Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉVANGILE SELON SAINT JEAN

CHAPITRE PREMIER

Divinité du Verbe. - Jean, précurseur de Jésus-Christ. Son témoignage.


149. Verset 17. Car la loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.

Saint Jean est le plus spirituel des quatre Évangélistes; c'est lui qui met le mieux en saillie l'opposition tracée par Jésus-Christ entre le christianisme et la loi de Moïse. Il Va donc nous fournir quelques arguments nouveaux contre toute doctrine ou toute Église tendant à se rapprocher du judaïsme, à établir le règne de la loi et des oeuvres aux dépens du règne de la grâce, et celui des formes aux dépens de celui des idées. Le verset ci-dessus ne veut pas dire que la grâce et la vérité n'existassent pas sous l'ancienne loi ; mais elles n'existaient que voilées, imparfaites, et tout retour vers l'ancienne loi, vers la loi des oeuvres et des formes, est un retour vers cet état d'obscurité, d'imperfection.


150. Verset 29. Le lendemain, Jean vit Jésus qui venait à lui, et dit - Voici l'agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde.

Si Jésus « ôte le péché du monde, » pourquoi vouloir qu'il ne l'ôte pas entièrement ? Pourquoi donner à l'agneau de Dieu des aides humains? Pourquoi, si ses mérites suffisent, y joindre ceux des saints? Pourquoi, d'autre part, si c'est lui qui ôte les péchés, se figurer qu'on peut les ôter soi-même par certaines pratiques, par certaines oeuvres? Pourquoi encore, si c'est lui qui ôte les péchés, se figurer que certains hommes les ôtent, et qu'un mot de leur bouche absout? Vous ne trouverez pas un seul endroit où le pardon soit représenté nous arrivant par quelqu'un de ces chemins que l'Église romaine lui assigne.

Versets 35 et suiv. - Vocation de quelques apôtres (note 8). Nathanaël.


CHAPITRE II

Les noces de Cana.

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151 . Versets 5 et 4. Et le vin ayant manqué, la mère de Jésus lui dit: Ils n'ont plus de vin. Jésus lui répondit: Femme, qu'y a-t-il entre toi et moi?

On a fait de Marie le canal de toutes les grâces; on vous invite à faire passer toutes vos prières par elle. Voici cependant l'unique endroit où Marie nous soit montrée adressant une demande à son fils, et vous voyez ce que Jésus répond.
Au fond, ceci n'est pas plus fort que ce que nous avons vu aux notes 35, 114 et 128; mais la forme, ici, semble calculée, pour venir à l'appui de nos remarques. «Femme, qu'y a-t-il entre toi et moi ?»

Est-ce à dire que Jésus ait repris, blâmé Marie? Quelques Pères l'ont pensé, Chrysostôme entre autres. Selon eux, elle avait cédé à un mouvement d'orgueil; elle avait voulu faire parade du pouvoir miraculeux de son fils.
On peut cependant ne pas aller jusque-là. Le mot femme, qui serait très dur, chez nous, dans la bouche d'un fils, ne l'était pas; Jésus l'emploie, sur la croix, quand il recommande sa mère à son disciple bien-aimé. Les mots : « Qu'y a-t-il entre toi et moi ?» peuvent avoir été adoucis par le ton, par le regard.

Mais si on peut admettre, à la rigueur, qu'il n'y avait pas là reproche et blâme, il n'en est pas moins évident que c'était une leçon, une leçon pour Marie, une leçon pour quiconque serait tenté d'associer Marie à l'oeuvre divine de son fils. Dira-t-on que Jésus a pourtant fait le miracle? Peu importe ; après ce qu'il vient de dire, Marie n'y est pour rien. Il est impossible de se figurer Marie, après cette réponse, adressant à Jésus une autre demande; il est impossible de se figurer les assistants chargeant Marie de transmettre une autre demande à Jésus.

Des efforts inouïs ont été faits pour trouver à ces mots un sens qui ne renversât pas le rôle assigné à Marie dans le système catholique. On n'a pas réussi, et ce sera à tout jamais un problème que d'expliquer comment on a osé, en présence de ces mots, assigner ce rôle à Marie.

Au reste, il n'est pas une des paroles de Jésus à sa mère ou sur sa mère qui ne soit plus ou moins un embarras pour l'Église romaine ; pas une qu'elle ne soit obligée d'adoucir, d'arranger ou d'altérer. Renvoyons encore une fois aux notes déjà rappelées au commencement de celle-ci.

Versets 42 et suiv.- Jésus va à Capernaüm avec sa mère, ses frères (note 34), et ses disciples. Il chasse les vendeurs du temple (note 66). On l'interroge sur son autorité.


CHAPITRE III


152. Versets 1 et 2. Or un pharisien, nommé Nicodème, un des principaux des Juifs, vint de nuit trouver Jésus.

Il aurait encore mieux fait de venir de jour et sans peur. Les adversaires de la liberté religieuse ne sont puissants que parce qu'on les craint; si tous ceux qui la veulent osaient en user ouvertement, elle serait bientôt partout conquise.
Il va sans dire que nous ne la séparons pas du devoir qui en découle. Le seul usage légitime que vous puissiez en faire, c'est de chercher sérieusement la vérité. Ne secouez le joug des hommes que pour vous mettre avec humilité sous le joug béni de Jésus-Christ ; ne repoussez les traditions humaines que pour vous agenouiller devant la Bible.


153. Versets 14, 15, 16 et 36. Et comme Moïse éleva le serpent d'airain dans le désert, il faut de même que le fils de l'homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde, qu'il a donné son fils unique... Celui qui croit au fils a la vie éternelle.

A côté des passages directement contraires à telle ou doctrine de l'Église romaine, il en est que nous pouvons invoquer contre l'ensemble et l'esprit des enseignements de cette Église.
Les versets ci-dessus Peuvent être considérés comme le résumé de l'Évangile. Pourraient-ils être considérés comme le résumé de la doctrine romaine?

Qu'on ne nous réponde pas que la rédemption est restée, chez les théologiens romains, le centre de la doctrine, et, par la messe, le centre du culte. Nous ne demandons pas ce qui est en théorie, mais ce qui est en fait. Nous demandons ce que devient, dans l'Église romaine, l'idée de la rédemption; nous demandons ce qu'il en reste au milieu de ce développement immense du culte de la Vierge, de plus en plus considérée comme le refuge des pécheurs. On nous dit bien, toujours en théorie, que, si elle est le refuge des pécheurs, c'est en vertu de la rédemption opérée par Jésus-Christ. La rédemption est sous-entendue, soit ; mais pourquoi la sous-entendre? Pourquoi exposer les fidèles à n'y jamais penser? Pourquoi leur dire si peu ce que l'Écriture dit si souvent et si haut ? - Ah ! c'est que, si on leur parlait plus directement et plus clairement de la rédemption par Jésus-Christ, ils comprendraient bientôt l'inutilité de tout le reste.


CHAPITRE IV

La Samaritaine. Ancienne querelle entre les Juifs et les Samaritains sur le lieu où on doit adorer Dieu.


154. Verset 21. Jésus lui dit: Femme, crois-moi, le temps vient où vous n'adorerez le Père ni sur cette montagne, ni à Jérusalem.

Ni sur cette montagne exclusivement, ni à Jérusalem exclusivement, mais partout; l'Évangile, religion toute spirituelle, mettra fin à toute querelle sur le choix des endroits où il convient d'adorer Dieu. - Voilà la pensée de Jésus.

Or, si l'Église romaine ne va pas jusqu'à regarder certains lieux comme exclusivement destinés à l'adoration, son système des lieux privilégiés conduit à des résultats tout semblables. Une chapelle où la même prière est supposée valoir dix fois, vingt fois, cent fois plus que dans une autre ; où une communion est supposée procurer dix fois, vingt fois, cent fois plus de grâces qu'ailleurs; où un saint, enfin, est supposé plus miséricordieux et plus puissant qu'en tout autre lieu où on l'honore; - une telle chapelle, disons-nous, devient inévitablement ce qu'aucun lieu ne devrait être sous une religion «esprit et vie. »

Aussi, cette querelle que Jésus déclarait devoir finir à l'avènement de l'Évangile, vous la retrouvez en mille endroits du monde catholique. La superstition et l'intérêt créent entre couvents, entre églises, entre saints, entre reliques, les rivalités les plus bizarres. On élève, on abaisse la réputation d'un sanctuaire; on imagine des réclames qui laissent bien loin derrière elles tout ce que l'industrie en a inventé pour ses produits. Le pape active de son mieux cette universelle concurrence. Il accorde aux uns plus, aux autres moins de privilèges ; il condamnera de loin en loin un miracle frauduleux, inventé pour achalander quelque église, et il en laissera exploiter cent. Il ira lui-même en pèlerinage chez telle ou telle madone renommée, consacrant ainsi, par son exemple , tout ce qui a été ou sera imaginé en fait de lieux plus saints et de statues plus puissantes.


155. Versets 23 et 24. Mais le temps vient, et il est déjà venu, que les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car tels sont les adorateurs que le Père demande. Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l'adorent l'adorent en esprit et en vérité.

