Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !


XVII. Le Déluge.

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7: 1-5
§ 194. Noé dut mettre un temps considérable à construire l'arche. Toutefois il est possible qu'elle ait été prête bien avant que le déluge commençât. C'est ainsi qu'il faut nous préparer de bonne heure à la mort et après cela nous tenir prêt. Le moment fatal approchait cependant. Une semaine, sans plus, est encore donnée aux hommes pour se convertir, et l'Éternel annonce à Noé que, passé ce terme, le déluge arrivera. Il l'invite donc à entrer de suite dans l'arche avec sa famille, et d'y établir les animaux terrestres et les oiseaux qui devaient s'y réfugier avec lui; savoir des bêtes nettes, ou pures, sept couples de chaque espèce et des autres, seulement un couple. La loi de Moïse nous enseignera plus tard ce qu'on entendait par les animaux purs. C'étaient ceux qu'il était permis de manger et qui servaient aux sacrifices; mais l'ordre que l'Éternel donne ici à Noé prouve que cette distinction existait déjà par l'institution divine. En sorte que non seulement Dieu avait ordonné aux premiers hommes d'offrir des sacrifices, mais encore il leur avait prescrit quelle espèce de victimes ils devaient immoler. Et remarquez bien que cette distinction ne pouvait avoir alors pour but que les sacrifices, puisque l'homme n'avait pas encore reçu la permission de prendre la chair des animaux pour sa nourriture.

§ 195. Noé, fermement persuadé que celui qui donnait ce commandement était puissant pour fournir aussi les moyens de l'accomplir, ne recula devant aucune difficulté, et il se mit sérieusement à l'œuvre pour faire ce qui lui était prescrit. C'est la seconde fois que la Bible mentionne l'obéissance de Noé. Elle est en effet bien remarquable et d'un bel exemple. Rappelons-nous sans cesse que Dieu ne nous commande rien qu'il ne veuille et ne puisse faire en nous et par nous. «Je puis tout en Christ qui me fortifie,» disait un autre serviteur de Dieu, le saint apôtre Paul.

7: 6-16
§ 196. Ce fut l'an 600 de Noé, le dix-septième jour du second mois que le déluge commença. Méthuséla venait de mourir (§176). — Il me paraît assez probable que l'on comptait alors les années d'un printemps à un autre. Le premier mois correspondait en partie à notre mois de mars et en partie au mois d'avril; en sorte que le dix-septième jour du second mois serait tombé sur le commencement de mai de l'an 1656 du monde, l'année même où mourut Méthuséla et cinquante ans après la mort de Lémec (§ 176). Je dois avertir cependant que la généralité des interprètes pensent que l'année commençait alors à l'équinoxe d'automne, moment où l'Éternel aurait appelé Adam à l'existence. Dans cette supposition, ce serait au mois d'octobre qu'aurait commencé le déluge; mais la question au fond est sans importance.

§ 197. Les fontaines du grand abîme, c'est-à-dire les sources de l'Océan, se mirent à fournir de l'eau avec une abondance semblable à celle d'un bassin dont les écluses se rompraient. Par les sources de l'Océan, il faut entendre, ou les fleuves qui l'alimentent, ou les fontaines souterraines qu'il recèle, et peut-être tous les deux à la fois. De plus, il tomba des cieux une pluie abondante comme ce qui sort d'un vase qu'on vide par la bonde. Suivant une autre manière de traduire, on dirait (vers. 10): Les fontaines du grand abîme se rompirent et les fenêtres du ciel s'ouvrirent. Pendant quarante jours et quarante nuits, les nuages, sans cesse renouvelés par la puissance de Dieu, fournirent de ces torrents de pluie dont la continuation, durant une heure ou deux, suffit quelquefois pour inonder de vastes territoires.

7: 15-16
§ 198. Du reste, la confiance que Noé avait mise en Dieu ne fut pas trompée. Il vit venir à lui les animaux deux à deux, poussés par la main de Celui qui dirige l'hirondelle et la cigogne dans leurs migrations. Il les vit tous, même les plus féroces, se ranger sous sa loi, comme jadis ils obéissaient à Adam, avant qu'il eût perdu par le péché sa domination sur les œuvres de Dieu (§63).

§ 199. Après quoi l'Éternel ferma l'arche sur Noé, ce qui assurait le saint patriarche qu'il était là par la volonté du Seigneur, et qu'il serait gardé au milieu de cette affreuse tempête. Quelle ne devait pas être sa reconnaissance et celle de ses fils envers leur miséricordieux Créateur et Sauveur!

7: 17-24
§ 200. Il ne faut pas se représenter l'accroissement progressif des eaux du déluge comme celui d'un lac dont le niveau s'élève lentement par la fonte régulière des neiges. Des torrents, des fleuves, des rivières, des ruisseaux, même les plus petits, qui débordent en fureur: un océan qui franchit ses rivages et envahit dans sa colère les continents effrayés; des nues qui, chassées ça et là par le vent, portent et ramènent partout une masse d'eau inépuisable; voilà l'effrayant spectacle qu'offrait le déluge, et la Bible, dans son langage non moins énergique que simple, exprime ce fait en disant d'abord: «Les eaux crûrent»; puis, «les eaux se renforcèrent et s'accrurent fort»; enfin, «les eaux se renforcèrent prodigieusement sur la terre.» Peu de jours suffirent pour que les plaines basses fussent inondées; quelques jours encore, et les hauts plateaux sont dévastés par les vagues de l'océan; enfin vient le tour des montagnes, et les plus hautes même se voient dépassées de quinze coudées par les eaux du déluge. Tout périt; oui, tout être vivant qui a besoin de l'air pour respirer; tout animal et tout insecte qui ne peut vivre dans l'eau ou dans le sein de la terre; tout périt, et les hommes, et les animaux.

§ 201. Cependant, l'arche et ce qu'elle renfermait, portée au-dessus des eaux, flottait par miracle sur cette mer en tourmente. Que faisais-tu Noé? Quelles étaient les émotions de ton cœur dans la retraite où ton Dieu t'avait mis en sûreté? C'est ce qu'il ne lui a pas plu de nous révéler; mais ce que nous savons de toi nous autorise à penser que, triste et joyeux tout ensemble, tu occupais tes pensées à méditer sur la sévérité et sur la bonté de l'Éternel, sur sa sévérité envers les pécheurs impénitents et sur sa bonté envers toi. Eh bien! c'est aussi là ce que nous devons faire après avoir lu le récit effrayant de cette catastrophe inouïe, où le monde entier périt, à l'exception d'une seule famille.

§ 202. Le déluge est un jugement de Dieu et le plus terrible dont il ait jamais frappé les hommes ici-bas. Après un tel acte de la justice divine, il n'y a pas moyen d'ignorer que l'Éternel ne tient pas le coupable pour innocent, et que si le monde entier pèche et demeure dans le péché, le monde entier doit périr infailliblement, n'importe le nombre de ceux qui méritent la punition.

§ 203. Remarquons cependant que les hommes détruits par le déluge durent leur perte moins encore à leur vie de péché qu'à leur incrédulité. Dieu daigna les avertir longtemps à l'avance. Noé leur annonça les jugements de Dieu et par ses prédications et par la construction même de l'arche (2 Pier. II, 5); mais ils se moquèrent de tout cela; ils méprisèrent la patience et la bonté de Dieu; ils ne crurent pas à la parole de l'Éternel, et c'est là finalement ce qui les perdit. Y en eut-il parmi eux qui, après avoir refusé de croire au déluge, crurent au jugement à venir en voyant le déluge arriver, et qui se convertirent? Ce n'est pas impossible, mais la Bible ne le dit pas. Il est vrai qu'elle ne nous dit pas non plus que, si les enfants à la mamelle partagèrent le châtiment temporel que leurs pères avaient mérité et auquel ils ne voulurent pas se soustraire par le repentir, il ne s'ensuit pas qu'ils partageront leur sort au jour du jugement universel.

§ 204. La délivrance de Noé est destinée à nous fournir d'importantes instructions. Son arche est le symbole de l'Église de Christ, église où l'on entre par la foi; c'est encore, si l'on veut, le symbole de la croix de notre Sauveur, par laquelle nous avons le salut de nos âmes. L'eau du déluge, qui détruisit les impies et qui porta doucement Noé et son arche, est le signe du jour de Christ à sa venue prochaine, jour d'angoisse et de malédiction pour les pécheurs impénitents, jour de délivrance finale et de joie ineffable pour les croyants. Rien n'était moins sûr en apparence que de confier sa vie à cette construction lourde et massive où Noé dut se réfugier, mais c'était là que Dieu avait mis le salut. De même la doctrine de la croix paraît une folie aux incrédules, à ceux dont le dieu de ce siècle a aveuglé les yeux; mais c'est la puissance de Dieu pour le salut de tout croyant. Croyons donc comme Noé; avec lui, réfugions-nous vers Christ, l'arche de notre délivrance, et comme lui nous serons sauvés, gardés de Dieu, qui, une fois que nous serons entrés, fermera la porte sur nous, et ce qu'il ferme, personne ne peut l'ouvrir.

§ 205. Fussions-nous seuls dans notre famille, dans notre village, dans le monde entier; oui, seuls à nous occuper sérieusement de notre âme et à chercher le Seigneur, encourageons-nous par le souvenir de Noé. À son exemple, invitons du fond du cœur ceux qui nous entourent à se convertir; mais disons-nous bien finalement qu'il vaudrait mieux être sauvé seul que de périr avec tout le monde. Si l'on se moque de notre prétendue crédulité, de notre folie, hélas! prions pour les moqueurs, pleurons sur leurs péchés; mais ne laissons pas de bâtir paisiblement et résolument notre arche. Les moqueurs ne se sauveront pas par leurs moqueries, et si nous leur permettons de nous détourner de la bonne voie, nous nous perdrons nous-mêmes, sans aucun profit quelconque pour leurs âmes. Ceux du temps de Noé refusèrent de croire au déluge, peut-être parce qu'il n'était jamais tombé de pluie jusque là (§ 52); que de gens aussi qui ne croient pas à la fin du monde, parce que Dieu conserve maintenant toutes choses avec tant de soin. Mais cette dernière incrédulité sera condamnée par les faits, comme le fut la première.


XVIII. Le Déluge. — Suite.


8: 1-14
§ 206. On voit par ces quatorze versets, que Noé demeura dans l'arche une année et dix jours. La terre fut toute recouverte d'eau pendant cinq mois. Alors Dieu se souvint de Noé, c'est-à-dire qu'il lui montra qu'il ne l'avait point oublié. IL fit arrêter l'arche au-dessus des montagnes d'Ararat en Arménie. L'eau se mit à se retirer; et environ huit mois et demi après que le déluge eut commencé, les sommets des montagnes se découvrirent. Quarante jours ensuite, Noé lâcha d'abord un corbeau, puis un pigeon pour s'assurer parce moyen de l'état des choses; mais ce fut seulement le premier jour de l'an, c'est-à-dire au bout de dix mois et demi environ, que la terre fut sèche, et encore Noé ne sortit-il de l'arche que un mois et vingt-sept jours plus tard; exemple remarquable des épreuves prolongées auxquelles Dieu soumet la patience de ses enfants.

§ 207. Le lieu où l'Éternel fit arrêter l'arche était à peu près dans les mêmes contrées où il avait placé le premier homme. De toutes manières donc, cette portion de l'Asie a été le berceau du genre humain. Et de même que Dieu, à l'époque de la création, avait fait sortir les plantes du sein de la terre aussitôt que celle-ci eut été dégagée de l'eau qui l'enveloppait, la branche d'olivier rapportée par le pigeon nous montre qu'il fit quelque chose de tout semblable après le déluge, à moins qu'il n'ait conservé miraculeusement en certains lieux et malgré la pression des eaux, les arbres destinés à repeupler le sol. Il est enfin, dans le récit que nous venons de lire, un fait qui rappelle la création du monde, mais d'une autre manière; c'est que Noé lâcha le pigeon de sept jours en sept jours. Nous retrouvons ici la semaine qu'avait instituée le Créateur dès le commencement, et c'est probablement quand le premier jour luisait de nouveau, que Noé cherchait à savoir si le moment du travail était enfin revenu.

§ 208. Telle est l'histoire du déluge d'après la Bible. Jamais le monde ne vit une catastrophe pareille, et cette catastrophe prêche d'une voix si redoutable le jugement à venir, qu'on ne s'étonne pas de la répugnance que les hommes ont à y croire. Il n'est pas de difficultés qu'on n'ait soulevées contre le récit de Moïse. J'en ai mentionné quelques-unes en passant (§ 193), et je ne doute pas que mes lecteurs n'en trouvent d'eux-mêmes plusieurs autres sans que je les leur suggère. Les savants surtout voient un grand nombre d'impossibilités dans les diverses circonstances de ce cataclysme et dans le fait lui-même tel qu'il nous est raconté.
Quelques-uns, jaloux de conserver l'autorité de la Bible, ont tâché de l'interpréter de manière à ôter aux incrédules leurs meilleures armes; puis ils se sont efforcés d'expliquer, par des suppositions plus ou moins plausibles, la manière dont tout cela dut se passer. Or, sans entrer dans des détails que mes lecteurs ne me demandent sûrement pas, voici ce que je me borne à observer: c'est que de quelque manière qu'on explique le déluge et comme qu'on s'y prenne pour réduire la grandeur du miracle, on est toujours contraint d'y voir un miracle, ou une intervention extraordinaire de Dieu. On vous dira, par exemple, que le déluge ne fut pas universel, qu'il atteignit seulement la partie du monde habitée par les hommes, et que la Bible se prête à cette interprétation; mais sans compter qu'on ne saurait dire quelle portion de la terre demeurait encore inhabitée à cette époque, et qu'on ne concevrait pas comment l'Océan aurait couvert l'Asie sans couvrir l'Europe et l'Afrique, ni comment il aurait submergé tous ces continents, sans submerger aussi celui que nous appelons le Nouveau-Monde , il eût fallu le même déploiement de la puissance de Dieu pour opérer ce déluge partiel que pour effectuer le déluge universel. Dans tous les cas, on est obligé de reconnaître qu'il y a eu miracle. — Et si, pour expliquer le déluge, on dit que peut-être les eaux profondes du vaste Océan furent réchauffées et dilatées au moyen de feux souterrains, de manière à dépasser les montagnes, hautes pour nous et peu élevées quand on les compare à la superficie du globe, nous ferons observer que la chose est possible, mais que toujours il a fallu un acte spécial de la volonté et de la puissance de Dieu.

