PREMIER LIVRE DE SAMUEL.
1: 1-3
§ 240. À l'époque de la domination des Hammonites Chap. (§ 200), vivait dans les montagnes d'Ephraïm un homme nommé Elkana. Il était de la tribu de Lévi et descendait de ce patriarche par Kehath (1 Chron. VI, 23). À l'exemple de Jacob, il avait deux femmes; mais, autre ressemblance, il s'en fallait de beaucoup qu'il eût trouvé le bonheur dans cette double union. Elkana, cependant, était un homme pieux. Bien que le culte de Jéhovah fût généralement abandonné. Il ne manquait pas de se joindre au petit nombre de fidèles qui, chaque année, montait à Scilo, dans la tribu d'Ephraïm, pour offrir des sacrifices à l'Éternel. Le souverain sacrificateur d'alors se nommait Héli; il était issu d'Ithamar (I, § 658), et il avait pour coadjuteurs ses deux fils Hophni et Phinées.1:
4-5
§ 241. Après avoir offert ses sacrifices,
Elkana célébrait, selon la loi, une fête de famille; et, lorsqu'il
distribuait à chacun sa portion, il avait toujours soin de
gratifier Anne d'une double part (I, § 566).
Il voulait ainsi lui témoigner devant tous l'affection qu'il lui
portait, quoiqu'elle ne lui eût point donné d'enfants. Cette
privation était plus pénible pour une fille d'Abraham que pour
toute autre. Plus il y avait de foi dans son cœur, plus elle
devait y être sensible, parce qu'elle pouvait se croire déshéritée
de la promesse que Dieu avait faite aux patriarches, en leur
annonçant une nombreuse postérité. Or, Elkana, homme bienveillant
autant que pieux, tenait à dédommager sa bien-aimée femme de
l'épreuve qu'il avait plu à Dieu de lui infliger. La charité lui
faisait comprendre ce qu'on doit aux personnes moins bien
partagées que d'autres sous le rapport du rang, de la fortune, de
la figure, de l'esprit et en général des avantages extérieurs. Il
sentait que ce qui est souvent plus douloureux que l'infériorité,
ce sont les reproches et les mépris.
1:
6-8
§ 242. C'est aussi là ce qui aggravait la
souffrance d'Anne. Tandis que son excellent mari lui témoignait
tant d'égards et de sympathie, Pennina, au contraire, jalouse
comme le sont fréquemment les personnes qui auraient le moins
sujet de l'être, déchirait son cœur par de durs propos. Il est à
présumer qu'elles vivaient habituellement en des appartements ou
en des tentes séparées, selon les usages de la polygamie; mais à
Scilo, lors des fêtes solennelles, toute la famille se trouvait
réunie, et toujours on y voyait les mêmes scènes se renouveler.
Une fois entre autres, les choses en vinrent au point qu'Anne,
suffoquée de chagrin et incapable de prendre son repas, se mit à
fondre en larmes. «Anne,» lui dit Elkana, «Anne, pourquoi
pleures-tu et pourquoi ne manges-tu point, et pourquoi ton cœur
est-il triste? Ne te vaux-je pas mieux que dix fils?» Quelle
tendresse et quelle compassion dans les paroles de cet homme, et
combien ne devaient-elles pas consoler sa pauvre femme!
1:
9-11
§ 243. Celle-ci cependant avait besoin de
consolations plus excellentes encore. Il lui fallait celles qui ne
se trouvent qu'auprès du Seigneur. C'est pourquoi elle se leva de
table et courut au tabernacle, devant lequel était assisse
souverain Sacrificateur. Là, elle se mit en prières, et, au milieu
de beaucoup de larmes, elle parlait à Dieu, mais sans faire ouïr
sa voix. Elle adressait ses supplications à Jéhovah Sebaoth, à
l'Éternel des armées, nom qui est donné ici pour la première fois
au Créateur des cieux et de la terre (I, § 45).
Elle sollicitait de sa puissance et de sa bonté le don d'un fils,
qu'elle promettait de lui consacrer par une espèce de nazaréat. Ce
n'était donc pas pour sa satisfaction personnelle que cette pieuse
femme nourrissait le désir de devenir mère. Je ne dis point que ce
motif n'entrât pour rien dans l'ardeur de ses instances, mais il y
avait en son âme, par l'action secrète de l'Esprit, le
pressentiment de la sainte carrière où marcherait le fils que sa
foi demandait.
1:
12-18
§ 244. On ne peut lire après cela sans quelque
indignation ce qui nous est raconté du souverain Sacrificateur. Ce
vieillard, dont toutes les paroles auraient dû être empreintes de
charité et de prudence, prononce sur Anne, avec une grande
légèreté, un jugement aussi dur que téméraire. Il paraît qu'alors
comme aujourd'hui les Israélites avaient la coutume de faire leurs
prières à haute voix. Héli ne comprend rien à cette femme qui
remue les lèvres dans un profond silence; il la croit ivre et il
l'invite à aller cuver son vin! Ainsi de toutes parts cette pauvre
Anne semblait destinée à être abreuvée d'humiliations! Cependant,
Héli n’était pas un homme méchant, car lorsque la femme d'Elkana
lui eut dit sa peine et lui eut expliqué ce qu'il avait trouvé
d'étrange en elle, il la bénit et pria Dieu de lui accorder sa
demande.
§ 245. J'engage mes lecteurs à remarquer de quel ton doux et ferme tout à la fois Anne sut répondre au souverain Sacrificateur. Il lui importait de se justifier, pour l'honneur même du Dieu qu'elle servait, et en se justifiant elle fournissait à Héli l'occasion de réparer ses torts; aussi ne le laissa-t-elle point dans son erreur. Mais voyez comme elle le redresse sans orgueil et sans colère. Souvent, quand on nous accuse injustement, nous nous croyons autorisés à nous défendre avec une certaine aigreur; ou bien nous dédaignons de plaider notre cause. Quelquefois il est permis de se taire; mais jamais il ne l'est de s'emporter; et quoi qu'il en soit, on ne saurait trop prendre garde à l'orgueil. Rappelez-vous sur ce point le triste exemple de Job (§§ 33, 34).
§ 246. Je veux aussi rendre mes lecteurs attentifs à la manière dont Anne priait: «J'ai répandu mon cœur devant l'Éternel,» dit-elle au sacrificateur. Voilà le vrai caractère de l'oraison: Ouvrir son cœur à Dieu, lui raconter ses peines, lui exposer ses besoins, lui exprimer ses désirs dans toute la naïveté d'un enfant qui parle à son père. Aussi longtemps qu'on n'a pas répandu de la sorte son âme devant Dieu, l'on ne sait pas ce que c'est que prier. On peut avoir lu et récité des formules, mais en réalité l'on n'a jamais fait de prières. Rappelez-vous celles d'Abraham (I, §§ 289, 290, 329), de Jacob (I, § 475), de Moïse (I, § 655); vous verrez qu'elles avaient toutes un même trait: c'était le cœur qui priait, l'âme qui s'entretenait avec Dieu dans de libres et respectueux épanchements.
1:
19-25
§ 247. Quand elle eut invoqué l'Éternel et reçu
la bénédiction du Sacrificateur, Anne se retira remplie d'une
sainte joie. Avant même que la vraie prière soit exaucée, il y a
déjà un premier exaucement dans la paix que Dieu donne à ceux qui
l'invoquent du fond de 19.25 leur cœur. Puis, lorsque l'objet de
leurs demandes est vraiment bon pour leur âme et propre à avancer
la gloire de l'Éternel, il ne manque jamais de le leur accorder.
C'est ce qui arriva dans cette occasion et par les raisons mêmes
que je viens de dire. Anne eut bientôt un fils, et elle l'appela
Samuel. Ce mot signifie Exaucé de Dieu; c'est au fond le même
qu'Ismaël (I, § 307),
quand on prend essentiellement garde aux consonnes, comme il faut
le faire pour les mots hébreux. Lorsque l'enfant fut sevré, ce qui
n'arrivait pas de très bonne heure (I, § 348),
Anne, du consentement de son respectable mari, se rendit à Scilo
pour le consacrer au service du tabernacle.
1:
26-28
§ 248. Après s'être fait reconnaître d’Héli,
elle lui rappela la prière qu'elle avait présentée à l'Éternel en
sa présence; les yeux rayonnants de bonheur, elle lui montra le
fils qui lui avait été accordé, et, avec un accent qui ne dénotait
aucun regret, elle le remit au sacrificateur pour qu'il l'élevât
près de lui, et qu'il le formât dès son enfance à la célébration
du culte de Jéhovah. Comme lévite, Samuel pouvait être appelé au
service des autels dès l'âge de vingt-cinq ans (I, § 929),
mais ses parents entendaient qu'il s'y dévouât tout de suite et
pour toujours. C'était certainement un grand sacrifice de leur
part, et il dut leur en coûter beaucoup de se séparer de ce cher
enfant; mais, quand on aime Dieu, l'on ne trouve point trop durs
les actes de dévouement auxquels il daigne nous inviter. Y a-t-il
un plus grand bonheur que de faire quelque chose pour celui qu'on
aime? Si d'ailleurs Elkana et sa femme aimaient Dieu par dessus
tout, ils avaient pour leur enfant, non une passion idolâtre, mais
une sainte affection. Aussi, par 26-28 l’intérêt qu'ils portaient
à son propre bonheur, ils se sentirent heureux de le remettre à
l'Éternel.
2:
1-10
§ 249. Dans les saints transports de sa joie,
Anne se mit à répandre de nouveau son cœur devant Dieu, mais cette
fois ce fut à haute voix et dans un très beau cantique. Elle
remercie l'Éternel de la grâce dont il l'a honorée, et elle
exprime ce sentiment par une image tirée de l'habitude qu'a le
bélier d'élever noblement ses cornes quand il marche en tête du
troupeau. À cette occasion, Anne célèbre la puissance de Dieu et
les merveilleuses dispensations de sa providence, par lesquelles
souvent il élève les petits qui se confient en lui et abaisse les
grands qui s'enorgueillissent de leurs forces. C'est lui
d'ailleurs qui fait mourir et qui fait vivre, qui rend la vie aux
morts et qui garde les pas de ses bien-aimés. Quant à ceux qui lui
déclarent la guerre, l'Éternel les foudroiera dans son juste
courroux. Il y a là des allusions évidentes aux circonstances
particulières de la mère de Samuel, mais on doit y voir quelque
chose de plus encore. Pour vous en convaincre, remarquez les
paroles qui terminent son cantique. Elles annoncent un roi, un
oint, c'est-à-dire un christ, auquel l'Éternel donnera force et
dont il élèvera la corne, ou autrement qu'il glorifiera. Or, soit
qu'on doive entendre cela de David qui n'était pas encore né, ou
de Jésus, le véritable roi et christ, le fils de David par
excellence, il n'est pas douteux qu'il n'y ait là une prophétie.
C'est donc par le Saint-Esprit que la mère de Samuel a parlé, et
l'on doit voir dans tout son cantique une belle allusion au règne
du Messie, bien plus encore qu'à ses propres circonstances.
2:
11
§ 250. Après que les parents de Samuel l'eurent
ainsi consacré au service du Seigneur, ils retournèrent à
Ramathajim-Tsophim, lieu de leur habitation. Quant à l'enfant, dès
qu'il put se rendre utile dans le Tabernacle, on eut soin d'y
employer ses jeunes années. C'était à cela que son père et sa mère
l'avaient destiné, et la suite nous prouvera que le Seigneur
accepta certainement la précieuse offrande qu'ils lui avaient
faite.
CII. Vocation de Samuel.
2:
12-17
§ 251. Malgré ses ombres, le tableau que nous
présente la famille du lévite Elkana ne laisse pas d'offrir un
très vif intérêt. On ne saurait malheureusement en dire autant du
souverain Sacrificateur Héli. Ses fils étaient de forts méchants
hommes. Ils savaient bien qu'il y a un Dieu, les démons eux-mêmes
ne l'ignorent pas; mais Hophni et Phinées n'entretenaient pas avec
le Seigneur ces intimes relations de la foi que l'Écriture appelle
la connaissance de l'Éternel. Ils ignoraient ce qu'il est, ils ne
croyaient pas en sa Parole, ils ne lui rendaient un culte qu'à
raison des profits que ce culte leur procurait; aussi se
permettaient-ils dans l'exercice de leurs fonctions des abus
effroyables; et le peuple qui voyait tout cela, le peuple qui ne
manque jamais d'identifier la religion avec ses ministres et qui
saisit avidement tous les prétextes pour s'en tenir aux formes de
la piété, le peuple, dis-je, ne manifestait plus aucun zèle pour
les autels du Seigneur et il s'éloignait tous les jours davantage
de son tabernacle. Rien n'égale le mal que font d'indignes
ministres de la religion; c'est pourquoi il est dit que le péché
des fils d'Héli était très-grand devant l'Éternel.
2:
18-21
§ 252, Il résultait de là que le jeune Samuel
avait de fort mauvais exemples sous les yeux, et si le Seigneur,
qui lui destinait un important ministère, n'eût gardé son âme, il
n'aurait pas manqué de se voir entraîné dans le chemin de
l'incrédulité. Mais ses parents venaient le voir chaque année; ils
lui apportaient une robe nouvelle, car ils n'avaient pas entendu
se décharger tout à fait de son entretien; ils l'exhortaient au
bien sans nul doute; et puis Héli, homme pieux malgré ses
faiblesses, était le protecteur du jeune enfant. Aussi le
voyait-on croître et se développer en sagesse, non moins qu'en
stature, devant la face du Seigneur. Quant à ses parents, Dieu, en
leur accordant trois fils et deux filles, se plut à les dédommager
du sacrifice qu'ils lui avaient fait. Je n'en conclurai pas que
nous devions, nous aussi, donner à Dieu afin qu'il nous le rende
au centuple, comme il le peut sans aucun doute; car si nous
agissions par un tel motif, ce ne serait plus un sacrifice que
nous nous imposerions, ce serait une véritable spéculation,
sordide calcul d'intérêt. Lorsque Anne et son mari abandonnèrent
au Seigneur leur enfant, ils ne pensaient point assurément qu'il
les en récompenserait avec tant de largesse.
2:
22-25
§ 253. L'impiété des fils d’Héli ne se montrait
pas seulement par leur mépris des saintes ordonnances du Seigneur;
ils la manifestaient encore par des mœurs abominables. Ils
souffraient que les abords du lieu saint fussent convertis en lieu
de débauche, à l'imitation des bocages où les idolâtres
célébraient leur culte infâme, et ils s'abandonnaient les premiers
à toutes sortes d'abominations. Comment les choses en
avaient-elles pu venir là sous les yeux même d'Héli? Ne fallait-il
pas que le vieillard eût été d'une singulière indulgence pour ses
enfants? Il ne les approuvait pas sans doute; mais il ne les avait
pas châtiés. Bien plus, il aurait, semble-t-il, continué de les
laisser faire sans mot dire, si leur conduite n'avait fini par
exciter une certaine exaspération parmi le peuple, tout perverti
qu'il était.
2:
26
§ 254. Cependant Samuel persévérait dans la
bonne voie. L'âge de la première enfance avait passé pour lui, et
telles étaient les grâces que le Seigneur répandait sur sa
personne, que, nouveau Joseph, il était agréable à l'Éternel et
aux hommes. À l'Éternel d'abord; c'est l'essentiel et le plus sûr;
puis à ceux des hommes qui étaient capables d'apprécier la foi et
la piété du jeune garçon. Il n'est guère probable, par exemple,
que les malheureux fils d'Héli le regardassent de fort bon œil;
toutefois les pécheurs les plus endurcis sont souvent comme forcés
d'approuver la conduite des enfants de Dieu.
2:
27-36
§ 255. Les choses en étaient là lorsque le
Seigneur, fatigué des désordres qui souillaient son sanctuaire,
fit annoncer à Héli les châtiments dont il allait le frapper lui
et sa maison. Ce ne fut pas par l'Urim et le Thummim (I, § 816);
l'oracle qui concernait le Sacrificateur coupable ne devait point
passer par lui; ce fut par un homme que Dieu anima de l'Esprit de
prophétie pour cette seule occasion peut-être, aussi l'Écriture ne
nous a-t-elle pas transmis son nom. Après avoir rappelé à Héli la
faveur que l'Éternel avait faite à Aaron et aux siens en leur
confiant la sainte sacrificature, il lui reprocha sévèrement les
désordres qu'il avait laissés régner dans le tabernacle, lui
annonçant que ses descendants se verraient enlever les honneurs du
sacerdoce et tomberaient dans la dernière abjection. Et pour
commencer, il lui fut dit que ses deux fils mourraient en un même
jour. Cependant un Sacrificateur fidèle devait hériter de la place
vacante et faire le service du sanctuaire en présence de l'oint de
l'Éternel. Sous ce dernier titre il faut entendre apparemment le
roi David, type du vrai roi et du vrai Christ, ou Oint,
c'est-à-dire de notre Seigneur Jésus.
§ 256. «Pourquoi as-tu honoré tes fils plus que moi?» Ce reproche que le prophète adresse à Héli de la part du Seigneur, nous atteste que ce descendant d'Aaron n'avait pas rempli ses devoirs de père, non plus que ceux de chef des sacrificateurs. En cette double qualité, la loi de Moïse l'investissait d'une autorité suffisante pour qu'il fût sans excuse (Lévit. XX, 10; I, §. 1023). Mais il agit de la même manière que Ruben (l, § 512), et nous avons ici un second exemple du mal dont on peut se rendre coupable par faiblesse. Au reste, la faiblesse est en elle-même plus criminelle qu'on ne le pense. Si Ruben se montra faible, c'est qu'au fond il n'aimait pas Joseph, et si Héli reprit ses fils trop mollement, s'il ne les fit pas châtier, c'est qu'il n'aimait pas Dieu comme il doit être aimé. Combien ne voit-on pas de parents gâter leurs enfants, parce qu'ils les adorent plus que Dieu! combien de magistrats qui tolèrent le désordre, parce qu'ils craignent le peuple plus que Dieu! combien de gens qui se laissent entraîner au mal, parce qu'ils recherchent la faveur des hommes plus que celle de Dieu! «Pourquoi as-tu honoré tes fils plus que moi?»
§ 257. Mais que dit Jéhovah?— «Certainement, j'honorerai ceux qui m'honorent, et ceux qui me méprisent seront dans le dernier mépris.» Rien de plus juste, avouons-le. Mais honorer Dieu, c'est lui rendre le culte qui lui est dû, tel qu'il l'a établi; c'est lui consacrer ses sentiments et sa vie. Après quoi, pour le mépriser, il n’est pas nécessaire que nous l'insultions en face, à l'exemple d'Hophni et de Phinées par d'horribles blasphèmes et par d'épouvantables péchés, il suffit, comme leur père, que nous lui donnions la seconde place dans notre obéissance et dans nos affections. Ce sont là de graves pensées, et je prie mes lecteurs de les peser sérieusement.
3:
1-21
§ 258. A quelque temps de là, sans qu'on puisse
au III juste en déterminer la date, le jeune Samuel reçut d'en
Haut une révélation qui fut le commencement de sa carrière
prophétique. Tous ne pouvaient pas exercer la sacrificature; il
fallait pour cela descendre d'Aaron; et puis ce n'était pas à tout
âge qu'il était permis de faire le service du sanctuaire, soit
comme sacrificateur, soit comme lévite. Mais la charge de prophète
était d'une nature différente. Des femmes mêmes pouvaient s'en
voir revêtues (§§ 168, 249)
et l'âge n'y faisait rien. Ceux-là étaient prophètes, auxquels le
Seigneur donnait l'Esprit de prophétie, quelles que fussent leurs
circonstances.
3:
1
§ 259. Samuel était encore trop jeune pour
remplir les fonctions des lévites; il ne laissait pas toutefois de
vaquer au service de l'Éternel selon ses moyens et il le faisait
sûrement de tout son cœur. Les temps étaient devenus si mauvais,
l'incrédulité si générale, le mal avait tellement envahi le
sanctuaire même, que l'Éternel y faisait rarement ouïr sa voix, et
il ne survenait plus à personne de ces visions qui avaient réjoui
et éclairé un Abraham, un Jacob, un Moïse, un Josué, un Gédéon, un
Manoah. C'était quelque chose de pareil au spectacle qu'offrait le
monde il y a une cinquantaine d'années. À cette époque si récente
les sociétés bibliques n'existaient pas encore et les exemplaires
de la Bible devenaient de plus en plus rares; ceux qui
s'appelaient du nom de chrétiens se montraient presque
universellement incrédules ou indifférents; bien peu de gens
hélas! connaissaient Dieu et savaient voir sa main dans les
événements du jour, ou sa grâce infinie dans le glorieux Évangile
de son Fils; un sommeil profond, c'est-à-dire la mort spirituelle,
régnait en tous lieux ou peu s'en fallait; enfin les ministres de
la religion, bergers infidèles et paresseux, dormaient comme les
autres.
3:
2-8
§ 260. Tel était le peuple de Dieu en Israël,
au temps d’Héli. Un soir que ce vieillard reposait non loin de
Samuel, dans une tente, ou dans une maison voisine du tabernacle,
une voix se fit entendre au jeune homme. Elle le désignait par son
nom. Réveillé en sursaut, il se rend vers son père adoptif,
pensant avoir été appelé par lui. À son invitation, il retourne
dans son lit; la voix se fait entendre une seconde fois, et pour
la seconde fois Samuel court auprès du vieillard. «Samuel,» est-il
dit, «ne connaissait point encore l'Éternel», et il est facile de
comprendre ce que cela signifie. Son âme, bien que préparée par la
grâce de Dieu, ne possédait pas le Seigneur dans la plénitude de
la foi, et ses relations avec l'Éternel n'étaient ni celles dont
avait été favorisé un Moïse par exemple, ni celles dont il jouit
lui-même plus tard. Au fait, Samuel n'avait jamais ouï la voix de
Jéhovah, cette voix d'un accent si doux et si solennel, et il ne
pouvait la reconnaître. C'est pourquoi, lorsqu’Héli renvoya de
nouveau le jeune lévite, et que celui-ci entendit son nom une
troisième fois, il n'est pas étonnant qu'il persistât à croire que
c'était le sacrificateur de l'Éternel qui l'appelait. Or
remarquez, je vous prie, la docilité et la patience qu'il montre
jusqu'au bout. 1l obéit au premier mot et il ne se lasse pas
d'aller où il pense que la voix l'appelle. Ainsi doit être notre
obéissance envers le Seigneur.
3:
9-14
§ 261. Héli cependant avait fini par comprendre
ce que signifiaient ces appels réitérés qui ne pouvaient venir que
de Jéhovah. II le dit au jeune garçon, et celui-ci, appelé de
nouveau, répondit avec un saint empressement: «Parle, car ton
serviteur écoute.» Ce que le Seigneur voulait lui révéler, c'était
de nouvelles menaces contre Héli. Il allait bientôt le châtier de
ce qu'il n'avait pas repris ses fils avec assez de fermeté, et la
prophétie devait passer par la bouche de Samuel, soit afin de
produire une salutaire impression sur sa jeune âme, soit pour
adoucir auprès du souverain Sacrificateur ce qu'elle avait de
terrible.
