Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

1472-

II SAMUEL. — I CHRONIQUES

ÉTUDE CXV. — Guerre civile.

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1472. Les livres de la Bible qui doivent nous fournir les matériaux de l'histoire du règne de David sont le second livre de Samuel, et, dans une certaine mesure, le premier des Chroniques. Il est assez difficile, et encore plus inutile, d'expliquer comment il se fait qu'on ait donné le nom de Samuel à un écrit où il n'est plus question de lui, et dont il n'a pu tracer une seule ligne. La version grecque des Septante, qui est la plus ancienne de toutes [7, 13], désigne le premier livre de Samuel sous le titre de premier livre des Rois, le second de Samuel sous celui de second livre des Rois; puis le premier et le second livre des Rois y portent le nom de troisième et quatrième livres des Rois. La Bible latine des catholiques compte de la même manière. On sait du reste que tout cela est fort indifférent, et que les titres des livres de la Bible ne sont pas d'inspiration divine, en sorte que les éditeurs du saint Livre ont pu les changer, et que de nouveaux éditeurs pourraient les changer encore.

1473. Quant aux livres des Chroniques, c'est un recueil de faits historiques rédigé en des temps postérieurs, d'après les livres plus anciens de la Parole de Dieu et sur d'autres documents qui n'ont pas été conservés. C'est ce qui est également vrai des livres des Rois et de celui que nous étudions (1 Rois 11: 41; 14: 29; 2 Sam. 1: 18). II en résulte que les Chroniques renferment quelquefois textuellement ce que nous lisons ailleurs, mais que ces livres contiennent aussi la narration de faits que nous ne connaîtrions pas autrement. Dans les neuf premiers chapitres, on a des généalogies, dont plusieurs se trouvent en d'autres endroits. Le dixième raconte la mort de Saül, presque dans les mêmes termes que le trente et unième du premier livre de Samuel; puis il ajoute: «Saül mourut donc pour le crime qu'il avait commis contre l'Éternel, parce qu'il n'avait point gardé la parole de l'Éternel, et qu'il avait même consulté l'esprit de Python (l'art des nécromanciens), et parce qu'il ne s'était point adressé à l'Éternel; c'est pourquoi Dieu le fit mourir et il fit passer le royaume entre les mains de David fils d'Isaï.» (1 Chron. 10: 13,14.)

1474. (2 Sam. 1: 1-10.) Dieu se montra plein de bonté pour David, en l'envoyant loin du champ de bataille où succomba Saül et en l'occupant plutôt à la poursuite des Hamalékites [1461]. Il y avait deux jours qu'il était de retour à Tsiklag lorsqu'il voit accourir un jeune homme qui se présente devant lui avec les dehors de la plus vive désolation. Il raconte à David que, s'étant trouvé par hasard sur la montagne de Guilboah, au moment du combat, il avait aidé Saül à s'arracher la vie; qu'il lui avait pris sa couronne et son bracelet, après quoi il s'était empressé d'apporter cette bonne nouvelle.

1475. (11, 12.) Ce récit, mêlé de vrai et de faux, comme il est aisé de le voir, jeta David dans une profonde et sincère douleur. Il prit aussitôt le deuil; tout son monde l'imita. Ils ne s'accordèrent aucune nourriture jusqu'au soir et ils ne pouvaient se consoler de la mort d'un si grand nombre de leurs concitoyens, surtout de celle de Jonathan. Ils pleuraient même leur persécuteur Saül, dont la fin lamentable les remplissait d'horreur.

1476. (13-16.) David cependant, qui, dans sa préoccupation, n'avait pas pris garde que le jeune homme s'était trahi lui-même en s'annonçant comme Hamalékite (8), s'avisa de lui demander d'où il était, car en y repensant, il lui faisait l'effet d'appartenir à un peuple étranger. Mais un Hamalékite qui s'est trouvé par hasard sur la montagne de Guilboah au fort d'un combat, un Hamalékite qui prétend avoir éprouvé de la compassion pour Saül, un Hamalékite qui s'est permis de hâter la fin du roi d'Israël et qui s'en vante, qui s'est emparé de sa couronne et de son anneau, qui probablement cherchait à regagner son pays et qui est tombé sans le vouloir dans le camp de David; un Hamalékite, enfin, qui s'avoue coupable du sang de Saül, méritait certainement la mort. Ainsi pensa David. Aussitôt il le fit punir du dernier supplice, tant il était peu disposé à sympathiser avec ceux qui se réjouiraient de la destruction de son ennemi; encore moins à récompenser les coupables qui y avaient concouru.

1477. (17-27.) Ce qui montre toujours mieux les vrais sentiments de David, c'est le chant funèbre ou la complainte qu'il prononça dans ce moment, cantique moins remarquable encore par sa poésie que par le patriotisme religieux qu'il respire et la tendresse d'affection que le saint poète manifeste envers un ennemi tel que Saül. Au fait, la douleur de David était fort légitime, et les circonstances avaient bien de quoi l'aggraver. Non seulement les Philistins victorieux occupaient le cœur du pays, mais encore il s'agissait de savoir si les Benjamites et en général les partisans de Saül consentiraient à reconnaître le fils d'Isaï. En sorte que David, l'élu et l'oint de l'Éternel, pouvait s'attendre à avoir tout à la fois sur les bras la guerre étrangère et la guerre civile.

1478. (2: 1-7.) Dans ces pénibles conjonctures, il eut, comme de coutume, son recours en l'Éternel, et le Seigneur lui ayant fait connaître sa volonté, il monta de Tsiklag à Hébron, lieu célèbre dans l'histoire du patriarche Abraham [373]. Ce fut en cette ville et aux alentours que le fils d'Isaï s'établit avec les fidèles qui avaient partagé son long exil. Bientôt il vit venir à lui les hommes de sa tribu et il reçut d'eux l'onction royale. En sorte que David eut dès lors une double consécration de la part de Dieu, l'une par le ministère de Samuel [1394], l'autre par l'intermédiaire de la tribu à laquelle appartenait la royauté [592]. Et comme il avait appris la belle conduite des gens de Jabès [1470], sa première pensée fut de les remercier au nom de l'Éternel et de leur annoncer son avènement au trône. Il pensait qu'ils en auraient de la joie, car il ne voulait régner que pour le bien de tous ses frères.

1479. (8-11.) Mais Abner, cousin germain de Saül, avait hérité de sa haine contre David. Rebelle à la parole de l'Éternel, il ne supportait pas l'idée que les fils du défunt roi fussent privés du trône. Il conduisit donc Isç-bosceth à Mahanajim, autre ville sainte, sur la rive orientale du Jourdain [471], et il le proclama roi de toute la contrée et même de toutes les tribus d'Israël, à l'exception de celle de Juda qui avait déjà reconnu David. Pendant sept ans et demi, le vrai successeur de Saül, réduit à ce petit territoire, eut pour résidence la ville d'Hébron. Mais, bien qu'en apparence Isç-bosceth régnât sur presque tout Israël, il ne possédait guère plus de puissance que David. D'abord, les tribus réfractaires ne marchaient sûrement pas avec un ensemble aussi parfait que la tribu fidèle; puis les Philistins, qui occupaient le centre du pays, gênaient leurs communications; enfin, l'Éternel était avec son Oint.

1480. (12-32.) Dès qu'Abner se sentit en mesure, il sortit de Mahanajim pour attaquer celui qu'il se plaisait à envisager comme un usurpateur. David, ou plutôt son neveu Joab, marcha à la rencontre d'Abner du côté du Nord, et leurs armées, peu nombreuses, paraît-il, se trouvèrent en présence à Gabaon, localité célèbre par la victoire de Josué [1150]. On eut alors l'affreux spectacle des horreurs qu'enfante la guerre civile; car il n'en est point où l'on apporte autant d'animosité, ni où les hommes se montrent plus cruels. Pour commencer la bataille, douze guerriers de chaque parti combattirent en champ clos. S'étant saisis corps à corps, ils se frappèrent mutuellement de leurs épées et tombèrent, les uns morts, les autres grièvement blessés. Ce fut le signal d'une effroyable mêlée, dans laquelle les troupes de David remportèrent une éclatante victoire.

1481. Mais les triomphes que le sort des armes procure coûtent ordinairement bien des larmes aux vainqueurs. David eut à pleurer un de ses neveux, le jeune Hazaël, frère de Joab et d'Abisçaï, qui, léger à la course comme un chevreuil des montagnes, voyait peut-être la guerre pour la première fois. Dans la déroute il s'était attaché aux pas d'Abner et il avait résolu de ne point le lâcher qu'il ne l'eût atteint de son épée. Le vieux guerrier, ému de compassion envers ce jeune téméraire et craignant le ressentiment de Joab s'il venait à le tuer, lui criait de cesser sa poursuite et de s'attaquer à de moins redoutables. Tout est inutile: Hazaël n'est plus qu'à deux pas d'Abner, il se précipite; mais Abner s'est brusquement retourné en brandissant sa hallebarde, et le malheureux Hazaël vient s'y enferrer de toute l'impétuosité de sa course.

1482. Ce déplorable incident ne fit qu'augmenter la fureur de Joab et d'Abisçaï; mais, le désespoir rendant aux Benjamites le courage qui les avait un moment abandonnés, ils se rallient autour d'Abner et se montrent prêts à recommencer le combat. Le moment de parlementer était venu, si du moins on voulait éviter un carnage semblable à celui dont les vingt-quatre guerriers du matin avaient donné l'horrible spectacle. Abner, l'agresseur, demande le premier une trêve; Joab s'empresse de l'accorder, et ils repartent, l'un pour Mahanajim, l'autre pour Hébron. David avait perdu vingt hommes, y compris Hazaël; Isç-bosceth, trois cent soixante. Ce n'était pas beaucoup, il est vrai; mais, n'y eût-il qu'une seule vie détruite dans une guerre civile, ce serait trop encore.


CXVI. — David reconnu par tout Israël.


1483. (3: 1-6.) Nous avons au commencement de ce chapitre les noms des fils qui naquirent à David pendant qu'il était à Hébron. Ce furent et dans cet ordre: Amnon, Kiléab, Absçalom, Adonija, Scéphatja, Jithréham; outre ceux, peut-être, qu'il avait eus avant d'être roi. Mais ils n'étaient pas tous de la même femme, car outre Ahinoham, mère d'Amnon, et Abigaïl, mère de Kiléab, David avait épousé, lorsqu'il était à Tsiklag, une fille du roi de Guesçur, nommée Mahaca, de laquelle naquit Absçalom, puis Haggith, mère d'Adonija, enfin Abital et Hégla. C'était une transgression positive de la loi de l'Éternel (Deut. 17,17). Là se trouvaient déposés des germes funestes de division pour la famille royale, et ils ne manquèrent pas d'éclore en leur temps.

1484. (6-21.) Du reste la guerre civile n'avait pas pris fin par la bataille de Gabaon, car Abner n'était pas homme à céder facilement les droits prétendus de Saül et des siens. Il semble même qu'il songeât, un moment, à les reporter sur sa propre personne, ce qui expliquerait les relations criminelles qu'il eut avec Ritspa, une des concubines du monarque défunt. Selon les idées du temps, il manifestait, en la prenant pour sa femme, l'intention de succéder à Saül. On conçoit la colère qu'en eut Isç-bosceth, l'emportement d'Abner et la résolution qu'il prit d'abandonner la cause de son cousin, pour seconder celle de David. Il fit donc faire des ouvertures au roi de Juda, et les termes dent il se servit montrent qu'il s'envisageait, non sans quelque fondement, comme le maître de la situation. David, désirant s'assurer de la sincérité d'Abner et voulant d'ailleurs, par une politique qu'on ne saurait guère approuver, rétablir ses relations avec la famille de Saül, exigea pour préliminaires du traité, qu'on lui rendît sa première femme Mical. Il la fit demander à Isç-bosceth, qui, par l'influence sans doute du redoutable Abner, la renvoya sur-le-champ. Elle partit contre son gré, avec son mari, Palti ou Paltiel [1445], qui l'accompagna tout en larmes jusqu'à Bahurim, dans la tribu de Benjamin. Nouvel exemple qui nous montre combien la sainteté du mariage était alors moins comprise et moins respectée qu'elle ne l'est de nos jours, grâce à la lumière plus grande répandue par l'Évangile.

1485. Abner, à ce qu'il paraît, accompagnait lui-même Mical et son mari, car ce fut lui qui congédia Paltiel avec une dureté révoltante. Avant de partir et sur la route, même en Benjamin, il avait préparé les esprits au coup d'état qu'il méditait. S'adressant à ceux qu'il savait incliner vers David et rappelant à propos le choix que l'Éternel avait fait du fils d'Isaï pour régner glorieusement sur Israël, il allait, disait-il, contenter leurs justes désirs. Ce fut ainsi qu'il atteignit Hébron, escorté de vingt soldats. David les accueillit avec grande bienveillance, et lorsqu'ils eurent convenu de leurs faits, il renvoya son hôte en toute liberté, quoique d'autres peut-être, à sa place, eussent saisi l'occasion de châtier sa précédente révolte. Mais David croyait avoir besoin d'Abner, et plus que cela, c'était toujours à regret qu'il avait recours aux mesures violentes.

1486. (22-39.) Ce à quoi David n'avait pas songé, un autre le fit sans son aveu. Joab revenait d'une expédition militaire au moment où Abner repartait. En apprenant ce qui s'était passé, il manifesta de vives craintes sur les intentions du général de Saül. Sans dévoiler au roi ses desseins, il se mit à la poursuite du Benjamite. Bientôt il l'atteignit. Le ramenant sous quelque prétexte à Hébron, il le fit entrer dans une maison comme pour l'entretenir en particulier, et l'assassina par trahison avec l'aide de son frère Abisçaï (30). Ils alléguèrent en justification de leur crime, la mort d'Hazaël; mais Abner ne l'avait pas assassiné. Il est donc permis de supposer plutôt que Joab ne voyait pas sans jalousie le service qu'Abner allait rendre à David. Il craignit que le vieux guerrier n'occupât désormais dans le royaume la place qu'il y remplissait maintenant lui-même, celle de général en chef des armées du nouveau monarque.

1487. Quand David eut connaissance du meurtre d'Abner, il en éprouva la plus profonde affliction. C'était la rupture violente des négociations entamées avec les tribus soumises au fils de Saül. Mais quelle horreur surtout pour une âme comme celle de David, quelle horreur qu'un assassinat, un guet-apens, commis en quelque sorte sous ses yeux et par ses propres neveux, sur la personne d'un proche parent de Saül, d'un homme qui était venu près de lui avec confiance et qu'il avait congédié en paix! Aussi déclara-t-il publiquement qu'il était innocent de cette mort. Prophète du Très-Haut, il maudit Joab et les siens; il prit le deuil et engagea son peuple à l'imiter; il jeûna tout le jour, et il honora de son mieux la mémoire de l'illustre guerrier qu'on venait de tuer sans défense. Chacun donc put se convaincre que David n'avait point trempé dans ce crime, car nul n'aurait songé à mettre en doute sa loyauté.

1488. Mais David n'aurait-il pas bien fait de prouver d'une autre manière encore la sincérité de son deuil et de son indignation? Ne devait-il pas, selon la loi de Dieu, punir de mort les meurtriers? Oui, sans doute, et il le sentit. Mais, comme il le dit à ses serviteurs, son autorité était faible encore et mal affermie. Les fils de Tséruia exerçaient sur l'armée et sur le peuple un pouvoir réellement plus considérable que le sien. Un roi a beau être roi, il ne peut pas toujours faire tout ce qui lui paraît juste et bon. C'est pourquoi David se vit contraint de laisser à Dieu le jugement de cette grande iniquité. «Que l'Éternel fasse retomber le mal sur celui qui l'a commis!» (39.) Quand on comprend sa position vis-à-vis de ses fiers neveux, loin de le juger impitoyablement, on admire plutôt qu'il ait eu le courage de se prononcer avec tant d'énergie contre leur action détestable!

1489. (4.) La mort d'Abner fut aussi un coup de foudre pour Isç-bosceth et pour son parti. Un grand désordre régna momentanément autour du fils de Saül. Deux traîtres, Bahama et Récab, Benjamites qui avaient un commandement dans son armée, profitèrent de leur position pour exécuter une trame que ces ambitieux avaient ourdie. En voyant l'affaiblissement du pouvoir de leur maître, ils avisèrent aux moyens de s'assurer la faveur de David, et ils n'imaginèrent rien de mieux que d'assassiner Isç-bosceth. C'est ce qui ne leur fut pas difficile. Après l'avoir surpris dans sa maison en plein midi, mais à l'heure du repos, ils le tuèrent et l'apportèrent en triomphe à David. Sans la moindre hésitation, ce roi, miséricordieux envers ses ennemis personnels, mais juste pourtant dans les actes de son règne, fit punir du dernier supplice les misérables qui, cédant à la corruption de leur cœur, avaient si mal connu ses vrais sentiments.