§ 209. Une seconde observation que je veux faire, c'est qu'on a beau entasser les difficultés, on est obligé d'admettre qu'il y a eu un déluge. Notre terre, au dire de quelques-uns, en porte encore des traces manifestes; car les hautes montagnes présentent des dépôts qui ne sauraient y avoir été amenés que par l'élévation des eaux de l'Océan. D'autres pensent que le fait du déluge a été de trop courte durée et trop violent pour laisser des vestiges faciles à distinguer d'avec les bouleversements antérieurs, sans compter qu'ils ont pu en partie être effacés par l'action du temps. Mais ce qui, à mon avis, est décisif, c'est le témoignage unanime du genre humain. Tous les peuples ont une histoire du déluge, histoire qui varie dans les détails, mais qui est la même pour le fond: l'eau couvrant subitement toute la terre, le genre humain détruit, une famille merveilleusement conservée. Or, s'il y a eu un déluge et que tous descendent de l'homme qui fut sauvé de ses eaux, il est très naturel que le souvenir d'une pareille catastrophe se soit conservé partout, bien qu'en s'altérant à la longue. Mais, s'il n'y avait pas eu de déluge, on ne concevrait pas comment une idée si extraordinaire se serait accréditée sur tout le globe; bien plus, comment elle y serait née! Quant à nous, plus nous ferons l'étude de la Bible, plus nous acquerrons la conviction que ce livre est le Livre de Dieu. En conséquence, lors même qu'on nous ferait des objections auxquelles nous ne saurions que répondre, nous dirons toujours: et pourtant il y a eu un déluge. C'est par la puissance de Dieu qu'il s'est fait, et par l'infinie grandeur de cette puissance que s'expliquent les circonstances les plus étonnantes de cet épouvantable bouleversement, comme ce qu'il peut avoir en apparence de plus simple. Tout y porte le cachet de Celui qui, par sa Parole, a créé les cieux et la terre. Celle-ci s'est vue deux fois, à notre connaissance, couverte par les eaux, d'abord à la création, puis au déluge. Chaque fois ce fut un pur effet de la volonté et de la puissance du Seigneur, qui, chaque fois aussi, la dépouillant de son linceul, lui rendit l'existence et la beauté.

§ 210. Ce n'est pas seulement sa puissance que Dieu a manifestée dans la grande scène du déluge, nous y avons une proclamation la plus éclatante qu'il fût possible de sa justice souveraine; je reviens sur cette idée importante. Envoyé pour renouveler la face du monde qu'une impiété universelle déshonorait, le déluge a servi entre les mains de Dieu, bien moins à châtier les hommes de ce temps-là, qu'à donner un sérieux et solennel avertissement à ceux de tous les temps. Lors même qu'il n'y aurait pas eu de déluge, les contemporains de Noé seraient morts, chacun à son tour, et ils ne pouvaient pas plus échapper au jugement à venir qu'ils n'échappèrent à celui-là; mais nous devions apprendre par cette catastrophe immense qu'on ne se moque pas de Dieu impunément, et que, pour le redire, le monde entier se mit-il en révolte contre l'Éternel, le monde entier ne saurait être plus fort que son Créateur et son Juge.

§ 211. Mais Dieu ne se montre jamais à moitié; il est toujours tout entier tout ce qu'il est. À côté de sa justice et sur le même trône siège sa miséricorde ou sa grâce. Noé en est la preuve, Noé le père d'une nombreuse postérité, Noé en qui tout un peuple d'élus et de rachetés ont été, pour ainsi dire, sauvés de la destruction. Oui, c'est nous-mêmes que Dieu a préservés du déluge en préservant le saint patriarche; nous qu'il appelle à son royaume et à sa gloire en Jésus-Christ.

§ 212. Ce Jésus aussi, quant à son humanité, est descendu de Noé comme nous. L'Éternel avait promis à Adam un libérateur, postérité de la femme. Ce libérateur n'ayant point encore été donné, l'Éternel garantit Noé de l'impiété générale, il le convertit à lui, il le retira des eaux du déluge, il continua par lui la famille humaine, et par lui dut s'accomplir plus tard la promesse (§§ 102, 103); car Dieu est fidèle. C'est avec la même fidélité qu'il donna à Noé tout ce qu'il lui avait promis relativement à sa délivrance, et qu'il le mit en état de faire ce qui lui était commandé. Ainsi la puissance infinie de Dieu, sa justice souveraine, sa miséricorde et sa fidélité, voilà ce que nous prêche avec une grande force toute l'histoire du déluge.


XIX. Noé après le déluge.


8: 15-19
§ 213. C'est par le commandement de Dieu que Noé avait bâti l'arche et qu'il y était entré au moment convenable; ce fut aussi par son commandement qu'il en sortit. L'œuvre de notre salut, d'un bout à l'autre, et dans ses moindres circonstances comme dans les plus grandes, est l'œuvre de Dieu. Heureux ceux qui, semblables à Noé, font toutes choses selon le commandement du Seigneur, et sont ainsi ouvriers avec lui, pour l'entière rédemption de leur corps et de leur âme!

§ 214. La terre sortie des eaux du déluge devait présenter généralement l'aspect de désolation qu'elle a conservé dès lors en certaines contrées; ce fut un effet du bouleversement que les eaux occasionnèrent en s'accumulant, puis en se retirant. Cependant il est à présumer que, par la puissance de Dieu, il y eut aussi des terres prêtes à recevoir de nouveau leurs habitants, et la branche d'olivier m'en paraît un indice. Peut-être aussi qu'en certaines parties du globe, Dieu donna l'existence à quelques espèces nouvelles d'animaux et de plantes; mais, pour ce qui est de la contrée où Noé dut recommencer toutes choses, s'il s'y trouvait des végétaux comme avant, il est sûr qu'on n'y voyait pas d'animaux terrestres. C'est pourquoi, dans cette vaste solitude que le déluge venait de faire, il dut être fort doux pour le patriarche d'entendre de la bouche de l'Éternel que les animaux sauvés avec lui et pour lui, auraient bientôt repeuplé le monde. Ici, il n'y a pas de miracle. En voyant les myriades de chevaux qui paissent librement dans les pampas de l'Amérique du Sud, tandis que quatre siècles auparavant il n'y en existait pas un seul,  on admire l'étonnante fécondité de la nature, lorsque — les circonstances la favorisent.

§ 215. Pénétré d'une vive reconnaissance envers Dieu son Sauveur, Noé ne fut pas plus tôt hors de l'arche qu'il bâtit un autel. pour offrir en holocauste autant de victimes qu'il avait eu avec lui d'espèces d'animaux purs; c'est-à-dire qu'après les avoir immolées, il les consuma tout entières par le feu; c'est là ce qu'il faut entendre par un holocauste. Jamais sacrifice ne fut plus vraiment digne de ce nom, vu le peu d'animaux qui existaient alors. Il dut en coûter à Noé de diminuer le nombre des êtres vivants qui l'entouraient; mais il avait à cœur de témoigner par cet acte ce qu'il éprouvait après une telle délivrance. Ces victimes offertes à l'Éternel proclament que tout ce qui est échappé au déluge appartient à Dieu doublement; et puis elles sont là pour ainsi dire à la place de Noé et des siens. Car c'étaient eux qui avaient mérité la mort à cause de leurs péchés, et, comme Abel, ils offrent à Dieu le sacrifice de la repentance et de la foi. Nous de même, si nous sommes vraiment chrétiens, rachetés de Jésus-Christ et, par sa grâce, les héritiers de la promesse, nous sentirons que nous nous devons doublement au Seigneur; nous aurons fréquemment à la pensée les péchés qui nous méritent la mort et que le sang de Christ a effacés; enfin, comme Noé, nous offrirons à l'Éternel avec reconnaissance des sacrifices vraiment dignes de ce nom.

8: 21-22
§ 216. Moïse, se servant encore ici d'expressions tirées du langage des hommes, nous dit que l'Éternel respira de ces holocaustes une odeur qui l'apaisa; c'est-à-dire qu'il eut pour agréable la piété de Noé, dont le sacrifice fut une image de celui par lequel Christ nous a réconciliés avec Dieu. Puis, l'historien sacré, auquel il a été donné de savoir et de raconter non seulement ce qui s'était passé sur la terre et dans le cœur de l'homme, mais encore plusieurs des décrets qui, en divers temps, se sont résolus dans le conseil de Dieu, Moïse nous dit que l'Éternel arrêta en lui-même de ne plus maudire la terre à l'occasion des hommes; ce qui signifie que le monde ne se verrait plus exposé à des catastrophes semblables à celle du déluge. En effet, depuis 4193 ans qu'il a eu lieu, toutes choses sont demeurées en même état, sauf quelques révolutions terrestres lentes ou partielles.

§ 217. Ce n'était pas à dire cependant que les hommes n'auraient plus besoin de châtiment, car, au contraire, «l'imagination de leur cœur est mauvaise dès leur jeunesse;», mais c'est précisément parce que tous seront toujours pécheurs que Dieu n'enverra plus de déluge, puisqu'il en faudrait un à chaque génération. Il est cependant digne de remarquer, à la gloire de Dieu, que, depuis Noé, le monde ne paraît pas s'être jamais trouvé aussi généralement impie qu'il l'était à cette époque.

§ 218. Mais, s'il ne doit pas revenir de déluge, il ne faut pas croire cependant que le monde ne finira point. Dieu arrête en sa sagesse que «les semailles et les moissons, le froid et le chaud, l'été et l'hiver, le jour et la «nuit ne cesseront pas;», mais il commence par ces mots: «tant que la terre durera,» ce qui donne à entendre que la terre ne durera pas toujours. En effet, la Parole de Dieu nous annonce positivement (2 Pierre III) que notre monde sera finalement détruit. Cette destruction sera plus réelle que celle du déluge, car elle aura lieu, non par le moyen de l'eau, qui ne peut que bouleverser, mais par le feu qui consumera tous les éléments de ce monde. — Voilà le grand jour pour lequel il s'agit d'être prêt; car alors aussi le Seigneur rendra à chacun selon ses œuvres.

9: 1-7
§ 219. S'il y a une malédiction sur le genre humain à cause du péché, il y a aussi sur lui, par la grâce de Dieu, une bénédiction. Dieu, qui est la source de la vie, ne saurait pas, il me semble, multiplier indéfiniment des êtres qui, en totalité, seraient maudits à toujours. Il répète donc à Noé et à ses fils ce qu'il avait dit à Adam, avant le péché, au sujet de ses descendants (§ 42). La famille humaine doit remplir un jour toute la terre. Il rappelle aussi la domination que l'homme exerçait sur les animaux, et, à cette occasion, il lui donne la permission de se nourrir de leur chair. On ne saurait affirmer sans doute qu'avant le déluge, les hommes n'aient point mangé de viande, car ils s'étaient écartés en bien d'autres choses du commandement de Dieu; mais, enfin, c'est seulement après le déluge que l'usage leur en fut permis. Elle est toutefois bien fausse l'opinion de ceux qui attribuent un certain mérite, ou une certaine sainteté, à ne pas prendre cette espèce de nourriture; car il ne peut jamais y avoir de mal dans ce qui est autorisé par le Seigneur. Du reste, il est digne de remarquer que Dieu permit à l'homme de manger de la viande dans un moment où le nombre des animaux terrestres était réduit à quelques individus de chaque espèce. De la part de quelqu'un d'autre c'eût été une imprudence; mais quant à Dieu, il sait bien ce qu'il fait.

§ 220. Cependant, l'homme devait dans tous les cas s'abstenir de manger le sang des animaux qu'il immolerait pour sa nourriture. La raison qu'en donne l'Éternel, c'est que le sang des animaux est leur âme, ou leur vie; car le mot hébreu signifie ces deux choses. Le sang nous est représenté ici comme la partie noble de l'animal et comme l'équivalent de l'âme proprement dite: il fallait donc que l'homme même le respectât. Une autre raison, mais qui n'est pas exprimée en cet endroit, quoiqu'elle se lie intimement avec la précédente, c'est que l'effusion du sang constituait essentiellement le sacrifice; comme c'est aussi en répandant son sang que Jésus-Christ a fait l'expiation de nos péchés, doctrine importante sur laquelle nous devrons revenir plus d'une fois.

§ 221. Mais si le sang de l'animal est précieux, celui de l'homme l'est bien davantage. C'est quelque chose de si sacré que notre vie! L'animal même qui répandra le sang humain sera envisagé et traité comme s'il était criminel. On lui redemandera le sang de l'homme en le faisant mourir. Et si quelqu'un verse le sang de son semblable, ce crime lui sera pareillement redemandé; car l'homme fut fait à l'image de Dieu, et malheur à celui qui détruit un être si excellent entre toutes les créatures d'ici-bas! — Il peut sembler étonnant qu'à cette époque où les hommes, si peu nombreux, étaient tous parfaitement frères, l'Éternel ait cru devoir prononcer une loi pénale contre le meurtre; mais qu'on se rappelle Caïn et Abel, qu'on voie combien il est facile de se laisser aller à la violence, surtout quand il n'y a pas de tribunaux pour retenir le pécheur, et l'on ne s'étonnera plus de cela. Le fait est malheureusement que, pour des milliers d'hommes déchirés par des bêtes sauvages dans les déserts, il y en a eu des millions qui ont péri de la main de leurs semblables! Je connais peu de choses qui attestent avec autant de force le pouvoir que Satan exerce en ces bas lieux.

