieu ne donna d'abord point d'enfants à Rachel. Celle-ci, désolée de l'infériorité où cette circonstance la plaçait vis-à-vis de sa sœur, éprouvait un dépit violent qui lui fit adresser à Jacob une de ces paroles inconsidérées que la passion seule peut dicter. Mais le fils d'Abraham montra dans cette occasion que, s'il aimait trop Rachel, il n'avait point complètement oublié Dieu. Animé d'une sainte colère contre sa femme, il lui fit sentir l'impiété de ses murmures et il se servit d'expressions bien propres à la faire rentrer en elle-même.

30: 3-8
§ 450. Rachel, cependant, tout en renonçant à l'espoir de devenir mère, ne put se résigner entièrement à sa position. Pour avoir, elle aussi, des enfants de Jacob à élever, elle fit comme Saraï; elle engagea Jacob à prendre pour concubine sa servante Bilha. Le patriarche eut le tort considérable de condescendre à ses vœux. Bilha mit successivement au monde deux fils que Rachel adopta, et telle était sa jalousie à l'égard de sa sœur, qu'elle se réjouit de la naissance de ces enfants autant que s'ils lui eussent appartenu. Prétendant que l'Éternel avait jugé en sa faveur dans la lutte qu'elle soutenait contre Léa , elle nomma l'aîné Dan, ce qui signifie Juge, et le cadet Nephtali, ce qui signifie Mon combat.

§ 451. Il est triste de voir cette pauvre femme, tout entière à sa passion, y faire intervenir le saint nom de Dieu. C'est bien lui, sans doute, qui fait vivre, comme c'est lui qui fait mourir, et c'est lui en conséquence qui donna des enfants à Bilha, comme il en avait donné à Léa. Mais il ne s'en suit pas qu'il approuvât les relations que Rachel avait établies entre Jacob et sa servante, ni la jalousie qui l'avait poussée à cela. Dieu ne saurait jamais consentir à nos péchés, et parce qu'il leur donne quelquefois des résultats qui semblent favorables, gardons-nous d'en conclure qu'il veuille de cette manière les légitimer. D'ailleurs, il arrive souvent que les fruits du péché, tout au rebours des fruits de la justice, ne sont doux qu'à l'écorce et qu'au fond ils sont pleins d'amertume. C'est ce que nous verrons plus tard par les affreux chagrins que les fils de Jacob occasionnèrent à leurs parents.

30: 9-20
§ 452. Léa, ne voulant pas demeurer en arrière dans cette lutte odieuse que les deux sœurs se livraient, obtint de Jacob qu'il prît encore pour femme sa servante Zilpa, et il eut d'elle deux autres fils: Gad et Ascer; l'un de ces noms veut dire une bande et l'autre bienheureux. Mais ce n'est pas tout; il se fit entre Léa et Rachel un indigne marché au sujet de leur mari; puis Léa eut encore deux fils outre ceux qu'elle avait mis au monde quelques années auparavant. Elle les appela Issachar et Zabulon; c'est-à-dire récompense et habitation.

§ 453. Si nous avions pu croire un moment que Léa avait plus de vraie piété que Rachel, ou une piété plus éclairée, ce que nous lisons au verset 18 devrait nous détromper. Car elle prétendit que Dieu la récompensait de ce qu'elle avait induit au mal son mari. — Quant à ces mandragores dont parlent les versets 14 et 15, on ignore, je crois, quelle espèce de fruit c'était et par quelle raison, superstitieuse ou autre, ces femmes y attachaient tant de prix.

30: 21
§ 454. Outre ses fils, Léa eut encore une fille, appelée Dina. Il est possible que ce n'ait pas été la seule fille de Jacob; mais celle-ci est nommée, à cause du triste rôle qu'elle joua dans la suite et de l'influence qu'eut sa conduite sur les destinées de la famille.

30: 22-24
§ 455. Enfin, Rachel put voir combien elle avait été coupable de ne pas attendre de Dieu seul ce qu'il pouvait lui accorder en temps opportun. Malgré tant de péchés et à cause de la promesse faite à Abraham, Dieu, toujours si bon, lui donna un fils qu'elle nomma Joseph , ce qui veut dire accroissement. Ce pouvait être environ six ans après son mariage, et Ruben devait avoir déjà de douze à treize ans. À cette époque donc Jacob comptait onze fils, savoir:

de Léa de Rachel de Bilha de Zilpa
1. Ruben 11. Joseph 5. Dan 7. Gad
2. Siméon
6. Nephtali 8. Ascer
3. Lévi


4. Juda


9. Issachar


10. Zabulon



§ 456. En voyant la nombreuse famille que le Seigneur donna si rapidement à Jacob, nous ne pouvons qu'admirer comment il fait tourner les péchés des hommes à l'accomplissement de ses plans. Et puis on reconnaît là que, si Dieu retarde quelquefois la réalisation de ses desseins, le temps ordonné par sa sagesse arrivant, tout se passe comme il l'avait annoncé. Depuis la vocation d'Abraham jusqu'au mariage de Jacob, c'est-à-dire pendant environ un siècle et demi, il y avait eu pour tout héritier de la promesse, d'abord Abraham seul pendant 25 ans, puis Isaac seul aussi pendant 60 ans, enfin Jacob pendant plus de 70 ans; maintenant voilà onze fils pour commencer le peuple promis à Abraham. Quoique l'Évangile fasse encore si peu de progrès sur la terre, ne disons pas qu'il faudra des siècles nombreux avant qu'il s'établisse partout. Lorsque le moment de la grâce de Dieu sera venu, l'on verra avec quelle rapidité son règne pourra s'étendre.


