Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉVANGILE SELON SAINT LUC

CHAPITRE PREMIER

Préface de L''Évangéliste - Un ange annonce à Zacharie la naissance future de son fils. Zacharie hésite à croire , et, en punition , il devient muet. Elisabeth se réjouit d'être mère.


101. Verset 26. C'est là ce que le Seigneur m'a fait, aux jours où il m'a regardée pour me tirer de l'opprobre où j'étais parmi les hommes.

Voilà l'idée juive: point d'enfants, ce n'était pas un chagrin seulement, mais un opprobre. On ne comprenait pas que Dieu pût ne point accorder d'enfants à une femme digne d'être mère; celles qui, comme Élisabeth, n'en étaient évidemment pas indignes, leur stérilité était cependant regardée encore comme la marque d'une certaine réprobation.
Qu'on veuille bien nous dire, maintenant, où on a vu que Marie ne partageât pas, sur ce point, le sentiment universel des Juifs; qu'on nous montre, ou chez elle, ou chez d'autres femmes juives, une trace quelconque de l'étrange idée qu'on lui prête, celle de rester, quoique mariée, dans une virginité perpétuelle.

Mais, cette étrange idée , on est forcé de la lui prêter. Marie , en effet , avant l'annonciation, était fiancée ; Marie allait épouser Joseph. Pour pouvoir l'exalter, malgré cela , comme la vierge par excellence, le type et la patronne de la virginité , il a fallu, de toute nécessité, imaginer ce voeu de virginité perpétuelle, prononcé dans son coeur, nous dit-on, ,au moment même où elle acceptait un époux, et, pour comble d'invraisemblance, avant qu'elle se sût appelée à être la mère du Christ.

Quand tout cela serait moins inadmissible, moins absurde, un fait reste : votre type suprême de la virginité, du célibat, - c'est une femme mariée. Tâchez de vous placer sérieusement, franchement , en présence de ce seul fait, - et il est impossible que vous ne reculiez pas devant ce qu'il a d'étrange, devant les subtilités de toute espèce dont il vous condamne à user pour l'accommoder aux idées romaines.


102. Verset 27. -... une vierge fiancée à un homme nommé Joseph ...

Voici, de tout le Nouveau Testament,le seul endroit oui Marie soit appelée vierge; une fois mariée , les Évangélistes diront Marie ou mère de Jésus, jamais vierge ni la Vierge.
Que pensez-vous de ce changement ?

Si les Évangélistes ont conservé l'idée, si, surtout, ils ont tenu à l'idée, s'ils ont pensé qu'on dût jamais y tenir, pourquoi cette totale disparition du mot? Ce nom que le monde catholique donne chaque jour à Marie tant de millions de fois, vous ne pouvez pas dire qu'il soit une seule fois dans l'Écriture, car il n'y est pas dans ce sens-là.

La vierge dont parle saint Luc, c'est une vierge dans le sens ordinaire dit mot ; ce nom lui est donné comme il le serait à toute autre jeune femme non encore mariée, et comme il l'est à Anne la prophétesse, au chapitre suivant, quand l'Évangéliste (verset 36) nous reporte au temps de son mariage.

Que la Vierge Marie fût particulièrement pieuse et pure , nous le croyons sans peine ; mais que cette pureté implique l'idée d'une virginité sans terme , c'est ce que les Évangélistes n'ont point dit, n'ont indiqué nulle part, et la suppression seule du mot vierge montre assez qu'ils n'en ont pas en la pensée.

On regrette d'avoir à s'appesantir sur ces détails, et de paraître ôter quelque chose à la mère de Jésus-Christ. Ce que nous lui ôtons, ni Jésus-Christ , ni les apôtres, ni les premiers chrétiens, ne le lui ont jamais attribué. Si c'était chose dont il ne résultât rien, nous pourrions peut-être nous taire ; mais c'est la base d'un échafaudage immense, et, à moins d'accepter l'échafaudage, il faut bien dire ce que la base vaut.


