Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

JUGES.

XCI. Introduction. Mica, le Lévite d'Ephraïm.

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§ 128. Le livre des Juges, bien qu'assez court, contient l'histoire du peuple d'Israël pendant environ 320 années. À ce livre se rattache celui de Ruth qui n'est qu'un épisode, non plus que les aventures déplorables de Mica et du Lévite d'Ephraïm , autres épisodes qu'on lit depuis le chapitre XVII jusqu'à la fin du livre. Les faits que nous raconte cette portion de la Parole de Dieu sont, à plusieurs égards, moins importants que les précédents et que ceux dont nous aurons plus tard le récit. Vous verrez toutefois combien ils renferment d'instructions. Mais, pour les y recueillir, il faut une assistance particulière du Saint-Esprit, à raison des difficultés très réelles que cette histoire offre à chaque pas.

§ 129. Déjà, le premier chapitre et le commencement du chapitre second ne sont pas fort aisés à comprendre, i si l'on ne se rend pas un compte exact de l'ordre suivi à dans la narration. Le prophète qui, inspiré de Dieu, la rédigea longtemps après la première conquête, nous informe d'abord que, depuis la mort de Josué, ce furent Juda et Siméon, c'est-à-dire leurs tribus, qui reprirent les premières l'œuvre de l'expulsion des Cananéens. Puis, reportant ses regards en arrière, il rappelle quelques-uns des faits relatifs à la conquête et au partage de la terre promise; par exemple, l'histoire de Caleb et de sa fille Hacsa. Il cite en passant certaines circonstances qui n'avaient point encore été rapportées; et il termine cette partie de son introduction par la mort du successeur de Moïse, dans les termes mêmes qui se lisent au chapitre XXIV, versets 29 et 30 du livre de Josué.

1: 5-7
§ 130. Les faits les plus dignes de remarque sont les suivants: d'abord, le supplice infligé à Adoni-bezek, supplice affreux, mais justement mérité, comme le reconnut lui-même ce chef cananéen. Il nous est une preuve de ce que je disais ailleurs, savoir que, si les anciens habitants de la Terre Sainte souffrirent de si grands maux, ce ne fut qu'une juste punition de leurs crimes, aussi bien que de leur idolâtrie (§ 72).

1: 8-21
§ 131. En rapprochant les versets 8 et 21 de ce chapitre, on voit que la ville de Jérusalem avait été prise et finalement détruite par les hommes de Juda, mais qu'elle fut cédée à la tribu de Benjamin. Les Benjamites laissèrent revenir à Jérusalem les restes des Jébusiens, auxquels cette ville forte avait appartenu. Les deux peuples y demeurèrent ensemble, quoique non confondus, et la suite nous prouvera que les Jébusiens en recouvrèrent la propriété pour un certain temps.

§ 132. Quelques individus, parents de Moïse par sa femme, avaient accepté l'invitation qu'il leur fit de suivre Israël au pays de Canaan (I, § 934). Ces Kéniens, nom qu'ils devaient sans doute à quelqu'un de leurs ancêtres, formèrent leur principal établissement dans le territoire de Juda.

1: 34
§ 133. Tandis que les diverses tribus, et notamment celles de Juda et de Siméon , agrandissaient leurs domaines, les Danites ne purent point occuper les vallées du pays qui leur avait été assigné. Ils se trouvèrent ainsi resserrés dans les montagnes, circonstance qui explique une expédition entreprise par eux peu de temps après et dont nous devrons bientôt rendre compte.

2: 1-5
§ 134. Nous avons déjà fait observer (§§ 98 et 113), que les Cananéens ne furent pas entièrement détruits au temps de Josué. On pouvait dire que les Israélites étaient maîtres du pays, et pourtant les indigènes y conservaient certaines contrées. De plus, ils demeuraient en beaucoup de lieux, mélangés avec les enfants d'Israël. La faute, dans le fond, en était à ces derniers qui ne savaient plus marcher tous ensemble contre l'ennemi commun; mais il y avait là aussi un châtiment, en sorte qu'on peut y voir la volonté de l'Éternel, bien qu'il ne soit jamais l'auteur de nos péchés. Le grand tort, au reste, des Israélites, fut de contracter des relations trop étroites avec les idolâtres domiciliés au milieu d'eux, et le reproche leur en fut adressé par le Seigneur lui-même, de la manière solennelle qui nous est racontée dans cet endroit.

§ 135. L'Ange de l'Éternel qui monta de Guilgal où se trouvait sans doute à ce moment l'Arche sainte, n'était rien de moins que le Seigneur lui-même, car il se présente aux Israélites comme Celui qui avait juré à leurs pères de leur donner le pays de Canaan (I, § 274), et qui avait traité alliance avec eux (I, § 310). Maintenant, il vient leur déclarer qu'en punition de la coupable complaisance qu'ils montraient pour les Cananéens et pour leurs faux dieux, ces idolâtres deviendraient leur fléau, selon la parole même de Moïse. Les enfants d'Israël n'étaient pas encore perdus, car ils pleurèrent amèrement; ils offrirent des sacrifices; et, en mémoire de leur repentance, ils nommèrent ce lieu Bokim, c'est-à-dire lamentations. Il paraîtrait, d'après le récit, qu'à cette époque, Josué n'était pas encore hors de ce monde, et nous devons comprendre quelle épreuve grande et bénie ce dut être pour son âme.

2: 10-23; 3: 1-7
§ 136. Les quatorze derniers versets du chapitre second, et les sept premiers du troisième forment la seconde partie de l'Introduction du livre des juges. C'est m un tableau en raccourci de ce que fut le peuple d'Israël pendant trois siècles environ, à partir de vingt ans peut-être après la mort de Josué. Alors se forma une nouvelle génération qui, oubliant les grâces de l'Éternel et se laissant entraîner à l'immoralité par ses relations avec les Cananéens, ce monde d'impies, imagina d'adorer Bahal, Astaroth, et leurs autres idoles, concurremment avec l'Éternel peut-être, mais bientôt à son entière exclusion. Sans doute qu'il restait au sein de ce peuple quelques fidèles; mais la masse était corrompue. Du temps de Josué, l'état religieux de la nation, semble-t-il, avait offert un spectacle précisément inverse (§118).

§ 137. Alors, selon les menaces expresses que le Seigneur leur avait adressées par Moïse et par son successeur, il ne manqua pas de châtier ces enfants rebelles. Afin de leur rendre la punition plus sensible, il les livra aux mains des Cananéens mêmes dont ils copiaient la vie désordonnée et que leurs pères avaient dû châtier d'une manière toute semblable et pour la même cause. De cette façon, les Israélites se voyaient doublement punis par où ils avaient péché.

§ 138. Ce fut ainsi que les choses se passèrent à diverses reprises. Car lorsque les enfants d'Israël avaient été quelque temps sous l'oppression, ils sentaient leur misère, retournaient à l'Éternel, elle Dieu d'Abraham daignait leur faire grâce. Il leur suscitait lui-même des III chefs qui, animés de son Esprit et portant le nom de Juges, avaient pour mission de délivrer Israël de la main de ses ennemis. Alors revenaient la liberté et la paix; alors on rentrait dans l'obéissance et l'on rapprenait le vrai culte. Mais bientôt survenaient de nouvelles chutes, de nouveaux châtiments. Israël se repentait, et Dieu délivrait. Voilà toute l'histoire des enfants d'Abraham durant cette longue et triste période. Je dis qu'elle fut triste, car il est toujours affligeant de voir des âmes s'éloigner du Seigneur, ne fût-ce qu'une heure. On se tromperait toutefois si l'on croyait que les temps d'infidélité du peuple d'Israël, à cette époque, furent plus longs que leurs temps d'obéissance. C'est l'idée qu'on peut s'en former, quand on fait une lecture superficielle du livre des Juges, mais j'aurai soin de remarquer, dans l'occasion, ce qui donne lieu à la méprise.

Chap. 17
§ 139. Lors donc que Josué eût été recueilli vers ses pieux ancêtres et que la génération fidèle qui s'était élevée dans le désert eût, en majeure partie, fait place à une autre génération, les Israélites oublièrent tellement les promesses et les menaces de Dieu, qu'ils s'unirent chaque jour d'une façon plus étroite aux Cananéens qui étaient demeurés dans le pays. L'histoire des temps passés aurait dû les éclairer sur les dangers des mariages mal assortis (I, § 184), et en général sur les maux auxquels on s'expose en s'associant avec les mondains; mais ils se laissèrent emporter par leurs passions et leur conscience se taisait. Or, pour se faire une idée de la dégradation dans laquelle tombèrent les Israélites, il suffit de lire les derniers chapitres du livre des Juges, car les événements qu'ils rapportent doivent s'être accomplis cette époque.

17: 1-6
§ 140. Nous avons d'abord l'épisode de Mica. La scène se passe dans les montagnes d'Ephraïm et chez des gens riches apparemment. Là, vous voyez un fils qui vole sa mère, une mère qui se livre devant son fils à d'horribles imprécations parce qu'on lui a pris son argent, l’un et l'autre qui s'entendent enfin pour destiner une partie de la somme à la fabrication d'images taillées! Mica place ces idoles dans sa maison et consacre lui-même un de ses fils pour exercer l'office de sacrificateur devant l'autel des faux dieux. Que de violations des lois de l'Éternel! Mais ce qu'il y a de pire, c'est l'hypocrisie, ou dirai-je, l'endurcissement qui préside à tant d'iniquités. Ces malheureux idolâtres font tout cela au nom de l'Éternel, comme leurs pères, à l'époque du Veau d'or (I, § 842). Voilà de quelle manière les choses se passaient un peu partout en Israël, car «chacun faisait ce qui lui semblait bon.» Les lois de Moïse étaient sans force; et, à défaut de ces lois, il n'en existait pas d'autres. C'était une république corrompue, ou plutôt c'était l'anarchie, image trop fidèle d'une âme sur laquelle les lois du monde ne règnent plus et qui secoue par moments le joug salutaire du Seigneur, ou d'une église qui, libre des institutions et des conventions humaines, se soustrait aux prescriptions de la Parole de Dieu.

17: 7-13
§ 141. En poursuivant le récit, on voit, d'un autre côté, ce qu'étaient devenus, en ce même temps, les fils de Lévi, famille particulièrement consacrée au Seigneur (I, § 929). Comme la dîme, naturellement, ne leur était plus payée et que le service des autels du Dieu vivant n'avait plus de quoi les occuper; comme ils trempaient, d'ailleurs, dans l'infidélité générale, ils cherchaient à gagner leur pain du mieux qu'ils pouvaient. L'un d'eux ayant, par cette raison, quitté Bethléem, atteignit les montagnes d'Ephraïm, où Mica le retint pour faire le service de ses idoles. Quoique le lévite fût jeune encore, Mica l'appela son père, il lui assura des gages, et il pensa que l'Éternel lui ferait du bien, parce qu'un fils de Lévi allait sanctifier son idolâtrie. Quel égarement hélas! et combien il est affligeant de penser que, même en des pays soi-disant chrétiens, on retrouve des idées tout aussi superstitieuses. Le prêtre y fait la religion, et l'on prétend adorer Dieu et se le rendre favorable, en se prosternant devant des images taillées!

Chap. 18
§ 142. Sur ces entrefaites, les Danites qui se trouvaient à l'étroit dans leur territoire (§ 133), portèrent une colonie dans le nord du pays de Canaan, près des sources du Jourdain, où ils détruisirent l'antique ville de Laïs, qu'ils remplacèrent par celle de Dan (l, § 282). Chemin faisant, ils s'emparèrent des idoles de Mica, contraignirent le lévite à les suivre et, sous ses auspices, ils inaugurèrent dans leur colonie un culte idolâtre qui y subsista pendant plusieurs siècles. Tel est le résumé du chapitre dix-huitième. En le lisant, vous remarquerez l'influence qu'exercent sur les faux prêtres les considérations pécuniaires et les intérêts mondains; puis, la misérable condition des hommes qui mettent leur confiance dans les idoles. Vous en jugerez par les lamentations de l'Ephraïmite, lorsqu'on lui ravit ses dieux. On n'aurait pu faire un tel affront à Abraham; et nous-mêmes, si nous sommes vraiment chrétiens, nous n'avons rien à redouter de pareil, car nul ne saurait nous enlever Christ, notre espérance.

Chap. 19 à 21
§ 143. Si l'épisode de Mica est destiné à montrer en quelle idolâtrie les enfants d'Israël s'étaient plongés, à celui du lévite d'Ephraïm nous instruit des mœurs horribles auxquelles les entraînait le culte des faux dieux. Ici, c'est une femme qui déserte la maison de son mari: celui-ci court la réclamer chez son père, et comme il la ramenait et qu'il passait à Guibha, dans la tribu de Benjamin, il dut s'y arrêter la nuit avec sa concubine. Recueillis dans la maison d'un vieillard, les deux voyageurs sont traités par les gens du lieu, de la même façon que les anges de l'Éternel l'avaient été à Sodome (I, § 334). Les hommes de Guibha assouvissent sur la femme du lévite leurs infâmes passions, jusqu'à la faire mourir, et quelle mort effroyable! Alors le lévite prend le cadavre de cette infortunée, il le partage en douze quartiers et il les envoie dans les douze tribus d'Israël.

§ 144. Épouvantées de cet entassement d'infamies et de cruautés, les tribus s'assemblèrent à Mitspa, dans la tribu de Juda, où l'arche de l'Alliance était en ce moment. Après avoir consulté l'Éternel, il fut décidé qu'on infligerait à Guibha le châtiment que cette ville méritait et de la réduire par la force des armes. Mais les Benjamites prirent le parti des leurs. C'était une tribu fort belliqueuse, et il s'en suivit une horrible guerre civile, dans laquelle le sort des combats fut très partagé (car des deux côtés on méritait d'être puni), jusqu'à ce qu'enfin la tribu coupable se vit presque entièrement détruite. Tels furent les premiers jugements de l'Éternel sur son peuple rebelle. Il semble qu'Israël aurait dû comprendre l'avertissement; mais non, il fallut pour l'humilier, que la main du Seigneur se fît sentir plus pesante, comme nous le verrons tout à l'heure.