XXXVI. Jacob quitte Laban.


30: 25-43

§ 457. À mesure que sa nombreuse famille s'accroissait, Jacob devait naturellement penser au pays de Canaan que, selon la Parole de Dieu, ses enfants étaient appelés à posséder. D'ailleurs, il y avait une vingtaine d'années qu'il servait Laban sans aucun profit pour lui-même. Aussi prit-il enfin le parti de demander son congé. Laban, frappé de la prospérité qu'avaient répandue sur lui les travaux de Jacob, n'eut garde de le laisser aller au premier mot. Pour le retenir, il fit avec lui une convention en vertu de laquelle son gendre aurait au moins une partie du bétail dont la fortune de Laban s'augmentait chaque année, mais la moins précieuse. Or par la volonté et par la puissance de Dieu, qui voulait que Jacob obtînt enfin son juste salaire tout en recevant un signe palpable de la protection divine, il arriva qu'aux termes de la convention, Jacob eût pour sa portion beaucoup plus que Laban ne l'avait imaginé. C'est ainsi que les ruses de l'homme ne peuvent rien, finalement, contre la sagesse et la puissance du Seigneur. Jacob devint riche en troupeaux; sa famille s'accrut d'un grand nombre de serviteurs et de servantes.

31: 1-2
§ 458. Tout cela ne plut guère aux fils de Laban. Ils accusèrent Jacob d'avoir dépouillé leur père. Laban lui-même se montrait fort mécontent. Il avait dit à Jacob: «L'Éternel m'a béni à cause de toi» (XXX, 27); mais si sa reconnaissance envers Dieu et son gendre eût été véritable, il ne se serait pas irrité du cours que, dans l'intérêt de la prospérité de Jacob, l'Éternel avait donné aux événements. Il est facile de bénir Dieu quand il enrichit; mais il n'y a que les gens vraiment pieux qui continuent de le bénir quand leurs affaires prennent une tournure moins favorable.

31: 3-13
§ 459. Ce fut alors que l'Éternel invita formellement Jacob à retourner au pays d'Abraham et d'Isaac, avec promesse de l'y bénir. Laban était absent (verset 19). Jacob ayant appelé près de lui Rachel et Léa, il leur tint un discours fort remarquable. Il pouvait craindre qu'elles ne fissent des difficultés à le suivre dans un pays éloigné, où la foi ne les attirait pas et où elles ne connaissaient personne, bien que nièces d'Isaac et de Rebecca. Aussi commence-t-il par leur rappeler, en termes fort modérés, les torts de Laban à son égard. Mais, s'il a été maltraité par leur père, le Dieu de son père, à lui, n'en a point agi de même. Au contraire, il n'a cessé de le bénir. Après lui avoir donné*tous ses troupeaux, dont il était bien le légitime propriétaire, son Ange lui était apparu pour lui enjoindre de retourner en Canaan; ce même Ange de Dieu qu'il avait vu à Béthel, c'est-à-dire le Seigneur lui-même, le Fils de Dieu qui s'était révélé jadis et d'une manière semblable à Abraham et à Isaac.

31: 14-16
§ 460. Ces paroles étaient bien propres à fléchir le cœur des deux femmes, pour peu qu'elles ne fussent pas destituées de toute piété. Cependant, il paraît que ce qui agit avec le plus de force sur elles, ce fut moins la pensée du Seigneur et des grâces qu'il avait accordées à leur mari, que le ressentiment des iniquités de Laban. Au lieu de les doter, il les avait comme vendues à Jacob. Puis en lui donnant Léa à la place de Rachel, et en lui offrant Rachel après Léa, il avait causé le malheur de toutes les deux; elles ne pouvaient le méconnaître. Aussi se montrèrent-elles prêtes à suivre Jacob.

31: 17-23
§ 461. Là-dessus, il partit sans attendre le retour de Laban, afin d'éviter avec lui toute espèce de contestation. Il prit ce qui lui appartenait, et, avec cette nombreuse caravane, il s'achemina du côté de Canaan. Il était en route depuis trois jours, lorsque Laban apprit son départ. Alors celui-ci, accompagné des siens, se mit à la poursuite de Jacob. Il put aisément l'atteindre, car il ne traînait pas à sa suite, comme son gendre, des femmes, des enfants et de nombreux troupeaux.

§ 462. Ce qui stimulait Laban, c'était non seulement l'espoir de ramener Jacob, ou de lui reprendre une partie de ses biens, mais encore le désir de ravoir les dieux que Rachel lui avait dérobés. Ces dieux de Laban sont appelés, dans le texte hébreu, des Téraphims. C'étaient de petites idoles, en or ou en argent, que Laban conservait chez lui par une superstition devenue de nos jours bien commune. Laban n'ignorait pas l'existence du Dieu Créateur des cieux et de la terre; il pensait peut-être lui rendre ce qui lui est dû tout en invoquant des dieux secondaires, protecteurs ou patrons de sa famille. En un mot, Laban était un idolâtre. Ses enfants s'adonnaient aussi à l'idolâtrie; cela nous explique bien des choses dans leur conduite.