103. Verset 28. Et l'ange, étant entré auprès d'elle, lui dit: Je te salue, toi qui as été l'objet d'une grande grâce; le Seigneur est avec toi; tu es bénie entre les femmes.

Comme il n'y a pas, dans tout ce récit, un seul détail qui n'ait été altéré ou amplifié, arrêtons-nous sur chacun.

Je te salue. - On a représenté ce mot comme une formule d'hommage, employée à dessein par l'ange. Le mot grec écarte cette idée ; il servait aux salutations les plus familières.

Toi qui as été l'objet d'une grande grâce. Voilà le vrai sens du mot grec, et nous le trouvons ailleurs (Ephés, 1, 6) appliqué à tous les chrétiens.
La Vulgate a mis pleine de grâce (gratiâ plena), expression ambiguë qui devient totalement fausse dès qu'on se met à entendre par là que Marie est pleine de grâces, qu'il y a en elle un trésor de grâces , de grâces dont elle dispose. Le grec, verbe passif, nous montre Marie recevant, non donnant ni pouvant donner ; elle est l'objet d'une grâce , d'une grande et miraculeuse faveur. Impossible de tirer du texte autre chose.

Le Seigneur est avec toi. - Rien là non plus qui élève Marie au-dessus de l'humanité. La même chose a été dite et se dit encore tous les jours de quiconque est particulièrement l'objet de la faveur divine.

Tu es bénie entre les femmes. - Oui, sans doute, puisqu'elle est choisie, entre toutes, pour être la mère du Sauveur. Une telle bénédiction est donc plus que suffisante pour justifier ces mots; rien ne vous autorise à leur faire signifier que Marie eût été l'objet d'autres grâces miraculeuses.


104. Verset 50. Ne crains point, car tu as trouvé grâce devant Dieu.

Encore un mot dont il n'y a rien à conclure en faveur des idées romaines sur Marie. Trouver grâce devant Dieu a été dit, dans la Bible , de Noé, de Moïse, de David , du peuple juif, de tout fidèle particulièrement béni,


105. Verset 55. Le Saint-Esprit surviendra en toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre; c'est pourquoi le saint enfant qui naîtra de toi sera appelé fils de Dieu.

La naissance du Christ va donc être miraculeuse. Celle de Marie l'avait-elle été? Vous n'avez rien, ni ici, ni ailleurs, qui vous le dise ni vous autorise à le dire; aucune trace de ce qu'on a appelé l'Immaculée Conception.
L'ange n'a parlé à Marie, vous l'avez vu, que de la grâce qu'elle va, recevoir; nulle mention d'une grâce quelconque antérieure, d'une préparation miraculeuse que Dieu ait opérée en elle. « Le Saint-Esprit surviendra en toi, » lui dit l'ange; le Saint-Esprit n'habitait donc pas en elle, ou n'y habitait, du moins, que comme dans toute âme pieuse. Elle-même, à en juger par son étonnement et par sa réponse a l'ange, il est clair qu'elle ne se doutait pas que rien de miraculeux eût déjà marqué sa vie.

Ce prétendu fait avec lequel Rome a remué le monde, cette gloire fondamentale de la mère du Christ, - comment expliquerez-vous que l'ange ne la lui eût pas révélée, n'y eût pas au moins fait allusion ? Et si l'ange ne la lui a pas révélée, si les Évangélistes, après l'ange, n'en ont rien dit, que pouvez-vous en dire? Que pouvez-vous en savoir?
Mais ce n'est pas un point où il y ait lieu à chercher des arguments de détail. Plus vous ferez de bruit avec le dogme de l'Immaculée Conception, plus vous le condamnerez vous-mêmes, car le silence des écrivains sacrés sera d'autant plus inexplicable, d'autant plus écrasant.

Versets 39 et suiv.- Marie va voir Élisabeth.


106. Verset 42. Élisabeth , élevant la voix , s'écria : Tu es bénie entre les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.