1490. La fin lamentable d'Isç-bosceth ne faisait pas disparaître tous les descendants de Saül qui pouvaient s'arroger des titres à la couronne (4). Il y avait entre autres un fils de Jonathan, nommé Méphibosceth depuis une chute qu'il avait faite à l'âge de cinq ans, lors de la mort de son père. Son nom signifie celui dont on se moque. Il était à ce moment âgé d'environ sept ans, et, soit par sa qualité de fils de Jonathan, soit à raison de sa jeunesse même, les ennemis de David pouvaient très bien penser à le prendre pour signe de ralliement.

1491. (5: 1-5.) Quoi qu'il en soit, il est sûr que la mort d'Isç-bosceth ne termina point les dissentiments qui existaient entre les fils d'Israël; car, bien qu'il ait régné seulement deux années (2: 10), David fut pendant sept ans à attendre le consentement des tribus (2:11). Mais, lasses enfin de leurs divisions, touchées de l'affection que David témoignait à tous ses frères, rappelant à leur souvenir ses anciennes victoires sur les ennemis du pays et se soumettant à la volonté de Dieu, qui dès longtemps l'avait destiné au trône, elles vinrent à Hébron, représentées par leurs anciens, traitèrent alliance avec le fils d'Isaï et l'oignirent roi sur tout Israël (1 Chron. 12). Ainsi David reçut, par la volonté de Dieu, une nouvelle consécration de la main du peuple. Il avait alors trente-sept ans, c'était l'an 1047 ou 1048 avant l'ère chrétienne. Dix-neuf ans s'étaient écoulés depuis qu'il avait été oint par Samuel, et combien de traverses n'avait-il pas essuyées pour arriver au terme que sa foi lui proposait! Hélas! ce fut, après tout, la plus belle partie de sa carrière, à en juger du moins selon les apparences, car les dernières années de sa vie furent marquées par les plus grandes douleurs qui puissent affliger un cœur d'homme, de père, de roi et de prophète.


CXVII. — Premiers actes du règne de David.


1492. (6.) Il y a lieu de croire que, satisfaits de leurs conquêtes, les Philistins ne prolongèrent pas la guerre après la mort de Saül. Il leur suffisait de laisser les Israélites s'affaiblir par la guerre civile; ou ceux-ci peut-être, malgré leurs divisions, surent-ils tenir en échec l'ennemi commun. Mais lorsque David eut réuni les douze tribus sous son glorieux sceptre, il dut songer à chasser entièrement les Cananéens. Or il y avait sur la frontière même de Juda et de Benjamin un nœud de collines escarpées où se trouvait la ville très forte des Jébusiens, qui était redevenue leur propriété depuis le temps de Josué [1185], par un effet sans doute de l'ancienne destruction des Benjamites [1198]. C'était en cette même contrée qu'Abraham avait jadis offert Isaac sur un autel [356], et ce lieu était destiné à devenir le plus célèbre et le plus saint de toute la terre, par l'érection d'un temple à Jéhovah, par les prédications, les souffrances, la mort, la résurrection de Jésus-Christ, et par les grands événements dont il paraît devoir être encore le théâtre. Ce qui, jusqu'à ce jour, avait empêché les Israélites d'occuper cette place importante, c'était moins la difficulté de l'entreprise (preuve en soit l'histoire de Jéricho), qu'un effet manifeste de la volonté du Seigneur. Il entrait dans ses plans que Jérusalem ne devînt pas une ville israélite et la principale du pays, avant le jour où le roi type du Messie monterait sur le trône. Ce moment était arrivé.

1493. Soit que les desseins du Dominateur de toute la terre eussent été révélés à David, ou que, en capitaine expérimenté, il eût compris l'importance qu'il y avait, pour la sûreté et l'indépendance du pays, de s'emparer enfin de la position si forte qu'occupait la ville des Jébusiens, une des premières opérations de son règne fut d'en faire le siège. À mesure que nous avancerons, nous ferons plus ample connaissance avec la topographie de ce district important de la Terre Sainte; il me suffira pour l'heure de remarquer que la ville de Jérusalem s'est vue au moins quatre fois investie par les armées les plus puissantes du monde, et que, chaque fois où elle résista, ou elle ne fut prise qu'après une lutte inouïe, souvent même par des circonstances indépendantes de l'effort des vainqueurs. Bien qu'à l'époque de David cette ville ne fût pas ce qu'elle devint plus tard, le mont de Sion était déjà couronné d'une forteresse. Les Jébusiens, fiers, comme on peut le penser, d'avoir pu se maintenir durant près de quatre siècles au cœur d'Israël, se rirent de l'attaque dont ils étaient menacés, faisant savoir à David que les aveugles et les boiteux suffiraient pour défendre leur fort, tant ils l'estimaient imprenable.

1494. (7-9.) Mais y a-t-il quelque chose de trop difficile pour Dieu? David, secondé par la valeur de son neveu Joab (1 Chron. 11: 6), prit la forteresse des Jébusiens, à laquelle on donna dès lors le nom de Cité de David. Il déclara que «les aveugles et les boiteux, c'est-à-dire les Jébusiens eux-mêmes, n'y rentreraient pas.» Autour du fort, il bâtit une ville qui, sous le nom de Jérusalem (Salem signifie: la paix [584]), devint la capitale du royaume. Or, comme cette ville était située dans la tribu de Benjamin, quoique sur la frontière nord de Juda, on comprend que les Benjamites purent être flattés de posséder le siège du gouvernement, et que cette circonstance dut achever de gagner au nouveau roi les vieux partisans de Saül et de sa famille.

1495. (10-12.) À partir de cette victoire, le pouvoir de David alla croissant; comme il arrive au fidèle lorsque, par la grâce de Dieu, il chasse de son cœur quelque habitude de péché qui y demeurait obstinément. Les Philistins ne tardèrent pas à abandonner leur riche conquête de la vallée de Jisréel, si même ils ne l'avaient fait plus tôt; Hiram, roi des Tyriens, peuple riche et puissant par son commerce, envoya des ambassadeurs à Jérusalem; par lui, David se procura les matériaux et les ouvriers nécessaires pour la construction et l'embellissement de sa ville royale, et en même temps pour l'érection d'un palais digne du prince qui devait être le père et le type du Roi suprême de l'Église. Si jamais le fils d'Isaï avait pu concevoir des doutes sur la réalité de sa vocation au trône, la prospérité que l'Éternel lui accordait fut bien propre à les dissiper. Aussi voyons-nous par le psaume qu'il composa dans cette occasion (Ps. 30) combien son cœur était plein d'amour et de reconnaissance envers Celui qui le comblait de telles bénédictions.

1496. (13-16.) David crut qu'il convenait aussi à sa grandeur de posséder, à l'exemple des autres monarques de son temps, une quantité d'épouses et de concubines. C'est une grande tache dans une vie comme la sienne, même en faisant la part des temps et des circonstances. Hélas! quand on entre dans une voie de péché, que ce soit par ignorance ou par d'autres causes, il n'y a pas de raison pour qu'on ne s'y avance toujours plus. David eut donc encore d'autres femmes, outre celles qui ont été nommées plus haut (2 Sam. 3: 1-6), et d'elles il eut un assez grand nombre de fils. Mais ceci nous est raconté par anticipation; car Salomon ne vint au monde que quinze ans après l'avènement définitif de David au trône d'Israël.

1497. (17-25.) Cependant les belliqueux Philistins, rentrés dans leurs frontières, n'y demeurèrent pas longtemps paisibles. Plus David devenait puissant, plus ils avaient à craindre que, tôt ou tard, il ne les jetât, pour ainsi dire, dans la mer. Aussi comprirent-ils qu'il leur importait de prendre sans retard l'offensive. Deux fois ils envahirent le territoire de Juda par la vallée des Réphaïms, entre Jérusalem et Bethléem à l'ouest, et chaque fois, conduit par l'Esprit de l'Éternel, David les battit à plate couture. Ce fut dans une de ces rencontres qu'il reçut un beau témoignage de l'affection de ses gens, et que lui-même, après un mouvement irréfléchi peut-être, montra combien leur vie lui était précieuse. Ces trois hommes qui allèrent, au péril de leurs jours, tirer du puits de Bethléhem l'eau fraîche après laquelle soupirait leur général (1 Chron. 11; 16-19), offrent un beau modèle du dévouement que les chrétiens doivent à leur Sauveur. Quand il nous parle, obéissons; et, quel que soit le danger, courons-y, s'il nous y invite réellement.

1498. (6:1-7.) Au sortir des batailles, David éprouva le besoin d'avoir près de lui le sanctuaire de l'Éternel. Le moment lui paraissait venu de restaurer le culte du Seigneur et de rendre à l'arche de l'alliance la place éminente qu'elle devait occuper en Israël. On se rappelle qu'au temps de Samuel [1330], après que les Israélites eurent renvoyé l'arche, on la déposa à Kiriath-jéarim chez un nommé Abinadab, et qu'on en confia la garde à son fils Éléazar. Il pouvait y avoir de cela soixante-quinze ans. Abinadab et Éléazar étaient morts; mais deux des fils d'Abinadab, ou de ses petits-fils, Huza et Ahjo, avaient hérité de ce précieux dépôt. Saül, durant tout son règne, ne s'en était guère inquiété; il n'en fut pas ainsi de David. Ce roi pieux convoqua donc une nombreuse assemblée des principaux du peuple, parce que c'était une affaire qui intéressait toute la nation; et, après avoir tenu conseil avec les sacrificateurs et les lévites, il fut décidé qu'on amènerait à Jérusalem l'arche du Dominateur de toute la terre (Jos. 3: 13).

1499. On construisit un chariot sur lequel l'arche fut placée (on eût mieux fait sans doute de la mettre sur les épaules des Lévites, selon la loi); puis, David et une foule de peuple précédant l'arche au son des instruments et des cantiques, on s'avança de la sorte jusqu'aux métairies de deux Israélites nommés Nacon et Kidon, à moins, comme cela arrive souvent, qu'il ne s'agisse du même personnage sous deux noms différents. À cet endroit, les bœufs glissèrent. On crut que l'arche allait tomber. Huza étendit la main pour la retenir; à l'instant il mourut, frappé d'un de ces coups mystérieux de la justice divine dont nous avons tant de peine à nous rendre compte. Pendant une longue période, l'arche avait cessé d'être cachée aux regards du vulgaire; on avait pu librement s'en approcher et la manier; la gloire de l'Éternel ne s'y était plus manifestée; l'or dont elle était revêtue la rendait toujours un objet d'admiration, mais rien ne rappelait plus l'épouvante qu'elle devait inspirer à l'homme pécheur. Maintenant qu'elle allait, en quelque sorte, rentrer dans ses augustes fonctions, il importait que, par quelque acte frappant, le Seigneur rétablît la sainte inviolabilité de ce monument solennel de sa présence au milieu du peuple. Voilà ce qu'on se dit pour expliquer la conduite du Seigneur envers Huza.

1500. En reconnaissant la sagesse de Dieu dans tout ce qu'il fait, on est tenté néanmoins de trouver excessive la peine infligée au fils d'Abinadab, et cela par les raisons mêmes qui expliquent sa témérité. Dès son enfance il avait vu l'arche dans la maison de son père, et, familiarisé avec elle, il put, sans impiété, méconnaître un instant ce qu'elle avait de sacré. Mais il faut nous souvenir ici, comme nous l'avons fait dans une circonstance pareille, que Dieu connaît les pensées secrètes des cœurs (1328). Huza était sans doute un homme léger, moqueur, incrédule, qui, en appuyant l'arche, se riait intérieurement de ce que Jéhovah avait besoin de lui pour se tenir debout; on comprend en conséquence le châtiment qui lui fut infligé. Cette incrédulité du fils d'Abinadab me remet en mémoire celle des fils du charpentier Joseph. Parce que Jésus, leur frère selon la chair, fut dès son enfance au milieu d'eux, voilant sa gloire ineffable sous un état obscur, ils s'étaient si bien habitués à lui, que lorsqu'il se fut manifesté comme le Messie, ils refusèrent d'abord de croire sa parole. Nous aussi, prenons garde que ce qu'il y a d'humain dans les choses divines ne nous fasse méconnaître leur suprême grandeur et leur redoutable sainteté!

1501. (8-15.) Le cœur de David fut péniblement affecté de cette catastrophe; il en éprouva même un effroi qu'on a peine à comprendre, car il s'agissait seulement de ne pas imiter l'irrévérence d'Huza. Cédant à son premier mouvement, il laissa l'arche chez un Lévite nommé Obed-Edom. Celui-ci, homme pieux, loin de souffrir quelque préjudice de son hospitalité, en recueillit au contraire toute espèce de bénédictions; si bien qu'au bout de trois mois, David reprit son désir d'amener l'arche près de sa personne. Mais, cette fois, il appela les sacrificateurs et les Lévites à son aide. Ceux-ci chargèrent l'arche sur leurs épaules, les sacrificateurs offrirent de riches holocaustes, et David, revêtu d'un éphod de lin comme l'un d'eux, David, type de Celui qui est roi et sacrificateur tout ensemble, marchait devant l'arche: dans la naïveté de son bonheur, il sautait de joie, comme l'aurait fait un enfant.

1502. Telle fut l'entrée solennelle de l'arche dans la tente que David lui avait préparée. Le peuple assistait en foule à cette fête. On voyait aux fenêtres et sur les terrasses des maisons les femmes et les filles d'Israël, qui partageaient la joie commune; excepté Mical, dont le cœur portait maintenant à David une haine proportionnée à l'amour qu'elle avait eu jadis pour sa personne. Une fois l'arche installée, on offrit de nouveaux sacrifices d'actions de grâces; on chanta un cantique formé de fragments des psaumes 115, 96 et 106 (1 Chron. 16: 7-36); David, roi, sacrificateur et prophète, bénit le peuple au nom de l'Éternel; type du Messie, il distribua des dons à la multitude (Ephés. 4: 8); puis il entra dans sa maison pour bénir ses femmes, ses enfants et ses serviteurs.

1503. Ce fut alors que Mical, se montrant, hélas! trop digne fille de Saül, tint à David des propos qui attestent que son cœur était totalement étranger aux joies de la piété. Dans le fond, ce qui l'irritait, c'était le spectacle de la gloire d'un homme qu'elle avait fini par envisager, à l'instigation de son père, comme un ennemi de leur maison. Mais David fit voir en cette rencontre la douceur dont la foi remplissait son âme. Au lieu d'adresser à Mical des reproches qui n'auraient été que justes, il se contenta de déclarer qu'il ne craindrait jamais les opprobres et les moqueries dont sa piété serait le prétexte. Cependant Mical avait méprisé Dieu; aussi Dieu se chargea-t-il de l'humilier [1311].


CXVIII. — David se propose de construire un temple. Victorieux des ennemis de son peuple, il recueille le fils de Jonathan. Il châtie Hanun et les Hammonites. Les Gabaonites.


1504. (7: 1-17.) Ce pouvait être l'an 1043 avant l'ère chrétienne que David transféra l'arche à Jérusalem; et ce fut probablement l'année suivante, que, profitant de la paix momentanée dont il jouissait, le pieux monarque conçut le dessein de remplacer par un temple le sanctuaire du désert. Bien différent de tant de gens qui habitent de bonnes maisons et s'inquiètent peu des lieux où s'assemble leur église, David était honteux de son palais, en pensant que l'arche du Seigneur n'avait qu'une tente pour la couvrir. Peut-être aussi comprenait-il que les Israélites, établis maintenant d'une manière solide dans le pays de la promesse, devaient substituer à la demeure mobile qu'on dressait dans les campements du désert, une maison de marbre plus en rapport avec la stabilité actuelle de leur situation. Il communiqua donc sa pensée à un prophète nommé Nathan, et Nathan l'encouragea fort dans son projet, ne doutant pas que cette bonne intention ne lui vînt d'en haut.

1505. Il est triste et utile tout à fois de remarquer comment des hommes de Dieu, pleins de piété d'ailleurs, se laissent facilement aller à suivre leur propre volonté. Dans les choses mêmes qui nous semblent les plus désirables pour la gloire de Dieu, nous ne devons pas négliger de recourir à ses directions; c'est ce que ne firent ni David, ni son ami Nathan. Ils étaient l'un et l'autre prophètes de l'Éternel; mais les prophètes ne possédaient pas la toute science. Ils ne prophétisaient réellement que lorsqu'il plaisait à Dieu de les inspirer par son Saint-Esprit, ou qu'il leur adressait sa parole. C'est ce qu'il fit dans cette occasion. Nathan fut chargé de dire à David combien ils s'étaient trompés tous les deux, et il lui déclara les intentions du Tout-Puissant en des termes dont voici le sens: «L'Éternel ne veut, pour le présent, pas d'autre habitation que celle du désert. La gloire de ce sanctuaire a été certes assez grande pour que David s'en contente, lui qui habita jadis sous la simple cabane des bergers. Toutefois, l'Éternel aura plus tard une maison permanente, dont l'édification est réservée à un fils de David; car, bien différent de Saül, David transmettra le sceptre à sa postérité, et son règne même sera un règne perpétuel.»