§ 145. L'extermination de tout un peuple! quelle effrayante pensée! et comme elle nous transporte au jour grand et terrible où tous les méchants seront retranchés de devant la face de l'Éternel! La tribu de Benjamin s'était apparemment corrompue en entier et plus que les autres, pour que le Seigneur permît ainsi à qu'elle fût comme anéantie. Elle l'eût été complètement si un certain nombre de ses guerriers ne s'étaient enfuis et cachés dans les montagnes jusqu'à ce que la fureur du peuple se fût calmée. Même après cela, les tribus eurent beaucoup de peine à consentir au rétablissement de cette horde méchante. Tous refusaient de donner aux Benjamites des femmes en mariage, et ils durent les enlever dans une fête publique. Je renvoie mes lecteurs au chapitre XXI, pour les détails de ce fait. Il rappelle un événement tout semblable que raconte l'histoire des premiers temps de Rome, soit qu'il y ait eu en effet quelque chose de pareil entre les Romains et les Sabins, soit que leurs historiens aient emprunté à l'Orient cette tradition; car il faut bien se dire que tout ceci arrivait en Canaan, plus de six siècles avant la fondation de Rome.


XCII. Hothniel, Ehud, premiers Juges d'Israël.


2: 8
§ 146. Il ne semble pas qu'il puisse y avoir pour un peuple de plus grand malheur que la guerre civile; il en est un du moins qui est plus humiliant, c'est l'occupation étrangère. Des Syriens originaires de la Mésopotamie, c'est-à-dire de la contrée même d'où Abraham était sorti jadis, arrivèrent dans leurs excursions guerrières jusqu'aux frontières de Canaan. C'était l'Éternel qui les poussait là sans qu'ils sussent pourquoi. Cusçan-Risçathajim , leur chef, trouvant les Israélites affaiblis par leurs guerres intestines et plus encore par les désordres de leur idolâtrie et de leurs erreurs, vit en eux une proie facile. Il envahit leur contrée, principalement sans doute la partie méridionale. On calcule que ce pouvait être une vingtaine d'années après la mort de Josué. Ainsi s'accomplissait, dans une certaine mesure du moins, ce qu'il avait annoncé, aussi bien que Moïse, quant à la manière dont l'Éternel châtierait les révoltes de son peuple (1, § 1030).

3: 9-11
§ 147. N'est-il pas remarquable de voir comment Dieu fit venir de loin la première armée qu'il chargea de punir les crimes des enfants d'Israël? C'était leur dire qu'il ne saurait jamais manquer d'instruments pour exécuter sa volonté. L'oppression toutefois ne dura que huit ans. L'idolâtrie ne s'était pas encore profondément enracinée; il restait sûrement en Israël bon nombre d'âmes fidèles, et les tristes circonstances de la nation durent prêter une grande force à la parole et à l'exemple des serviteurs de Dieu, qui avaient lutté vainement jusque-là contre les progrès du mal. Aussi les Israélites tournèrent-ils leur cœur vers l'Éternel, et l'Éternel, riche en miséricorde, remplit de son Esprit de sagesse et de force un descendant de Juda, homme d'extraction illustre, illustre je veux dire par la piété, car il était neveu du fidèle Caleb et s'appelait Hothniel.

§ 148. Hothniel, animé de l'Esprit de Dieu, rassemble les Israélites; il les mène contre les Syriens, remporte sur eux une éclatante victoire de la part de l'Éternel, et il délivre son peuple du joug de l'étranger. Après cela, le pays fut en repos durant quarante ans; ce qui veut dire que les Israélites vécurent tout ce temps dans l'obéissance aux lois de Dieu, fuyant l'idolâtrie et observant les ordonnances de Moïse. Hothniel mourut au terme de ces quarante années. Il avait commencé à gouverner Israël vers l'an 1394 avant notre Seigneur, ou environ trente-deux ans après la mort de Josué. Heureux est le peuple dont les chefs ressemblent à Hothniel! ou plutôt, heureuse la nation dont l'Éternel est le Dieu! Heureuse celle qui écoute les châtiments du Seigneur et qui se laisse instruire par eux! Heureuse enfin toute âme pour qui l'affliction est un encouragement à la sainteté! Cette âme appartient au Seigneur.

3: 12-14
§ 149. Mais hélas! ce n'est pas sans peine que la vie religieuse se maintient chez un peuple. Pour bien dire, elle ne peut y exister que par la piété des familles, et celle-ci par la foi des individus. Il faut donc, pour qu'un peuple soit religieux, qu'il s'y trouve un nombre considérable de personnes qui servent Dieu de tout leur cœur. À la fin des quarante années d'obéissance qui suivirent la défaite des Syriens, Israël se relâcha peu à peu dans son culte et dans ses mœurs; il se remit à vivre avec les Cananéens et à leur manière; il fit, en un mot, ce qui déplaît à l'Éternel. Cela ne veut pas dire, je le répète, que tous, sans exception, abandonnèrent la foi, mais les pécheurs non convertis se contraignaient moins qu'auparavant et la masse se corrompait de plus en plus. Alors Dieu châtia son peuple d'une manière plus terrible et plus humiliante encore que la précédente fois.

§ 150. Les Moabites, auxquels Moïse avait enlevé une partie de leur territoire (I, § 996), en conservaient un profond ressentiment. Ils jugèrent le temps favorable pour prendre leur revanche. Après s’être assuré le secours des Hammonites, leurs frères (I § 344) et des Hamalékites, ces vieux ennemis d'Israël (I § 731), tous, habitant dans leur voisinage et aux frontières mêmes de Canaan, ils marchèrent, sous la conduite d'Héglon, roi de Moab, et subjuguèrent les Israëlites, qu'ils tinrent assujettis durant dix-huit ans. L'oppression moabite fut donc plus longue que la première; elle dut être aussi plus cruelle par cela même qu'elle provenait d'anciennes haines nationales. Elle eut surtout ceci de particulièrement honteux, que les Israélites se voyaient dominés par un peuple dont leurs pères avaient, cent ans auparavant, châtié les iniquités. Ainsi donc, l'Éternel avait dirigé toutes choses de manière à faire sentir vivement aux Israélites combien ils étaient coupables. Adorateurs des dieux étrangers, il était juste qu'ils fussent asservis aux peuples qui servaient ces faux dieux.

3: 15-30
§ 151. Ils le sentirent à la fin. Au bout de dix-huit ans de servitude, ils crièrent à l'Éternel, qui leur suscita un libérateur dans la personne d'Ehud, Benjamite. Ce devait être vers l'an 1336. Nul ne semblait moins propre à cette œuvre qu'Ehud, car il était privé de l'usage de la main droite; mais Dieu voulait proclamer de nouveau l'importante vérité que si, privés de son secours, les plus forts ne sont que faiblesse, avec son aide, au contraire, les plus faibles sont pleins de force. Ehud d'ailleurs était un homme résolu. Il se rend à Guilgal auprès d'Héglon, comme pour lui offrir un présent de la part des Israélites; il prétexte une affaire dont il doit entretenir le roi en particulier, celui-ci, qui n'a pas l'idée de se défier d'un impotent, fait retirer tout son monde, et le Benjamite saisit ce moment pour enfoncer dans le corps lourd et épais du roi de Moab une courte épée qu'il avait cachée sous les plis de sa robe. Après ce coup hardi, Ehud hâte sa fuite, il échappe à ceux qui le poursuivent et il court raconter aux siens ce qu'il a fait. Les guerriers d'Israël, qui se tenaient cachés dans les montagnes, joignent ce chef audacieux, ils attaquent les Moabites près du Jourdain et leur livrent une bataille décisive.

§ 152. Bien que nous devions voir dans Ehud un homme que l'Éternel suscita pour délivrer son peuple repentant, rien ne nous oblige à envisager tout ce qu'il fit comme lui ayant été positivement ordonné de Dieu. Certainement l'Éternel avait le droit de faire mourir Héglon et même de le faire mourir par la main d'un autre homme, ministre de sa justice. On comprend encore que l'Éternel ait frappé Héglon, après s'en être servi d'instrument pour châtier et humilier Israël, car enfin le roi de Moab, quant à lui, avait fait la guerre pour contenter ses passions et non par obéissance à Dieu; si bien qu'en définitive il ne laissait pas d'être un second Pharaon, digne des redoutables châtiments du Seigneur. Mais la manière pleine d'artifice dont Ehud s'y prit pour frapper le Moabite, ne saurait guère se concilier avec la connaissance même que la Bible nous donne du Dieu trois fois saint. Voici donc probablement un de ces cas nombreux où l'Éternel s'est servi des péchés de l'homme pour exécuter ses plans. La trahison ne vient pas de Dieu, et l'on ne peut nier qu'Ehud n'ait agi à la façon des traîtres. C'est donc bien l'Éternel qui, par le bras d'Ehud, a frappé Héglon pour le punir de ses crimes, mais il serait plus que téméraire d'affirmer qu'Ehud ne pouvait atteindre d'une autre manière celui dont le Seigneur avait décidé la perte.

§ 153. Les enfants d'Israël ayant été délivrés du joug des Moabites, l'ordre se rétablit insensiblement au milieu d'eux. Rentrés généralement sous l'obéissance de l'Éternel, ils furent gardés contre de nouvelles attaques de la part de leurs ennemis et, pendant quatre-vingts ans, il ne se passa rien d'extraordinaire au sein de leurs tribus. On l’a dit souvent, ce ne sont pas les peuples dont on parle le plus qui sont les plus heureux, car les événements dont l'histoire des nations est chargée ne sont, Ia plupart du temps, que des manifestations éclatantes du péché. Quatre-vingts ans d'une vie régulière, paisible et pieuse sont la plus grande bénédiction terrestre qu'on puisse imaginer; et je puis déjà, en confirmation de ce que je disais dans l'Étude précédente (§ 138), vous faire observer que les temps de fidélité du peuple d'Israël, à cette époque, furent, après tout, de plus longue durée que leurs révoltes.

3: 31
§ 154. «Après Ehud,» nous disent nos Bibles, «Sçamgar, fils de Hanath, fut en sa place.» Mais les mots imprimés en caractères italiques ne sont pas dans l'original (I, § 32), de sorte qu'il y a proprement: «Et après, il y eut Sçamgar, fils de Hanath, qui tua six cents Philistins avec un aiguillon à bœufs et qui délivra Israël.» Ainsi, l'on ne saurait établir par le texte hébreu que Sçamgar ait succédé à Ehud, ni que le fait raconté en ce peu de mots se soit passé au bout des quatre-vingts ans d'obéissance et de paix. Il paraîtrait plutôt qu'après la guerre des Moabites et du vivant même d'Ehud, les Philistins firent une tentative contre les Israélites de leur voisinage. Ce fut alors que Sçamgar, simplement armé d'un aiguillon, mais à la tète probablement d'un gros d'Israélites, tua six cents Philistins. Quoi qu'il en soit, cet incident est destiné à nous montrer encore une fois comment Dieu environne les siens de sa puissante protection, lorsqu'ils s'adressent à lui dans leurs détresses. Ah! ne cessons pas de nous le redire: notre force n’est pas en nos bras, ni en nos armes, elle est toute dans le Seigneur et dans sa force inébranlable.


XCIII. Ruth la Moabite.


1: 1-5
§ 155. Il n’est pas très-facile de déterminer l'époque exacte de l'histoire intéressante qui va nous occuper, et dont le récit remplit un livre à part, faisant suite à celui des Juges. Je suis de ceux qui en placent le commencement au temps de la domination des Moabites, et c'est pour cela que je l'introduis à cet endroit de nos Études. — Une famine étant survenue dans le pays, par l'effet même de l'occupation étrangère, un Israélite de Bethléem, nommé Elimélec, partit avec sa femme Nahomi et ses deux fils Mahlon et Kiljon pour le pays de Moab, où ils se fixèrent. Plus d'un Israélite, sans doute, avait dû s'expatrier. Elimélec étant mort et ses deux fils ayant épousé deux jeunes Moabites, appelées l’une Horpa et l'autre Ruth, Nahomi eut le malheur de perdre ses deux fils, en sorte qu'elle serait demeurée dans le plus complet isolement si, aimée de ses belles-filles, elle n'eût trouvé en elles de précieuses consolations.

1: 6-17
§ 156. Cependant toutes choses avaient bien changé en Israël depuis que Nahomi s'était expatriée, et son cœur pieux se reportait vivement vers le berceau de ses pères. Elle se résolut donc à retourner en Canaan, et comme ses deux belles-filles l'accompagnaient, Nahomi, sans consulter son propre intérêt, mais en femme prudente et dévouée, leur représenta qu’elles feraient mieux de retourner chez leurs mères et de ne point partager plus longtemps sa mauvaise fortune. Si du moins elle avait eu d'autres fils dont elles eussent pu devenir femmes, selon la loi de Moïse, à la bonne heure (I, § 1026); mais pourquoi, sans y être forcées, demeurer veuves comme elle et s'attacher à sa misère!
Au premier moment, les deux jeunes femmes insistaient pour que Nahomi les prît avec elles; mais bientôt Horpa se sentit faiblir à la pensée d'un tel renoncement, et Ruth finit seule par rester avec la veuve d'Elimélec. Ruth eut, pour se déterminer, d'autres motifs que l'affection qu'elle portait à sa belle-mère et le douloureux souvenir de son mari; elle servait l'Éternel du fond de son cœur et elle mettait sa joie à resserrer les liens qui l'unissaient au peuple de Dieu.

1: 18-22
§ 157. Pour se rendre du pays de Moab à Bethléem, il fallait traverser toute la tribu de Ruben, passer par celle de Gad, puis, arrivé au-delà du Jourdain, il y avait encore à faire passablement de chemin dans la tribu de Juda, où se trouvait Bethléem, au sud-ouest de Guilgal (Géographie de Canaan,§§ 100 et suiv.). Les deux veuves entrèrent dans la ville natale d'Elimélec, pauvres et fatiguées, comme le firent, 1300 ans plus tard, Joseph le charpentier et Marie la mère de Jésus. Quoique plusieurs années se fussent écoulées depuis que Nahomi avait quitté le pays, et bien que le malheur ne rajeunisse pas, on la reconnut aussitôt. Son nom ne tarda pas à être dans toutes les bouches; mais ce nom signifiait ma joie, ou quelque chose de semblable, et Nahomi leur dit: Hélas! appelez-moi plutôt Mara, c'est-à-dire amertume (I, § 712); puis de leur raconter, avec une profonde tristesse, toutes les épreuves par lesquelles il avait plu à l'Éternel de la faire passer.