Élisabeth, remplie du Saint-Esprit (verset 41), ne parle pas autrement que l'ange. « Tu es bénie entre les femmes, dit-elle ; tu as reçu une grâce bien autrement grande que celle qui m'est accordée, à moi, mère du Précurseur. » - Toujours cette grâce; rien de plus.


107. Verset 45. Et d'où me vient ceci, que la mère de mon Seigneur vienne me visiter?

La mère de mon Seigneur. On s'est appuyé de ces mots pour donner à Marie le titre de Mère de Dieu, qui n'est nulle part dans l'Écriture, et ce titre a beaucoup aidé aux progrès du culte de Marie, car la mère d'un Dieu est nécessairement plus ou moins une déesse.
Remarquez qu'Élisabeth ne dit pas « la mère du Seigneur,» mais «la mère de mon Seigneur.»
Elle n'envisage donc ici Jésus que comme le Messie, le roi d'Israël, celui que les prophéties annonçaient; et c'était bien assez pour que la visite de Marie lui paru un très grand honneur.

Jésus n'est fils de Marie que quant à son humanité dans sa divinité, il ne l'est point. « Avant que le monde fût, » nous dit-il lui-même (Jean XVII, 5), il existait dans la plénitude de sa gloire.

Mère de Dieu est donc une expression aussi inexacte en soi que dangereuse par les conséquences qu'elle entraîne. Ce n'est qu'au quatrième siècle qu'on a commencé à s'en servir; on s'imagina rendre hommage à la divinité de Jésus-Christ, et on s'achemina à l'effacer par celle de Marie.

Dans les pays où le marianisme a reçu tout son développement, que reste-t-il, en fait, du culte de Jésus-Christ et de la foi en Jésus-Christ? Au lieu d'honorer sa mère à cause de lui, n'est-ce pas lui, plutôt, qu'on honore à cause de sa mère, à l'occasion de sa mère?

Jésus, dans ces pays, ce n'est plus guère que l'enfant Jésus, porté dans les bras de Marie; encore se met-on de plus en plus à représenter Marie sans lui, ce qu'on faisait rarement autrefois. Un païen pourrait vivre des années dans telle ou telle ville catholique , et ne pas se douter que Marie ne soit pas la divinité des chrétiens.

Versets 46 et suiv.- Joie de Marie. Elle bénit Dieu.


108. Verset 48.-... Et voici, tous les siècles m'appelleront bienheureuse.

Des docteurs catholiques ont voulu, sur ce mot, attribuer à Marie le don de prophétie; nouvel élément de gloire. - Ils oublient que l'ange lui a parlé de son fils (verset 33) comme devant régner éternellement.
A-t-elle besoin d'être prophète pour s'écrier, dans sa pieuse joie, qu'on parlera à jamais de son bonheur?

Sa parole s'est vérifiée; tous les siècles, toutes les Églises l'ont appelée bienheureuse. Il y a erreur ou calomnie à représenter comme ennemis de la mère du Christ , comme la rabaissant ou l'outrageant, ceux qui ne l'honorent pas à la manière de l'Église romaine. Ils font ce que toute l'Église a fait dans les premiers siècles.

S'ils refusent un culte à la mère dit Sauveur, jamais ils n'ont refusé de voir en elle la plus bénie des femmes.

S'ils attaquent les gloires imaginaires dont on s'est plu à la charger, jamais ils n'ont rien dit contre sa gloire véritable, sa fécondité miraculeuse, sa virginité première, la seule dont les Évangiles parlent.
Ici même, dans ces notes où nous attaquons tant de choses, avons-nous écrit un seul mot qui s'écartât du respect dû à la mère du Sauveur? Avons-nous parlé d'elle autrement que les Évangélistes, autrement que les premiers Pères?


109. Verset 49.- Car le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses...

Ces grandes choses, nous dit-on, comprennent l'Immaculée Conception.
Si l'Immaculée Conception était enseignée ailleurs, oui; si elle ne l'est pas, non, car on pourrait inventer quoi que ce fut , et dire également que ce sont toujours ces grandes choses.