9: 8-17
§ 222. Après cela Dieu établit son alliance avec Noé. Il avait résolu en lui-même (VIII, 21, 22) qu'il n'y aurait plus de déluge; maintenant il le fait connaître au père du genre humain renouvelé. Par la foi Noé était déjà dans l'alliance de grâce qui a pour base la grande promesse d'un Sauveur et dont les sacrifices sont le sceau et le signe (§ 128); or voici une nouvelle promesse qui se rattache évidemment à la première. Elle a pour objet direct la conservation de ce monde et des animaux pour l'amour de l'homme. Mais l’homme lui-même, savoir Noé et ses fils et leur postérité après eux, pour l'amour de qui seront-ils préservés de toute destruction pareille au déluge, si ce n'est pour l'amour du Christ? L'alliance que Dieu établit entre Noé et lui, est donc une alliance toute fondée sur les promesses; sur la promesse ancienne (§ 102), qui est sous-entendue, et sur la promesse nouvelle.qu’il n'y aurait plus de déluge.

§ 223. De cette alliance, à la fois ancienne et nouvelle, Dieu donna pour signe l'arc-en-ciel, ce superbe phénomène atmosphérique que nous avons si souvent admiré quand le soleil vient briser ses rayons dans un nuage de pluie. Rien n'était plus propre assurément à rappeler la promesse de Dieu que cet arc qui, touchant la terre de ses deux extrémités, semble nous dire, par ses magnifiques couleurs, de porter nos espérances vers le ciel.

§ 224. Si, comme quelques-uns le pensent, il n'avait pas encore plu sur la terre avant le déluge (§§ 52, 205), Noé dut être tout aussi étonné et réjoui à la vue de l'arc-en-ciel, qu'il avait pu se sentir consterné en voyant la pluie du déluge, bien qu'il y crût selon la parole de Dieu. Mais s'il avait plu auparavant, que dirons-nous donc? Est-ce qu'il n'y avait jamais eu d'arc-en-ciel avant le déluge? Cela n'est pas probable, et le texte sacré n'oblige nullement à le croire. Notre Seigneur avait souvent rompu le pain avec ses disciples avant le soir qui précéda ses souffrances; mais ce soir-là il le rompit en mémoire de sa mort, et dès ce moment l'acte de rompre le pain dans les assemblées chrétiennes devint le signe et le sceau de notre rédemption par son sang. De même, il se peut que l'arc-en-ciel eût souvent brillé dans la nue avant le déluge; mais l'Éternel jugea bon d'y rattacher, au temps de Noé, le souvenir de la promesse qu'il lui faisait.

§ 225. Quoi qu'il en soit, quand nous voyons paraître l'arc-en-ciel, ne nous contentons pas d'en admirer les vives couleurs; qu'il nous rappelle la fidélité avec laquelle Dieu tient toutes ses promesses, et demandons-nous si nous avons reçu pour nous-mêmes celle du salut. Si nous l'avons reçue, nous pouvons nous écrier dans une humble confiance: «Comme cet arc brille au sein de la nuée, ainsi est-il sûr que mon Seigneur me recevra dans sa gloire, quand, selon sa promesse, il viendra sur les nuées des cieux, au jour où ses ennemis seront mis sous ses pieds!»


XX. Noé et sa postérité, jusqu'à Abraham.


9: 18-29

§ 226. La Bible ne nous fait connaître qu'un seul trait de la vie de Noé, postérieurement au déluge; mais ce trait est d'une haute importance pour nous, comme il le fut pour les Israélites. Ceux-ci étaient dans le désert et près d'entrer au pays de Canaan, lorsque Moïse écrivit la Genèse de la part de Dieu; or Dieu voulut qu'ils connussent l'histoire du peuple qui habitait ce pays, aussi bien que la leur propre. C'est pourquoi vous voyez le nom de Canaan paraître déjà dans le verset 18 avec celui des trois fils de Noé, de qui, nous dit le verset 19, le genre humain tout entier est descendu. Malgré les différences qui existent entre les diverses races dont se compose l'humanité, il est incontestable que l'homme est partout le même être au physique et au moral, en sorte que toutes ces différences sont accidentelles. Effets du climat, de la nourriture, des coutumes, de la dégradation, elles peuvent s'être établies d'assez bonne heure, car c'est dans sa jeunesse que le genre humain a dû se modifier le plus aisément.

9: 20
§ 227. Au sortir de l'arche, Noé eut plutôt à cultiver la terre qu'à soigner des troupeaux. Il lui vint l'idée de planter de la vigne, idée qu'on serait tenté d'appeler malheureuse, quand on voit l'abus que l'homme fait partout des liqueurs enivrantes et le désordre que le vin introduisit de si bonne heure dans la famille du patriarche. Jusqu'alors, la vigne avait crû à l'état sauvage, comme on la voit, par exemple, sur les côtes occidentales de l'Amérique du Nord. Mais dès qu'elle fut cultivée, les produits en furent et plus considérables et meilleurs. Du fruit de la vigne, si savoureux et si sain, Noé exprima un jus doux et flatteur au palais, mais qui, lorsqu'il a fermenté, trouble la raison de l'homme. Non pas le premier jour sans doute, mais une fois entre autres le vieillard s'oublia jusqu'à boire avec excès. Il s'enivra et ne sachant plus se conduire, il se coucha au milieu de sa tente sans s'être enveloppé dans ses vêtements.

§ 228. Le péché de Noé fut un péché de friandise, ou de gourmandise, plus encore que d'ivrognerie; mais ce n'est pas avec l'intention de pallier la laideur de sa faute que je dis cela. Il n'est pas, en effet, de vice plus ignoble que la friandise. Se laisser, comme on dit, gouverner par sa bouche! On ne saurait croire à combien de péchés et même de crimes ce défaut peut conduire. On voit des enfants voler leurs parents pour le satisfaire, des domestiques commettre une foule d'infidélités, et il n'est pas de passion peut-être qui pousse autant de jeunes filles dans le désordre et l'infamie. Quant à Noé, vous voyez qu'il se satisfit jusqu'à l'ivresse, c'est-à-dire qu'il se mit dans l'état le plus avilissant qu'on puisse imaginer.

9: 22
§ 229. Il n'est permis dans aucun cas d'appeler bien ce qui est mal; non, pas même lorsque ce sont nos parents qui font ce mal. Mais autre chose est de haïr le péché, et autre chose de mépriser le pécheur. Celui-ci doit plutôt nous inspirer de la commisération, et s'il se trouve que ce soit un de nos supérieurs, il ne nous est jamais loisible de lui manquer de respect. Ce fut là le péché, ou dirai-je le crime de Cam, le plus jeune des fils de Noé (vers. 24). Le Saint-Esprit, nous donnant ici un bel exemple de charité, se sert des expressions les plus radoucies au sujet de ce mauvais fils; mais il est aisé de comprendre que ce fut en se moquant de Noé que Cam alla raconter à son frère ce qu'il avait vu. Ou bien, nous devrons dire que son tort consista dans le seul fait d'avoir parlé, et effectivement, cela même lui était interdit, car c'était de la médisance et encore envers un père!

§ 230. Combien fut différente la conduite de Sem et de Japhet! Au lieu de divulguer les péchés, la charité les couvre autant qu'elle le peut. Certainement Sem et Japhet éprouvèrent de la honte à cause de leur père; mais quel respect et quel amour ne lui témoignèrent-ils pas! Bel exemple à suivre, lorsque nous voyons quelqu'un de nos frères tomber dans le péché! Grande leçon surtout pour les enfants! Rien ne saurait les dispenser de la vénération qu'ils doivent aux auteurs de leurs jours.

9: 24
§ 231. Après le péché vient le châtiment, c'est l'ordre établi de Dieu. Noé avait eu le sien, et ce ne dut pas être une faible peine, ajoutée à son humiliation, que de devoir maudire son fils pour une faute dont il avait été la première cause. Mais ce fils qui n'avait pas craint d'insulter à son père, était sûrement un homme de peu de piété. Ses enfants, et surtout Canaan, marchaient sur ses traces. Tandis que le péché de Noé avait été la chute momentanée d'un serviteur de l'Éternel, celui de Cam, auquel plusieurs pensent que Canaan se joignit, n'était que la manifestation d'un cœur éloigné de Dieu et étranger à sa grâce. Il faut avoir tout cela devant les yeux pour comprendre la malédiction de Noé.

§ 232. On doit encore considérer que ce ne fut pas proprement de lui que vint la malédiction. «Prédicateur de la justice (2 Pier. II, 5),» il ne fut que l'organe même de Dieu. Ce qui le prouve, c'est la manière admirable dont s'accomplit sa prophétie plusieurs siècles après, et dont elle s'accomplit encore de nos jours. On pourrait en voir une autre preuve en ce que Noé maudit non pas Cam proprement, mais son fils Canaan, ou plutôt encore sa postérité. Ce n'est donc pas la colère de l'homme qui parle ici; c'est la juste colère de Dieu. Cependant, selon sa coutume, Dieu place la bénédiction à côté de la malédiction.

9: 25-27
§ 233. Si Cam est maudit dans la personne des enfants de Canaan, Sem et Japhet sont bénis chacun à sa manière. Les Cananéens seront esclaves des enfants de Sem, puis, de ceux de Japhet. L'Éternel sera le Dieu de Sem, puis celui de Japhet, qui, attiré par des voies de douceur, remplacera Sem au point de vue religieux, ou, selon une autre traduction, s'étendra de manière à habiter dans le même pays que Sem. Telle est la prophétie; en voici l'accomplissement.

§ 234. On apprend des chapitres X et XI, que l'Afrique fut principalement peuplée par les fils de Cam, l'Asie par ceux de Sem, et l'Europe par ceux de Japhet. On y voit de plus qu'Abraham et le peuple juif descendirent de Sem. Or l'histoire nous montre en général l'Afrique fournissant des esclaves aux Asiatiques et aux Européens; et en particulier, les Cananéens domptés par les Israélites. Mais ce qu'il y a de plus frappant, c'est qu'en effet la connaissance du vrai Dieu s'est conservée dans la famille d'Abraham alors qu'elle s'était effacée partout; et enfin, que les Européens, appelés à Dieu par la douce parole de l'Évangile, sont maintenant son peuple, à l'exclusion des Juifs; ou, pour suivre l'autre traduction, que les Européens ont porté leurs établissements dans presque toute l'Asie. Comme la prophétie de Noé est en termes fort généraux, l'explication ne peut non plus s'en donner que d'une manière générale. C'est-à-dire qu'il serait aisé de faire contre ce commentaire des objections de détail très fondées; mais ces objections ne détruiraient pas la vérité générale du commentaire. — Ainsi donc, on ne peut douter que l'ensemble des destinées religieuses du genre humain ne soit l'objet de cette admirable prophétie, dont une partie seulement (les privilégies de Sem) était accomplie aux jours de Moïse; dont une autre partie (la malédiction de Canaan) ne devait s'effectuer qu'après sa mort, et dont l'essentiel (la vocation de Japhet) se réalisa seulement 1500 ans environ après Moïse, et 2400 après Noé. Quel beau témoignage que le livre dont nous faisons l'étude est bien réellement la Parole de Dieu!

§ 235. On ne peut savoir au juste en quelle année tout cela eut lieu; mais ce devait être assez longtemps après le déluge, puisqu'il est question de Canaan dans ce récit, et qu'il fut le quatrième fils de Cam (chap. X, vers. 6). — Quant à Noé, il vécu 950 ans, savoir 600 ans jusqu'au déluge et 350 ans après. Il mourut donc l'an 2006 de la création du monde, une année avant la naissance d'Abraham. Il avait vécu 600 ans en même temps que Méthuséla, et celui-ci avait vécu 243 ans en même temps qu'Adam, comme je l'ai dit ailleurs (§ 175).

10: 1
§ 236 Le chapitre X, qui est celui où nous sommes parvenus, renferme le nom des premiers descendants de Noé, et, selon toute apparence, de quelques-uns d'entre eux seulement; car il est possible que Moïse n'ait dû mentionner que ceux qui avaient donné leur nom aux peuplades et aux tribus qui, vivant près de lui, devaient jouer plus tard quelque rôle dans l'histoire du peuple de Dieu.

§ 237. Nous avons d'abord les fils et petits-fils de Japhet, parce qu'il était l'aîné, comme on le voit au verset 21. Parmi eux, sont Javan, Elisa , noms que la Bible donne plus tard à la Macédoine et à la Grèce. Parmi ceux de Cam se trouvent les noms de Cus (l'Éthiopie), et de Mitzraïm (l'Égypte). Enfin, parmi ceux de Sem, sont Assur, l'Assyrie; Aram, la Syrie, et Elam, la Perse. Je me borne à relever ces noms parce qu'il en est fait une mention fréquente dans les Saints Livres, et que cela suffit pour montrer qu'en effet l'Europe fut peuplée par la postérité de Japhet, l'Afrique par celle de Cam, et l'Asie par celle de Sem.

10: 9
§ 238. La postérité de Cam eut, hélas! beaucoup de rapports avec celle de Caïn. Nemrod joue ici à peu près le même rôle que Lémec, le mari d'Hada et de Tsilla (§ 163). Ce fut lui, de plus, qui jeta les fondements de plusieurs villes, dont deux entre autres furent plus tard fort célèbres, Babel ou Babylone et Ninive. Chasseur et guerrier, actif pour les choses de ce monde et probablement fort despote, tel fut Nemrod, arrière-petit-fils de Noé.