1506. Nous verrons l'accomplissement de cette prophétie, d'abord en Salomon, fils de David, prince, hélas! qui ne fut pas sans iniquité, et la prophétie le donnait bien à entendre (14), mais qui érigea néanmoins un temple à l'Éternel avec une grande dévotion. Puis, la dynastie de David se perpétua sans interruption jusqu'à la prise de Jérusalem par les Babyloniens, c'est-à-dire aussi longtemps que dura la royauté. Mais c'est particulièrement en notre Seigneur Jésus-Christ que l'oracle s'est pleinement accompli. Fils de David selon la chair, c'est lui qui a édifié le vrai temple de Dieu, à savoir l'Église; c'est lui dont Dieu même est le Père, et de qui la gratuité de l'Éternel ne saurait se retirer; c'est lui enfin qui possède une royauté inébranlable et par qui le trône de David est, dans tous les sens, un trône affermi à jamais.

1507. (18-29.) Sous l'impression de ces paroles, David courut au saint lieu pour offrir à l'Éternel de touchantes actions de grâces. Lisez-les, et vous verrez en quels termes le successeur de Saül se déclare indigne des bénédictions dont il avait été l'objet, comme de celles qui lui étaient promises. Aussi reconnaît-il sans hésiter qu'il les devait au seul bon plaisir de Dieu et à la fidélité de ses promesses. Vous y remarquerez en même temps que le cœur de David, semblable à celui de Moïse et de tous les fidèles, se montre surtout animé de zèle pour la gloire du Seigneur: «Que ton nom, dit-il, soit reconnu grand à jamais, tellement qu'on dise: L'Éternel des armées est le Dieu d'Israël» (26).

1508. (8,22.) Comme type du Messie, David était destiné par le Seigneur, non seulement à faire la gloire et le bonheur de son peuple, mais encore à exercer des jugements sur les ennemis de l'Éternel devenus ses propres ennemis. Nous lisons en conséquence, qu'après un certain temps d'inaction, il fit avec d'éclatants succès la guerre aux Philistins, aux Moabites, aux Syriens et aux Iduméens. Ce fut dans ces guerres que David prit sur ces étrangers de riches boucliers d'or qu'il transporta dans Jérusalem, sans compter une masse prodigieuse de métaux précieux que Salomon son fils utilisa plus tard pour la construction et l'embellissement du temple (1 Chron. 18: 7, 8). Ce fut alors aussi qu'il composa le psaume 60, où se trouvent ces belles paroles: «Donne-nous du secours dans la détresse, car la délivrance qu'on attend de l'homme n'est que vanité; nous ferons des actions de valeur par le secours de Dieu, et il foulera aux pieds nos ennemis» (13, 14). À cette date enfin se rapporte le psaume 18, qui se lit à la fois dans le livre des Psaumes et au chap. 22 de celui que nous étudions maintenant. Je ne m'arrêterai pas à en signaler toutes les beautés. Il a quelque rapport avec le cantique de Moïse au passage de la mer Rouge [711]. La poésie en est sublime. Ce sont les actions de grâces de la foi sous l'inspiration de l'Esprit de Dieu.

1509. (23.) Peu après ce psaume, le second livre de Samuel nous donne (8-39) les noms des principaux officiers de David, types des soldats de Jésus-Christ (2 Tim. 2:3), comme David lui-même est le type de notre divin Roi. Là, nous retrouvons l'histoire touchante des hommes qui allèrent puiser de l'eau à la fontaine de Bethléhem [1497]; là aussi nous lisons, tout à la fin, le nom d'un infortuné avec lequel nous ferons bientôt plus ample connaissance.

1510. (9.) Il pouvait s'être écoulé onze ans depuis que David avait été reconnu par toutes les tribus, quand il s'informa des fils ou petits-fils de Saül qu'il supposait encore vivants. Méphibosceth était alors âgé d'environ vingt-quatre ans, puisqu'il avait sept ans à la mort d'Isç-bosceth son oncle, qui fut assassiné cinq ans avant la seconde consécration de David à Hébron. Il y a lieu de croire qu'il s'était tenu caché, que peut-être même il avait vécu à l'étranger, ou que, dans tous les cas, David n'avait pas jugé prudent de le sortir plus tôt de son obscurité. Une partie des grands biens laissés par Saül avait été remise à la garde d'un nommé Tsiba, qui était ainsi devenu un homme considérable. David le manda près de lui, et quand il sut où était Méphibosceth, il le fit venir, l'accueillit avec bonté, lui promit de le réintégrer dans tout ce qui avait appartenu à Saül, et l'introduisit au sein de sa famille. De cette manière le fils de Jonathan vécut à Jérusalem, tandis que Tsiba continua de lui servir d'intendant. Or, Méphibosceth avait un très jeune enfant appelé Mica.

1511. Ce dut être une grande douceur pour David de voir à sa table le fils et le petit-fils de ce cher Jonathan qui lui avait montré jadis tant d'amitié, et qui s'était vainement promis de partager avec lui les soins de l'empire [1430]. Méphibosceth, à son tour, put s'estimer heureux de la bienveillance que David lui témoignait. Il est vrai qu'en le gardant à Jérusalem près de sa personne, le roi avait l'air de craindre que, plus libre, le fils de Jonathan ne fomentât des révoltes contre son autorité. Selon toute apparence, David redoutait, non pas que Méphibosceth le trahît, mais que des factieux ne l'entourassent et qu'ils ne l'entraînassent à sa perte. Or la suite nous prouvera que ces craintes, si elles existaient dans l'esprit du roi, n'étaient pas complètement chimériques.

1512. (10: 1,2.) En ce temps-là mourut Nahas, roi des Hammonites. Il paraît que, dans une circonstance qui ne nous est pas rapportée, il avait rendu quelques services à David. Celui-ci, apprenant la mort de Nahas, envoya des ambassadeurs complimenter Hanun son fils et son héritier, malgré la défense que Dieu avait faite aux enfants d'Israël relativement aux Hammonites (Deut. 23: 3-6), et malgré la haine que ceux-ci portaient à Israël, haine dont nous avons vu les fruits dans l'horrible conduite de ce même Nahas envers Jabès de Galaad, trente-huit ans auparavant [1358]. Mais, quand nos ennemis mêmes nous témoignent quelque bienveillance, nous devons nous en montrer reconnaissants et ne pas trop nous informer de leurs motifs. Peut-être Nahas avait-il fait du bien à David lorsque celui-ci était persécuté par Saül, leur commun adversaire; toujours est-il que David eut raison de lui en savoir gré, et l'on ne saurait dire que la loi de Dieu fût violée par son ambassade à Hanun, car il ne s'agissait pas proprement d'une alliance: c'était la simple démarche d'un cœur toujours ouvert aux sentiments de la charité.

1513. (3-14.) Hanun ne comprit pas ainsi la chose. Il se laissa facilement persuader par les principaux de son peuple que David entretenait de mauvaises intentions à son égard, et oubliant ce qu'il devait aux représentants d'un prince étranger, son ami, il les traita de la manière la plus outrageante. Informé de l'insulte qu'on lui avait faite dans la personne de ses ambassadeurs, David leur enjoignit de demeurer à Jéricho, c'est-à-dire dans le village ou le hameau qui existait sur les ruines de l'ancienne ville de ce nom, jusqu'à ce que les traces de leur ignominie eussent disparu. Puis, regardant avec raison cet outrage comme une déclaration de guerre, il envoya Joab et Abisçaï contre les Hammonites avec ses meilleures troupes. Malgré les nombreux auxiliaires que les ennemis appelèrent à leur aide, le succès ne fut pas douteux; car, selon la belle parole de Joab, la cause des fils d'Israël était juste, et ils avaient l'Éternel de leur côté. — C'est probablement de cette guerre qu'il est fait mention par avance dans le résumé des batailles de David (8: 12).

1514. (15-19.) Quand les Hammonites eurent reçu le châtiment qu'ils méritaient, Joab refusa de pousser sa victoire et il revint paisiblement à Jérusalem. Enhardis par cette modération, les Syriens, qui avaient partagé la défaite de leurs alliés, se mirent en devoir d'attaquer à leur tour. C'est pourquoi David rassembla tout son monde et se transporta de sa personne au-delà du Jourdain. Laissant le pays des Hammonites sur sa droite, il marcha vers la Syrie, et tel fut le succès de ses armes, que, depuis ce moment, les Syriens tremblèrent devant lui et n'osèrent plus offrir leur secours aux fils de Hammon.

1515. (21: 1-14.) Ce fut à cette époque ou environ qu'il y eut en Israël une famine qui se prolongea trois ans. David, ayant consulté l'Éternel, reçut pour réponse que ce châtiment national venait du crime dont Saül et les siens s'étaient rendus coupables envers les Gabaonites. Ces Cananéens, vous vous en souvenez, vivaient dans le pays au bénéfice du serment que leur avaient fait Josué et les anciens d'Israël [1149]; mais Saül, impie envers Dieu, ne connaissait pas la sainteté redoutable du serment. Toutefois, par ce faux zèle qu'ont souvent les incrédules, il crut faire une œuvre méritoire en persécutant jusqu'à la mort les malheureux Amoréens.

1516. Saül, malgré sa puissance, ne parvint pas à les détruire; mais comme Gabaon était près de Guibah, sa demeure, il lui avait été facile de satisfaire son avarice à leurs dépens, en sorte que ceux qui avaient échappé au glaive menaient une vie fort misérable. C'était là ce qui exigeait une éclatante réparation. David fit venir les Gabaonites. Il leur offrit, à ce qu'il paraît, de les dédommager en leur distribuant une partie de la grande fortune qu'avait laissée Saül; mais ce n'était pas là ce qu'ils voulaient. Ils demandèrent la mort de sept des fils de ce prince, lesquels, sans doute, avaient pris part à la persécution, et David les leur abandonna, reconnaissant lui-même que ces hommes méritaient la mort. Quand on ne connaîtrait pas le cœur de David, on pourrait élever des doutes sur la pureté de ses motifs; mais s'il convenait à sa politique d'affaiblir la famille de Saül, il lui convenait bien davantage de ne pas exaspérer la tribu de Benjamin. En sorte qu'on ne doit voir en lui dans cette rencontre qu'un exécuteur des justes jugements du Très-Haut.

1517. Ce David, à tous égards si différent de son prédécesseur, comprenait la sainteté du serment; et comme il avait juré à Jonathan une amitié qui s'étendrait à ses fils (1 Sam. 20, 42), il épargna Méphibosceth, persévérant dans la bienveillance qu'il lui avait déjà témoignée [1511]; mais il livra aux Gabaonites les deux fils de Ritspa, veuve à la fois de Saül et d'Abner [1484], et cinq fils de Mérab, sœur de Mical; car il y a évidemment ici une faute de copiste, facile à redresser en recourant au verset 19 du chapitre 18 du premier livre de Samuel. Or, ces malheureux fils et petits-fils de Saül subirent de la part des Gabaonites le supplice que la loi de Dieu déclarait particulièrement maudit (Deutér. 21, 23).

1518. Quelle douleur pour une mère que d'avoir des fils qui, sur les traces d'un coupable père, marchent dans le chemin de l'iniquité! Et quelle désolation que la sienne, en les voyant frappés de la malédiction de Dieu! Hélas! telle fut cette pauvre Ritspa, qui gardait les corps de ses enfants, de peur que, par défaut de sépulture, ils ne devinssent la proie des bêtes sauvages. Quand David connut cette circonstance, il en eut le cœur ému de compassion, et, réunissant dans la tombe de Kis les dépouilles mortelles de Saül, de Jonathan et des suppliciés, il montra du moins qu'il n'avait point en haine leur mémoire. Par là, il mit quelque baume sur la plaie de l'infortunée Ritspa, et après cette exécution la famine se retira de dessus le pays, l'Éternel déclarant ainsi qu'on avait réellement exécuté sa volonté.


CXIX. — David et Bathscébah.


1519. (11:1.) C'est une histoire déplorable que celle dont nous avons maintenant à étudier le récit. David n'était plus jeune, car ce devait être l'an 1035 avant Jésus-Christ, et il avait vu le jour l'an 1085. La guerre avec les Hammonites avait recommencé [1514]; Joab et ses lieutenants, après avoir envahi leur territoire, assiégeaient Rabba, leur capitale; David, alors au faîte de sa gloire et de sa puissance, était resté tranquille en son palais. Rien n'est dangereux, même pour un enfant de Dieu, comme l'oisiveté; rien n'est fâcheux non plus comme de n'être pas au poste où le devoir nous appelle. David n'était pas assez âgé pour se reposer sur d'autres de la conduite des batailles rangées de l'Éternel, et il avait le grand tort de croupir dans l'indolence lorsque tant de braves gens versaient leur sang pour le Seigneur et pour lui.

1520. Nous voyons, il est vrai, chap. 21: 15-17, par quelle raison David avait cessé de conduire ses armées; car la guerre contre les Philistins, dont il est parlé, doit avoir eu lieu vers cette époque. Il avait failli succomber sous les coups d'un ennemi. Dès lors, ses propres sujets l'avaient prié de se ménager; mais il reste à savoir s'il fit bien de céder à leurs instances. N'est-ce pas à sortir de la ligne du devoir que l'on court les plus grands dangers? Et celui qui avait aidé David contre le premier Goliath, assuré les coups d'Abisçaï (16, 17), rendu Elhanan (19) victorieux d'un second Goliath, dont le nom primitif était Lahmi (1 Chron. 20:5), avait-il cessé d'être le protecteur spécial de son Oint?

1521. (2, 3.) Un jour donc que David avait passé toute l'après-midi sur sa couche, il se leva vers le soir pour respirer la fraîcheur de la terrasse qui dominait son palais. De là il aperçut une femme extrêmement belle qui se baignait, ou qui accomplissait quelqu'une des purifications ordonnées par la loi. Elle se croyait sans doute à l'abri des regards. Au lieu de faire comme Job (Job 31, 1), ou comme il eût fait lui-même s'il avait eu dans ce moment son cœur vers Dieu, David arrêta ses mauvais désirs sur cette jeune femme. Ignorant qu'elle fût mariée, et formant aussitôt le projet de l'épouser, il se fit informer de son nom et de sa position. Bientôt il sut qu'elle s'appelait Bathscébah, qu'elle n'était point libre et que son mari se nommait Urie.

1522. (4.) Qu'avait à faire David? La question n'est pas susceptible de deux réponses. Il devait se mettre à genoux, supplier l'Éternel de lui faire oublier celle qu'il n'aurait pas dû regarder, s'humilier d'avoir, même par ignorance, convoité la femme de son prochain (Exode 20, 17), s'affliger surtout de l'empire que ses passions exerçaient sur son pauvre cœur, et, afin de rompre court avec la tentation, partir immédiatement pour l'armée. Mais, hélas! c'est un des funestes effets de la polygamie, bien qu'on ne doive pas la confondre avec le libertinage, qu'elle rende la conscience moins délicate sur tout ce qui tient à la pureté et à la chasteté. D'ailleurs, quoique David fût l'oint de l'Éternel, prophète et non pas seulement roi, il ne possédait personnellement contre le péché pas plus de forces que le dernier des hommes. Il ne pouvait être saint qu'autant qu'il se sanctifiait en Dieu par la foi et par la prière. Or, il n'avait pas prié en se rendant sur la terrasse de son palais, il ne priait pas lorsqu'il jeta des yeux indiscrets sur Bathscébah, il ne pria pas davantage quand il se fit informer d'elle, et il est évident qu'il ne pria pas non plus au moment où il apprit qu'elle ne pouvait, sans crime, lui appartenir. Mais si un enfant de Dieu néglige la prière, il est comme un soldat privé de ses armes, comme un impotent qui a perdu ses béquilles, comme une lyre dont on a coupé les cordes, ou comme une fleur que le vent du désert a brûlée. David, oubliant Dieu, ne voit plus que l'objet de sa passion; c'est dire qu'il court à sa perte. Abusant du pouvoir qu'il devait au Seigneur, il fait enlever Bathscébah de sa demeure, car Urie était absent; il la reçoit dans son palais, et il se livre à un des plus grands crimes qui se puissent commettre, à un de ceux qui, selon la loi du Seigneur, devaient être punis de mort (Exode 20, 14; Deutér. 22,22).

1523. (5.) Cette épouvantable chute de David ne pouvait demeurer ignorée, car il avait pour complices quelques-uns de ses gens, et il eût été absurde de compter sur leur parfaite discrétion. Cependant, une fois que Bathscébah fut de retour chez elle, il n'était pas impossible qu'à force de s'étourdir David ne finît par oublier son péché, ce qui aurait consommé la perte de son âme. Mais l'Éternel veillait avec miséricorde sur son coupable serviteur. Il voulait l'humilier et le ramener à lui. Pour commencer, il lui fit savoir par Bathscébah elle-même qu'elle se trouvait dans un état qui ne pourrait longtemps être tenu secret. Urie était à l'armée de Joab; mais à son retour, quel sort ferait-il subir à sa femme quand il aurait des preuves de son infidélité, et quelle honte pour le roi d'avoir porté le déshonneur et la mort dans la maison d'un de ses fidèles officiers! David sentit tout cela, et l'angoisse de son âme fut horrible. Il n'osa pas consulter l'Éternel; pouvait-il seulement y songer? Un énorme péché avait été commis par lui, un péché irréparable [873], une de ces iniquités toutefois qu'on a le plus grand intérêt à effacer et qui ne peut se couvrir que par d'autres iniquités plus criantes encore. Ah! puisqu'il le faut, suivons le malheureux monarque dans ce tissu d'abominations.