Ni dans les paroles de l'ange, ni dans ce qu'a dit Élisabeth, ni dans ce qu'a dit Marie elle-même, vous n'avez rien vu, jusqu'ici, qui se rapportât à des faits antérieurs à l'annonciation ; ces grandes choses ne peuvent donc être que celles dont il a été question dans l'annonciation même. Notez, de plus, que la phrase est un verset de psaume (CXXVI, 2), une simple formule d'action de grâces. Rien donc à en tirer de particulier sur Marie, car toute âme reconnaissante pouvait et peut en dire autant.


110. Verset 57. Cependant le terme d'Élisabeth étant venu, elle enfanta un fils.

Élisabeth ne devant pas, vu son âge, avoir d'autres enfants, saint Luc, dit simplement: « Un fils. » Si la pensée de l'Évangéliste eut été que Marie devait également n'en avoir qu'un, pourquoi, comme saint Matthieu, appellerait-il Jésus (11, 7) son premier-né?

Versets 51 et suiv. - Naissance de Jean-Baptiste. On parle de sa grandeur future.


111 . Verset 67. Alors Zacharie, son père, fut rempli du Saint-Esprit...

Ne dirait-on pas que l'Évangéliste a voulu ôter tout prétexte aux exagérations qui devaient un jour avoir cours sur la grandeur de Marie?
Zacharie , nous dit-il, fut rempli dit Saint-Esprit; Élisabeth, a-t-il dit un peu avant, fut remplie du Saint-Esprit; un peu plus loin, parlant du vieux Siméon. il dira que le Saint-Esprit était sur lui. A-t-il dit cela de Marie? Le dira-t-il? Non. L'ange avait dit à Marie que le Saint-Esprit surviendrait en elle, mais pour accomplir, dans son sein, la génération divine ; nulle part elle ne nous est représentée comme inspirée, dans le sens ordinaire de ce mot, et il y a plusieurs traits dans sa vie , plusieurs réponses du Christ à sa mère ou sur sa mère , qui ne permettent pas de penser qu'elle le fut. - Voir 87 et 113.


CHAPITRE II

Naissance de Jésus-Christ. Des bergers, miraculeusement avertis, vont l'adorer.


112. Verset 19. Et Marie conservait toutes ces choses, les repassant dans son coeur.

Que n'a-t-on pas tiré de ce verset! Au lieu d'y voir simplement la joie étonnée de Marie, on veut que ce qu'elle « repassait dans son coeur» fut l'oeuvre entière de la rédemption du monde; on veut qu'elle fut avec Dieu dans une union presque semblable à celle dont Jésus parlait plus tard , lorsqu'il disait: « Mon Père et moi sommes un. »

L'Évangéliste s'est cependant servi à peu près des mêmes termes en parlant des témoins de la naissance de Jean-Baptiste : «Ceux qui entendirent ces choses les conservèrent dans leur coeur. »
Quand il ajoute, en parlant de Marie, qu'elle « repassait dans son coeur» ce qu'elle venait d'entendre, il nous la montre plutôt comprenant peu, s'efforçant de comprendre, et ce détail, ainsi interprété, se trouve d'accord avec ceux que vous avez ailleurs (voir 87 et 113) sur la peine qu'eut en effet Marie à comprendre l'oeuvre de son fils.

Versets 21 et suiv.- Purification de Marie. Siméon béni Dieu d'avoir vu le Sauveur promis. Il bénit Joseph et Marie.


113. Verset 55. Et toi-même, une épée te transpercera l'âme.

On ne voit ordinairement dans ces mots qu'une allusion aux douleurs de Marie, quand elle verra son fils persécuté, mis à mort. Lisez attentivement le contexte, et vous vous convaincrez qu'il s'agit de tout autre chose.
Ces mots, en effet, ne sont qu'une parenthèse au milieu d'une phrase où il est dit que le Christ vient pour la chute des uns et le relèvement des autres, qu'il sera en butte à la contradiction des hommes, et, cela, « afin que les pensées des coeurs soient manifestées, » c'est-à-dire afin que chacun, par la manière dont il accueillera le Christ, montre s'il a dans le coeur les sentiments que le Christ demande.