§ 463. C'est, du reste, la première fois que la Bible nous parle de l'idolâtrie. Nous ne devons pas trop nous étonner de trouver cette coutume impie dans la famille de Sem, puisque, hélas! elle règne, avec tant de puissance, dans une si grande partie du monde soi-disant chrétien. Les saints et les anges auxquels les romanistes rendent un culte et dressent des statues, sont-ils autre chose que des Téraphims; et, quand on voit conserver avec grand soin dans sa maison, ou porter sur sa personne de petites images qui doivent préserver du mal, cela ne rappelle-t-il pas tout à fait Laban et ses fils?

§ 464. On ne sait pas au juste à quelle époque l'idolâtrie s'introduisit dans le monde. J'entends l'idolâtrie proprement dite; car de tout temps les hommes non convertis ont adoré d'autres dieux que le véritable. À défaut de dieux, l'homme s'adore lui-même (§ 191), et c'est toujours de l'idolâtrie. Il est probable toutefois que ce fut après la confusion des langues que chaque peuple, chaque famille peut-être, se fit des dieux à sa façon. L'on ne commença pas par l'idolâtrie grossière du fétichisme, comme quelques-uns le pensent; ce fut d'abord un culte qui semblait se rapporter indirectement à l'Éternel; puis, insensiblement, les hommes en vinrent à oublier tout à fait le nom même du vrai Dieu.

§ 465. Telle n'était pas encore l'idolâtrie du beau-père de Jacob. Et cependant il paraît, par ce que dit Josué (chap. XXIV, 2), que Taré marchait déjà dans cette voie de péché lorsque le Seigneur appela Abraham. Ce fut pour le retirer de toute idolâtrie qu'il lui fit les grandes promesses que nous avons vues, qu'il se révéla personnellement à lui, et qu'il inclina son cœur à ne point s'allier avec les Cananéens; car ceux-ci devaient être par la suite un des peuples les plus horriblement idolâtres de la terre.

§ 466. Mais il semble, d'après cela, qu'il n'aurait pas dû non plus s'allier avec la maison de Béthuel, puisqu'elle vouait un culte aux faux dieux! Cette question, qui se présente ici naturellement, est pourtant facile à résoudre. Après tout, Béthuel et Laban étaient fils de Sem. Il y avait sur eux une bénédiction, bien qu'ils la méprisassent et qu'elle ne leur fût pas d'une utilité personnelle; tandis que sur Canaan reposait une malédiction positive (§ 232).

31: 24-35
§ 467. Pour revenir à Jacob, Laban l'atteignit donc sur la montagne de Galaad, qui se trouvait dans la contrée à l'est du Jourdain; mais grâce à la protection de Dieu, Laban, averti par un songe, s'approcha de son gendre, tout réconcilié avec son départ. Seulement il se plaignit de l'enlèvement de ses idoles et de la fuite clandestine de Jacob. Sur le dernier de ces points, le patriarche répondit qu'il avait craint la violence de son beau-père; sur le premier, il consentit à lui livrer les coupables quels qu'ils fussent, car il ignorait absolument qu'on lui eût rien pris, et, s'il l'avait su, il l'aurait sûrement empêché. Alors Laban s'étant mis à fouiller partout, Rachel prétexta une indisposition, et, menteuse comme ses dieux, elle parvint, hélas! à cacher les idoles que son cœur aimait, parce qu'il était à Satan et non à l'Éternel.

31: 36-42
§ 468. Jacob, qui ne se fiait pas aux apparences de douceur que montrait son beau-père, s'imagina peut-être qu'il avait prétexté cette accusation pour autoriser des projets de violence. Enflammé d'une coupable colère, il se mit à accabler Laban des plus vifs reproches. Il est sûr qu'il avait été indignement traité par lui; mais enfin Laban était son beau-père, et Jacob était tenu tout au moins à lui témoigner des égards. Après avoir demeuré vingt années chez lui et épousé ses filles, il devait s'efforcer de le quitter en paix, car il n'était pas probable qu'il le revît jamais dans ce monde.

§ 469. Tout méchant qu'était Laban, il n'avait pas cependant banni de son cœur les affections d'un père envers ses enfants. C'est ce qu'il fit sentir à Jacob, en termes assez touchants: «Pourrais-je oublier que Léa et Rachel sont mes filles; que leurs fils sont mes petits-enfants, et comment leur ferais-je du mal? Ainsi réconcilions-nous; mangeons encore une fois du même pain, séparons-nous en amis, et que notre amitié soit aussi durable que le monument qui va être témoin de notre réconciliation.» Tout se passa de la sorte. Chacun d'eux donna à ce monument un nom analogue à la circonstance. Puis Laban tint à Jacob un discours qui montre qu'il se passait dans son âme quelque chose de sérieux. Il implora la bénédiction de l'Éternel sur son gendre et sur sa propre personne; il recommanda vivement à Jacob ses deux filles, et, comme s'il se fût repenti de l'avoir induit à la polygamie, il le supplia de ne pas prendre de nouvelles femmes.

31: 53-55
§ 470. Cette scène fut solennelle, car elle se termina par un serment que Laban et Jacob se prêtèrent l'un à l'autre. Laban jura par les dieux d'Abraham et de Nacor; Jacob par la frayeur de son père Isaac, c'est-à-dire par le Dieu dans la crainte duquel Isaac vivait; puis il offrit un sacrifice, ce que Laban n'avait point fait, et ils mangèrent du pain ensemble (les repas ordinaires sont, dans l'Orient, d'une grande frugalité); ils prirent donc un second repas en famille, avant de se séparer, et ce fut ainsi que Jacob quitta son beau-père. Nous ne savons pas ce que devint Laban, la Bible ne nous disant plus rien sur son compte; dans tous les cas, Jacob remporta sûrement un doux souvenir de cette journée de paix que Dieu lui avait ménagée. Ah! nous ne devrions jamais nous éloigner de nos amis et de nos parents, sans avoir offert avec eux le sacrifice de la prière, car nul ne sait s'il reverra demain ceux qu'il quitte aujourd'hui.