3:
15-18
§ 262. Samuel aimait trop son père adoptif pour
avoir hâte de lui rendre ce funeste message; et, à bien dire, le
Seigneur ne lui avait point ordonné de faire connaître ce qui
venait de lui être communiqué. Mais le vieillard soupçonna
l'intérêt dont la chose était pour lui. Il était impossible que sa
conscience le laissât tranquille, et d'ailleurs, il n'avait pas
oublié la prophétie de l'homme de Dieu (§ 255).
C'est pourquoi, dès qu'il vit Samuel, il l'invita sérieusement à
ne lui rien cacher, et il le fit en des termes qui indiquent assez
la charitable répugnance que le jeune lévite éprouvait, cette
fois, à lui obéir. Héli avait toujours été si bon à son égard!
Cependant, il fallut parler, et lorsque le malheureux père
d'Hophni et de Phinées eut entendu les redoutables décrets du
Très-Haut, il prononça une de ces paroles caractéristiques qui ne
peuvent sortir que d'un cœur vraiment pieux: «C'est l'Éternel»
dit-il, «qu'il fasse ce qui lui semblera bon!» La résignation
d’Héli rappelle la patience de Job (§ 16).
Gardons-nous de ses faiblesses, et que Dieu nous enseigne à
accepter les maux de la vie comme une juste punition de nos
péchés!
3:
19-21
§ 263. Depuis ce moment, Samuel fut envisagé
par tous les fidèles, de Dan à Béerscébah, c'est-à-dire d'un bout
du pays à l'autre, comme un prophète de l'Éternel. À mesure qu'il
prenait des années, la confiance qu'on avait en lui s'accroissait.
Mais il faut dire aussi que la parole de l'Éternel ne cessait de
lui être adressée; elle nourrissait son âme; puis, elle
s'accomplissait en toutes choses, selon la coutume. Ainsi se
passèrent quelques années; ou quelques mois seulement, jusqu'à ce
que les menaces prononcées contre Héli et contre sa famille se
réalisèrent à leur tour.
CIII. Calamités et délivrance.
4:
1-3
§ 264. Les événements dont nous venons de
rendre compte se passèrent, selon les meilleurs calculs et ainsi
que nous l'avons dit précédemment, lorsque Samson vivait encore et
que, par sa force merveilleuse, il protégeait l'intérieur du pays
contre les excursions des Philistins. La mort tragique de ce
vaillant homme, tout en privant les Israélites de leur défenseur,
ne put que les exciter à de nouveaux combats. Aussi les
voyons-nous, deux ans après, vers l'an 1120, se disposer à la
guerre, soit que les Philistins les y eussent provoqués, soit
qu'ils prissent eux-mêmes l'initiative. Israël avait dressé son
camp dans un lieu que Samuel appela plus tard Eben-hézer, et les
Philistins placèrent le leur à Aphek, dans la tribu de Juda. Une
bataille fut livrée; quatre mille Israélites y perdirent la vie,
mais ce n'était que le commencement de leurs douleurs.
4:
4-5
§ 265. Pour se relever de cet échec, ils eurent
l'idée de faire venir l'Arche de l'Alliance, à l'imitation de
Josué. Mais il y avait dans leur dessein plus de superstition que
de vraie piété. La foi de Josué leur manquait. Ils regardaient à
l'Arche et non pas au Seigneur. Ils auraient dû comprendre qu'avec
des incrédules tels qu'Hophni et Phinées, il n'y avait pas de
délivrance à espérer de la part de l'Éternel. Mais, dans leur
aveuglement, ils saluèrent par des cris de joie l'arrivée de
l'Arche, comme si l'Arche eût été l'Éternel lui-même. Hélas! il y
a parmi nous plus de gens qu'on ne pense dont la prétendue foi est
pure superstition. Si, chez les protestants, il ne se trouve
personne qui estime se pouvoir sauver par des génuflexions et par
des signes de croix, combien n'en est-il pas aux yeux desquels le
baptême et la sainte cène, par exemple, sont des actes salutaires,
quelles que soient les dispositions qu'on y apporte! combien aussi
qui, dans la prière, se confient en la prière même, plus qu'en
Celui dont le nom est invoqué!
4:
6-9
§ 266. Pendant que le camp des Israélites se
livrait aux transports de l'allégresse, les Philistins, au
contraire, étaient agités par la crainte. Ces idolâtres croyaient,
et de leur part on ne doit pas s'en étonner, ils croyaient,
dis-je, que l'Arche même était le Dieu d'Israël, ou ses dieux,
comme ils s'exprimaient. Ils n'ignoraient pas les victoires que
Moïse avaient remportées lorsque l'Arche marchait devant lui; et,
naturellement, ils ne savaient pas faire la différence des temps.
Leurs craintes donc étaient au fond plus raisonnables que la joie
des Israélites. Toutefois, ils ne se laissèrent point trop abattre
et, trouvant dans leur cœur naturel l'horrible énergie que l'homme
déploie si souvent avec tant d'habileté dans ses luttes contre le
Seigneur, ils s'exhortèrent les uns les autres à se comporter
vaillamment. Oh! comme il faudrait que les enfants de Dieu fissent
de même dans la sainte guerre qu'ils soutiennent contre Satan et
le péché!
4:
10,11
§ 267. L'issue du combat fut terrible, non pas
tant par le nombre des morts, qui s'éleva pourtant à trente mille,
que par un événement inouï jusqu'à ce jour en Israël. L'Arche de
l'alliance, le symbole auguste de la présence de Jéhovah, le trône
de sa miséricorde, tomba au pouvoir de l'ennemi, et les deux
sacrificateurs périrent dans la bataille. Ils périrent en
défendant l'Arche sainte; mais ce qui aurait mieux valu que tant
de courage, c'est la foi et une vie pure!
4:
12-18
§ 268. La déroute fut complète. Héli, parvenu à
sa quatre-vingt-dix-neuvième année, attendait avec une vive
anxiété des nouvelles de la bataille. Il ne savait que trop ce que
l'Éternel avait résolu au sujet de ses deux fils, et son pauvre
cœur s'y était résigné (§ 262);
mais l'Arche, l'Arche de l'alliance, qu'il avait dû laisser partir
entre de si indignes mains, qu'allait-elle devenir? Comme il se
livrait à ces noires pensées, assis sur un siège, hors de son
habitation, il entend un grand bruit de voix, de cris et de
gémissements. Un homme de Benjamin se présente devant ses yeux
éteints, et il lui raconte tout. Israël a fui; Israël a été mis en
pièces; Hophni et Phinées sont morts; l'Arche de Dieu est prise!!
À ces derniers mots, Héli perd connaissance, il tombe à la
renverse, et, dans sa lourde chute, il se rompt la nuque et il
meurt. Triste et belle mort tout à la fois! Triste, puisqu'on y
doit voir un jugement de Dieu; mais belle aussi, car la manière
même dont Héli mourut prouve qu'il y avait néanmoins en lui
quelque zèle pour la gloire de l'Éternel: ce fut quand le messager
eut fait mention de l'Arche que le vieux sacrificateur tomba
évanoui! — Durant quarante ans, il avait dirigé, comme juge, les
tribus de son voisinage; mais, encore qu'il ne fût pas un impie,
il fit, par son gouvernement trop faible, plus de mal que de bien.
4:
19-22
§ 269. Une belle-fille d’Héli, femme pieuse à
ce qu'il parait, fut aussi l'une des victimes de cette effrayante
journée. À la nouvelle de la catastrophe, elle fut saisie des maux
de l'enfantement et mourut en mettant au monde un fils qu'elle
nomma I-cabod, c'est-à-dire plus de gloire. L'Arche de l'Éternel
était captive; ce qui faisait la gloire d'Israël lui était enlevé;
aussi, pensa-t-elle que Dieu avait caché sa face pour toujours.
Mais non; il avait seulement voulu montrer aux fils d'Israël
combien leur confiance superstitieuse était vaine; maintenant, il
va leur apprendre à mettre en lui une foi véritable, et, d'un même
coup, prouver aux Philistins que rien ne saurait arrêter la
puissance de son bras.
5:
1-5
§ 270. Le dieu principal de ces idolâtres
s'appelait Dagon. Ils le représentaient sous la figure d'un
monstre moitié homme et moitié poisson, divinisant ainsi leurs
propres mœurs, car ces peuples, comme vous le savez, occupaient
les côtes de la Méditerranée, et c'est de la navigation qu'il
tiraient leurs richesses et leur puissance. Ils ne manquèrent pas
d'attribuer à la force de leur Dagon la victoire d'Aphek, et, en
conséquence, ils lui amenèrent en trophée le Dieu d'Israël,
c'est-à-dire, dans leur pensée, l'Arche de l'alliance qui était
tombée entre leurs mains et dont ils faisaient hommage à leur
impure divinité. Mais le Seigneur, qui, pour humilier Israël,
avait permis que l'Arche fût prise, ne pouvait assurément laisser
au triomphe des Philistins une longue durée. Il fallait que ces
idolâtres apprissent à leur tour que Jéhovah seul est Dieu. C'est
pourquoi, dès le lendemain, ils trouvèrent la statue de Dagon
renversée de son piédestal, et le surlendemain, après l'avoir
soigneusement replacée, ils la virent encore gisant sur le
carreau, la tête et les mains séparées du corps. Celles-ci mêmes
avaient été jetées jusqu'au seuil de la porte, et de là vint que
les prêtres de Dagon prirent, dès cette époque, la coutume de
sauter par dessus le seuil, quand ils entraient dans le temple de
leur dieu.
5:
6-12
§ 271. Pour délivrer son Arche, le Seigneur
jugea bon de manifester d'une autre manière encore sa puissance.
Il frappa les Philistins de deux fléaux qui atteignirent à la fois
leurs biens et leurs personnes. Tandis que des souris ravageaient
la campagne, une douloureuse maladie leur enlevait beaucoup de
monde. C'étaient des hémorroïdes ou une dysenterie épidémique.
Quelques-uns pensent que le mot hébreu qu'on lit ici désigne la
maladie appelée le charbon, espèce de furoncle gangréneux et
souvent mortel. Ces fléaux frappèrent d'abord la ville d'Asçdod,
où l'on avait premièrement déposé l'Arche; de là, ils passèrent à
Gath où on la transporta, puis à Hékron; en sorte que les
Philistins purent acquérir la conviction que c'était le Dieu
d'Israël qui les châtiait de la sorte.
6:
1-11
§ 272. Après sept mois d'humiliations et de
souffrances, ils résolurent de renvoyer l'Arche au pays d'Israël,
et ils consultèrent leurs propres prêtres sur la manière dont ils
devaient s'y prendre. Par leur conseil, ils placèrent l'Arche sur
un chariot attelé de jeunes vaches qui n'avaient jamais porté le
joug et dont on retint les veaux à l'étable; puis, il fut décidé
qu'on les laisserait aller où elles voudraient. C'était peut-être
une ruse des prêtres, car on pouvait naturellement présumer que
les vaches briseraient tout pour retourner à leurs nourrissons...
Mais non; il vaut mieux croire que le Seigneur avait touché le
cœur de ces hommes. Ce n'était pas par une feinte repentance
qu'ils avaient parlé du péché de leur peuple, péché dont ils
voulurent conserver le souvenir au moyen des offrandes qu'ils
placèrent à côté de l'Arche.
6:
12-18
§ 273. Conduite par le bras puissant de
l'Éternel, l'Arche arriva bientôt à Beth-Scémés, ville de Lévites
(Josué XXI, 16), où elle fut reçue avec des transports de joie
faciles à comprendre. On offrit immédiatement des holocaustes et
des sacrifices d'actions de grâces à l'Éternel. Les gouverneurs
d'Asçdod, de Gaza, d'Askélon, de Gath et d'Hékron, les cinq villes
principales du pays des Philistins, assistèrent à ces cérémonies;
puis, ils retournèrent chez eux, emportant sans aucun doute une
haute idée de la majesté suprême de Jéhovah. Depuis le passage du
Jourdain et la destruction de Jéricho, aucun événement n'avait
attesté avec autant de force que, lorsque l'Éternel le trouve bon,
il sait et peut agir sans le concours de l'homme, et que nul ne
saurait résister à son pouvoir.
6:
19
§ 274. Sa redoutable grandeur se montra d'une
autre 19 manière encore dans le châtiment dont il frappa
soixante-dix hommes d'Israël qui, par une impie curiosité,
profitèrent de l'occasion pour jeter des regards indiscrets dans
l'Arche du Seigneur. Elle ne contenait rien qui ne pût être vu.
Mais, par cela même qu'elle était le symbole de la gloire de Dieu,
il était interdit à l'homme pécheur de s'en approcher autrement
que par le sang des victimes et par la médiation du sacrificateur.
L'Éternel eut d'ailleurs pour but, dans ce châtiment, de nous
enseigner le respect que nous devons aux mystères qu'il lui a plu
de nous tenir cachés (Deut. XXIX, 29), et c'est une leçon dont il
nous importe de nous souvenir, quand notre imagination et notre
cœur incrédule vont s'égarer dans la recherche des profondeurs
divines.
§ 275. J'ai dit que soixante-dix Israélites furent frappés. Nos versions cependant portent 50,070. Or, il est à remarquer qu'on peut traduire l'hébreu en ces termes: «Et il frappa d'entre le peuple soixante-dix hommes, de cinquante mille hommes qu'ils étaient.» Cette multitude n'appartenait pas toute à la ville de Bethscémés, mais on conçoit que le retour de l'Arche avait dû, en peu de moments, y attirer la population des contrées environnantes.
7:
1
§ 276. On conçoit également la frayeur des
Bethscémésites. Toutefois, ils la poussèrent à l'excès, car les
châtiments de Dieu ne menacent que ceux qui s'y exposent, et ils
se privèrent ainsi volontairement de l'honneur que l'Éternel leur
avait accordé en conduisant chez eux l'Arche sainte. On la
transporta dans une autre ville de Juda, à Kiriath-Jéharim, où
elle demeura près de quatre-vingts ans. Elle fut mise sous la
garde d'un nommé Éléazar, fils d'Abinadab, que l'on consacra pour
cet office honorable, car les enfants d'Aaron s'en étaient, hélas!
rendus complètement indignes.
CIV. Samuel, Juge. Les Israélites demandent un roi.
7:
2
§ 277. Malgré l'intérêt qui se rattache à la
personne du fils d'Elkana. La Bible ne nous raconte point la part
qu'il prit aux événements dont nous venons de nous occuper; et, si
Samuel est lui-même l'auteur du livre qui porte son nom, l'on ne
saurait trop admirer la modestie et la retenue que le Saint-Esprit
lui avait enseignées. Il pouvait avoir dix-neuf ans à l'époque de
la bataille d'Aphek. Sans doute qu'il était resté près de son
vieux père adoptif, mêlant ses prières et ses sollicitudes aux
siennes. On peut se figurer la douleur que lui causèrent la prise
de l'Arche, la mort lamentable d’Héli, et même celle de ses
coupables fils. Il s'attendait à tout cela. puisque le Seigneur
l'avait annoncé par sa bouche; cependant, la piété et la charité
ne laissent pas de s'émouvoir à la vue des maux les plus
certainement prévus. Mais qui dira ce qu'il dut ressentir pendant
les sept mois que l'arche demeura captive, cette arche de
l'Éternel près de laquelle sa jeunesse s'était élevée; puis la
vivacité de son bonheur quand le bras puissant du Seigneur l'eut
ramenée en Israël! Qui dira surtout ce qu'il souffrit plus tard en
voyant que ni ces châtiments, ni ces délivrances ne ramenaient le
peuple dans une meilleure voie! Vingt ans s'écoulèrent de la
sorte. Samuel, fidèle prophète du Très-Haut, ne cessait de
rappeler son Dieu à la mémoire et au cœur des Israélites égarés,
lorsque enfin «toute la maison d'Israël,» nous est-il dit,
«soupira après l'Éternel.»
7:
3-4
§ 278. L'Esprit du Seigneur avait soufflé sur
ces os desséchés et les eaux de sa grâce allaient rafraîchir le
désert. Jamais Israël n'avait persévéré si longtemps dans la
révolte, jamais non plus l'Éternel n'avait serré ses chaînes si
fortement, car les Philistins continuaient de le dominer à leur
gré. «Israël soupira donc après l'Éternel» et le prophète saisit
ce moment pour renforcer ses prédications. Il fit comprendre à ses
frères le crime dont ils se rendaient coupables en joignant au
culte de Jéhovah celui des idoles, car on ne peut servir à la fois
Dieu et Satan, et il leur promit une prompte délivrance s'ils
renonçaient résolument à toute idolâtrie. C'est ce qu'ils firent,
et de bon cœur à ce qu'il paraît; puis Samuel célébra leur retour
à Dieu par une solennité religieuse dont la Bible nous donne les
détails.
7:
5,6
§ 279. Le peuple s'assembla à Mitspa, non pas à
Mitspa de Galaad (§ 202),
mais dans une ville de même nom qui appartenait à la tribu de
Benjamin. Pour marquer la purification spirituelle dont ils
avaient besoin, ils prirent de l'eau qu'ils répandirent sur leurs
personnes et sur tout ce qui était à eux, sorte de baptême
semblable à celui dans lequel leurs pères s'étaient baptisés au
désert (I, § 742).
Puis, au lieu de célébrer cette journée par des repas sacrés,
comme ils le faisaient en toutes leurs fêtes, ils s'abstinrent de
nourriture et ils confessèrent hautement leurs iniquités. Depuis
les jours de Jephté, c'est-à-dire depuis quarante ans environ,
l'on n'avait pas vu en Israël un retour aussi prononcé dans les
voies du Seigneur. Dès ce moment, Samuel, âgé de trente-neuf ans,
exerça les fonctions de juge au milieu de son peuple. Il résidait
habituellement à Rama, ou Ramathajim Zophim (1 Sam. I, 1), dans la
maison qui lui appartenait comme lévite; mais il se transportait
de temps en temps à Béthel (I, §§ 262,
438), à Guilgal (§ 62),
et à Mitspa, localités remarquables dans l'histoire du peuple de
Dieu.
7:
7-11
§ 280. Pendant que les Israélites célébraient
leur jeûne à Mitspa, les Philistins vinrent en armes pour dissiper
une assemblée qui leur faisait ombrage; et, comme le peuple ne
s'était point préparé au combat, une grande crainte s'empara de
lui. C'est qu'il était faible encore dans la foi. Il croyait
cependant; car ce fut à Dieu qu'il eut son recours par le
ministère de Samuel. Celui-ci prit un agneau qu'il offrit en
sacrifice; puis il invoqua l'Éternel, et l'Éternel, exauçant la
prière de son prophète, dissipa l'armée des Philistins par un
orage subit. Israël se mit à la poursuite des ennemis et il en fit
un grand carnage.
§ 281. Tout ceci me paraît plein d'instructions. Nous avons dans ce tableau une victime et un intercesseur; des pécheurs repentants dont la foi, quoique faible, paraît sincère; une lutte avec de puissants adversaires et une victoire donnée par le Seigneur! N'est-ce pas la vive image des mystères du salut? Et puis comme nous voyons bien, par l'exemple des Israélites, que nous avons à nous tenir en garde contre nos ennemis spirituels, au sein même de la dévotion!
7:
12
§ 282. Pour conserver la mémoire de cette
grande et belle journée, Samuel érigea un monument qu'il appela
Eben-hézer, ou la pierre du secours (§ 264).
Et nous, qui écrivons ce livre pour l'instruction de quelques
âmes, avec l'espoir que le Seigneur daignera le bénir, nous
plaçons aussi en cet endroit un Eben-hézer, remerciant Dieu du
secours qu'il nous a prêté jusqu'ici dans cette œuvre, et le
priant de nous le continuer. Nous invitons aussi nos lecteurs à
repasser en leur âme les diverses grâces du Seigneur et à se
demander s'ils les ont bien senties. Nous ne subsistons que par sa
bonté, et à chaque instant nous aurions un Eben-hézer à consacrer
ou une action de grâces à prononcer.
7:
13-14
§ 283. Combien sont magnifiques les délivrances
de l'Éternel! Quand il voulut humilier les Philistins par ce même
peuple d'Israël qu'ils avaient humilié durant quarante longues
années (Juges XIII, 1), rien ne lui fut plus facile. Or l'Église
chrétienne nous offre dans son histoire des faits tout semblables.
Ses ennemis sont si puissants et si nombreux qu'il suffit au
Seigneur de leur lâcher le frein pour qu'elle se voie à deux
doigts de sa ruine. C'est ce qu'il a permis plus d'une fois afin
de la châtier de ses infidélités. Mais, quand elle s'humilie et
que le Seigneur étend son bras pour la délivrer, ses adversaires
les plus redoutables sont à l'instant dissipés, observation qui
s'applique sans grande peine à chaque chrétien pris
individuellement.
7:
17
§ 284. Il est encore une circonstance que nous
devons signaler dans ce récit important. L'historien sacré nous
dit qu’à Rama, où Samuel avait sa maison et où il faisait sa
résidence habituelle, il éleva un autel à l'Éternel. Ce signe de
sa foi et de sa piété rappelle Abraham, le père de Samuel et de
tous les croyants. Mais il est permis de se demander comment
Samuel put concevoir l'idée d'ériger un autel, après que Dieu en
avait institué un près du Tabernacle? Cela s'explique, il me
semble, par l'état où se trouvaient toutes choses à cette époque.
L'arche était sous la garde d'un homme qu'on avait dû consacrer
exprès; le tabernacle, peut-être, n'était dressé nulle part; il y
avait en quelque sorte suspension de la sacrificature; et tout
ceci nous montre que, même sous la loi, des temps extraordinaires
autorisaient des mesures extraordinaires. Sous l'Évangile, à plus
forte raison, les chrétiens ne doivent jamais se laisser arrêter
par de simples formes, lorsqu'il s'agit de la gloire de Dieu et du
salut des âmes.
8:
1-5
§ 285. Après vingt-cinq années d'une paix et
d'un bonheur auxquels le peuple n'était pas accoutumé, Samuel ,
voyant approcher la vieillesse, voulut se faire aider dans ses
fonctions de Juge par ses deux fils, Joël et Abija. Cédant à ses
affections particulières, il n'avait sûrement pas consulté
l'Éternel, et c'était de sa part une double faute, car ses fils
étaient loin de mériter un tel honneur. Sans montrer une
dépravation égale à celle des fils d’Héli, il leur manquait les
premières qualités du magistrat: le désintéressement et l'amour de
la justice. Nouvelle preuve que la foi ne passe pas du père à sa
famille comme un héritage. Aussi les anciens d'Israël ne
tardèrent-ils pas à se présenter devant Samuel, lui déclarant
qu'ils n'entendaient point se soumettre à ses fils et qu'ils
préféraient de beaucoup être gouvernés par un roi. Mais, et ceci
atteste pourtant la confiance qu'ils avaient en lui, ils le
prièrent de désigner leur futur monarque.