Ainsi encadrés , ces mots veulent dire évidemment :
« Toi-même, toi, sa mère, tu seras travaillée, à son sujet, par ces doutes qui agiteront tant d'hommes; tu pourras être tentée de te demander si ton fils est bien le Christ, si les promesses de Dieu doivent s'accomplir en lui.- Toi-même, les pensées de ton coeur seront manifestées, c'est-à-dire que tu seras appelée , comme tous les disciples de ton fils, à laisser voir, dans cette lutte, tes sentiments intimes, tes illusions sur la nature de son règne, tes erreurs sur le caractère de son oeuvre, tes défiances quand le succès paraîtra compromis.»

Étudiez maintenant , à la clarté de cette prophétie , toute l'histoire de Marie, et vous verrez comme tous les faits rentrent dans le cercle ainsi tracé. Pas un qui ne confirme, directement ou indirectement, ce que nous venons de dire, savoir que Marie a été lente à comprendre l'oeuvre de Jésus, lente à s'y associer , sauf par la simple affection maternelle, évidemment insuffisante en pareille matière.

Dans ce chapitre même, quand Siméon célèbre la grandeur future de Jésus, saint Luc (verset 33) nous peint Marie « admirant » ce qu'elle entend dire de son fils , et le mot grec indique une admiration étonnée, une admiration qui comprend peu. Dans ce même chapitre encore, quand elle retrouve Jésus resté à Jérusalem, et qu'il répond à Joseph et à elle : « Ne saviez-vous pas qu'il me faut être aux affaires de mon Père ? » - l'Évangéliste ajoute que Marie et Joseph « ne comprirent point ce qu'il leur disait.

Comprenait-elle mieux vingt ans après? Nous avons vu (note 87) que non.
Donc, encore une fois, à côté de la gloire unique, immense, d'être la mère du Christ, Dieu n'avait rien accordé à Marie qui l'élevât miraculeusement au-dessus de sa nation. Pourquoi cela? Pourquoi ne pas lui accorder au moins d'être la première à comprendre ce qu'était son fils, la première à recevoir l'Évangile dans son coeur?

Une seule explication est possible :
Dieu a voulu que rien ne risquât de combler, aux yeux des hommes, la distance infinie qui devait rester entre Jésus et sa mère selon la chair. Mais ce que Dieu voulait, Rome ne l'a pas voulu. On a refait l'histoire de Marie; on l'a refaite en opposition directe avec la lettre et l'esprit des Évangiles,- et on crie anathème à qui la ramène au vrai.

Versets 41 et suiv. - Jésus à douze ans. Voyage à Jérusalem. Joseph et Marie retrouvent Jésus dans le temple.


114. Verset 49. Et il leur dit; Pourquoi me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas qu'il me faut être aux affaires de mon Père?

Ces mots, que la mère de Jésus, nous dit saint Luc, ne comprit pas (voir la note ci-dessus), appellent encore une remarque.
Est-ce ainsi qu'aurait répondu Jésus si ces « affaires » de Dieu avaient dû être, en quelque degré, celles de Marie, et s'il avait voulu qu'elle fût considérée comme ayant une part quelconque dans son oeuvre?

Cherchez, d'ailleurs, s'il parla jamais autrement, et si, dans aucune circonstance, il a paru s'associer sa mère, ni pour le présent, ni pour l'avenir, ni comme sauvant les hommes, ni comme contribuant à les sauver, ni comme intercédant pour eux.