2: 1-4
§ 158. Nahomi et sa belle-fille avaient atteint Bethléem au moment de la moisson. Aussitôt Ruth se mit en devoir de recueillir par son travail leur nourriture à l'une et à l'autre. Selon le droit que la loi de Moïse donnait aux pauvres (I, § 893), elle se rendit dans le premier champ venu pour glaner sur les pas des moissonneurs. Nous savons que Dieu dirige les plus petites choses aussi bien que les plus grandes (I, § 613). Par sa volonté donc, Ruth entra justement sur la possession de l'homme respectable que l'Éternel lui avait destiné pour protecteur et pour époux à la place du fils d'Elimélec. Cet homme, fils ou petit-fils (I, § 440) de Salmon et de Rahab la Cananéenne (§ 76), s'appelait Booz. C'était un proche parent du premier mari de Ruth, un personnage puissant et riche, et, ce qui vaut mieux, un Israélite vraiment pieux. Cela se voit dans la salutation qu'il adresse à ses moissonneurs, dans les habitudes religieuses qu'il avait su imprimer à tout son monde, et plus encore dans sa généreuse conduite envers la pauvre femme du pays de Moab.

2: 5-12
§ 159. Lui, qui connaissait si bien tous les habitants de la petite ville de Bethléem, remarqua la jeune étrangère et, ayant appris de son maître-valet que c'était la Moabite qu'on avait vue revenir avec Nahomi, il s'approche d'elle et, du ton le plus bienveillant, il l'engage à continuer de glaner sans crainte, l'avertissant que, non seulement il ne lui serait fait aucun mal, mais encore qu'elle pourrait prendre sa part des rafraîchissements préparés pour les travailleurs. Touchée de ces procédés affectueux, Ruth se prosterna devant Booz et lui demanda ce qui avait pu lui valoir un tel accueil. «Ce que tu as fait pour ta belle-mère est revenu à mes oreilles,» lui dit le respectable Booz; que l'Éternel te récompense mieux que je ne puis le faire! qu'il t'accorde la protection que tu lui as demandée en te réfugiant sous ses ailes!

2: 13-§8
§ 160. Ni Booz, ni Ruth ne pensaient à ce moment qu'il fût dans les intentions du Seigneur de les unir par les saintes relations du mariage. Ruth, en particulier, devait se sentir trop au-dessous de cet homme opulent. Elle était heureuse des paroles bienveillantes qui avaient consolé son cœur, et tout ce que, dans son humilité, elle se serait permis d'ambitionner, c'eût été de devenir une des servantes de ce digne fils d'Abraham. Booz, non plus, ne la traita pas autrement. L'heure du repas étant venue, il la fit placer à la table des moissonneurs; mais de la part qui lui fut servie elle put prélever une offrande à sa bien-aimée belle-mère. Ce n'était pas tout ce que voulait Booz. Avec une délicatesse de procédé facile à apprécier, il ordonna de laisser la jeune femme glaner au milieu même des gerbes et de lui abandonner, comme par mégarde, quelques poignées d'épis, manière aimable de lui faire l'aumône sans la blesser.

2: 19-23
§ 161. De retour auprès de Nahomi, Ruth dut raconter ce qui lui était arrivé. Elle le fit et nomma Booz. Or Nahomi le connaissait de vieille date. Ce parent avait jadis déployé une grande bonté envers Elimélec, et, dans cet instant même, il ne faisait que se montrer fidèle à ses antécédents. D'ailleurs il était un de ceux qui, d'après la loi de Moïse, avait le droit de racheter les domaines patrimoniaux d'Elimélec, une fois qu'il était avéré que celui-ci ne laissait pas de postérité en état de le faire (Lév. XXV, 25). Booz était donc légalement le chef de leur famille, ou pouvait le devenir; en conséquence, Nahomi invita Ruth à retourner avec les servantes de Booz jusqu'à la fin des moissons. C'est ce que fit la jeune femme; après quoi elle rejoignit sa belle-mère.

3: 1-9
§ 162. Cependant, Nahomi avait conçu un projet qui lui tenait fort au cœur et qu'elle exécuta d'une manière en apparence fort étrange, mais dont il ne faut pas juger d'après nos mœurs. Elle savait, comme nous venons de le voir, que Booz était un de ceux qui avaient le droit de racheter les propriétés d'Elimélec de la main des personnes qui les possédaient maintenant. Elle savait de plus que si Booz rachetait ce bien, il devrait épouser la veuve du fils d'Elimélec. Nahomi ne doutait pas que sa chère Ruth ne fût digne d'appartenir à Booz, ni que l'affection et la protection de cet homme pieux ne fussent propres à rendre Ruth aussi heureuse qu'on peut l'être en ce monde. Cette union lui paraissait donc tout à fait selon Dieu; mais la difficulté était d'y faire songer Booz qui, à cause peut-être de la différence des âges, ne semblait pas en avoir la moindre pensée. Elle imagina, dans la candeur de son âme, un moyen qui eût été bien peu convenable en toute autre circonstance, mais qui, de Ruth à Booz, n'était que le témoignage d'une confiance justement méritée. Ruth, vêtue et enveloppée de tous ses habits, va, par le conseil de sa mère, se placer aux pieds de son parent sur un tas de gerbes où il s'était couché, après le repas qu'il avait fait avec ses gens à la fin de la moisson. Réveillé au milieu de la nuit, Booz sent quelqu'un à ses pieds; il les retire brusquement, demande qui est venu troubler son repos et il entend la douce voix de Ruth qui, avec une émotion qu'on peut aisément deviner, lui fait comprendre en peu de mots qu'elle sait le droit qu'il a de la prendre pour sa femme, selon la loi de Dieu, et qu'elle, sa servante, a osé lui dire ainsi qu'elle était prête à accepter sa main.

3: 10-18
§ 163. «Que l'Éternel te bénisse!» lui dit Booz. Cette parole, en montrant toujours mieux à Ruth que cet homme vénérable vivait en présence de Jéhovah leur Dieu, dut répandre dans le cœur de la jeune veuve une grande sécurité. «Que l'Éternel te bénisse! Qui aurait imaginé que tu pusses me préférer à des hommes plus jeunes que moi! Je sais la réputation sans tache dont tu jouis, ainsi ne crains pas de t'être fait quelque tort dans mon esprit. Seulement, retire-toi avant que le jour paraisse, et porte à ta belle-mère le présent dont je vais te charger pour elle. Je ne suis pas le seul qui ait le droit de racheter l'héritage de ton mari, mais ce matin même l'affaire sera mise en règle.» Ces discours furent rapportés par Ruth à Nahomi. Or, celle-ci connaissait assez Booz pour être sûre qu'il tiendrait sa parole et, quoique la Bible ne nous le dise pas, nous pouvons bien conjecturer qu'elle bénit l'Éternel de l'issue qu'il avait donnée à sa candide imprudence. Je qualifie de la sorte sa conduite, parce qu'on ne saurait nier que Nahomi n'eût risqué de compromettre Ruth dans l'estime de Booz. Mais, s'il est des imprudences coupables, il en est qui partent de sentiments honnêtes et pieux; les meilleurs d'entre les hommes en commettent de telles quelquefois, et, si le monde a beaucoup de peine à les leur pardonner, il n'en est pas de même du Seigneur.

Chap 4
§ 164. Comme il l'avait dit, Booz remplit, dès le matin, les formalités requises pour s'assurer la possession de Ruth et de son héritage. Après quoi, il l'épousa au milieu des bénédictions de tous les Bethléhémites, et il en eut un fils qui fut nommé Obed. C'est de lui que descendit plus tard le roi David, et par conséquent notre Seigneur Jésus-Christ, né dans la famille des rois de Juda.

§ 165. Il y a ici une difficulté chronologique trop considérable pour qu'on la passe sous silence. Depuis l'entrée des Israélites dans le pays de Canaan jusqu'à la naissance du roi David, on doit compter environ 360 ans. Or, d'après la généalogie de ce monarque, telle que nous l'avons en cet endroit, il n'y aurait eu entre lui et Salmon, le mari de Rahab, que trois générations: Booz, Obed et Isaï. Cela paraît impossible. Aussi pense-t-on généralement que la généalogie ne tient pas compte de tous les ancêtres de David; elle se borne à en énumérer les plus marquants; comme si l'on disait, par exemple, que Louis-Philippe, le roi actuel des Français, est fils d'Henri IV, et que celui-ci est fils de Saint-Louis.

§ 166. Quoi qu'il en soit, nous avons dans le livre de Ruth une nouvelle preuve que l'Écriture tout entière se rapporte à Jésus-Christ (§ 76; I, §§ 344, 519). L'histoire de Nahomi et de sa bru tire son principal intérêt de ce que l'aimable et vertueuse moabite compte parmi les ancêtres de notre Seigneur, avec les deux Cananéennes Tamar et Rahab. Outre cela, toutefois, ce récit possède un charme particulier, à raison de sa naïveté et des mœurs antiques dont il contient la description. J'aurais pu le faire remarquer à mesure; mais ces détails n'auront pas échappé à ceux de mes lecteurs qui, ainsi que je le leur ai demandé, étudient surtout ces récits dans leur Bible et donnent toujours une haute prééminence au saint livre de Dieu. Enfin, si vous comparez ce délicieux épisode de Ruth avec ceux de Mica et du Lévite d'Ephraïm, vous serez vivement frappés du contraste. Mais d'où vient la disparité? De ce que ceux-ci nous révèlent les turpitudes du peuple d'Israël dans ses temps de chute, tandis que l'histoire de Booz, de Nahomi et de sa belle-fille nous initient aux mœurs simples et pures, aux habitudes pieuses de ce même peuple en ses temps de fidélité. À ces époques fortunées, toutes les familles sans doute ne valaient pas celle d'Elimélec, mais par elle nous pouvons juger de beaucoup d'autres, et la foi de ces dignes fils d'Abraham attirait les bénédictions du Seigneur sur tout le pays.


XCIV. Débora, Barac, les Madianites.


Juges 4: 1-3

§ 167. Pour reprendre notre histoire où nous l'avons laissée (§ 154), Ehud étant mort, les Israélites recommencèrent à faire ce qui est mauvais devant l'Éternel. Après une paix de quatre-vingts ans, ils se virent attaqués et opprimés par ces mêmes Cananéens que leur devoir aurait été de déposséder (§ 134), et qui, maudits de Dieu, devinrent momentanément les maîtres du peuple béni. Tout au nord du pays, près du lac Mérom et vers le Liban, existait une ville que Josué avait détruite (Josué XI, 11), mais que, grâce aux désordres des enfants d'Israël, les Cananéens étaient parvenus à rétablir. À l’époque où nous sommes, c'est-à-dire longtemps après la conquête, cette ville de Hatsor était redevenue la résidence du Jabin, nom que portaient, de père en fils, les chefs cananéens de cette contrée (Josué I, 1). Celui-ci, roi belliqueux, avait pour général un homme vaillant nommé Sisera. Pendant vingt ans, ses armées humilièrent les Israélites, et, des montagnes d'Ephraïm jusqu'en Nephtali et Zabulon, il exerçait à son gré une odieuse tyrannie.

4: 4,5
§ 168. Mais, tandis que Jabin élevait dans le nord l'orgueil de son trône, une femme assise sous un palmier entre Rama et Béthel, transmettait aux enfants d'Israël demeurés fidèles et à ceux que l'infortune ramenait au Seigneur, les paroles que l'Éternel lui donnait pour eux. Son nom était Débora. Les Saintes Écritures la qualifient de prophétesse, parce qu'elle exhortait, instruisait, consolait et reprenait le peuple par l'Esprit de Dieu, comme une mère en Israël; et, telle était la confiance générale dont elle jouissait, qu'on s'en remettait à son jugement et à ses avis en toutes choses. Elle gouvernait donc réellement, non qu'elle donnât des lois, puisqu'il n'y avait pas d'autres lois possibles que celles de Moïse, mais elle les appliquait aux divers cas qui se présentaient, comme l'aurait fait un juge.

4: 6-10
§ 169. Il y avait en Nephtali un homme que l'Éternel destinait à effectuer, sous la direction de Débora, la délivrance d'Israël. Il se nommait Barac. Débora l'ayant appelé près d'elle, l'exhorta à réunir dix mille combattants sur le Thabor, tandis qu'elle irait harceler Sisera avec quelques troupes, pour l'attirer dans la belle plaine de Jisréel ou d'Esdraëlon, qu'arrose le torrent de Kison (§ 106). Barac, effrayé du péril de l'entreprise, se refusait absolument à y mettre la main, au point que Débora dut faire avec lui le tour du pays pour recruter leurs dix mille soldats. Ce Barac était un homme de petite foi, un guerrier peu résolu dans le service du Seigneur; aussi, Débora fut-elle chargée de lui annoncer que l'Éternel livrerait Sisera entre les mains d'une femme et non pas dans les siennes, prophétie qui s'accomplit doublement, ainsi que nous Talions voir tout à l'heure.

4: 12-16
§ 170. C'est une chose terrible que d'encourir la colère du Tout-Puissant! Semblable à Pharaon et à Héglon, Jabin et Sisera avaient été des instruments dont le Seigneur s'était servi pour châtier Israël. Il s'en fallait bien toutefois qu'ils eussent été mûs par le zèle pour sa gloire. Au contraire, ils s'étaient réjouis et enorgueillis en leur cœur de la victoire qu'ils avaient, pensaient-ils, remportée sur Jéhovah, le Dieu d'Israël. C'est pourquoi  Jéhovah les fit, à l'heure marquée, tomber sous les coups de son peuple. Il leur avait, pour ainsi dire, donné rendez-vous dans la plaine de Jisréel, et leur défaite fut telle que tous les soldats de Jabin, jusqu'au dernier, périrent les armes à la main, ou durent prendre la fuite. Le vaillant Sisera lui-même fut du nombre des fuyards. Le Seigneur le réservait à une mort plus ignominieuse et plus exemplaire, tout à la fois, que celle qui se trouve sur un champ de bataille,

4: 17-24
§ 171. Un des descendants du beau-père de Moïse, un de ces Kéniens que nous avons vus s'établir au midi du pays de Canaan (§ 132), avait transporté ses tentes dans la tribu de Nephtali, non loin de Hatsor. Là, sa famille vivait en paix sans avoir pris aucune part à la guerre. Ce fut chez lui que se réfugia Sisera. Jahel, femme d'Héber, accueille le guerrier fugitif; elle l'engage à bannir toute crainte, l'introduit dans sa demeure, lui prodigue les rafraîchissements dont il a besoin, lui montre le lit où il pourra se reposer, et quand il est profondément endormi, elle s'approche doucement, ayant en sa main un des piquets auxquels tenaient les cordages de la tente, et elle lui enfonce cette arme terrible dans la tête. Ainsi périt le méchant qui s'était élevé contre l'Éternel; ainsi s'accomplit la prophétie de Débora; ainsi encore Jahel montra l'affection qu'elle portait au peuple de Dieu.