En esprit, c'est-à-dire sans le secours des sens et de choses parlant aux sens; en vérité, c'est-à-dire d'une manière conforme à la nature de l'être que nous adorons, et cet être, Dieu, est «esprit.». Les deux mots disent donc la même chose; les deux mots condamnent tout culte où la part des sens dépassera ce qu'exige absolument notre nature imparfaite et terrestre.

Lisez encore une fois ces deux versets, et demandez-vous si vous reconnaissez là le culte de l'Église romaine, avec ses cérémonies innombrables, ses prêtres magnifiquement vêtus, ses temples chargés d'ornements, ses autels, ses statues, ses cierges, etc., etc.


156. Verset 27. En ce moment, ses disciples arrivèrent, et ils furent surpris de ce qu'il parlait avec une femme.

Malgré la place honorable que quelques femmes occupaient dans l'histoire des Juifs, l'idée orientale avait prévalu chez eux. La femme, peu honorée, était surtout regardée comme au-dessous des grandes questions ; un docteur dérogeait en s'entretenant avec une femme.

Jésus releva la femme, sur ce point, non seulement en s'entretenant avec des femmes, mais en recevant des femmes au nombre de ses disciples; il la releva, dans tout le reste, par ses enseignements sur la sainteté du mariage, et, surtout, par l'ensemble de la doctrine évangélique.
Ce relèvement, l'Église romaine s'est mise, de nos jours, à enseigner aux femmes qu'elles le doivent à la Vierge et au culte de la Vierge. Que penser de cette assertion?
Elle n'a, d'abord, aucun fondement dans l'Écriture. Nulle mention d'une influence quelconque de Marie ou du souvenir de Marie sur cette nouvelle manière d'envisager la femme, le rôle et la dignité de la femme.

Cette assertion tiendra-t-elle mieux devant l'histoire? Non. La femme chrétienne, dans le. sens le plus noble de ce titre, se montre à nous dès les premiers temps de l'Église ; le relèvement est complet avant qu'apparaisse aucune trace du culte de la vierge. Nous avons l'histoire détaillée de beaucoup de ces femmes, de Monique, entre autres, l'admirable mère d'Augustin. Cherchez si le culte de la Vierge occupait une place dans leur vie.
Là donc, comme en tout le reste, c'est à Jésus, à l'Évangile, que nous devons tout attribuer.

Versets 31 et suiv. - Jésus déclare que sa nourriture est de faire la volonté de Dieu. Des Samaritains croient en lui. Guérison du fils d'un officier d'Hérode.


CHAPITRE V

La piscine de Béthesda. Un malade guéri le jour du sabbat Indignation des Juifs. instructions de Jésus sur sa grandeur et sa puissance.


157. Verset 23. Celui qui n'honore pas le fils n'honore pas le Père qui l'a envoyé.

Partout vous retrouverez l'ordre d'honorer Dieu en Jésus; jamais il ne sera question d'honorer Jésus en Marie.

Versets 25 et suiv. - La résurrection des morts.



158. Verset 29. Et ceux qui auront fait le bien sortiront du sépulcre en résurrection de vie, et ceux qui auront fait le mal, en résurrection de condamnation.

Toujours point de Purgatoire. Remarquez que ce n'est pas indirectement et en passant, dans un récit on dans une parabole, que Jésus parle ici du Jugement; remarquez que ce n'est pas non plus au moyen de figures, bons à droite, méchants à gauche, paille brûlée et blé recueilli dans le grenier, etc. L'enseignement est positif comme un texte de loi ; c'est le juge qui vous dit comment se fera le jugement, et, encore une fois, pas un mot de ce Purgatoire dont l'Église romaine parle tant.


159. Verset 39. Sondez les Écritures, car c'est par elles que vous croyez avoir la vie éternelle, et ce sont elles qui rendent témoignage de moi.

Ce que Jésus recommandait aux Juifs, on veut le défendre aux chrétiens ; les Juifs avaient le droit de chercher Jésus dans les prophètes, où tant de nuages le cachaient, et les chrétiens n'auront pas le droit de le chercher dans ces Évangiles si simples, si clairs, si pleins de lui. Bref, ce qu'il ordonnait aux Juifs quant aux écrits de l'Ancien Testament, veut êtes forcé de supposer qu'il le défendrait aux chrétiens quant aux écrits du Nouveau, car c'est ce que votre Église vous défend, et vous ne pouvez pas, vous, catholique, admettre que Jésus vous ordonnât ce que vous défend l'Église. Essayez donc de vous représenter Jésus fermant le Nouveau Testament entre nos mains après avoir ouvert l'Ancien entre les mains des Juifs, et nous ôtant, à nous, nos Écritures, après leur avoir dit, à eux, d'étudier et de sonder les leurs.


CHAPITRE VI

La multiplication des pains. Jésus marchant sur les eaux. Il reproche aux Juifs de ne le suivre que dans l'espoir d'être de nouveau rassasiés.


160. Le verset 27 ouvre un discours auquel les controversistes romains donnent souvent une grande importance dans la question de la Transsubstantiation. Un fait curieux et peu connu nous dispenserait cependant, si nous voulions, de toute réponse aux arguments tirés de ce chapitre.

Ce fait, c'est que le concile de Trente, après long et mûr examen, refusa d'affirmer que Jésus-Christ, dans ce discours, ait eu la Transsubstantiation en vue. Le décret en cite un verset, mais en l'appliquant aux effets spirituels de la Cène; dans la portion dogmatique du décret, silence complet sur ce discours.

Quand donc les controversistes romains le citent comme établissant leur dogme, ils font ce que le concile n'a pas cru pouvoir faire ; quand le cardinal Wiseman va jusqu'à dire que ce chapitre renferme « la première preuve » de la Transsubstantiation, il se met en opposition complète avec ce que nous savons, par le cardinal Pallavicini, des sentiments du concile à cet égard. Ainsi, nous affirmons qu'il n'y a pas un verset, dans ce chapitre, dont le sens ne soit tout spirituel, et c'est le concile de Trente qui nous autorise à l'affirmer.
Mais nous ne voulons pas éluder la discussion. Montrons l'impossibilité de ne pas nous en tenir au sens spirituel.
Jésus a reproché à la foule de ne le suivre que dans l'espoir d'une nouvelle multiplication des pains. Qu'ajoute-t-il ?


161. Verset 27. Travaillez, non pour l'aliment qui périt, mais pour l'aliment qui subsiste jusque dans la vie éternelle, et que le Fils de l'homme vous donnera.

Voilà d'où Jésus va partir pour parler d'abord du «pain de vie, » puis de sa chair à manger et de son sang à boire. Remarquez ce mot : « Travaillez.» Est-ce qu'il y aurait à travailler pour avoir, dans l'hostie, la chair de Jésus-Christ?
Si elle y est, elle y est pour tout le monde; tout le monde, en communiant, la mange. Si donc Jésus dit « Travaillez, » c'est qu'il va parler de choses à acquérir, à conquérir, et, par conséquent, spirituelles.

Les Juifs objectent (versets 30 et 31) que Jésus ne fait rien de plus que Moïse, qui les avait aussi miraculeusement nourris. Jésus répond que le véritable pain du ciel n'est point celui qu'avait donné Moïse, mais celui que Dieu leur offre en ce moment même. Étudions sa réponse.


162. Verset 33. Car le pain de Dieu est celui qui descend du ciel, et qui donne la vie au monde.

Le corps de Jésus-Christ était-il descendu du ciel? Il n'est donc pas question là de son corps, pas plus que lorsqu'il dit (verset 38) : « Je suis descendit du ciel.»


163. Verset 35. Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif.

Je suis le pain de vie: venez à moi; croyez en moi. Voilà le résumé de ce verset. S'il s'agissait d'un pain qui se mange, que signifieraient les derniers mots? Pourquoi l'idée de manger serait-elle immédiatement remplacée par celle de venir, de croire? Il s'agit donc d'un pain tout spirituel, comme quand Jésus disait (IV, 34) : Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé. Les versets suivants (36-40) développent la même idée, et toujours dans le sens spirituel. Au verset 48, Jésus répète qu'il est « le pain de vie, » mais après avoir dit, au verset 47: «Celui qui croit en moi a la vie éternelle. » Voilà donc l'idée de pain constamment accompagnée, non de l'idée de manger, mais de l'idée de croire. L'âme, par la foi, s'approprie et s'incorpore Jésus-Christ, comme le corps, par la manducation, s'approprie les aliments.

Ainsi, ce n'est qu'après avoir expliqué trois fois sa pensée, après avoir trois fois remplacé manger par croire, que Jésus, aux versets suivants, emploiera les mots manger et boire. Encore n'y vient-il d'abord qu'en répétant deux fois (versets 50 et 51) ce qui nous a déjà servi à démontrer qu'il parlait figurément. Deux fois, en effet, il dit : « Pain descendu du ciel, » et ces mots excluent la pensée qu'il fût question de son corps.


164. Versets 51, 53, 54 et 55. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je donnerai, c'est ma chair... si vous ne mangez la chair du fils de l'homme et ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle... car ma chair est véritablement Une nourriture, et mon sang est véritablement un breuvage.

Déterminé d'avance par tout ce qui précède, le sens de tous ces versets est évident. Quelques remarques, tirées de ces versets mêmes, l'éclairciront encore.