10: 24-25
§ 239. Parmi les descendants de Sem, il en est deux à remarquer, Heber, arrière-petits-fils de Sem, qui donna le nom d'Hébreux au peuple particulier dont l'histoire fera le principal sujet de ces études; et Péleg, fils d'Heber, du vivant duquel les familles issues de Noé se séparèrent les unes des autres, pour se répandre sur la face de la terre. Les neuf premiers versets du chapitre XI nous racontent comment eut lieu cette dispersion.

11: 1-9
§ 240. Durant les premiers temps du monde, et encore après le déluge, les hommes issus du même père, parlaient tous le même langage. Mais, du vivant de Péleg, c'est-à-dire entre l'an 200 après le déluge et l'an 300, ils commencèrent à se détourner de Dieu, à s'enfler d'orgueil, à ne penser qu'aux choses de la terre. Éprouvant le besoin de se tenir près les uns des autres et résistant à Dieu qui les voulait répandre sur la face du globe, ils se mirent à bâtir une tour et une ville qui leur servît comme de point de ralliement contre l'Éternel. Peut-être même qu'en faisant le projet de bâtir une tour plus haute que les montagnes, ils songeaient à se procurer une retraite contre un nouveau déluge. Il est vrai que Dieu avait promis de n'en plus envoyer; mais c'est le propre et le malheur, comme le crime de l'incrédulité, d'oublier les promesses de Dieu, ainsi qu'on voit parmi nous les mondains rejeter la promesse de la vie éternelle qui est en Jésus-Christ. Or la conscience ne perd jamais complètement ses droits; quand on méprise les promesses de Dieu, il ne reste plus que la frayeur de ses jugements.

§ 241. Pour châtier ces méchants et pour accomplir en même temps ses desseins à l'égard de la terre, qu'il voulait partout habitée, Dieu confondit leur langage, c'est-à-dire que les hommes se mirent à parler plusieurs langues très différentes. Alors, ceux qui avaient le même idiome dûrent se réunir à part. C'étaient probablement les membres d'une même famille, et ce fut ainsi qu'ils se séparèrent les uns des autres.

§ 242. Cette merveille de la puissance de Dieu n'a rien en soi d'incroyable. Car celui qui a doué l'homme de la parole, a pu sans doute faire parler aux hommes la langue qu'il a voulu. Ensuite, il n'y a pas de miracle plus attesté que celui-ci. Il est de fait que les hommes ne parlent pas tous le même langage, quoiqu'ils ne fassent qu'une seule famille. Parmi ces langages, il en est qui ont pu se former par un progrès ou une détérioration insensible; mais il en est qui n'ont entr'eux d'autres rapports, sinon que ce sont tous des langages humains. C'est ce qu'on appelle les langues mères, et bien certainement elles n'ont pu naître elles-mêmes que par la puissance de Dieu. Il y eut donc ici une catastrophe, comme il y en eut une pour la submersion des hautes montagnes. — Peut-être un jour viendra ou le Seigneur rendra aux hommes un langage qui puisse être compris de tous. En attendant, admirons combien le Seigneur est juste et sage dans toutes ses voies. Que l'histoire de la tour de Babel (mot qui veut dire confusion) nous montre, comme l'a fait celle du déluge, que nul ne peut s'opposer au Seigneur et s'en bien trouver. Les hommes ont beau se liguer contre lui, il sera toujours le plus fort.

§ 243. Quant aux expressions dont se sert ici l'historien sacré, je pense que mes lecteurs commencent à se les familiariser. «L'Éternel descendit,» manière de parler pour dire que ces méchants ne purent lui échapper. Et quant à ce pluriel: «Venez, descendons et confondons leur langage,» on se rappelle sans doute ce qui a été dit là-dessus, §§ 22, 37.


XXI. Généalogie et vocation d'Abraham.


11: 9-28
§ 244. Cet Abraham dont la Bible nous raconte la vie avec assez de détails, et qui s'appelait d'abord Abram, descendait de Noé par Sem. Nous avons ici sa généalogie. Chacun des fils et petit-fils de Sem eut sans doute plusieurs enfants; mais la Bible ne nomme en cet endroit que celui de leurs fils de qui descendit Abraham. En voici la suite, avec l'année de leur naissance et celle de leur mort...

à partir du déluge:




Né l'an... Mort l'an...
1 Sem
502
2 Arpasçad 2 440
3 Scélah 37 470
4 Heber 67 531
5 Péleg 101 340
6 Réhu 131 370
7 Sérug 163 393
8 Nacor 193 341
9 Taré 222 427

Arpasçad étant né deux ans après le déluge, pour avoir l'année où naquit Scélah, je n'ai qu'ajouter à 2 les 35 années qu'avait Arpasçad quand Scélah naquit et ainsi des autres.

§ 245. L'année de la naissance d'Abraham n'est pas aussi facile à établir. On pourrait croire, d'après le verset 26, que Taré ou Térah, avait 70 ans quand Abraham naquit, et alors ce serait l'an 292. Mais quoiqu'Abraham soit nommé le premier, il ne fut pas l'aîné de ses frères, Nacor et Haran, qui eux-mêmes avait peut-être des aînés. On voit par la fin du chapitre, et parce que dit Étienne dans Actes VII, verset 4, qu'Abraham n'entra au pays de Canaan qu'après la mort de son père. Or, comme celui-ci mourut l'an 427 du déluge, et qu'Abraham avait 75 ans lorsqu'il atteignit le pays de Canaan, il s'ensuit qu'il est né l'an 351, ou 352 après le déluge, ou l'an 2007 après la création du monde.

§ 246. Il résulte de là qu'au moment où Abraham vit le jour, Péleg et Nacor étaient les seuls de ses ancêtres qui fussent morts. Réhu mourut qu'Abraham avait 18 ans. Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que Sem, le père de toute cette famille, vécut 150 ans en même temps qu'Abraham, lequel mourut l'an 2182, à l'âge de 175 ans (ch. XXV, v. 7); et ensuite que Heber, arrière-petit-fils de Sem, vécut encore quatre ans après la mort d'Abraham. Cette dernière circonstance explique pourquoi, au chapitre précédent, verset 21, il est fait mention spéciale de Heber, et pourquoi la portion privilégiée de la postérité d'Abraham s'appela le peuple Hébreu, du nom de ce vénérable patriarche, dont le souvenir était, au temps même de Moïse, encore si récent.

11: 27-31
§ 247. Des trois fils de Taré que la Bible nomme, l’un d'entre eux, Haran, mourut jeune encore, laissant aux soins de son père un fils et deux filles, savoir: Lot, Milca et Jisca. Milca devint la femme de son oncle Nacor. Quant à Abram, il épousa Saraï qui était sa sœur de père, mais non pas de mère, comme il est dit au chapitre XX, verset 12. On voit par là qu'en ce temps, il se faisait encore des mariages entre proches parents. Toutefois, l'union d'Abraham avec sa sœur ne fut pas d'abord bénie, car ils n'avaient point d'enfants, et c'était probablement une chose inouïe à cette époque, où, selon la parole que Dieu avait dite à Noé, il donnait à tous une nombreuse famille.

§ 248. Les ancêtres d'Abraham ne s'étaient pas beaucoup écartés des lieux où Noé avait reformé ses établissements. Ils occupaient la Chaldée, vers les sources de l'Euphrate et non loin du mont Ararat. Leur demeure s'appelait Ur. C'est là que Haran était né et qu'il mourut. Mais, quatre siècles environ après le déluge, Taré ayant pris avec lui Abraham son fils et Lot son petit-fils, devenu orphelin, se dirigea au sud-ouest du côté du pays où Canaan et sa famille s'étaient transportés à l'époque de la dispersion. Nous voyons par le chapitre suivant ce qui fit prendre à Taré cette détermination. Dieu avait donné un ordre à Abraham, et Taré ne voulut pas séparer son sort de celui de son fils. Mais Dieu en avait disposé autrement. La caravane dut s'arrêter à Caran, en Mésopotamie, et ce fut là que mourut Taré.

12: 1
§ 249. Soit dans une vision, soit par un songe, ou, plus simplement peut-être par la bouche de ses prophètes Sem et Heber, qui vivaient encore, l'Éternel avait ordonné à Abraham de quitter son pays natal, sa parenté et le toit paternel, et de se rendre au pays qui lui serait indiqué. Ce dut être pour Abraham un ordre pénible; car le lieu qu'il allait quitter est une des plus belles contrées de la terre, et dans sa parenté se trouvait tout ce qu'il y avait encore de plus respectable parmi les hommes. Plus tard, quand il vit qu'il s'agissait de s'établir en Canaan, pour vivre près de gens méchants que Dieu avait maudits, l'obéissance lui dut être plus coûteuse encore. Aussi ne peut-on qu'admirer la sagesse de Dieu qui ne lui fit pas sentir d'abord l'étendue du sacrifice. C'est ainsi qu'un pécheur qui se convertit ne voit pas d'entrée tous ceux auxquels sa foi l'exposera. C'est une grande bonté du Seigneur.

12: 2-3
§ 250. Mais voici surtout où brille sa miséricorde. À son commandement il joint toujours des promesses, et c'est dans la foi aux promesses que se trouve la force d'accomplir le commandement. Il en fut ainsi pour Abraham, et nous pouvons très bien, par anticipation, dire en peu de mots comment se réalisèrent plus tard les prophéties dont il fut l'objet.

§ 251. «Je te ferai devenir une grande nation.» Quelle grande nation que ce peuple juif qui a conservé son existence individuelle depuis tant de siècles, ce peuple favorisé des révélations de Dieu, qui a vu dans son sein des prophètes tels que Moïse, David, Ésaïe, et surtout qui a donné naissance, quant à la chair, à Jésus-Christ, le Seigneur et le Sauveur du monde! Et si de plus on se rappelle que, d'après la Bible, Abraham est spirituellement le père de tous les croyants, quel grand et illustre peuple que celui dont il est ainsi la tige au point de vue religieux!

§ 252. «Je te bénirai et je rendrai ton nom grand.» Par un effet des bénédictions que l'Éternel a répandues sur Abraham, son nom est en effet un des plus grands qui aient paru sur la terre. Il n'a pas conquis des royaumes, il n'a point écrit de prophéties, il n'a fait aucun miracle, et cependant son nom est en vénération chez les chrétiens dont il est le père spirituel, chez les Juifs qui sortent de lui, et chez les musulmans qui l'appellent aussi leur père, à cause d'Ismaël, de qui descendent les Arabes et par conséquent Mahomet.

§ 253. «Tu seras bénédiction, et je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ceux qui te maudiront.» Toute l'histoire d'Abraham nous montrera l'accomplissement de cette promesse, comme l'histoire du peuple de Dieu nous atteste que, dans tous les temps, les fidèles ont été pour le monde une bénédiction, que Dieu les a toujours pris sous sa protection spéciale en bénissant ceux qui leur ont fait du bien, et en châtiant sévèrement leurs persécuteurs.

§ 254. «Toutes les familles de la terre seront bénies en toi.» ou se déclareront bénies par toi. Cette portion de la promesse n'est pas accomplie, car il est hélas! une foule innombrable de familles qui sont encore étrangères à la bénédiction. Mais, quand on voit comme le reste de la prophétie s'est trouvé vrai, l'on ne saurait douter que la promesse entière ne se réalise au temps convenable. Or de quelle manière Abraham devait-il être, pour tous les peuples du monde, une source de bénédiction? C’est ce que la Parole de Dieu saura bien nous dire dans un moment. — En attendant, présentons quelques considérations abrégées sur ce qui vient d'être exposé selon la Bible.

§ 255. Ce récit de la vocation d'Abraham, ou de l'appel que Dieu lui adressa, doit nous faire réfléchir à la vocation, ou à l'appel que Dieu nous adresse à nous-mêmes dans sa Parole. Il nous appelle à la félicité céleste par Jésus-Christ. C'est-à-dire qu'il nous invite à renoncer au monde, à sa gloire et à ses faux biens. Souvent même, pour obéir aux appels de Dieu, nous ne devons pas craindre de nous mettre en opposition avec notre famille et avec tout ce que nous avons de plus cher ici-bas. Mais, quels que soient les sacrifices que réclament de nous les appels de Dieu, ne regarderons-nous pas, et ces appels et ces sacrifices mêmes, comme de vraies grâces? Oh! que bienheureuse est l'âme à qui le Seigneur dit: Sors, sors du péché et viens au pays de la promesse.

§ 256. La promesse! nous avons vu celle que Dieu fit à Adam; puis nous avons vu que son alliance avec Noé fut aussi fondée sur une promesse: pareille chose se présente pour Abraham. Eh bien, je ne puis m'empêcher de vous dire, par anticipation, les grandes promesses qu'il nous fait en notre Seigneur Jésus-Christ. En Lui, nous appartenons à la nation sainte qu'il s'est acquise par son sang; en Lui, nous sommes bénis de toutes sortes de bénédictions spirituelles dans les lieux célestes; en Lui, nous recevons un nouveau nom que personne ne connaît que celui qui le reçoit, tant il est grand (Apoc. II, 17); en Lui, nous devenons la lumière du monde et le sel de la terre; en Lui, nous sommes gardés par la puissance de Dieu, par la foi. Que de raisons pour obéir aux appels de notre bon Dieu! Mes chers lecteurs, si vous êtes de Christ, rappelez-vous sans cesse votre vocation céleste et les promesses admirables que la grâce de l'Éternel y a rattachées.


XXII. Entrée d'Abraham au pays de Canaan et son voyage en Égypte.


12: 4-5
§ 257. C'est un moment plein d'intérêt dans l'Histoire Sainte que celui où le père des croyants vit pour la première fois le pays dont Dieu a fait dès lors le théâtre de tant de merveilles. Sans être encore aux limites de la vie, il s'en fallait qu'il fût jeune, même pour cette époque. Il avait avec lui Saraï sa femme, Lot son neveu, des serviteurs et des servantes avec leurs enfants; puis des troupeaux qui leur fournissaient à la fois le vêtement et la nourriture. C'était une petite tribu nomade comme on en voit encore dans ces contrées.