§ 172. Toujours est-il que son action dénote une grande ignorance du devoir et une terrible barbarie. On peut dire beaucoup de choses pour l'excuser, mais rien ne saurait la justifier complètement, pas même l'éloge qu'en fait Débora dans son cantique, bien qu'elle l'ait, selon toute apparence, prononcé sous l'impulsion de l'Esprit de Dieu (ch. V, vers. 24-27); car elle y célèbre plutôt la délivrance accordée à Israël par l'acte courageux de Jahel et le jugement du Seigneur exercé par ce meurtre, que le meurtre lui-même. C'est ainsi qu'on parle quelquefois des attentats commis par certains hommes illustres dont l'histoire nous a légué les noms. On peut y voir les effets de l'amour qu'ils portaient à leur patrie, les coups sévères de la justice divine, les moyens par lesquels Dieu ouvrit souvent une ère de bénédictions; mais frapper un ennemi désarmé, le frapper en cachette, le frapper sous le toit de l'hospitalité, c'est ce que Dieu ne saurait ni commander, ni approuver. Après cela, il est juste de dire que Jahel ne saurait être soupçonnée d'avoir agi par esprit de vengeance particulière. La perfidie de son action s'explique par sa faiblesse même, devant un homme tel que Sisera; en sorte que ce qui reste au fond, c'est l'énergie que donne une grande foi et l'horrible sort qui attend l'impiété. Voilà ce que Débora me paraît surtout mettre en saillie dans son cantique.

5: 1-30
§ 173. Ce cantique est d'ailleurs un chant de délivrance semblable à celui de Moïse (I, § 711). Il exprime la joie que doivent éprouver les fidèles en pensant à la grande puissance de l'Éternel et à ses victoires sur ceux qui l'outragent. Débora invite Israël à célébrer la gloire de Dieu et à se souvenir de ses grâces précédentes; car un bienfait du Seigneur doit nous rappeler tous ses bienfaits. D'un autre côté, les miséricordes du Tout-Puissant réveillent en nous le souvenir de nos transgressions, et Débora ne manque pas de décrire dans son cantique la misère et les crimes du peuple. Puis, elle fait l'éloge des tribus et des villes qui s'étaient armées pour la gloire de Dieu et flétrit la lâcheté de celles qui étaient demeurées en arrière. Elle raconte, comme nous l'avons dit, la mort de Sisera et elle termine par ces paroles émouvantes: «Ainsi périssent, ô Jéhovah! tous tes ennemis, et que ceux qui t'aiment soient comme le soleil quand il se montre dans tout son éclat!!

§ 174. O! vous qui lisez ces lignes, ayez pitié de vos âmes! Ceux qui n'aiment pas Dieu ne peuvent échapper à sa justice. Le fier Sisera l'a su, et combien d'autres après lui. Les moyens ne manquent pas au Très-Haut; il peut donner force aux plus chétifs et sanctifier les plus méprisables en apparence. Soyez donc plutôt de ceux qui s'attachent à lui et auxquels une si grande gloire est promise: «Ils brilleront comme le soleil quand il est dans tout son éclat.»

5: 31
§ 175. Jamais Israël n'avait été plus humilié que pendant son asservissement au Cananéen Jabin; il le fut même dans sa délivrance, puisque, après Dieu, il la dut à deux femmes. Cependant, son retour vers le Seigneur ne porta pas d'aussi riches fruits que la précédente fois, car il fut en repos pendant quarante ans seulement.

6: 1-6
§ 176. En voyant les Israélites retomber dans leurs erreurs, on pourrait croire que l'Éternel va les châtier plus sévèrement que jamais. Ils avaient été assujettis huit ans aux Syriens de Mésopotamie, dix-huit ans aux Moabites, vingt ans à Jabin; or, cette fois, le châtiment ne dura que sept années. Il fut tellement rude, il est vrai, que le peuple y aurait succombé s'il s'était prolongé davantage. Les Madianites, issus d'Abraham par Kétura (I, § 395), tribus de même sang que celles d'Israël et qui habitaient les contrées à l'est de Moab, furent, avec les Hamalékites et d'autres peuples de l'orient, le fléau dont le Seigneur frappa les enfants d'Israël â cette époque. La calamité devint si grande que beaucoup d'entre eux ne durent qu'à la fuite la conservation de leur existence. Ils se cachèrent dans les montagnes, d'où ils descendaient furtivement pour cultiver quelques coins de terre; mais quand le temps de la récolte approchait, alors venaient les étrangers qui, parcourant le pays d'orient en occident, pillaient tout sur leur passage. Les contrées que ces dévastateurs atteignaient particulièrement furent les tribus de la rive gauche du Jourdain et les tribus méridionales de l'autre côté.

6: 7-10
§ 177. Soit que l'impiété eût fait, cette fois-ci, moins de ravages que précédemment, soit que la leçon fût en réalité plus forte, les Israélites ne tardèrent pas à rentrer en eux-mêmes et à crier de tout leur cœur à l'Éternel. Ce qui contribua puissamment à les ramener, ce furent les prédications d'un prophète dont le nom ne nous a pas été transmis, mais oui bien ses discours, du moins en abrégé. Rappelant aux enfants d'Israël comment le Seigneur les avait retirés d'Égypte, délivrés de leurs ennemis, rendus maîtres du pays de Canaan, il leur rappelait en même temps la défense qui leur avait été faite de participer au culte idolâtre des Cananéens, et il leur indiquait ainsi d'où venait leur affreuse misère. Hélas! notre misère à tous, nos peines et nos craintes résultent également de ce que nous n'obéissons pas à la voix de l'Éternel! Le ministère de l'homme de Dieu ne demeura pas sans effet. Cependant, il fallait de véritables miracles pour affranchir Israël du joug affreux qui pesait sur lui; il fallait qu'un nouveau Josué fût mis à la tête du peuple; mais le Seigneur est non moins puissant que fidèle, et nous allons revoir des jours tout semblables à ceux des anciens temps.


XCV. Gédéon.


6: 11-12

§ 178. Il existait dans la tribu de Manassé un homme jeune encore, cadet d'une famille peu considérable, d'un caractère naturellement timide, mais que l'Esprit de Dieu avait préservé de la corruption générale, ou que sa grâce du moins préparait pour une œuvre sainte. Il s'appelait Gédéon et son père Joas, de la maison d'Abihézer. Un jour que ce jeune homme s'occupait à fouler le blé et à l'enfouir dans la terre pour le dérober à la rapacité des Madianites, une personne d'un aspect imposant se présente devant ses yeux. C'était I'ange de L'Éternel, celui qui avait jadis parlé au père des Hébreux et à ses enfants, puis à Moïse et à Josué, mais qui, dès longtemps, ne s'était pas révélé personnellement à son peuple. L'Ange de l'Éternel commença par saluer Gédéon en des termes bien propres à l'étonner: «Très fort et vaillant homme,» lui dit-il, «l'Éternel est avec toi.» Le fils de Joas n'était ni fort, ni vaillant, mais il fallait devenir par la grâce de Dieu, et «Celui qui parle des choses qui ne sont point comme si elles étaient déjà,» voit Gédéon tel qu'il sera et non pas tel qu'il est. C'est ainsi qu'il donne à ceux qui croient le nom de saints et de parfaits (Rom. VIII, 27; 1 Cor. II, 6). Au surplus, en disant à Gédéon: «L'Éternel est avec toi,» l'ange lui faisait assez connaître d'où lui viendrait sa force.

6: 13,14
§ 179. Cependant, si la réponse de Gédéon fut celle d'un homme pieux, elle montre qu'il ne comprenait pas encore toute l'étendue de la grâce du Seigneur et qu'il n'osait trop y croire. «Si l'Éternel était avec nous, serions-nous misérables à ce point, et ne renouvellerait-il pas en notre faveur les merveilles dont nos pères furent les objets?» Alors l’Éternel, le même qui d'abord avait été appelé l’Ange de l'Éternel (I, § 321), l'Éternel, dis-je, le regardant: «Va avec cette force que tu as, et tu délivreras Israël de la main des Madianites. Voici, c'est moi qui t'envoie.» — La force que Gédéon possédait, c'était sa vocation même, sa mission, la promesse de Dieu et si l'on veut sa faiblesse et son humilité; car humble et faible, il était impossible qu'il se reposât sur autre chose que sur le Seigneur et sur sa force toute puissante.

6: 15-16
§ 180. Gédéon ne comprend pas encore s’étonne du choix qui est fait de lui. Il ne conçoit pas comment il pourra délivrer Israël. Aussi le Seigneur venant à son aide: «Je serai avec toi, lui dit-il, et tu frapperas les Madianites comme un seul homme.» À ces mots, le jeune Israélite commence à découvrir quel est Celui qui daigne lui parler de la sorte. C'est quelqu'un qui lui promet d'être toujours et partout avec lui! quelqu'un qui lui garantit une pleine victoire sur les ennemis de Dieu! Ah! certainement, il faut que ce soit l'Ange de l'Alliance, le même Médiateur qui fut avec Moïse dans le désert, et avec Josué lors de la conquête du pays de Canaan (§ 68)!

6: 17-21
§ 181. Toutefois Gédéon veut s'assurer que c'est bien Lui. Il le prie d'attendre sous le chêne où ils avaient eu cet entretien solennel. Puis il revient bientôt après, avec des offrandes comme celles qu'on déposait sur l'autel du Seigneur et il les met aux pieds de l'ange. Celui-ci les fait placer sur un rocher; il les touche de sa verge, et les ayant à l'instant consumées, il disparaît de devant Gédéon. Et voilà comment il voulut le convaincre que VI c'était bien avec lui, l'Éternel, qu'il avait affaire, et que lui, l'Éternel, acceptait les hommages de son serviteur.

6: 22-24
§ 182. Alors le fils de Joas se souvint de ce qui est écrit: «Personne ne peut voir l'Éternel et vivre (I, § 855);» aussi se crut-il un homme mort. Mais Celui qu'il avait vu est l'Être plein de miséricorde qui s'était montré à ses ancêtres; le Rédempteur, le Médiateur, l'image du Dieu invisible; celui dont la vue ne donne pas la mort, tant s'en faut; c'est pourquoi la voix de l'Éternel fit entendre à Gédéon ces consolantes paroles: «Tout va bien pour toi,» ou le salut est avec toi; «ne crains point; tu ne mourras point.» Or ces paroles rassurantes le St. Esprit les adresse maintenant encore, à chacun de ceux qui, semblables à Gédéon, élèvent dans leur coeur un autel à JÉHOVAH-SALOM, c'est-à-dire au Dieu de la Paix. — Ce nom de Jéhovah-Salom, ou Jéhovah-Salem, rappelle, pour le dire en passant, le personnage mystérieux qui apparut à Abraham lorsqu'il revenait de la guerre contre les rois, et que Moïse nomme Melchisèdec Mèlech-salem, roi de justice et roi de paix (I, § 284).

6: 25, 26
§ 183. Il fallait maintenant que Gédéon fût manifesté aux enfants d'Israël comme celui par qui Dieu voulait opérer leur affranchissement. Pour cet effet, le Seigneur lui ordonna de renverser l'autel de Bahal qu'avait érigé Joas et de couper le bocage où tant d'abominations s'étaient commises dans le culte des faux dieux. Au même endroit, Gédéon devait élever un autel à Jéhovah et y offrir en holocauste un jeune taureau avec le bois du bocage. C'était commencer par sa propre maison la réforme religieuse qu'il avait charge d'effectuer, réforme absolument nécessaire pour qu'Israël pût secouer le joug des Madianites. On comprend, du reste, que l'ordre donné à Gédéon ne confère pas, d'une manière générale, à des enfants pieux le droit d'exercer une autorité pareille sur la maison de leur père. On ne saurait non plus justifier par cet exemple tous les excès auxquels se portèrent, il y a trois siècles, ceux qui, de leur autorité privée, brisaient et brûlaient les images et les croix, objets de la superstition romaine. Pour faire ce qu'il fit, Gédéon avait de la part de l'Éternel des ordres directs, immédiats, positifs.

6: 27
§ 184. Le fils de Joas attendit la nuit. Ce ne fut pas, comme on pourrait le croire, par timidité; car il savait qu'on ne manquerait pas de reconnaître sa main. Ce fut donc un de ces ménagements qui se concilient parfaitement avec la fidélité. Il lui était permis d'espérer qu'une fois Bahal renversé de son autel, Joas ne lui saurait pas mauvais gré de sa hardiesse; mais il était beaucoup moins sûr qu'il le laissât faire la chose en sa présence. Il voulut éviter une lutte inutile, et l'on ne peut que l'approuver. Si le serviteur de Dieu doit toujours être prêt à combattre, il doit toujours aussi s'efforcer de faire son œuvre dans la paix, bien qu'il ne puisse, en aucun cas, sacrifier à la paix un commandement formel du Seigneur.

6: 28-32
§ 185. Quand les gens de la ville s'aperçurent que le bocage de Joas était abattu, ils ne doutèrent pas que le coupable ne fût Gédéon, jeune homme chez qui l'on avait pu voir précédemment une opposition plus ou moins prononcée contre l'idolâtrie régnante; sans compter qu'il avait été sûrement trahi par ceux qu'il avait employés à cette exécution et auxquels, du reste, il n'avait pas recommandé le secret. Démolir l'autel de Bahal! arracher et brûler son sanctuaire! quel crime aux yeux de ces fanatiques! Rien que la mort du téméraire ne pouvait les contenter. Hélas! c'est ce qu'on a vu pIus d'une fois dès lors. Mais on a vu aussi, chez les peuples idolâtres, des princes et des magistrats dire comme Joas: «Si nos dieux sont Dieu, qu'ils se fassent justice eux-mêmes.» Et il appela Gédéon Jékubbahal , c'est-à-dire que Bahal se défende!

6: 33-40
§ 186. On était à l'époque de l'année où les Madianites et leurs auxiliaires faisaient leurs excursions en Canaan pour piller les récoltes. Mais l'Esprit du Seigneur s'empara de Gédéon, qui, après avoir réuni les Abihézérites autour de sa personne, convoqua les hommes de Manassé, puis ceux des tribus voisines, Asser, Zabulon et Nephtali. Celles-ci, par la distance qui les séparait du pays de Madian, offraient sans doute un accès plus facile aux courriers de Gédéon. Lorsqu'il eut rassemblé tout son monde, il sollicita de l'Éternel deux signes qui, tout en affermissant sa propre foi (I, § 292), pussent convaincre les Israélites qu'il avait réellement mission à les conduire, et l'Éternel, toujours plein de condescendance envers ses serviteurs, accéda au vœu du fils de Joas. La manière dont la chose se passa montre que, devant Dieu, rien n'est petit, s'il contribue en quelque chose à sa gloire et à l'accomplissement de ses desseins.