1524. (6-11.) Son plan est fait; mais il est aussi honteux qu'habilement conçu. Il s'agit de rapprocher Urie de sa femme, afin qu'il se puisse croire le père de l'enfant qu'elle doit mettre au monde. David invite donc Joab à le lui envoyer comme pour lui apporter des nouvelles de l'armée. Avec une hypocrisie qui était bien loin de son caractère, mais que lui commandait, hélas! sa position criminelle, il fait à Urie l'accueil le plus amical, le renvoie dans sa maison et l'honore de riches présents. David ne savait pas quel homme était Urie. Ce généreux guerrier se serait reproché les douceurs du foyer domestique, tandis qu'Israël et Juda, Joab et son armée, menaient la dure vie des camps. Au lieu de se rendre chez lui, il passa la nuit avec ceux des serviteurs de David qui faisaient la garde du palais; et cette admirable retenue étonna tellement, que le récit en fut bientôt dans toutes les bouches. Or, représentez-vous quelle dut être la confusion du roi lorsque, ayant appelé Urie, il sut de lui les motifs qui lui avaient interdit de prendre aucun repos. Quel contraste avec sa propre conduite! Quelle sanglante condamnation de sa mollesse! La leçon que lui faisait Urie, et probablement sans intention, était une de ces leçons qui irritent toujours plus le cœur, si elles ne le fléchissent. Or, comment David aurait-il pu avouer à Urie l'indignité dont il s'était rendu coupable à son égard?

1525. (12, 13.) Aussi dut-il charger sa conscience d'une nouvelle infamie. Enjoignant à Urie de demeurer encore un jour, il le convie à sa table, il le fait boire outre mesure, et il le renvoie avec la persuasion que, dans cet état, le brave officier oubliera le vœu qu'il avait formé de ne pas remettre les pieds dans sa maison tarît que la guerre durerait. Il n'en fut rien cependant; si bien que David dut, en désespoir de cause, imaginer un moyen dont il aurait eu horreur dans le principe, mais qui lui sembla désormais la seule planche de salut pour sa réputation et pour celle de l'infortunée Bathscébah. Il écrivit à Joab de placer Urie au plus fort du combat et de faire en sorte qu'il y pérît. Joab, soit qu'il ignorât la cause pour laquelle le mari de Bathscébah était tombé en disgrâce, soit qu'il en eût quelque soupçon, exécuta ponctuellement les directions de son oncle, heureux peut-être de le voir, lui aussi, répandre lâchement le sang d'un homme de bien (3: 27). Urie fut mis à l'avant-garde; Urie se battit vaillamment, comme on pouvait s'y attendre, et Dieu permit qu'Urie mourût. Urie! le brave et fidèle Urie, moins malheureux toutefois de mourir, que David de l'avoir exposé volontairement à une mort certaine.

1526. (14-25.) La manière adroite et couverte dont Joab fit savoir à David la mort de sa victime, permet de croire qu'il se doutait bien que tout cela cachait quelque iniquité; puis, le ton glacial avec lequel David répondit à ce message, montre quels ravages le péché avait faits dans ce cœur si affectueux et si compatissant. Il n'a aucune larme pour Urie, c'est bien simple; il n'en a point non plus pour ceux qui sont tombés avec lui dans l'attaque téméraire qu'il avait ordonnée! On voit même percer un secret contentement de l'issue favorable que ses plans ont obtenue. Disons-le pourtant, afin d'adoucir l'amertume de ce spectacle: David n'alla pas jusqu'à faire intervenir le nom de l'Éternel dans ses discours hypocrites, comme l'aurait fait un impie [1437]: encore que fort dégradé, il n'était pas tombé jusque-là.

1527. Hélas! il était tombé assez bas, et avec quelle rapidité et quelle force logique une première faute n'entraîne-t-elle pas dans l'abîme! Urie mort, et Bathscébah ayant bientôt déposé le deuil, David la prit pour sa femme. Plusieurs de ses sujets purent y voir un honneur qu'il rendait à la veuve d'un de ses officiers; mais ils ne s'y trompèrent pas tous. Peu importe, cette réparation ne réparait rien: l'adultère avait été commis, Urie abusé et comme assassiné. Aussi l'Écriture, qui se prononce rarement sur la moralité des actions, bonnes ou mauvaises, qu'elle nous raconte, dit-elle ici en propres termes que «la conduite de David déplut aux yeux de l'Éternel.»

1528. Il est difficile, en effet, d'accumuler plus de péchés. Toutefois, et au risque de scandaliser mes lecteurs, je les prie de ne pas trop se hâter de jeter la pierre contre David. C'est une terrible chose pour l'homme pécheur que de posséder beaucoup de pouvoir! On a mille moyens d'accomplir ses désirs, dont on serait privé en d'autres situations. Combien de gens que de mauvaises convoitises dévorent ou ont dévorés, et qui n'ont dû qu'à des circonstances indépendantes de leur volonté, de ne les avoir pas satisfaites! Si David n'eût pas été roi et qu'il eût vu Bathscébah, ses passions ne s'en seraient pas moins émues; il est vrai que, dans l'impossibilité de les contenter, il n'aurait commis aucun des crimes qui souillent maintenant sa mémoire; mais en eût-il été moins coupable devant Celui qui sonde les cœurs?

1529. Apprenons donc à voir le péché où il est surtout, c'est-à-dire dans les mauvaises pensées qui en sont comme la racine. Alors nous comprendrons que bon nombre des prétendus sages qui s'élèvent le plus hautement contre les actes immoraux de David, ne sont pas meilleurs au fond qu'il ne le fut. Que les enfants de Dieu surtout, pour qui cette histoire a été écrite, y voient l'abîme où ils peuvent se précipiter quand ils oublient Dieu. Le pécheur non converti est souvent retenu dans la carrière du mal par la crainte du monde et par d'autres motifs humains. Ces motifs ont perdu la majeure partie de leur force pour le chrétien, remplacés qu'ils sont par des motifs supérieurs. Mais s'il vient à perdre de vue ces motifs supérieurs, s'il se retire du Seigneur et que le Seigneur se retire à son tour, il n'y a plus rien pour le détourner du mal, plus rien pour l'exciter à la sainteté et à la vigilance. La vigilance, voilà en définitive le devoir que négligea David; l'oubli momentané de Dieu et de soi-même, tel fut le principe de son horrible conduite.

1530. Toute cette histoire a d'ailleurs un cachet de vérité qu'on ne saurait méconnaître. Plus elle proclame la honte de celui que les Israélites regardèrent constamment comme un prince et un prophète particulièrement aimé de Dieu, et dont ils étaient fiers, plus nous avons la certitude qu'elle ne saurait avoir été inventée par eux. Il est vrai que Salomon étant né de Bathscébah, il était naturel que nous connussions le nom tout au moins de celle qui fut sa mère; mais si le mariage de cette femme avec David n'avait pas été précédé des odieuses circonstances qu'on vient de voir, il est évident que personne n'eût songé à les imaginer. Bien plus, on comprendrait même qu'un historien véridique ne se fût pas cru obligé d'entrer dans tout ce détail, où l'on reconnaît l'intention manifeste de mettre en saillie les crimes de David. Quelle preuve que ce récit, comme le livre entier qui le renferme, a été écrit par l'inspiration divine! Dieu seul a pu ne point redouter les conséquences qu'on en déduirait; Dieu seul a intérêt à montrer que tout homme est pécheur et qu'il n'y a que lui de vraiment saint; Dieu seul a pu vouloir humilier Israël et le peuple fidèle de tous les temps dans la personne du fils d'Isaï. S'il a très bien connu d'avance que beaucoup d'incrédules et de demi-chrétiens abuseraient, à leur propre ruine, de cette chute du roi-prophète, il a su aussi que son Saint-Esprit y ferait voir aux âmes élues une importante leçon de défiance de soi-même et de vigilance. Puisse-t-elle, par la grâce de Dieu, produire cet effet sur ceux qui lisent ces lignes!


CXX. — Repentance de David.


1531. (12: 1-4.) Quelque temps après la naissance du fils de Bathscébah, le prophète Nathan [1504] fut envoyé à David de la part de l'Éternel. Savait-il déjà par la rumeur publique les circonstances du crime, ou le Seigneur dut-il les lui révéler? Dans tous les cas, on se figure quelle fut sa douleur en apprenant l'horrible chute d'un homme tel que David. Quant à celui-ci, comment avait-il passé le temps qui s'écoula depuis son union avec Bathscébah jusqu'à la visite de Nathan? Pouvait-il se faire des illusions sur la gravité de ses torts? Continua-t-il à servir l'Éternel dans l'assemblée des fidèles; et, s'il le fit, que devait être son culte? Est-ce que Dieu l'avait assez abandonné pour qu'il goûtât encore quelque paix, malgré l'interdit que recélait son cœur? Éprouvait-il de temps en temps un certain repentir de ses fautes? Voilà des questions auxquelles nous serons peut-être en état de répondre tout à l'heure; pour le moment, tenons-nous-en au message que lui apporta le prophète Nathan.

1532. Sa tâche n'était pas facile. Il devait reprocher au monarque son iniquité, mais il s'agissait de le faire en des termes qui n'eussent pas pour unique effet de l'irriter et de l'endurcir. Or, l'Esprit de l'Éternel dirigea si bien le prophète, qu'il sut allier à une parfaite franchise la prudence et la charité. Il commença par faire entendre au roi une parabole simple et touchante: c'est la seconde que nous rencontrons dans la Bible (Juges 9: 8-15). «Un homme riche en bétail s'est emparé violemment de la brebis du pauvre. Celui-ci l'avait achetée et nourrie; elle avait crû dans sa maison, mangeant de ses morceaux, buvant de sa coupe et dormant à ses côtés, en sorte qu'il la regardait comme sa fille. Le riche la lui a prise et il l'a tuée!!!»

1533. (5-12.) En entendant ce discours, David ne doute pas que ce ne soit une histoire véritable. Indigné d'une telle abomination, il déclare que le coupable mériterait la mort, mais que tout au moins, et selon la loi de Dieu, pour une brebis, il en rendra quatre. Alors Nathan: «Tu es cet homme-là! Écoute donc la parole de l'Éternel: C'est lui qui t'a oint pour être roi sur Israël, et qui t'a délivré des mains de Saül; c'est lui qui t'a mis en possession du royaume, et il n'est sorte de bien qu'il ne voulût te faire. Mais toi, tu as violé les uns après les autres les commandements les plus formels du Seigneur! te voilà meurtrier et adultère! C'est pourquoi l'épée te frappera dans ce que tu as de plus cher; de honteux péchés, commis par tes propres enfants, te couvriront d'une juste ignominie; bien plus, tandis que tu t'es enveloppé des voiles du mystère pour te livrer au mal, l'Éternel te châtiera publiquement et de la façon la plus exemplaire,»

1534. O vous qui lisez ceci, n'oubliez pas que toutes ces choses ont été écrites pour votre instruction (1 Cor. 10: 11). Souvent vous condamnez chez autrui les fautes mêmes dont vous vous êtes rendus coupables, bien que sous une autre forme et à un degré différent. Vous êtes donc cet homme-là! Et puis, si vous appartenez à Jésus-Christ par la foi, sachez que vous avez sur vous une onction du Seigneur, celle du Saint-Esprit, de qui vous reçûtes la foi (1 Jean 2: 20). Elle vous a faits rois et sacrificateurs (Apoc. 5: 10); elle vous a enrichis de toutes sortes de grâces; mais vos péchés actuels n'en sont que plus odieux. Si donc il était possible que vous y demeurassiez, pensez au sort qui vous serait réservé! Dans tous les cas, ne vous étonnez pas quand le Seigneur vous châtie, et quelquefois d'une manière très apparente, pour des fautes qui ne sont peut-être connues que de vous et de Lui!

1535. (13.) Alors David dit à Nathan: «J'ai péché contre l'Éternel,» et dans ce premier moment, il n'ajouta, paraît-il, rien de plus. Ne jugeons donc pas de la vérité des sentiments par l'abondance des discours. Quelquefois le cœur est tellement pénétré, qu'il a peine à exprimer ce qu'il sent. Replacé tout d'un coup par la Parole même de Dieu en face de ses crimes et sous l'impression des grâces précédentes du Seigneur, David ne peut articuler qu'un seul cri; mais ce cri est celui d'un vrai repentir, car Nathan lui dit: «L'Éternel aussi a pardonné ton péché; tu ne mourras point.» Par un oubli déplorable de la présence de Dieu, David avait commis une faute grave, et cette faute fut suivie d'horribles péchés; sa foi cependant n'avait pas fait un entier naufrage, et sa communion avec le Seigneur en fut interrompue, mais non détruite à jamais. Ce ne fut pas, comme Saül, de propos délibéré et par des vues impies qu'il accomplit le mal; aussi Dieu, qui l'aimait, ne le laissa-t-il pas dans sa dégradation. Il lui fit parler, il le reprit; il lui donna la repentance pour avoir la vie. Si l'historien sacré ne nous dit pas la douleur de David et ses larmes, s'il nous raconte son crime avec plus de détails que son repentir, c'est une nouvelle preuve du caractère divin de ce récit. Le Seigneur toutefois ne nous laisse pas ignorer que la repentance de son serviteur fut ce qu'elle devait être, puisqu'il nous dit que son péché lui fut pardonné.

1536. (Ps. 51.) Nous avons pourtant le moyen de suppléer au silence de l'histoire. Voici un cantique composé par David après la visite de Nathan, cantique donné au maître-chantre pour le chanter devant le peuple, et dont les premiers mots ne laissent rien à désirer.
C'est la repentance telle que le Saint-Esprit la forme dans le cœur des fidèles: «O Dieu! aie pitié de moi selon ta miséricorde; selon la grandeur de tes compassions, efface mes forfaits» (1). Méditez ce psaume avec attention; et si votre cœur fut tenté de retirer à David l'affection que vous lui portiez, elle y renaîtra plus vive qu'auparavant. Il y fait une confession publique de ses péchés, et c'est une réparation qu'il devait à ses sujets, ou, si l'on veut, à ses frères. Mais pour arriver là, quelle victoire ne dut-il pas remporter sur son orgueil! Puis, quelle humilité vraie dans cette confession! Vous y chercherez vainement quelque chose qui ressemble à des excuses, à une justification, à une palliation quelconque de ses torts. Voyez, au contraire, comme il fait ressortir lui-même ce qui les aggravait: «Tu avais mis dans le secret de mon cœur la connaissance de la sagesse (8).» Voyez comment les péchés qu'il vient de commettre reportent sa pensée et sa tristesse sur Le péché qui habite en nous tous dès notre naissance, qui nous rend odieux à l'Éternel et lui donne le droit de nous rejeter (7, 6). Cependant il ne vient pas à l'esprit de David que son repentir puisse en aucune manière expier son iniquité: il faut que l'Éternel lui-même l'efface, selon la grandeur de sa miséricorde (1,2, 9,11). Mais ce qui montre encore mieux que la repentance de David était la vraie, celle de la foi et de l'amour, ce sont les prières qu'en terminant il adresse au Seigneur. Il lui demande de consoler son âme, d'y créer la pureté, de la ramener à la droiture, de lui rendre la joie de son salut et toutes les grâces du Saint-Esprit (10, 12, 14). Puis, dans quel but? Afin qu'il puisse glorifier le Dieu de sa délivrance devant tout Israël, dont la gloire et le bonheur étaient l'objet de ses vœux les plus ardents (15-21).

1537. Ne vous étonnez pas au surplus de la manière dont ce pécheur repentant parle ici des sacrifices et des holocaustes (18, 19). Il savait bien que l'Éternel les avait institués, mais il savait aussi que les péchés ne s'expiaient pas tous par des sacrifices [953]. L'Esprit de Dieu lui faisait d'ailleurs comprendre que, dans aucun cas, le sacrifice ne saurait remplacer la repentance de la foi; et, prophète de l'Éternel, David, enseigne au peuple de Dieu une vérité méconnue ou trop oubliée. Nous verrons la plupart des prophètes, ses successeurs, reproduire cette importante doctrine.

1538. (14.) «Toutefois, continua Nathan, comme par cette action tu as donné aux ennemis de l'Éternel l'occasion de blasphémer avec un grand mépris, le fils qui t'est né mourra certainement.» Les crimes de David s'étaient ébruités beaucoup plus qu'il ne le croyait sans doute, car il n'est pas rare que les désordres les plus secrets soient l'objet de toutes les conversations sans que leurs auteurs le sachent. Les ennemis de l'Éternel s'étaient donc réjouis de voir le pieux David tomber en de telles bassesses, comme ils se réjouissent encore chaque fois qu'un enfant de Dieu s'abandonne à quelque péché criant. Ce n'est pas tout, hélas! L'histoire déplorable de David a été, dans tous les siècles, une pierre d'achoppement pour les incrédules; ils ont fait rejaillir sur Dieu lui-même et sur sa Parole l'opprobre dont se couvrit son oint et son prophète. Or l'Éternel sachant et prévoyant tout cela, ne pouvait, même après avoir pardonné, laisser de telles prévarications impunies. Il daigna donc restaurer David dans sa faveur; mais, pour l'honneur de la sainte loi que celui-ci avait outragée, et à la fois pour le bien de son âme, il voulut qu'un prompt châtiment, outre ceux qui viendraient plus tard, réparât autant que cela se pouvait l'énormité du scandale.