§ 258. Je ne chercherai pas à décrire les sentiments qui animaient le cœur d'Abraham, puisque la Bible elle-même ne le fait pas. Il est à présumer toutefois qu'il éprouvait la douce paix qu'on goûte toujours quand on obéit à un commandement de Dieu et qu'on occupe la situation où il a voulu nous placer. Il ne devait pas voir fort clair dans son avenir; le présent même n'avait rien qui dût beaucoup lui sourire; mais il a entendu les promesses de Dieu, il y croit du fond de son âme, et sa foi lui donne tout ensemble l'obéissance et le bonheur.

12: 6-7
§ 259. Abraham, étant entré dans le pays de Canaan par sa frontière nord-est, pénétra facilement, au travers des montagnes, jusque dans l'intérieur du pays. Cette contrée ne devait encore compter qu'un assez petit nombre d'habitants, et ces habitants étaient des Cananéens avec lesquels Abraham ne pouvait guère songer à se mettre en relations fort étroites. Quand il fut arrivé dans la plaine de More, L'Éternel Lui apparut. C'est la première fois que la Bible fait mention d'une apparition de Dieu. Nous l'avons entendu parler à Adam après le péché, à Caïn, à Noé, à Abraham même lorsqu'il l'invita à quitter le pays de ses pères. Ici, évidemment, nous avons quelque chose de plus. Mais sous quelle apparence le patriarche vit-il l'Éternel? C'est ce qui ne nous est pas dit, et ce que nous ne devons pas chercher à imaginer. Peut-être que les faits de même nature qui nous seront racontés plus tard nous aideront à concevoir celui-ci.

§ 260. Qu'est-ce donc que le Seigneur avait à révéler d'extraordinaire, pour y mettre une solennité toute nouvelle? Le voici: c'est qu'il donnerait à la postérité d'Abraham le pays même où il se trouvait alors. À sa postérité, et non point à lui proprement; à sa postérité, et il n'avait point d'enfants, ni aucune espérance d'en avoir; à une postérité toutefois qui deviendrait célèbre, et au sein de laquelle naîtrait Celui qui est spécialement la postérité d'Abraham , Celui à qui toute la terre appartient et le pays de Canaan d'une façon particulière. Vous comprenez que je vous parle de notre Seigneur Jésus-Christ. Quand on pense à tous les événements qui se sont passés en Judée, nom que porta plus tard la Terre Sainte; quand on pense surtout que le Seigneur y a vécu, qu'il y est mort et ressuscité, que ce pays est sûrement destiné à voir encore de grandes choses, car il est toujours, devant Dieu, le pays des Juifs et celui d'Emmanuel, notre Sauveur, on ne s'étonnera pas que le Seigneur lui-même se soit montré à Abraham pour lui annoncer de telles merveilles.

§ 261. À l'ouïe de ces paroles, Abraham adora le Seigneur, comme nous devons le faire nous-mêmes en les méditant, et, pendant qu'il jouissait de sa douce présence, il lui éleva un autel. Mais cet autel était destiné à recevoir des offrandes et surtout le sang des victimes. Abraham rendait donc à Dieu le même culte qu'Adam , qu'Abel et que Noé, ce culte des sacrifices qui suppose, d'un côté que l'homme est pécheur, d'un autre qu'il y a une expiation possible par la grâce de Dieu.

12: 8
§ 262. L'endroit où Abraham transféra ses tentes depuis son départ de Moré ne portait pas encore le nom de Béthel, car nous verrons que ce nom lui fut donné par Jacob son petit-fils; mais Moïse, qui écrivait tout ceci longtemps après, désigne les localités que les Israélites allaient voir, par les noms que les pères leur avaient assignés. C'est une chose toute naturelle et je n'en ferais pas mention, s'il n'y avait eu des incrédules qui ont accusé le récit de Moïse d'inexactitude, parce qu'il parle ici comme tout le monde l'aurait fait à sa place. Mais ce qui est plus intéressant à remarquer, c'est que , arrivé entre Béthel et Haï, Abraham bâtit un nouvel autel pour rendre son culte au Seigneur. Telle était sa piété. À son exemple, il faut aussi que, partout où nous allons, nous élevions un autel à Dieu; c'est-à-dire que, partout et toujours , nous lui présentions nos prières et notre adoration par Jésus-Christ.

12: 9-10
§ 263. Abraham, en s'avançant de plus en plus vers le midi, se rapprocha de l'Égypte, pays où s'était établie et promptement accrue la postérité de Mitzraïm, fils de Cam (§ 237); car c'est un pays qui offrit de tout temps de grandes ressources à ses habitants, grâce aux inondations régulières du Nil. Quand Abraham fut arrivé au midi de Canaan, il survint une disette, occasionnée sans doute par l'absence prolongée des pluies sans lesquelles cette contrée est bientôt aussi aride que le désert. Inquiet pour l'existence de ses troupeaux et de tout son monde, il se décida à descendre en Égypte. Il eût mieux fait peut-être de voir s'il n'y avait pas dans le pays de la promesse, quelque district moins maltraité que celui où il se trouvait alors.

12: 11-13
§ 264. Cette première faute, si c'en fût une (car, enfin , il se pouvait que tout le pays souffrit du même mal), cette première faute, dis-je, grave au point de vue de la foi, fut suivie d'une autre faute très-réelle et qu'Abraham n'eût pas commise s'il avait été plus ferme dans sa confiance aux promesses de Dieu. Oubliant la protection que l'Éternel lui avait assurée (§ 253). Il se livra à la crainte que les Égyptiens ne lui ôtassent la vie, pour s'emparer de sa femme. Quoique Saraï fût moins âgée qu'Abraham, cependant elle n'était plus jeune, et il y avait quelque chose d'extraordinaire, quoique de non miraculeux, dans la beauté qu'elle avait conservée. Quelques-uns pensent que, sous le climat brûlant de l'Égypte, les descendants de Cam avaient déjà vu leur teint se noircir, tandis qu'Abraham et Saraï conservaient la beauté primitive de la race humaine. Quoi qu’il en soit, Abraham craignit, et d'une crainte qui n'était pas complètement chimérique, car il paraît que le Pharaon, ou le chef des Mitsraïmites, ou Égyptiens, avait déjà toutes les habitudes des despotes de l'Orient.

12: 11-13
§ 265. Mais, quelque légitimes que puissent paraître nos craintes, si nous sommes des enfants de Dieu, la foi doit nous raffermir, et surtout il ne saurait y avoir là une excuse à nos péchés. C'est une passion dangereuse que la peur; elle a souvent poussé les hommes jusqu'au crime. Dans cette occasion, elle fournit à Abraham l'idée d'une tromperie indigne, à tous égards, d'un serviteur de Dieu. Il engagea Saraï à se faire passer pour sa sœur, dans la pensée que , si on la lui ravissait, bien loin de le tuer, on le traiterait favorablement à cause d'elle. N'est-ce pas qu'il y a quelque chose de honteux dans cette conduite d'Abraham? Il ne faut pas dire pour l'excuser qu'en effet Saraï était sa sœur; car elle était plus que sa sœur. Ce qu'il cachait de ses relations avec elle était précisément ce qu'il fallait dire; et il est des cas où l'on ment tout autant en ne disant qu'une partie de la vérité que si on la taisait tout entière. Je reconnais donc que la tromperie d'Abraham ne fut pas un de ces mensonges grossiers, impudents, qui révoltent universellement; toujours est-il qu’il fit ce qu'il put pour induire en erreur ceux qu'il croyait avoir intérêt à tromper, et il y parvint -— Voyez comment Abraham, cet homme pieux, se montra poltron, égoïste et menteur, par l'effet immédiat d'un affaiblissement de sa foi et que cela vous soit un salutaire exemple.

12: 14-16
§ 266. Ce qu'Abraham avait prévu arriva. Sa femme ayant été remarquée, on la vanta à Pharaon; celui-ci la fit conduire dans sa maison et il combla de présents cet Hébreu qu'il croyait simplement frère de Saraï. Si quelqu'un de mes lecteurs était tenté de manifester de la surprise en voyant les péchés d'Abraham couronnés d'une riche récompense, je lui dirais: Eh! mon ami, penses-tu donc que ce soit toujours un bonheur que d'être riche? Si tu nourris cette idée, bientôt tu auras, dans l'histoire même d'Abraham, de quoi te détromper. Et puis, crois-tu que le patriarche dût être bien heureux en recevant tous ces dons? Il venait de tomber en faute, mais ce n'était pourtant pas un homme sans foi et sans cœur. Je ne doute pas que sa conscience ne dût être fort mal à l'aise, et, certes, la magnificence de ces présents ne pouvait qu'accroître sa honte et sa douleur.

12: 17-20
§ 267. Mais l'Éternel eut pitié d'Abraham. Pour faire sentir à son serviteur, avec une bienveillance toute divine, le tort dont il s'était rendu coupable, il lui accorda une délivrance dont il était au fond bien indigne et qui devait lui rappeler cette parole solennelle: «Je maudirai ceux qui te maudiront.» Pharaon avait ravi à Abraham sa sœur (il ne croyait pas qu'elle lui fût autre chose); mais cela suffisait pour que l'Éternel appesantit sa main sur le roi et sur sa maison. Quelque maladie grave peut-être étant venue jeter la consternation chez le prince, Saraï s'empressa de lui faire connaître toute la vérité, par conséquent le péché qu'il commettrait s'il la prenait pour sa femme. Pharaon effrayé, ou moins corrompu qu'Abraham ne l'avait pensé (car, dans sa frayeur, il l'avait jugé témérairement), Pharaon, dis-je, rendit Saraï à Abraham, mais non sans lui faire des reproches qui durent le remplir de confusion, et il les renvoya, eux et leurs gens, avec tout ce qui leur appartenait.


XXIII. Abraham et Lot se séparent. — Renouvellement de la promesse.


13: 1
§ 268. Il ne faut pas que la portion de l'histoire XIII d'Abraham qui vient de nous occuper nous le fasse prendre en mépris. Ce fut une grande chute sans doute, mais nous allons le voir se relever glorieusement par la grâce de Dieu.

§ 269. Riche en bétail, en argent et en or, Abraham partit d'Égypte pour retourner dans la partie méridionale du pays de Canaan. Marchant aussi vite qu'il le pouvait avec sa nombreuse caravane, il poussa jusqu'aux lieux où il avait fait ses premières haltes et où il avait rendu son culte à l'Éternel. Il semblerait qu'Abraham, sous le poids de ses fautes, éprouvât le besoin de mettre le plus de terrain possible entre lui et l'Égypte, tout en se rapprochant de la contrée où l'Éternel lui était apparu avec tant de miséricorde. C'est bien ainsi, du moins, que nous devons faire quand nous avons péché. Lorsque le chrétien sent quelque langueur dans sa vie spirituelle, ce qu'il y a de mieux pour lui, ce n'est pas de courir après des nouveautés, mais de s'informer des anciens chemins et d'y marcher; c'est-à-dire qu'il doit retremper son âme par la méditation des vérités qui furent pour lui, au moment de sa conversion, le principe d'une vie nouvelle.

13: 1-4
§ 270. Lot n'était plus un enfant lorsqu'il partit avec Abraham pour Canaan. Fils d'Haran, qui était peut-être de beaucoup l'aîné d'Abraham, il pouvait facilement compter à cette époque une cinquantaine d'années au moins. Il avait sans doute hérité des biens de son père; son bétail s'était accru dès lors, ainsi que le nombre de ses gens; peut-être avait-il eu quelque part aux faveurs de Pharaon. Il était donc aussi fort riche, mais d'un genre de richesses qui donne beaucoup d'embarras: c'étaient essentiellement des troupeaux et des bergers en grand nombre. Pour qu'ils pussent subsister, il fallait à Lot et à Abraham réunis de vastes et abondants pâturages; ce qui était plus difficile encore, il leur fallait beaucoup d'eau, chose souvent fort rare sur les montagnes. D'ailleurs, les Cananéens et les Phérésiens étaient dans le pays. Quoique ce ne fussent pas encore des tribus fort considérables (ce qui explique comment elles toléraient ces étrangers) il n'y avait pas moyen cependant qu'Abraham ne leur laissât une bonne part du territoire. De tout cela naquirent des querelles entre les bergers d'Abraham et ceux de Lot, querelles d'autant plus fâcheuses que les Cananéens pouvaient en être les témoins et en recevoir du scandale.

13: 8-9
§ 271. Ce fut alors qu'Abraham put voir par son expérience que les richesses ne sont pas toujours un aussi grand avantage qu'on le croit; car il dut prendre une résolution bien pénible pour son cœur, celle de se séparer de Lot, son neveu et en quelque sorte son fils, son seul ami intime dans cette terre étrangère. La manière dont la chose se passa est fort remarquable. Abraham eût pu, sans se rendre coupable d'aucun péché, inviter amicalement son neveu à retourner dans le pays de leurs pères; il eût pu tout au moins choisir le lieu où il entendait demeurer, car il était l'oncle, et surtout c'était lui et non pas Lot que l'Éternel avait appelé en Canaan. Mais la conduite si débonnaire du patriarche n'en est que plus admirable. Il y montre beaucoup de douceur, de désintéressement, d'amour de la paix et de zèle pour l'honneur de Dieu, ce qui est le vrai caractère de ses enfants. Il n'y avait point encore eu de dispute entre Abraham et Lot, mais qui sait ce qui pouvait arriver? D'ailleurs qu'il y en eût entre leurs bergers, c'était presque la même chose. L'enfant de Dieu, non seulement vit en paix avec tout le monde, mais encore il désire que ceux qui lui appartiennent aient ses dispositions et ses habitudes paisibles. Tout cela était d'autant plus nécessaire que les liens d'une étroite parenté unissaient Lot et Abraham; ce que signifient ces mots: «Nous sommes frères.»