XXXVII. Mahanajim. — Lutte de Jacob.


32: 1-2
§ 471. Jacob, poursuivant son chemin, arriva dans un endroit des montagnes de Galaad. Il y fut favorisé d'une vision sur laquelle l'écrivain sacré ne nous donne d'ailleurs aucun détail. Ce furent des Anges de Dieu, à ce qu'il paraît en grand nombre, qui se présentèrent devant le patriarche, pour lui rappeler, par leur seule présence, sa vision de Béthel, vingt ans auparavant, et les promesses qui lui avaient été faites alors, promesses dont une en particulier s'accomplissait à cet instant même (Ch. XXVIII, vers. 15). Jacob appela ce lieu Mahanajim, ou les Deux Camps; par où il entendait le camp de l'Éternel et le sien.

32: 3-5
§ 472. Malgré la longueur du temps qui s'était écoulé depuis sa fuite précipitée loin du pays de Canaan, Jacob n'avait pu oublier que c'était la haine de son frère qui l'en avait chassé et qu'il n'était pas complètement innocent de cette haine. Quand on revoit les lieux où l'on commit jadis quelque péché, on se trouve en présence de sa faute comme au premier jour, et c'est bien une preuve que le temps ne saurait effacer le crime. Jacob, sans s'arrêter à examiner qui, de lui ou de son frère, avait les plus grands torts, envoya des messagers à Esaü, afin d'apaiser sa colère par de bons procédés. Le discours qu'il dicte à ses gens est, sous plus d'un rapport, fort remarquable. Sans rappeler à Esaü leurs fautes réciproques, il répare les siennes autant que possible, en s'humiliant devant celui qu'il appelle son Seigneur, parce qu'il était son aîné selon l'ordre de la nature, bien que la grâce de Dieu eût assigné à Jacob la bénédiction paternelle. Il lui fait donc rendre compte de tout ce qui le concerne et il se recommande à lui comme à son supérieur. Ainsi, point de récriminations et une grande humilité; voilà ce que nous devons faire lorsque nous voulons regagner l'affection de quelqu'un.

32: 6-8
§ 473. Mais quel ne fut pas l'étonnement de Jacob, lorsque ses messagers lui vinrent dire qu'Esaü s'approchait avec une troupe nombreuse et, selon toutes les apparences, dans des intentions hostiles. Ce fut plus que de l'étonnement. Il entra dans une véritable détresse, et, comme il arrive souvent alors, il imagina pour son salut un moyen extrême qui ne l'aurait probablement pas aussi bien servi qu'il l'espérait. Par le massacre de la moitié des gens de Jacob, Esaü se serait plutôt excité à verser encore plus de sang; d'ailleurs, c'était à Jacob lui-même qu'il en voulait. Sa haine ne pouvait être satisfaite que par la mort de son frère.

32: 9-12
§ 474. Jacob sentit lui-même l'insuffisance de ses précautions. Et encore, eussent-elles été mieux entendues, il n'était pas assez étranger à la piété pour se passer du secours de l'Éternel en ce danger extrême. Il se mit donc à lui adresser une humble et fervente prière, dont l'étude est pleine d'instruction. Jacob y montre une grande confiance en Dieu. Il répand librement son cœur devant lui, ce qui est le caractère essentiel de la vraie oraison. Sa confiance se montre dans les noms même qu'il donne au Seigneur. En l'appelant le Dieu d'Abraham et le Dieu d'Isaac, il se fortifie par le souvenir des grâces dont l'Éternel avait comblé ses pères; en y ajoutant le nom de Jéhovah, l'Éternel, il y joint la pensée que Dieu est toujours le même et qu'il ne laissera point son œuvre inachevée. Jacob s'appuie d'ailleurs sur deux colonnes qui ne peuvent s'ébranler: le commandement de Dieu et sa promesse. Le Seigneur lui avait ordonné de retourner au pays de Canaan, et lui avait promis de le bénir; c'en était assez pour légitimer la confiance du patriarche.

32: 10-11
§ 475. Voyez après cela l'humilité de Jacob, humilité qui s'accroît par le souvenir des grâces même de Dieu. Ce n'est pas sa faiblesse seule que Jacob sent si vivement, c'est peut-être encore davantage son péché. L'amour et la fidélité de Dieu le touchent d'autant plus que ses malheurs eurent pour première cause son égoïsme et ses tromperies. Mais ce qui l'humilie, c'est aussi ce qui l'encourage. Il sait à quel Dieu plein de grâce il a affaire, et le voilà qui lui expose avec une naïveté enfantine sa profonde détresse. Ah! de même que Jacob, il faut nous présenter à Dieu tels que nous sommes; avec toutes nos craintes et toutes nos perplexités. Jacob a peur. Il craint pour lui, pour ses femmes, pour ses enfants. Il sent qu'il a mérité le châtiment de Dieu, et c'est à Dieu qu'il a son recours.