Remarquez d'abord que Jésus parle ici toujours au présent. « Si quelqu'un mange... Si vous ne mangez... Si vous ne buvez... Celui qui mange... Celui qui boit... Ma chair est.. Mon sang est... etc. » Or, à cette époque, la Cène n'était pas encore instituée ; la chair et le sang de Jésus ne pouvaient être encore pour personne des aliments matériels. Il parle cependant de faits présents, de résultats actuellement possibles; il ne parle donc pas d'un sacrement qui ne devait exister que plus tard.

Ces résultats, en outre, il les représente comme infaillibles. « Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement.» Est-ce de l'Eucharistie qu'on peut parler ainsi? La manducation matérielle nous assure-t-elle le salut? Il ne peut donc être question ici que de ce qui produit infailliblement le salut, et c'est la manducation spirituelle.

Le mot véritablement, enfin, loin d'exclure le sens figuré, en est une preuve, car on citerait une foule de phrases analogues où ce mot sert précisément à avertir qu'il y a figure. « Ce livre est véritablement un trésor. Cet homme est véritablement un fléau pour son pays. Le vin est véritablement un poison pour qui en abuse.» Autant de cas où personne n'aura l'idée de voir dans véritablement une affirmation du sens propre.

Ce chapitre, objectera-t-on peut-être, n'aurait-il donc aucun rapport avec l'Eucharistie?
Il en a, au contraire, un très profond, car il nous peint tout ce dont ce sacrement allait être l'emblème. L'Eucharistie donna une forme visible a tout ce que Jésus avait enseigné dans ce discours ; mais que l'Eucharistie, dans ses éléments matériels, ait été l'objet de ce discours, c'est ce que nous nions, et c'est, rappelons-le encore, ce que le concile de Trente n'a pas admis non plus.

Versets 60 et suiv.- Quelques disciples trouvent cet enseignement étrange. Comment Jésus peut-il être descendu du ciel? « Que sera-ce, leur répond-il, si vous voyez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ? » Puis :


165. Verset 63. C'est l'esprit qui vivifie. La chair ne sert de rien. Les paroles que je vous dis sont esprit et vie.

Nous pourrions effacer tout ce que nous venons de dire, et nous en tenir à ce verset. Il renverserait seul tout ce que les précédents auraient paru renfermer de favorable à la Transsubstantiation.

Au moment où les disciples commencent, non pas à se figurer qu'il s'agisse réellement de boire le sang de leur maître et de manger sa chair, car il n'est pas probable que leur pensée allât jusque-là, mais à se perdre et à s'effrayer plus ou moins devant cette image étrange, - Jésus les arrête et les rassure. La chair, leur dit-il, ne sert de rien; la chair, c'est-à-dire le sens littéral et grossier qu'ils ont été sur le point de donner à ses paroles. Ses paroles sont esprit et vie; le sens en est tout spirituel. C'est par la foi qu'il s'agit de prendre part à ce corps qui sera rompu, à ce sang qui sera versé c'est par la foi qu'il faut se nourrir de Christ, afin de vivre en Christ.

On a cherché à atténuer la portée de ce verset en le rapprochant d'un de ceux qui suivent. «Dès cette heure-là, plusieurs de ses disciples se retirèrent, et n'allaient plus avec lui.» Si Jésus les laissa se retirer, a-t-on dit, c'est qu'il n'avait rien à retrancher de la doctrine qui venait de leur paraître monstrueuse.

Erreur. Le verset ci-dessus en avait ôté précisément ce qui la rendait monstrueuse. En doutez-vous ? Cherchez ce que vous auriez éprouvé vous-même. Quelque rebutante et grossière qu'une idée ait pu vous paraître, si vous m'entendez ajouter que la chair ne sert de rien, que mes paroles sont esprit et vie, il est impossible que vous restiez sous votre impression
première. Vous pourrez bien ne pas comprendre encore exactement ce que j'avais voulu dire; mais certainement vous comprendrez que ce que j'ai dit ne doit pas être pris à la lettre.

Donc, après ce verset, il est faux de dire que Jésus n'eut pas adouci ses paroles, et que ce fût là la cause du départ de quelques disciples. Pourquoi ce départ, alors? Parce que, même adoucie et spiritualisée, l'idée avait encore de quoi leur paraître étrange. Quel docteur, quel prophète avait jamais demandé à ses disciples de s'unir ainsi à lui, d'abdiquer à ce point leur propre vie pour vivre en lui et par lui ? Ajoutez à cela les paroles sévères, inquiétantes , qui avaient suivi (versets 64 et 65) l'explication donnée par le Maître, et en voilà plus qu'il n'en faut pour comprendre que quelques tièdes se fussent retirés.

Notre conclusion reste donc entière : ce chapitre ne renferme rien qui ait trait aux éléments matériels de la Cène, rien qui soit à citer en faveur de la Transsubstantiation.

Versets 66 et suiv. - Jésus demande aux douze s'ils ne veulent pas le quitter aussi. Confession de saint Pierre (note 41),


CHAPITRE VII

Les frères de Jésus lui conseillent d'aller en Judée.


166. Verset 5. Car même ses frères ne croyaient pas en lui.

Sans revenir ici sur la question des frères de Jésus (notes 34 et 38) , observez comme ce mot « même» vient à l'appui de notre opinion, et comme l'Évangéliste semble avoir voulu faire en sorte qu'on ne pût avoir un autre avis. Même ses frères! Sans doute on pourrait dire aussi : « Même ses cousins, même ses parents; » mais le premier sens qui se présente est toujours frères, vrais frères, et nous avons vu que rien ne le contredit sérieusement. Donc ce mot même le confirme. La version de Sacy omet ce mot; elle en a donc senti la force.

Versets 44 et suiv.- Jésus à Jérusalem. On veut se saisir de lui. Opinions diverses sur son compte. Les gens envoyés pour le saisir étant revenus pleins d'admiration, les pharisiens leur demandent s'ils se sont aussi laissé séduire.


167. Verset 48. Y a-t-il quelqu'un des magistrats ou des pharisiens qui ait cru en lui?

C'est comme s'ils disaient: «Osez-vous donc être d'un autre avis que ceux qui pensent pour vous et prononcent pour vous?» Argumentation qui n'est bonne qu'à prolonger le règne de l'erreur. Non qu'il faille se figurer qu'on aura nécessairement toujours raison contre les chefs officiels d'une Église; l'esprit d'opposition n'est ni philosophique ni chrétien. Mais ce qui est, à la fois, et chrétien et philosophique, c'est, après avoir fait tous ses efforts pour s'éclairer, de se tourner hardiment du côté où on est poussé par sa conscience.


168. Verset 49. Quant à cette populace qui n'entend point la Loi, elle est exécrable.

Un des résultats inévitables de tout système d'Église où quelques hommes s'arrogeront le droit de fixer la foi, c'est le mépris que ces quelques hommes auront pour tous les autres. Ce mépris, en temps ordinaire, pourra être moins visible; les pharisiens ne parlaient pas toujours de la foule comme au verset ci-dessus, et, tant qu'elle restait soumise, ils la flattaient plutôt. Mais, vous le voyez, au premier mouvement qu'elle fait pour leur échapper, ils lui disent qu'elle n'entend rien aux choses saintes, qu'elle n'y peut rien entendre, et le mot même d'exécrable ne leur paraît pas trop dur en parlant d'elle.

Dans l'Église romaine, en est-il fort autrement? Tant que le peuple est soumis, on le caresse, on vante son intelligence; a-t-il secoué le joug, on s'indigne qu'il ait osé réfléchir, on l'en déclare incapable, et ce n'est qu'avec mépris ou horreur qu'on parle de ses efforts pour savoir quelque chose en religion. Les gens instruits, qu'on ne pourrait accuser d'incapacité, on attaque leur sincérité, leurs intentions; ils sont d'autant plus coupables, leur dit-on, qu'ils devraient donner l'exemple de la soumission à l'Église. Despotisme et contradictions, voilà où on arrive pour avoir posé en principe que la religion est l'affaire et la propriété de certains hommes.


CHAPITRE VIII

Jésus pardonne à la femme adultère.


169. Verset 12. Jésus leur parla encore, et dit: Je suis la lumière du monde.

il est « la lumière du monde, » vous dit-il. Ne vous laissez donc éclairer que par lui, par sa Parole, par le livre qui la renferme. Quand vous seriez assurés que l'Église romaine, comme un miroir fidèle, la reproduit sans altération , nous vous dirions encore : « Pourquoi ne la recevoir que d'un miroir, cette Parole, cette lumière du monde, quand il dépend de vous de la recevoir directement ? » Mais la question est précisément de savoir si le miroir est fidèle. Comment le saurez-vous, si ce n'est en comparant ce que vous renvoie le miroir et ce que vous envoie le flambeau même?

Versets 13 et suiv. - Questions diverses des pharisiens. Réponses de Jésus. Ceux qui ne le connaîtront pas mourront dans leurs pêchés. Les Juifs incrédules cessent d'être enfants d'Abraham (note 4). Abraham lui-même a désiré voir le jour de Jésus-Christ.