§ 272. Il y a une grande différence entre la conduite magnanime d'Abraham et ce qu'il avait fait en Égypte. C'est que sa foi, qui avait subi pour ainsi dire une éclipse, était revenue brillante et ferme plus que jamais. S'il laisse à Lot le soin de choisir lui-même la portion du pays qu'il habitera, c'est dans la pleine et juste confiance que l'Éternel dirigera toutes choses pour le mieux. Par cela même que le patriarche avait en vue la gloire du Seigneur, qu'il était mû par l'amour de la paix et par un vrai désintéressement, il avait droit en effet de compter sur l'Éternel. Sa foi est le principe de ses excellentes dispositions, et avec de telles dispositions il a raison de se confier en Dieu.

13: 10-13
§ 273. Quand on ne juge les choses que par leur premier résultat, on risque de faire de grandes erreurs. À voir Abraham sortir d'Égypte avec de grandes richesses, on serait tenté de penser, mais bien à tort, que Dieu récompensa son incrédulité; et à voir Lot prendre pour sa part la plus belle contrée de Canaan et ne laisser à son oncle que le pays des montagnes, on serait tenté de penser que Dieu traita bien mal la foi du patriarche; mais, pour prononcer, attendons la fin. — Au moment où Abraham et Lot se séparèrent, ce qu'on appelle à présent la Mer Morte n'existait pas encore. C'était la plaine basse du Jourdain. Ce fleuve, après avoir coulé au fond d'une gorge assez étroite, arrosait enfin une belle vallée, très chaude et très fertile, où l'on comptait déjà plusieurs villes en formation. Les deux principales étaient Sodome et Gomorrhe. Attiré par la magnificence de cette contrée, verdoyante comme on se représentait l'Éden d'autrefois, et que fécondaient les eaux du Jourdain comme celles du Nil enrichissaient l'Égypte, Lot se dirigea de ce côté-là, sans se laisser arrêter par la corruption bien connue des habitants. Nouvel exemple du danger que l'on court à écouter la convoitise des yeux. Tout ce qui est beau n'est pas bon (§185), et la richesse n'est pas une garantie de bonheur. C'est ce que l'histoire de Lot nous fera voir avec une grande évidence.

13: 14-18
§ 274. Quant à Abraham, demeuré dans ses montagnes, il obtint de l'Éternel ce qui vaut mieux que tous les biens du monde: la confirmation de ses promesses et par conséquent une éclatante approbation de sa conduite. Au moyen de la parole que l'Éternel lui adressa, Abraham put comprendre que tôt ou tard le pays de Canaan appartiendrait en entier à sa postérité; qu'il lui appartiendrait jusqu'à la fin du monde; que cette postérité se composerait d'une multitude immense; et quant à lui personnellement, qu'il achèverait paisiblement ses jours dans le pays de la promesse. Nous verrons plus tard comment cette quadruple prophétie s'est accomplie dans trois de ces traits au moins. Abraham a eu une nombreuse postérité; une portion de sa postérité a possédé pendant un certain temps tout le pays de Canaan; lui-même y a vécu et il y est mort en paix. Quant à ce qui est dit que sa postérité le posséderait à jamais, il semble que la Parole de Dieu ne se soit pas réalisée; mais si la postérité d'Abraham n'est que momentanément chassée de la Judée, si elle doit l'habiter de nouveau et pour ne plus la quitter jusqu'à la fin du monde, cette prophétie serait aussi vraie que les trois autres. Or, il me sera facile, plus tard, de vous montrer que, d'après la Bible, la chose doit se passer ainsi.

§ 275. En attendant, il fut bien doux pour Abraham d'ouïr le Seigneur lui parler de la sorte, au moment où il venait de se séparer de son neveu. C'est ainsi que Dieu bénit la fidélité de ses enfants. Lorsque, par sa grâce, leur foi a remporté quelque victoire, on peut compter que le Saint-Esprit renouvelle et fortifie en eux le sentiment de leur adoption. Ce ne sont pas nos bons sentiments qui nous donnent la foi; c'est elle plutôt qui est la source de tout bon sentiment dans l'âme; mais plus nous marchons selon l'Esprit, plus aussi nous sentons les promesses de Dieu vivre au dedans de nous et notre foi s'affermir.

§ 276. Comblé des faveurs de son Dieu, Abraham se dirigea plus à l'intérieur du pays, vers Mamré ou Hébron, et, selon ses coutumes pieuses, il éleva un autel à l'Éternel et lui rendit le culte de sa reconnaissance. Oh! qu'il devait se sentir plus heureux qu'à son retour d'Égypte! Dieu veuille donc nous enseigner à être, comme lui, débonnaires, désintéressés, pacifiques et pour tout dire en un mot, pleins de foi.


XXIV. Une guerre. — Melchisédec.


14: 1-11
§ 277. Une guerre! En des temps si reculés, lorsque les intérêts des sociétés naissantes étaient encore si peu compliqués, et qu'il y avait, comme on dit, place pour tout le monde! Hélas! c'est que, de tout temps les passions ont agité le cœur humain, et qu'il y a toujours eu des gens qui ont préféré se procurer par la violence des avantages qu'on ne devrait rechercher que par le travail et l'industrie. Les hommes, à l'époque d'Abraham, environ 450 ans après le déluge, dispersés çà et là, depuis la confusion des langues, se groupèrent en petites tribus, semblables à celles des indigènes actuels du sud de l'Afrique ou du nord de l'Amérique, et chacune d'elles avait son chef ou son roi. Quelques-unes de ces tribus, venues du nord-est et appartenant à la race sémitique, notamment les Hélamites (ch. X, vers. 22), avaient fait précédemment une excursion jusque dans la plaine basse du Jourdain et avaient contraint les Cananéens de cette riche contrée à leur payer un tribut. Pendant douze années ils s'acquittèrent de cette charge; mais passé ce terme, ils voulurent secouer le joug de leurs vainqueurs. De là une nouvelle invasion. L'ambition, la violence, l'injustice, voilà ce qui préside à toutes les guerres. Il n'est certes pas de chose au monde qui porte plus évidemment le cachet de Satan, de celui qui a été menteur et meurtrier dès l'origine.

§ 278. C'est aussi un terrible fléau que la guerre! Il n'y a rien par quoi Dieu châtie plus sévèrement les peuples. Ce n'est pas seulement la mort qu'elle sème à pleines mains, mais des misères de toutes sortes et particulièrement la perte de la liberté. Attaqués au milieu de leurs désordres et de leurs débauches, les Cananéens des villes de la plaine se virent entièrement battus. Les rois et une partie de leurs gens échappèrent à grand'peine; mais leurs propriétés furent pillées et les étrangers emmenèrent tous ceux de leurs gens dont ils purent s'emparer, afin d'en faire leurs esclaves. Dieu avait dit de Canaan: «Il sera le serviteur des serviteurs de ses frères» (§ 233).

14: 1-12
§ 279. Lot, qui n'avait probablement pris aucune part au combat, et qui avait pu croire que ces hommes, enfants de Sem comme lui, se feraient un devoir de l'épargner, Lot subit les tristes lois de ces sortes de guerres, dont tout le but est le pillage. Il se vit entraîné de force, lui, ses gens et ses troupeaux, par les chefs victorieux. Il sut alors à quoi l'on s'expose en formant la société même la moins étroite avec les impies, lorsqu'on n'y est pas absolument contraint. Sans doute qu'on ne peut pas toujours choisir ses relations. Il y a des liens de sang qu'on ne saurait rompre. Mais il est aussi des associations volontaires; et, quant à celles-ci, prenons garde avec qui nous les contractons. S'unir volontairement avec l'impie, l'incrédule, le mondain, le méchant, c'est s'exposer de gaîté de cœur à partager tôt ou tard les maux qu'il attire sur lui dans ce monde, sans parler de la contagion du péché qui se gagne si facilement. Que de femmes qui souffrent des désordres d'un mari avec lequel elles n'eussent jamais dû s'associer! Que de personnes, comme Lot, qui se sont laissé séduire par des avantages terrestres dans le choix d'une place, d'une association de commerce, d'une condition de domestique, et qui n'en ont recueilli, comme Lot, que toutes sortes d'infortunes!

14: 13-14
§ 280. Cependant l'Éternel eut pitié de Lot, et il est permis de supposer que, dans sa détresse, le neveu d'Abraham avait eu recours à Celui qu'on n'implore jamais en vain. Tandis que ces bandes victorieuses retournaient dans leurs pays, en marchant assez pesamment et sans beaucoup d'ordre, à raison du butin qu'elles avaient fait, un homme, échappé de la bataille, traverse la montagne derrière laquelle se trouvait Mamré et vient raconter à Abraham, descendant d'Heber, ce que des hommes de son sang avait fait aux habitants de la plaine, notamment à son neveu. Aussitôt le patriarche arme ses serviteurs au nombre de trois cent dix-huit, ce qui montre que la tribu dont il était le chef ne laissait pas d'être passablement considérable; et, ayant pour auxiliaires trois chefs cananéens de cette même contrée, il se met à la poursuite des rois.

§ 281. Voilà donc Abraham, un enfant de Dieu, qui se dispose aussi à la guerre; mais c'est comme défenseur des opprimés, c'est en libérateur qu'il va employer la force; ce n'est pas dans son propre intérêt, ni même, on peut bien le dire, par esprit de vengeance. Tout le monde sent que, pour Abraham, c'était une sainte cause et une sainte guerre, en admettant qu'il soit possible de placer ces mots les uns à côté des autres. Dans tous les cas, nous voyons que si, par égoïsme, Abraham fut timide et lâche en Égypte, cette fois la charité lui donne de l'énergie et du courage. Nous voyons de plus que s'il céda son droit avec tant de débonnaireté lorsqu'il se sépara de son neveu, ce n'était pas par faiblesse de caractère; car il est des cas où l'homme le plus doux doit savoir être ferme. Or, c'est l'esprit de Dieu qui seul donne cette bonté résolue, bien différente du laisser-aller de certaines gens, chez qui la bonté n'est qu'un manque de force et de détermination.

§ 282. Abraham n'atteignit les rois que tout au nord du pays de Canaan. Ils avaient suivi le cours du Jourdain, selon toute apparence, et ils étaient arrivés au lieu où fut plus tard la ville de Dan. — Il y a ici une difficulté que je ne saurais passer sous silence. La ville de Dan qui tira son nom des descendants de Dan, arrière-petit-fils d'Abraham, non seulement n'existait pas à l'époque de ce patriarche, mais encore ne fut fondée que cinquante ans environ après la mort de Moïse; en sorte qu'on ne comprend pas d'abord comment elle peut être nommée dans un livre écrit par ce prophète. Mais voici ce qui doit être arrivé. Moïse avait sûrement mis ici le nom de la ville cananéenne qui se trouvait sur l'emplacement où les Danites bâtirent, après l'avoir détruite, la ville de Dan. On l'appelait Laïs. Et comme les livres, jusqu'il y a quatre siècles, ne se multipliaient pas par l'imprimerie, mais par des copies, il est aisé de concevoir que, une fois et sans y songer peut-être, un copiste ait remplacé le mot de Laïs par celui de Dan, c'est-à-dire l'ancien nom par le nouveau. Il n'y aurait là rien de bien extraordinaire, et cette explication est tout à fait admissible, malgré ce qu'on sait du soin extrême que les Juifs apportaient dans leurs copies des Saints Livres.

14: 15-17
§ 283. Pour revenir à Abraham, bien que sa troupe fût sûrement moins nombreuse que celle des chefs victorieux, il avait pour lui le bon droit et la protection du Seigneur. Les vainqueurs ne s'attendaient pas à être poursuivis, ils étaient embarrassés de leurs bagages, et, surpris de divers côtés au milieu de la nuit, ils furent mis dans une entière déroute. Abraham les poursuivit jusqu'à Hobar, c'est-à-dire probablement jusqu'à ce qu'il eut pu leur reprendre tout le butin qu'ils avaient fait, surtout leurs captifs. Pendant ce temps, le roi de Sodome avait pu se reconnaître. Sachant sans doute que tout espoir de recouvrer ses biens n'était pas perdu, il se mit sur les traces d'Abraham et il le rencontra comme il revenait du combat.

14: 18-20
§ 284. Un autre roi encore vint à la rencontre d'Abraham, un roi qui n'avait figuré ni parmi les agresseurs, ni parmi les vaincus. La Bible le nomme Melchisédec, et cela veut dire roi de Justice. Elle dit qu'il était roi de Salem; or Salem est un mot hébreu qui signifie la Paix. De plus, ce roi était sacrificateur du Dieu Souverain; et bien qu'Abel, Noé, Abraham aient offert des sacrifices à Dieu, Melchisédec est le premier individu auquel la Bible donne le nom de Sacrificateur. Ce roi-sacrificateur, ce PRINCE DE LA JUSTICE ET DE LA PAIX arrive là tout exprès pour apporter à Abraham du pain et du vin, chose dont il ne manquait pas, puisqu'il avait dépouillé les ennemis; il vient aussi pour bénir Abraham , lui qui est le béni de Dieu, qui aurait eu plutôt vocation à bénir les rois de la terre, comme nous verrons que son petit-fils Jacob le fit quand on le présenta à Pharaon; il vient, enfin, ce roi-sacrificateur, pour recevoir d'Abraham le plus grand de tous les hommages, puisque le patriarche lui donna la dîme du butin comme à son Seigneur! Et puis après cela, nous ne retrouvons plus ce nom dans toute l'histoire d'Abraham! Il y a certainement là-dessous un grand mystère. Melchisédec est quelque chose de plus que ce qu'il paraît au premier abord. Nous ne saurions, comme quelques-uns, voir en lui le patriarche Sem, quoiqu'il fût toujours sur la terre des vivants (§ 246); bien moins encore un des chefs de la race maudite des Cananéens. Lisez le psaume CX, puis dans l'épître aux Hébreux le chapitre VII, et vous vous convaincrez que si Melchisédec n'était pas le Fils de Dieu lui-même, il en était l'image, ou le représentant. Je n'en dis pas davantage pour l'heure, et je laisse à la suite de nos études le soin d'éclaircir ce sujet.