1539. (15-23.) Aussi Nathan était à peine de retour chez lui, que l'Éternel frappa d'une maladie mortelle le fils de Bathscébah. David, ployant la tête sous le jugement de Dieu, pria pour que l'enfant vécût, s'il était possible. Il jeûna tout le jour et passa la nuit couché sur la terre. En vain les plus vieux de ses domestiques le suppliaient-ils de prendre du repos, il paraissait inconsolable. Au bout d'une semaine d'angoisses, l'enfant mourut, et personne n'osait l'annoncer à son malheureux père. Mais lui, devinant ce qui était arrivé, se lève de dessus sa poudre, lave son visage, se parfume, change de vêtements, court au sanctuaire, et il se prosterne en présence de l'Éternel. Les serviteurs de David ne comprenaient rien à sa conduite, et pourtant elle s'explique parfaitement. Tant que l'enfant souffrit, son père, bien plus que lui, était sous la verge du Tout-Puissant; maintenant la parole du Seigneur s'est accomplie, le jugement est exécuté, et le cœur du pécheur repentant a repris courage. Comme la menace s'est réalisée, ainsi se réalisera la promesse. Son péché lui a été remis; il rejoindra plus tard dans le repos de l'Éternel l'enfant qui vient de lui être enlevé.

1540. (Ps. 32.) Ce fut peut-être alors que David écrivit un de ses plus beaux psaumes. Il y célèbre le bonheur «de l'homme dont la transgression est pardonnée et à qui l'Éternel n'impute point son iniquité» (1, 2): c'est ce dont il faisait à cet instant même la douce expérience. Il venait aussi d'apprendre ce qu'il en coûte d'entrer dans la voie du mensonge et de la dissimulation. Pendant longtemps il s'était obstiné à ne pas voir et à ne pas confesser ses fautes (3); aussi la paix avait-elle fui son cœur. L'Éternel, en appesantissant sa main sur le pécheur, l'avait mis dans un état semblable à celui d'un champ consumé par les ardeurs du soleil (4). Mais dès qu'il eut confessé à l'Éternel ses turpitudes, l'Eternel ôta de dessus lui la terrible peine qui consiste dans la privation de sa présence (5). Voilà ce qu'exprime le prophète rentré en grâce, et ce qui répond à nos questions de tout à l'heure [1531]. Oui, il se peut que David se soit fait toutes sortes d'illusions; il se peut que, durant une année environ, il ait pris part au culte divin, bien qu'en état de chute; mais, ni ces illusions, ni ce culte extérieur, n'avaient pu le rendre heureux: il ne le redevint que par la repentance.

1541. (24, 25.) L'historien sacré, tout au rebours de ce qu'aurait fait un romancier, nous parle peu de Bathscébah, qui, après avoir été victime de la passion de David, eut à pleurer avec lui l'enfant que Dieu leur enleva. Mais David sentit ce qu'il devait à l'infortunée veuve d'Urie; son affection pour elle s'épura par le châtiment, il l'entoura des consolations de la foi et de la charité, et cette femme, d'abord trop aimée, lui donna un fils qu'il appela Salomon et Nathan Jedidja. Le premier de ces noms veut dire le Pacifique, et le second Aimé de Dieu: l'un et l'autre avaient un sens prophétique, ainsi que nous le verrons plus tard. Ce devait être l'an 1033 avant l'ère chrétienne.

1542. (26-31.) La Parole de Dieu, revenant en arrière, nous raconte ce qui s'était passé au siège de Rabba depuis la mort d'Urie. Vous vous rappelez que David avait fait dire à Joab de pousser la guerre avec vigueur (11: 25). Lui-même, sur l'invitation de son neveu, mais pressé par le besoin de distraire sa conscience malade, plus que par le sentiment du devoir, s'était rendu à l'armée et en avait pris le commandement. Bientôt la capitale des Hammonites était tombée entre ses mains; il avait placé sur sa tête la couronne d'Hanun et infligé aux sujets de ce prince les plus horribles traitements. C'était une rigueur, ou plutôt une cruauté, à laquelle on chercherait vainement des excuses. David n'avait pas le droit de détruire les Hammonites à la façon de l'interdit, puisque Dieu ne le lui avait pas ordonné et que ce peuple n'appartenait pas aux tribus maudites de Canaan. Mais encore, des supplices tels que ceux qu'il leur fit subir étaient pires que la mort, et Dieu n'en ordonna jamais de pareils contre personne. On voudrait, je le sais, expliquer ce passage d'une manière moins défavorable à David. Il aurait simplement, dit-on, employé les Hammonites dans des scieries, dans des forges et aux labeurs des champs. La chose est possible; mais, pour moi, en considérant que, selon toute apparence, ces exécutions eurent lieu entre la mort d'Urie et le repentir de David, je comprends parfaitement qu'abandonné de Dieu comme il Tétait, inquiet, agité dans son âme, il se soit livré à la violence de ses ressentiments et qu'il ait vengé de cette manière terrible l'outrage fait à ses ambassadeurs [1513]; car celui qui n'a pas la paix de Dieu éprouve une irritation intérieure qui le pousse à toutes sortes d'emportements; et de quels excès ne sera-t-il pas capable, s'il est roi, comme David, et comme lui roi insulté et victorieux?


CXXI. — Épreuves domestiques de David.


1543. (13: 1-19.) Amnon, le premier des fils que David avait eu à Hébron, vers l'an 1056, pouvait être âgé d'environ vingt et un ans lorsque David enleva Bathscébah. Comme il est plus facile d'imiter les péchés de ses pères que leur repentance et leur foi, on peut se figurer l'effet déplorable que la conduite de David produisit sur sa famille, notamment sur ceux de ses enfants qui ne demandaient que des prétextes pour légitimer leurs passions. Tel paraît avoir été Amnon, fils d'Ahinoham. Il s'était épris d'une affection criminelle pour une de ses sœurs, Tamar, fille de Mahaca, la mère d'Absçalom. Celte jeune personne était d'une grande beauté; or, nous allons voir de nouveau combien ces avantages extérieurs couvrent de pièges, et dans quels désordres on peut tomber quand on cède à la convoitise des yeux [185, 273, 415, 522].

1544. C'est le propre des passions violentes de dévorer le corps aussi bien que l'âme. Encore qu'Amnon ne vécût pas habituellement avec Tamar (car, selon les usages de la polygamie, chaque femme de David avait sa famille à part), il connaissait trop sa sœur pour espérer qu'elle consentît à ses abominables désirs. Aussi en tomba-t-il malade. Or, Amnon avait pour intime ami son cousin germain, Jonadab, fils de Scimha, ou Samha (l Sam. 16: 9), homme fort rusé, qui, voyant dans Amnon le plus proche héritier du trône, flattait ses goûts avec adresse. Les liens qui unissaient Jonadab et Amnon, bien différents de ceux qui avaient existé entre David et Jonathan, étaient une de ces amitiés du monde qu'engendre l’égoïsme et que cimente le péché [1279]. Jonadab se doutait bien de ce qui causait la tristesse et l'abattement de son ami, et avec une pitié, sincère peut-être, mais cruelle, il le supplia de lui confier ses peines.

1545. Oui, il y a une pitié qui est cruelle dans ses effets. Jonadab, mondain et incrédule, croyait que le bonheur se trouve dans la satisfaction de ses désirs quels qu'ils soient; il pensait que le moyen de calmer une passion, c'est de l'assouvir, n'importe comment; et il donna le plus horrible conseil à l'ami qui ne lui avait probablement confié sa peine que dans l'espoir de le rendre son complice. Amnon s'était bien gardé de s'ouvrir à son père ou au prophète Nathan. Jonadab de son côté se garda fort de recommander à son cousin les saintes pensées et les exercices de piété qui eussent été propres à bannir de son âme le péché. «Fais semblant, lui dit-il, d'être encore plus malade que tu ne l'es; mets-toi dans ton lit, et obtiens de David que ta sœur aille te soigner», Il n'en dit pas davantage, car il est rare que même l'homme le plus méchant conseille ouvertement le crime. Il sait que la passion entend à demi-mot. Il mène adroitement au bord du précipice, sûr du moment où le pied glissera. Oh! comme on doit se défier des conseils de l'amitié, quand c'est une amitié de mondain qui les donne!

1546. Tout se passa comme on pouvait s'y attendre. Amnon profita de la facilité qu'il en avait, pour faire à sa sœur des propositions qu'elle sut repousser avec une touchante candeur. «Si le roi permet que je sois ta femme, dit-elle au misérable Amnon, je ne saurais m'y refuser; mais autrement, ne me parle pas d'une action si infâme.» Tamar pensait peut-être que son union avec Amnon n'était pas absolument impossible, vu que leurs relations de parenté étaient précisément celles qui avaient existé entre Saraï et leur père Abraham [247]. Mais tandis que la jeune fille oubliait ou ignorait la loi que Dieu avait donnée dès lors (Lévit. 18: 9), Amnon ne se faisait aucune illusion sur ce point. Il savait parfaitement que David ne consentirait pas à ce mariage. C'est pourquoi, irrité dans ses affreux désirs par la résistance calme et pieuse qu'il rencontrait chez sa sœur, il eut recours à la violence, et cet indigne jeune homme déshonora la malheureuse Tamar.

1547. Cependant, la conscience ne perd jamais entièrement ses droits. Amnon, plus malheureux après son crime que lorsque la passion le dévorait, ne peut supporter la présence de celle qui avait été la cause innocente de son égarement. Il la repousse avec dureté, il la chasse d'auprès de lui malgré ses cris et ses larmes, et Tamar, désolée, éperdue, rentre chez sa mère avec tous les signes de la honte et du désespoir. Hélas! que de scènes pareilles ce monde de péché n'at-il pas vues! Combien de jeunes filles que les passions des hommes ont traînées dans l'ignominie et vouées à la mort, et quel compte épouvantable n'auront pas à rendre cette foule de séducteurs qui, pour satisfaire leur impure sensualité, précipitent tant et tant d'âmes dans la perdition éternelle! Je ne dis pas cela relativement à Tamar, victime et non complice de la passion de son frère; mais nous allons voir de quels nouveaux forfaits le crime d'Amnon fut suivi.

1548. (20.) Le frère de Tamar, Absçalom, n'ignorait pas où était allée sa sœur; il savait que l'indigne Amnon était capable de tout; peut-être avait-il deviné la passion criminelle qu'il nourrissait en son cœur pour la jeune Tamar, si belle et si aimable. Lors donc qu'il la vit revenir dans cet état, il comprit ce qui était arrivé, et formant aussitôt les plans de sa vengeance, il supplia sa sœur de retenir ses plaintes; il la prit chez lui et fit tout ce qu'il put pour alléger sa douleur.

1549. (21.) David aussi fut saisi d'une vive irritation. Mais, soit qu'il ne pût se décider à punir son fils aîné de la peine qu'il aurait méritée (Lévit. 18: 9, 29), soit que, ramené par cet événement au souvenir de ses propres péchés, il crût devoir subir sans mot dire cette épreuve, plus terrible assurément que la précédente [1533], il remit à l'Éternel le soin de réprimer un si grand forfait. J'explique ainsi la conduite de David, mais cela ne veut pas dire que je l'approuve. Roi et père, il devait faire sentir en cette occasion l'autorité dont l'Éternel l'avait revêtu, et, s'il l'eût fait, il aurait probablement prévenu de plus grands malheurs.

1550. (22-29). Absçalom, en effet, non moins passionné, ni moins étranger à la piété que son frère, ne pouvait lui pardonner l'horrible insulte qu'il avait faite à sa sœur. Pendant deux ans, il dissimula sa haine sous une froideur apparente. Enfin, quand il pensa que tout était oublié et que personne ne se douterait de ses projets, il profita d'une occasion où l'on avait coutume de se réunir en famille et de se faire fête réciproquement [1053, 1440]. Il invita tous ses frères et même David, que ce fils dénaturé ne craignait pas de rendre témoin d'une affreuse catastrophe. Mais David refusa, montrant même quelque répugnance à laisser aller Amnon. Cependant Absçalom y mit tant d'instances et de simplicité, c'est-à-dire de duplicité, que le roi finit par lui accorder sa demande, du moins quant à ses fils. Or Absçalom avait tout préparé pour accomplir le fratricide si longtemps médité. À un signal convenu, ses serviteurs se jettent sur Amnon; la table du festin reçoit le sang du fils aîné de David, et ses frères s'enfuient tous, frappés d'une terreur facile à concevoir.

1551. Les mauvaises nouvelles courent avec rapidité, et, d'ordinaire, elles se grossissent en chemin. Avant que les fils du roi eussent regagné Jérusalem, le bruit vint à David qu'Absçalom avait assassiné tous ses frères. On comprend quel fut son désespoir. Mais voyez le rôle abominable que joua dans cette occasion celui dont les conseils perfides furent la première cause de tant de maux. Il se rend vers son oncle, le rassure, lui dit que, selon toute apparence, Amnon seul sera tombé sous les coups d'Absçalom, dont il avait pressenti les projets. Quel homme que ce Jonadab! et qui aurait pu croire, à l'entendre, qu'il avait été l'instigateur du crime d'Amnon! Après cela, suivez encore les mauvais conseils de vos prétendus amis, ô vous chez qui l'imprudence égale le désir de mal faire! Ces amis intimes, que vous regardez comme la seconde moitié de vous-mêmes, ils sauront bien vous désavouer au moment de la calamité, et ne croyez pas qu'ils vous suivent dans le précipice! Dieu, sans doute, ne les laissera pas impunis; mais enfin, ce ne sont pas eux qui porteront la peine de vos péchés! Et loi, malheureux Amnon, quelle mort après une telle vie! Tes passions tuèrent ton âme, et les passions d'Absçalom tuent ton corps!

1552. Après la crainte prématurée qu'avait éprouvée David, ce fut une grande joie pour lui de voir arriver ses fils. Mais ils fondaient en larmes, et décidément Amnon n'était plus! Aussi l'affliction de David demeura-t-elle profonde, et ceux qui entouraient ce malheureux père ne pouvaient que pleurer avec lui. Quant au coupable Absçalom, il n'avait pas osé reparaître; cela se conçoit. Aussitôt après son crime, il s'était enfui à Guesçur chez son aïeul Talmaï (3: 3). Il y demeura trois ans sans songer à revenir; mais il espérait qu'à la longue David oublierait sa douleur et qu'il lui pardonnerait enfin la mort d'Amnon.

1553. (14: 1-22.) Absçalom avait d'ailleurs auprès de David un protecteur puissant, qui était prêt à défendre ses intérêts et qui devait le faire d'autant plus volontiers qu'il avait lui-même répandu le sang avec perfidie [1486]. C'était Joab, son cousin. En homme adroit, il fit venir vers David une femme de Tékoa, avec laquelle il avait concerté toute une histoire assez semblable à celle d'Absçalom. Elle devait implorer la protection de David en faveur d'un de ses fils qui avait malheureusement tué son frère. Veuve et sans autres enfants, elle allait demeurer toute seule si l'on faisait mourir le coupable..... David, touché de la situation de cette femme, lui promit tout ce qu'elle voulut; et quand elle le vit dans cette disposition, elle le supplia d'user d'une grâce pareille envers son propre fils Absçalom. Alors David comprend le stratagème. Il y reconnaît l'habileté de Joab, et sur l'aveu que lui en fait la femme tékohite, il appelle son neveu et l'autorise à ramener le prince fugitif.

1554. (23, 24.) Muni de cette bonne nouvelle, Joab part pour Guesçur, et bientôt il est de retour avec Absçalom. La joie de celui-ci ne dut pas être sans mélange, car il revenait aux lieux où il avait fait couler le sang de son frère, et il allait revoir un père dans le cœur duquel il avait répandu l'amertume. Il pouvait le penser du moins, qu'il reverrait son père; mais non, David ne le permit pas. Ce n'est point qu'il eût son fils en aversion, mais il fallait que le fratricide sentît le crime dont il s'était rendu coupable. Par amour même pour lui, David ne pouvait le traiter autrement, et ce qui montre combien le cœur d'Absçalom était éloigné de Dieu, c'est qu'il ne comprit pas la conduite de son excellent père.

1555. (25, 26.) Cet Absçalom était d'une beauté non moins remarquable que celle de Tamar sa sœur, et il en était plein de vanité. Il se montrait fier surtout de l'abondance de ses cheveux. Quand il les faisait couper pour se débarrasser de ce poids incommode, il les pesait au poids du roi, et ils allaient jusqu'à deux cents sicles. — Le sicle était à la fois une valeur monétaire et une mesure de pesanteur:

le Gérah valait 1/20 de sicle,
le Békah — 1/2 sicle,
le Maneh — 60 sicles,
le Talent — 3,000 sicles;

mais il est difficile d'estimer au juste ce que valait le sicle lui-même. Cela peut avoir varié suivant les temps et les objets qu'on pesait. Quoi qu'il en soit, il est évident qu'il s'agit ici d'un sicle très faible, peut-être d'un quart d'once seulement.