CHAPITRE IX

Guérison d'un aveugle-né. L'aveugle rend témoignage à Jésus-Christ. Les pharisiens s'indignent que Jésus les ait appelés aveugles.


170. Verset 41. Jésus leur répondit : Si vous étiez aveugles, vous ne seriez point en péché mais vous dites: Nous voyons, et c'est à cause de cela que votre péché subsiste.

Ces paroles ne renferment-elles pas un sérieux avertissement aux prêtres romains?
Leur Église leur a appris à dire, comme les pharisiens: « Nous voyons; nous ne pouvons pas ne pas voir, car la lumière est nécessairement, infailliblement, entre nos mains. » Avec cette idée, non seulement ils s'imaginent être forts contre toute attaque, mais ils sont forts, malheureusement pour eux, contre l'Écriture et contre leur conscience. Ils ne disent : « Nous voyons » que pour s'autoriser à fermer les yeux à toute autre lumière, car, disent-ils, toute autre lumière serait nécessairement fausse. Encore une fois, lie font-ils pas ce que Jésus reprochait aux pharisiens?


CHAPITRE X

La bergerie; le bon berger.


171. Versets 7 et 9. Jésus leur dit donc encore : En vérité , en vérité je vous dis que je suis la porte des brebis... Je suis la porte ; si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé.

Toutes ces déclarations , l'Église romaine les applique à l'organisation extérieure et officielle de l'Église. Nous verrons, à la note suivante, ce qu'il faut penser de cette interprétation.
Mais l'image ici employée condamne évidemment, dans un autre point de vue, les tendances du romanisme. « Je suis la porte, » dit Jésus-Christ. Eh bien! dans le romanisme, est-ce Jésus-Christ qui est « la porte? »

D'abord, il n'en a plus le nom ; c'est à la Vierge qu'on l'a donné. Janua.coeli (porte du ciel), disent les litanies de la Vierge.

S'il n'a plus le nom, a-t-il la chose? Pas davantage. Nous avons vu combien est petit, en réalité, le rôle de Jésus-Christ dans l'Église romaine, et comment ce rôle est de plus en plus petit à mesure qu'on arrive aux pays les plus catholiques. La porte, dans ces pays, la vraie porte, l'unique porte, c'est Marie ; quand ce n'est pas elle, c'est un saint, le patron de la ville, du village, de la famille, de l'individu, lequel patron devient la grande espérance, et pour cette vie et pour l'autre. La porte, dans ces pays, c'est aussi et surtout le prêtre, l'homme des clefs, ouvrant et fermant le ciel. Avec Marie, les saints et le prêtre, qui est-ce qui songe à entrer par Celui qui a dit: « Je suis la porte ? »


172. Verset 16. J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie; il faut aussi que je les amène. Et elles écouteront ma voix; et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur.

Concentrons sur ce verset les observations à faire sur les vingt-huit premiers de ce chapitre.
D'abord, le commencement du verset détruit le sens que l'Église romaine donne ordinairement aux derniers mots. Un seul troupeau, un seul pasteur, voilà, selon elle, son système positivement formulé. - Nullement. Il s'agit de la vocation des païens et de leur entrée dans l'Église. Un seul troupeau veut dire simplement qu'il n'y aura plus un troupeau à part, mais un troupeau dont tous, païens et Juifs , seront appelés à faire partie ; un seul pasteur veut dire simplement que Jésus sera le pasteur de ce troupeau.

Ce troupeau unique formera-t-il une Église visible unique? -Non- seulement Jésus ne le dit pas, mais il dit tout autre chose.

Dans tout ce morceau , en effet, brebis veut dire brebis fidèles, et le troupeau dont il s'agit n'est pas supposé en renfermer d'autres. Les brebis (verset 3) entendent la voix du berger; elles le suivent (verset 4); elles fuiront le faux pasteur (verset 5); elles connaissent le bon berger (verset 14), comme il les connaît lui-même; celles de l'autre bergerie (verset 16) écouteront sa voix; enfin, aux versets 27 et 28: « Mes brebis entendent ma voix; je les connais et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle, et elles ne périront jamais. » Or, rien de tout cela n'est vrai d'une Église visible, car il y a toujours, parmi ses membres, des hommes n'appartenant point à Jésus-Christ, ne ressemblant point aux brebis dont il parle ici. Qu'est-ce donc que ces brebis ? Qu'est-ce que ce troupeau qui entend la voix du berger et qui ne périra jamais? Évidemment, c'est l'ensemble des vrais fidèles, des vrais chrétiens. La question d'Église visible et d'unité visible est donc tout à fait en dehors de l'enseignement ici donné. Il a fallu, pour l'y voir, oublier les idées et exploiter les mots.

D'autres mots de ce chapitre ont été exploités de même. Jésus parle de larrons, de faux pasteurs, et l'Église romaine entend par là tout pasteur en dehors de son unité à elle. Si donc, comme nous l'avons montré, l'ensemble du discours ne se rapporte aucunement à l'Église visible et à ses formes, il est clair que la qualification de faux pasteur est liée à un tout autre ordre d'idées. Les traits que Jésus énumère sont ceux , non pas du faux pasteur, hiérarchiquement parlant, mais du mauvais pasteur; ces traits ont pu et peuvent se rencontrer dans le clergé de toute Église. Jésus, en un mot, ne dit rien ici qui se rapporte à une légitimité légale, hiérarchique: il n'envisage que la légitimité morale, celle que donnent au pasteur la piété, le désintéressement, le zèle , la conformité de ses doctrines avec celles du Maître. Ainsi , dans tout ce discours, Jésus ne sépare pas le droit du fait ; tout mauvais pasteur est faux pasteur. Vous dites que tout ce qui est en dehors de votre unité est illégitime et intrus? Il n'y a d'illégitime et d'intrus, dans l'Église universelle, la seule dont Jésus nous parle ici, que ceux qui la souillent par leurs vices ou la corrompent par l'erreur.

Nous maintenons donc, en résumé, que ce chapitre n'a en vue aucune forme d'Église, que le sens en est tout spirituel, que les brebis représentent quiconque aime Jésus-Christ, et que, en particulier, dans le verset ci-dessus , il est question de l'appel des païens, de l'universalité du christianisme, nullement de l'universalité d'une Église visible. Ce chapitre, en un mot, ne donne à aucune Église aucun droit spécial, pas plus qu'à aucun individu. Fidèle, vous êtes de la bergerie de Jésus-Christ; infidèle, vous n'en êtes pas. Bon pasteur, vous êtes un vrai pasteur ; mauvais, vous ne l'êtes pas.

Nous verrons les Épîtres confirmer pleinement cette manière de voir. Elles nous montreront des Églises en grand nombre, et, au-dessus, l'Église spirituelle et invisible, l'ensemble des vrais fidèles qui se trouvent dans toutes ces Églises. Mais, d'une Église visible universelle, pas un mot.

Versets 30 et suiv.- Mon père et moi sommes un. Indignation des Juifs et explications de Jésus. Plusieurs croient en lui.


CHAPITRE XI

Lazare, Marthe et Marie. Maladie de Lazare. Sa mort. Jésus à Béthanie. Résurrection de Lazare. Projets des ennemis de Jésus.


CHAPITRE XII

Jésus retourne à Béthanie. Marie répand du parfum sur ses pieds. Judas la blâme; Jésus prend sa défense. Les pauvres (note 98). Entrée à Jérusalem. Instructions diverses. Qui voit Christ, voit Dieu. La Parole de Dieu jugera le monde.


CHAPITRE XIII

Jésus lave les pieds à ses apôtres.


173. Verset 6. Il vient donc à Simon Pierre, et celui-ci lui dit: Toi, Seigneur, tu me laverais les pieds !

Ceux qui veulent que saint Pierre ait été toujours le premier, ne manquent pas de le voir le premier en cet endroit; c'est par lui, disent-ils, que Jésus commence.
Quand ce serait prouvé, la chose ne dirait encore point ce qu'on lui fait dire. Un hommage à la primauté de saint Pierre eût été en contradiction avec la leçon d'humilité que Jésus donnait en ce moment même. Il eût fallu, non pas commencer par lui, mais finir par lui.

Mais l'Évangéliste ne dit ni l'un ni l'autre. Relisez le verset 5. S'il y avait seulement: « Jésus se mit à leur laver les pieds, » on pourrait croire que c'est l'annonce générale de ce qui va suivre; dans ce cas, le nom de Pierre pourrait indiquer, en effet, que Jésus alla d'abord à lui. Mais l'Évangéliste ajoute: «... et à les essuyer avec le linge qu'il avait autour de lui, » détail qui montre que la chose eut lieu au moins une fois avant que Jésus vînt à saint Pierre.


174. Verset 14. Vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.

Toujours l'égalité des douze. Les uns aux autres. Si un des douze eût été le chef, la leçon que Jésus vient de donner l'eût concerné directement et spécialement ; il y aurait manque de logique à ne rien dire de lui, à formuler la leçon comme concernant également et indistinctement tous les apôtres.


175. Verset 20. En vérité, en vérité, je vous le dis. Celui qui reçoit quelqu'un que j'aurai envoyé, me reçoit; et qui me reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé.