§ 286. On ne saurait qu'approuver la répugnance des Israélites à se laisser gouverner par des hommes tels que les fils de Samuel. On comprend ensuite leur désir de remplacer les formes républicaines par celles de la royauté. Ils gémissaient du défaut d'ensemble qui existait entre les tribus, de l'anarchie qui les avait si souvent ravagées depuis la mort de Josué , du peu de force que leurs institutions civiles leur donnaient contre les voisins puissants dont ils étaient entourés. Peut-être pensaient-ils aussi qu'une autorité centrale et permanente, comme celle d'un roi, serait plus en harmonie avec leur foi et leur culte, et que celui-ci se conserverait par là dans une plus grande pureté. D'ailleurs la loi de Moïse elle-même avait prévu le cas (I, § 1019), et cette circonstance semblait légitimer pleinement leur demande.
8:
6
§ 287. Toutefois, elle déplut fort à Samuel,
qui en fit sa triste plainte au Seigneur. Ce serait l'insulter que
d'attribuer son affliction à des motifs intéressés et personnels.
Il vit la portée de la révolution qui se préparait; il comprit
que, tôt ou tard, la royauté ferait le mal même dont on la croyait
un remède, et nous verrons qu'il ne se trompait point. De plus, il
lui était impossible de ne pas démêler dans le vœu de ses
concitoyens un affaiblissement de la foi. Sans doute, les
institutions publiques d'Israël avaient peu de force propre; mais
il comprenait, qu’en les lui donnant telles, le Seigneur avait
voulu faire sentir d'autant plus la nécessité de sa haute
protection. Et quant aux lois particulières relatives à la future
royauté, elles étaient, à ses yeux, une prophétie et non un
commandement. Prévoir le cas où Israël se donnerait un roi, ce
n'était pas l'inviter à s'en donner un. Enfin, quoique les Anciens
d'Israël ne parussent pas lui avoir retiré leur confiance, Samuel
ne pouvait que s'affliger d'un mouvement politique dont ses fils
étaient l'occasion, et lui, en partie, la cause.
8:
7-22
§ 288. Rien n'égale la bonté avec laquelle le
Seigneur consola son serviteur, si ce n'est le tendre soin qu'il
prit d'avertir les Israëlites de leur faute. Tout en représentant
à Samuel que ce n'était pas lui proprement qui se trouvait rejeté,
et en l'invitant par là, d'une manière indirecte, à imiter sa
patience envers ces ingrats, l'Éternel le chargea d'informer le
peuple des sacrifices sans nombre qu'il devrait s'imposer pour
soutenir le faste d'une cour. Le roi aura des armées permanentes;
il lui faudra des serviteurs et des servantes en grand nombre; il
devra enrichir aux dépens du pays, ses généraux et ses ministres,
et il lèvera sur toutes les classes de la nation de lourds impôts.
Ce fut ainsi que le Seigneur fit présenter à son peuple les motifs
les plus propres à agir sur les esprits. Mais à quoi servent les
avertissements, quand on est décidé à faire sa propre volonté!
§ 289. Cependant, bien que les tribus d'Israël commissent un vrai péché en demandant un monarque, il entrait dans les plans de Dieu que leurs vœux fussent accomplis. Il était arrêté par son conseil de miséricorde VIII que, d'une tribu d'Israël sortirait une race royale, et de cette race un Roi, plus grand à lui seul que tous ses ancêtres. Ce roi, je n'ai pas besoin de vous dire que c'est notre Seigneur Jésus-Christ qui, selon les prophéties, est né de la tribu royale de Juda (I, § 592) pour régner éternellement sur un royaume spirituel, dont celui d'Israël devait être l'ombre et la figure, tout comme quelques rois de Juda furent des types du Roi-Messie. Nous voyons donc ici pour la vingtième fois de quelle manière l'Éternel fait concourir à l'exécution de ses desseins les péchés des hommes. Mais le péché n'en demeure pas moins le péché et, encore que Dieu sache tirer souvent de ce mal beaucoup de bien, il ne laisse pas de le punir. C'est ainsi que le premier roi des Israëlites fut à beaucoup d'égards un vrai fléau. Et comme ce roi méchant et impie ne pouvait guère servir de type au grand Roi d'Israël, ce ne fut pas dans la tribu de Juda que Dieu jugea bon de le choisir.
CV. Élection de Saül.
9:
1-5
§ 290. Kis, descendant de Benjamin, homme riche
et puissant à la manière de Booz, avait un fils plus remarquable
par sa beauté et par sa haute taille que par les qualités de son
caractère. Il s'appelait Saul, ou Saül. Un jour que les ânesses de
son père s'étaient égarées, il partit avec un de ses domestiques
dans le but de les retrouver. Ils allèrent de lieu en lieu,
jusqu'à ce qu'ils atteignirent enfin la ville ou le bourg
qu'habitait Samuel. Leur absence s'étant prolongée plus qu'ils ne
l'avaient pensé, ils étaient sur le point de reprendre le chemin
de la maison, où l'on pouvait commencer à s'inquiéter, lorsque le
serviteur de Saül l'engagea vivement à se rendre vers le prophète,
de qui peut-être ils apprendraient ce qu'étaient devenues les
ânesses de Kis.
9:
6-8
§ 291. C'est avec beaucoup de raison que le
domestique de Saül lui représentait Samuel comme un homme de Dieu
fort vénérable. Cet illustre fils de Lévi, alors âgé de
soixante-cinq ans, s'était acquis la vénération publique, autant
par la sainteté de sa vie que par ses éminents services.
D'ailleurs, il avait été plus d'une fois l'organe par lequel
l'Éternel avait transmis ses oracles. Pendant de longues années,
on l'avait vu prêcher la vérité au milieu d'Israël; en sorte que
ses paroles étaient réputées infaillibles. De là à passer auprès
du vulgaire pour un homme qui connaissait toutes choses, même les
plus secrètes, et qui pouvait résoudre toutes les questions, même
les plus difficiles, ce que ne prétendaient point les prophètes,
la distance était bientôt franchie. Aussi le serviteur de Saül
n'hésita-t-il pas de dire à son maître que le Voyant saurait bien
leur enseigner où leurs bêtes de somme se tenaient cachées. Mais
il fallait, pensaient-ils l'un et l'autre, acheter ce service, et
heureusement qu'ils se trouvaient avoir encore avec eux un quart
de sicle.
9:
9
§ 292. Ce nom de Voyant, nous dit l'Écriture,
est le titre qu'on donnait jadis aux prophètes, par la raison sans
doute que le Seigneur se révélait souvent à eux en vision. Balaam,
dans sa prophétie si remarquable, se désigne comme «Celui qui a
les yeux ouverts et qui voit la vision du Tout-Puissant» (Nomb.
XXIV, 15,16).
9:
10
20
§ 293. Pour revenir à Saül, il prit donc le
chemin de la ville de Samuel. Il ne l'avait jamais visité, et il
dut se faire indiquer sa demeure. Samuel attendait Saül; car le
Seigneur l'avait averti de son arrivée et des intentions qu'il
formait sur la personne du Benjamite. Lors donc qu'il le vit
approcher, il l'accueillit avec empressement, et après lui avoir
annoncé que les ânesses étaient retrouvées, il lui fit entrevoir
la haute destinée que Dieu lui réservait. Samuel se servit
d'expressions qui peuvent nous paraître assez énigmatiques, mais
qui le furent beaucoup moins pour Saül. Depuis qu'il avait été
convenu entre Samuel et les Anciens du peuple qu'il leur donnerait
un roi, l'on ne s'occupait que de cela dans le pays, et quand le
prophète dit à Saül que tout le désir d'Israël se rapportait à lui
et à la maison de son père, le Benjamite put très bien comprendre
de quoi il s'agissait (Gen. III, 16; IV, 7). Il est possible
d'ailleurs que l'historien sacré ne nous rapporte que la fin et le
résumé du discours de Samuel.
9:
21-27
§ 294. La réponse de Saül dénote des sentiments
modestes qui sont dignes d'éloges, si du moins, par politique, il
ne cachait pas sa vraie pensée, ou s'il n'y avait pas au fond de
son âme plus de pusillanimité que de modestie. Cependant, Samuel
voulant l'encourager et lui faire comprendre que son discours
avait été sérieux, l'invite au repas du sacrifice (Lévit. XXII, 29
, 30); il lui donne la place d'honneur et une portion plus
considérable qu'aux autres conviés (§ 241);
puis il le ramène dans sa maison, pour reprendre la suite de leur
entretien. Le lendemain, après lui avoir révélé encore une fois,
loin des regards de son domestique, la volonté de l'Éternel, il le
renvoya chez son père.
10:
1
§ 295. Mais avant de se séparer de Saül, le
prophète du Seigneur, suivant l'ordre qui lui en avait été donné
(IX, 16), dut imposer au futur monarque le sceau extérieur de sa
vocation et de sa consécration, en oignant sa tête de l'huile
qu'il avait prise avec lui dans une fiole. Y Ce n'était pas une
onction comme celle que recevait le souverain Sacrificateur, mais
c'était quelque chose d'analogue. Elle avait aussi pour objet de
représenter les grâces dont le Saint-Esprit accompagne toujours
une vocation et une consécration venant d'en Haut. Dans le cas
présent, l'onction administrée par Samuel, signifiait que Saül
recevrait de l'Esprit d'intelligence et de force, tous les dons
nécessaires à l'œuvre que l'Éternel allait lui confier. Son règne
ne devait pas être inutile à la prospérité d'Israël, et ce fut par
l'Esprit de Dieu qu'il devint capable d'effectuer les desseins de
sa miséricorde, comme ceux de sa justice.
10:
2-8
§ 296. Il fallait, toutefois, que Saül eût, de
sa vocation, d'autres témoignages que la simple parole de Samuel.
C'est pourquoi, le prophète lui indiqua trois signes auxquels il
reconnaîtrait que Dieu était véritablement avec lui. D'abord, il
rencontrerait près du sépulcre de Rachel deux hommes qui lui
donneraient des nouvelles au sujet des ânesses à la recherche
desquelles il était; puis, vers les chênes de Tabor, trois
individus qui lui offriraient de partager avec lui leurs
provisions de voyage; enfin, à Gibéa-Elohim, une bande de
prophètes chantant les louanges de Dieu, auxquels il se joindrait
de tout son cœur. Ces prédictions, en se réalisant, devaient le
convaincre qu'il était réellement appelé d'en Haut, le disposer à
tout ce qui lui serait demandé et le remplir de reconnaissance
envers le Seigneur. Aussi le vénérable prophète lui donna-t-il,
dès ce moment, rendez-vous à Guilgal pour y offrir des sacrifices
d'actions de grâces; à Guilgal, lieu réputé saint, depuis le temps
de Josué.
10:
9-12
§ 297. Saül n'eut pas plutôt quitté Samuel
qu'il devint un autre homme, Dieu lui ayant changé le cœur. Nous
verrons, hélas! par la suite de son histoire, qu'il ne faut pas
entendre ces paroles dans leur sens ordinaire. Mais tandis
qu'auparavant, sous sa large poitrine battait un cœur faible et
timide, il fut rempli de résolution et de force par le
Saint-Esprit. Jusqu'à ce moment aussi, Saül était demeuré étranger
aux émotions de la piété; mais l'Esprit de l'Éternel lui fit
goûter une grande joie par les prophéties dont il venait d'être
l'objet. Lors donc qu'il eut rencontré les hommes de Tseltzah et
ceux de la chênaie de Tabor, lorsqu'il vit les prophètes dont
Samuel lui avait parlé, il n'hésita pas de se joindre à eux pour
prophétiser, selon que l'Esprit de Dieu lui donnait de le faire.
Mais un tel spectacle avait quelque chose de si étrange que ceux
qui le virent ne revenaient pas de leur étonnement. Il paraît, au
surplus, que cette contrée avait peu de relations avec les fils
des prophètes, car on se demandait au sujet de ceux-ci, qui était
leur père, c'est-à-dire leur instituteur ou leur docteur. Toujours
est-il qu'en souvenir de cette scène si nouvelle, on disait par
façon de proverbe, chaque fois qu'un homme manifestait une piété
inattendue: «Saül aussi est-il entre les prophètes?»
§ 298. Quant à ces prophètes que Saül rencontra formant une compagnie nombreuse, tout porte à croire qu'il faut voir en eux les élèves de quelque école, ou séminaire, fondée par Samuel pour propager dans le pays la connaissance du Seigneur. Les prophètes, nous l'avons vu autre part (§ I, 938), ne prédisaient pas tous l'avenir. On donnait aussi ce titre à quiconque enseignait la religion et prêchait la parole de Dieu. Il suffisait même de chanter ses louanges pour qu'on fût envisagé comme prophétisant. De nos jours, ce mot a pris un sens plus restreint; mais, dans la Bible, il est bien tel que je viens de l'indiquer et nous en avons ici un exemple remarquable.
§ 299. Avant d'aller plus loin, remarquez, je vous prie, ainsi que nous l'avons fait ailleurs (I, § 613), comment, dans la main de Dieu, les plus petites choses se lient aux grandes. Ces ânesses perdues, ces hommes qui se rencontrent à point nommé sur le chemin de Saül, ces deux pains qui lui sont offerts par l'un d'eux; tous ces événements, aussi bien que la promenade des fils des prophètes, concourent à l'exécution des desseins de Dieu, chacun à sa manière; et c'est ainsi que la Providence dirige réellement toutes choses.
10:
13-16
§ 300. Quand Saül fut de retour chez son père,
il dut raconter ce qui lui était arrivé pendant sa longue absence.
— Dès qu'il eut prononcé le nom de Samuel, un de ses oncles, homme
plus pieux peut-être que le reste de la famille, s'enquit aussitôt
de ce que lui avait dit le prophète. Saül comprit qu'il était
prudent de taire, pour l'heure, les intentions du Seigneur, et il
borna son récit aux circonstances qui se rattachaient à la
première cause de son voyage. Si la politique n'avait jamais
inspiré plus mal le fils de Kis, son règne eût été, en ce point,
irréprochable; car la prudence, quand elle n'est pas accompagnée
de ruse et de dissimulation, est une heureuse disposition qui
vient de Dieu: c'est son Esprit même qui l'avait mise dans le cœur
du futur roi d'Israël.
10:
17-24
§ 301. Le moment était venu de présenter aux
tribus celui que Dieu leur destinait pour premier roi. Samuel
convoqua l'assemblée dans le lieu même où, vingt ans auparavant,
elles s'étaient consacrées à l'Éternel par le jeûne et
l'immolation des victimes (§ 279).
Beaucoup de ceux qui avaient pris part à cette solennité ne
vivaient plus; ils avaient été retirés de ce monde pour voir de
plus grandes merveilles que l'élévation d'un roi pris entre les
hommes. Ceux qui demeuraient encore sur la terre et leurs enfants,
réunis maintenant à Mitspa, eurent d'abord à entendre les justes
reproches que leur adressa le prophète du Très-Haut; après quoi,
il désigna de la tribu de Benjamin, de la famille de Matri dans
cette tribu, et de la maison de Kis celui qui devait régner;
c'était Saül. Mais proclamé à haute voix, Saül ne se montrait pas.
Par un reste de timidité facile à comprendre et à excuser, il se
tenait caché au milieu des nombreux chariots qui avaient amené
tout ce peuple et le matériel nécessaire au campement. Il fallut
pourtant obéir à l'appel du Seigneur, et quand on vit Saül, tous
furent frappés de sa bonne mine et de sa haute taille, tous ou à
peu près l'acceptèrent dès ce moment, et ils jetèrent vers le ciel
leurs acclamations de: «Vive le roi! vive le roi!»
10:
25
§ 302. Quand cette explosion d'enthousiasme eut
passé (hélas! les hommes ne savent trop de quoi ils se
réjouissent!) le prophète du Seigneur promulgua ce que nous
appellerions la constitution du royaume. C'étaient peut-être
simplement les lois que Dieu avaient données à Moïse, dans la
prévoyance de ce qui arrivait (I, §
1019). Peut-être aussi Samuel fut-il chargé d'y ajouter
quelques dispositions nouvelles. Toujours est-il qu'il écrivit
cette charte royale dans un livre et qu'il la déposa devant
l'Éternel, c'est-à-dire auprès de l'Arche, à Kiriathjéharim (§ 276).
Cela fait, chacun dut rentrer dans ses foyers.
10:
26-27
§ 303. Saül aussi, dont la famille demeurait à
Guibba, retourna chez lui accompagné d'une escorte de gens armés.
Bientôt il lui arriva de toutes parts des présents, hommage que
lui rendaient ses nouveaux sujets et par quoi ils lui
constituaient une fortune digne d'un prince. Mais il y eut des
mécontents qui, au lieu de payer ce premier tribut, manifestèrent
ouvertement leur opposition. Il leur semblait impossible qu’un
homme sans antécédents quelconques, qu'un homme qui appartenait à
la plus faible des tribus d'Israël (§145)
et qui n'était plus de la première jeunesse, pût leur apporter
quelque profit par son règne. À vue humaine ils n'avaient pas
entièrement tort; aussi Saül ne se choqua-t-il point de leurs
murmures. C'était de bonne politique assurément: et, pour
reproduire une observation que nous faisions tout à l'heure, il
serait à désirer que la politique de Saül ne lui eût jamais dicté
de plus mauvais conseils!
CVI. Guerre avec les Hammonites. Abdication de Samuel.
11:
1-2
§ 304. Tous ces événements se succédèrent avec
rapidité et pendant que les Hammonites s'avançaient de nouveau
vers l'orient pour faire la guerre à Israël. Déjà leur roi Nahas
avait envahi une partie de la tribu de Manassé et faisait le siège
de Jabès de Galaad. Les habitants de cette ville ayant offert de
capituler, Nahas y avait mis une condition horrible, qui nous
donne une idée de la manière dont, en général, les Israëlites
étaient traités par leurs ennemis victorieux. Nous y voyons aussi
combien la colère de l'homme est cruelle! Dieu ordonna quelquefois
la destruction d'un peuple; la sainteté de sa justice l'exigeait;
mais faire arracher un œil à tous les citoyens d'un pays, quelle
barbarie! Jamais l'Éternel ne prescrivit rien de semblable! Il est
juste, mais non pas cruel.
11:
3-7
§ 305. Les Galaadites ayant appris ce qui
venait de se passer de l'autre côté du Jourdain, de quoi peut-être
leurs circonstances avaient hâté la solution, demandèrent une
trêve de huit jours et dépêchèrent aussitôt des messagers à Saül.
Celui-ci, tout roi qu'il était, se livrait encore aux travaux de
l'agriculture. Il revenait de ses champs, au pas lent de ses
bœufs, lorsque les hommes de Jabès l'atteignirent. À l'ouïe de
leur message, l'indignation la plus vive s'empara de lui. Rempli
par l'Esprit de Dieu d'une énergie extraordinaire, il mit en
pièces deux de ses bœufs et fit publier dans tout Israël qu'on
traiterait ainsi le bétail de quiconque n'accourrait pas
promptement sous la bannière du roi et de Samuel le prophète.
11:
8-11
§ 306. La proclamation du nouveau monarque
produisit un effet immense. Il y avait du courage, de la vigueur,
une ferme résolution chez ce Benjamite que la volonté de Dieu et
le consentement du peuple avaient placé sur le trône! Aussi les
Israëlites montrèrent-ils un dévouement dont on avait perdu le
souvenir depuis le temps de Josué. Jamais, sous les Juges, Israël
ne s'était levé en masse pour repousser l'ennemi commun. Mais,
cette fois, il vint à Saül une telle foule de combattants que,
dans la revue qu'il en fit à Bézec, il put compter environ trois
cent trente mille hommes, dont trente mille de Juda seulement, et
ils n'étaient qu'un cœur et qu'une âme. Or, quoique cette
multitude fût mal armée et peu exercée à la guerre, la victoire ne
pouvait lui échapper, car c'était évidemment l'Esprit de Jéhovah
qui l'animait à défendre la gloire de son nom et à secourir des
frères opprimés. C'est pourquoi les Hammonites, attaqués avec
vigueur et célérité, furent battus à plate couture.
11:
12-15
§ 307. On comprend que ceux qui, à Mitspa, peu
de jours auparavant, avaient salué leur monarque par le cri de
vive le roi! durent, après la bataille, redoubler leurs
acclamations. «Comment est-il possible,» dirent-ils à Samuel,
«qu'il y ait parmi nous des gens assez ennemis de leur pays pour
ne pas reconnaître les titres de Saül à la royauté? Qu'on les
amène ici et nous les ferons mourir.» «Non,» dit Saül avec une
grande sagesse, «ce n'est pas dans un jour où l'Éternel a daigné
nous accorder une telle délivrance, que nous répandrons le sang de
nos frères.» «Allons plutôt à Guilgal,» fit Samuel, «à Guilgal,»
où Josué se recueillait après ses victoires, «allons y confirmer
l'élection de Saül.» C'est ce qui eut lieu. On offrit à l'Éternel
des sacrifices d'actions de grâce; Saül, de nouveau, fut proclamé
roi; personne, cette fois, ne fit opposition, et le peuple tout
entier se livra aux transports de la joie, comme s'ils n'avaient
pas eu jusque-là un Roi qui valait bien mieux que Saül!
12:
1-15
§ 308. C'est ce que Samuel leur fit sentir avec
la sainte hardiesse d'un prophète de l'Éternel et avec l'autorité
que lui donnaient son âge, son expérience et sa foi. Le moment
était venu pour lui de se retirer complètement des affaires. S'il
avait accompagné Saül dans la guerre contre les Hammonites, ce
n'était pas à dire qu'il dût continuer d'être en quelque sorte son
tuteur. Il fallait que le roi régnât, et Samuel était trop sage
pour ne pas le comprendre. Saisissant donc l'occasion de ce grand
concours de peuple à Guilgal, il se démit solennellement de sa
charge de juge, et prononça les discours excellents que vous lirez
tout entiers dans la Bible et dont je me borne à présenter une
courte analyse.
§ 309. Après avoir rappelé que, s'il avait donné un roi aux Israélites, c'était pour accéder à leurs désirs; après avoir exposé les raisons qui lui faisaient prendre sa retraite sans demander quoi que ce fût pour ses fils, confondus avec le reste du peuple, Samuel sollicite ceux qui étaient présents de déclarer les sujets de plainte qu'ils pouvaient avoir contre lui, prêt à réparer les torts dont il se serait rendu coupable. Les enfants d'Israël ayant dit par deux fois qu'ils n'avaient rien à lui reprocher, Samuel reprit gravement la parole. Il leur fit sentir de nouveau la faute qu'ils avaient commise en demandant un roi, comme si Dieu n'avait pas su, quand il le fallait, leur susciter pour libérateurs un Moïse, un Jérubbahal (Gédéon), un Bédan (on pense qu'il s'agit de Samson, fils de Dan), un Jephté et un Samuel, dit-il en se nommant lui-même. Toutefois, ajoute le vieillard, prenez courage. Ce roi que vous avez voulu, c'est l'Éternel qui a fini par vous le donner; et si, vous et lui (lui aussi bien que vous), vous obéissez au Seigneur dans tout ce qu'il vous a commandé, le Seigneur vous conduira. Mais si vous êtes rebelles, vous aurez beau posséder un roi, et un roi établi de Dieu, la main de l'Éternel n'en châtiera pas moins vos iniquités.