7: 1-7
§ 187. Trente-deux mille hommes environ répondirent à l'appel de Gédéon. C'était une armée considérable. Mais le Roi d'Israël, Jéhovah, voulut constater de nouveau que toute délivrance vient de lui, et pour cela il lui plut de réduire à un très faible nombre les soldats de son général. D'abord il lui ordonna de proclamer que ceux qui avaient peur eussent à se retirer sur la montagne de Galaad, et il y en eut vingt-deux mille qui profitèrent de la permission. C'était une diminution d'hommes, mais non pas de force, car les poltrons ne valent rien dans une bataille; souvent, au contraire, ils ne font qu'entraver les mouvements et précipiter la déroute. Gédéon demeurait donc plus redoutable avec ses dix mille guerriers qu'il ne l'était auparavant. C'est pourquoi le Seigneur voulut qu'il se fit une nouvelle épuration. Les dix mille étaient arrivés près d'un torrent, après une course rapide à travers les montagnes. Il n'y avait plus qu'une faible distance entre eux et les Madianites. Gédéon fit faire une halte de quelques instants, pour que ses hommes pussent se rafraîchir avant d'aller au combat. Eux de se coucher aussitôt et de savourer l'eau avec délices. Trois cents d'entre eux seulement, pressés d'en venir aux mains avec les Madianites, prirent en passant quelques gouttes qu'ils portèrent rapidement à la bouche. Ce fut avec ces trois cents hommes d'élite que Gédéon dut faire face aux ennemis de l'Éternel et de son peuple.

7: 8-14
§ 188. Pour cette fois, il lui fallait une résolution que l'Esprit de Dieu pouvait seul lui inspirer. Les enfants d'Israël étaient arrivés non loin du camp madianite. L'Éternel invita Gédéon à s'approcher, durant la nuit, des premières gardes, en lui annonçant qu'il y entendrait les paroles d'encouragement dont il avait besoin. Or ce fut le récit que les soldats se faisaient d'un songe, assez bizarre sans doute, mais qui prouvait le secret effroi dont l'Éternel avait rempli le cœur des ennemis. Ces étrangers n'ignoraient pas qu'aucun peuple n'avait pu résister aux armes d'Israël lorsque Jéhovah, son Dieu, les avait secondées; on leur avait raconté le zèle de Gédéon contre l'idolâtrie; tout le monde s'accordait à voir en lui un ministre de Jéhovah, et maintenant que cet homme était devant eux avec une armée qu'ils pouvaient croire encore nombreuse, le courage abandonna ces hordes de pillards, qui n'avaient dû leurs précédentes victoires qu'aux péchés du peuple de Dieu.

7: 15-22
§ 189. Voyez, au contraire, la piété et la foi de Gédéon l Avant toutes choses il se prosterne devant l'Éternel pour lui rendre ses actions de grâces; puis il court à ses gens et leur dit: «L'Éternel a livré le camp de Madian entre vos mains.» Il l'a livré! c’est une affaire faite; car ce que Dieu veut doit nécessairement s'accomplir. Il faut agir cependant. Mais comment attaquer, avec trois cents hommes, une multitude de soldats dont les tentes couvrent la vallée? Gédéon conçut un plan qui, bien exécuté, lui réussit à merveille. Chacun de ses hommes avait pris des vivres dans une amphore, cruche à ventre évasé et à ouverture très étroite; il leur fit jeter l'huile ou la farine que ces cruches contenaient; puis, au moyen de la résine qui coule abondamment des arbres de cette contrée, il fabriqua des flambeaux qu'on renferma dans les cruches vides. Chaque soldat en prit une en sa main, et de l'autre main il tenait une trompette. Alors Gédéon, divisant sa petite troupe en plusieurs bandes, s'approche du camp madianite de trois côtés, et quand, grâce à l'obscurité de la nuit et à leur petit nombre, ils sont arrivés près de l'enceinte, Gédéon et ses cent hommes cassent leurs cruches, sonnent tous à la fois de la trompette et crient de toutes leurs forces: «L'épée de Jéhovah et de Gédéon!» À l'instant, les soldats qu'il avait détachés à droite et à gauche brisent aussi leurs cruches, sonnent du cor et font retentir les échos de ce cri redoutable: «L'épée de Jéhovah et de Gédéon!»
Représentez-vous l'épouvante des Madianites, qui, se réveillant en sursaut, voient leur camp éclairé presque tout autour, qui entendent un son de trompettes comme celui d'une immense armée, et qui ne peuvent VII douter que Jéhovah et Gédéon ne soient là avec leur épée. C'était l'heure du jugement qui sonnait pour eux. Ils se précipitent sur leurs armes; le premier homme qu'ils rencontrent leur paraît un Israélite cherchant leur vie; ils frappent à droite et à gauche; ils s'entr'égorgent de la façon la plus horrible; ils fuient enfin par le seul côté où ils ne voient pas la lumière des flambeaux, porte que Gédéon leur avait prudemment laissée ouverte. Ce fut ainsi que l'Éternel, seul, mit toute cette armée en déroute, car Gédéon et les siens n'avaient pas bougé de la place où ils s'étaient postés.

8: 1-22
§ 190. Je ne suivrai pas Gédéon dans les détails et dans les suites de sa victoire. En lisant ce que nous dit l'Écriture à ce sujet, vous remarquerez la jalousie des Ephraïmites contre leurs frères de Manassé et le discours conciliant que leur tint Gédéon; le mauvais vouloir des gens de Succoth et de Pénuel, et le châtiment qu'il leur infligea. Vous remarquerez aussi avec quelle sagesse le fils de Joas refusa la couronne dont on voulut orner sa tête et la raison de son refus: il ne voulait pas qu'Israël eût d'autre roi que Dieu. Vous verrez enfin comment les victoires successives de Gédéon délivrèrent Israël du joug étranger, mais aussi comment ce saint héros prépara lui-même, par son imprudence, de nouveaux malheurs à son peuple. Ceci toutefois exige quelques explications.

8: 23-27
§ 191. Lorsque Gédéon refusa la royauté, il avait demandé en échange les anneaux d'or dont on avait dépouillé les ennemis; « Ismaélites,» dit l'écrivain sacré, à raison peut-être de ce qu'il se trouvait des descendants d'Ismaël parmi les Madianites, ce qui ne serait pas la première fois (I, § 514), ou bien parce qu'on désignait sous ce nom, devenu terme générique, tous les descendants d'Abraham qui n'étaient pas fils d'Isaac , Ismaël étant l'aîné des enfants du patriarche. Quoi qu'il en soit, ce ne fut point par cupidité que Gédéon fit cette demande, mais il avait résolu de rendre à l'Éternel, dans sa propre maison, un culte splendide, pareil à celui du Tabernacle. Rien, au premier aspect, ne semble plus digne d'éloge. Gédéon qui, avant la guerre, avait dû offrir un holocauste sur un autel particulier, pouvait croire qu'il lui était permis de perpétuer ce culte volontaire. Mais la première fois, il avait agi par l'ordre même de l'Éternel. Le temps n'était pas encore venu où l'on n'adorerait plus Dieu dans un lieu déterminé à l'exclusion de tout autre, en sorte qu'avec des intentions pieuses, Gédéon commit vraiment une faute, et une faute grave, puisqu'elle devint pour les siens l'occasion d'une rechute dans l'idolâtrie. Ce fait même nous atteste combien Dieu s'était montré plein de sagesse en ne permettant pas, à cette époque, qu'on lui élevât des autels partout où les fidèles auraient eu la pensée de le faire.

§ 192. Malgré cela, il est impossible de ne pas voir en Gédéon un homme qui reçut de Dieu le don inestimable de la foi, et qui doit servir d'exemple à tous ceux dont la carrière chrétienne est particulièrement militante. Comme l'histoire de Josué, celle de Gédéon nous montre où gît la véritable force. Mais la défaite des Madianites surtout nous avertit d'une vérité trop souvent oubliée, savoir qu'un petit nombre de fidèles dévoués est plus propre à l'œuvre de Dieu, qu'une masse d'individus où les fidèles se trouvent mêlés avec beaucoup d'incrédules et d'indifférents. Ne fût-on que deux ou trois dans une ville pour rendre témoignage à la grâce de Dieu, il ne faudrait pas se décourager. Souvent les succès diminuent, non parce qu'il y a un terme fatal VIII assigné aux réveils religieux, mais parce que les âmes réveillées en viennent à se reposer sur le nombre plus que sur le bras du Tout-Puissant. Il y a là une grande instruction, et je prie mes lecteurs d'y réfléchir sérieusement.


XCVI. Abimélec, Tolah, Jaïr.


8: 28-35
§ 193. Si l'on ne savait pas combien les mœurs de ces anciens temps étaient différentes des nôtres, et de plus l'espèce de tolérance que Dieu avait accordée à la polygamie pour éviter de plus grands désordres, on ne s'expliquerait pas comment un homme tel que Gédéon put avoir un grand nombre de femmes. La foi de ces serviteurs du Très-Haut était aussi vive que peut l'être la nôtre, elle portait au fond sur la même promesse (I, § 367); mais elle était beaucoup moins éclairée, et l'Esprit de sanctification n'avait pas encore été répandu avec autant d'abondance qu'après la résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ. — De ses diverses femmes, Gédéon eut soixante et dix fils, parmi lesquels l'Écriture nomme ici Abimélec, dont la mère était Ephraïmite. Gédéon mort, ses concitoyens ne tardèrent pas à l'oublier, et, devant l'autel qu'il avait dédié au culte de Jéhovah, ils adorèrent Bahal-bérith, c'est-à-dire un Bahal avec lequel ils firent alliance, car tel est le sens du mot Bérith. De propre en proche, le mal étendit sa contagion, et bientôt Israël redevint idolâtre comme dans ses plus mauvais jours.

9: 1-5
§ 194. Cet Abimélec, fils de Gédéon et d'une Ephraïmite de Sichem, fut un bien méchant homme. Son histoire nous montre, après celles de Mica et du lévite d'Ephraïm, les maux affreux que l'oubli de l'Éternel attire sur un peuple. Abimélec est un ambitieux à qui tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins. Exploitant l'esprit de rivalité qui existait entre la tribu d'Ephraïm et celle de Manassé, jalousie provenant des prérogatives que Dieu avait accordées au second fils de Joseph (I, § 587), il se rendit auprès des parents de sa mère, et comme si les fils de Gédéon eussent tous prétendu à la royauté, ou peut-être parce que en effet il était question de leur confier le gouvernement, Abimélec représenta aux Sichémites l'honneur et l'avantage qu'il y aurait pour eux, si un des leurs montait sur le trône, plutôt que de subir l'autorité de soixante et dix tyrans qui feraient tout pour la tribu de Manassé. C'était s'adresser à la passion dominante des Ephraïmites. Depuis Josué, ils s'estimaient la principale tribu d'Israël, et parmi eux il n'y en avait pas de plus fiers peut-être que les citoyens de Sichem, car c'était près de leur ville que déposait le corps du patriarche Joseph (§ 126). C'est pourquoi ils s'empressèrent d'accorder à Abimélec des subsides en argent et en soldats. Aussitôt cet homme dénaturé se rend dans la maison de son père à Hophra. Sans respect pour la mémoire de Gédéon, sans entrailles fraternelles, il s'empare de toute sa famille et il égorge ses frères, à l'exception de Jotham, un d'entre eux, qui était parvenu à se cacher. L'Écriture dit qu'il tua les soixante-dix fils de Gédéon; mais c'est une manière de parler toute semblable à celle que nous avons vue jadis (I, § 621); car des soixante-dix, il en resta deux: Jotham et Abimélec lui-même.

9: 6-21
§ 195. Abimélec, nouveau Caïn et plus coupable que lui assurément, retourne à Sichem couvert du sang de ses frères. Là, il est proclamé roi par les seigneurs, ou mieux par les citoyens de Sichem et de Millo. Quel homme, pour s'asseoir sur un trône que Gédéon avait refusé et qu'honorèrent plus tard un David et un Salomon! Aussi n'y demeura-t-il pas longtemps, et encore n'y fut-il que pour le malheur des impies qui l'y avaient placé. À peine était-il couronné que Jotham se présenta courageusement à tout le peuple, afin de lui dénoncer des jugements de Dieu faciles à prévoir, «Les arbres,» leur cria-t-il du haut de la montagne de Garizim, «les arbres ont voulu avoir un roi. Ils se sont adressés d'abord à l'olivier, puis au figuier, enfin à la vigne. Sur le refus que leur ont fait et l'olivier et le figuier, et la vigne, si excellents par leurs produits, ils se sont tournés du côté de l'épine, et ils l'ont établie pour régner sur eux. Mais le feu sera mis à l'épine et elle consumera ceux qui se sont réfugiés sous son ombre.» Cela dit, Jotham s'enfuit au loin, pour échapper à la fureur d'Abimélec.

§ 196. Vous avez remarqué la forme que Jotham sut donner à son discours, afin de captiver l'attention de ses auditeurs et de graver plus profondément ses pensées dans leur esprit. Cette forme allégorique, très-fréquente dans l'Évangile, y reçoit le nom de parabole ou de similitude. Celle-ci est la première que nous ayons rencontrée; elle est d'autant plus remarquable qu'elle se termine par une prédiction qui reçut bientôt son entier accomplissement.

9: 22-49
§ 197. Après qu'Abimélec eut régné trois ans, il survint entre lui et les Sichémites une de ces mésintelligences si communes parmi les méchants. Il est dit que ce fut Dieu qui leur envoya cet esprit de discorde, non que la haine et le ressentiment viennent de lui, mais parce qu'il laissa Satan agir dans les cœurs des impies et qu'il se disposait à utiliser les sentiments coupables des uns et des autres pour les ruiner les uns par les autres. Ce qui précipita la crise, ce furent les provocations d'un certain Gahal, descendant à ce qu'il parait d'Hémor père de Sichem, dont parle la Genèse (I, § 488). Il excita les Sichémites contre Abimélec et contre son lieutenant Zébul, qui avait le commandement de la ville. Comment, disait-il, les Israélites, maintenant adorateurs de Bahal, peuvent-ils obéir à un homme qui est le fils de Jérubbahal, et il faisait sonner ce nom avec intention, pour qu'on n'oubliât point qu'Abimélec devait le jour à l'ennemi déclaré de leur dieu (§ 185)? Le Cananéen réussit au gré de ses souhaits. Il put même croire un instant qu'il avait gagné Zébul, car il l'entraîna contre Abimélec. Mais Zébul avait prévenu le roi secrètement. Il n'était resté avec Gahal que pour mieux le tromper, et, dans le fort du combat, il tourna ses armes contre lui. Abimélec demeura donc victorieux, et il poussa son triomphe de manière à montrer aux Sichémites quelle espèce de monarque ils s'étaient donné. Non content de raser leur ville, il assiégea les citoyens de Sichem dans un fort où ils s'étaient retirés; il y mit le feu, et tous ceux qui s'y trouvèrent, au nombre d'environ mille individus, hommes et femmes, périrent misérablement.