Encore un de ces passages que l'Église romaine rattache à son système, et qui, dans la pensée de Jésus-Christ, n'avaient évidemment rien d'un système, rien qui eût trait à l'organisation visible et légale de l'Église.

Quiconque annonce l'Évangile est, pour ceux à qui il l'annonce, un envoyé de Jésus-Christ. Que le ministère évangélique ait à revêtir, dans chaque Église, certaines formes officielles, rien de mieux pour le bon ordre ; ce que nous voulons dire, c'est que ce côté de la question n'a rien à faire ici. Si Jésus a eu la pensée de tracer des règles légales d'organisation, de hiérarchie, pourquoi, dans ses discours, ces règles sont-elles toujours dissimulées, tellement que ce n'est qu'à force d'interprétations qu'on y arrive? Pourquoi ces expressions vagues ? Dans ces quatre chapitres d'instructions à ces hommes qu'il va quitter, pourquoi cette absence totale de directions sur la transmission des pouvoirs, sur les successeurs des apôtres , etc., etc.? - Mais nous reviendrons encore là-dessus.

Versets 34 et suiv. - Jésus recommande aux siens de s'aimer. Il prédit le reniement de saint Pierre.


CHAPITRE XIV

Dernières instructions de Jésus à ses apôtres.


176. Verset 3. Et après que je m'en serai allé et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que là où je serai vous y soyez aussi.

Vous ne trouverez aucun endroit où Jésus ne se représente comme faisant tout lui-même, comme prenant sur lui toute la tâche du salut des fidèles. Qu'il use ou non de figures, qu'il parle du ciel, comme ici, sous l'image d'une demeure préparée aux fidèles, ou qu'il dise, comme ailleurs, que « le Fils de l'homme est venu pour chercher et pour sauver ce qui était perdu, » - jamais vous n'intercalerez logiquement dans ses paroles l'idée d'un partage de son oeuvre entre lui et sa mère, entre lui et qui que ce soit.


177. Verset 6. Je suis le chemin, la vérité et la vie; nul ne vient au Père que par moi.

Par moi. Vous l'entendez; nulle mention de qui que ce soit d'autre. Même remarque donc que sur le verset 3, et, de plus, même remarque que sur «Je suis la porte» (note 171). Est-ce Jésus, dans l'Église romaine, qui est réellement « le chemin? » Est-ce lui qui mène au ciel? Est-ce à lui qu'on s'adresse pour y aller? - Qu'on veuille bien, nous le répétons, ne pas répondre à notre question par des subtilités théologiques, par des phrases, mais par des faits, et, pour cela, qu'on veuille bien commencer par se demander sérieusement ce qui en est.


178. Verset 13. Et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le fils.

Le seul intercesseur que Jésus-Christ ait jamais indiqué, c'est lui-même ; mais remarquez, ici, ce qu'il ajoute. Ce que nous aurons, dit-il, demandé à Dieu en son nom, il le fera « afin que le Père soit glorifié dans le fils, » afin que la gloire du Père éclate dans la puissance et dans la bonté du fils. C'est donc un véritable attentat à la gloire de Dieu et du fils de Dieu que de déranger cet ordre, de vouloir que la gloire de Dieu éclate, non dans son fils, mais dans un saint quelconque , à qui on s'imaginera devoir le succès de ses prières. Voyez, en fait, ce qui arrive. Du moment que vous vous croyez exaucé par l'intercession de tel ou tel saint, il est presque impossible que ce saint ne grandisse pas, à vos yeux, de toute l'importance du bienfait obtenu. Saurez-vous ne pas aller jusqu'à le considérer lui-même comme l'auteur du bienfait, et à l'invoquer, ensuite, à peu près comme un Dieu? Quand vous échapperiez à ce danger, auquel tant de catholiques s'abandonnent, toujours est-il que vous aurez attribué à ce saint, à cette sainte, un rôle que Jésus-Christ s'est expressément réservé. Plus la grâce obtenue sera grande, plus votre pensée s'éloignera de cet intercesseur suprême dont vous vous serez passé.


179. Versets 25 et 26. je vous ai dit ces choses tandis que je suis avec vous; mais le Consolateur, le Saint-Esprit, que mon Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit.

Nous pourrions, à chacune des paroles de Jésus dans ces chapitres, répéter une même observation: Jésus se tait absolument sur les successeurs des apôtres. Un seul mot (Éternellement, au verset 16) a pu sembler une indication lointaine du système romain, et nous avons montré d'avance (note 86) qu'il n'en est rien.

Ainsi, cette chaîne apostolique dont l'Église romaine parle tant, cette transmission indéfinie de l'infaillibilité première, ce système, enfin, qu'on nous donne avec tant d'assurance comme voulu et fondé par Jésus-Christ, - Jésus-Christ aurait eu, dans ces chapitres, occasions sur occasions d'en parler, et vous voyez qu'il n'en parle pas. Remarquez, en particulier, son silence sur saint Pierre. Quand les apôtres s'effraient, s'épouvantent, à la pensée, de son départ prochain, qu'y eût-il eu de plus naturel que de leur parler de l'homme qui allait, nous dit-on, lui succéder et être leur chef ? «Voici, aurait dit Jésus, mon vicaire. C'est par lui que je resterai présent au milieu de vous. Serrez-vous autour de lui. » Dit-il cela? Dit-il rien d'approchant? C'est pourtant ce que les apôtres auraient le mieux compris, le mieux retenu; c'est ce qui leur eut le mieux donné confiance et courage.


CHAPITRE XV


180. Verset 4. Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que la branche ne saurait porter du fruit d'elle-même, si elle ne demeure attachée au cep, vous n'en pouvez porter non plus si vous ne demeurez en moi.

Nouvelle occasion de parler de ce chef visible par lequel, nous dit-on, les apôtres et l'Église allaient rester attachés au chef divin, désormais invisible. Jésus continue pourtant à n'en rien dire. Les apôtres sont les sarments; le cep, c'est lui. Pas un mot de ce nouveau cep qui, selon l'Église romaine, allait désormais unir les branches et y amener la sève. Ce qu'il vient de dire des apôtres, il le dira, aux versets suivants, de tous les fidèles. Celui qui demeure en moi... Si quelqu'un ne demeure pas en moi.... etc. Même observation donc. Les fidèles sont lés branches; le cep, c'est lui. Il parle comme devant l'être seul et à jamais.

Versets 9 et suiv. - Comme Dieu a aimé Jésus, Jésus a aimé ses disciples. Qu'ils s'aiment aussi les uns les autres. Le monde les haïra, comme le monde l'a haï.


181. Verset 22. Si je n'étais pas venu et que je ne leur eusse pas parlé, ils ne seraient pas coupables; mais maintenant , ils n'ont point d'excuse de leur péché.

Confirmation de ce que nous avons dit (note 132) sur la responsabilité que créent, pour chacun de nous, les moyens d'instruction que Dieu a mis à notre portée. De ce que tous n'ont pas la possibilité d'étudier les questions religieuses, gardez-vous de conclure que vous soyez dispensé , vous , de les étudier ; de ce qu'il y a des gens qui ne savent pas lire , gardez-vous de conclure que vous puissiez, vous, fermer la Bible et ne pas vous en inquiéter. Si je n'étais pas venu et que je ne leur eusse pas parlé... disait Jésus. Sa Parole est entre vos mains ; donc il vous parle. Toute erreur que vous aurez conservée après avoir eu, par la Bible, les moyens de la reconnaître , - dites-vous bien qu'elle sera sans excuse devant Dieu.


CHAPITRE XVI

Jésus annonce aux apôtres les persécutions qui les attendent.


182. Verset 2. Ils vous chasseront des synagogues, et même le temps vient que quiconque vous fera mourir croira faire une oeuvre agréable à Dieu.

Encore une occasion, s'il est vrai qu'ils dussent avoir, eux et l'Église, un chef suprême, de le leur rappeler. N'est-ce pas dans les combats qu'on a le plus besoin d'un chef, de la présence et des inspirations d'un chef ? Jésus leur annonce les combats; mais, alors comme avant, ils n'auront d'autre chef que lui, d'autres inspirations que celles du grand consolateur qu'il vient de leur annoncer, le Saint-Esprit. D'un chef humain et visible, pas un mot.


183. Verset 12. J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais elles sont encore au-dessus de votre portée.

Ces choses seraient-elles ce que l'Église romaine a ajouté aux enseignements de l'Écriture? Est-ce là ce qui est ici annoncé comme devant être révélé plus tard ? - Non ; la fin du verset contredit positivement cette interprétation.

Que sont, en effet, les choses que nous combattons comme ajoutées à l'Écriture? Des doctrines profondes? Nullement. Ce sont celles que les apôtres auraient évidemment le mieux comprises. C'est, par exemple, l'organisation monarchique de I'Église, le culte des saints et des images, le Purgatoire, la Confession et tout ce qui s'y rattache, la vie monastique, etc., etc. Tout cela, loin d'être au-dessus de la portée des apôtres, leur eut paru beaucoup plus clair que bien d'autres doctrines dont Jésus avait pourtant cru pouvoir leur parler. Ce ne peut donc être là ce qu'il taisait comme trop difficile, et ce qu'il réservait à l'enseignement du Saint-Esprit. Que réservait-il donc? Voyons le verset suivant.


