Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU

CHAPITRE XIII

Parabole du Semeur. Jésus l'explique à ses disciples. Les Juifs, dit-il, sont aveugles et sourds.


36. Verset 16. Mais vous, heureux vos yeux , car ils voient, et vos oreilles, car elles entendent.

Heureux donc qui ne s'imaginera pas , comme les Juifs , faire acte de sagesse en se bouchant les yeux et les oreilles quand il a les moyens de voir, d'entendre ! Grâce au livre divin que nous commentons ici, vous pouvez voir ce que les apôtres voyaient, entendre ce qu'ils entendaient.

De quel droit vous empêcherait-on d'examiner si c'est bien là ce que vous enseigne votre Église ? Quand le Sauveur félicite ses disciples d'avoir des yeux et des oreilles, pourquoi vous laisseriez-vous persuader de n'en pas avoir?

Versets 24 et suiv. - Le bon grain et l'ivraie. Le grain de sénevé. Le levain. Explication de la parabole de l'ivraie. Les anges ramasseront les méchants...


37. Versets 42 et 45. Et ils les jetteront dans la fournaise de feu... Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père.

Versets 47 et suiv.- Parabole du filet. Les anges viendront, et sépareront les méchants du milieu des justes; et ils les jetteront... etc.

Voilà deux de ces passages dont nous parlions à la note 5. Toujours les bons d'un côté, les méchants de l'autre; jamais de mention d'un séjour intermédiaire.

Versets 54 et suiv.- Les Juifs s'étonnent de la sagesse de Jésus.


38. Versets 55 et 56. N'est-ce pas là le fils du charpentier? Sa mère ne s'appelle-t-elle pas Marie, et ses frères, Jacques, Joses, Simon et Jude? Et ses soeurs ne sont-elles pas toutes parmi nous?

Ces Juifs veulent mettre en contraste la haute sagesse de Jésus et l'obscurité de sa naissance; ils le montrent fils d'un charpentier et de l'humble Marie. Le père et la mère indiqués, que servirait d'indiquer d'autres personnages qui ne seraient que des cousins?

Des frères, à la bonne heure, car, alors, c'est comme si on disait : « Ils sont restés dans la condition de leurs parents; pourquoi Jésus en sort-il?» Quatre noms soigneusement énoncés indiquent l'intention de renforcer le contraste; si on passait du père et de la mère à des cousins, le contraste irait s'affaiblissant. Enfin, si ce mot frères ne désigne ici que les cousins, les parents, la parenté, pourquoi parler aussi de soeurs?

Le mot frères, dans ce sens large qu'on prétend lui donner, n'embrasserait-il pas tout? Simples parentes, les soeurs ne seraient-elles pas comprises dans les frères, simples parents? - Ainsi, les détails , l'ensemble , tout nous ramène à l'idée que ces frères sont bien des frères , et , si cette idée est choquante au point de vue des préoccupations romaines, elle est, comme nous l'avons montré (note 35), sans aucune importance au point de vue évangélique.
Une objection a été faite au moyen d'un verset du chapitre XXVII. Voyez note 85.


CHAPITRE XIV

Jean-Baptiste est mis à mort. On apporte sa tête à Hérodias,


39. Verset 12. Et ses disciples, étant venus, emportèrent son corps, et l'ensevelirent.

Ils ensevelissent leur maître; rien de plus naturel. Mais cherchez si vous trouverez quelque indice d'hommages religieux rendus par eux à ses restes; cherchez s'il y a, dans tout le Nouveau Testament, nun seul mot qui ait trait à un culte de ce genre.
La tête de Jean-Baptiste fut-elle recueillie avec son corps?

Saint-Matthieu semble plutôt dire que non ; saint Marc de même. Malgré Cela, et peut-être à cause de cela, car on dirait que l'Église romaine aime à être en contradiction avec tout ce qu'on lit dans l'Écriture, la tête de Jean-Baptiste a été fameuse entre toutes les reliques. On vous la montre entière à Rome, entière à San-Salvador, et, avec les fragments qu'on en possède en plusieurs autres villes, on en ferait encore deux ou trois.