9: 50-57
§ 198. Puis Abimélec s'en alla à Tébets, ville qu'il assiégea et qu'il prit comme Sichem dont elle était apparemment l'alliée. C'était là qu'il devait trouver son châtiment. Il y avait au centre de la ville une tour où beaucoup de gens s'étaient réfugiés. Abimélec s'en approcha, de sa personne, avec l'intention de l'incendier; mais une femme lui jeta du haut de la tour une grosse pierre qui l'atteignit à la tête et lui brisa le crâne. Cependant Abimélec n'était pas mort et Dieu lui donnait encore quelques moments; mais ce malheureux, qui ne pensait qu'aux choses de la terre et que l'ambition avait porté à de si horribles excès, ne vit que la honte de mourir sous les coups d'une femme. Poussé par l'orgueil, qui dès longtemps l'avait perdu, il se fit tuer de la main de son écuyer; c'est-à-dire, au fond, qu'il se tua lui-même. Abimélec, un méchant, un impie, tel est, dans les récits de la Bible, le premier homme qui ait commis le suicide! C'est par un crime irréparable qu'il termina sa criminelle vie l Quel juste et redoutable jugement de Dieu!

10: 1-5
§ 199. Bien que, depuis Gédéon, les enfants d'Israël n'eussent pas été livrés entre les mains des étrangers, ils n'en étaient pas plus heureux pour cela. L'histoire d'Abimélec nous a instruits des luttes intestines qui les dévoraient. Mais à cette époque, il s'éleva parmi eux deux hommes qui les gouvernèrent en qualité de Juges, l'un pendant vingt-trois ans, l'autre pendant vingt-deux. Le premier s'appelait Tolah, de la tribu d'Ephraïm, et le second Jaïr, de celle de Manassé, selon toute apparence.

10: 6-10
§ 200. Sous leur administration, l'ordre régna en Israël; les lois de Moïse furent remises en vigueur, et l'on célébra le culte de l'Éternel d'accord avec ses ordonnances. Mais l'homme se lasse de bien faire, et après la mort de Jaïr, les Israélites recommencèrent le mauvais train de leur idolâtrie. À cette époque, ce furent les Philistins à l'ouest et les Hammonites à l'est, que Dieu chargea de châtier son peuple rebelle. Les tribus de la rive gauche du Jourdain subirent le joug de l'étranger pendant dix-huit années de suite, après quoi les Hammonites prirent leurs mesures pour envahir également les tribus de Juda et d'Ephraïm, harassées déjà par les Philistins. La détresse des Israélites fut extrême, aussi crièrent-ils à l'Éternel avec tous les signes d'un vrai repentir. «Nous avons péché contre toi, car nous avons abandonné notre Dieu pour servir les Bahalins.»

10: 11-14
§ 201. L'Éternel ne laissa point leurs cris sans réponse; mais sa réponse, soit qu'il la leur adressât par l'organe d'un prophète, soit qu'elle eût lieu par l'Urim et le Thummim (I, §§ 816, 832), ne parut point favorable à leurs vœux. Il leur fit savoir que, puisqu'ils l'avaient abandonné pour de fausses divinités, ils eussent maintenant à réclamer le secours de ces vaines idoles. Malheureux Israélites! Il allait donc leur arriver comme à tant de gens parmi nous, je veux dire comme à ceux qui, après avoir fait de ce monde leur dieu, crient au Seigneur dans leurs calamités; mais le Seigneur se refuse à les entendre et le monde qu'ils ont servi ne peut les délivrer! Au fait, je m'étonne moins de ces jugements de Dieu que de sa longue patience. Quand, au bout de tant de révoltes et de tant de grâces, le Seigneur aurait dit à Israël: «C'en est fait, je vous ai rejetés,» il me semble qu'Israël n'aurait eu que ce qu'il méritait. Or, admirez la miséricorde du Tout-Puissant! S'il paraît d'abord fermer les oreilles aux supplications de ses enfants, c'est afin qu'ils redoublent leurs prières, et par la raison même qu'il veut les exaucer encore une fois, tant est grande sa bonté!

10: 15-18
§ 202. En effet, la répréhension de l'Éternel fournit aux Israélites l'occasion de manifester le sérieux de leur repentance. Ils ne se laissèrent point décourager, et non seulement ils répétèrent la confession de leurs crimes, mais encore ils reconnurent le droit que Dieu aurait eu de les maudire. Sans plus attendre, ils ôtèrent du milieu d'eux les divinités étrangères pour retourner à X l'Éternel. Puis, avec le courage et la résolution qui naissent de la foi, les enfants d'Israël se réunirent à Mitspa (Gen. XXXI, 49), afin d'opposer une armée à celle des ammonites campée près de là. Mais il leur fallait un chef, et ils jetèrent les yeux sur un vaillant homme qui, déjà, faisait aux Hammonites une guerre de partisan dans le fond des montagnes de Galaad. Cet homme était Jephté.


XCVII. Jephté.


11: 1-10
§ 203. Galaad, descendant selon toute apparence de celui des petits-fils de Manassé qui porta ce nom (Nomb. 1-10 XXVI, 29), avait eu d'une femme débauchée un fils qu'il appela Jephté et qu'il éleva avec le reste de sa famille, nouvel exemple de la dégradation que subissaient les mœurs des Israélites lorsqu'ils se livraient au culte des faux dieux. Plus tard, Jephté se vit chasser par ses frères de la maison paternelle. Il se réfugia dans le pays de Tob, tout au nord de la tribu de Manassé, peut-être vers les montagnes de l'Hauran. Cet homme entreprenant et courageux réunit autour de lui ceux qui, dépossédés par les étrangers, étaient réduits à cacher leur vie errante dans ces lieux écartés. À la tête de sa petite troupe, il se rendit redoutable aux ennemis de son peuple, et bientôt les Galaadites, puis, comme nous venons de le dire, ceux des enfants d'Israël qui avaient repris courage auprès de l'Éternel invitèrent Jephté à se charger du commandement de leur armée.

11: 11-27
§ 204. Que pouvait désirer de mieux un guerrier de la trempe de Jephté, un homme qui avait tant souffert de la honte de sa naissance, et qui d'ailleurs montra toujours une si grande haine pour les oppresseurs de son peuple? Il se transporta donc à Mitspa, où il s'établit avec sa fille unique et avec ses gens; puis il prépara tout pour la guerre. Mais auparavant il envoya des députés aux Hammonites, afin de les engager à se retirer paisiblement sur leur territoire. Ceux-ci prétendant n'avoir fait que reconquérir des domaines que les Israélites leur avaient ravis injustement, Jephté leur représenta combien ces réclamations étaient mal fondées et il prolongea les pourparlers aussi longtemps qu'il put en espérer quelque bon résultat. Homme de guerre, Jephté ne se montra point avide du sang de ses ennemis et la paix lui était de beaucoup préférable aux combats. Le caractère de Jephté nous apparaît ici sous un beau jour, et l’on ne saurait douter qu'il ne tint de la grâce de Dieu ces sentiments pacifiques (Matth. V, 9).

11: 28-33
§ 205. Le roi des Hammonites étant demeuré sourd aux paroles conciliatrices de Jephté, l'Esprit de l'Éternel remplit cet homme vaillant d'un nouveau courage, et lui donna tout ce qu'il fallait de foi, de prudence et d'énergie pour effectuer la délivrance d'Israël. Jephté sentait très bien que sa valeur seule n'y suffirait pas, et, pour montrer qu'il attendait tout de l'Éternel, il fit vœu de lui consacrer, en témoignage de sa gratitude, les premiers objets qui se présenteraient à lui lorsqu'il rentrerait dans sa maison. Après quoi, il marcha contre les étrangers, les défit complètement et en débarrassa le territoire d'Israël.

11: 34-40
§ 206. Le vainqueur des Hammonites regagnait ses foyers plein de joie et de reconnaissance, il s'apprêtait à accomplir son vœu en livrant aux flammes de l'holocauste les taureaux ou les béliers qu'il pensait trouver autour de son habitation, lorsque le plus douloureux spectacle s'offrit à sa vue. Au lieu de l'attendre dans l'intérieur de sa demeure, selon les lois que les mœurs imposaient aux personnes de son sexe et de son âge, la fille de Jephté, fière des succès de son père et heureuse de le revoir, était allée au-devant de lui avec des flûtes et des tambours. «Hélas! ma fille,» lui cria Jephté, en déchirant ses vêtements avec une vive douleur, «pourquoi faut-il que tu viennes mettre le trouble dans mon âme et changer en deuil ce jour de fête? J'ai ouvert ma bouche à l'Éternel et je ne saurais me rétracter?» — Qu'avait-il donc juré? Que signifiait le désespoir où le mettait la vue de sa fille? Ah! il fut bien obligé de le lui dire, et quel déchirement pour leurs pauvres cœurs!

§ 207. En se résignant à sacrifier sa fille unique afin de s'acquitter du vœu qu'il avait fait, Jephté se décidait à un acte plein de barbarie assurément, et la loi de Dieu le lui interdisait de la manière la plus formelle (Deut. XII, 31). Cependant, avant de le condamner, il est permis d'admirer la fidélité avec laquelle il se disposait à tenir l'engagement qu'il avait contracté envers l'Éternel. Rappelez-vous la naissance de Jephté, quelle fut sa jeunesse, dans quelle carrière il se trouva lancé, les circonstances mêmes du peuple auquel il appartenait, et vous conviendrez que sans doute il ne pouvait avoir beaucoup étudié la loi de Dieu, si même il l’avait jamais eue sous la main. Il ignorait qu’on n'est pas tenu de faire le mal auquel on a eu le tort ou la témérité de s'engager; il ne savait pas mieux qu'il y a plus de crime à immoler sa fille qu'à enfreindre un vœu de la nature du sien. Il avait vu si souvent les païens offrir leurs enfants aux idoles! Qui sait encore si, à ce moment, il ne lui vint pas dans l'esprit que le Seigneur lui redemandait sa fille unique comme jadis il avait demandé à Abraham son Isaac! Jephté fut donc un homme de foi, mais un fidèle dont la foi fut pleine d'ignorance. Il nous est une preuve de la nécessité d'ajouter la connaissance à notre foi (2 Pier. I, 5, 6), et vraiment, nous ne saurons jamais trop bien la volonté de Dieu. Une foule d'hommes pieux ont comme lui, mais de diverses manières, terni leur gloire et celle du Seigneur par des actes où il y avait plus de zèle que de discernement. C'est pourquoi, tout en répétant que Jephté commit un péché très réel, un crime même, ne nous hâtons pas de jeter la pierre contre lui. Plût à Dieu que nous, qui sommes trop instruits de nos devoirs pour tomber dans une erreur semblable, nous fussions capables d'un pareil dévouement!

§ 208. La fille de Jephté commit aussi une faute, en s'abandonnant aveuglément à la volonté de son père, car un enfant ne doit pas accéder aux désirs de ses parents quand ils veulent ce qui est décidément mauvais. Il est toutefois dans son péché d'ignorance quelque chose de bien admirable. Quelle soumission! Quel respect pour la parole jurée! Quelle reconnaissance envers Dieu! Elle se borne à demander deux mois pour pleurer sa virginité, comme si tout son regret eût été de quitter la vie sans avoir donné à son père une famille qui pût faire la joie de sa vieillesse. Au bout de ce temps, Jephté, ferme en son dessein, exécuta ce qu'il avait résolu: sa fille mourut sans avoir été mariée, et en elle s'éteignit le nom du vainqueur des Hammonites. Aussi, chaque année, les filles de Galaad consacraient quatre jours à la mémoire de Jephté et de sa fille.

11: 34-40
§ 209. Cet événement, on le conçoit, dut faire beaucoup de bruit en Israël et au sein des nations voisines. De proche en proche, le récit en parcourut le monde, et bien des gens pensent que c'est l'origine de la fable chantée par les poètes grecs sous les noms d'Agamemnon et d'Iphigénie. En effet, la guerre de Troie, à l'occasion de laquelle doit avoir eu lieu le sacrifice de la fille du roi d'Argos, est d'une date beaucoup plus récente que Jephté et sa lutte avec les Hammonites.

12: 1-6
§ 210. Jephté n'était pas au terme de ses travaux et de ses douleurs. Après s'être frappé lui-même dans l'objet de ses plus chères affections, il dut reprendre l'épée, et cette fois contre des enfants d'Israël. La tribu d'Ephraïm, toujours jalouse des autres tribus et surtout de la tribu dont elle était particulièrement sœur (§ 194), menaça Jephté et les siens de les faire passer par le feu, à raison de ce qu'ils avaient marché seuls contre les Hammonites. Le guerrier de Galaad eut beau expliquer sa conduite, il fallut se battre, et il plut à Dieu de donner encore la victoire à ses armes, et une victoire terrible. Quarante-deux mille hommes des troupes Ephraïmites demeurèrent sur le champ de bataille. Le moment où le combat fut le plus meurtrier, ce fut au passage du Jourdain. Jephté avait occupé une position telle que personne ne pouvait lui échapper, et comme il y avait là une affreuse mêlée d'hommes appartenant aux deux partis, on faisait prononcer aux Ephraïmites un mot que, dans le dialecte de leur province, ils articulaient d'une façon particulière: Sibboleth au lieu de Schlbboleth. C'est ainsi qu'on distinguait ceux que le tranchant de l'épée devait atteindre. — On dit quelquefois dans le langage religieux: s'égorger pour des schibboleth, c'est-à-dire se disputer pour des choses qui n'en valent pas la peine; or on oublie que les Ephraïmites étaient immolés, non point parce qu'ils prononçaient mal ce mot, mais parce que leur prononciation les faisait reconnaître comme membres de la tribu qui, par son orgueil et son ambition, avait troublé la paix d'Israël.