184. Verset 13. Quand cet Esprit-là sera venu, l'Esprit de vérité, il vous conduira dans toute la vérité.

Jésus ne parle donc point de vérités nouvelles qui doivent leur être enseignées, mais d'une compréhension plus claire, plus complète, de «la vérité,» de la vérité chrétienne, du système chrétien. Ils n'ont pu, jusqu'ici, en saisir que quelques parties; le Saint-Esprit les « conduira daim toute la vérité, » dans tout le champ que Jésus n'a fait que leur ouvrir. Ils comprendront ce qu'ils n'ont pas encore compris, la rédemption, la régénération, le salut par la foi. Le verset précédent exclut l'idée de tout enseignement qui eut été déjà à leur portée; or, nous le répétons, rien n'eût été mieux à leur portée que les points principaux de l'enseignement romain.

Ajoutez la preuve historique, celle qui ressort de l'enseignement des apôtres eux-mêmes après la réception du Saint-Esprit. Les doctrines romaines sont-elles mieux dans les Actes, dans les Épîtres , que dans les Évangiles? Y trouverez-vous mieux la papauté, le culte des saints, le Purgatoire, la Confession, etc. ? Vous n'y verrez, en fait de choses nouvelles , que le développement des grandes idées qui avaient été d'abord au-dessus de la portée des apôtres, et dont le Saint-Esprit, ensuite, leur avait donné l'intelligence. Preuve que c'était bien là ce que Jésus leur avait promis ; preuve il n'y a pas lieu à rattacher à cette promesse l'enseignement romain postérieur.

Versets 16 et suiv. - Suite des promesses de Jésus. La tristesse des apôtres sera changée en joie. Le moment approche où il n'y aura plus rien au-dessus de leur portée.


185. Verset 26. En ce temps-là, vous demanderez en mon nom.

A. Demander au nom de Jésus-Christ est représenté ici comme le dernier terme de la connaissance chrétienne, de l'union avec lui, de la participation à son esprit et à sa vie. Il est clair, d'autre part, que la prière en son nom contribue à développer cette union, car c'est prier, en quelque sorte, avec lui , et l'avoir pour compagnon de ses voeux, de ses peines, de ses joies. Adopter un autre intercesseur, c'est renoncer à cette union sainte, la gloire et la force du fidèle; c'est se donner pour compagnon de prière un simple homme au lien de Jésus, de Jésus qui a demandé lui-même à remplir cet office auprès de nous.

B. Ce passage pourrait aussi être cité, comme bien d'autres, à l'appui de ce que nous avons dit (note 14) sur la prière, toujours représentée, dans l'Écriture, comme un privilège, un bonheur, et qu'on dépouille de son plus beau caractère en l'imposant comme une pénitence.
Objectera-t-on qu'il y a des gens pour qui la prière est toujours, plus ou moins, une corvée, un ennui?
Oui ; mais ce n'est pas une raison pour que vous exposiez les plus pieux à l'envisager de cette manière. Ce qui ne devrait être que le péché des tièdes, Rome l'a généralisé par son système de la prière pénitence, des redites que le confesseur impose. Au reste, même en dehors des arrêts du confessionnal, le système seul des redites suffit pour ôter à la prière tout ce que le christianisme lui avait donné de grand. Que peut-elle en garder dans l'esprit et dans le coeur de cet homme, de cette femme, de cet enfant, de ce moine, de ce fidèle, enfin, quel qu'il puisse être, que je vois disant son chapelet?

Quand je ne le verrais pas, ce qui est pourtant fréquent, lever les yeux, penser évidemment à autre chose, peut-être même s'interrompre pour causer de n'importe quoi ; quand, dis-je, l'extérieur serait toujours décent et sérieux, - nos remarques sur le fond n'en subsisteraient pas moins. Qu'y a-t-il là qui soit d'accord avec l'idéal chrétien de la prière? Et quand un chrétien apostolique, revenu sur la terre, rencontrerait un homme ainsi priant, qui croirait-il voir? Un chrétien, ou un de ces païens à redites que Jésus avait défendu d'imiter? Notez que les païens priaient au moins en leur propre langue, et que les redites romaines sont presque toujours en latin. Autre encouragement au machinisme; autre élément de mort dans l'exercice du plus beau de nos droits et l'accomplissement du plus saint de nos devoirs.


CHAPITRE XVII

Prière de Jésus-Christ. Il a achevé sa tâche; c'est à Dieu de le glorifier, et de soutenir désormais ceux qui ont reçu sa Parole.


186. Verset 11. Père saint, garde en ton nom ceux que tu m'as donnés, afin qu'ils soient un comme nous.

Voici où il serait plus inexplicable encore qu'on ne trouvât rien sur saint Pierre, rien sur un centre visible d'unité et d'autorité dans l'Église. Tant qu'il a été dans le monde, va dire Jésus au verset suivant, il a gardé lui-même ses disciples ; c'est Dieu, désormais, qui les gardent. Jésus n'a donc évidemment eu en vue, dans tout ce discours, que l'unité d'esprit et de vie, l'union des vrais fidèles, union résultant de leur fidélité même, de leur commun dévouement au chef divin, nullement de quelque organisation visible. « Afin qu'ils soient un comme nous, » dit-il à Dieu son père. Preuve nouvelle qu'il s'agit d'une unité toute spirituelle, et que rien ici n'a trait à une unité extérieure, humaine, organisée. Voir encore la note suivante.


187. Verset 15. Je ne te prie pas de les retirer du monde, mais de les garder du mal.

Nous avons vu (note 45) qu'un des moyens de combattre cette Église qui se dit seule désignée dans certaines promesses, c'est de rappeler d'autres promesses qui auraient dû la concerner tout autant, et qu'elle ne peut pas dire avoir été accomplies en elle.

Voici une de ces promesses. Si c'est de l'Église romaine que Jésus a parlé jusqu'à ce verset, c'est d'elle qu'il parle encore ; c'est elle qu'il demande à Dieu de garder du mal. A-t-elle été gardée du mal?

Nous avons dit ce qu'on ferait de volumes avec les témoignages des historiens catholiques sur l'effrayante corruption où elle a croupi durant des siècles. Ne revenons pas là-dessus, mais concluons. Si cette promesse du Sauveur n'a évidemment pas en son accomplissement dans l'Église romaine, comment soutenir que les autres promesses la concernent et aient dû nécessairement s'accomplir? Si les hommes qui se donnaient pour les successeurs des apôtres ont été si peu gardés dit mal, comment prouver, par les autres promesses, qu'ils aient été gardés de l'erreur?


188. Versets 20 et 21. Je ne prie pas seulement pour eux, mais aussi pour ceux qui croiront en moi par leur parole, afin que tous soient un, comme toi, Père, est en moi et moi en toi , et qu'eux aussi soient un en nous.

A. Ce que Jésus n'a dit jusqu'ici que des apôtres, il le dit maintenant de toute l'Église ; mais il le dit de la même manière et dans les mêmes termes, ce qui rend encore plus frappante l'absence de toute mention d'un chef visible et d'une autorité centrale. L'unité spirituelle, l'unité en Dieu et en Christ, voilà la seule dont Jésus parle, la seule, nous le verrons, dont les apôtres aient parlé après lui. Aucune Église n'a donc le droit de se dire instituée par lui pour réunir dans une unité extérieure tous les chrétiens de l'univers. Quand l'Église romaine aurait réussi à le faire, cela ne prouverait encore pas qu'elle l'eut fait de droit divin.

B. Non seulement elle n'a jamais réussi quant à l'ensemble des chrétiens, mais elle n'a pas réussi, dans son sein même, à créer un état de choses qui puisse véritablement, sincèrement, être appelé l'unité. Toutes les fois que quelque circonstance permet aux regards de pénétrer dans l'intérieur du catholicisme, on aperçoit des diversités profondes, et , sans l'immense intérêt que tous ont à les cacher sans l'extrême soin avec lequel l'autorité centrale évite de prononcer sur beaucoup de points débattus, l'unité serait souvent compromise, ou, pour mieux dire, il y a longtemps qu'elle serait rompue. Aucune des diversités protestantes n'est comparable à celle qui existe, dans l'Église romaine, sur la question même de ses droits et de ceux de son chef. Cette autorité au nom de laquelle on condamne tout ce qui n'est pas catholique, où réside-t-elle? Dans les conciles? Dans le pape? Dans l'accord du pape et des conciles ? Dans le corps épiscopal? Autant de systèmes entre lesquels l'Église ne prononce pas, ne peut pas prononcer, ne prononcera jamais, car, pour prononcer, il faudrait savoir qui prononcera, et c'est précisément ce qui est en question. Même l'autorité du pape sur le clergé, si aucun catholique ne la conteste en fait, on l'entend cependant de deux manières entre lesquelles il y a un abîme. Pour les uns, le pape est la source unique et nécessaire de tous les pouvoirs spirituels; pour les autres, il n'est que le magistrat suprême à qui l'Église a remis l'administration de ces pouvoirs.

Voilà ce qui est au fond de l'unité romaine. Rien ne ressemble moins à cette unité spirituelle et parfaite que Jésus représentait sous l'image de son unité, à lui, avec Dieu son Père: Qu'ils soient un, comme toi, Père, est en moi et moi en toi.