1556. (27-33.) Absçalom vécut deux ans à Jérusalem sans voir son père. Il était marié; il avait trois fils et une fille, à laquelle il donna le nom de sa sœur, et il était âgé d'environ trente et un ans. La vie de famille dans une obscure retraite ne pouvait contenter le cœur ambitieux de ce jeune prince. Il voulut à toute force regagner les bonnes grâces de son père, et comme Joab lui-même se tenait éloigné, il le contraignit à lui rendre visite en faisant incendier un de ses champs. La violence de son caractère ne s'était donc point apaisée. Joab, moitié par peur, moitié par affection, consentit à porter le message dont son cousin le chargea, et le roi, jugeant que cet exil de cinq années suffisait au châtiment de son fils, lui permit de reparaître en sa présence. Il le reçut avec des témoignages d'affection dont personne assurément ne soupçonnera la sincérité, et pourtant c'était le meurtrier d'Amnon que David serrait contre son cœur; mais le cœur de David était plein de miséricorde, parce qu'il ne subsistait lui-même que par la miséricorde de Dieu.


CXXII. — Conspiration d'Absçalom.


1557. (15: 1-6.) Absçalom, abusant de l'extrême générosité de son père, commença dès ce moment à mettre au jour l'ambition qui le rongeait. Peut-être même faut-il voir déjà dans cette passion ce qui l'avait en partie conduit à venger l'honneur de Tamar par la mort de l'héritier naturel du trône. Quoi qu'il en soit, le voici maintenant qui se donne une garde de cinquante hommes, et qui, pour se concilier la faveur populaire, se met à fronder le gouvernement de son père et à affecter, malgré son orgueil, les allures d'un vrai démocrate. Il ne souffrait pas qu'on se prosternât devant lui, mais il touchait la main à tout le monde d'un air affable, il embrassait le premier venu comme un frère, disant à qui voulait l'entendre, qu'il serait trop heureux de consacrer sa vie au service du peuple.

1558. (7.) Vers la fin des quarante années du règne de David, ou lorsque Absçalom approchait de sa quarantième année, ce qui revient au même, puisqu'il naquit tout au commencement du règne de son père, il jugea le moment venu de mettre à exécution ses desseins. Au sujet de ces quarante ans, quelques-uns pensent qu'il y avait autrefois dans le manuscrit quatre, au lieu de quarante, et que ce dernier mot aurait remplacé le premier par une erreur de copiste. Dans ce cas, la conspiration d'Absçalom aurait éclaté quatre ans après sa réconciliation avec David, ou dix ans environ après la mort d'Amnon et cinq ans avant celle de David, vers l'an 1020, détails qui, du reste, ne sont pas d'une grande importance.

1559. Lorsque Absçalom porta d'abord des regards de convoitise sur le trône, il n'est pas dit que ce fût avec la coupable pensée d'en chasser son père. Peut-être n'avait-il pas d'autre intention que de s'assurer l'empire au détriment de Kiléab, son frère aîné (3, 3). Il lui semblait probablement qu'un fils et petit-fils de roi, comme lui, était plus digne d'une couronne que le fils de la veuve de Nabal. Mais à mesure que ses manœuvres lui réussirent, son ambition grandit, et, impatient d'obtenir l'objet de ses désirs, il résolut de détrôner David au prix d'une guerre civile, et même, s'il le fallait, en exposant les jours de son père. Celui-ci approchait de sa soixante-dixième année, et quelle vie agitée n'avait pas été la sienne! Quel genre d'afflictions peut-on dire qu'il lui eût manqué? Et pourtant, jamais il ne s'était trouvé dans une détresse pareille; jamais, non plus, la grâce de Dieu ne se montra plus magnifique envers lui; jamais, enfin, il ne porta plus évidemment les traits qui font de sa personne un si beau type de Jésus-Christ.

1560. (7-13.) Absçalom, prétextant un vœu qu'il disait avoir fait quand il demeurait à Guesçur, obtint de son père la permission de se transporter à Hébron, la ville sainte où David avait été deux fois consacré [1478, 1491]. Comme il parlait de célébrer une fête à l'Éternel, il prit avec lui beaucoup de monde. Bien des gens le suivirent sans se douter de quoi il s'agissait, car c'est ainsi qu'il en va d'ordinaire dans les révolutions: quelques-uns sont dans le secret, la multitude est entraînée. Parmi ceux qui avaient eu les confidences d'Absçalom, se trouvait un nommé Ahitophel, conseiller de David, qui, véritable prédécesseur de l'apôtre Judas, trahissait indignement son maître. Appuyée du crédit de cet homme habile autant que puissant, la conjuration fit de rapides progrès; des émissaires parcoururent les tribus annonçant qu'Absçalom venait d'être proclamé roi, et David ne tarda pas à apprendre qu'un très grand nombre d'Israélites abandonnaient sa vieillesse pour se ranger sous les lois de son fils.

1561. (14-23.) Tout devait faire penser à David qu'Absçalom profiterait du premier élan pour attaquer la résidence royale. Or, se défendre dans cette ville forte n'était pas impossible; mais combien de vies qui y seraient compromises, et que de calamités un long siège ne pouvait-il pas enfanter! Aussi David, économe du sang de ses frères, prit-il incontinent le parti de la fuite; et cela d'autant plus que la population de Jérusalem était une de celles dont il croyait devoir le plus se défier. Il partit donc avec toute sa maison, se contentant de laisser derrière lui dix de ses femmes, comme pour montrer l'espoir qu'il avait, en Dieu, que son absence serait momentanée. Une foule de peuple le suivit dans les larmes jusqu'à ce même torrent de Cédron que notre Seigneur dut traverser avec ses disciples, la nuit qu'il fut livré; et là, on vit défiler un long et triste cortège d'hommes, de femmes et de petits enfants, ayant le vieux monarque à leur tête.

1562. Parmi ceux qui suivaient David était un étranger, Ittaï le Guittien, qui, à la tête de six cents hommes que David avait à sa solde, se fit remarquer par sa fidélité. Le roi ne voulait pas que ces braves gens partageassent sa mauvaise fortune; et comme il les engageait à retourner dans leurs foyers après avoir reçu sa bénédiction, Ittaï lui fit cette belle réponse: «L'Éternel est vivant, et le roi mon seigneur vit, qu'en quelque lieu où le roi mon seigneur sera, soit à la mort, soit à la vie, son serviteur y sera aussi.» Cet étranger, ce Philistin, avait donc appris à connaître Jéhovah, et il était plein d'affection pour son oint; c'était avec amour qu'il le servait, et son dévouement est une belle image de celui que nous devons à notre Seigneur et Sauveur Jésus, le Christ ou l'Oint de l'Éternel. — David, en insistant, aurait affligé ce loyal serviteur; aussi le garda-t-il près de lui.

1563. (24-29.) Les sacrificateurs Tsadok et Abiathar ne se montrèrent pas moins fidèles à leur roi. Aidés de nombreux Lévites, ils sortirent l'arche de l'alliance de Jérusalem et l'amenèrent à David. Mais celui-ci ne consentit point qu'on déplaçât l'arche sainte. «Reportez-la, dit-il; si j'ai trouvé grâce devant l'Éternel, il me ramènera, et je le verrai, lui et son sanctuaire. Que s'il me parle ainsi: je ne prends plus de plaisir en toi; me voici, qu'il fasse de moi ce qu'il lui plaira.» Admirable résignation, qui nous rappelle les paroles de notre Seigneur en Gethsémané, c'est-à-dire dans l'endroit même où devait être alors David: «Mon Père, non point ce que je veux, mais ce que tu veux.» Puis, quelle confiance en l'Éternel et quelle humilité! Mais la confiance de David n'était pas l'aveugle soumission des païens à la destinée. Elle ne l'empêchait pas d'adopter les mesures commandées par la sagesse; car nous le voyons inviter les sacrificateurs à le tenir au courant de tout ce qui se passerait dans la ville.

1564. (30.) David, prenant le chemin du désert de Jéricho, ce qui l'éloignait de la route que devait suivre Absçalom, «monta par la montée des Oliviers; et en montant il pleurait; il avait la tête couverte et il marchait nu-pieds. Tout son monde s'avançait comme lui, la tête couverte et répandant beaucoup de larmes.» Quel triste spectacle! et combien il est naturel d'y voir un type des souffrances de notre Sauveur, le fils de David! avec cette différence toutefois, que Jésus était seul à souffrir et qu'il souffrait, lui juste, pour des injustes; tandis que David souffrait ce que méritaient ses péchés, et qu'il avait, dans la douleur de ses nombreux amis, des consolations qui manquèrent, hélas! à notre bon Sauveur.

1565. (31-37.) Ce fut à ce moment que David apprit la trahison d'Ahitophel. Le coup fut terrible pour le malheureux monarque; mais il eut recours à la prière et il s'écria dans son angoisse: «O Éternel, change en folie la sagesse d'Ahitophel!» Et comme il était en prière au haut de la montagne, il vit arriver à lui un de ses anciens amis, Cusçaï, qui, en habits de deuil, venait mêler ses larmes à celles de son prince. «Hélas! lui dit David, séduit semble-t-il par une pensée subite, tu ne saurais m'être utile, vu ton âge avancé; mais retourne à la ville, feins d'embrasser le parti de mon fils, entends-toi avec les sacrificateurs pour m'avertir de tout, surveille particulièrement Ahitophel et tâche de neutraliser les mauvais effets de ses conseils.» Rien de mieux concerté qu'un tel plan. Mais c'était opposer trahison à trahison; et cet exemple nous montre combien un enfant de Dieu doit se tenir sur ses gardes dans les circonstances difficiles, afin de ne pas se laisser entraîner hors des sentiers de la justice et de la vérité. L'ordre que David avait donné aux sacrificateurs n'a pas le même caractère de tromperie, car ils pouvaient l'exécuter sans trahir Absçalom, auquel ils n'avaient rien promis; mais la position de Cusçaï allait être fort différente.

1566. (16: 1-4.) Comme David poursuivait son chemin, il vit approcher ce Tsiba auquel il avait confié l'intendance des biens de Méphibosceth [1510]. Tsiba, hypocrite et avare, profitait de l'occasion pour desservir son maître. Il apportait à David des vivres en abondance; et quand le roi lui eut demandé des nouvelles de Méphibosceth, Tsiba prétendit que le fils de Jonathan était resté à Jérusalem dans l'espoir de se faire un parti et de reconquérir la couronne. David eut le tort de croire trop aisément les récits de cet homme. Sans autre information, il lui donna tout ce qui appartenait à son maître; mais cet acte même prouve que David s'envisageait toujours comme possesseur de la royauté. Au plus fort de la détresse et de l'abjection, l'enfant de Dieu, s'appuyant sur sa très sainte foi, ne cesse pas de compter sur les privilèges de la grâce de Dieu.

1567. (5-14.) Arrivé à Bahurim, David eut une épreuve plus grande encore que les précédentes. Scimhi, homme violent, qui était en relations de parenté avec la famille de Saül, sortit de chez lui pour maudire David. Il lui jetait des pierres, ainsi qu'aux gens de sa suite, vociférant des injures et des calomnies contre le roi. Abisçaï, étonné de la patience de son oncle, lui offrit, en des termes dont la grossièreté ne doit pas nous surprendre, de se jeter sur ce mauvais sujet et de lui trancher la tête. Mais David le retint par ces mots, au premier abord fort étranges: «Qu'il me maudisse, car l'Éternel lui a dit: Maudis David!» C'est-à-dire que David voyait la main de Dieu dans toutes ses afflictions, même dans celles qui lui venaient par l'intermédiaire des méchants, et qu'il les subissait avec le sentiment de leur parfaite justice. Il s’en faut toutefois qu'il cessât de mettre en Dieu sa confiance, car il ajoute: «Peut-être que l'Éternel regardera mon affliction, et qu'il m'enverra du bien à la place des malédictions que celui-ci me dorme aujourd'hui.» Il poursuivit donc son chemin sans se venger des insultes dont le coupable Scimhi continuait à l'abreuver, jusqu'à ce qu'enfin il atteignit un lieu où il put prendre quelque repos avec sa troupe.


1568. Ce fut là qu'il écrivit un psaume tout empreint de la parfaite confiance qu'il avait en Dieu (3.) Lisez-le dans votre Bible, et remarquez particulièrement les paroles que voici: «Éternel, combien sont multipliés ceux qui me poursuivent !... Ils disent de moi: Il n'y a aucune délivrance pour lui auprès de Dieu. Mais toi, Éternel, tu m'es un bouclier; c'est toi qui es ma gloire et qui me fais lever la tête... Je me suis couché, je me suis endormi, je me suis réveillé, car l'Éternel me soutient. Je ne craindrai point les milliers du peuple qui se sont rangés contre moi. Lève-toi, Éternel! délivre-moi, mon Dieu!... La délivrance vient de l'Éternel. Sa bénédiction est sur son peuple!»


CXXIII. — Mort d'Absçalom.


1569. (15-20.) Pendant que David marchait vers le Jourdain, à l'est de Jérusalem, Absçalom arrivait dans cette ville par le sud, en compagnie du traître Ahitophel. Il y fut reçu par Cusçaï, qui le salua du cri de: Vive le roi! comme il en était convenu avec David. Absçalom, étonné de la défection d'un tel homme, ne put d'abord y croire, et il fallut, hélas! que Cusçaï, pour faire réussir le stratagème, abusât Absçalom par de longues protestations de fidélité. L'usurpateur s'y laissa prendre, tant la parole de Cusçaï avait de poids, et il voulut qu'Ahitophel concertât avec lui les mesures exigées par les circonstances.

1570. (21-23.) L'indigne Ahitophel débuta par donner un conseil odieux, auquel Cusçaï, naturellement, n'eut aucune part. Afin de mettre entre Absçalom et son père une barrière infranchissable, il lui fit prendre publiquement pour femmes les concubines que David avait laissées à Jérusalem. Par ce crime, qui fut jadis celui de Ruben [498] et que la loi de Dieu maudissait avec tant de force (Lév. 20: 11), Absçalom montrait de quoi il serait capable contre la personne même de David, si son malheureux père tombait entre ses mains; et tout cela se fit à l'instigation d'un individu dont les paroles, nous dit l'Écriture, étaient autant estimées que celles de Dieu! Il est toujours fort triste de voir un homme exercer sur ses semblables une influence irrésistible qui n'appartient qu'au Seigneur, cet homme fut-il un Cusçaï; mais, hélas! dans ce monde de péché, ce sont bien souvent les plus méchants, les Ahitophels, qui jouissent d'un crédit si redoutable.

1571. (17: 1-13.) Après ce conseil, Ahitophel en donna un autre qui, dans les intérêts d'Absçalom, était réellement très bien entendu. Il offrit de se mettre immédiatement à la poursuite de David, afin de l'atteindre avant qu'il eût le temps de réunir ses partisans. Cet avis plut à Absçalom et aux chefs du peuple; toutefois il voulut, très heureusement pour David, entendre aussi le vieux Cusçaï. «Prends garde à ce que tu vas faire, dit-il à l'usurpateur: ton père est un homme vaillant, Joab et Abisçaï sont redoutables comme une ourse à laquelle on a pris ses petits. Que sont les douze mille hommes d'Ahitophel contre de tels guerriers? Convoque Israël depuis Dan à Beerscébah. Quand le peuple entier sera réuni, nous fondrons sur David, et quelles que soient sa valeur et son expérience, il faudra bien qu'il cède au nombre et à la force.»

1572. (14-23.) Ces paroles semblèrent aux assistants dignes d'une sérieuse attention. L'on y vit la prudence d'un homme qui connaissait à fond David et ses généraux. Ce n'était d'ailleurs qu'un retard, et le triomphe de leur cause n'en paraissait que plus assuré. C'est pourquoi l'avis de Cusçaï fut adopté plutôt que celui d'Ahitophel, car Dieu le voulait ainsi. Les sacrificateurs, informés par Cusçaï des résultats du conseil, employèrent leurs fils à transmettre cette nouvelle au vieux roi, et celui-ci, profitant du répit qui lui était accordé, se hâta de mettre le Jourdain entre Absçalom et lui. Quant au misérable Ahitophel, trop clairvoyant pour ne pas comprendre où tendait la marche que Cusçaï avait fait accueillir; persuadé que David profiterait du temps qu'on lui donnait, pour réunir ses partisans et prendre d'habiles dispositions; convaincu qu'Absçalom, de plus en plus mal conseillé, succomberait dans la lutte, et qu'il aurait lui-même un terrible compte à rendre de sa trahison, Ahitophel courut chez lui, la douleur et le désespoir au fond de l'âme; il mit promptement ordre à ses affaires, et, comme plus tard le traître Judas, il s'étrangla.