12:
16-19
§ 310. Cette prophétie menaçante avait besoin
d'une confirmation. Aussi l'Éternel fit-il en ce jour-là quelque
chose de merveilleux. C'était une époque de l'année où il ne pleut
jamais en Canaan; mais à la prière de Samuel, le ciel se couvrit
subitement de nuages, le tonnerre se fit entendre et une pluie
abondante vint rafraîchir le camp des Israélites. Ce phénomène
inaccoutumé les remplit d'une sainte frayeur, et, profondément
humiliés, ils supplièrent Samuel d'intercéder pour eux, afin que
le Seigneur leur pardonnât le péché qu'ils avaient commis.
12:
20-23
§ 311. Dans sa noble réponse, Samuel
reproduisit quelques traits de son premier discours, en insistant
sur l'idée que leur roi ne les délivrerait point si Dieu n'était
avec eux; que par conséquent ils devaient obéir à Dieu plus encore
qu'à leur prince; qu'autrement ils se trouveraient avoir servi la
vanité et le néant, en sorte que leur chute et celle de leur roi
seraient inévitables. «Du reste,» ajouta Samuel, «si je cesse de
vous gouverner comme juge, je ne cesse pas d'être au milieu de
vous le prophète de l'Éternel. À cause de son grand nom, je le
sais, c'est-à-dire à cause de ses promesses et en vue des plans de
sa miséricorde (I, § 260),
l'Éternel n'abandonnera point son peuple. Aussi ne me lasserai-je
pas de prier pour vous, et je serai toujours prêt à vous enseigner
le bon et droit chemin.»
§ 312. Telles sont en effet les deux fonctions principales d'un ministre de Dieu: prier pour les âmes qui lui sont confiées et leur prêcher la vérité. Avec quelle fidélité et quel zèle Samuel ne s'était-il pas acquitté de ce saint ministère! Aussi que de paix il y avait dans le cœur de ce cher et vénérable vieillard! On ne saurait imaginer une carrière plus belle que ne le fut celle du fils d'Elkana. Il pouvait avoir dix-sept ans lorsque Samson mourut. Comme lui, consacré dès sa naissance à l'Éternel, sa consécration fut, à plusieurs égards, d'une tout autre nature. Il manifesta de très bonne heure les dispositions d'un cœur converti. Non seulement ce fut dans la foi aux promesses de Dieu qu'il puisa sa force et tout ce qui fit sa grandeur, mais encore il faut reconnaître que, depuis Joseph et Josué, nous n'avons rien vu de plus éminent en sainteté et en piété véritables. Ce ne sont pas les miracles de Samuel qui le rendirent illustre, ni même ses prophéties: il fut un saint homme de Dieu. Son histoire n'est pas encore achevée; mais, au moment où nous le voyons se retirer des affaires publiques de son pays, j'éprouvais le besoin de jeter ce coup d'œil rapide sur sa vie et sur son caractère.
CVII. Saül est rejeté par l'Éternel. Exploits de Jonathan.
13:
1-7
§ 313. A la victoire remportée par Israël sur
les Hammonites succédèrent deux années de paix. Chacun avait
regagné ses foyers, sauf trois mille hommes dont Saül s'était fait
une armée permanente. Il en comptait deux mille sous ses ordres,
et son fils Jonathan, jeune encore, était à la tête des mille
autres. Les Philistins avaient conservé dans l'intérieur du pays
quelques lieux fortifiés où ils tenaient garnison. Il s'agissait
de les en débusquer, et Jonathan parvint à les chasser d'une de
ces forteresses. C'était réveiller les Philistins de leur long
sommeil. Dans le but de se venger, ils réunirent une armée
immense; car, bien qu'ils n'occupassent qu'une étroite bande de
territoire le long des côtes, ils formaient un peuple nombreux,
grâce à leur commerce maritime, sans compter qu'ils eurent
probablement pour auxiliaires leurs voisins les Hamalékites et
d'autres peuples toujours prompts à fondre sur Israël. Cette
brusque invasion trouva Saül au dépourvu. Et lui et son peuple
avaient mis trop de confiance dans leurs trois mille hommes de
troupes régulières. Aussi chacun s'enfuit de devant les
Philistins. On se cachait au fond des cavernes dont ces montagnes
sont pleines, et beaucoup de gens passèrent même le Jourdain pour
mettre ce fleuve entre eux et l'ennemi.
13:
8-14
§ 314. Cependant Saül se trouvait à Guilgal, où
une partie du peuple s'était retirée vers lui et où il attendait
Samuel pour y offrir des sacrifices et supplier l'Éternel dans
cette extrémité. Mais comme le prophète tardait et que les
Israélites, découragés, se dispersaient çà et là, Saül prit le
parti de présenter lui-même l'holocauste, fonction religieuse
qu'il savait bien n'être pas de son ressort. Là-dessus Samuel
arrive; il reproche au roi son usurpation, et Saül se justifie
comme on le fait quand on lutte contre sa conscience. «Le peuple
me quittait, les Philistins pouvaient m'attaquer d'un instant à
l'autre, je pensais que tu ne viendrais pas, et, à mon grand
regret, j'ai dû offrir moi-même l'holocauste.» Or, il est de fait
qu'il ne saurait exister de devoir contre le devoir; c'est-à-dire
qu'on ne peut jamais être légitimement appelé à faire l'opposé de
ce qu'on doit. Il fallait que Saül souffrît toutes choses plutôt
que de s'arroger des attributions qui ne lui appartenaient pas. Il
l'aurait fait, sans contredit, s'il avait eu foi en Dieu. Mais qui
sait si, malgré l'expression hypocrite de son prétendu regret, il
n'avait pas été bien aise de montrer qu'il pouvait se passer de
Samuel, et faire croire que la majesté royale renfermait
l'autorité religieuse aussi bien que l'autorité politique?
§ 315. C'est pourquoi Samuel lui déclara que, dès ce moment, il n'exercerait plus qu'une royauté précaire et que l'Éternel s'était cherché, pour conduire son peuple, un homme meilleur que lui. Le prophète parle de la chose comme si déjà elle était faite, parce que les conseils de Dieu, une fois arrêtés, sont tout autant qu'accomplis. Ce langage néanmoins est fort remarquable, vu qu'à cette époque Samuel ne connaissait d'aucune façon le futur successeur de Saül, ce David, fils d'Isaï, dont nous aurons bientôt l'histoire sous les yeux et qui n'était alors qu'un jeune garçon d'environ douze ans.
13:
15-23
§ 316. Après cela, le prophète passa de Guilgal
à Guibha, se rapprochant ainsi du camp des Philistins, et bientôt
il fut suivi par Saül et Jonathan avec environ six cents hommes,
misérables restes de leurs trois mille soldats. Qu'était ce peu de
monde pour tenir tête aux milliers de Philistins qui, divisés en
trois corps d'armée, avaient ravagé la contrée, dépouillé les
habitants de leurs armes et pris d'habiles mesures pour qu'ils ne
pussent en fabriquer de nouvelles! Il résulta de là qu'à la veille
du combat il n'y eut que le roi et son fils qui, avec leurs six
cents hommes, fussent bien armés; les autres n’avaient, pour
attaquer et se défendre, que des faux, des haches, des bêches et
autres instruments de cette nature. Ainsi donc les paroles de
Samuel ne tardèrent pas à s'accomplir (§ 309). Les Israélites
possédaient un roi, mais cela n'empêchait pas qu'ils ne fussent à
deux doigts de leur perte.
14:
1-23
§ 317. Jonathan, cette fois, devint leur
libérateur, parce que lui seul, entre tous, mettait sa pleine
confiance en l'Éternel. «Rien ne saurait l'empêcher de délivrer,
soit avec beaucoup de gens, soit avec peu,» disait-il à son
écuyer. «Pénétrons dans les retranchements de ces incirconcis, et
peut-être que le Seigneur fera quelque chose pour nous. .» Cela
dit, et sans avoir communiqué leur dessein à personne, ils se
mettent à escalader le rocher sur lequel était le corps de garde
des Philistins. Arrivés à grand'peine, ils saisissent leurs armes,
ils frappent devant eux, à droite, à gauche; vingt hommes
seulement tombent sous leurs coups, mais, par la volonté de Dieu,
cela suffit pour répandre la terreur et la confusion dans le camp
ennemi. Saül, qui s'en aperçoit, s'informe d'où peut venir ce
mouvement étrange; on lui dit que Jonathan s'en est allé sans
qu'on sache où; alors tout lui est expliqué. L'arche sainte était
là avec Ahija, petit-fils d’Héli. Saül dit au sacrificateur:
«Retire ta main,» c'est-à-dire: cela suffit, j'entends la volonté
de Dieu. Aussitôt, lui et tout son monde poussent de grands cris
et se précipitent sur les Philistins, qui, dans leur désordre,
dirigeaient leurs flèches et leurs dards les uns contre les
autres. Ils avaient obligé des Hébreux à grossir leurs rangs, mais
ces dangereux auxiliaires se tournèrent contre eux. Les Israélites
cachés dans les montagnes en descendent pour achever la victoire;
et les Philistins, entièrement battus, durent repasser leur
frontière à Bethaven.
14:
24-30
§ 318. Le matin de ce jour, qui fut un des plus
glorieux pour Israël, Saül avait fait prêter au peuple le serment
de ne prendre aucune nourriture jusqu'au soir. Cette défense peut
sembler bizarre et passablement tyrannique; mais l’intention
probable de Saül avait été de faire impression sur les esprits, en
donnant à ce jour de bataille l'aspect d'un jour de jeûne. C'était
d'ailleurs proclamer indirectement que, dans les détresses de la
patrie, les citoyens doivent s'oublier eux-mêmes. Saül fit prêter
ce serment pendant que son fils se dirigeait vers le corps de
garde des Philistins, en sorte que Jonathan l'avait ignoré. C'est
pourquoi, lorsqu'au fort de la mêlée il eut rencontré dans quelque
creux d'arbre un essaim d'abeilles avec leur miel, il y porta son
bâton de commandement et se rafraîchit la bouche en passant. Puis,
sur l'observation qui lui fut faite que le roi avait prononcé une
malédiction contre quiconque prendra de la nourriture: «Plût à
Dieu,» dit-il, «que le peuple eût aujourd'hui mangé abondamment!
la défaite des Philistins n'en aurait été que plus grande;», car
la troupe avait souffert d'une fatigue excessive.
14:
31-35
§ 319. Aussi, le soir étant venu, le peuple,
harassé et exténué, se jeta sur le bétail qu'il avait pris aux
Philistins, et, assommant les bêtes sans les immoler, ce que
défendait la loi de Dieu (Lév. III, 17; XIX, 26; Deut. XII, 16),
il se hâtait d'apaiser sa faim. Saül, ayant appris ce qui se
passait, donna ordre qu’on amenât près de lui les victimes, il
dressa une grande pierre pour servir d'autel, et tout rentra dans
l'ordre; d'où l'on voit la puissance que Saül exerçait sur le
peuple et le bon usage qu'il savait en faire quand il voulait.
14:
36-45
§ 320. Après que les Israélites eurent pris
quelque repos, Saül manifesta l'intention de se remettre à la
poursuite des Philistins, et tous se montrèrent prêts à le suivre.
Mais Ahija, le sacrificateur, exigea que l'on consultât l'Éternel,
et l'Éternel consulté ne donna point de réponse. Ce silence des
oracles de Dieu, dans une telle occurrence, frappa Saül de
consternation. Il pensa que quelque péché grave, commis ce jour-là
dans l'armée, avait intercepté les communications du Seigneur avec
son peuple; comme il est vrai, en général, que c'est bien souvent
la cause pour laquelle il demeure sourd aux prières de ses enfants
(§ 89). Saül ordonna donc
une enquête, déclarant que le coupable, s'il y en avait un, serait
puni de mort. Et d'abord, qui a péché? Sont-ce les chefs, ou des
gens de l'armée? Pour s'en assurer, Saül et Jonathan sortent des
rangs, et le roi ayant prié Dieu de faire connaître la vérité
(ainsi porte le texte), Saül lui-même et Jonathan furent désignés.
Puis on tira le sort entre les deux princes, et le sort tomba sur
Jonathan. Saül avait fait une défense imprudente et il n'était pas
sans reproche dans tout cela; mais Jonathan était, lui, vraiment
répréhensible; non pas d'avoir violé une prohibition qu'il
ignorait, mais de l'avoir méprisée après qu'on la lui eut fait
connaître. Quant à Saül, jaloux d'établir de plus en plus son
autorité, et (oserions-nous le dire, si la suite de l'histoire ne
nous le permettait?) assez content, au fond, de se débarrasser
d'un fils dont les exploits obscurcissaient sa gloire, prononça
sur-le-champ l'arrêt de mort. Mais le peuple tout entier prit le
parti de Jonathan; il sollicita sa grâce, et Saül fut comme
contraint de l'accorder.
14:
46-52
§ 321. Tout ceci néanmoins affermit
considérablement le pouvoir de Saül. Après avoir refoulé les
Philistins au-delà de leurs frontières, il fit successivement et
avec d'éclatants succès la guerre aux Moabites, aux Hammonites,
aux Iduméens, aux Hamalékites. Il avait pour principal lieutenant,
outre ses fils Jonathan, Jisçui et Malkisçuah, son cousin germain
Abner, fils de Ner, et il sut attacher à son service tous les
hommes vaillants d'entre les enfants d'Israël. Sa femme s'appelait
Ahinoham, et il en eut deux filles, l'une nommée Mérab et l'autre
Mical; celle-ci était la cadette.
CVIII. Saül, les Hamalékites et Samuel.
15:
1-3
§ 322. Nous arrivons à une époque importante de
l'histoire de Saül. Son caractère personnel va se dévoiler tout
entier, et de ce moment aussi date sa décadence. — Mes lecteurs se
rappellent sans doute la malédiction que l'Éternel prononça contre
Hamalek pour le punir de la haine que cette tribu d'Iduméens (I, §
731) portait aux
Israélites, qui étaient pourtant leurs frères. Il y avait plus de
quatre cents ans de cela. Dès lors, l'irréligion avait fait des
progrès chez les Hamalékites; leurs iniquités étaient parvenues à
leur comble, et le Seigneur se décida finalement à les en châtier
de la manière même dont il avait usé jusque-là contre les seuls
Cananéens. Samuel, rappelant à Saül de qui il tenait sa couronne
et l'obéissance qu'il devait aux ordres du Seigneur, lui fit
connaître l'expédition, terrible et sainte tout à la fois, dont il
était chargé contre Hamalek (Deut. XXV, 17 à 19).
15:
4-7
§ 323. Comme il s'agissait d'un jugement de
Dieu, le peuple tout entier y fut convoqué. Deux cent dix mille
hommes se réunirent sous les étendards de Saül, et tout ce monde
eut bientôt envahi le territoire des Hamalékites. Au milieu de
ceux-ci vivait une portion de la tribu nomade des Kéniens, ces
parents du beau-père de Moïse qui, ayant suivi les Israélites en
Canaan, s'étaient logés principalement au sud (§ 132),
bien que d'autres eussent porté leurs tentes vers le nord (§ 171).
Or Dieu voulut montrer encore une fois que, dans son jugement
définitif, il ne confondra pas les justes avec les méchants (§ 76;
I, § 204, 335,
680). Il épargna les
Kéniens, en leur faisant dire de sortir du milieu des Hamalékites
voués à la destruction, comme il nous dit à nous-mêmes de ne pas
nous mêler avec les iniques. Cela fait, Saül tomba sur les ennemis
de Dieu; il tailla en pièces tous ceux qui ne purent échapper par
la fuite et détruisit la plus grande partie de leur bétail.
15:
8-9
§ 324. Cependant, il épargna le roi Agag, qui
ne le méritait guère, car c'était un homme chargé de crimes
(verset 33). De plus, Saül et ses gens gardèrent pour eux ce qu'il
y avait de mieux dans les troupeaux des Hamalékites. Saül était
fier d'avoir un roi à mener en triomphe, et à mettre au nombre de
ses esclaves; tous se réjouissaient de remplir leurs étables et
leurs parcs des bœufs et des moutons enlevés à l'ennemi. Mais où
était au milieu de cela leur respect pour la volonté du Seigneur?
Le péché était manifeste; il y avait désobéissance flagrante à la
voix de l’Éternel, et désobéissance occasionnée par deux passions
détestables: l'orgueil et l'avarice. Du reste, ne sont-ce pas
toujours nos mauvaises convoitises qui nous excitent à la révolte
contre Dieu?
15:
10-11
§ 325. Tandis que Saül revenait de son
expédition, la Parole fut adressée à Samuel, et une parole triste
comme du temps d'Héli (§
261). Saül avait entièrement jeté le masque; il avait
substitué sa propre volonté à celle de Dieu; et, de même qu'à
l'époque du déluge, l'Éternel, pour ainsi dire, s'était repenti
d'avoir fait l'homme (I, § 187),
il se repentait maintenant d'avoir investi Saül de la royauté. En
d'autres termes, il était résolu à le précipiter de son trône.
Combien cette révélation n'était-elle pas de nature à affliger
Samuel! Il aimait Saül, bien qu'il eût dû lui céder le
gouvernement, et quelle douleur pour lui de le voir rejeté de Dieu
en punition d'une rébellion si manifeste! Aussi cria-t-il à
l'Éternel toute la nuit.
15:
12
§ 326. Mais, bien que vivement peiné, il ne
laissa pas d'obéir au commandement de son Dieu, et dès le grand
matin il se mit en route. Vieillard plus que septuagénaire, il se
hâte au-devant de Saül, pour essayer si peut-être il n'y avait pas
quelque moyen de le ramener et de le réconcilier avec l'Éternel.
Chemin faisant, il apprend que le roi est allé à Carmel; non en la
montagne ainsi nommée, mais en quelque lieu désigné de la sorte à
cause de sa beauté et de sa fertilité. On lui dit qu'en cet
endroit Saül s'est érigé un monument, nouvel effet de son orgueil,
et qu'après cela il était descendu à Guilgal. Ce fut là que Samuel
l'atteignit; à ce même Guigal où ils avaient offert ensemble des
sacrifices, et où, huit ans auparavant, l'élection du fils de Kis
avait été confirmée avec tant de solennité! C'est aussi là qu'il
entendra prononcer sa déchéance.
15:
13-15
§ 327. Dès que le roi vit l'homme de Dieu, il
s'approcha de lui avec un extérieur plein de respect, et, de ce
ton doucereux que sait prendre l'hypocrisie, il le bénit au nom de
l'Éternel. Puis, comme quelqu'un qui se sent coupable et qui se
défend avant qu'on l'accuse: «J'ai exécuté l'ordre de l'Éternel,»
lui dit-il en affectant une grande assurance. «Et que signifient
donc, reprit Samuel, ce bêlement de brebis et ce mugissement de
bœufs qui frappent mon oreille?» «Ils les ont enlevés aux
Hamalékites, répondit Saül; le peuple a épargné ces brebis pour
les offrir en sacrifice à l'Éternel ton Dieu!» Que de ruses et de
mensonges en ce peu de mots! À supposer d'abord que quelques-uns
de ces animaux eussent cette destination, l'on n'avait sûrement
pas la pensée de les offrir tous. D'ailleurs, Saül sent
parfaitement que cette intention ne serait pas une excuse, car
voyez comme il cherche à rejeter la faute sur le peuple. Mais
l'Écriture dit en termes exprès que «Saül et le peuple,» et non
pas le peuple seul, avaient épargné ce bétail. Elle ne le dirait
pas que nous le devinerions, car la volonté de Saül était une
volonté à laquelle ses subordonnés ne pouvaient ni n'osaient se
soustraire; en sorte qu'il a beau dire: «Ils ont épargné;» c'est
avec son plein consentement, disons mieux, c'est par son ordre.
Remarquez enfin l'adresse qu'il met à gagner Samuel: «... pour
sacrifier à l'Éternel ton Dieu...»
15:
16-19
§ 328. Mais le prophète ne se laisse pas
séduire par ces discours, aussi mensongers que flatteurs. Il a
pour lui la parole du Dieu de vérité, et rien ne saurait l'en
faire départir. «O roi Saül, as-tu donc si vite oublié ce que tu
étais et ce que l'Éternel t'a fait devenir? Il y a huit ans, tu
semblais posséder quelque humilité (§ 294).
Était-ce déjà de la ruse et de l'hypocrisie? Non: tu sentais alors
ta petitesse, et maintenant les grâces de Dieu t'ont enflé le
cœur! Parce que tu commandes aux tribus d'Israël, tu méconnais
Celui qui en est le vrai roi. Il t'avait chargé d'une commission
et tu ne l'as exécutée que dans la mesure qui t'a convenu! O
roi Saül, tu n'as pas obéi à la voix de l'Éternel.»
15:
20-21
§ 329. «Pas obéi! répond Saül. Eh! quoi,
n'ai-je pas été dans le pays d'Hamalek? n'y ai-je pas porté la
destruction? Qu'est-ce qu'il fallait de plus? Parce que je me suis
réservé Agag; parce que le peuple (vous voyez qu'il persiste dans
son mensonge), parce que le peuple a sauvé quelques brebis et
quelques bœufs pour les sacrifier à l'Éternel ton Dieu, je serais
déclaré en révolte contre lui? Eh! n'est-ce pas, après tout, pour
sa gloire que j'ai agi?»
§ 330. Mes lecteurs, j'en suis sûr, démêlent sans trop de peine le sophisme de Saül. Ils savent qu'on aurait beau avoir obéi dans presque tous les points, si l'on en a omis un, un seul volontairement, on est coupable de désobéissance; on a méconnu l'autorité tout entière de la loi. Ils savent qu'obéir c'est mettre la volonté de celui qui ordonne à la place de la nôtre, et que si au contraire nous mettons, dans une mesure quelconque, notre propre volonté à la place de la sienne, nous n'obéissons plus. La conscience de Saül le lui disait elle-même, mais l'orgueil parlait plus fort que la conscience. Hélas! que de fois cela ne nous est-il pas arrivé!