189. - Résumé sur ces quatre chapitres.

Aucune mention de saint Pierre ; aucune des successeurs des apôtres ; aucune d'une unité visible et hiérarchique de l'Église. Promesses toutes spirituelles ; unité en Dieu, en Jésus-Christ, non en qui que ce soit d'autre ou par qui que ce soit d'autre.

Est-ce à dire que ces chapitres n'aient aucun rapport d'aucun genre avec les conditions visibles de l'Église ? Nullement. Toute Église doit être fondée sur ces chapitres, en ce sens que son organisation tende à amener l'accomplissement des promesses qu'ils renferment, la réalisation de l'idéal que le Sauveur y trace, réalisation pour laquelle il promet à ses vrais disciples l'assistance de l'Esprit Saint. Mais que le fait de cette assistance soit lié à certaines formes d'Église, qu'elle soit promise à une Église à l'exclusion des autres, c'est ce qui est insoutenable, nous venons de le voir, et d'après l'ensemble de ces pages, et d'après les détails.


CHAPITRE XVIII

Jésus à Gethsémané. Judas (note 84). Jésus est conduit à Anne et à Caïphe. Reniement de saint Pierre. Le souverain sacrificateur interroge Jésus sur sa doctrine.


190. Verset 20. Jésus lui répondit: J'ai parlé ouvertement à tout le monde... et je n'ai rien dit en secret.

Quoique Jésus paraisse plutôt répondre ici au reproche de sédition, sa véracité divine nous autorise à nous appuyer de ces mots pour nier qu'il eût enseigné aucune doctrine secrète, destinée à rester plus ou moins longtemps cachée. Ce système, dont on a tiré un si grand parti en faveur de la tradition romaine, est également contredit par l'ensemble des Évangiles; il est impossible, en les lisant, de supposer que les Évangélistes nous cachent quoi que ce soit de la doctrine du Maître. N'oubliez pas, d'ailleurs, ce que nous avons dit (note 183) sur la nature des doctrines qui, dans cette supposition, auraient été destinées à n'entrer que plus tard dans l'enseignement chrétien. Jésus aurait tenu caché, non pas ce qu'il y avait dans sa doctrine de plus spirituel et de plus mystérieux, mais les parties les plus abordables à tous, unité monarchique de l'Église, culte extérieur, pratiques, etc., etc. ; il aurait caché, en un mot, ce qui était le moins à cacher, et les apôtres auraient caché, à leur tour, précisément ce qu'ils auraient le plus vite et le mieux compris.

Non ; rien de secret dans la prédication primitive de l'Évangile. Vous avez dans le Nouveau Testament tout ce que Jésus-Christ a enseigné. Si ce ne sont pas toutes ses paroles, vous n'avez cependant aucun indice qu'il y manque une seule , idée importante, et, plus les doctrines que vous intercalerez seront graves, plus il sera impossible d'admettre qu'elles eussent été omises par les écrivains sacrés.

Versets 28 et suiv. - Jésus au prétoire. Pilate l'interroge


191. Verset 36. Jésus répondit: Mon règne n'est pas de ce monde.

Nous ayons vu (note 65) combien les papes ont été loin de tenir ce langage; nous avons aussi vu (note 130) les conséquences de leur intervention dans les grandes affaires de la terre. Quand il serait prouvé que c'est la force des choses qui a seule conduit l'Église à exercer, durant des siècles, cette haute juridiction, il faudrait encore faire observer qu'elle ne s'est point contentée de régir indirectement la terre en dominant sur les souverains, et que ses chefs, partout où ils l'ont pu, ont été princes temporels eux-mêmes. Eussent-ils été toujours les plus justes et les plus sages, ils n'en étaient pas moins en contradiction flagrante avec Jésus disant. « Mon règne n'est pas de ce monde.» A tous ceux qui furent ou qui sont princes, joignez ceux qui le furent sans en avoir le titre, et qui ont pris une part plus ou moins active, plus ou moins ouverte ou cachée, au gouvernement des États. Que d'actes en opposition complète avec le caractère et les devoirs du ministère évangélique!
Que de mécontentements, que de murmures amassés contre le clergé, et, trop souvent, contre le christianisme! Le gouvernement des prêtres n'a presque jamais été que celui de l'intrigue ou de la force, et nul pays n'en a mieux fait la triste expérience que celui qui leur a été le plus complètement livré, le prétendu Patrimoine de saint Pierre. Là semblaient s'être donné rendez-vous tous les abus et toutes les corruptions ; là, les meilleures intentions échouaient misérablement, et le mal seul était possible. Une malédiction semble attachée à la violation de cette parole du Maître : Mon règne n'est pas de ce monde.

Versets 37 et suiv.- Jésus déclare n'être venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité.


192. Verset 38. Pilate lui dit : Qu'est-ce que la vérité? Et quand il eut dit cela, il sortit....

Dans quel sens Pilate disait-il : Qu'est-ce que la vérité? Était-ce avec mépris, s'étonnant qu'un homme obscur s'imaginât posséder la vérité? Était-ce par indifférence, s'inquiétant peu de la posséder ou non? Était-ce par scepticisme, persuadé que de semblables recherches n'aboutissent à rien, et que l'homme n'est jamais sûr, en religion, ni du vrai, ni du faux?
Mépris, indifférence ou scepticisme, n'importe : gardez-vous d'imiter Pilate.

Point de mépris. L'homme le plus obscur peut avoir été choisi de Dieu pour vous ouvrir les yeux sur les erreurs de votre Église, et vous amener à l'Evangile.

Point d'indifférence. Il s'agit des intérêts éternels de votre âme, et toute erreur devient coupable si c'est par votre faute que vous y persévérez.

Point de scepticisme, enfin. A force d'avoir entendu dire que l'Église romaine conduit seule à la vérité, il est souvent arrivé que, détaché d'elle, on renonçât à trouver mieux la vérité ailleurs. « Puisque cette Église n'a pu nous la donner, semble-t-on dire, qui nous la donnera? Nous entendrons dire non où elle disait oui, oui où elle disait non. Que faire? N'y plus penser. » Au contraire, il faut y penser beaucoup, et bientôt vous verrez se reconstruire, plus solide, l'édifice de votre foi. Parmi les hommes qui cherchent la vérité où elle est, dans la Parole de Dieu , combien en avez-vous vu de découragés? Pas un. Faites comme eux, et l'oeuvre de Dieu se fera en vous.


CHAPITRE XIX

Pilate veut sauver Jésus, et le livre ensuite. La crucifixion. Marie près de la croix.


193. Versets 26 et 27. Jésus donc, ayant vu sa mère, et, près d'elle, le disciple qu'il aimait, dit à sa mère: Femme, voilà ton fils. Puis il dit au disciple: Voilà ta mère; et dès cette heure-là, ce disciple la prit chez lui.

Jésus lègue sa mère à saint Jean; elle n'avait donc point d'autres enfants, a-t-on dit, car on ne peut admettre qu'ils l'eussent abandonnée.
Est-il beaucoup plus vraisemblable, répondrons-nous, qu'elle eut été abandonnée par ces neveux que nous avons vus sans cesse avec elle comme autant de fils? L'idée d'un abandon est d'ailleurs contredite par saint Luc, au livre des Actes ; les frères de Jésus, après sa mort, sont encore nommés (I, 14) avec sa mère. La recommandation adressée à Jean se liait donc à quelque fait que nous ne connaissons pas, peut être à la seule absence des frères au moment de la crucifixion; rien à tirer de là contre ce que nous avons dit précédemment dans cette question des frères.


194. -Quant au fait en lui-même, l'Église romaine en a tiré d'immenses conséquences dont il n'est pas même nécessaire de chercher la réfutation ailleurs, car le récit ne les justifie aucunement.

C'est à tous les fidèles, nous dit-on, dans la personne de saint Jean, que Jésus-Christ a dit de voir en Marie une mère. Jeu de mots. Vieille, accablée de douleur, il la recommande aux soins d'un de ses disciples ; voilà tout. Mère ne peut donc avoir ici, en aucune façon, le sens de protectrice, puisque ce nom est donné à Marie pour qu'elle devienne, au contraire, la protégée de saint Jean. « Ce disciple la prit chez lui, » vous dit l'Évangéliste.

Versets 28 et suiv.- Jésus expire. Joseph d'Arimathée demande son corps pour l'ensevelir.


195. Verset 38. Et Pilate le lui ayant permis, il vint et enleva le corps de Jésus.

A.Quoique les quatre Évangélistes soient assez détaillés en cet endroit, ils ne nous disent point que ni Joseph d'Arimathée, ni aucun des disciples de Jésus, ait mis quelque importance à conserver l'instrument de son supplice, la croix, le bois de la croix. On aurait cependant bien pu, sans aller jusqu'à la vénération superstitieuse dont ce bois a été l'objet plus tard, le conserver comme souvenir de Jésus. Il a bien fallu supposer qu'on l'avait conservé mais les Épîtres n'en parlent pas plus que les Évangiles, et les trois premiers siècles pas plus que le premier; les chrétiens de ces temps n'avaient pas besoin d'un morceau de bois pour se rappeler le grand mystère dont ce bois avait vu l'accomplissement. Essayez de vous figurer saint Paul vantant les vertus de la vraie croix! Une seule phrase dans ce sens formerait un tel contraste avec tout ce qu'il a écrit, que jamais lecteur, même catholique, ne la croirait de lui.