Quand le culte des reliques n'aurait pas donné lieu à mille erreurs et à mille fraudes , nous aurions encore à le condamner au nom de la spiritualité du christianisme. Non seulement , comme nous l'avons dit, vous ne trouvez pas dans l'Écriture un seul mot qui s'y rapporte, un seul qui l'autorise, mais l'ensemble de l'enseignement évangélique est formellement contraire à tout ce qui matérialiserait la piété.
Esprit et vie, voilà ce qu'est le christianisme, et dans ses dogmes, et dans son culte.

Versets 13 et suiv. - Multiplication des pains. Jésus marchant sur les eaux.


CHAPITRE XV

Les pharisiens reprochent à Jésus de ne pas observer ce qu'ils appellent « la tradition des anciens. » Jésus leur montre que cette tradition ne sert qu'à amener des violations de la loi, et il applique à ses contemporains un passage d'Esaïe où Dieu est représenté disant :


40. Verset 9. C'est en vain qu'ils m'honorent, enseignant des doctrines qui ne sont que des commandements d'hommes.

Ces «commandements d'hommes,» contre lesquels Jésus s'élève, avaient cependant l'approbation des chefs de l'Église juive; on les faisait remonter aux entretiens de Dieu avec Moïse, puis de Moïse avec Aaron et d'Aaron avec quelques prêtres, absolument comme l'Église romaine fait remonter les siens aux entretiens de Jésus avec les apôtres, des apôtres avec leurs disciples, etc.

Ainsi, tout ce qui est à côté de la loi écrite, Jésus l'appelle commandements d'hommes. Cela ne veut pas dire que toutes les traditions soient nécessairement mauvaises, comme celle qu'il cite pour exemple; mais, en les appelant commandements d'hommes, il nous enseigne qu elles ne doivent jamais prévaloir sur les commandements de Dieu, et que la Bible reste juge suprême de tous les développements qu'on aura donnés à ses leçons.

Lui-même , dans cet endroit, quelle raison donne-t-il (verset 6) pour condamner la tradition dont il vient de parler? Elle annule, dit-il, un commandement de Dieu. La tradition n'a donc nulle autorité sur l'Écriture , et l'Écriture conserve une autorité souveraine sur tout ce qui est tradition.

On objecte que nous ne possédons pas, dans l'Écriture, tout ce qu'ont dit Jésus-Christ et les apôtres ; qu'une portion de leurs enseignements a donc dû être transmise autrement.
Ce n'est pas là la question. Il s'agit uniquement de savoir si ce que nous possédons par écrit est, oui ou non, assez considérable pour servir de base à nos jugements sur ce qu'on prétend y ajouter.
Or, quoique le Nouveau Testament ne soit pas un gros livre , il l'est assez pour que nous n'admettions pas que rien d'important y soit omis.

Dans la partie historique, où se trouvent tant de détails d'un intérêt relativement médiocre, il est inadmissible que des faits réellement graves aient été laissés de côté par les quatre historiens. Dans les Épitres, dans celles, en particulier, de saint Paul, où l'exposé de la doctrine chrétienne revient tant de fois et sous tant de formes, il est inadmissible que quelque élément essentiel ait été partout oublié. Plus vous insisterez sur la gravité d'une doctrine, plus, si elle n'est pas dans l'Écriture, vous rendrez ce silence inexplicable, et plus vous renforcerez, par conséquent, l'argument que nous en tirons contre elle.

Voilà la marche que nous suivons, et que nous invitons à suivre; c'est du simple bon sens et de la toute simple bonne foi. Nous ne rejetons point toute tradition, bien s'en faut, puisque nous invoquons sans cesse, contre l'Église romaine, ce qui se faisait ou se disait dans les premiers siècles de l'Église ; mais nous ne donnons à ces faits, à ces idées, nulle autre autorité que celle qui leur vient de l'Écriture, de leur conformité avec les enseignements de l'Écriture.