115. Verset 51. il retourna ensuite avec eux à Nazareth, et il leur était soumis.

Il n'est pas d'absurdité qu'on n'ait dite à propos de ces derniers mots. Marie a été représentée conservant sur son divin fils, dans le ciel, toute l'autorité qu'une mère peut avoir eue sur un fils de douze ans ; c'est même un des arguments populaires le plus ordinairement donnés en faveur du culte de Marie . Jésus ne petit rien lui refuser ; que Marie soit pour vous, et vous êtes sûr de lui.
A cette idée se joint tout naturellement celle de l'extrême indulgence de Marie, incapable, dit-on, de rien refuser à qui l'invoque, et voilà Marie arrachant au Christ, en vertu de l'autorité maternelle, des faveurs et des pardons qu'on avoue qu'il n'aurait jamais accordés.

Ce dernier point occupe une grande place dans la piété catholique. Si ce n'est pas doctrine officielle, c'est, du moins, une des idées que le clergé reproduit le plus souvent, sous le plus de formes, et elle est devenue, en conséquence, dans les pays à catholicisme complet, une grande et profonde cause d'affaissement moral. Là, le juge suprême, en réalité, c'est Marie, Marie telle que la font ceux qui ont besoin d'elle, une femme qui se laisse gagner au moindre hommage, qui excuse tout, pardonne tout, et qui sauve infailliblement quiconque aura en recours à elle.

Si le bon sens et la conscience de la foule ne redressaient un peu ce que la chaire catholique ose enseigner là-dessus, on ne voit pas ce qui resterait encore, dans ces pays, non seulement de la morale chrétienne, mais de la morale humaine et de ses plus simples lois.


CHAPITRE III

Prédication de Jean-Baptiste. Se repentir; ne pas se tranquilliser en disant: . Nous avons Abraham pour père » (note 4). Le blé au grenier et la paille au feu (note 5). Baptême de Jésus-Christ. Sa généalogie. Saint Luc donne les ancêtres de Marie, et saint Matthieu ceux de Joseph. Le père de Marie s'appelait donc Héli, non Joachim , comme le prétend la tradition de l'Église romaine. Sa mère, selon cette même tradition, s'appelait Anne. On ignore où ce nom a été pris.


CHAPITRE IV

Tentation de Jésus-Christ (notes 6 et 7). Jésus dans la synagogue de Nazareth.


116. Verset 17. On lui présenta le livre du prophète Esaïe, et, l'ayant ouvert...

Il n'y avait, pour toute la Judée, qu'un temple, celui de Jérusalem; les sacrifices ne pouvaient avoir lieu que là. Mais chaque ville avait une ou plusieurs synagogues, ou lieux d'assemblée; c'est là que se célébrait le culte ordinaire, dans lequel la lecture et la méditation des Livres Saints occupaient une grande place.
Remarquez que Jésus n'était point prêtre, et que cependant c'est lui, dans cette synagogue, qu'on invite à lire l'Écriture.
Ainsi, dans cette religion si sévèrement organisée, à côté de ce vaste corps sacerdotal auquel appartenait exclusivement le droit de présider aux cérémonies du temple, les Livres Saints étaient restés la propriété de tout le monde.

Lire, étudier l'Écriture, c'était le droit et le devoir de tous.
Ce qui était un droit sous la loi des cérémonies, serait donc défendu sous l'Évangile? Ce qui était un devoir sous la hiérarchie juive , serait un attentat sous le ministère chrétien ? -
Ce rapprochement seul en dit plus que tous les arguments.

Versets 18 et suiv. - Jésus lit un passage et se l'applique. On l'écoute d'abord avec - admiration, puis on s'indigne. Guérison d'un démoniaque et de la belle-mère de Pierre (note 21). Autres guérisons.


CHAPITRE V

Pêche miraculeuse. Vocation de Pierre (note 8). Guérison d'un paralytique (note 22). Vocation de Matthieu. On se scandalise de ce que Jésus mange avec des publicains.


117. Verset 55. Alors ils lui dirent: Pourquoi les disciples de Jean jeûnent-ils souvent et font-ils des prières, comme ceux des pharisiens, tandis que les tiens mangent et boivent?