15:
22-23
§ 331. Saül croyait donc pouvoir compenser par
des sacrifices l'imperfection de son obéissance, comme ceux qui se
permettent certains profits illicites en se condamnant à quelques
aumônes, ou qui se livrent à des plaisirs mondains le dimanche
après s'être mortifiés par quelques actes du culte, ou bien encore
qui voient dans la participation à la Cène du Seigneur un moyen
d'innocenter toutes sortes de vices. Mais non; la Parole de Dieu
nous déclare ici par la bouche de Samuel que rien ne tient lieu
d'obéissance. Si Jésus-Christ est venu porter nos péchés sur la
croix, ce n'est pas afin de donner pleine latitude à notre volonté
propre; c'est au contraire pour nous inculquer la soumission de la
foi. Et lorsque Dieu institua les sacrifices des temps anciens, il
eut pour but d'inspirer l'horreur du péché, tout en figurant
d'avance le Sauveur, mais non point d'autoriser les pécheurs dans
leur révolte. La Parole de Dieu nous déclare de plus, par le
ministère de Samuel, que, si la superstition et l'idolâtrie sont
des désordres affreux, la désobéissance volontaire n'est pas un
moindre mal. Ainsi, vous, mes lecteurs, vous n'adorez pas les
dieux du paganisme, vous ne priez pas, je pense, les saints de la
papauté, vous avez en pitié et en abomination tant d'erreurs
grossières; mais si vous ne vivez pas dans l'obéissance quant à
Dieu, vous n'êtes pas en meilleure condition que les idolâtres.
«C'est pourquoi, dit enfin Samuel, parce que tu as rejeté la
Parole de l'Éternel, il t'a aussi rejeté afin que tu ne sois plus
roi.» Six ans auparavant, il lui avait déjà fait entendre la même
menace (§ 315): mais
hélas! Saül l'avait oubliée, et plus Dieu se montrait patient
envers lui, plus il le méprisait. L'homme non converti est si
habile à s'étourdir et à étouffer la voix de la conscience; il est
si naturel d'oublier les paroles auxquelles on n'a pas cru et si
facile d'éconduire des pensées importunes!
15:
24-25
§ 332. Il aurait fallu toutefois être plus
endurci que Saül ne l'était alors, pour ne se pas sentir ému par
les menaces, et si fortes et si justes, du prophète. Aussi le
voyons-nous, changeant de ton, s'écrier avec une apparente
douleur: «J'ai péché, car j'ai transgressé le commandement de
l'Éternel!» Mais, bien que ce cri ressemble à de l'humiliation, il
est manifeste que Saül n'avait pas un cœur repentant. Ce qui le
prouve, c'est qu'il cherche toujours à s'excuser en maintenant son
premier mensonge; or le vrai pénitent passe condamnation sans
arrière-pensée. Ce qui le prouve encore, c'est qu'il est plus
occupé du désir de rentrer en grâce auprès de Samuel qu'auprès de
Dieu. «J'ai transgressé tes paroles,» lui dit-il par une flatterie
toute semblable à celle de tantôt, «j'ai transgressé Tes paroles,
et voilà sans doute ce qui t'irrite contre moi; mais maintenant
pardonne-moi mon péché, sois avec moi comme auparavant, et je me
prosternerai devant l'Éternel.»
15:
26-29
§ 333. Non, dit le prophète, je ne retournerai
point avec toi adorer l'Éternel, car l'Éternel t'a définitivement
rejeté; et comme il se disposait au départ, Saül, transporté de
colère (autre preuve que son repentir n'était qu'apparent), Saül
prit le pan du manteau de Samuel et le déchira. «Ainsi a fait le
Seigneur, dit alors le vieillard. De même que tu déchires mon
vêtement, l'Éternel t'enlève les insignes de la royauté pour les
donner à un homme meilleur que toi. Sentence irrévocable, car
Celui qui est la force d'Israël ne mentira point et ne se
repentira point, parce qu'il n'est pas homme pour se repentir.»
Cette déclaration du St-Esprit nous atteste que s'il est dit
quelquefois de Dieu, et dans ce chapitre même, qu'il se repent,
c'est, comme nous l'avons fait observer, une expression figurée
qui ne détruit pas la doctrine de l'immutabilité des conseils du
Très-Haut. Non, l'Éternel ne ment point et il ne se repent point.
Tout ce qu'il dit est vrai; tout ce qu'il se propose, il
l'exécute, et tout ce qu'il fait est bien fait. Parole consolante
pour les fidèles, mais aussi parole terrible pour le pécheur qui
refuse de se convertir, foudroyante en particulier pour Saül,
menteur, rebelle et sans repentance!
15:
30
§ 334. Je dis sans repentance, et le voilà
pourtant qui s'écrie de nouveau: j’ai péché! Oui, mais que penser
d'un pénitent qui, au lieu de s'humilier, demande à être honoré
devant un peuple rebelle comme lui. N'est-il pas évident que sa
repentance est toute en vue de l'homme et non pas en vue de Dieu?
C'est ce que fut la vôtre, mes chers lecteurs, lorsqu'ayant commis
une faute, vous cherchâtes le pardon des hommes plus que celui du
Seigneur; que vous songeâtes à vous soustraire au châtiment plus
qu'à réparer vos torts; que vous fûtes tristes par dépit, par
orgueil, par colère, plus que par amour pour le Dieu que vous
aviez offensé. Une repentance de cette nature, entièrement
étrangère à la foi, n'est l’objet d'aucune promesse du Seigneur;
car, s'il fait grâce aux humbles, il résiste aux orgueilleux.
15:
31
§ 335. Ce n'est pas à dire toutefois qu'il
exécute immédiatement ses desseins contre les pécheurs endurcis,
ni même qu'il leur retire entièrement sa bonté. Nous en avons,
dans cet endroit même, un exemple frappant. Le règne et la vie de
Saül devaient se prolonger encore quelques années. Or il importait
qu'il conservât jusqu'à la fin une juste autorité sur le peuple.
C'est pourquoi Samuel ne voulut pas l'exposer au mépris public. Il
resta quelques moments avec lui, pendant qu'il rendait ses vœux au
Seigneur. C'est ainsi que dans l'intérêt d'une famille, par
exemple, Dieu permet que les péchés des parents demeurent ignorés
de leurs enfants et longtemps impunis; mais tout se retrouve à la
fin. § 336. Saül put le
voir de ses yeux dans le châtiment que subit en sa présence
l'impie Agag. Celui-ci devait porter la peine des cruautés dont sa
tyrannie s'était rendue coupable. Samuel ayant donc exécuté sur
lui le jugement de Dieu, il partit pour Rama, tandis que Saül de
son côté se rendait à Guibha. Dès ce moment le prophète ne fit
plus aucune visite à celui que l'Éternel avait rejeté. Ce n'est
pas qu'il l'eût pris en aversion, car il ne cessait au contraire
de répandre des larmes à son sujet.
CIX. Onction de David. Sa première victoire.
16:
1-3
§ 337. La douleur de Samuel devint même
excessive. Elle contenait comme un secret murmure contre les
jugements de Dieu, et ce murmure venait sans doute de ce que son
affection pour Saül n'était pas dépouillée de tout retour sur
lui-même. Il avait été l'instrument de son élévation et il ne
pouvait accepter l'idée de sa déchéance. Samuel toutefois ne se
faisait pas d'illusion sur la méchanceté du roi; car lorsque
l'Éternel lui eût ordonné de se rendre à Bethléhem pour oindre un
des fils d'Isaï, il craignit que Saül, dont la demeure était entre
Rama et Bethléhem, venant à apprendre son voyage et à en deviner
peut-être le but, ne poussât l'emportement jusqu'à le faire
mourir. C'est pourquoi le Seigneur dit au prophète d'emmener avec
lui une génisse dont il ferait une sainte oblation, but ostensible
de son voyage. Il n'y avait dans cette manière d'agir ni mensonge
ni subterfuge, car le sacrifice devait en effet précéder l'onction
du fils d'Isaï, et le Seigneur n'était nullement obligé de faire
connaître à Saül le message dont il chargeait Samuel. C'est d'une
façon toute pareille que Moïse avait dû s'y prendre avec Pharaon
(I, § 652).
16:
4-6
§ 338. Cet Isaï que je viens de nommer nous est
déjà connu, du moins par ses ancêtres. Fils d'Obed, il descendait
du respectable Booz et de Ruth, l'aimable et pieuse Moabite; par
Booz, il était issu de Salmon et de la Cananéenne Rahab; par
Pharez, enfin, un des aïeux de Salmon, il avait pour pères Juda,
Jacob, Isaac et Abraham (§§
164, 76; l, §§ 518,
519). Il était donc
Israélite et de la tribu à laquelle le sceptre appartenait selon
la prophétie de Jacob (I,
§ 592). Il habitait
Bethléhem, où ses aïeux avaient obtenu leur héritage à l'époque du
partage de Canaan (Juges XVII, 8) et où se trouvait le sépulcre de
Rachel (I, § 496). Isaï,
déjà d'un certain âge, était père de huit fils. Le cadet pouvait
avoir dix-sept à dix-huit ans; et c'est au milieu d'eux que
l'Éternel avait résolu de choisir un roi dont le règne vaudrait
mieux que celui de Saül. Samuel, paraît-il, ne connaissait pas
personnellement cette famille, soit peut-être qu'il fût allé
rarement à Bethléhem, soit qu'Isaï et ses fils fussent des gens de
peu de piété. Je ne sais même si l'on ne pourrait pas, d'une
manière générale, en dire autant des Bethléémites, et cela
expliquerait la frayeur que leur causa l'arrivée du prophète.
Cependant celui-ci offrit son sacrifice; après quoi, jetant les
yeux sur Eliab, l'aîné des fils d'Isaï, il jugea, à sa bonne mine,
que c'était celui qu'il devait oindre de la part de l'Éternel. . .
16:
8
§ 339. Tout prophète qu'il était, et malgré sa
grande et sainte foi, Samuel ne possédait pas l'infaillibilité. En
dehors de l'inspiration divine, il pouvait se tromper comme un
autre, et, pour lui non plus, il n'y avait de lumière que par la
Parole de Dieu. L'exemple de Saül aurait dû lui enseigner qu'un
extérieur avantageux ne suffit point et que bien souvent
l'apparence est trompeuse; mais il fallut que le Seigneur le lui
dît expressément. «L'Éternel n'a point égard aux choses auxquelles
l'homme a égard; l'homme a égard à ce qui frappe les yeux, mais
l'Éternel a égard au cœur.» Belle parole! vérité d'une application
très étendue et très grave! Non seulement ce n'est pas la beauté,
le rang, la fortune, l'esprit (choses que l'homme admire), qui
rendent un homme agréable à Dieu; mais encore les pompes du culte
et l'extérieur de la dévotion, des paroles de repentir et de foi,
des actes éclatants de bienfaisance, ne sont rien à ses yeux si le
cœur ne s'est pas donné. Aussi n'est-il pas rare que ce qui est le
plus admiré des hommes soit en abomination devant l'Éternel.
16:
8-13
§ 340. Samuel, sachant donc maintenant qu'Eliab
n'était point l'élu du Seigneur, se fit présenter successivement
tous les fils d'Isaï. Il y en avait sept à la maison, et le choix
de l'Éternel ne s'arrêta sur aucun d'eux. Mais Samuel apprit
d'Isaï qu'il possédait un huitième fils et que celui-ci gardait en
ce moment les troupeaux dans la campagne, comme Abel, Joseph et
Moïse autrefois. On le fit chercher et, dès qu'il fut arrivé, le
prophète répandit sur sa tête l'huile sainte de l'onction. Ce
jeune homme s'appelait David. Avec lui l'histoire du peuple
d'Israël et des révélations divines entre dans une période
nouvelle et à plusieurs égards fort différente de celles qui
précèdent. Les fils d'Abraham , d'Isaac et de Jacob vont prendre
une place importante parmi les peuples; le culte du vrai Dieu, tel
que Moïse l'institua, 8-13 recevra de grands développements; mais
surtout le Saint-Esprit animera une foule de prophètes et ajoutera
aux saints écrits de Moïse et de Josué plusieurs livres nouveaux,
où seront déposés, pour les fidèles de tous les siècles, les
oracles du Dieu vivant. On peut inscrire comme date de ce moment
solennel, l'an 1067 avant la naissance de Celui qui devait porter
d'une façon particulière le nom de Fils De David, à savoir
Jésus-Christ notre Seigneur.
16:
12-18
§ 341. David, fils d'Isaï, était blond, de
bonne mine, beau de figure. Quoique jeune, il était déjà d'une
grande force; il avait montré son courage en plus d'une occasion;
il parlait avec facilité et il possédait un grand talent pour la
musique. Si donc il est vrai, comme on n'en saurait douter, que
Dieu n'a pas égard à l'apparence, nous voyons qu'il sait aussi,
quand il le faut, choisir les instruments de ses desseins parmi
des hommes qui joignent aux dons de la grâce, les dons extérieurs
propres à assurer le succès. Mais ce qui, avant tout, mit David en
état de faire l'œuvre à laquelle Dieu l'appelait, ce fut
l'influence puissante de l'Esprit de l'Éternel qui, dès le moment
de son onction, reposa sur lui. Les dons du Saint-Esprit sont de
diverses sortes; nous l'avons déjà vu plus d'une fois dans cette
histoire; or la suite nous montrera que David reçut du Seigneur
autre chose et plus que Samson, autre chose et mieux que Saül.
L'Esprit de Dieu fit de lui, non pas seulement un roi, mais un
vrai prophète; non pas seulement un prophète, mais un saint; et,
par-dessus tout cela, un type signalé de ce Jésus qui, son fils
selon la chair, a été déclaré Le Fils De Dieu par sa résurrection
d'entre les morts (Rom. 1,3, 4).
16:
14-23
§ 342. En même temps que l'Éternel oignait
David de son Saint-Esprit, il le retirait de Saül. Ce malheureux
monarque, qui s'était toujours plu à mettre sa volonté au-dessus
de la volonté de Dieu, avait emporté avec lui la malédiction de
Samuel (§ 333), comme le
tigre emporte dans le désert le trait mortel qui l'a frappé.
Maintenant il se sent abandonné de Dieu; il comprend qu’il n'est
plus roi de sa part; quoiqu'il ne sache pas comment tout cela va
finir, il voit que son règne, sa prospérité et sa vie se hâtent
vers leur terme, et après qu'y aura-t-il? Livré, par un juste
jugement de Dieu, à la puissance du prince des ténèbres, il ne
goûte aucun repos, son caractère passionné s'aigrit de plus en
plus, il se livre à d'affreuses violences, et ses courtisans,
effrayés, imaginent divers moyens pour calmer son agitation. Or,
de même qu'on peut endormir certaines douleurs physiques sans
toutefois guérir le malade, il n'est pas impossible non plus
d'imposer momentanément silence aux remords d'une conscience
troublée. Les mondains excellent en cet art. Ils ont à leur
disposition toute espèce de distractions et de plaisirs. Le soir,
en rentrant du bal, du spectacle ou du cabaret (pour n'oublier
aucune classe de la société), ils semblent avoir oublié tout ce
qui, d'ordinaire, assombrit leurs pensées et irrite leurs cœurs;
mais, le matin revenu, leur état moral est pire qu'il n'était la
veille. Ainsi en fut-il de Saül. Parmi les récréations qu'on
imagina de lui fournir, on n'eut garde de négliger la musique, car
il en est peu qui sachent aussi bien nous sortir de nous-mêmes
sans brusquer nos sentiments. On avait oui dire qu'un fils d'Isa!
s'y distinguait; on le fit appeler, et voilà par quelle direction
de la Providence David fit ses premiers pas vers le trône. La
famille de ce jeune homme avait compris le danger auquel elle
l'aurait exposé en divulguant le résultat de la visite de Samuel;
c'est pourquoi Saül ne se douta pas que David fût|son successeur,
désigné de Dieu. Il ne put s'empêcher de l'aimer dès le premier
moment et il le retint à son service.
17:
1-11
§ 343. Cependant le fils d'Isaï ne demeurait
pas constamment auprès de Saül. C'est ce que nous lisons quelques
lignes plus bas (vers. 15). Un jour donc qu'étant rentré chez son
père, il y avait passé, à ce qu'il paraît, un temps assez long,
une nouvelle guerre éclata entre Israël et les Philistins. Comme
de coutume, cette vaillante nation eut bientôt dépassé les
frontières. Elle avait alors au milieu de ses soldats ou de ses
chefs, un homme d'une taille et d'une force extraordinaires qui
répandait la terreur dans l'armée de Saül. Son nom est bien connu,
puisqu'il est devenu proverbial comme celui de Samson. Quoiqu'il y
ait une mesure moyenne assignée à la taille de l'homme, de même
qu'une certaine durée à sa vie, on sait toutefois qu'il est,
aujourd'hui même, des peuples où tous sont d'une taille et d'une
force vraiment prodigieuses comparativement à d'autres peuples. On
sait aussi qu'il se rencontre de temps en temps quelques géants
qui, sans être parvenus à l'immense stature de Goliath, nous
donnent une idée de ce qui fut possible dans ces temps anciens.
Toutes les traditions nous parlent de races gigantesques, et la
Bible nous atteste que ces faits ne sont point fabuleux (Deut.
III, 11). Le Philistin Goliath, plein de confiance en ses forces
et plus encore d'inimitié contre Dieu, provoquait l'un après
l'autre les guerriers de Saül. Personne n'osait accepter le défi
et les ennemis de l'Éternel triomphaient de cette lâcheté par les
acclamations les plus insultantes. Mais, si l'Esprit du Seigneur
s'était retiré de Saül et des siens, il reposait sur le jeune
David.
17:
12-29
§ 344. Les choses en étaient là, lorsque Isaï
le chargea de porter à ses frères des provisions de bouche, qui
devenaient d'autant plus nécessaires que la campagne se
prolongeait outre mesure. Arrivé au camp, David apprend ce qui se
passe; il dépose son fardeau; il court vers le champ de bataille;
il entend les insultes du Philistin; il sait les récompenses
promises à qui le vaincra. Comme le cœur de David bouillonnait au
dedans de lui et qu'il prenait ses informations en homme qui se
dispose à agir, ses frères, Eliab surtout, jaloux peut-être de
l'honneur que l'Éternel avait fait au plus jeune d'entre eux, lui
manifestèrent, en termes fort durs et fort injustes, le
mécontentement qu'ils éprouvaient de le voir si occupé de ce qui,
à leur avis, ne pouvait le concerner. Ce trait me rappelle ce qui
est dit de notre Seigneur: que «ses frères mêmes ne croyaient pas
en lui.» Ah! c'est qu'il est difficile à un serviteur de Dieu de
gagner tous les cœurs; et pourtant David se montre ici sous un
jour bien aimable, car vous remarquerez sans doute la manière
douce et ferme tout à la fois dont il répondit aux discours
violents et injurieux de ses frères.
17:
30-37
§ 345. David cependant ne se laissa point
détourner de son dessein, et il manifestait une telle résolution
que, de bouche en bouche, ses propos parvinrent à Saül. Celui-ci
fait approcher le jeune homme et, quand il le voit prêt à
combattre Goliath, il cherche à le dissuader de cette folle
entreprise en lui représentant sa jeunesse et son inexpérience de
la guerre. Là-dessus David lui raconte, avec la modestie du vrai
courage, comment Dieu lui avait donné la victoire contre un lion
et une autre fois contre un ours. Ces bêtes féroces lui enlevaient
une des brebis confiées à ses soins; il les avait frappées, d'un
coup de fronde peut-être, et comme elles se dressaient contre lui
il les avait prises par la mâchoire et les avait ainsi achevées.
Or, quand il voyait de quels opprobres ce Philistin abreuvait le
peuple de Dieu, il ne doutait pas que l'Éternel ne lui donnât la
force de le terrasser. C'était donc pour la gloire du Seigneur et
en comptant sur son aide que l'oint de l'Éternel voulait entrer
dans la lice!
17:
38-40
§ 346. Ravi de ce discours et entraîné par la
piété de David, Saül lui dit: «Va, et que l'Éternel soit avec
toi!» Il voulut néanmoins le revêtir de son armure et lui ceindre
son épée, afin de le munir contre les coups du Philistin et de lui
rendre l'attaque plus assurée. David s'y prêta d'abord; mais,
chargé de tant de fer et d'airain, il avait peine à se mouvoir.
Bientôt donc il se dépouille de ce poids inutile et, sans autre
arme que son bâton et sa fronde, avec cinq cailloux bien lisses
recueillis dans le torrent qui coulait au fond de la vallée, il
marche à la rencontre de Goliath. Nouvel exemple de ce qui fait la
force du chrétien contre les ennemis de Dieu et de son salut (§ 187).
Ce n'est pas le nombre, ce ne sont pas les ressources de la
prudence humaine, mais c'est la foi, la prière et la sainte Parole
de Dieu. En un mot, et ce mot est d'un apôtre de Jésus-Christ,
«les armes de notre guerre ne sont pas charnelles (2 Cor. X, 4).»
17:
41-53
§ 347. Ces armes saintes, le mondain les
méprise; il s'irrite contre ceux qui s'en servent et il s'efforce
de croire qu'elles ne sauraient les garantir. Tout cela se voit
dans le discours que Goliath tint à David, à ce jeune insolent qui
s'avançait contre lui comme contre un chien! Mais observez aussi
de quel ton résolu, bien que sans jactance, David sait lui
répondre. Il proclame hautement qu’il se présente au nom de
Jéhovah; qu'il attend de lui seul la victoire et que l'Éternel va
se glorifier par ses faibles mains. David était prophète, en ce
moment solennel. Cela dit, il court au Philistin; il agite sa
fronde; le caillou part et, guidé par Celui qui fait mourir et qui
fait vivre (II, 6), il atteint le front du géant, qui, étourdi et
à moitié assommé, ébranle le sol sous son poids énorme. Le temps
de tirer l'épée était venu. David saisit celle de Goliath et lui
sépare la tête du tronc. À l'instant une terreur subite s'empare
des Philistins; Israël, au contraire, se sent animé d'un courage
qu'il ne connaissait plus depuis longtemps, et une victoire
éclatante fut acquise au peuple de Dieu.
17:
54
§ 348. Plus tard, savoir lorsque David se vit
sur le trône, il transporta la tête de Goliath à Jérusalem comme
monument de son triomphe, et il fit de l'armure du Philistin un
trophée qu'il plaça dans sa tente. Mais il eut auparavant bien des
épreuves à essuyer et bien des combats à soutenir; en cela image
et type de notre Sauveur, qui, après avoir remporté la victoire
contre Satan , lorsqu'il fut tenté quarante jours dans le désert,
eut encore immensément à souffrir de sa part et à lutter contre
lui, jusqu'à sa dernière victoire sur la croix. Puis, comme David
aussi, le Seigneur est entré dans son règne, en la sainte cité de
Dieu, portant avec lui les dépouilles de l'ennemi vaincu. Or, si
vous qui lisez ces lignes vous êtes à Jésus-Christ, dites-vous
bien que vous avez des combats pareils à livrer, et qu'en faisant
usage des armes de la foi, une même victoire vous est assurée.