§ 285. En attendant il n'est pas douteux que l'Éternel n'ait voulu, par l'organe de Melchisédec, quel qu'il soit, mettre son sceau sur tout ce qu'Abraham venait de faire et lui accorder le plus grand bonheur qu'on puisse avoir dans ce monde, celui de se sentir approuvé par son Dieu. Après quoi, et dans tous les cas, il est sûr que notre Seigneur Jésus-Christ est le vrai Melchisédec et le vrai roi de Salem, comme il est aussi le vrai Sacrificateur. C'est de lui que nous recevons le pain et le vin de la grâce de Dieu, en lui et en lui seul que nous pouvons être bénis, à lui, enfin, que nous devons rendre hommage de tous nos succès et de tout ce que nous possédons.

14: 21-24
§ 286. Le roi de Sodome, quant à lui, plein de reconnaissance envers Abraham, offrit de lui abandonner tout ce qu'il avait repris aux étrangers, sauf les personnes. Il pensait peut-être qu'Abraham les garderait pour les réduire en esclavage et il le sollicita de ne pas le faire. Le serviteur de Dieu, jaloux de montrer qu'il n'avait point entrepris cette guerre dans des vues intéressées, refusa positivement les présents du roi de Sodome, présents sur lesquels il avait bien quelque droit. Mais s'il était désintéressé, il était juste aussi; en conséquence, il ne se permit pas de disposer de ce qui pouvait légitimement appartenir à Haner, à Escol et à Mamré, les trois Cananéens qui lui avaient prêté secours. Quant à ce que son monde avait mangé, il était bien clair qu'il n'avait pas à en rendre compte.

§ 287. Cette conduite d'Abraham , qui paraît toute simple, est vraiment admirable, car nous ne sommes pas habitués à voir chez les hommes tant de générosité et de noblesse d'âme. Voilà ce que c'est que d'appartenir à Dieu et à sa grâce. Abraham vient d'être béni, et toute sa conduite s'en ressent. Il y a d'ailleurs dans ces paroles: «afin que tu ne dises pas: J'ai enrichi Abraham,» comme un souvenir de l'Égypte. C'était trop déjà qu'il eût été enrichi par Pharaon; il en avait assez de ce genre de bonheur! Nouvelle preuve que l'Esprit du Seigneur agissait puissamment alors dans le cœur d'Abraham; car rien n'est plus difficile à l'homme que de recevoir de ses propres fautes des leçons de sagesse.


XXV. Renouvellement de la promesse.


15: 1
§ 288. Dans ce même temps, Abraham fut favorisé d'une nouvelle révélation du Seigneur, révélation dont les circonstances sont pleines d'intérêt. L'Éternel se manifesta à Abraham sous une forme visible, sans que nous puissions déterminer comment, et il lui fit entendre ces douces paroles: «Abram, ne crains point; je suis ton bouclier et ta très grande récompense.» Soit que le patriarche éprouvât une émotion bien naturelle en voyant la gloire divine, soit que le Seigneur voulût lui rappeler la coupable timidité qui l'avait si mal conduit en Égypte, il commença par lui dire: «Ne crains point. Je t'ai adopté pour mon enfant, et non seulement je ne viens point avec des menaces, mais c'est pour te bénir que me voici. N'as-tu pas fait tout à l'heure l'expérience de ma grâce? N'est-ce pas moi qui ai été ton bouclier dans ta guerre contre les rois, et ne dois-tu pas compter que je te garderai et te défendrai toujours de la même manière? Tu as eu raison de refuser les présents du chef de Sodome; car c'est moi qui me charge de te récompenser: mon approbation, à elle seule, est le plus grand des salaires.» Oh! que bienheureux est l'homme qui met sa confiance dans le Seigneur et qui cherche en lui seul la rémunération! Bienheureux celui qui se sent approuvé en sa conscience de la part de Dieu, après quelque grande détermination, comme le fut Abraham à cette époque!

15: 2-3
§ 289. Enhardi par ces paroles encourageantes, Abraham fait sa plainte au Seigneur, ainsi qu'il convient à ses enfants. Il ne murmure pas contre les voies de la Providence; mais pourtant il s'étonne de ce qu'elles ont d'obscur et il en demande à Dieu lui-même l'explication. Il y avait environ huit ans qu'Abraham était au pays de Canaan et que Dieu lui avait parlé de postérité; or maintenant encore il était sans enfants! Si donc il continuait d'en être privé et qu'il vint bientôt à mourir, Elihézer, le plus ancien, ou du moins le principal de ses serviteurs, deviendrait naturellement son héritier, c'est-à-dire le chef de toute cette tribu qui marchait sous son commandement. Était-ce bien là l'intention de l'Éternel? Voilà ce qu'Abraham demande au Seigneur, tout prêt, semble-t-il, à adopter Elihézer pour son fils, si telle est la volonté d'En-Haut.

15: 4-6
§ 290. Dieu aime que ses enfants lui ouvrent leur cœur tout entier, qu'ils déposent leurs doutes dans son sein et qu'ils lui demandent de leur faire connaître ses intentions. Je n'en veux pas d'autre preuve que la réponse, pleine de bonté, qu'il fit à Abraham. «Non, ce n'est pas Elihézer qui sera ton héritier, mais ce sera ton propre fils.» Puis, le faisant sortir de sa tente, il lui montre, au milieu d'une belle nuit de l'Orient, le ciel tout parsemé d'étoiles: ainsi, lui dit-il, sera ta postérité. «Et Abraham crut à l'Éternel, et l'Éternel le lui imputa à justice.»

§ 291. Cette parole, à laquelle je m'arrête, est une des plus importantes de la Bible. Elle nous dit ce qui constitua la justice d'Abraham; ou, en d'autres termes, ce qui le rendit juste devant Dieu. Quoique nous ayons vu chez lui, dans deux occasions surtout, beaucoup de débonnaireté, de désintéressement, de dévouement, et, pour tout dire en un mot, une grande charité, jointe à des habitudes pieuses, ce ne furent point ces œuvres-là qui le rendirent juste aux yeux de Dieu. À côté de ces bonnes œuvres, nous avons dû reconnaître qu'Abraham commit divers péchés, et Dieu, qui sonde les cœurs et qui est parfait en sainteté, a pu voir de l'imperfection, ou autrement du péché, jusque dans les vertus du patriarche. Mais par où il fut tout à fait agréable à Dieu, ce fut par sa foi. La foi, sans doute, ne dispense pas des bonnes œuvres, puisque c'est elle qui les produit, comme nous l'avons remarqué; elle n'est pas une œuvre qui tienne lieu, à elle seule, de toutes les autres; elle n'est pas proprement la justice; mais Dieu l'impute, ou la compte à justice. Il traite comme juste celui qui croit; c'est-à-dire qu'il lui pardonne ses péchés. Ainsi furent justes, Abel, Enoch, Noé, Abraham et tous ceux qui, dans ces temps anciens, crurent à l'Éternel et à ses promesses. Or nous verrons que, de nos jours encore, il n'y a pas d'autre moyen d'être juste devant Dieu.

15: 7-8
§ 292. Après cela, le Seigneur rappelle à Abraham que s'il l'a fait sortir du pays de ses pères, c'est pour lui donner la terre de Canaan, et là-dessus Abraham demande au Seigneur de lui accorder quelque signe de sa promesse. Assurément, ce n'était pas par incrédulité; mais, de même que Dieu avait donné l'arc-en-ciel à Noé, Abraham désirait aussi, pour l'affermissement de sa foi, que quelque marque visible lui fût comme un sceau et comme des arrhes de ce qui lui était promis.

15: 9-11
§ 293. Alors, sur l'invitation du Seigneur, Abraham prépara des sacrifices extraordinaires pour le détail desquels je renvoie à la Bible. La journée entière se passa dans l'attente de ce qui allait arriver. Que faisaient là ces victimes partagées en deux? C’est ce qu'Abraham comprenait peut-être mieux que nous. Pourquoi nous est-il parlé de cette circonstance bien simple après tout, que des oiseaux vinrent se jeter sur ces bêtes mortes et qu'Abraham les chassa? Quelques personnes ont cherché diverses explications; quant à moi, j'avoue que je ne sais y voir qu'une seule chose: c'est qu'Abraham fut tenu longtemps en suspens, qu'il ne perdit pas un instant de vue les victimes dont il avait répandu le sang par la volonté de Dieu, enfin qu'il veillait à ce que rien ne vînt troubler son sacrifice. Il y a là certainement de l'instruction pour nous, et je pense qu'avec l'aide de Dieu mes lecteurs la découvriront d'eux-mêmes.

15: 12-16
§ 294. Comme le soleil se couchait, Abraham tomba dans un profond assoupissement. Il lui sembla que des ténèbres fort épaisses l'enveloppaient; son cœur tressaillit d'une vive émotion, et la voix de l'Éternel lui fit entendre des choses qui durent l'étonner et l'émouvoir encore plus que tout le reste. Il lui fut dit que sa postérité, cette même postérité à laquelle Dieu promettait le pays de Canaan pour toujours, demeurerait pendant quatre siècles dans un pays qui ne lui appartiendrait point; qu'elle y serait opprimée; puis, qu'elle se verrait délivrée et enrichie, tandis que ses oppresseurs seraient châtiés de la main de l'Éternel; enfin, qu'à cette même époque les descendants d'Abraham rentreraient au pays de Canaan, pour en chasser les Amorrhéens dont l'iniquité serait alors parvenue à son comble. — N'est-il pas vrai qu'il dut y avoir quelque chose de bien saisissant pour le patriarche d'entendre ainsi le Seigneur lui faire l'histoire d'un peuple dont pas un individu encore n'était au monde; sans compter ce que Dieu lui dit en passant sur sa propre mort? Faut-il que j'attende d'être arrivé à la fin de la Genèse pour faire voir à mes lecteurs comment cette prédiction s'est accomplie? N'ont-ils pas plus d'une fois entendu parler de la servitude d'Égypte, de la délivrance qu'obtinrent les enfants d'Israël et de la conquête qu'ils firent du pays de Canaan sous Josué? Qu'ils admirent donc, dés à présent, la toute science de ce Dieu qui voit la fin des choses avant leur commencement, et disons-nous qu'il en est de chaque enfant de Dieu, comme du peuple d'Israël. Nos destinées sont entre les mains du Seigneur; s'il permet que nous soyons éprouvés un peu de temps, il sait bien quelle issue tout cela doit avoir pour ses élus.

§ 295. Il ne se peut, non plus, que vous n'admiriez la clarté de cette prophétie, et pourtant elle renferme sur un point particulier une obscurité vraiment très grande. Il semblerait à la lire que le peuple d'Israël devait être esclave de l'Égypte pendant quatre cents ans. Or, non seulement, il ne fit pas un aussi long séjour dans les domaines de Pharaon, mais encore il s'en faut de beaucoup qu'il y ait été constamment opprimé. Voilà une erreur grave, diront quelques-uns, et la Parole de Dieu se trouve en défaut. Sur quoi, je ferai remarquer d'abord que cette erreur apparente est une preuve manifeste de l'authenticité de la prophétie. Celle-ci était presque complètement accomplie aux jours de Moïse. Or Moïse savait sans doute aussi bien que nous, et le temps que le peuple d'Israël avait passé en Égypte, et celui pendant lequel les Pharaons l'avaient opprimé. Si donc il a dit 400 ans, c'est parce que le St.-Esprit lui a fait rapporter la chose en ces termes et parce que l'Éternel avait effectivement dit à Abraham quatre cents ans. Ensuite, le Seigneur, en s'exprimant ainsi, ne s'est sûrement pas trompé; mais c'est nous qui nous trompons quand nous supposons qu'il n'a voulu prophétiser que le séjour en Égypte et la dure servitude à laquelle les enfants d'Israël y furent assujettis. Si, par exemple, Dieu a entendu annoncer que, jusqu'à leur sortie d'Égypte, les fils d'Abraham, héritiers de la promesse, ne posséderaient pas le pays de Canaan; qu'après y avoir vécu un certain temps sous le bon plaisir des Cananéens, ils devraient s'établir en Égypte et s'y voir persécuter jusqu'à ce qu'une grande délivrance vînt les tirer de là, alors tout s'explique; car, en effet, il s'est écoulé quatre siècles environ depuis le moment où cette prophétie fut prononcée jusqu'à Moïse. Et voilà comment l'obscurité même dont elle fut enveloppée en fait ressortir la vérité. Du reste, je comprends très bien que Dieu, qui est justement jaloux de sa gloire, ne doive jamais révéler aux hommes les choses à venir de manière à ce que l'avenir n'ait plus de secret pour eux. C'est pourquoi, lorsqu'il prédit l'époque à laquelle certains événements arriveront, nous pouvons compter que la prophétie sera conçue en termes tels qu'on ne puisse pas, avant l'accomplissement, la comprendre dans toute son étendue.

15: 17
§ 296. Quand Abraham eut reçu de Dieu cette parole prophétique, le soir était venu, et il se fit une nouvelle merveille qui, jointe à tout le reste, dut laisser dans l'esprit du patriarche une impression ineffaçable. Au milieu d'une profonde obscurité, des brandons de feu, comme ceux qu'on sortirait d'une fournaise, se mirent à courir au milieu des victimes qu'il avait immolées et partagées, et, à ce qu'il paraît, sans les consumer. Belle image, n'est-ce pas, des délivrances dont Israël serait l'objet selon la prophétie, aussi bien que du salut éternel que la grâce de Dieu promet à ceux qui croient. Le feu de l'enfer ne saurait les atteindre, car l'Éternel les a pris à lui et il les garde.