Cela ne veut pas dire, évidemment, que les apôtres ne priaient pas. Mais autre chose est de prier on de faire des prières, c'est-à-dire de changer la prière en une pratique, de prier selon certaines règles plus ou moins mécaniques, de répéter la même prière (note 13) un nombre de fois. déterminé, etc. Saint Paul dit bien (1 Tim. 11, 1) :
«Je recommande qu'il se fasse des prières pour tous les hommes ; » mais il est clair que l'apôtre ne parle pas là de formes, et ne veut que recommander qu'on prie. Quand les Juifs, au contraire, demandent à Jésus pourquoi les disciples de Jean font des prières et non les siens, ils parlent de prières formalistes, régulières, analogues à celles des pharisiens , disent-ils. Jean-Baptiste n'était que le précurseur du Messie; il n'avait pas mission de rien changer, et il s'était contenté, dans le cas en question, de spiritualiser les vieilles formes en exigeant (voir chap. III, 3) la contrition du coeur.

Mais Jésus va aller plus loin ; il rangera les prières formalistes (voir aux versets 36-38) parmi les choses qu'il figure sous l'image d'un vieil habit ne pouvant porter un morceau neuf, d'un vieux vase que le vin nouveau romprait. Cette dernière image est particulièrement frappante; elle nous montre à quel point Jésus regardait le christianisme comme ne pouvant s'emprisonner dans rien qui ressemblât au formalisme judaïque. Et c'est ce formalisme qui allait renaître dans l'Église, plus développé, plus matériel qu'il ne l'avait jamais été chez les Juifs !

Faire des prières n'est donc pas, dans le sens que nous venons d'indiquer, une expression chrétienne. L'Église romaine a été conduite à s'en servir; ayant la chose, elle n'a pas pu ne pas adopter le mot. Qu'elle ne prétende au moins pas le mettre dans la bouche des écrivains sacrés ; la version de Sacy, entre autres, le met plusieurs fois là où le grec dit prier. Jésus, sur la montagne de la transfiguration (Luc IX, 29.), fait sa prière; Jésus, à Gethsémané (Luc XXII, 41), fait sa prière. Tout cela est contraire et à la lettre et surtout à l'esprit du texte.


CHAPITRE VI

Les épis cueillis. Guérison de l'homme à la main sèche. Le sabbat. Liste des apôtres (note 24). Foule autour de Jésus.


118. Verset 20. Alors, levant les yeux vers ses disciples, il dit: Bienheureux êtes-vous, pauvres, parce que le royaume de Dieu est à vous.

Le royaume de Dieu n'est point aux pauvres en ce sens que la pauvreté , par elle-même , leur en donne l'entrée ; le pauvre n'est pas plus sauvé comme pauvre que le riche n'est condamné comme riche.
Mais le riche est plus exposé , soit à oublier le ciel, soit à se le fermer par les péchés que le bien-être amène; le pauvre ne connaît pas ces péchés-là, et, si la pauvreté l'expose à en commettre d'autres, au moins le ramène-t-elle sans cesse à la pensée d'un monde meilleur. Voilà en quoi les pauvres, selon la parole de Jésus, sont bienheureux; tout ce qu'on a dit au delà est dangereux et faux. - Voir note 98.

Versets 21 et suiv. - Autres béatitudes. Les riches (note 118). Ai mer ses ennemis; faire du bien à tous. La pale et la poutre. Les paroles de Jésus-Christ sont le seul fondement solide (note 20).


CHAPITRE VII

Le serviteur du centenier. Le fils de la veuve de Nain. Jean envoie ses disciples Vers Jésus. Jésus rend témoignage de lui. Folie de ceux qui n'écoutent ni Jean ni le Christ. Jésus chez un pharisien. Une femme répand du parfum sur ses pieds. Parabole des deux débiteurs. Tes péchés te sont remis.


119. Verset 49. Et ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire entre eux : Qui est celui-ci, qui remet même les péchés?