32: 12
§ 476. La vue de sa misère ne saurait détruire en lui toute espérance, parce qu'il se fonde sur les promesses du Seigneur. Il revient là-dessus, et ce n'est pas une vaine redite; car c'est là ce qui fait toute sa force. Apprenez de Jacob, mes bien-aimés lecteurs, quelle est la vraie ressource dans les détresses de l'âme. Ayons la volonté de Dieu devant les yeux pour la faire; humilions-nous en sa sainte présence dans la contemplation de nos péchés et de ses grâces; exposons-lui simplement notre requête, rappelons-lui ses promesses, n'oublions pas, enfin, que, s'il fut le père d'Abraham et d'Isaac, il est aussi le père de notre Seigneur Jésus-Christ, et que par la foi nous sommes un avec ce Jésus, le Fils Éternel du Père.

32: 13-21
§ 477. Nous avons encore quelque chose à apprendre de Jacob. S'il est des gens qui ont le tort grave de penser à se sauver par leur propre activité, il ne serait pas moins contraire à la Parole de Dieu d’imaginer que la prière seule puisse nous délivrer. Dans un sens, il est vrai que prier avec foi est tout ce qu'il faut. Mais, si nous prions avec foi, le Saint-Esprit nous est donné comme une conséquence et une preuve du pardon de nos péchés; il produit en nous des sentiments qui ne nous laisseront pas oisifs, ni stériles dans la connaissance de Dieu. À peine Jacob se fut-il relevé de sa prière que le Seigneur lui inspira une pensée bien meilleure que celle qui lui était venue avant de prier. Pour apaiser son frère, il va lui offrir les plus magnifiques présents qui soient en son pouvoir. Ne dites pas: Jacob avait bien peu de foi, puisque après avoir invoqué l'Éternel il n'attend pas de Dieu seul sa délivrance. Dites plutôt: Jacob suivit les conseils de la sagesse et de la charité, et c'est ainsi que le Seigneur commença d'exaucer sa prière; ou, pour exprimer cette doctrine d'une manière générale: se confier en l'Éternel est la suprême prudence; car l'Éternel enseigne les voies de la prudence à ceux qui se confient en lui, c'est-à-dire que la prière et l'action ne s'excluent pas l'une l'autre.

32: 22-23
§ 478. Le torrent de Jabbok, que Jacob traversa cette nuit même, descend des monts de Galaad, et, coulant de l'est à l'ouest, se jette dans le Jourdain. Jacob se rapprochait ainsi du séjour de ses pères; bientôt il pourrait serrer dans ses bras Isaac et Rebecca; mais bientôt aussi Esaü, le frère qu'il avait si fort irrité, se montrerait à ses yeux. On conçoit que, dans une telle circonstance, Jacob n'ait pas songé à prendre du repos. Pendant que son monde dormait, il faisait sentinelle. Ce fut alors que se passa une des scènes les plus mystérieuses dont la Bible fasse mention.

32: 24-32
§ 479. Comme la nuit était près de son terme, un homme vint à Jacob, et commença une lutte qui, toute inégale qu'elle était, se prolongea jusqu'au jour. Cet homme était certainement le plus fort, puisqu'il lui suffit de toucher Jacob à la hanche pour qu'il demeurât boiteux. Il fut impossible que le patriarche ne sentît pas dès le premier moment que celui qu'il tenait embrassé était d'une valeur supérieure à la sienne; mais, puisant en quelque sorte un pouvoir surhumain dans sa lutte même avec ce personnage mystérieux, il demeura ferme jusqu'au bout. Et même lorsque le jour fut venu, il ne voulut point abandonner celui qu'il tenait si étroitement serré. Il comprenait maintenant avec qui il avait cette rencontre et il lui déclara qu'il ne le laisserait point aller qu'il ne l'eût béni.

§ 480. Cet homme n'était pas un fils d'Adam. S'il avait revêtu pour un moment l'humanité, il n'en était pas moins le Seigneur, celui qu'Agar avait vu au puits du Vivant qui me voit, Abraham sous les chênes de Mamré, et Jacob lui-même au haut de l'escalier de Béthel. Lorsque Jacob lui demanda son nom, il lui répondit: Pourquoi me demandes-tu mon nom? Ne m'as-tu pas reconnu? Qui est-ce d'entre les hommes qui peut faire ce que je viens de faire? Ne vois-tu pas que tu as lutté avec Dieu? Aussi Jacob s'écria-t-il: «J'ai vu Dieu face à face.»

§ 481. Un quadruple monument dut attester à Jacob et aux siens la réalité de cette apparition du Seigneur, ou la leur rappeler. D'abord, le patriarche reçut un nouveau nom, Israël, qui signifie le vainqueur de Dieu. Puis il appela cet endroit Péniel, c'est-à-dire la face de Dieu. Après quoi, il demeura boiteux le reste de ses jours. Enfin, sa postérité se fit une loi de ne jamais manger, d'aucun animal, le muscle que la main du Seigneur avait paralysé en touchant Jacob à la hanche. Ajoutons à cela l'impression salutaire que toute cette scène avait faite sur l'âme de Jacob, ou plutôt les grâces que le Seigneur répandit alors sur lui; car il le bénit selon sa demande, et Jacob déclara que cette lutte avait eu pour fruit la délivrance de son âme.