1573. (24-26.) Ce fut à Mahanajim que David établit son quartier général; à Mahanajim, ville célèbre dans l'histoire du patriarche Jacob et où Isç-bosceth avait régné deux ans depuis Saül [1479]. Absçalom l'y poursuivit, ayant pour chef de son armée un nommé Hamasa, qui était aussi de la famille de David, puisque sa mère, Abigaïl, était sœur de Tséruia. D'où il suit que Nahas est un autre nom d'Isaï ou Jessé (1 Chron. 2: 13-16). Quant à Jéthra, ou Jéther (1 Chron. 2: 17), il est probable que c'est par une faute de copiste qu'il est désigné ici comme appartenant au peuple hébreu, à moins que l'historien sacré n'ait voulu dire par là qu'après son mariage avec Abigaïl, il fut admis dans la congrégation des fils d'Israël.

1574. (27-29.) Dès que David fut à Mahanajim, il vit arriver des secours de tout genre. Parmi les chefs qui lui vinrent en aide, l'Écriture signale un Hammonite, Sçobi, fils de Nahas; puis Makir de Lodébar, qui avait recueilli jadis le fils de Jonathan (9: 4); enfin, Barzillaï de Roguelim. Ils apportèrent à David abondance de provisions et ils lui amenèrent sans doute aussi quelques soldats. Alors il fit la revue de ses troupes, qu'il partagea en trois corps, sous le commandement expérimenté de Joab, d'Abisçaï et d'Ittaï, le fidèle Guittien (18: 1-5). David lui-même voulait marcher à la tête de son armée; mais ses amis jugeant qu'il ne devait pas exposer sa vie, il consentit à demeurer dans la ville avec quelques troupes de réserve. Cependant, il ne donna pas le signal du départ avant d'avoir expressément recommandé de respecter les jours d'Absçalom, et la proclamation qu'il fit publier à cet effet put être entendue de tout le monde.

1575. (6-9.) En ce jour eut lieu l'une des plus grandes batailles d'Israël. Les deux armées se rencontrèrent dans la forêt d'Ephraïm, par quoi il faut entendre la contrée qui avait été témoin de la victoire de Jephté sur les Ephraïmites [1264], ou la partie des montagnes d'Ephraïm qui sont vis-à-vis de Galaad. Les ennemis de David y perdirent vingt mille hommes. On se battit sur une grande étendue de pays, et il mourut moins de gens par l'épée que par divers accidents provenant de la nature du terrain. Absçalom, entre autres, fuyant sur son mulet, eut la tête embarrassée dans les branches d'un chêne, et il resta suspendu entre ciel et terre. On pense que les longs cheveux dont il était si fier, contribuèrent à sa perte, mais c'est une circonstance que les Écritures ne mentionnent nullement.

1576. (10-18.) Absçalom fut aperçu dans cette position par un homme qui se hâta de le rapporter à Joab. Celui-ci s'étonna que l'Israélite n'eût pas tué l'usurpateur; mais ce brave homme s'excusa sur la défense du roi et sur la répugnance qu'il eût éprouvée à couvrir sa désobéissance par un mensonge. Quant à Joab, violent, passionné, sanguinaire, de tels scrupules n'étaient pas de nature à l'arrêter. Sans égard pour les liens de parenté qui l'unissaient au fils de David, non plus que pour la nouvelle amertume dont il allait abreuver ce malheureux père, Joab se précipite du côté où il sait que se trouve son cousin; trois dards partent de sa main sûre, et Absçalom est percé au cœur. Des soldats s'emparent de son cadavre, ils le frappent de nouveaux coups et le jettent dans une fosse qu'ils remplissent d'un grand tas de pierres. Ainsi périt le fratricide, l'ambitieux Absçalom, qui, dans son orgueil et lorsqu'il n'avait point encore de fils pour perpétuer sa mémoire, s'était dressé lui-même une statue ou un mausolée splendide. Un tas de pierres déroba aux regards de tous celui qui avait été si vain de sa personne.

1577. (19-29.) La bataille gagnée, Ahimahatz se hâta de porter à David des nouvelles qu'il attendait avec une impatience facile à imaginer. Joab eut beau vouloir le retenir et expédier préférablement un nommé Cusci auquel il enseigna ce qu'il fallait dire, Ahimahatz avait pris sa course et il arriva le premier. Une sentinelle, en faction sur le haut de la porte de la ville, signala le messager qu'il voyait accourir et en qui il lui semblait reconnaître le fils de Tsadok. «Bonnes nouvelles! s'écria David. Mais voici encore un courrier, dit le factionnaire. Bonnes nouvelles! bonnes nouvelles! répéta David; ce n'est pas par des messagers se succédant de la sorte, mais par des bandes de fuyards, que s'annonce une déroute!» Pauvre David! Ahimahatz lui crie que tout va bien; il bénit l'Éternel de ce qu'il a dissipé la révolte; mais David a besoin qu'on le rassure sur un point où se concentre sa sollicitude: Absçalom, son fils Absçalom, est-il sain et sauf?

1578. (29-33.) Ahimahatz n'ose répondre. Au moment de son départ l'affaire était finie; il y avait beaucoup de mouvement autour de Joab; c'est tout ce qu'il peut dire. Sur quoi David, inquiet plus qu'il ne voulait l'exprimer, invita le fils de Tsadok à s'éloigner un instant. Il éprouvait sans doute le besoin de recueillir ses forces devant Dieu pour recevoir le second messager. Celui-ci, comme l'autre, se borne d'abord à célébrer la victoire qu'on venait de remporter sur les rebelles, par la volonté de l'Éternel. «Et Absçalom? dit le roi. — Que les ennemis du roi mon Seigneur et tous ceux qui se sont soulevés contre toi deviennent comme ce jeune homme!» Ainsi parla Cusci. C'étaient des paroles graves qui, tout en dévoilant à David la perte qu'il avait faite, dirigeaient ses pensées sur la souveraine justice de cet arrêt du Très-Haut. Son émotion n'en fut pas moins profonde. Pour que ses larmes pussent couler plus librement, il monta dans la chambre qui était au-dessus de la porte, et, en marchant, il disait: «Mon fils Absçalom! mon fils! mon fils Absçalom! Plût à Dieu que je fusse mort moi-même pour toi; ô Absçalom mon fils, mon cher fils!»

1579. Quel récit touchant, et comment ne pas admirer la tendresse de ce père, dont Absçalom n'avait pu s'aliéner le cœur, malgré tant de crimes! David aurait voulu être mort à la place de son misérable fils! Lui, il était âgé, il était réconcilié avec Dieu; mais Absçalom? dans la force de l'âge et en révolte ouverte contre l'Éternel! Oh! l'on comprend les larmes et le vœu de David, et l'on est obligé de reconnaître que cet homme, si longtemps éprouvé de Dieu, n'avait pas encore vu de plus grande affliction! Mais l’Éternel châtie l'enfant qu'il aime et David sut bien le reconnaître (Ps. 119: 67).


CXXIV. — David rentre à Jérusalem. Nouvelle révolte. Le dénombrement.


1580. (19: 1-7.) Les Israélites fidèles revenaient triomphants lorsqu'ils apprirent le désespoir où la triste fin d'Absçalom avait jeté David. Comme ils aimaient tendrement leur vieux roi, ils rentrèrent à petit bruit dans Mahanajim, et David couvrait son visage appelant toujours son pauvre fils. Joab, d'autant plus irrité qu'il avait plus de reproches à se faire, se rend auprès de son oncle, et, en des termes bien peu mesurés, il le réprimande de ce qu'il s'abandonnait ainsi à la douleur. Les observations de Joab n'étaient pas tout à fait dénuées de fondement; car il est des cas où il faut savoir se contenir, et David se donnait, sans le vouloir, toutes les apparences de l'ingratitude envers ces braves gens qui avaient versé leur sang pour lui. Mais quel beau témoignage son neveu ne lui rend-il pas dans la vivacité et l'injustice mêmes de ses reproches! «Tu aimes ceux qui te haïssent, lui dit-il, et tu hais ceux qui t'aiment!» Joab savait en effet combien David avait aimé Saül et dernièrement Absçalom; de quel support il avait constamment usé envers ses plus ardents adversaires, tels que Scimhi, et c'est en cela que David, comme Joseph, se montra véritablement un enfant de Dieu. Joab savait, d'un autre côté, que ce roi pieux n'avait jamais approuvé les violences de ses amis, et qu'il tolérait malgré lui leurs péchés; voilà pourquoi il osa lui dire: «Tu hais ceux qui t'aiment.» Quanta l’inculpation dont il le charge après cela, c'était une pure calomnie, David ne voulait pas la conservation d'Absçalom au prix de la vie de ses propres soldats; mais il pensait qu'on aurait pu épargner son fils sans dommage pour personne, et c'est ce qu'on n'avait pas voulu.

1581. (8-14.) David comprit enfin que sa conduite pouvait effectivement indisposer l'armée; il vit surtout qu'elle excitait chez Joab un ressentiment qui n'était pas sans danger. Il se résolut donc à se montrer au peuple. Mais, pendant ce temps, Israël, c'est-à-dire les troupes rebelles, s'étaient réfugiées dans leurs tentes, et les esprits s'agitaient en divers sens. Parmi ceux qui s'étaient joints à la révolte, on en voyait maintenant qui conseillaient la soumission, soit à cause des grands services que David avait rendus jadis au pays, soit surtout à cause de la mort d'Absçalom; il s'en fallait pourtant que tous fussent d'accord là-dessus. Quant au roi, il tenait surtout à s'assurer le retour de la tribu de Juda, sa propre tribu, où la révolution avait pris naissance. Il fit offrir à ses frères une entière amnistie, ou plutôt il les informa de la joie qu'il aurait à se voir rétabli par eux sur le trône. Bien plus, oubliant les torts de son neveu Hamasa, il chargea Tsadok et Abiathar de lui annoncer que l'intention secrète du roi était d'ôter à Joab le commandement de ses troupes, pour le lui confier à lui-même. Ces mesures conciliantes produisirent leur effet: la tribu royale fut unanime à rappeler le fils d'Isaï.

1582. (15-23.) Pendant que le roi s'approchait du Jourdain, ceux de Juda arrivaient à Guilgal pour le recevoir. Au milieu d'eux étaient Scimhi de Bahurim, accompagné de mille Benjamites, et Tsiba, l'intendant de Méphisbosceth, avec un grand train d'enfants et de domestiques. À cette occasion, la charité de David fut encore mise à une grande épreuve. D'abord, avec cet indigne Scimhi, qui, feignant un vif repentir, venait implorer sa grâce. Abisçaï ne comprenait pas qu'on pût seulement écouter un homme qui avait maudit l'oint de l'Éternel; mais David, plein de clémence, promit au Benjamite de ne point le mettre à mort.

1583. (24-30.) Quant à Tsiba, ce qui le conduisait auprès du roi, c'était moins la reconnaissance de la faveur qu'il lui avait accordée [1566] que l'inquiétude où le jetait l'odieux artifice par lequel il se l'était acquise. Il voyait arriver le moment des explications, et l'on conçoit qu'il le redoutât comme les pécheurs ont à redouter le jugement de Dieu. En effet, lorsque, quelques jours après, David entrait à Jérusalem, il aperçut le fils de Jonathan dans tout l'attirail d'un deuil long et profond; et le roi lui ayant exprimé sa surprise de ce qu'il ne l'avait pas suivi lors de sa fuite, Méphibosceth lui raconta l'odieuse tromperie dont ils avaient été dupes l’un et l'autre. «Il n'était pas vrai qu'il eût songé à profiter du malheur de David pour prétendre au trône, et son serviteur l'avait indignement calomnié; car à quel plus grand honneur pouvait-il prétendre qu'à celui qui lui avait été fait par le roi, en l'admettant dans sa famille?» Sa justification semblait complète; mais, soit que David ne crût Méphibosceth qu'à moitié, soit qu'il ne pensât pas devoir retirer entièrement la parole qu'il avait donnée à Tsiba, il prononça qu'il partagerait avec son ancien maître les terres de Saül, et Méphibosceth, dont la conscience n'était peut-être pas parfaitement nette, se montra plus que content de l'issue de cette affaire.

1584. (31-39.) Mais avant son entrevue avec Méphibosceth et avant même de passer le Jourdain, David avait dû se séparer d'un homme remarquable par son dévouement. C'était Barzillaï de Roguelim, vieillard octogénaire et fort riche, qui avait contribué plus que personne à l'entretien du roi durant son séjour à Mahanajim. David aurait voulu l'emmener à Jérusalem; mais le sage Barzillaï, plus occupé à mourir qu'à vivre, représenta qu'il était trop âgé pour se lancer au milieu des dangers et des plaisirs d'une cour. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était d'accompagner son ami quelque peu au-delà du fleuve, et de lui confier son fils Kimham, en qui David trouverait un fidèle serviteur. Quand donc le roi eut passé le Jourdain, il embrassa Barzillaï, il le bénit, et dit un dernier adieu à cet homme respectable, qu'il ne devait plus rencontrer ici-bas.

1585. (40-43.) Une douleur plus grande encore pour David naquit des animosités dont il fut l'occasion entre les hommes de Juda et les Israélites des autres tribus, jaloux de ce que le roi s'était particulièrement confié à sa tribu natale, bien qu'ils eussent été les premiers à parler de sa restauration sur le trône. Eh quoi! faut-il donc que les hommes se disputent toujours; même lorsqu'ils sont au fond pleinement d'accord! Ces malheureux enfants d'Abraham, qui auraient dû éprouver une égale joie du retour de la paix après une telle guerre, eux qui, par le fait, se montraient maintenant animés d'un même amour pour David, les voilà qui se divisent et que tout semble préparer une nouvelle levée de boucliers! Triste et trop fidèle image des dissentiments qui n'éclatent que trop souvent entre les chrétiens; c'est-à-dire entre des gens qui sont frères, qui ont trouvé la paix de Dieu et qu'anime une vraie affection pour Jésus-Christ, leur Sauveur et leur roi.

1586. (20: 1-6.) Ce fut à Guilgal déjà que ces fâcheuses tendances se manifestèrent. Un Benjamite, nommé Scébah, homme méchant et plein d'audace, vit aussitôt le parti qu'on en pouvait tirer. Il se mit à la tête des mécontents, et David rentra dans Jérusalem avec la seule tribu de Juda. Ce fut à ce moment qu'il rencontra Méphibosceth [1583], et l'on conçoit qu'il dût craindre d'irriter Tsiba, vu la difficulté des circonstances. La première chose qu'il fit ensuite, ce fut de reléguer dans une maison à part celles de ses femmes dont Absçalom s'était emparé; puis il donna ordre à Hamasa de parcourir la tribu de Juda et de lui amener dans trois jours tous les hommes propres à la guerre. Les trois jours écoulés, Hamasa ne revenait pas. David, justement inquiet, soit de ce retard, soit des progrès que faisait pendant ce temps la conspiration de Scébah, appela son autre neveu Abisçaï, et lui ordonna de se mettre sans plus de délai à la poursuite des rebelles.

1587. (7-13.) Abisçaï, investi du commandement à l'exclusion de Joab, qui, par suite de sa disgrâce, dut servir en sous-ordre, marcha donc à la rencontre de Scébah et de ses complices. Comme les deux frères arrivaient en Gabaon près d'un grand rocher, ils rencontrèrent Hamasa, Hamasa auquel Joab ne pardonnait pas de l'avoir supplanté dans la faveur du roi. Aussi, quand le terrible fils de Tséruia vit approcher son rival, il courut à lui comme s'il eût voulu l'embrasser, et sans égard pour l'étroite parenté qui les unissait, il plongea dans son cœur un fer homicide. Puis, passant froidement à côté du cadavre il continua sa marche vers l'ennemi. Ce fut un soldat qui, voyant que tout le monde s'arrêtait près du corps d'Hamasa, le poussa dans un champ et le couvrit d'un manteau. Par le rôle qu'il avait joué dans la révolte d'Absçalom, Hamasa méritait sans contredit le sort qui venait de l'atteindre; mais quel homme de sang que ce Joab, et quelle ne devra pas être finalement sa punition!

1588 (14-22.) Après le meurtre d'Hamasa, les soldats, toujours portés pour le plus hardi, avaient crié: «Que celui qui aime David, suive Joab!» Ce fut ainsi qu'ils rétablirent leur général dans son ancienne dignité. Avec un tel homme, la guerre se faisait rapidement. Il poursuivit Scébah l'épée dans les reins jusque près du Liban, où se trouvait la ville forte d'Abel de Bethmahaca. Scébah s'y tenait enfermé, Joab dut faire le siège de la place, et tout annonçait qu'elle tomberait bientôt entre ses mains. La ville cependant dut sa conservation à la prudence d'une femme. Étant parvenue à se faire entendre de Joab sans que Scébah le sût, elle convint avec lui que le siège serait levé si on livrait l'auteur de la sédition. De Joab, cette femme courut aux principaux du lieu; elle leur fit comprendre leur intérêt, et, je dirai, leur devoir. Ils s'emparèrent donc de Scébah, lui tranchèrent la tête et la jetèrent par-dessus les murs de la ville. Cela fait, Joab reprit le chemin de Jérusalem. Après le nouveau service qu'il venait de rendre à David, par la volonté même des troupes, on conçoit qu'il dut rester à la tête des armées d'Israël; mais ce fut sa dernière guerre.