On dit toujours la vraie croix. Pourquoi? Hélas! parce qu'on sait bien qu'il y a fort à douter qu'on ait la vraie, si même on l'a jamais eue. Eût-elle été conservée, il faudrait encore qu'elle eût été miraculeusement multipliée, car on ne saurait dire où il n'y en a pas eu quelque morceau. Les innombrables fraudes dont elle a été l'occasion en disent assez, à elles seules, contre le culte grossier qui les a provoquées.

B. Dans ce triste besoin de tout matérialiser, l'Église romaine est arrivée à posséder, non seulement, par la transsubstantiation, le corps mystique de Jésus-Christ, mais, en quelque sorte, une portion de son corps réel et terrestre ; elle a fait du coeur de Jésus-Christ, sous le nom de Sacré-Coeur, l'objet d'un culte dont toutes les cérémonies semblent supposer ce coeur présent, matériellement présent. On ne prétend pas, sans doute, le posséder dans un reliquaire, le toucher, le montrer; mais on l'adore comme on l'adorerait visible, et il est visible, d'ailleurs, dans les images qu'on en fait, peintes, sculptées, en bois, en métal, en cire, etc. Adorer l'amour divin sous l'image d'un morceau de chair, c'est peut-être la matérialisation la plus grossière dont aucune religion ait donné le spectacle.


CHAPITRE XX

La résurrection. Pierre et Jean au tombeau de Jésus-Christ. Il apparaît à Marie Madeleine, puis aux apôtres. Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie aussi de même.

196. Versets 22 et 23. Ayant dit ces mots, il souffla sur eux et leur dit: Recevez le Saint-Esprit. Ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus.

A. Si les apôtres reçoivent ici le pouvoir de remettre les péchés, c'est qu'ils reçoivent, avec le Saint-Esprit, la possibilité de les remettre comme les remettait Jésus; ils liront dans les coeurs, ils connaîtront les dispositions intimes des pécheurs. Sans cette faculté miraculeuse, qu'est-ce que le don d'absoudre ? Les péchés seront-ils remis à celui que j'aurai absous parce qu'il m'aura trompé sur l'état de son âme? Les péchés seront-ils retenus à celui que j'aurai refusé d'absoudre parce que je n'aurai pas su apercevoir son repentir ? Ce pouvoir ne peut donc exister que miraculeux. Si vous n'avez pas le don d'absoudre infailliblement, vous ne pouvez avoir le droit d'absoudre.

B. En fait, l'histoire des apôtres ne nous les montre pas exerçant ce droit. L'exercèrent-ils ?Les entendit-on, comme leur Maître, dire : « Tes péchés te sont pardonnés?» Il serait assez singulier que ni les Actes, ni les Épîtres, n'eussent enregistré aucun fait de cette nature. S'il y en a eu, il est probable qu'il y en a eu fort peu, et que, malgré les dons extraordinaires dont ils se sentaient pourvus, les apôtres ne firent qu'avec la plus grande réserve ce que le prêtre romain prétend faire tous les jours.

Versets 24 et suiv. - Thomas. Jésus le force à croire.


197. Versets 30-31. Jésus fit encore, en présence de ses disciples, plusieurs autres miracles qui ne sont pas écrits dans ce livre; mais ceux-ci ont été écrits afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le fils de Dieu, et qu'en croyant Nous ayez la vie en son nom.

Bonne réponse à ceux qui disent que l'Écriture doit nécessairement être complétée par la tradition. L'Évangéliste avoue qu'il n'a pas tout rapporté mais il ajoute aussitôt que ce qu'il a écrit suffit pour qu'on croie en Jésus-Christ, et que, en croyant, on soit sauvé. Remarquez, d'ailleurs, qu'il parle de miracles, non d'enseignements. Il a omis des miracles, parce que quelques-uns suffisent; il ne dit pas avoir rien omis en fait de doctrines.


CHAPITRE XXI

Nouvelle apparition de Jésus à ses disciples. Pêche miraculeuse.


198. Verset 15. Après donc qu'ils eurent dîné, Jésus dit à Simon Pierre : Simon, fils de Jona m'aimes-tu plus que ne font ceux-ci? il lui répondit : Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. Jésus lui dit : Pais mes agneaux.

Verset 16. Même question et même réponse.

Verset 17. Il lui demanda pour la troisième fois: Simon fils de Jona, m'aimes-tu? Et Pierre fut attristé de ce qu'il lui avait dit pour la troisième fois : M'aimes-tu? Et il lui dit. Seigneur, tu connais toutes choses; tu sais que je t'aime. Jésus lui dit : Pais mes brebis.

On a voulu voir dans ces versets le commentaire et la confirmation de « Tu es Pierre.» Montrons que la suprématie de l'apôtre n'est pas plus enseignée ici que là.

Ici, d'abord, elle n'a pas même l'apparence d'être enseignée directement ; il vous faut commencer par la supposer enseignée ailleurs. Adressées à un autre apôtre, ces paroles n'auraient rien qui les fit interpréter dans ce sens.

Peut-on dire, en effet, que Jésus donne ici à Pierre plus qu'il n'avait donné aux autres, à tous, Pierre compris? Non. L'image est nouvelle, mais le fond n'a pas changé. Recueillez ce que Jésus avait dit, en tant d'occasions, aux douze, et voyez si chaque parole ne les constituait pas pasteurs de l'Église future. Ajoutez les faits postérieurs, et voyez si cette qualité n'appartint pas effectivement aux douze.

Demanderez-vous maintenant pourquoi donc, ici , Jésus s'adresse à saint Pierre?- Vous oubliez le reniement. Supposez la faute commise par n'importe quel autre apôtre , et vous serez forcé de reconnaître que Jésus n'aurait pas revu cet apôtre sans lui rien dire, sans le rétablir, d'une manière ou d'une autre, dans cet apostolat dont le coupable devait se sentir déchu. Jésus avait dit à Pierre : « Tu me renieras trois fois. » Pierre l'avait renié trois fois ; trois fois Jésus lui demandera s'il l'aime.

Mais on se réfugie dans le mot même employé par Jésus on veut que « Pais mes brebis » signifie « Pais mon Église, toute mon Église. » Dans un certain sens, rien de plus vrai; mais, alors, c'est encore vrai de tous les apôtres. Jésus n'avait jamais parlé de l'Église que comme d'un tout; chaque apôtre allait se trouver pasteur de toute l'Église, et, même après qu'ils eurent été conduits à se partager le champ, nous les voyous encore agir et parler comme chefs du tout. Il est donc faux que «Pais mes brebis,» adressé à un d'eux, le constituât chef suprême. De quels autres mots Jésus aurait-il pu se servir? Pouvait-il dire : «Pais une portion de mes brebis? » Jamais il n'avait été question que Jésus partageât le troupeau entre les apôtres, et, parlant à un d'eux, n'importe lequel, il devait dire : « Pais mes brebis. » Supposez qu'il s'agisse de brebis véritables, d'un grand troupeau que devront garder plusieurs bergers. Un d'eux, qui m'a été infidèle, revient à moi, et je lui dis : « Pais mes brebis. » Conclurez-vous de là que je lui donne la direction souveraine du troupeau ? Je le rétablis berger; rien de plus. L'expression « Paître les brebis du Seigneur » ne s'emploie-t-elle pas vulgairement, même dans l'Église romaine, en parlant du pasteur de la plus petite paroisse? Pais mes brebis signifiait donc : « Sois berger, sois apôtre.» Si le Sauveur le répète trois fois, c'est, chaque fois, après avoir dit à Pierre : «M'aimes-tu ? » L'allusion au triple reniement est évidente; on ne l'a jamais contestée. C'est donc le reniement qui explique et l'ensemble de la scène, et les détails, et la suite, car Jésus, au verset 18, ne prédit également qu'à saint Pierre qu'il mourra martyr de l'Évangile. Saint Pierre a-t-il été seul martyr parmi les apôtres?

Rien à conclure, par conséquent, en faveur de la suprématie de saint Pierre. Nous voici à la fin des Évangiles, et vous trouverez, dans ce qui va suivre, d'abondantes confirmations de tout ce que nous avons dit sur ce sujet.


199. Verset 25. Il y a encore beaucoup d'autres choses que Jésus a faites, et, si elles étaient écrites en détail, je ne crois pas que le monde même pût contenir les, livres qu'on en écrirait.

Même remarque qu'à la note 197. Malgré l'exagération tout orientale de la forme employée ici, vous voyez que l'apôtre parle encore de choses faites, d'actions, de miracles, non de doctrines. L'ensemble de ce quatrième Évangile vient à l'appui de notre observation. Saint Jean s'est montré tout particulièrement soigneux de recueillir les enseignements de Jésus, et il est d'autant plus difficile de se le figurer omettant quelque doctrine importante, essentielle , qui eut été enseignée par le Maître.- Concluons encore une fois que ce que nous possédons est suffisant.

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