§ 482. En effet, dès ce moment-ci nous pouvons envisager Jacob comme pleinement converti au Seigneur. Ce n'est pas à dire qu'il eût été jusqu'à cette époque tout à fait étranger à la grâce de Dieu; car c'est le Saint-Esprit qui prépare les voies de la conversion, et il est facile de voir qu'il agissait d'ancienne date sur le cœur du patriarche. Mais si Béthel lui avait donné, pour la première fois des pensées| sérieuses (§ 437), ce fut à Péniel que le Dieu d'Abraham devint réellement son Dieu et que Jacob trouva la paix. Or, la conversion de cet enfant de Dieu nous montre ce qui se passe en toute conversion. Il faut comme lui lutter avec le Seigneur jusqu'à ce que, vaincu par nos prières, il nous donne sa bénédiction. Sans doute que nous ne méritons pas une telle grâce, et si Dieu appesantissait sa main sur nous, nous serions bientôt écrasés; mais ce Dieu avec lequel nous luttons, c'est Dieu notre Sauveur, c'est Celui qui est venu au devant de nous, qui a souffert pour nous sur la croix; c'est un Dieu qui aime qu'on lui fasse violence, et qui se laisse vaincre volontiers par ceux que le Père a élus et qu'il lui a donnés.

§ 483. Tous les rachetés du Sauveur sont renfermés, dans l'Écriture, sous le nom d'Israël, nom dont le Seigneur honora Jacob en cette occasion. Israël! quel titre de gloire! Le peuple qui le porte encore, descendance naturelle de Jacob, est bien déchu et bien misérable, parce qu'il a rejeté Celui avec lequel lutta leur père et qui le bénit. Mais, si nous croyons de cœur en Jésus et en ses promesses, c'est nous qui sommes véritablement Israël et quelle grâce infinie pour le temps et pour l'éternité!

33: 1
§ 484. En considérant ce qui vient de se passer entre l'Éternel et Jacob, rien ne nous étonnera dans la rencontre qui eut lieu immédiatement après entre ce même Jacob et son frère Esaü; ni les signes de respect que Jacob crut devoir prodiguer à son frère, car son humiliation était véritable; ni l'affection que lui témoigna Esaü, car l'Éternel avait agi sur son cœur pendant que Jacob priait; ni l’insistance que mit celui-ci à ce que son frère acceptât ses présents, car c'était bien par amitié et non par crainte seulement qu'il s'était décidé à les lui offrir. Quoi qu'il en soit, voilà de quelle manière l'Éternel sait, quand il le veut, délivrer de leurs craintes et de tout mal ceux qui se confient en lui; voilà comment il est fidèle envers les siens. C'est un Dieu plein de bonté que le Dieu d'Israël!

§ 485. Plus qu'un mot sur cette portion de l'histoire de Jacob. Arrivé à Sichem, il acheta quelque peu de terrain et y éleva un autel à l'Éternel. Digne fils d'Abraham et d'Isaac, il fit comme ses pères, et il appela cet autel, l'Autel du Dieu Fort, du Dieu D'Israël. Remarquez ce dernier mot. Jacob a très bien compris la pensée du Seigneur. Ce n'est à proprement parler que, depuis Péniel, qu'il est devenu son Dieu, mais maintenant Jacob peut et doit hardiment l'invoquer sous ce nom. De même, il faut que vous soyez convertis pour que le Seigneur soit en vérité votre Seigneur; mais, une fois convertis, vous pouvez et vous devez l'appeler: MON SEIGNEUR ET MON DIEU.


XXXVIII. Dix années de la vie d'Israël.


34: 1-29
§ 486. Jacob, ou autrement Israël, devait avoir plus de quatre-vingt-dix ans quand il rentra au pays de Canaan. On eût pu croire qu'il allait maintenant jouir de quelque repos, mais ce fut au contraire à cette époque que commencèrent ses plus rudes épreuves. C'est que l'Éternel châtie l'enfant qu'il aime, et les afflictions de Jacob devaient servir à lui faire sentir toujours plus le prix de la grâce de son Dieu. Les dix années qui s'écoulèrent depuis son retour jusqu'à ce que Joseph fût vendu par ses frères, fournirent au patriarche plus d'une occasion de prières semblables à celles de Mahanajim, car il reçut en son cœur les plus rudes coups qui puissent atteindre un homme.

§ 487. Ses fils, jeunes encore, ne tardèrent pas à montrer les tristes fruits de l'éducation qu'ils avaient reçue, par un effet même de la haine qui régnait entre Léa et Rachel, et des désordres qu'il avait lui-même introduits dans sa maison. Dès qu'ils furent devenus grands, ils entrèrent en relations avec les jeunes Cananéens de la localité, et ils entraînèrent à leurs fêtes idolâtres et impures leur sœur Dina, à peine sortie de l'enfance. Il y a toujours un danger extrême à fréquenter la société des mondains. On peut y trouver du plaisir, mais on y perd la paix de l'âme; souvent on se voit entraîner à d'horribles péchés. Jacob n'avait pas manqué, sans doute, de représenter ces choses à ses enfants; mais qui sait peut-être si leurs mères, Léa du moins et les deux servantes, ne les encourageaient pas dans ce qu'elles appelaient d'innocentes récréations. Hélas! combien de parents qui ont eu à verser des larmes amères pour avoir poussé leurs enfants dans les plaisirs mondains!

§ 488. Un jeune Cananéen, Sichem, fils d'Hémor, s'étant épris d'une violente passion pour Dina, l'enleva et la déshonora, il parvint néanmoins à convertir en amour coupable l'horreur qu'il eût dû inspirer à la jeune fille, et, de son consentement comme de celui d'Hémor, il la demanda en mariage à Jacob. Les fils de Léa, courroucés de l'insulte qui avait été faite à leur sœur, conçurent aussitôt le plan d'une horrible vengeance. Ils feignirent de vouloir aussi le mariage; car leur père les avait consultés, afin qu'ils sentissent peut-être plus fortement les résultats de leur conduite; mais ils mirent pour condition que Sichem et les hommes de sa tribu se fissent circoncire et qu'ils s'agrégeassent de la sorte à la famille d'Abraham. Les Sichémites, qui virent là un moyen de partager avec Jacob et ses fils les grands biens qu'ils avaient ramenés de Syrie, en passèrent partout où l'on voulut et cédèrent sans peine aux prières de leurs chefs.