1589. (23-26.) L'Éternel avait fait d'ailleurs une grande grâce à David en lui conservant ses principaux officiers pendant tant d'années, et en maintenant aussi les mêmes hommes à la tête de la sacrificature. Cette réflexion nous est suggérée par la comparaison des versets qui terminent ce chapitre avec ceux que nous lisons au bas du chapitre 8.

1590. (21-23.) Nous avons déjà fait mention des récits contenus dans ces trois chapitres, parce qu'ils se rattachent à des événements antérieurs [1515-1518; 1508, 1509]: ce sont des épisodes comme ceux qu'on lit à la fin du livre des Juges et que nous avons dû intercaler dans la narration principale. Il n'y a donc pas à y revenir, sauf en ce qui concerne les versets 1-7 du chapitre 23 que nous reprendrons plus tard.

1591. (24: 1-9.) Ceci me paraît également le récit épisodique d'un événement qui peut s'être passé après les premières victoires de David et avant qu'il introduisît l'Arche de l'alliance à Jérusalem. Toutefois, on le place d'ordinaire à l'époque où nous sommes parvenus. Satan, nous dit la Bible, Satan poussa David à faire le dénombrement d'Israël (1 Chron. 21: 1). Cette détermination fut entachée d'orgueil et d'avarice tout à la fois; d'orgueil, car David se complaisait dans le grand nombre de ses sujets, et aussi d'avarice, attendu que le dénombrement était toujours accompagné de la perception d'un impôt sur les personnes (Exode 30: 13). Joab déconseilla cette mesure impolitique, et David aurait dû l'écouter, car enfin les plus méchants peuvent, dans l'occasion, donner de bons avis. Le neveu du roi et d'autres officiers avec lui, mirent environ dix mois à ce recensement. Le résultat en fut que le peuple d'Israël s'était accru presque du double depuis son entrée au pays de Canaan (Nombres 26: 51). Les chiffres indiqués dans le livre des Chroniques diffèrent sensiblement de ceux que donne le second de Samuel; mais la différence vient sans doute de ce que l'auteur des Chroniques établit d'abord le nombre total de onze cent mille, d'où il extrait 470,000 pour Juda; resteraient 630,000 pour le reste du royaume, chiffres qui ne se trouvent plus si éloignés de ceux du second livre de Samuel. La différence qui subsiste, même après cela, vient peut-être de ce que l'un des deux aura ajouté par approximation le nombre des Lévites et des Benjamites, qui n'étaient pas entrés dans le recensement.

1592. (10-17.) L'opération fut à peine terminée que David en eut un profond repentir, soit qu'il s'aperçût du mécontentement qu'elle avait occasionné, soit qu'en sondant son cœur, il eût découvert les mauvais motifs qui la lui avaient inspirée. Après avoir demandé pardon à Dieu du fond de son âme, il se leva de bon matin pour recevoir de la bouche de Gad, le prophète, les sévères paroles que l'Éternel avait à lui dire. Gad lui.dénonça comme châtiment, ou sept ans de famine, ou trois mois d'asservissement aux ennemis de la patrie, ou trois jours de mortalité. L'Éternel voulait que, par ce choix, David consentît à la punition; et David, plein de confiance en la bonté de son Père céleste, s'écria: «Que nous tombions entre les mains de l'Éternel, car ses compassions sont en grand nombre, et que je ne tombe point entre les mains des hommes!» Il avait déjà beaucoup souffert, ce mortel aimé de Dieu, et il avait éprouvé que, de tous les maux, ceux qui nous viennent directement d'en haut sont les plus supportables.

1593. Ce fut donc une épidémie que Dieu envoya sur Israël, épidémie qui, en trois jours, frappa 70,000 hommes, savoir la vingtième partie de la population, à supposer que le mot homme ne tienne pas lieu de celui d'individus, car autrement ce ne serait plus que un sur quatre-vingts. Mais comment tout ce peuple est-il ainsi châtié pour le péché de David? Hélas! comme une famille l'est si souvent pour les péchés d'un père, et comme un peuple porte la peine des fautes de ceux qui le gouvernent. Rappelons-nous d'ailleurs que tout homme est pécheur, et que, par cette raison, il est ordonné à tous de mourir une fois.

1594. Ce n'est jamais par plaisir que l'Éternel afflige les fils des hommes. Lorsque l'ange qui, de sa part, promenait sa redoutable verge dans le pays, eut étendu sa main sur Jérusalem, il l'arrêta en disant: «C'est assez!» À ce même instant, David, dont Dieu avait ouvert les yeux afin qu'il vît l'ange destructeur, présentait à l'Éternel la plus touchante prière. Dans le choix qu'il lui avait été permis de faire, il avait opté pour un châtiment qui, fort différent en cela de la famine ou de la guerre, pouvait ne tomber que sur lui et les siens. Or, maintenant qu'il voit les résultats, il s'écrie: «O Éternel! qu'ont fait ces brebis? C'est moi, le pasteur, qui ai péché. Frappe-nous, moi et ma maison, mais épargne ce peuple!»

1595. (18-25.) David fut mieux qu'exaucé. L'Ange s'était arrêté dans un endroit célèbre, au lieu même où huit cents ans auparavant, le bûcher destiné à recevoir Isaac avait été construit par Abraham. Ce terrain appartenait à un Jébusien nommé Arauna ou Ornan (1 Chron. 21: 20). Il avait vu l'Ange, lui aussi, et il en avait été terrifié. David, instruit de la volonté de Dieu par le ministère de Gad le prophète, se rendit auprès d'Arauna, lui acheta son aire, et offrit aussitôt des holocaustes à l'Éternel. Ce fut en ce même lieu, circonstance bien remarquable, que peu d'années après cela, Salomon bâtit un temple à l'Éternel.

1596. (24.) Arauna refusa d'abord l'argent que le roi lui offrait, mais David exigea qu'il le prît. Sur quoi il prononça une belle parole, dont nous devons nous souvenir dans tout le service que nous rendons à Dieu. Ne lui consacrer, dans la personne des pauvres ou pour l'avancement de son règne, qu'une partie de notre superflu; renvoyer à nous convertir, que, devenus vieux, le monde n'ait plus d'attrait pour nous; ne nous occuper de notre âme qu'à temps perdu, en quelque sorte; ne remplir enfin de nos devoirs que les plus faciles, ce n'est pas suivre l'exemple de David, qui ne voulait pas «offrir à l'Éternel des holocaustes qui ne lui coûtassent rien.» Il donna donc 50 sicles pour l'aire et les bœufs dont il fit le sacrifice, et de plus, 600 sicles pour le terrain, ou le mont tout entier qui appartenait à Ornan (1 Chron. 21: 25). Cette montagne c'est Morija, ramification du mont de Sion; Morija, type de la vraie cité de Dieu, de l'Église que Jésus, notre David, s'est acquise au prix infini de ses souffrances et de son sang; Morija, sainte montagne, que tant de fidèles ont gravie de siècle en siècle pour rendre leur culte à l'Éternel, et que fit retentir si souvent le chant magnifique des Psaumes de David.


CXXV. — Couronnement de Salomon. Mort de David.


1597. (1 Rois 1: 1-10.) Ici se termine l'histoire de David et de son long règne. Usé par les fatigues plus encore que par l'âge, cet illustre serviteur de Dieu terminait une vieillesse prématurée, sans pouvoir goûter au dehors un instant de tranquillité. Ceux qui l'entouraient faisaient leur possible afin d'adoucir ses derniers moments. Ils lui avaient donné pour soigner ses vieux jours une jeune personne nommée Abisag, qui dormait dans son sein comme un enfant dans le sein de son vieux père, et qui d'ailleurs lui rendait les services qu'exigeaient ses infirmités. Mais c'était en vain que David cherchait à recueillir sa vie après une carrière si agitée; il eut une nouvelle épreuve dans sa famille, et il dut déployer toute l'énergie de son âme pour mettre fin à une entreprise qui aurait pu sans cela bouleverser le royaume.

1598. Par la mort successive d'Amnon et d'Absçalom, Adonija, le quatrième des fils que David avait eus à Hébron (2 Sam. 3: 4), se trouvait, par sa naissance, fort rapproché du trône et il oublia qu'il appartenait à Dieu seul de le donner. Joab, le trop célèbre neveu et général de David, se rangea du parti d'Adonija, ainsi que le sacrificateur Abiathar, hommes à qui la piété du jeune Salomon ne pouvait plaire et qui ne songeaient qu'à contenter leur ambition. Aidé de ces deux personnages influents, Adonija convia ses frères et tous les hommes de Juda à un grand festin, après lequel il comptait se faire couronner; mais il se garda bien d'inviter Salomon, non plus que les individus qu'il savait fidèles à David, savoir entre autres Tsadok, Bénaja, Nathan et même Scimhi, par quelque autre raison sans doute.

1599. (1 1-37.) Pendant que tout se préparait ainsi pour assurer le succès du complot à l'insu du vieux roi retenu dans son palais par ses infirmités, Bathscébah, informée et dirigée par Nathan, se rendit auprès de David et lui rapporta ce qui se passait, lui rappelant d'ailleurs l'intention qu'il avait constamment manifestée, conformément à la volonté du Seigneur, de transmettre la couronne à Salomon leur fils. Là-dessus, Nathan lui-même se présenta devant le roi; ce Nathan qui, environ vingt-sept ans auparavant, avait prophétisé le règne de Salomon [1505,1506] et s'était montré le meilleur ami de David dans une circonstance bien difficile [1531]. Il confirma de point en point les paroles de Bathscébah, et le vieux roi, avec une présence d'esprit et une vigueur de résolution qui ne pouvaient lui venir que de Dieu ordonna que Salomon fût immédiatement proclamé son successeur.

1600. (38-53.) C'est ce qui se fit en grande pompe. Tsadok oignit Salomon de l'huile sainte du tabernacle, et le peuple salua par ses acclamations le nouveau roi que l'Éternel lui donnait. De proche en proche, les cris de joie se répandirent dans le pays, en sorte qu'ils ne tardèrent pas à parvenir aux oreilles d'Adonija et de ses complices. On se figure aisément le trouble qui s'empara d'eux au milieu même de leur fête. Chacun s’enfuit de son côté et Adonija, qui ne doutait pas que le dernier supplice ne fût le prix de sa révolte, se précipita du côté du sanctuaire, et, s'accrochant aux cornes de l'autel comme une victime dévouée à la mort, il fit supplier Salomon de l'épargner. Adonija ne se recommanda pas en vain à la clémence de son frère; il eut la vie sauve, mais sous la condition fort naturelle que sa conduite future le mît à l'abri de tout soupçon.

1601. (1 Chron. 28: 1-10.) À cette même époque, la ville de Jérusalem fut le théâtre d'une scène magnifique. David y convoqua tous les chefs du peuple et les principaux de sa cour, afin qu'ils reconnussent Salomon. Mais il avait une pensée plus haute. Quand l'assemblée fut réunie, il fit effort pour se tenir debout, et, visiblement soutenu par le Seigneur, il prononça un discours qui paraît nous avoir été conservé dans toute son étendue. Après avoir rappelé le désir qu'il avait eu de bâtir un temple à l'Éternel et la raison qui s'y était opposée, il déclara que l'Éternel avait confié cette œuvre sainte à Salomon; puis il fit entendre à son fils et à toute la convocation d'Israël des exhortations, où il semble emprunter les termes mêmes dont Moïse et Josué s'étaient servis en pareille circonstance (Josué 24: 14-24.)

1602. (11-21.) Alors, David remit solennellement à Salomon le plan de l'édifice à construire, tel que l'Éternel le lui avait révélé, et il l'exhorta de tout son cœur à entreprendre avec courage cet important travail; car, dit-il, «ce palais n'est pas destiné à un homme, mais à l'Éternel Dieu» (29: 1). Ces derniers mots, David les adressa à toute l'assemblée, en lui présentant et en lui recommandant le jeune roi. Puis il indiqua les sommes qu'il destinait à la construction du temple, et il invita le peuple à suivre son exemple, en favorisant par des dons volontaires ce pieux et noble dessein (2-9), L'appel du vieux monarque, ou plutôt du prophète de l'Éternel, rencontra des cœurs pleins d'empressement, et David fut dans une fort grande joie en voyant les valeurs considérables pour lesquelles chacun souscrivait de son bon gré.

1603. Aussi prononça-t-il à ce moment une prière magnifique, où, bénissant l'Éternel du zèle qu'il leur donnait à tous pour sa gloire, il le supplie de maintenir son peuple dans cette disposition et d'incliner constamment les cœurs vers lui; prière que Dieu exauce encore aujourd'hui, lorsqu'il répand sur ses enfants l'esprit de libéralité chrétienne qui les porte à pourvoir, volontairement et avec joie, aux besoins temporels du royaume de Dieu. David termine en invoquant la bénédiction de l'Éternel sur Salomon; il invite l'assemblée à louer le Seigneur; puis, tous se prosternèrent devant l'Éternel et devant le roi, type du Messie (10-20).

1604. (21, 22.) Cette solennité religieuse fut suivie de fêtes auxquelles un peuple immense se joignit, comme on le voit par le nombre considérable des victimes qui furent offertes en sacrifices de prospérité, et dont la plus grande partie devait être consommée par les assistants [864]. À la demande du peuple, Salomon reçut une seconde consécration; Tsadok aussi fut oint pour exercer la souveraine sacrificature, charge qui, de la sorte, rentra dans la branche d'Éléazar, fils d'Aaron. On voit d'ailleurs aux chapitres 22 et suivants de ce livre des Chroniques, les mesures que David avait prises pour assurer et régulariser le service du temple de l'Éternel. Toutes choses étant ainsi mises en ordre, il ne restait plus à David que de mourir en paix.

1605. (1 Rois 2: 1-11.) En effet, peu de jours après cette grande convocation du peuple d'Israël, l'an 1015 avant l'ère chrétienne, David prit enfin le chemin par lequel tous doivent passer depuis que tous sont pécheurs: il mourut. Mais auparavant il appela son fils Salomon pour l'exhorter encore à marcher dans les voies du Seigneur, selon les prescriptions de la loi de Moïse. Puis, il lui donna quelques directions confidentielles au sujet de deux hommes que leurs crimes et leur méchanceté nous ont rendus justement odieux, Joab et Scimhi, tout en lui recommandant les fils de ce Barzillaï auquel il avait de si grandes obligations [1574, 1584]. Quant à Joab, sans rien prescrire de positif, David le signale au jeune roi comme un individu que ses forfaits rendaient digne du dernier supplice. Au sujet de Scimhi, il dit que s'il l'avait laissé vivre, ce n'était pas qu'il le tînt pour innocent. David lui avait personnellement pardonné, mais il ne pouvait méconnaître le crime dont le Benjamite s'était souillé en maudissant l'Oint de l'Éternel. Il lui était bien permis de concevoir quelques doutes sur le repentir de cet homme méchant, et de le croire toujours hostile à l'Éternel et à son Christ. C'est pourquoi, tout en se remettant à la sagesse de Salomon, David lui prédit qu'il se verrait dans l'obligation de frapper le coupable Scimhi. Il lui en donne, si l'on veut, l'ordre indirect; mais, à cet instant suprême et dans la bouche de David, un tel ordre ne peut être envisagé que comme l'expression de la volonté suprême du Seigneur juste Juge. — Ainsi s'endormit David, prophétisant les jugements de l'Éternel, et il fut enterré dans le quartier de Jérusalem qu'on avait appelé de son nom.

1606. C'est en parlant du sépulcre de ce grand roi que l'apôtre Pierre donne à David un titre sous lequel on n'a guère coutume de le désigner, mais qui lui convient sûrement, puisque le Saint-Esprit le lui attribue: je veux dire celui de Patriarche (Actes 2: 29). Ce mot signifie proprement Prince des pères. Il ne se trouve que dans le Nouveau Testament, pour désigner Abraham (Hébr. 7: 4) et les fils de Jacob (Act. 7: 8, 9). David est donc mis sur la même ligne que le père de tout Israël et que les chefs des douze tribus. La raison m'en paraît être que de David est descendu Celui qui avait été promis à Abraham, Celui pour l'amour duquel les fils de Jacob devinrent la souche de la nation élue; car nul n'ignore que, dans le Nouveau Testament, notre Seigneur Jésus-Christ est appelé, d'une façon particulière, Le Fils De David.

1607. Sans reproduire tout ce que nous avons dit occasionnellement sur le caractère du roi-prophète, sur ses chutes et sur son relèvement, sur ses épreuves multipliées et sur sa patience, sur sa charité, noble fruit de sa foi, en un mot, sur toute sa vie d'homme selon le cœur de Dieu; sans revenir non plus sur ce qu'il a fait et dit en qualité de type du Messie et comme prédicateur anticipé de l'Évangile, nous ferons observer que David eut la sainte gloire d'accomplir l'œuvre commencée par Josué. Ce fut lui qui acheva de dompter les tribus cananéennes auxquelles le pays avait appartenu jadis. En sorte que l'établissement du peuple d'Israël ne date réellement que de cette époque, circonstance par laquelle David est, encore une fois, le type de Jésus-Christ, type qui se continua et se compléta dans la personne de Salomon ou plutôt dans les œuvres de son règne, comme nous avons vu Moïse complété par Josué [1181].


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