15: 18-21
297. Tels furent les signes que l'Éternel donna à Abraham. Voilà comment il ratifia son alliance ou ses promesses. À cette occasion, il lui répéta, pour la troisième ou quatrième fois, qu'il pouvait compter que sa postérité habiterait un pays qui lui appartiendrait en propre. Cette contrée, appelée le pays de Canaan, devait être occupée d'abord par diverses peuplades qui sont nommées en cet endroit. Parmi elles vous voyez figurer les Cananéens proprement dits et les Amorrhéens, dont il est fait mention au verset 16. Après quoi, le Seigneur détermine l'étendue qu'aurait la terre d'Israël. Au nord-est l'Euphrate et au sud-ouest le fleuve ou torrent d'Égypte. On pense généralement qu'il faut entendre par ce dernier le Rhinocolure ou El-Arisch , et non pas le Nil. Nous verrons plus tard qu'au temps du roi Salomon, le pays d'Israël eut effectivement ces limites extrêmes, formant une longue zone du sud-ouest au nord-est.


XXVI. Agar et Ismaël.

16: 1-2
§ 298. Depuis cette grande vision d'Abraham, deux années s'écoulèrent sans qu'il se passât rien de nouveau, Mais alors Saraï, sa femme, forma un malheureux dessein qui put la séduire par son apparence de générosité, mais qui n'en fut pas moins pour elle, la toute première, une source de profonds chagrins. Comme elle n'avait toujours point d'enfant, il lui vint à l'esprit de donner elle-même à Abraham une autre femme et d'adopter les enfants que cette femme aurait de lui. Ainsi, pensait-elle, s'accomplira la promesse que Dieu a faite au patriarche, et peut-être se figurait-elle agir en cela par la foi. Ce qui pouvait contribuer à son illusion, c'est que l'Éternel avait bien déclaré qu'Abraham aurait pour héritier un fils, mais il n'avait pas dit qu'il aurait ce fils de Saraï. Or, ce que la femme d'Abraham ne comprenait pas, c'est que Dieu n'a jamais besoin de nos fautes pour accomplir sa volonté, et que, aussi longtemps qu'elle vivrait, Abraham ne pouvait sans péché avoir des enfants d'une autre que d'elle; car c'est une relation fort sainte que celle du mariage.

§ 299. Abraham, vrai fils d'Adam , obéit à la parole de sa femme, comme Adam avait obéi à celle d'Ève (§ 107). On ferait, je crois, le plus grand tort au patriarche, si on l'accusait de s'être laissé entraîner par une passion criminelle. Quand on pense combien, dans l'Orient et de tout temps, l'usage voulait que les femmes vécussent entre elles et les hommes aussi entre eux, il est à savoir si Abraham avait seulement jamais fait attention à Agar, au milieu des servantes de Saraï. Dans tous les cas, il ne doit pas venir à la pensée qu'un homme du caractère et de l'âge du patriarche se soit livré à d'impures convoitises; encore moins, que Saraï eût pu consentir à y donner les mains. Non; la faute d'Abraham , faute très réelle, ne fut pas autre, dans le fond, que celle de Saraï. Ils voulurent l'un et l'autre, par impatience de foi, avoir un fils qui, né d'Abraham, pût être héritier de la promesse. Seulement, le tort du patriarche fut d'autant plus grave qu'il était le chef de sa femme, qu'il avait reçu de plus grandes grâces et qu'il n'aurait pas dû se laisser conduire par elle.

16: 3-4
§ 300. Hélas! ils ne tardèrent pas l'un et l'autre à s'apercevoir qu'ils étaient sortis de la droite voie. Agar, esclave Égyptienne qu'Abraham avait sans doute reçue de Pharaon en même temps que les richesses qui lui avaient déjà causé tant de chagrin, Agar, voyant qu'elle allait devenir mère, se mit à mépriser sa maîtresse. Elle se crut, dès ce moment, la vraie femme d'Abraham, et, bien que tout nous atteste que son maître ne la sortit point de son état pour en faire, à proprement parler, son épouse, puisqu'il n'en eut pas d'autre enfant, elle s'enorgueillit dans son cœur, et Saraï fut la première victime de la faute qu'elle avait commise en donnant elle-même Agar à Abraham, et selon toute apparence, en y contraignant son esclave.

16: 5
§ 301. On conçoit que Saraï dut ressentir vivement l'outrage qui lui était fait; mais si elle avait mieux compris ses propres torts, elle se serait montrée moins aigrie, tout en s'efforçant de ramener Agar dans le devoir. En femme passionnée et irritée, elle fait tomber sur Abraham des reproches qu'elle aurait dû s'adresser à elle-même. Mais il en est à peu près toujours ainsi. Lorsqu'on a porté quelqu'un au mal, il est rare qu'on lui en sache gré; et si les choses tournent dans un mauvais sens, on ne manque pas de lui en attribuer toute la responsabilité.

16: 6
§ 302. La réponse pleine de douceur que fit Abraham aux récriminations si violentes et si injustes de sa femme , prouve que rien, dans sa conduite, n'avait pu autoriser Agar à s'oublier comme elle le faisait vis-à-vis de Saraï. Ne pensez pas, d'ailleurs, qu'Abraham ait autorisé sa femme à maltraiter Agar. Il lui dit bien de faire à son égard comme il lui semblerait bon; mais il entendait seulement qu'Agar n'ayant pas cessé d'être la servante de Saraï, celle-ci devait user de son autorité pour la ramener dans l'obéissance; nouvelle preuve, s'il le fallait, que le patriarche ne s'était point épris d'un amour passionné pour Agar, car la passion aveugle et vous le voyez demeurer ici parfaitement calme et juste. Sa faute fut assez grave pour qu'on évite de l'exagérer. Cette faute même, on ne la comprendrait pas de la part d'un enfant de Dieu, si l'on ne savait que les lumières ne sont pas toujours proportionnées à la foi. Abraham était un croyant et, par sa foi, il fut justifié devant Dieu; cette foi même fut le principe de l'obéissance qu'il rendit généralement au Seigneur depuis sa vocation ou sa conversion; mais il n'avait pas, pour éclairer sa marche, tout le trésor d'enseignements et d'exemples, ni toute l'abondance du Saint-Esprit que les chrétiens possèdent maintenant. C'est ce qu'il ne nous faut jamais perdre de vue quand nous jugeons les fidèles de l'ancien temps. Il n'y a pas deux morales; mais les fidèles ne sont pas tous également éclairés sur leurs devoirs.

§ 303. Saraï, interprétant la réponse de son mari selon le gré de sa passion, se mit à maltraiter Agar, au point que celle-ci prit la fuite. Rien ne saurait jamais excuser la violence. Que Saraï eût de légitimes sujets de plaintes contre Agar, cela est incontestable; mais elle avait toutes sortes de raisons pour tempérer par de la douceur le ton ferme qu'elle était autorisée à prendre avec elle. Du reste, il faut dire que nos traductions ont peut-être exprimé plus que ce qu'on lit dans le texte hébreu. Il est écrit proprement que Saraï humilia sa servante; car c'est le même verbe que celui qui se trouve au verset 9, lorsque l'Ange dit à Agar: Retourne à ta maîtresse et t'humilie sous elle. Il ne faut donc pas croire que les mauvais traitements de Saraï soient allés jusqu'à la brutalité; mais de combien d'autres manières un maître ne peut-il pas vexer et humilier ses domestiques! Il paraît que Saraï poussa les choses bien loin, et à l'insu probablement de son mari, puisque Agar, désespérée, se résolut à s'enfuir.

§ 304. Cependant, ce coup de tête d'Agar, en nous montrant tout ce qui s'était développé d'orgueil en son âme, pourrait nous faire penser qu'il n'avait pas fallu, de la part de Saraï, beaucoup de reproches ou de réprimandes, ni de dureté pour l'exaspérer et déterminer son départ; car il est des gens dont l'amour-propre est tel, qu'un rien suffit pour les mettre hors d'eux-mêmes. Jusqu'ici l'on ne peut pas dire que, de Saraï d'Abraham et d'Agar, cette dernière eût été la plus coupable. On ne saurait assurément voir en elle une de ces malheureuses femmes qui, oubliant toute pudeur, sont la honte de leur sexe. Je me plais même à penser que si Saraï avait jeté les yeux sur elle, c'est qu'elle la jugea digne par ses mœurs et par sa piété de donner un héritier à Abraham. Plus encore que le patriarche, elle avait obéi aux désirs de sa maîtresse; nul ne contestera que sa position n'ait été fort difficile, et cela d'autant plus qu'elle était née dans un pays où la polygamie commençait à devenir fort commune. Mais, hélas! le péché engendre le péché: si tu fais mal, le péché est à la porte» (Gen. IV, 7). Une première faute, où l'ignorance a peut-être joué le principal rôle, est bien souvent suivie d'autres fautes plus graves, où la malice du cœur se manifeste tout entière. Agar, après avoir oublié ce qu'elle devait de respect à sa maîtresse, ne sait pas supporter ses mauvais traitements; elle fuit une demeure dans laquelle plus que jamais le devoir devait la retenir; elle court volontairement au-devant de toutes sortes de pièges et de misères; car, malheur à l'homme qui fuit le châtiment!

16: 7
§ 305. Cependant, Dieu est plein de bonté envers ses enfants. Il eut pitié de la maison d'Abraham, momentanément dans le désordre. Agar avait pris son chemin vers les lieux de sa naissance. Arrivée au désert de Sçur, près d'une source où elle s'était arrêtée, elle reçut de l'Éternel ce qui vaut mieux que l'eau la plus limpide et la plus fraîche, même au désert: les consolations infinies de sa parole. L'ange De L'Éternel lui apparut; quelqu'un dont la Bible n'a point encore fait mention, au moins sous ce nom-là. Elle nous a bien parlé des Chérubins qui durent garder l'entrée d'Éden, après qu'Adam en eût été chassé; elle nous a montré fréquemment l'Éternel s'entretenant avec Adam, avec Caïn, avec Noé, avec Abraham; mais I’ange De L'Éternel, nous ne savons pas encore qui c'est.

§ 306. Remarquez d'abord que cet Ange s'adresse à Agar du même ton d'autorité que l'Éternel lui-même. Comme Dieu avait dit à Adam: «Où es-tu?» et à Caïn: «Qu'as-tu fait de ton frère?» il dit à Agar: «D'où viens-tu et où vas-tu?» Quand Agar lui eut fait sa réponse l'Ange lui dit: «Retourne à ta maîtresse et t'humilie sous elle.» Avant toutes choses, il commence par lui rappeler son devoir. Peu lui importe, à elle, que Saraï ait eu tort ou raison. Agar lui appartient, Agar lui a manqué, Agar a résisté au châtiment: il faut qu'elle rebrousse chemin et qu'elle consente aux humiliations les plus dures, comme doit le faire une servante du Seigneur. La consolation et la paix ne sont qu'à ce prix. Le pécheur trouve auprès de Dieu le pardon en abondance, mais non pas tant qu'il demeure volontairement dans la voie de l'iniquité.

16: 10-12
§ 307. Puis, l'Ange de l'Éternel voulant relever le courage d'Agar, lui parle en des termes remarquables sous plus d'un rapport: «Je multiplierai tellement ta postérité qu'elle ne se pourra compter, tant elle sera grande.» Prophétie qui, se rattachant d'ailleurs à la promesse générale faite à Abraham , s'est accomplie d'une manière admirable. D'Ismaël, fils d'Agar, sont issus les Ismaëlites, ou Arabes, race encore subsistante et qui couvre de ses tentes une grande partie de l'Afrique et de l'Asie. — Mais, encore une fois, qui est cet Ange de l'Éternel qui tient le langage du Créateur des cieux et de la terre: «Je multiplierai ta postérité?» Tu auras un fils, dit-il à Agar; tu l'appelleras Ismaël, nom composé de deux mots hébreux, dont l'un veut dire exaucer, tandis que l'autre est un des noms de Dieu. Puis l'Ange décrit ce que sera Ismaël, et plus encore sa postérité. Sauvage, fière, indomptable comme l'onagre du désert, elle sera constamment en guerre, vivra la plupart du temps de pillage, aura une existence nomade, occupera de vastes territoires, et sera redoutable à ses voisins et à ses frères mêmes. Tels ont été les Arabes dès le commencement de leur existence comme peuple, tels ils sont encore maintenant. C'est une des prophéties les plus remarquables de l'Ancien Testament.

16: 13-14
§ 308. Que la parole qui vint annoncer à la servante de Saraï de si grandes choses ait été la parole même du Seigneur. c'est ce dont on ne peut douter, puisqu'elle s'est accomplie d'une manière si parfaite; mais il y a plus que cela, il paraît clairement que l'Ange qui parlait à Agar était l'Éternel lui-même. Nous en avons trois témoignages: celui de Moïse, qui dit: «Alors elle appela le nom de l'Éternel qui lui parlait»....; puis, le témoignage d'Agar, qui l'appelle «le Dieu fort de Vision,» ce qui signifie: ou le Dieu qui m'a vue, ou le Dieu qui s'est fait voir à moi; enfin, le témoignage des hommes de ce temps-là, qui nommèrent le puits où s'était arrêtée Agar: «le puits du Vivant qui voit.»

16: 15-16
§ 309. Si la Bible ne nous dit pas quelles impressions cette grande scène produisit sur Agar, nous pouvons sans trop de peine les imaginer. Tout ce que nous voyons, c'est qu'elle retourna en arrière, parti sur lequel il n'y a jamais à hésiter lorsqu'on a quitté le bon chemin. Comme le Seigneur le lui avait dit, elle eut un fils qu'Abraham appela Ismaël. Le patriarche avait alors 86 ans. Ce devait être l'an 1911 avant Jésus-Christ. Il y aurait donc plus de 3750 ans que naquit le père des tribus arabes, dont une faible partie, dans ce siècle même et au moment où j'écris ces lignes, disputent aux armées françaises le littoral de l'Afrique!


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