§ 489. C'était là que les attendait la cruauté des fils de Jacob. Dirigés par Siméon et par Lévi, aidés sans doute de quelques-uns de leurs gens, ils tombent sur les Sichémites au moment où, malades et affaiblis par l'opération qu'ils avaient dû subir en leur chair, ils étaient incapables de se défendre, et ils les massacrent impitoyablement; car, comme dit l'Écriture: «La colère de l'homme est cruelle.

§ 490. Quel entassement de péchés abominables! Les frères de Dina qui deviennent de véritables assassins pour venger l'honneur de leur sœur! Les Sichémites qui attirent ce terrible jugement sur eux par le libertinage de leur chef et par leur propre avarice! Dina qui est la première cause de tous ces maux, parce que au lieu de demeurer avec sa famille, elle a voulu entrer en relations de plaisirs avec les filles cananéennes! Jacob à son tour n'avait-il point de reproches à se faire? : Avait-il conduit ses enfants avec toute la fermeté qu'il eût dû y mettre? Sa propre conduite n'avait-elle pas eu pour effet de diminuer en eux le sentiment de l'horreur du mal?

34: 30-31
§ 491. Aussi voyons-nous que tout cela remplit son cœur d'autant de crainte que de tristesse. Il lui semblait impossible que les châtiments de Dieu ne fondissent pas sur lui et sur ses coupables enfants. Ceux-ci eurent beau vouloir excuser leur crime, Jacob ne douta pas que toutes les tribus cananéennes ne se levassent contre eux et qu'elles ne vinssent les détruire. En effet, on a beau appartenir au peuple de Dieu, le péché ne peut que troubler l'âme; et si, dans ce moment, Jacob n'eût pas craint les jugements du Seigneur, il ne se serait pas montré digne de son nom d'Israël.

35: 1-4
§ 492. Mais Dieu est envers les siens d'une bonté inépuisable. Il invite Jacob à quitter le lieu où il était, pour établir ses tentes dans l'endroit même où, trente ans auparavant, il avait eu le songe merveilleux dont le souvenir avait toujours dû le remplir d'espérance, et où peut-être il avait eu le tort de ne pas se rendre dès son entrée en Canaan (§ 438). Avant de partir, Jacob ordonna qu'on fît disparaître de chez lui toutes traces d'idolâtrie. Outre les idoles de Laban, il s'était sans doute glissé dans les tentes de ses femmes et de ses enfants bien des symboles des superstitions cananéennes; ils en portaient même des signes sur leurs personnes. Or, soit que, jusque-là, Jacob n'eût pas aperçu tout le mal que ses pratiques faisaient à ses enfants, soit qu'il eût inutilement cherché à les en détourner, nous le voyons cette fois prendre un ton fermement résolu, et, sous l'impression de la crainte que leur inspiraient les circonstances, plus que par piété, tous se soumirent à ses ordres.

35: 5-7
§ 493. Ainsi débarrassés de leurs dieux d'or, d'argent ou de bois, ils marchèrent vers Béthel, la Maison du Dieu Fort et Vivant, et, par une protection toute spéciale de la bonté divine, les Cananéens du voisinage, effrayés du massacre des Sichémites, les laissèrent aller librement. Quand Jacob se retrouva à Luz, près de la pierre qu'il avait ointe d'huile en mémoire de la grâce de Dieu, il donna de nouveau à ce lieu le nom de Béthel. Il le consacra plus solennellement encore par l'érection d'un autel, et sans doute par des sacrifices qu'il y offrit pour ses péchés et pour ceux de sa famille.

35: 8
§ 494. Il paraîtrait, bien que la Bible ne le dise pas expressément, que le père et la mère de Jacob vinrent demeurer quelque temps auprès de lui à cette époque; ce qui expliquerait pourquoi Déborah, la nourrice de Rebecca, qui mourut alors, fut enterrée près de Béthel. Car Hébron, ou Mamré, lieu ordinaire de la résidence d'Isaac, était beaucoup plus vers le midi.

35: 9-15
§ 495. À cette époque aussi le Seigneur daigna ratifier à Jacob toutes ses grâces, soit celles qu'il lui avait promises jadis à ce même Béthel, soit celles qu'il lui avait accordées à Péniel. Sans revenir sur les observations que nous avons faites là-dessus précédemment, remarquons seulement ces mots du verset 11: «Une nation, même une multitude de nations viendront de toi.» C'est comme il avait été dit à Abraham; mais il y a ici quelque chose de particulier. D'Abraham sont sortis, en effet, plusieurs nations: les Ismaëlites, les Madianites, les Iduméens, les Israëlites et d'autres de moindre importance, tandis que de Jacob il n'est sorti qu'une seule nation, le peuple Juif. Pourquoi donc le Seigneur lui dit-il qu'il serait la tige d'une multitude de nations? Est-ce seulement parce que le peuple d'Israël compta douze tribus, ou plutôt treize, comme nous le verrons? Non, sans doute; mais c'est parce que l'Israël de Dieu, le véritable Israël, se compose des fidèles de tous pays, de toutes langues et de toutes tribus; c'est-à-dire des pécheurs de tous les siècles et de toute la terre qui ont lutté avec Dieu, de même que Jacob, et ont remporté la victoire de la foi. Cette prophétie complète celle d'Isaac, au chapitre XXVIII, verset 3 (§ 431).