A. Toujours cet étonnement des Juifs (note 22); pardonner les péchés leur paraissait quelque chose de plus grand que les plus grands miracles. Ils comprenaient que Dieu donnât à un homme de guérir les malades ; ils ne comprenaient pas que Dieu pût céder à un homme le droit de remettre les péchés. Pourquoi?
Parce que ce droit suppose le pouvoir de lire dans les coeurs, pouvoir essentiellement divin.

Jésus l'avait, ce pouvoir, et c'est pour cela que, chez lui, le droit de remettre les péchés était chose aussi naturelle que d'opérer un miracle quelconque; mais s'attribuer le droit de remettre les péchés, et ne pas pouvoir s'attribuer la faculté de lire dans les coeurs,- c'est une contradiction.

B. Mais qu'est-ce qui n'est pas contradiction dans cette affaire?
Je t'absous, me dit le prêtre. - Cette déclaration est-elle absolue ou conditionnelle?

Si elle est absolue,- le plus coupable et le plus impénitent des hommes, une fois ces mots prononcés sur lui, va droit au ciel
Si elle est conditionnelle, si Dieu ne la confirme que dans les cas où le pécheur sera dans les conditions normales du pardon,- qu'est-ce, alors, que ce droit d'absoudre? Quel pouvoir le confesseur a-t-il réellement exercé là ?

Il ne m'a point absous; Il m'a simplement affirmé que Dieu m'absoudra si Dieu me voit dans les conditions voulues. Tout le monde peut m'en dire autant.
Dans ce dernier cas, par conséquent, le prêtre n'est qu'un conseiller ; il vous a donné des directions sur les moyens d'être absous , mais il ne vous absout point. Si donc on tient à lui laisser quelque chose et à le supposer exerçant une autorité réelle,-- force est d'en revenir à la première alternative, c'est-à-dire de lui laisser trop, beaucoup trop, énormément trop ; force est d'admettre qu'une fois absous au confessionnal, le plus scélérat des hommes est absous dans le ciel.

Si le, pouvoir du prêtre ne va pas jusque-là, si l'absolution est conditionnelle, l'absolution ne garantit rien, ne donne rien, n'est rien.

C. Mais elle a beau n'être rien devant le bon sens et l'Évangile ; elle sera malheureusement toujours beaucoup aux yeux de qui veut y croire et a besoin d'y croire.
Toujours le pécheur sera heureux qu'on lui offre un moyen prompt et facile de se débarrasser de ses péchés, de pécher à nouveau sans s'inquiéter de l'arriéré il se gardera bien de contester au confesseur un pouvoir dont il serait si fâché que le confesseur n'usât pas. Aussi, dans les pays véritablement catholiques, aucune borne à la confiance qu'ont les gens en ce prétendu pouvoir. Les moins croyants y croient; on y croit même d'autant mieux qu'on est plus loin d'avoir assez de foi pour s'élever à la repentance véritable, et, réciproquement, plus on y croit, moins on songe à se repentir, à s'amender, à rentrer en grâce auprès de Dieu par le chemin tracé dans l'Evangile.


120 . Verset 50. Et Jésus dit à la femme Ta foi t'a sauvée; va en paix.

Nous avons vu (note 43) la foi posée comme seule condition de l'exaucement des prières; la voici comme seule condition du pardon, du salut.
La foi de cette femme s'est traduite en actes visibles; mais ces actes n'ont eu d'autre valeur que celle que leur donnait la foi, et c'est pour cela que Jésus déclare accorder à la foi seule le pardon qu'il vient de prononcer.

Le parfum qu'elle a versé sur ses pieds aurait pu n'être que le vain luxe d'une piété prétentieuse; il aurait aussi pu se faire qu'elle s'imaginât payer son pardon par cette offrande. Jésus loue donc en elle le principe, non les effets visibles, qui, en soi, ne prouveraient rien. Ta foi t'a sauvée, lui dit-il ; et ce mot est une leçon pour tous les siècles.

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