CX. Premières épreuves de David.
17:
55-58
§ 349. Quelques personnes pensent que Saül
n'avait pas reconnu David au moment où il vint offrir ses services
contre Goliath. Il y avait probablement assez longtemps qu'il
était absent de la cour; à son âge, quelques mois suffisent
souvent pour changer l'aspect de la physionomie, et l'on
comprendrait que Saül, préoccupé de mille soins, ne se fût pas
même demandé qui il était. Ce qu'il y a de sûr, du moins, c'est
qu'il ne le reconnut, ni quand il s’avança contre Goliath, ni
quand il rentra dans le camp après la bataille. Saül, sans doute,
n'avait pas vu le moment où David s'était débarrassé de son
armure, en sorte qu’il ne comprit pas quel était cet audacieux qui
se précipitait à une mort certaine; et lorsque, après la bataille,
le fils d'Isaï, couvert de sang et de poussière et encore échauffé
du combat, se présenta devant le monarque, celui-ci se refusait à
voir en lui son jeune musicien ou, comme on dit, il ne pouvait en
croire ses yeux.
18:
1-5
§ 350. Quant à Jonathan, qui vivait
habituellement à l'armée, il n'avait peut-être jamais rencontré
David, dans les courtes apparitions que celui-ci avait faites chez
Saül. Il se sentit touché d'une vive amitié pour le courageux
vainqueur de Goliath, et son affection ne fit dès lors que
s'accroître. Saül, de son côté, reconnaissant enfin dans le fils
d'Isaï le jeune homme qui avait quelquefois charmé ses ennuis par
les accents de sa voix et les accords de son luth, le retint
entièrement à son service, et, le plaçant à la tête de quelques
troupes, il lui confia diverses expéditions dans lesquelles David
remporta constamment de nouvelles victoires. Il se faisait
d'ailleurs chérir de tous ceux qui approchaient le roi.
18:
6-10
§ 351. La faveur publique dont jouissait David,
loin de plaire à Saül, ne fit qu'exciter sa jalousie. Déjà,
lorsqu'il ramena son armée en triomphe, après la mort de Goliath
et la déroute des Philistins, les femmes avaient chanté un hymne
de guerre où elles disaient que David avait tué dix fois plus
d'ennemis que Saül, et l'orgueilleux monarque lui en gardait une
profonde rancune. Il l’envisageait comme son rival et peut-être
commençait-il à se douter qu'il réchauffait dans son sein le
successeur dont Samuel l'avait menacé. Un autre homme se serait
soumis humblement à la volonté de Dieu (§
262); mais si Salit eût été un autre homme, Dieu ne l'aurait
point rejeté. Quoi qu'il en soit, le malheureux monarque, repris
par ses humeurs sombres et agité par le méchant esprit auquel Dieu
donnait la permission de le tourmenter, allait et venait dans sa
maison comme un forcené que dévorait l'horrible passion de la
jalousie et de la haine. Il tenait sa hallebarde en sa main, et
David, touché de compassion, cherchait à le calmer par le chant
des beaux cantiques que lui dictait le Saint-Esprit.
18:
11-16
§ 353. Deux fois Saül tourna son arme contre
David, et deux fois le Seigneur garda la vie de son oint. Or Saül
qui ne pouvait s'empêcher d'y reconnaître la protection de
l'Éternel n'en craignit que davantage celui dont le Seigneur se
faisait ainsi le bouclier. «Saül craignait David!» Quand c'eût été
le contraire, on n'y verrait rien d'étonnant. Mais non; c'est bien
comme cela! Le monde a plus peur des enfants de Dieu, que ceux-ci
n'ont peur du monde. Cependant, ils ne lui veulent point de mal;
mais le monde sent que l'Éternel est avec eux, et voilà ce qui
l'effraie. Au reste, la peur donne de mauvais conseils. Pour
éloigner David de sa personne et l'exposer aux dangers de la
guerre, Saül lui prescrivit de rejoindre l'armée et d'y demeurer.
Par là, il prépara lui-même la gloire de son successeur; car ce
grand et bon capitaine se faisait généralement aimer, et, comme
Joseph, il réussissait dans tout ce qu'il entreprenait, parce que
l'Éternel était avec lui.
18:
17-30
§ 354. Cependant, Saül ne s'était point pressé
de remplir l'engagement qu'il avait pris envers le vainqueur de
Goliath. H devait lui donner en mariage sa fille Mérab, mais il
voulut la lui faire acheter par de nouvelles victoires, espérant
toujours qu'il tomberait dans quelque bataille. Il ignorait, Saül,
que ce que Dieu garde est bien gardé. Enfin, quand le moment fixé
fut venu, le roi n'eut pas honte de trahir sa parole en donnant sa
fille à un autre homme. Mais comme Mical, la sœur cadette de
Mérab, aimait David, Saül imagina que celui-ci consentirait à
l'épouser, et même qu'il se soumettrait, dans ce but, aux
conditions les plus extravagantes. Il exigea donc que David tuât
cent Philistins et qu'il lui fournit, de cet exploit, une preuve
incontestable. David revint de cette expédition, comme de toutes
les autres, et il épousa Mical. Dès ce moment, Saül aurait dû
s'efforcer d'aimer un homme qui était devenu son gendre; mais au
contraire, il l'eut toujours plus en haine, et peut-être par la
raison même que cette alliance l'avait rapproché du trône.
19:
1-10
§ 355. La passion de Saül en vint à un tel
excès, qu'il forma le projet de faire mourir David, non par
surprise, mais tout ouvertement, et il ne craignit pas d'en parler
à Jonathan et aux officiers de sa cour. À l’ouie de cette
communication, et après en avoir donné avis à David , Jonathan
prit avec chaleur la défense de son compagnon d'armes et de son
ami. Sur quoi, Saül, feignant d'abandonner son dessein, déclara
solennellement que David ne mourrait pas, et, plein d'une horrible
impiété, il prit l'Éternel à témoin de la sincérité de ses
paroles. Mais quelque temps après, comme David célébrait devant le
roi les louanges de l'Éternel, la haine de Saül reparut avec une
nouvelle violence et peu s'en fallut qu'il ne commît le meurtre
auquel sa rage le poussait. David s'enfuit et se réfugia dans sa
maison.
§ 356. Pour cette fois, Saül semblait résolu d'en finir. Il dépêcha des hommes, avec charge d'envahir, vers le point du jour, le domicile de son gendre et de lui ôter la vie. Cependant, que faisait David exposé à tant de dangers? Il répandait son âme devant le Seigneur, et nous avons sa prière dans le Psaume LIX, psaume qui commence par ces mots: «Mon Dieu ! délivre-moi de ceux qui me haïssent, garantis-moi de mes adversaires», et qui se termine en ces termes si remarquables: «Pour moi, je chanterai ta force et je louerai à haute voix ta bonté dès le matin, parce que tu as été pour moi une haute retraite et un refuge lorsque j'étais XIX dans la détresse. 0 Dieu, qui es ma force! je psalmodierai à ton honneur, car Dieu est ma haute retraite; il est le Dieu qui m'est très-propice»!
19:
12-17
§ 357. En effet, ce même matin, David marchait
en liberté dans la campagne, et, pendant que les oiseaux faisaient
résonner leurs joyeux accents au milieu du feuillage (Psaume CIV,
12), il pouvait chanter à haute voix l'hymne de la délivrance.
Mical, secrètement informée des intentions de Saül, avait fait
évader son mari, et quand vinrent les émissaires du roi, ils ne
trouvèrent dans le lit de David qu'un théraphim (I § 462),
habillé et coiffé de manière à figurer un homme endormi. Cette
supercherie n'était pas nécessaire, puisque David, dans tous les
cas, était hors de la portée de ses ennemis, et peut-être Mical
voulut-elle simplement se moquer des officiers de Saül. Mais ce
qui, de sa part, est vraiment inexcusable, c'est le mensonge
qu'elle fit à son père. David était incapable de la menacer comme
elle dit qu'il l'avait fait, et en l'accusant de la sorte elle
donnait lieu à des jugements fort injurieux pour son mari. Quant à
ce théraphim qui se trouvait en la possession de Mical et qui
rappelle ceux de Rachel, on se demande s'il y avait donc de
l'idolâtrie dans la famille de Saül, si David la connaissait et la
tolérait chez lui, ou bien si c'était une idole, triste reste de
l'ancienne superstition, qui était demeurée dans un coin, sans
qu'on lui rendît aucun culte? La dernière supposition me paraît la
plus probable.
19:
18-24
§ 358. David avait pris le bon parti de fuir à
Rama, près du vénérable prophète qui l'avait oint de la part de
l'Éternel. Il était sûr d'y trouver, outre des consolations et des
lumières, maintes occasions de célébrer les louanges de son Dieu,
ce qu'il faisait toujours avec tant de plaisir. Comme il était là,
on vit quelque chose de bien extraordinaire et toutefois d'assez
facile à expliquer. Saül ayant envoyé des gens pour s'emparer de
David, ils arrivèrent à Najoth , espèce de séminaire ou d'école de
théologie près de Rama, au moment où Samuel présidait une
assemblée de fidèles qui louaient et invoquaient l'Éternel, en
s'entretenant de sa Parole. Saisis d'un profond respect à cette
vue, et sans dire, on le conçoit, ce qui les amenait, les
émissaires du roi se joignirent à l'assemblée et participèrent au
culte qu'elle rendait au Seigneur. Ainsi en fut-il des nouveaux
messagers que Saül envoya bientôt sur leurs traces. Or, comme
Guibha était près de Rama et que la sainte convocation se
prolongeait, Saül lui-même s'y rendit, et, subjugué à son tour par
l'esprit qui régnait dans l'assemblée, il prophétisa avec les
autres, après s'être dépouillé de ses riches vêtements. En sorte
qu'on put, mieux que jamais, répéter le proverbe qui datait du
jour de sa vocation à la royauté (§ 297).
§ 359. Il est admirable d'observer les divers moyens dont Dieu se sert pour protéger ceux qu'il aime et particulièrement son Église. Nous verrons dans la vie de notre Sauveur qu'un jour les Pharisiens envoyèrent des huissiers pour le saisir, et comme ceux-ci revenaient sans l'amener, ils se justifièrent en disant que «jamais homme n'avait parlé d'une manière semblable.» Or, ceux-là aussi prophétisèrent, car ils rendaient gloire à Dieu, en des termes qui sont l'expression exacte de la vérité. Plus d'une fois aussi l'on a vu des ennemis du Seigneur s'introduire dans une assemblée chrétienne avec l'intention de la troubler, et se sentir troublés eux-mêmes, se joindre au culte qu'on célébrait et y recevoir les premières impressions d'une repentance véritable, ce qui, hélas! ne fut pas le lot de Saül
20:
1-29
§ 360. David s'étant douté des projets
sanguinaires qui avaient conduit Saül à Najoth se rendit auprès de
son cher Jonathan pour se concerter avec lui. Jonathan, fils aussi
respectueux qu’ami fidèle, ne pouvait croire à la méchanceté de
son père. Toutefois, il fut convenu entre eux d'une épreuve à
laquelle ils le soumettraient, afin de s'assurer de ses véritables
dispositions. L'on était à la nouvelle lune, et, comme Saül et sa
famille en célébraient la fête (Nombr. X, 10; XXVIII, 11 et
suiv.), il demanda pourquoi David n'occupait pas sa place
accoutumée parmi ses fils. Or, il était à Bethléem, caché quelque
part dans la campagne. C'est ce que Jonathan dit à son père, en
lui taisant cette dernière circonstance, et en ne lui parlant que
du sacrifice de famille auquel David avait dû assister avec les
siens.
20:
30-33
§ 361. Si Saül n'avait pas nourri contre son
gendre de funestes desseins, il n'y aurait rien eu dans la réponse
de Jonathan qui pût l'irriter. Mais tout enflamme un cœur
passionné qui rencontre des obstacles imprévus. Aussi, après avoir
déchargé sa colère sur Jonathan en reproches aussi amers que mal
fondés, le malheureux roi lança contre lui sa hallebarde. Il ne le
tua point; mais le parricide n'en était pas moins commis devant
Dieu, et Jonathan comprit, hélas! que si, par haine pour David,
son père n'avait pas craint de lever la main contre son propre
fils, il n'épargnerait sûrement pas le fils d'Isaï, comme il
affectait de le nommer.
20:
34-43
§ 362. C'est pourquoi, plein d'une juste
indignation, Jonathan se transporta le lendemain aux lieux où se
cachait son ami. Selon qu'ils en étaient convenus, il lança un
dard ou une flèche, de manière à dépasser le jeune garçon dont il
s'était fait accompagner, et il lui cria: «La flèche est au-delà.
Va, cours, ne t'arrête point.» C'était dire à David qu'il n'avait
d'autre parti à prendre que celui de la fuite, et c'était le lui
dire de façon à n'être compris que de lui, s'il se trouvait
quelqu'un dans le voisinage. Combien le cœur de ces deux amis ne
devait-il pas être ému! Ému en pensant au triste état de leur père
et de leur roi; ému à l'idée de se séparer pour ne se revoir
peut-être jamais! Aussi David ne put-il résister au désir
d'embrasser encore une fois son cher Jonathan. Il se jeta le
visage contre terre, se prosternant à trois reprises; puis il
courut dans les bras de son frère. L'un et l'autre répandirent
d'abondantes larmes, David surtout; enfin, ils se quittèrent,
après que Jonathan eût invoqué, sur eux et sur leur postérité, la
bénédiction de l'Éternel. «Va en paix,» dit-il à David. Or
vraiment, c'était dans sa foi seule et dans la communion de son
Dieu, que David pouvait trouver cette;paix! Jonathan donc rentra
dans la ville, tandis que son frère, son ami s'en allait répétant
peut-être en son cœur le Psaume XXIII; et le futur roi d'Israël
fut errant pendant plusieurs années.
CXI. David à Nob, à Gath, à Mitspé et à Héreth.
21:
1
§ 363. Accompagné de deux ou trois de ses
serviteurs (Luc VI, 3), David se porta du côté de l'ouest sans
trop savoir peut-être où il allait. Cependant il y avait sur cette
route un objet bien propre à attirer ses pas. Le Tabernacle était
en ce moment à Nob, non loin de Guibha, de Rama et de la ville de
Jérusalem, bientôt si célèbre. Ahimélec, arrière-petit-fils d’Héli
et frère d'Ahija (§ 317),
à moins que ce ne soit Ahija lui-même sous un autre nom, Ahimélec
en était alors le gardien, y et ce fut vers lui que David dirigea
premièrement sa fuite. Or, soit qu'il eût jugé à propos de se
présenter seul au sacrificateur, soit que celui-ci fût étonné du
petit nombre de ses gens, soit aussi qu'il remarquât' quelque
chose d'extraordinaire dans le visage de David et qu'il devinât à
moitié son histoire, Ahimélec manifesta une vive frayeur et voulut
que David lui expliquât ce que tout cela signifiait.
21:
2-7
§ 364. Le fugitif, encore plus effrayé que son
hôte, lui fit croire qu'il était chargé par Saül d'une mission
secrète et que le gros de sa troupe devait le rejoindre ailleurs.
Après quoi, pressé par la faim, il demanda des vivres à Ahimélec,
quels qu'ils fussent. Il n'y avait là que les pains consacrés (I,
§ 803), et le
sacrificateur, après quelque hésitation, finit par les donner à
David, bien qu'il ne fût permis qu'aux seuls fils d'Aaron d'en
manger (I, § 911; Lévit.
XXIV, 9).
§ 365. On ne saurait désapprouver la conduite d'Ahimélec, puisque notre Seigneur Jésus-Christ lui-même la justifie (Luc VI, 1-5). Il est vrai que les pains d'exposition ne pouvaient servir de nourriture commune, mais il y avait une loi plus haute qui imposait au sacrificateur l'obligation de ne pas laisser mourir de faim un homme tel que David; et d'ailleurs, les pains devaient être remplacés par d'autres ce jour même. Quant à la conduite de David, il n’est pas aussi facile de l'excuser, aussi ne l'essaierai-je pas. Le respect de la vérité, cette obligation si généralement négligée et pourtant si grave, doit marcher avant tout. Rien ne fait présumer qu'en usant de plus de franchise, David eût excité une compassion moindre dans le cœur d'Ahimélec. Ce fut, il est vrai, pour ne le pas compromettre que David s'enveloppa de détours. Il mentit par charité, si toutefois la vraie charité ne consiste pas à parler vrai dans tous les cas; mais, loin d'avoir été utile, cette fausse prudence eut les suites les plus funestes. Il y avait, en ce moment, chez Ahimélec, un Iduméen nommé Doëg, homme dévoué à Saül. Il lui fut d'autant plus facile de tout savoir, que le sacrificateur, auquel David s'était présenté comme revêtu d'une mission royale, ne crut pas nécessaire de lui rien cacher. Or, nous verrons tout à l'heure l'usage terrible que ce misérable Doëg fit du secret dont il était devenu fortuitement le dépositaire.
21:
8-15
§ 366. L'épée de Goliath était alors déposée
dans le Tabernacle. David l'ayant reçue des mains d'Ahimélec,
poursuivit sa route et arriva bientôt à Gath, ville des
Philistins, dont Goliath était originaire. Le roi de cette ville
s'appelait Akis. Il fallait vraiment que David fût réduit à une
bien grande extrémité et qu'il eût, en quelque sorte, perdu la
tête, pour se jeter comme un désespéré au milieu des ennemis de
son peuple. Pensait-il peut-être qu'on ne le reconnaîtrait pas! Il
y a lieu de le croire, car, lorsqu'il vit que son nom était dans
toutes les bouches, avec le souvenir irritant de ses exploits, il
fut saisi d'une telle peur qu'afin d'échapper à une mort en
apparence inévitable, il feignit toutes les allures d'un fou
imbécile. À la vue de ce personnage, qu'on lui donnait pour le
vainqueur de Goliath et qui ne lui semblait propre qu'à exciter la
pitié, sinon le dégoût, Akis manifesta son mécontentement à ceux
qui le lui avaient amené, et il le chassa de sa présence. Quant à
David, heureux d'avoir échappé au danger qu'il craignait, il entra
dans le pays de Juda, pour se rapprocher de Bethléem. De cette
manière, il avait fait le tour des montagnes à l'ouest de Benjamin
et de Juda.
§ 367. On est humilié pour David de la nouvelle supercherie dont il se rendit coupable à Gath; car, faire l'insensé quand on ne l'est pas, c'est mentir comme lorsqu'on donne pour faux ce qui est vrai, ou pour vrai ce qui est faux. Mais hélas! nous avons déjà remarqué dans l'histoire d'Abraham de quelles fautes peut se rendre coupable un serviteur de Dieu, quand il se laisse aller à de mauvaises craintes, ou, en d'autres termes, quand il oublie les promesses du Seigneur. (I, § 265). Cependant, il ne faut pas s'imaginer que David eût complètement fait naufrage quant à la foi. Lisez le Psaume XXXIV, et vous vous convaincrez du contraire. Le nom d'Abimélec était le terme générique sous lequel se désignaient les rois des Philistins, ceux du moins d'une certaine tribu (I, § 414); en sorte qu'il s'agit bien ici du roi Akis, et ce psaume doit avoir été composé par David, peu après sa fuite de Gath. C'est un des plus beaux que le Saint-Esprit ait inspirés à son cœur pieux. Après y avoir célébré l'Éternel, il exhorte les fidèles à le bénir et à se confier en lui, à le craindre lui seul et non pas les hommes, ensuite de quoi, il oppose aux misères des méchants les privilèges des justes. — Je recommande surtout à l'attention de mes lecteurs, les versets 1 , 7-9, 13, 18 , 22; le treizième surtout, où l'on voit le sentiment que David avait de sa faute.
22:
1-5
§ 368. Les montagnes de Juda entre Gath et
Bethléem, sont toutes percées de grottes naturelles. L'une d'entre
elles s'appelait, au temps de David, la caverne d'Hadullam. Ce fut
là qu'il se retira pour quelques jours et que, sans doute, il
composa le beau cantique dont je viens de parler; ce fut aussi là
que l'Éternel eut pitié de son isolement et qu'il lui envoya
beaucoup de gens pour partager son infortune. Outre sa famille,
qui fuyait probablement la colère du roi, il vit venir à lui
quantité d'individus pauvres et opprimés, au nombre d'environ
quatre cents. À la tête de cette troupe, il acheva de traverser le
pays de Canaan et il arriva chez les Moabites, qui, l'envisageant
comme un réfugié politique et leur allié naturel, lui accordèrent
la permission d'occuper une de leurs places fortes nommée Mitspé.
Quant à David, il n'avait pensé qu'à mettre entre Saül et lui,
sinon une grande distance, du moins une barrière assez difficile à
franchir, puisque la Mer Morte séparait le pays de Moab d'avec la
terre de Juda. Mais pendant qu'il était là, un prophète de
l'Éternel, Gad, élève probablement de Samuel, se rendit auprès de
David, de la part de Dieu ou de celle de son maître, pour lui
représenter combien il avait tort de demeurer au milieu
d'étrangers avec lesquels on pourrait croire qu'il voulait s'unir
contre sa patrie. C'est pourquoi David quitta incontinent le pays
de Moab, et, regagnant le sol natal, il se réfugia dans la forêt
de Héreth, au pays de Juda.
22:
6-9
§ 369. Saül, en l'apprenant, feignit de croire
que David s'approchait avec des intentions hostiles. Peut-être le
crut-il réellement, car les perfides ne voient partout que
perfidie. En conséquence, il réunit à Rama les hommes de la tribu
de Benjamin, à laquelle il appartenait par sa naissance, et,
s'efforçant d'exciter leur jalousie contre la tribu de Juda, il
leur persuada que David se disposait à la guerre; puis, les
prenant par l'intérêt, il leur représenta ce qu'ils perdraient à
ne plus avoir un roi de leur tribu; et, afin de les stimuler par
des menaces, il leur reprocha leur inclination réelle ou prétendue
pour le fils d'Isaï.
22:
9-16
§ 370. Doëg, l'Iduméen, cet homme riche qui
avait l'intendance des nombreux troupeaux de Saül, jaloux de
plaire à son maître et de lui prouver qu'il avait des serviteurs
dévoués et fidèles, saisit cette occasion pour rapporter ce qu'il
avait vu chez Ahimélec, en y ajoutant une indigne calomnie, savoir
que le sacrificateur avait consulté l'Éternel en faveur de David
et de sa cause. Il n'en fallait pas davantage pour enflammer la
colère de Saül. Il mande auprès de lui Ahimélec et toute la
famille des sacrificateurs; il les accuse de conspirer avec David
contre son trône et contre sa vie; Ahimélec a beau raconter d'un
accent naïf tout ce qui s'est passé: sa justification est
complète; mais le roi l'a déjà condamné dans son cœur. Ahimélec
est un homme de Dieu; il a secouru David, qui, sans lui, périssait
de faim; Doëg, le favori de Saül, est son accusateur; c'en est
assez: le roi le condamne à mort avec toute sa famille, comme
coupable de haute trahison.