35: 16-20
§ 496. De Béthel, Jacob, toujours voyageur dans le pays de ses pères, arriva à Ephrat, autrement Bethléhem, ville qui ne fut jamais fort considérable, mais qu'illustra la naissance du roi David, plus de sept siècles après ceci, et surtout celle de notre Seigneur Jésus-Christ, 1080 ans environ après David. Au temps de Jacob, ce lieu vit tout à la fois naître Benjamin son dernier fils, et mourir sa chère femme Rachel. Il pouvait y avoir quatorze ans que Joseph était né lorsque Jacob eut la joie de recevoir du Seigneur ce douzième fils. Mais, hélas! sa naissance fut chèrement payée. Avant de devenir mère, Rachel avait dit un jour à Jacob: «Donne-moi des enfants, autrement je suis morte» (Chap. XXX, 1), et, maintenant, elle meurt en mettant au monde un second fils! Elle n'eut que le temps de demander qu'il s'appelât Benoni, c'est-à-dire le fils de ma douleur, et elle expira. Quel coup pour Jacob et quelle leçon! Celle qu'il avait tant aimée, qu'il avait trop aimée, lui est subitement ravie, et de telle sorte qu'il ne peut pas douter cependant que Dieu ne soit envers lui plein de miséricorde, car elle lui laisse un fils de plus. Aussi, triomphant de son affliction, il reporte incontinent sur le nouveau-né l'affection qu'il avait eue pour la mère, et il l'appelle Benjamin, c'est-à-dire le fils de ma main droite, ou le fils de mon bonheur. Avouez que Dieu ne pouvait pas châtier Jacob avec plus de compassion. C'est ainsi qu’il eu agit toujours avec ses enfants. Il y avait dans la mort de Rachel de quoi rappeler à Jacob bien des fautes, et, dans la naissance de Benjamin, de quoi affermir son espérance en Dieu.

§ 497. Quant à Rachel, si elle mourut dans la foi, on put la dire doublement bienheureuse, car Dieu lui épargna de bien vives douleurs. Elle avait vu déjà se former la haine des fils de Léa contre son cher Joseph, et se liguer avec eux les enfants de Bilha, Dan et Nephtali, à la naissance desquels elle avait éprouvé tant de joie (§§ 450, 451); mais que n'eût-ce pas été si elle eut vécu encore quelques années? Oh! qu’il est triste le sort d'une mère qui doit quitter ses enfants, à moins qu'elle ne connaisse Celui entre les mains de qui elle les remet!

35: 21-22
§ 498. Il ne semblait pas que Jacob pût avoir d'épreuve plus rude que celle par laquelle il venait de passer; mais quelque temps après, son cœur fut déchiré de la manière la plus cruelle par l'horrible crime dont se rendit coupable son fils aîné, Ruben, qui porta ses impuretés jusque dans la couche de son père. Quelle déplorable famille que ces.enfants de Léa! Voyez Dina, et Siméon, et Lévi, et Ruben, et que nous sera-t-il dit plus tard de Juda et des autres? Combien ils sont à plaindre les enfants qui n'ont pas une mère pieuse pour les élever dans la crainte du Seigneur; car il n'est pas de crimes ni de misères où l'on ne puisse tomber, lorsqu'on n'a pas la pensée de Dieu devant les yeux, seul frein capable de retenir les passions.

35: 27-29
§ 499. Ce qui se trouve enregistré dans ces trois versets se rapporte à une époque de plusieurs années postérieure. Moïse, nous racontant que Jacob alla enfin demeurer à Mamré, lieu ordinaire de la résidence d'Isaac, nous parle par anticipation de la mort de ce patriarche. C'est bien par anticipation, puisque Isaac mourut à 180 ans. Or, il n'en comptait que soixante lorsque Jacob et Esaü naquirent. Lors donc qu'il mourut, Jacob devait avoir 120 ans. Mais nous verrons que lorsque Jacob fut présenté à Pharaon par Joseph, il avait 130 ans. Par conséquent, Isaac n'était mort que depuis 10 ans quand Jacob partit pour l'Égypte.

36:
§ 500. Avant de poursuivre l'histoire d'Israël et de ses fils, nous avons à jeter un coup d'œil sur le chapitre XXXVI. Moïse nous y donne les noms des ducs, ou chefs d'Edom. Parmi eux, il faut remarquer au verset 12 le nom d'Hamalek, père des Hamalékites, dont l'histoire se mêle souvent avec celle du peuple d'Israël. Il est facile de comprendre d'ailleurs que tous ces petits fils et arrière-petits-fils d'Esaü n'étaient pas encore nés au moment où nous en sommes de l'histoire de Jacob. Il est sûr néanmoins que les Iduméens, postérité d'Esaü, durent former un peuple plus vite que les Israélites, vu qu'Esaü se maria longtemps avant son frère. Enfin, l'on voit par ce chapitre, notamment aux versets 6 et 7, que selon la promesse de Dieu, Esaü jouit de grandes bénédictions temporelles. Il eut à cet égard la supériorité sur son frère, on devait s'y attendre (§ 426); mais je pense qu'il y a là de quoi nous empêcher de porter envie à ceux qui possèdent des biens de ce monde en abondance.


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