12: 7-15
§ 211. Peu de temps après cette expédition, Jephté termina une carrière où les agitations n'avaient pas manqué et pendant laquelle il rendit aux enfants d'Israël d'immenses services. Son gouvernement n'avait duré que six ans. Israël eut ensuite pour Juges, Ibtsan de Bethléhem, pendant sept ans; Elon de la tribu de Zabulon, dix ans; Habdon, fils d'Hillel, huit ans. C'est par anticipation que ces derniers faits nous sont racontés; car l'histoire de Samson, qui va passer sous nos yeux, doit être antérieure à celle de Habdon et même à celle d'Elon. Tout porte à croire qu'il fut contemporain de Jephté et d'Ibtsan.



XCVIII. Samson.


13: 1
§ 212. Ce qui nous est dit ici de la rechute d'Israël dans l'idolâtrie et de son asservissement aux Philistins, ne serait donc que la reprise de ce qu'on lit au chapitre X, versets 6 et 7 (§ 200). D'où il suivrait que Samson, qui doit avoir survécu à Jephté d'environ dix-sept ans, se signala déjà par plusieurs exploits dans le temps même que le fils de Galaad s'illustrait par les siens. Mais, tandis que le guerrier des montagnes de l'Est délivrait son peuple de l'oppression des Hammonites, Samson de son côté ne faisait que commencer la lutte avec les Philistins, lutte dans laquelle en définitive il ne demeura point victorieux. Il suivrait encore de là qu'Ibtsan, Elon et Habdon n'auraient gouverné Israël que dans les tribus où les Philistins n'avaient pas étendu leur puissance. Quoi qu'il en soit, il est très-sûr que Samson ne naquit pas après la mort de Habdon, et bien moins après les quarante années que dura la tyrannie des Philistins. On croit que ce fut du temps de Jaïr et que son mariage précéda de deux années les victoires de Jephté. Samson serait donc né 1160 ans avant notre Seigneur.

13: 2-5
§ 213. Sa naissance, sans être miraculeuse, à proprement parler, fut accompagnée de circonstances qui répandent sur elle un grand éclat. La mère de Samson était privée d'enfants, et elle ne paraissait pas destinée à en avoir jamais. Son mari s'appelait Manoah, de la tribu de Dan; et, dans un temps où la piété n'était pas commune, l'un et l'autre servaient l'Éternel. Un jour que la femme de Manoah se trouvait seule, un homme s'offrit subitement à ses yeux, lui annonçant qu'elle deviendrait mère d'un fils et lui ordonnant de le consacrer à Dieu par un vœu perpétuel de nazaréat (I, § 925). Elle-même devait, dès cette heure, s'abstenir des aliments que la loi de Dieu interdisait aux personnes qui contractaient ce vœu; puis, selon la révélation du messager céleste, car cet homme était un ange de l'Éternel, ce fils que Dieu donnait à Manoah pour que Manoah le donnât à Dieu, ouvrirait une longue guerre avec les Philistins et jetterait les bases de la délivrance. Et voilà comment l'Éternel parlait de délivrance avant même que l'oppression eût commencé!

13: 6-8
§ 214. Malgré ce qu'il y avait d'extraordinaire dans ce qu'elle venait d'entendre, la femme de Manoah crut aux promesses de l'ange. Cet homme avait un aspect si vénérable! son accent était si fort celui de la vérité! D'ailleurs la parole de Dieu a, quand il le veut, une puissance irrésistible; elle commande la foi et la produit; car la foi est un don de Dieu, et ce fut Dieu qui agit sur le cœur de cette femme. Quant à Manoah, lorsqu'elle lui raconta ce qui s'était passé, il ne se montra pas incrédule non plus, mais il supplia l'Éternel de leur renvoyer son messager, afin de leur redire comment ils devraient élever cet enfant.

13: 9-17
§ 215. La prière de Manoah fut magnifiquement exaucée. Comme sa femme était seule aux champs, l'Ange de l'Éternel se présenta devant elle une seconde fois. Elle courut avertir son mari. Celui-ci étant arrivé, se mit à interroger l'Homme de Dieu, dans lequel il voyait simplement un prophète. Après avoir entendu de sa bouche les choses mêmes que sa femme lui avait rapportées, Manoah voulut offrir de la nourriture à l'envoyé du ciel; mais l'Ange lui dit: Non, je ne mangerai pas; apporte ce que tu avais à cœur de me donner; offre-le en holocauste et ainsi tu l'auras offert à l'Éternel.» Par ce discours, l'Ange préparait la révélation qu'il voulait faire à Manoah du mystère de sa personne. Manoah lui-même en fournit l'occasion lorsqu'il supplia l'Ange de leur dire son nom, afin qu'ils pussent le louer après que la promesse aurait été accomplie.

13: 18-22
§ 216. «Pourquoi me demandes-tu mon nom?» lui dit l'Ange. Quand je te l'aurai dit, je n'en serai pas moins pour toi l'Être incompréhensible, car c'est ce que paraît signifier ce mot l’ADMIRABLE. Alors, Manoah commence à entrevoir quelque chose de la vérité. Sans prolonger l'entretien, il offre sur-le-champ son holocauste, et, au moment où la flamme le consumait, il voit monter au Ciel celui qu'il avait pris un moment pour un habitant de la terre. Saisis par la grandeur du spectacle, les deux Israélites tombent le visage contre terre, et Manoah dit à sa femme avec une vive angoisse: «Certainement, nous mourrons, parce que nous avons vu Dieu (§ 182)!» Ils avaient vu l'Ange Jéhovah, l'Ange de l'Alliance, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Seigneur qui avait parlé jadis à Abraham , à Moïse et plus récemment à Gédéon (§ 178).

§ 217. Peut-être mes lecteurs non plus n'avaient-ils pas reconnu tout de suite dans cet homme de Dieu, l’ange par excellence, Celui qui, plus tard, s'est entièrement et pour des siècles, revêtu de notre faible nature en vue de notre salut. Je pense que maintenant ils n'hésitent plus. S'il fallait quelque chose encore pour les convaincre, je les exhorterais à lire la prophétie du chapitre IX d'Esaïe, les six premiers versets. Il s'agit bien là de notre Seigneur Jésus-Christ; or, vous verrez qu'il y est appelé l’ADMIRABLE (verset 5), selon le nom qu'il se donna lui-même auprès de Manoah. Je pourrais aussi leur indiquer le treizième verset du chapitre III de St. Jean, où notre Seigneur parle comme étant descendu autrefois du Ciel, en apparence d'homme, et y étant retourné dans la gloire.

13: 22-23
§ 218. «Certainement nous mourrons, parce que nous avons vu Dieu!» Ce cri de la conscience ne doit pas nous étonner. Il est bien que l'homme pécheur se sente menacé par la seule présence de l'Éternel. Cependant, la femme de Manoah rassura son mari par les considérations les plus justes et les plus sages. «Si le Seigneur avait voulu nous faire mourir, serait-il venu à nous avec des promesses et aurait-il accepté nos offrandes?» Or, c'est en se fondant sur une raison toute pareille que les fidèles de nos jours goûtent la paix de Jésus. Ou plutôt le Saint-Esprit leur parle comme il parlait à la femme de Manoah. Jésus-Christ n'est pas venu pour condamner, mais pour sauver. Il a habité parmi nous plein de grâce et de vérité, et il dit aux pécheurs qui se confient en lui: «Ne craignez point.»

13: 24.25
§ 219. La parole du Seigneur s'accomplit infailliblement. Manoah eut un fils qu'il appela Samson. L'Éternel le bénit et il commença de bonne heure à l'animer de son Esprit. En lisant ceci, et surtout en considérant les merveilles de la naissance de cet enfant, il semblerait assez naturel de s'attendre à le voir surpasser, sous tous les rapports, ses plus illustres prédécesseurs. Et pourtant vous remarquerez que Samson, homme de foi sans doute, plein de zèle pour la gloire de Dieu et pour le bien de son peuple, fut un homme passionné qui ne s'abandonna que trop souvent à ses sentiments naturels. Vous le verrez en conséquence malheureux par sa propre faute, et vous n'en admirerez que plus vivement la puissance et la bonté de Dieu qui, malgré cela, fit de Samson le fléau des Philistins et le protecteur d'Israël pendant vingt ans. Son histoire d'ailleurs présente quelques difficultés qui ne sont pas faciles à résoudre.

14: 1-4
§ 220. Ce fut à Manahé-Dan que l'Esprit de l'Éternel commença d'exercer ses influences sur le fils de Manoah. Là, cet homme prodigieux sentit et déploya, pour la première fois, la force extraordinaire dont Dieu le revêtit. Dans quelle occasion? c’est ce que l'Écriture ne nous dit pas. Quelque temps après, des montagnes de Dan, où il demeurait, Samson descendit vers le pays des Philistins du côté de la mer. Il pouvait avoir alors une vingtaine d'années. À Timna, il vit une jeune fille dont la beauté le frappa, et, de retour chez lui, il sollicita son père et sa mère de la lui donner pour femme. D'abord, ils s'y refusèrent, parce qu'elle était Cananéenne, mais bientôt ils cédèrent aux instances passionnées de leur fils, et ils le firent sans comprendre la pensée de l'Éternel dans cette affaire.

§ 221. Oui, nous pouvons être assurés, puisque la Bible le dit, que le mariage de Samson entrait dans les plans du Seigneur relativement à l'œuvre dont ce jeune homme devait être l'instrument; mais ses parents l'ignoraient, et, par cette raison déjà, la complaisance qu'ils eurent pour leur fils fut un tort très-réel. Après quoi nous savons que, si Dieu se sert fort souvent des péchés mêmes de ses serviteurs pour exécuter ses desseins, nous n'en sommes pas moins coupables de tout le mal que nous avons fait, et de tout celui qui devait sortir naturellement de nos transgressions. Quant à Samson , bien qu'il ne fût pas uniquement inspiré par sa passion pour cette jeune fille, toujours est-il qu'il contractait un mariage que la loi de l'Éternel interdisait expressément (Exode XXXIV, 12-16; Deut. VIl, 3). Semblable, hélas! à tant de jeunes gens, il écouta son cœur plus que sa conscience, ou autrement, ses affections naturelles plus que la volonté de Dieu.

14: 5-6
§ 222. Comme Samson descendait à Timna avec son père et sa mère, il vit de loin un lion. Sans dire mot à personne, il court à l'animal féroce et le déchire en moins de rien. C'était l'Esprit de l'Éternel qui l'y avait poussé, afin qu'il fît ce nouvel essai de sa vigueur surnaturelle. Quand je dis surnaturelle, il faut pourtant avouer qu'il est bien difficile de déterminer jusqu'où peut aller la puissance musculaire d'un homme. C'est quelque chose de si mystérieux que la force physique! En certaines maladies, on la voit se centupler et devenir insurmontable, même chez les plus faibles femmes, et il est des individus qui parviennent avec l'exercice à produire des effets vraiment étonnants. Quoi qu'il en soit, il n'est pas douteux qu'il n'y eût quelque chose de surhumain dans la force que l'Esprit de l'Éternel donnait au fils de Manoah.

14: 7-14
§ 223. À quelque temps de là, Samson, qui avait obtenu la main de la femme qu'il avait le tort d'aimer, retourna chez elle pour la célébration du mariage. Curieux de voir en passant le corps du lion qu'il avait déchiré, il trouva que des abeilles avaient établi leur essaim dans cette carcasse promptement desséchée par les ardeurs du soleil. Samson y prit du miel; il en mangea, et ce fait assez étrange lui fournit l'idée d'une énigme à proposer aux jeunes Philistins qui furent invités à ses noces. Cette fête devait, selon l'usage, durer une semaine, et le défi que Samson porta aux jeunes gens eut, de leur consentement, le même terme. Quant à l'énigme, elle nous paraît simple, à nous qui en avons l'explication; mais, comme on ne mange pas la chair des bêtes féroces et que, dans tous les cas, on ne saurait y trouver aucune douceur, il n'était pas aisé de deviner à quoi Samson faisait allusion. Aussi, les Philistins furent-ils plusieurs jours sans y parvenir.

14: 15-18
§ 224. Comment faire? Un seul moyen s'offre à leur pensée: c'est d'obtenir par trahison le secret de leur antagoniste, en contraignant sa femme à le lui arracher. Cette femme, qui aimait sans doute son jeune époux, mais qui n'avait pas pour lui l'amour de respect et de confiance qu'on trouve dans les cœurs seuls où règne la piété, usa ou plutôt abusa de son influence pour obtenir la clef de l'énigme, et elle se hâta de la livrer à ses compatriotes. La malheureuse femme cédait à des menaces et ne voyait pas les maux qu'elle allait occasionner. Samson, de son côté, nous montre qu'on peut être fort de corps et faible de cœur tout à la fois. Sa force venait de Dieu et sa faiblesse fut l'effet de la violence de ses affections. Tout ceci d'ailleurs n’est que le tableau de passions en lutte les unes contre les autres. Samson s'était attaqué à l'amour-propre des Philistins, et ceux-ci ne pouvaient supporter d'être vaincus par un Israélite, même dans un jeu d'esprit.

14:19-30
§ 225. La colère de Samson fut terrible; terrible pour les Philistins, terrible pour lui-même. Il se rendit de Timna à Ascalon, où il attaqua et tua trente hommes auxquels il prit les robes qu'une indigne ruse lui avait fait perdre, puis il retourna chez son père sans emmener avec lui la femme qui s'était montrée si perfide, et, peu après, elle fut donnée à un des jeunes Philistins que Samson avait cru son meilleur ami. Hélas! les amitiés de ce monde! combien n'en est-il pas qui finissent d'une manière analogue? Dans ses amis, on aime sa propre personne, c'est-à-dire qu'on les aime à cause du plaisir qu'on trouve en eux. Or, une affection de cette nature ne résiste pas à des épreuves un peu fortes. Pour ce qui est de Samson, ce fut bien réellement par l'Esprit de l'Éternel, ou par la force merveilleuse dont il était revêtu, qu'il vainquit les Philistins d'Ascalon tombés ainsi sous un jugement de Dieu; mais que de mouvements charnels il écouta et combien il dut souffrir en son âme!