22:
17-20
§ 371. Qui exécutera cette épouvantable
sentence? Les hommes d'armes s'y refusent, pénétrés qu'ils sont
d'un saint respect pour le sacrificateur de l'Éternel; mais le
descendant d'Esaü se charge du massacre. Seul, ou aidé de ses
serviteurs, Doëg versa le sang de ces hommes qui se laissèrent
égorger comme des brebis, et en ce jour-là périrent tous les
descendants d'Héli avec leurs proches, au nombre effrayant de
quatre-vingt-dix personnes. Tous, dis-je, excepté Abiathar, fils
d'Ahimélec. Cet Abiathar joua dès lors un rôle assez important
pour donner son nom à l'époque où il vécut. Il était à Nob avec
son père lorsque David y arriva, et ce fut probablement par son
conseil qu'Ahimélec avait livré au fugitif les pains consacrés
(Luc VI).
22:
21-23
§ 372. Quelle douleur pour celui-ci en
apprenant de la bouche d'Abiathar l'horrible scène dont Rama
venait d'être le théâtre! Quelle amertume surtout lorsqu'il dut
reconnaître qu'il était la cause indirecte de cette catastrophe!
Si du moins il avait agi selon la vérité avec Ahimélec, il
n'aurait pas eu la conscience chargée de ce sang; tandis que,
maintenant, c'est avec raison qu'il s'écrie: «J'ai causé la mort
de tous ces gens.» Sans doute que Saül était le vrai coupable;
mais vous reconnaissez en David le cœur d'un enfant de Dieu. Loin
de songer à se blanchir lui-même, il s'impute le crime au-delà
peut-être de ce qui était strictement juste, mais non pas au-delà
de ce qu'exigeait un sincère repentir. Puis il songe à réparer ses
torts, autant du moins que la chose était possible: «Demeure avec
moi,» dit-il à Abiathar, «ne crains rien; celui qui cherche ma vie
cherche la tienne. Certainement, tu seras en sûreté avec moi.»
§ 373. Dans l'émotion que lui causa ce terrible événement, David prononça un des chants de louange et de prophétie que lui dictait l'Esprit de Dieu. Il y décrit la méchanceté de Doëg, méchanceté trop commune hélas! car combien n'est-il pas de gens dont la langue in5-7 vente le mal! Ensuite, il annonce que la trahison de l'Iduméen n'échapperait pas au juste jugement de l'Éternel; et, pour ce qui le concernait lui-même, «c'est en la bonté de Dieu que David s'assurait à toujours et en son nom qu'il ne cessait d'espérer!» — Vous étonnez-vous peut-être de la confiance que le psalmiste met en Dieu malgré ses chutes? Dans ce cas, je vous rappellerai que, si nous devions attendre d'être sans péché pour nous reposer sur Dieu, nous ne serions jamais en état de le faire. C'était donc par la foi que le cœur repentant du fils d'Isaï s'assurait en la bonté du Très-Haut.
CXII. David bat les Philistins. Il fuit devant Saül et lui sauve la vie.
23:
1-6
§ 374. Pendant que Saül, tout occupé de sa
haine contre David, ne pensait qu'aux prétendues entreprises de ce
jeune guerrier, comme s'il eût été capable de fomenter la guerre
civile et d'oublier ce que Saül lui était, les Philistins,
toujours en armes, se portèrent sur Kéhila, ville forte de Juda, à
l'ouest de la forêt de Héreth, et bientôt ils eurent pillé les
granges dépendantes de cette ville. David, dont le cœur ne battait
que pour son Dieu et pour le pays de ses pères, forma sur-le-champ
le projet d'attaquer les Philistins avec sa petite troupe. Il
avait près de lui le souverain sacrificateur Abiathar. Par son
intermédiaire, il consulta l'Éternel, et, d'après la réponse qui
lui fut faite, il partit malgré les craintes de ses gens et battit
à plate couture les ennemis du Seigneur.
23:
7-13
§ 375. Cet exploit du fils d'Isaï aurait dû
réjouir le cœur de Saül, en lui montrant que David n'en voulait
qu'aux oppresseurs de son peuple. Mais la passion aveugle, et le
roi d'Israël interpréta tout autrement la conduite de son gendre.
Il se persuada qu'en repoussant les Philistins de Kéhila et en
s'établissant dans cette ville forte, il avait voulu s'en faire un
point d'appui pour attaquer avec avantage celui qui avait plus
d’une fois attenté à jours; car les méchants se rendent justice
plus qu'on ne pense. Saül donc assemble tout son monde; il marche
sur Kéhila dans l'intention d'y cerner David, et celui-ci, que
fera-t-il en cette extrémité? Homme vraiment pieux, il consulte
l'Éternel. Si les habitants de Kéhila l'avaient voulu protéger, il
aurait pu être en sûreté dans leurs murs; mais il apprend qu'ils
se disposent à le trahir et qu'il faudra se battre. Or, plutôt que
de verser le sang de ses frères, il part et il s'enfonce de
nouveau dans les montagnes de la Mer Morte, au pays de Ziph.
23:
14-18
§ 376. Quelle existence que celle de David! Par
combien d'infortunes il marche vers un trône qu'il n'avait point
ambitionné! L'Éternel cependant ne le laissa pas sans secours.
Outre les consolations du Saint-Esprit qui lui dictait toujours
quelque nouveau cantique, le Seigneur lui donna dans ce moment, un
des plus tristes de sa vie, les consolations si douces de
l'affection fraternelle. Son cher Jonathan le joignit dans une
forêt du désert de Ziph et il fortifia sa foi par des paroles
admirables de confiance et de renoncement. «Bannis toute crainte,»
dit Jonathan à David, «Saül, mon père, ne saurait te faire mourir,
car c'est toi que l'Éternel destine à lui succéder. Il le sent
bien, et c'est hélas! ce qui l'irrite. Quant à moi, ô mon cher
David, je te cède volontiers le trône, trop heureux si tu m'admets
à te seconder dans ton administration!» Pauvre Jonathan! ou
plutôt, heureux Jonathan! il ne savait pas que, lorsque David
entrerait dans son règne, il serait, lui, dans un royaume meilleur
que ceux d'ici-bas!
23:
19-24
§ 377. Mais si David avait quelques amis qui
lui demeuraient fidèles, ses ennemis étaient en bien plus grand
nombre. Partout, hélas! il ne trouvait que perfidie et trahison.
Les Ziphiens découvrirent à Saül le lieu où il se tenait caché, et
ils offrirent de le lui livrer. Il vous faut lire dans la Bible
même la réponse de Saül pour voir quel ton patelin sa violence
savait prendre, et comment il osait, l'impie, se donner les
apparences d'un homme qui apprécie la bénédiction de l'Éternel. De
retour dans leurs montagnes, les Ziphiens n'y retrouvèrent point
David, qui, ayant eu vent de leurs menées, avait fui plus au midi,
dans le désert de Mahon.
23:
25-28
§ 378. Sans se laisser décourager par ce
contretemps, Saül, décidé d'en finir, se mit à la poursuite de
David. Bientôt il l'atteignit et ils se trouvèrent marchant en
même sens dans deux vallées latérales; mais Saül arriva le premier
au point où elles se réunissaient. C'en était fait de David et des
siens, si l'Éternel n'était venu à leur secours. On a vu plus
d'une fois les enfants de Dieu, et en général l'Église du
Seigneur, n'échapper à des dangers imminents que par les divisions
qui survenaient entre leurs ennemis. Souvent, pour tirer son
peuple des mains des méchants, Dieu suscite à ces derniers des
affaires qui détournent leur attention et occupent ailleurs leur
activité. C'est ce qui eut lieu dans cette occasion. Les
Philistins, toujours sur le qui-vive, avaient appris que Saül
venait de quitter le centre de ses états et s'était présenté avec
son armée tout à fait au sud-est du pays. Le moment était trop
favorable pour qu'ils n'en profitassent pas. Saül fut donc
soudainement averti que ses dangereux voisins envahissaient son
territoire, et il dut ordonner une prompte retraite. Ce fut ainsi
que David se vit dégagé; et le lieu où Saül avait eu son dernier
campement reçut un nom qui rappelait cette admirable dispensation
de la Providence: le rocher de l'heureuse diversion.
24:
1
§ 379. Alors David reprit son chemin plus au
nord, vers les montagnes affreuses qui dominent la Mer Morte et
qui portaient le nom de Hen-Guédi, à cause des nombreux chamois
qu'on y rencontrait. Là sont de vastes cavernes, très profondes,
où plusieurs milliers d'hommes peuvent aisément se retirer, et où
David alla pour quelque temps abriter ses infortunes. Ne croyez
pas, toutefois, qu'il fût, à proprement parler, malheureux, car
l'Éternel était avec lui. Pour vous en convaincre, lisez les
psaumes LVII et CXLII, qui lui furent probablement inspirés à
cette époque. Vous y verrez avec quelle confiance il attendait de
Dieu seul le jugement de ses ennemis, et vous n'aurez pas de peine
à comprendre que, nourrissant de telles pensées, dans la communion
de son Dieu, il ait pu échapper à la grande tentation où il plut
au Seigneur de l'amener bientôt après (I, 352).
24:
2-4
§ 380. Saül ayant repoussé les Philistins avec
sa valeur ordinaire, apprit où se cachait David et se remit en
campagne contre lui, à la tête de trois mille hommes. Il arriva
près de la caverne, et il y entra, dit le texte hébreu, «pour
couvrir ses pieds.» Cette expression, qui se trouve dans le livre
des Juges, chap. III, vers. 24, vient probablement de ce que les
anciens, dont les jambes étaient nues, souffraient surtout en
cette partie de leur corps, des ardeurs du soleil. D'où il
suivrait que Saül pénétra dans ce lieu sombre pour s'y rafraîchir,
et, selon toute apparence, il s'y endormit tandis que ses soldats
étaient en faction devant la caverne. Or, comme je l'ai dit, la
plupart de ces grottes naturelles sont très vastes; elles ont
quelquefois plusieurs issues, et c'est là ce qui fait la sûreté de
ceux qui s'y réfugient. Les hommes que David avait mis en
sentinelle au dedans de la caverne, mais non loin de l'ouverture,
virent Saül entrer sous cette voûte obscure, se débarrasser de son
manteau et se coucher sur la terre. Aussitôt, et à petit bruit,
ils allèrent avertir leur maître de ce qui se passait.
24:
5-8
§ 381. Fatigués de la vie errante et périlleuse
qu'ils menaient, les compagnons de David, moins pieux et moins
patients que lui, devaient souvent désirer la mort de leur
persécuteur. Quand ils le sentirent en leur puissance, ils
n'hésitèrent pas à solliciter David d'en finir avec son
adversaire, et ils lui représentèrent que c'était l'Éternel même
qui le livrait entre ses mains. Or, sans doute que c'était Dieu
qui mettait de la sorte le méchant Saül à la merci du fils d'Isaï;
mais était-ce pour qu'il le tuât ou pour qu'il usât de miséricorde
à son égard? La question ne parut pas douteuse au cœur de David.
S'approchant de Saül, il se borna donc à couper un pan de son
manteau, et il se retira tout ému d'avoir seulement osé porter le
fer sur le vêtement de celui qui était à la fois son roi et son
père. Revenu auprès de ses gens, il vit que leur colère
s'enflammait, qu'ils menaçaient d'accomplir le meurtre; mais, par
des paroles pleines de force et d'autorité, il parvint à retenir
la fureur de leurs bras. Et ce fut ainsi que Saül put reprendre
tranquillement son chemin.
24:
9-16
§ 382. David, cependant, crut devoir profiter
de l'occasion pour faire sentir au roi la grandeur de ses torts.
Du haut de son rocher il l'appelle, il se prosterne devant lui, il
lui reproche d'écouter les calomnies de ses détracteurs; pour
preuve qu’il n'est animé d'aucun mauvais dessein, il lui montre le
pan de son manteau, et il finit par en appeler à Dieu, comme au
juge qu'il ne craint pas d'invoquer dans leurs différents, et
comme au protecteur dont il réclame l'assistance. — J'ai affaibli
ce discours en l'analysant. Vous le lirez vous-mêmes et vous serez
frappés du ton doux et ferme, charitable et vrai, avec lequel
David exprime ses sentiments. On y voit un homme qui est
merveilleusement soutenu et dirigé par la grâce de Dieu.
24:
17-23
§ 383. Mais que dire de la réponse de Saül! Si
nous ne connaissions pas déjà son hypocrisie, nous pourrions nous
laisser prendre à ces belles apparences. Le voilà qui pleure, qui
appelle David son fils, qui reconnaît la générosité de sa
conduite, qui prie l'Éternel de le bénir, qui semble se résigner à
le voir monter sur le trône, et qui, même, recommande les siens à
sa clémence! Effet de la peur; émotion d'un homme violent qui
réprime sa colère; cri d'une conscience, je le veux aussi, qui ne
saurait méconnaître l'admirable charité d'un ennemi; mais, enfin,
tout cela n'était que des impressions passagères. Le fils d'Isaï
connaissait trop Saül pour se fier à ses discours; aussi, tandis
que le roi s'en retournait à Guibha, David s'enfonçait de nouveau
dans ses montagnes.
CXIII. Mort de Samuel. David et Abigaïl. David épargne de nouveau Saül.
25:
1-3
§ 384. Ce fut en ce temps-là que mourut Samuel,
seize ans environ après qu'il eut abdiqué entre les mains de Saül.
À l'époque de sa mort, il comptait quatre-vingts années, car ce
devait être vers l'an 1059 avant la naissance de Jésus-Christ. La
Bible ne nous dit rien des dispositions dans lesquelles mourut ce
saint homme, parce que, après une vie comme la sienne, il n'y a
pas deux manières de mourir. Mais combien ses vieux jours
n'eurent-ils pas besoin des consolations du Dieu fort, assombris
qu'ils furent par l'impiété croissante de Saül, par les infortunes
de David et par l'horrible fin de la famille d'Héli, dans la ville
même qu'il habitait (§ 369)!
Cette dernière circonstance toutefois, en lui rappelant la
prophétie dont il avait été l'organe plus de soixante ans
auparavant (1 Sam. III, 13, 14), ne put que fortifier sa foi, le
convaincre toujours plus de la fermeté des paroles du Très-Haut,
et, comme il espérait en ses promesses, il s'endormit sans doute
dans une grande paix.
§ 385. La nouvelle de cette mort dut causer à David une profonde douleur, car il perdait plus qu'un père. La crainte que lui inspirait Saül s'augmenta, comme si la colère de ce furieux avait pu être modérée par la présence de Samuel! Quittant donc une seconde fois le pays de Canaan, il gagna les déserts de Paran, en Arabie (I, § 942). Mais bientôt les vivres lui manquèrent; il reprit le chemin de Mahon, et il arriva dans le voisinage d'un Israélite fort riche, nommé Nabal, ou l'Insensé. Cet homme sortait de bonne souche, puisqu'il était de la famille de Caleb, l'ami de Josué, mais il était loin de ressembler à ce serviteur de Dieu. D'un caractère violent et irascible, il n'avait rien de ce qui attire la confiance. Sa femme, au contraire, Abigaïl, sage et belle tout à la fois, exerçait une grande et bonne influence sur ceux qui l'entouraient.
25:
4-13
§ 386. Dans ses nombreuses migrations, David
s'était souvent trouvé près de Nabal, et toujours il avait pris
sous sa sauvegarde ses propriétés et ses gens. Il ne doutait pas
que Nabal ne vint maintenant à son aide, et il l'espérait d'autant
plus qu'à ce moment on faisait la tonte des brebis, temps de fête
et de générosité pour les peuples bergers, comme le sont ailleurs
les vendanges ou les moissons. Au lieu de cela, Nabal repoussa les
messagers de David avec une dureté sans excuse et dans les termes
les plus insultants. David et les siens n'étaient, à l'entendre,
que de misérables esclaves, échappés de chez leur maître, qu'il
fallait laisser mourir de faim. Aussi David, cet homme de paix qui
n'avait jamais frappé que des ennemis d'Israël et qui avait
déployé tant de clémence à l'égard de Saül, se sentit ému d'une
vive colère, et, résolu de châtier Nabal, il se mit en marche avec
deux cents de ses soldats, tous bien armés.
25:
13-31
§ 387. Si l'on tenait à justifier David, on
pourrait parler de la faim qui le pressait, lui et ses gens, de
l'horrible ingratitude de Nabal, de l'insulte dont cet insensé
accompagna son refus; mais rien n'excuse la vengeance personnelle,
et il vaut mieux confesser que David sortit ici des dispositions
de l'enfant de Dieu, pour suivre les mouvements de son cœur
naturel. C'est ce qui rend plus frappante l'admirable conduite
d'Abigaïl. Cette femme prudente, douce, aimable et pieuse, ayant
été informée de ce qui se passait, prit sur elle de réparer la
brutalité de son mari. Précédée de provisions recueillies à la
hâte et pourtant assez considérables, elle se rend elle-même
auprès de David. Dès qu'elle le voit, elle se prosterne à ses
pieds et prononce un discours où, tout en parlant avec une entière
vérité, elle dit les choses les plus propres à calmer la passion
du guerrier malheureux, et quelle passion que la colère! Elle lui
demande de faire tomber sur elle le châtiment qu'il préparait à
Nabal; elle le supplie de ne voir dans la conduite de cet homme
qu'un véritable trait de folie; elle lui parle enfin de manière à
le convaincre qu'elle n'est pas de ceux qui désirent sa perte.
«Ah! si les ennemis de David étaient tous aussi impies et aussi
livrés à leurs passions que l'était Nabal, ils seraient assez à
plaindre; et quant à lui, s'il veut ne pas ternir sa réputation,
ne pas avoir à se reprocher plus tard un sang répandu par
vengeance, qu'il laisse au Seigneur le soin de châtier le
coupable, comme il l'avait toujours fait avec tant de bénédiction
pour son âme!»
25:
32-35
§ 388. Adressé à un homme du caractère de Saül,
le discours d'Abigaïl n'aurait fait que l'exaspérer; mais David
était un enfant de Dieu momentanément égaré, et cette
répréhension, à la fois douce et ferme, eut l'action la plus
bienfaisante sur son cœur. «Béni soit l'Éternel, béni soit ton
conseil, et sois bénie toi-même, ô Abigaïl! J'allais répandre le
sang et me venger; j'allais tout exterminer chez Nabal; mais
remonte en paix dans ta maison: j'ai écouté ta voix et je
t'accorde ta demande.» Il est donc vrai qu'«une parole dite à
propos est pleine de force.» Et si nous avons vu ailleurs des
femmes abuser de leur influence et quelques hommes s'y laisser
entraîner (I, §§ 84, 107,
298), nous voyons ici
combien cette influence peut se trouver bonne et salutaire,
lorsque la femme a réellement à cœur la gloire de Dieu et qu'elle
est animée de foi et de charité, comme l'épouse de l'insensé
Nabal.
25:
36-38
§ 389. Sa prudence ne se démentit pas plus que
les folles passions de son mari. De retour auprès de lui, elle le
trouva dans ce honteux état où se plongent hélas! tant d'hommes
qui, privés de la paix de l'âme par un effet de leurs péchés et de
leur impiété, demandent au vin l'étourdissement de leur
conscience. Ce n'était pas le moment de parler à Nabal; aussi
Abigaïl ne le fit-elle point. Mais, le lendemain matin, elle dut
lui avouer la démarche qu'elle avait osé tenter pour le mettre à
couvert de la colère du fils d'Isaï, et, quand il comprit le
danger qu'il avait couru, «son cœur,» dit le texte sacré, «son
cœur mourut dans son corps et il devint comme une pierre;»
c'est-à-dire qu'il fut frappé d'une sorte d'apoplexie. Puis, après
une maladie d'environ dix jours, le malheureux Nabal rendit le
dernier soupir.
25:
39-42
§ 390. La joie qu'éprouva David à cette
nouvelle ne doit pas être mal comprise. Il avait sûrement pardonné
à Nabal; mais la main de l'Éternel se montrait avec tant
d'évidence dans cette mort, qu'il ne put s'empêcher d'adorer le
jugement du Seigneur, et, tout à la fois, la grâce qu'il lui avait
faite en le préservant de répandre le sang. C'était d'Abigaïl que
Dieu s'était servi pour fléchir son cœur; aussi David pensa-t-il
aussitôt à la prendre pour femme. Elle obéit avec une grande
humilité; et vraiment, personne n'était plus digne qu'elle de
devenir la compagne du futur roi d'Israël.
25:
43,
41
§ 391. Mais David n'était-il pas déjà l'époux
de Mical? Hélas! au nombre si grand des iniquités dont Saül
s'était rendu coupable envers son gendre, il faut ajouter celle
qui nous est racontée en ce lieu-ci. Il avait donné Mical à un
autre homme. Son nouveau gendre s'appelait Palti, fils de Laïs; en
sorte que David n'était que trop libre de ce côté. Il n’en est pas
moins vrai que, lorsqu'il épousa l'excellente Abigaïl, il s'était
déjà remarié, et sa femme avait nom Ahinoham. Malheureusement pour
lui, comme on devra le reconnaître, il suivit, à cet égard, les
traces d'Elkana, de Jacob , d'Abraham même, et, avant tous, de
Lémec (I, § 163). Bien
plus, nous le verrons par la suite, imitant les rois et les grands
de son temps, avoir d'autres fewmmes encore qu'Ahinoham et
qu'Abigaïl. La polygamie, sans doute, ne doit pas être confondue
avec le libertinage et l'adultère; toujours est-il qu'elle est en
opposition manifeste avec l'ordre primitif établi de Dieu, et que
par elle la vie de famille et le bonheur domestique sont
impossibles.
26:
1-4
§ 392. Du désert de Mahon, David retourna plus
au nord, vers les montagnes du pays de Ziph où nous l'avons vu
précédemment. Trahi une seconde fois par les habitants, qui
appartenaient cependant comme lui à la tribu de Juda, il apprit
bientôt que Saül approchait avec ses trois mille hommes. Mais,
cette fois, il ne se laissa pas surprendre; ce fut lui, au
contraire, qui surprit Saül dans son camp.
26:
5-8
§ 393. Ici paraissent de nouveaux personnages
avec lesquels nous ferons dans la suite plus ample connaissance.
On voit au premier livre des Chroniques, chapitre II, verset 16 ,
que Tséruia était sœur de David, en sorte que Abisçaï et Joab
étaient ses neveux. Or, bien qu’à l'époque où nous sommes
parvenus, David n'eût guère plus de vingt-huit ans, ses neveux
pouvaient très bien être alors des hommes propres à la guerre, si
leur mère était sensiblement plus âgée que David et qu'elle se fût
mariée jeune. Quoi qu'il en soit, il ressort de cette histoire
qu'Abisçaï était d'un caractère impétueux. En voyant le profond
sommeil où l'Éternel avait plongé Saül et sa troupe, il ne douta
pas que la fin de leur ennemi ne fût venue. Il offrit donc à David
de l'en délivrer, s'engageant à le frapper de telle sorte qu'il
n'y eût pas à y revenir.