XCIX. Samson (suite).


15: 1-8
§ 226. Cependant, le fils de Manoah ne pensait point avoir quitté sa femme pour toujours; mais, quand il voulut la rejoindre, il se trouva qu'elle appartenait à un autre. Dans le ressentiment profond que lui causa cette nouvelle indignité, il médita et effectua une vengeance qui, sans être cruelle, n'en fut pas moins fort odieuse. Le pays était tellement dépouillé de ses habitants par un effet de l'oppression étrangère, que les animaux des forêts pullulaient à leur aise. Samson, aidé sans doute par ses gens, parvint à s'emparer d'un nombre considérable de renards qu'il lia les uns aux autres, queue contre queue; à chaque paire de renards il attacha un flambeau allumé, puis il les lâcha dans les campagnes des Philistins, en sorte que leurs moissons furent consumées; et non seulement les moissons, mais encore les vignes et les oliviers, car partout où ces animaux se jetaient, comme ensorcelés, ils portaient avec eux l'incendie. Il y avait là de quoi remplir de rage les Philistins, et leur colère à eux fut horrible. Ils n'avaient pas Samson en leur puissance; mais, envisageant sa femme comme la source première de leurs désastres, ils la jetèrent dans le feu avec son père. Le sang appelle le sang, la violence engendre la violence. Quand le fils de Manoah eut appris ce qui s'était passé, il courut contre les Philistins, les battit et en fit un grand carnage.

15: 8-13
§ 227. Fatigué, et l’on pourrait dire effrayé de ses propres exploits, Samson se retira dans la tribu de Juda, qui était au sud de celle de Dan et à l'est des Philistins. Ceux-ci l'y poursuivirent, mais ils n'auraient pu découvrir le lieu où il se tenait caché, sans l'odieuse trahison de ses frères mêmes, les hommes de Juda, qui le livrèrent entre les mains de l'ennemi. Les Israélites étaient tellement dégradés par l'idolâtrie et par l'oppression, qu'ils ne comprirent pas le parti qu'ils auraient pu tirer de l'énergie et de la redoutable vigueur de Samson. Il en fut d'eux comme de leurs pères au temps de Moïse (I, § 632), et comme de tant de pécheurs encore qui, esclaves de leurs passions, ne veulent pas en être délivrés, refusent la main qui leur est tendue par le suprême Libérateur et vont jusqu'à redouter son assistance. Car, remarquez-le bien, les Israélites de Juda firent à Samson un crime, non pas du sang qu'il avait versé pour sa vengeance personnelle, en quoi ils eussent été fondés, mais du danger auquel il les exposait de la part des Philistins. Samson, toutefois, obtint qu'ils ne le tuassent pas. Ils le livrèrent vivant au ressentiment de ses ennemis, après l'avoir lié aussi fortement qu'il leur avait été possible. Samson lui-même les y avait encouragés. Était-ce confiance en l'Éternel, ou confiance en sa propre force sans penser à celui de qui elle venait? C’est ce qu'il est difficile de savoir au juste. Pour moi, je me plais à voir dans cet acte de Samson, non une fanfaronnade, mais un appel au Seigneur; un effet de sa foi, plutôt qu'un mouvement de son orgueil.

15: 14-17
§ 228. Lorsqu'il fut à Léhi où l'attendaient les Philistins, il brisa par la force de Dieu les cordes qui le liaient, comme si elles n'eussent été que quelques brins d'étoupe; puis, profitant de la stupeur où cette merveille avait dû jeter les Philistins, apparemment sans armes et ne formant qu'une foule confuse, il ramasse une mâchoire d'âne qui se trouve sous sa main; il frappe à droite, à gauche, devant lui, derrière; peut-être les Israélites qui l'avaient escorté, sont entraînés par son exemple; quoi qu'il en soit, il y eut environ mille Philistins qui tombèrent sur le carreau, et l'on consacra la mémoire de cet événement extraordinaire en donnant à ce lieu un nouveau nom.

15: 18-20
§ 229. Cependant, il en était du belliqueux Samson comme de l'enfant de Dieu dans sa lutte contre le péché, ou dans les travaux auxquels il se livre pour la gloire du Seigneur. Il ne faut pas croire que, même avec la force que Dieu donne, on soit à l'abri de toute fatigue. Samson, épuisé par ses efforts, succombait sous une soif ardente, lorsqu'il plut à l'Éternel de lui fournir de l'eau par un miracle pareil à ceux du désert (l, §§ 729 , 962). Il voulut probablement attester ainsi que le fils de Manoah n'avait fait qu'exécuter sur les Philistins ses redoutables jugements, et plus l'arme dont celui-ci s'était servi put paraître ignoble et misérable, plus le Philistin dut être humilié. Quant à Samson, plein de reconnaissance envers Dieu, il appela cet endroit Hen-hakkoré, c'est-à-dire la fontaine de celui qui crie.

16: 1-3
§ 230. Bon nombre d'années s'étaient écoulées depuis l'affaire de Léhi. Samson descendit à Gaza, ville des Philistins, et il se rendit chez une femme que l'Écriture désigne de la même manière que Rahab de Jéricho (§ 49). Quels qu'aient pu être hélas! les motifs qui le conduisirent chez elle, peu s'en fallut que Samson ne tombât cette fois entre les mains des Philistins. Il leur échappa cependant, et pour leur montrer le danger qu'il y avait à irriter un homme tel que lui, il enleva les portes de la ville avec leurs barres, et les emporta fort loin. Bravade peu digne d'un serviteur de Dieu; mais il y a bien d'autres choses que Samson n'aurait pas dû faire, et nous ne tarderons pas à voir que ses passions et ses péchés trouvèrent enfin leur châtiment.

16: 4-17
§ 231. Après cela, notre Danite s'éprit d'une femme de la vallée de Sorek: encore une fille des Philistins! Elle s'appelait Délila. Aveuglé par la passion, il ne vit pas le précipice où pouvait l'entraîner une personne sur qui les intérêts de sa nation exerceraient plus d'empire que l'imprudent qui se mettait à sa merci. Sollicitée par les chefs du peuple et entraînée par l'appât d'une forte récompense, la coupable Délila déploya tous ses moyens de séduction pour obtenir de celui qui l'aimait le secret de sa force invincible. Elle pensait probablement que cela tenait à quelque magie facile à conjurer une fois qu'on la connaîtrait; et lorsque, après l'avoir trompée à trois reprises, il finit par lui dire la vérité, elle dut le penser bien davantage. Samson, en attribuant à la longueur de sa chevelure la vigueur merveilleuse dont il jouissait, disait une chose qui n'était réelle qu'en partie. C'est comme il est vrai, dans un certain sens, que ce sont nos prières qui nous sauvent et que si nous cessons de prier nous sommes perdus, quoique par le fait ce soit Jésus-Christ et son sacrifice qui nous sauvent et non pas nos prières. De même pour Samson. La source de sa force était en Dieu; elle lui appartenait par un effet de sa consécration ou de son nazaréath, dont ses longs cheveux n'étaient que le signe. Samson , en se rasant, ou en laissant dépouiller sa tête, renonçait à sa consécration, et devait perdre ce qu'il y avait de divin dans sa personne; voilà le vrai.

16: 18-21
§ 232. L'événement ne tarda pas à le démontrer. Pour châtier Samson de la manière qui pouvait lui être le plus sensible, le Seigneur permit que Délila, abusant de la faiblesse morale de cet homme valeureux, lui enleva sa chevelure durant le sommeil profond auquel se livrait sa mollesse. Aussitôt l'Éternel se retire du fils de Manoah; la force de Dieu l'abandonne; les Philistins se précipitent sur lui; par un horrible supplice, ils lui crèvent les yeux et le jettent, lié de chaînes, dans une prison. Là, toute son occupation fut d'employer ce qui lui restait de forces naturelles, à faire tourner la meule d'un moulin, comme le faisaient les bêtes de somme ou les esclaves du dernier rang. Malheureux Samson! il pouvait avoir alors une quarantaine d'années. Ses premiers exploits l'avaient rendu la terreur des ennemis de Dieu; et maintenant, quelle humiliation! quelles souffrances! quelle juste mais affreuse punition des excès où ses passions l'avaient entraîné!

§ 233. C'est en même temps une image frappante de l'état d'une âme qui cède à ses mouvements charnels. Alors cesse toute communion avec Dieu; alors la conscience s'aveugle; alors aussi l'on devient captif sous l'empire du péché et l'esclave de Satan. Rien ne saurait préserver cette âme d'une dégradation et d'une ruine complètes, si ce n'est une grâce de Dieu sur laquelle on n'a pas le droit de compter et qu'on a tout fait pour rendre impossible, si quelque chose était vraiment impossible à Dieu.

16: 22-30
§ 234. Quelque temps s'étant écoulé, les Philistins firent une grande fête à leur dieu Dagon, afin de célébrer la gloire qu'il s'était acquise aux dépens de Jéhovah, le Dieu d'Israël et de Samson. C'était l'idée constante des nations païennes, lorsqu'elles avaient vaincu leurs ennemis. Tout l'honneur de la victoire appartenait aux dieux qu'elles adoraient, et les vaincus n’étaient autres, à leur estime, que les dieux mêmes des nations subjuguées. Vous comprenez d'après cela que l'Éternel, tout en permettant à des idolâtres de réprimer l'idolâtrie de son peuple, ne pouvait laisser les vainqueurs sans leur faire sentir la puissance de son bras. Cela explique toute l'histoire de Samson, et surtout son dernier exploit. Les Philistins s'étaient donc réunis en grand nombre sur une estrade qu'on avait sans doute élevée pour la fête de Dagon. Ils firent venir devant eux le guerrier d'Israël, dans l'intention d'outrager son infortune et son Dieu tout à la fois. Mais les cheveux de Samson commençaient à recroître. Pour qu'il pût châtier les Philistins de leurs impiétés, l'Esprit de l'Éternel lui rendit sa force et lui en donna le sentiment. Samson , aveugle, se fait donc approcher des principaux piliers qui soutenaient l'échafaudage; il les embrasse fortement, et, après avoir élevé sa voix à l'Éternel, il secoue les piliers de ses bras nerveux; l'édifice s'écroule, et il entraîne dans sa chute les milliers de Philistins qu'il portait. Un nombre très considérable d'entre eux périrent par cette catastrophe; mais Samson lui-même y laissa la vie!

16: 31
§ 235. Il avait jugé ou gouverné Israël pendant vingt-cinq ans; non pas à la manière de Gédéon, ou de Jephté, car ceux-ci réussirent, dans une certaine mesure, à affranchir Israël du joug étranger, tandis que Samson parvint seulement à ébranler la tyrannie des Philistins (ch. XV, 20). Si cet homme, en qui l'on doit certainement reconnaître de la foi, avait moins consulté ses passions et surtout ses ressentiments personnels, il se serait élevé au rôle de libérateur de sa nation, au lieu qu'il ne fit qu'en ébaucher la délivrance (ch. XIII. 5). C'est pourquoi, bien qu'il ait été, de tous les Juges, celui que l'Esprit revêtit des dons les plus extraordinaires, il fut, par sa faute, un des bienfaiteurs les moins éminents du peuple de Dieu. Tant il est vrai que rien ne remplace la sainteté du cœur et de la vie; les miracles moins encore qu'aucune autre chose.

§ 236. Les exploits de Samson, toutefois, ses passions et sa fin misérable ne laissèrent pas de faire beaucoup de bruit chez les peuples lointains avec qui les Philistins étaient en relations. Aussi voit-on généralement dans son histoire le fond sur lequel les poêles de l'antiquité brodèrent la célèbre fable d'Hercule, fable qui offre en effet plus d'une ressemblance avec celle du fils de Manoah. L'une et l'autre fournissent de grandes instructions morales; mais il n'est pas nécessaire d'ajouter que c'est l'histoire seule et non la fable qui, à côté de l'homme fort que la passion affaiblit, nous parle de l'Éternel et nous le montre, comme toujours, bon, juste, saint et redoutable.

§ 237. Ici se termine notre étude du Livre des Juges, puisque nous avons lu à leur date probable les épisodes de Mica, du Lévite d'Ephraïm et de Ruth. Mais l'histoire des Juges proprement n'est pas terminée; car Samuel, dont nous allons nous occuper, gouverna Israël en cette qualité et se distingua par-dessus tous ses prédécesseurs. C'est une ère nouvelle qui s'ouvre devant nous, et, je l'espère, une nouvelle source de bénédictions pour nos âmes.


C. Chronologie du livre de Josué et de celui des Juges.


§ 238. Avant de passer à l'histoire particulièrement intéressante du prophète et juge Samuel, je voudrais pouvoir donner à mes lecteurs une idée nette de la chronologie des Juges, y compris celle de Josué. Mais la chose n'est pas très-facile, parce que les indications de la Bible sur ce point, sans grande importance après tout, ne sont pas fort explicites. S'il ne s'agissait que d'ajouter bout à bout les années de repos du peuple d'Israël durant cette période et ses années de servitude, ce serait bientôt fait; mais il paraît certain que les Israélites furent à la fois dans ces deux états différents, une partie du pays jouissant de son indépendance, tandis que d'autres districts se voyaient sous le joug, sans compter qu'à plus d'une reprise, peut-être, l'oppression leur vint de deux endroits en même temps. Par exemple, celle des Hammonites et celle des Philistins furent simultanées. Mais comme la dernière dura beaucoup plus longtemps que la première, comme les Hammonites firent sentir leur puissance aux tribus de l'est et du nord pendant que les Philistins l'exerçaient sur les tribus de l'ouest et du sud, il s'ensuit que le pays put être en même temps libre et esclave, ou autrement fidèle à Dieu et idolâtre; libre au nord et à l'est après Jephté et sous Ibtsan, Elon et Habdon, esclave dans l'ouest et le sud, sous l'illustre et malheureux Samson.

§ 239. Voici donc, mais sans qu'on puisse donner la plupart de ces dates comme absolument certaines, voici, dis-je, la chronologie la plus communément adoptée. Les événements dont je souligne l'indication sont ceux qui ne se trouvent pas dans le livre des Juges et qui toutefois ont dû se passer durant la période, en la commençant à la mort de Moïse et en la terminant à celle d'Abdon, ce qui ferait un total de 343 ans. — Par là d'ailleurs, nous continuons les tables du premier volume (I, §§ 1044 , 619).



Av. J.-C.
Passage du Jourdain  1450
Partage du pays de Canaan  1444
Mort de Josué  1426
Mica  1402
Dan porte une colonie à Laïs  1400
Le Lévite d'Ephraïm  1398
Othniel et les Syriens de Mésopotamie  1394
Ehud et les Moabites  1336
Ruth  1312
Débora et les Cananéens du Nord  1294
Gédéon et les Madianites  1247
Tolah  1203
Jaïr  1179
Naissance de Samson  1160
Mariage de Samson  1141
Jephté et les Hammonites  1139
Naissance de Samuel      "
Mort de Jephté  1132
Vocation de Samuel  1128
Ibtsan  1125
Mort de Samson  1122
Mort du sacrificateur Eli 1120
Mort d'Elon  1107
Mort de Habdon  "


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