26:
9-11
§ 394. Le danger des tentations s'accroît à
mesure qu'elles se répètent; les circonstances d'ailleurs
pouvaient sembler fort différentes. Dans la caverne, Saül s'était
livré à David sans le vouloir, et il y aurait eu une sorte de
trahison à profiter de son erreur; mais, aujourd'hui, il est dans
son propre camp, entouré de ses gens, près de son fidèle Abner, et
pourquoi ne se gardent-ils pas mieux qu'ils ne le font? Si David
avait été de ces hommes qui n'ont d'autre principe que de n'en
point avoir, qui, même avec des cœurs chrétiens, se laissent
conduire par les circonstances, obéissent aveuglément aux faits
accomplis, consultent ce qui est expédient plutôt que des règles
fixes qu'on pense décréditer en les appelant des théories, il
n'aurait pas manqué d'écouter les propositions d'Abisçaï. Mais,
non. Les raisons qui lui avaient fait épargner Saül précédemment
subsistaient dans toute leur force. Saül est l'oint de l'Éternel.
David ne cédera pas à l'intérêt personnel qui lui ferait porter
une main impie sur un homme auquel Dieu seul doit retirer le trône
et la vie. Il part donc; mais, pour convaincre toujours mieux Saül
qu'il n'en veut pas à sa personne, il part emportant avec lui sa
hallebarde et sa cruche d'eau.
§ 395. Si nous voulons toujours mieux connaître la source où David puisait tant de charité et de grandeur d'âme, lisons le psaume que le Saint-Esprit lui dicta dans ce même temps. Nous y verrons comment les désirs de David avaient essentiellement pour objet la grâce et la gloire de Dieu; comment il mettait en l'Éternel toute sa sûreté, attendant de lui seul la délivrance dont son âme surtout avait besoin; enfin, comment il lui est donné de prédire sa propre gloire et son triomphe sur les ennemis de son règne, paroles qui attestent la foi de David et qui ont eu leur accomplissement, d'abord en lui, puis en notre Seigneur Jésus-Christ.
CXIV. David à Tsiklag. Saül à Hendor.
27:
1-4
§ 396. Bien que Saül parût vivement touché de
cette nouvelle preuve de la générosité de David, celui-ci ne crut
pas devoir se fier à lui plus qu'auparavant. La charité n'exclut
pas la prudence. Il comprit que Saül, froissé dans son orgueil par
la douceur même de sa victime, n'aurait pas de contentement qu'il
ne s'en fût débarrassé; c'est pourquoi, il prit le parti de passer
avec ses six cents hommes dans le pays des Philistins, espérant
non sans raison qu'Akis s'estimerait heureux d'avoir sous sa main
des gens aguerris, qui ne demanderaient pas mieux, sans doute, que
de marcher avec lui contre Saül. Aussi les accueillit-il avec
bienveillance comme on accueille les ennemis de ses propres
ennemis. C'était, dans tous les cas, une bonne capture qu'il
faisait, et il en fut tout fier. Quant à David, il bénit l'Éternel
du refuge momentané qu'il lui accordait. «O Dieu,» dit-il,» je
m'acquitterai des vœux que je t'ai faits: je te rendrai des
actions de grâces, puisque tu as garanti mon âme de la mort et mes
pieds de chute, afin que je marche devant Dieu, dans la lumière
des vivants.»
27:
5-12
§ 397. Il répugnait cependant à David de
demeurer avec Akis, si près des frontières de Benjamin. Il demanda
donc et obtint pour sa résidence une petite ville appelée Tsiklag,
située à l'extrémité méridionale du pays, non loin des
Guesçuriens, des Guirziens et des Hamalékites échappés au fer de
Saül (§ 323). Pendant un
an et quatre mois qu'il habita Tsiklag, il livra plusieurs combats
contre ces peuples; mais il n'avait garde d'avouer ces
expéditions, parce que les Hamalékites, maudits de Dieu comme les
Philistins, étaient les alliés naturels du roi Akis. Il cachait
donc ses marches avec beaucoup d'habileté, et faisait croire au
roi qu'il ne portait la guerre qu'aux habitants du pays d'Israël.
C'est pourquoi Akis comptait pleinement sur David, calculant que,
par sa conduite, il s'interdisait tout retour auprès des siens.
Or, quelles que soient les ruses autorisées à la guerre (§86), il
est difficile de justifier celles que se permettait ici l'Oint de
l'Éternel. Tant il est vrai que le mal est attaché à notre âme, et
que l'enfant de Dieu a encore plus besoin d'être gardé contre les
tentations du péché, que contre ceux qui menacent ses jours!
28:
1-2
§ 398. Mais il est rare que celui qui agit par
détours ne se prenne pas dans ses propres filets. La guerre ayant
éclaté de nouveau entre les Philistins et Saül, Akis ne manqua pas
de réclamer l'assistance de David et de ses gens. Il leur offrit
la place honorable de ses gardes du corps, et, comme il n'arrive
que trop souvent quand on entre dans une fausse voie, David dut
répondre à cette offre avec une coupable duplicité. Si, lorsqu'il
se rendit à Gath, il avait ouvertement déclaré que le roi ne
devrait, en aucun cas, attendre le secours de son épée contre les
enfants d'Israël, il n'est pas sûr qu'Akis n'eût honoré cette
noblesse d'âme, et la position de David, dès ce moment plus
franche, ne lui aurait pas été en piège comme nous le voyons
maintenant. La droiture et la sincérité avant tout et toujours!
tel doit être le mot d'ordre de l'enfant de Dieu.
28:
3-7
§ 399. Lorsque Saül vit son armée en présence
de celle des Philistins, il fut saisi d'une grande frayeur, lui,
dont le courage ne s'était jamais démenti. Mais il était
impossible qu'il ne fût pas en proie à de noirs pressentiments, et
je n'ai pas besoin d'en rapporter la cause. Dans son angoisse, il
aurait voulu se mettre sous la protection du Dieu qu'il avait
méprisé; mais Samuel son ancien ami ne vivait plus; Abiathar, dont
il avait exterminé la famille, demeurait avec David; il ne se
trouvait donc près de lui ni prophète, ni sacrificateur par qui il
pût consulter l'Éternel. Or, comme il n'y a qu'un pas de l'impiété
à la superstition, surtout quand l'effroi s'empare d'une âme, il
lui vint à l'esprit de recourir aux sortilèges des suppôts de
l'idolâtrie. Mais, dans le temps où il avait à cœur l'observation
des lois de Dieu, il les avait lui-même bannis de ses états (Deut.
XVIII,10, 11); comment faire! Hélas! Saül connaissait trop le cœur
humain pour ignorer ce que sont les réformes extérieures. Il se
doutait bien qu'il devait rester, cachés çà et là dans le pays,
quelques-uns de ces diseurs de sort auxquels tant de gens aimaient
à s'adresser plutôt qu'aux ministres du Dieu vivant. Il s'informa
donc s'il ne trouverait pas quelque part une devineresse à
laquelle il pût aller, pour savoir la fortune qui l'attendait.
28:
7
§ 400. Il y avait en effet à Hendor, dans la
partie occidentale de la tribu de Manassé, près du mont Thabor,
une femme qui faisait l'abominable métier de nécromancienne, car
c'est ainsi qu'il faut entendre le mot de Pythonisse; femme qui
prétendait posséder l'art d'évoquer les morts pour apprendre d'eux
l'avenir; comme si les morts pouvaient revivre autrement que par
la puissance de Dieu, et comme s'ils connaissaient l'avenir mieux
que les vivants! Mais les peuples que Satan entretient dans
l'incrédulité ou dans l'idolâtrie, ont toujours prêté à l'homme
mortel le pouvoir mystérieux qu'ils refusent au Dieu Fort, et il
s'est constamment trouvé des individus en grand nombre qui ont su
exploiter, dans leur intérêt, des imaginations absurdes autant que
criminelles. Bien plus, ces prétendus devins, pris dans leurs
propres ruses, ont plus d'une fois servi d'instruments dociles ou
aveugles au Prince des ténèbres.
28:
8-11
§ 401. Pour éviter d'être reconnu, Saül se
déguisa; il ne prit avec lui que deux hommes et il entra de nuit
chez cette femme, la priant d'évoquer à son intention celui
d'entre les morts qu'il lui indiquerait. En personne prudente, la
nécromancienne commença par éluder la question. Saül ayant chassé
tous les devins, elle fit observer à son visiteur inconnu qu'il
n'en restait plus en Israël. C'était pour s'assurer qu'elle avait
affaire à quelqu'un de discret. Le roi la comprit, et cet homme à
qui les serments coûtaient peu parce que la pensée de l'Éternel
était fort loin de son cœur, jura par le nom trois fois saint
qu'elle n'aurait pas à se repentir de sa complaisance. «Qui
veux-tu donc que je te fasse apparaître?» dit la pythonisse; et
Saül répondit: «Fais apparaître Samuel.»
28:
12-19
§ 402. Il y a tout lieu de penser que les
imposteurs qui exerçaient la nécromancie possédaient certains
moyens de tromper l'imagination des gens abusés qui les
consultaient; des moyens tels, par exemple, qu'en fournit la
fantasmagorie, car les arts de cette sorte ont été cultivés dès
les temps anciens. Mais, dans le cas qui nous occupe, il est
manifeste qu'il n'y eut pas de simples apparences. Il arriva à la
nécromancienne d'Hendor comme aux magiciens de Pharaon (I §
675), ou comme à Balaam (I § 981).
Quand elle comptait recourir à ses supercheries habituelles,
l'Esprit et la puissance du Seigneur agirent par son ministère
pour donner à Saül ce qu'il cherchait, et au-delà. Il fut donc
révélé à la pythonisse que c'était le roi lui-même qu'elle avait
dans sa maison; Samuel, rendu à la vie par Celui qui ressuscite
les morts, vint encore une fois servir d'interprète aux oracles de
Dieu, et Saül dut s'entendre rappeler son ancien péché et la
malédiction qui pesait sur sa tête. Bien plus, il apprit que le
jour des rétributions allait sonner pour lui, et hélas! pour une
multitude de ses sujets; même pour quelques-uns de ses propres
fils.
28:
20-25
§ 403. À l'ouïe de ces terribles paroles, Saül,
l'homme fort, le guerrier invincible, le monarque devant qui tout
avait dû céder, jusqu'à la sainte volonté de l'Éternel, Saül est
saisi d'un indicible effroi. Il pâlit, ses genoux s'entrechoquent,
il tombe en défaillance. Comme il n'avait rien pris de tout le
jour, tant ses préoccupations l'avaient absorbé, la nécromancienne
lui prépare en toute hâte de la nourriture; mais il refuse d'en
goûter. Accablé de fatigue, il se jette sur un lit, et il faut
toutes les instances de ses deux serviteurs pour le déterminer à
accepter enfin quelque aliment.
§ 404. Ah! quel spectacle déplorable que celui d'un homme qui, à force d'abuser de tout, a pris le dégoût de la vie! Quel état affreux que celui du pécheur non converti auquel on annonce qu'il mourra demain et qui, tout en ne voulant plus vivre, voudrait pourtant ne jamais mourir! Quel terrible malheur enfin que celui d'une âme qui a méprisé tous les appels de la grâce de Dieu, et qui sent qu'elle n'a plus affaire maintenant qu'avec sa redoutable justice! Tel fut Saül, et tels vous serez la veille de votre mort, ô vous qui lisez et étudiez la Parole de Dieu, si cette parole n'a pas converti, ou ne convertit pas votre cœur. Que dis-je, la veille de votre mort! Aujourd'hui même votre âme peut vous être redemandée; chaque jour doit être envisagé par vous comme le dernier, et quelle est l'impression que produit sur vous cette pensée? Oh! combien je vous plains, si les genoux vous en tremblent comme à Saül! combien je vous plains encore, si vous vous endormez dans une fausse paix!
CXV. Humiliation et châtiment de David. Mort de Saül et de Jonathan.
29:
1-5
§ 405. Pendant que les flèches du Tout-Puissant
perçaient le cœur de l'impie Saül, sa verge châtiait David comme
celle d'un père corrige l'enfant qu'il aime. Il s'était conduit
envers Akis selon les principes d'une politique toute mondaine, et
il avait abusé de l'hospitalité de ce prince pour faire la guerre
à ses alliés (§ 397).
Mais lorsque les chefs des Philistins eurent rassemblé leurs
troupes à Aphek et qu'ils virent le roi de Gath entouré de David
et des siens, ils demandèrent ce que signifiait la présence de ces
Hébreux et en particulier celle du fils d'Isaï, dont les
Philistins n'avaient certes pas à se louer et qui ne manquerait
pas de les trahir pour acheter sa réconciliation avec Saül. Ils
exigèrent donc qu'on le renvoyât de l'armée, et c'est ce que dut
faire le roi.
29:
6-11
§ 406. On voit pourtant qu'il lui en coûta
beaucoup; car. personnellement, il n'avait point à se plaindre de
David. Il paraîtrait, au contraire, que le Philistin avait été
amené par lui à la connaissance du vrai Dieu; en sorte qu'il était
arrivé au fils d'Isaï comme à tant d'autres fidèles, savoir, que
malgré les infirmités de sa foi, il fut en bénédiction spirituelle
à plusieurs de ceux qui l'approchèrent. C'est que, malgré ses
misères, le Seigneur était avec lui.
30:
1-6
§ 407. Ce ne fut donc pas sans une certaine
honte que David dut quitter le camp des Philistins et retourner à
Tsiklag, la veille d'une bataille à laquelle il était impossible
qu'il ne mit pas un vif intérêt. Mais l'Éternel lui réservait une
épreuve plus réellement douloureuse. Arrivé le troisième jour à
Tsiklag, il se trouva que les Hamalékites, profitant de son
absence pour se venger, s'étaient jetés sur cette ville, l'avaient
prise et consumée; après quoi, ils avaient mené en captivité les
femmes et les enfants de David et de ses soldats. Leur désespoir à
tous fut extrême. On n'entendit que cris et lamentations dans
cette multitude. Puis, s'irritant contre David, qu'ils accusaient
de tous leurs maux, ses compagnons le menacèrent de le lapider.
Qu’elle ne devait pas être leur douleur, pour qu'ils se
tournassent ainsi contre un chef auquel ils s'étaient montrés
jusque là si dévoués!
30:
7-11
§ 408. Dans cette détresse, David chercha sa
force en Jéhovah, son Dieu. Après lui avoir présenté lui-même sa
prière, il le consulta par l'organe d'Abiathar, et, sur la réponse
qu'il en reçut, il se mit, sans prendre aucun repos, à la
poursuite des ravisseurs avec ses six cents hommes. Arrivés au
torrent de Bésor, deux cents d'entre eux, harassés de fatigue, se
virent dans l'impossibilité de continuer; en sorte que David
comptait finalement bien peu de monde pour attaquer les
Hamalékites. Mais le plus difficile était de savoir dans quelle
partie du désert ils s'étaient retirés avec leur butin. L'Éternel
vint encore en aide à David, par le moyen d'un Égyptien, esclave
fugitif, qui arrivait précisément du camp ennemi. Il servit de
guide aux Israélites, et ceux-ci atteignirent les fils d'Hamalek,
au moment où, dispersés sur toute la campagne, ils mangeaient,
buvaient et dansaient, pour célébrer leur victoire et se réjouir
du grand butin qu'ils avaient enlevé.
30:
18-31
§ 409. Mais le triomphe du méchant est de
courte durée. David, tombant sur eux à l'improviste, les mit en
complète déroute, reprit ce qu'ils lui avaient ravi et s'empara à
son tour de tout leur bétail, en sorte qu'il n'avait point encore
possédé d'aussi grands biens. Il ne les garda pas pour lui seul,
il est aisé de le comprendre. Non seulement il en fit une grande
part à ceux qui avaient combattu sous ses ordres, mais encore il
voulut que les deux cents du torrent de Bésor entrassent en
partage. Non content de cela, il fit, plus tard, des distributions
de cette riche capture aux habitants des principales villes de
Juda qui l'avaient accueilli pendant les cinq ou six années de son
exil.
§ 410. Tout cela cependant ne s'exécuta pas sans difficulté; car les soldats de David qui avaient pris part au combat, s'étaient opposés à ce qu'on admît au partage ceux que la fatigue avait laissés en arrière. Leur dureté et leur égoïsme ne font que mettre en plus vive saillie la douceur et la générosité de David; comme il est facile aussi de se représenter que Saül, à sa place, n'aurait pas montré tant de débonnaireté. Mais voyez ce que peut une parole douce, juste et vraie. David s'adressant à ses subordonnés comme à des frères, ce qu'il leur propose finit par être accepté, et devient même une loi pour toujours.
§ 411. Je ne saurais m'empêcher de signaler le contraste que ces faits établissent entre David et Saül. Celui-là, dans sa détresse, a invoqué l'Éternel, et l'Éternel l'a mis au large et l'a délivré; Saül, s'abandonnant à son désespoir, recourt aux arts diaboliques pour conjurer, s'il se peut, sa destinée, et il n'y trouve qu'une malédiction. David, cependant, n'est pas sans péché. Hélas! il s'en faut bien. Mais il ne se montre pas comme Saül un impie qui met résolument sa volonté à la place de celle de Dieu. Saül a désobéi le sachant et le voulant; il a essayé de cacher sa révolte sous le voile transparent d'une repentance hypocrite; il a, d'intention, été le meurtrier de David et même de son fils Jonathan; il a versé le sang des sacrificateurs de l'Éternel; et, dans son implacable tyrannie, il persécute tous ceux qui avaient épousé la cause de David, cause juste qui était la querelle même du Seigneur. La fin d'un tel homme fut ce qu'elle devait être; une fin d'autant plus terrible que le malheureux avait été éclairé d'une grande lumière, qu'il avait eu, en quelque sorte, les avant-goûts du ciel, et qu'il avait été fait participant de l'Esprit saint (Epître aux Hébreux VII, 4).
31:
1-2
§ 412. Attaqués et serrés de près par les
Philistins, les Israélites, que commandait Saül, furent chassés de
poste en poste jusqu'à la montagne de Guilboah, dans la tribu
d'Issachar, au bord de la plaine de Jisréel (§ 106).
Là se livra une terrible bataille, dans laquelle succombèrent
trois fils de Saül: Jonathan, Abinadab et Malki-Sçuah. L'aimable
et vaillant Jonathan remplit ses devoirs jusqu'à la fin; car il
mourut en défendant la vie de son père, la liberté du peuple
d'Israël et la gloire de Jéhovah. Il avait dit à David: «Tu
régneras, et je serai le second après toi dans ton royaume»
(XXIII, 17; § 376); une
partie seulement de ses prévisions se réalisa, mais pourrions-nous
en aucun cas estimer malheureux un homme qui fut, selon toute
apparence, un fidèle serviteur de l'Éternel?
31:
3-6
§ 413. On pense bien que, dans un tel jour, un
guerrier de la trempe de Saül ne dut pas se ménager. Les
prédictions de Samuel ajoutaient à son courage accoutumé la
témérité du désespoir. Se jetant au plus fort de la mêlée, sa
haute taille le fit aisément remarquer des ennemis qui, décochant
sur lui une grêle de flèches, ne tardèrent pas à l'atteindre.
«Achève-moi,» cria-t-il à son écuyer, en se sentant blessé
grièvement; et comme l'écuyer refusait de porter une main impie
sur son maître, celui-ci prend son épée et se la passe au travers
du corps. À cette vue, l'écuyer lui-même se porte un coup mortel
et tombe à côté de Saül. Tout cela fut l'affaire d'un instant.
§ 414. Mais dans cet instant il y a une éternité. Malheureux Saül, qui meurs comme Abimélec, et par les mêmes causes (§ 198)! L'Éternel te donnait encore le temps du repentir, et tu t'en es privé volontairement! Tu t'es jugé et puni toi-même! Hélas! les pécheurs impénitents ne se suicident pas tous comme Saül; mais il n'en est que trop encore qui consomment par ce dernier crime leur coupable vie, et combien d'insensés qui souhaitent la mort, quand la mort ne leur doit apporter qu'une éternelle misère! Et cet écuyer qui se tue sur le corps de son maître! Il est juste, sans doute, de faire la part d'une idée prompte et puissante, qui s'empare de l'imagination et s'exécute avec la rapidité de la pensée; mais pourtant ce pauvre jeune homme n'aimait-il pas Saül plus que son Dieu? N'avait-il pas fait de ce méchant prince son idole? Avec lui, il a tout perdu, parce qu'il ne possédait pas ce qui tient lieu de tout.
31:
7-10
§ 415. La défaite des Israélites fut telle que
les Philistins occupèrent aussitôt la plaine entière de Jisréel,
cette magnifique portion du pays de Canaan (§ 106).
Après avoir coupé la tête de Saül, dont ils trouvèrent le corps
sur le champ de bataille, ils envoyèrent ses armes dans le temple
d'Astaroth, une de leurs plus abominables divinités, et sa tête
dans le temple de Dagon (1 Chroniques X, 10); leur victoire fut
proclamée devant tous leurs autels, pour remercier les dieux du
secours qu'ils leur avaient prêté contre Jéhovah; enfin le corps
de Saül fut attaché à la muraille de Bethsçan, ville située près
du Jourdain, au sud-est du mont Thabor.
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11-13
§ 416. Cependant les Galaadites de Jabés,
population israélite dont la bravoure nous est connue et qui avait
de si grandes obligations à Saül (§§ 304-306),
ne purent supporter l'outrage qui était fait à la dépouille
mortelle de leur roi. Quoique sur l'autre rive du Jourdain f ils
n’étaient pas loin de Bethsçan. Ils partent un soir; ils voyagent
et arrivent de nuit; ils enlèvent le corps de Saül et ceux de ses
fils; ils les emportent à Jabés, leur rendent des honneurs
funèbres et célèbrent un jeûne de sept jours. Quel juste sujet de
douleur et d'humiliation, en effet, que cette mort de Saül et de
trois de ses fils, et cette déroute des Israélites, et ce triomphe
des idolâtres, et cette conquête de Jisréel qui établissait les
étrangers dans le cœur du pays. Or, voilà les maux dont un
gouvernement impie menace le peuple qui se laisse démoraliser par
sa funeste influence.
§ 417. Ainsi finit Saül, l'an 1056 avant Jésus-Christ, après un règne d'environ vingt années, règne qui ne fut pas inutile pour donner plus d'unité aux tribus d'Israël, pour intimider les ennemis de ce peuple, mais surtout pour préparer celui de David. Cependant, il entrait dans les vues de Dieu que les Israélites eussent à se repentir d'avoir voulu un roi; en sorte que Saül fat pour eux, ainsi que nous l'avons dit ailleurs, un véritable fléau (§ 289). C'est par cette raison même qu'il fut pris de la tribu de Benjamin et non de celle de Juda, d'où devait descendre le Messie, dans la famille royale. Le règne de Saül fut donc une dispensation de Dieu tout extraordinaire et préparatoire. Le royaume vraiment approuvé de lui, le royaume, type de celui de Jésus-Christ, ne commence proprement qu'avec David, le premier des rois de Juda. C'est aussi par l'histoire de ce règne que s'ouvre un nouveau livre de la Sainte Écriture; je veux dire le second de Samuel, avec lequel on doit faire marcher de front le premier livre des Chroniques.
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