Nous savons que les « commandements d'hommes » ont une tendance constante, non seulement à venir se mettre à côté des commandements de Dieu, mais à s'y substituer; c'est pour cela que Jésus-Christ a parlé, si sévèrement de la tradition en général et de l'esprit de tradition. Le mot même de Tradition (en grec Paradosis), dès qu'il s'agit d'une tradition proprement dite, d'un enseignement venu de loin et transmis d'homme à homme , n'est jamais pris , dans le Nouveau Testament, qu'en mauvaise part. - voir note 402.


41. Verset 11. Ce n'est point ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme; c'est ce qui en sort qui le souille.

Parmi les traditions que Jésus condamne chez les Juifs, voilà précisément une de celles que l'Église romaine a imposées, la distinction des aliments.
Remarquez que ce n'était même pas une tradition proprement dite, un pur commandement d'homme, car elle existait dans la loi, et les pharisiens n'avaient fait que la développer. Jésus , cependant, abroge et les développements et la chose même ; il la déclare contraire à l'esprit du christianisme, lequel ne reconnaît d'autre souillure que « ce qui sort de la bouche de l'homme, » savoir les mauvaises paroles, fruit des mauvaises pensées et de la corruption du coeur.

Versets 12 et suiv.- Ses disciples lui disent qu'il vient de scandaliser les pharisiens.


42. Verset 15. Mais il répondit: Toute plante que mon Père céleste n'a pas plantée, sera arrachée.

Voilà, le résumé de ce que Jésus a dit des traditions, des commandements d'hommes. Ce sont des plantes que Dieu n'a pas plantées - elles seront arrachées ; elles doivent l'être.
Arrachons donc du champ de la religion tout ce que l'Écriture ne nous montre pas planté de Dieu , toute idée, toute pratique qui ne se justifie pas par l'Écriture. Soyons sévères envers les choses mêmes qui nous paraîtraient avoir du bon, car elles auront toujours l'inconvénient d'ouvrir la porte à de moins bonnes, et de nous habituer à nous passer de l'enseignement divin.

Les traditions qui s'en éloignent le plus ont toutes commencé par s'en éloigner très peu ; on a souvent beaucoup de peine, en histoire, à déterminer le moment où l'idée humaine a pris la place de la doctrine évangélique.

Les défenseurs de l'Église romaine exploitent habilement cette difficulté. « Si on ne peut, disent-ils, déterminer le moment où a paru telle ou telle doctrine, c'est preuve que cette doctrine n'a point eu , en effet, de commencement, qu'elle remonte aux apôtres, qu'elle est l'Évangile même. » Quant à celles que l'histoire nous montre proclamées par un décret de concile ou de pape, on nous répond que cette proclamation officielle n'a point créé le dogme, qu'elle en prouve, au, contraire, l'établissement antérieur et l'acceptation unanime ; et toujours, en effet, on peut nous montrer ce dogme professé dans l'Église antérieurement au décret qui l'a proclamé.
Est-ce là une discussion sérieuse?

Parce que vous nous aurez montré la Transsubstantiation professée dans l'Église avant le décret d'Innocent III, en 1215, il faudra renoncer à dire qu'elle a eu un commencement?
Parce que l'Immaculée Conception a été en grande faveur avant 1854, elle n'aura pas eu de commencement non plus?
Parce que nous ne pouvons fixer l'année, parce que l'idée première a surgi on ne sait où et a flotté durant des siècles , avançant, reculant , prenant insensiblement sa forme, il faudra avouer qu'elle vient tout droit des apôtres? Quand ce va-et-vient de plusieurs siècles ne nous serait pas connu, la grande question sera toujours :
« Les apôtres ont-ils enseigné cela? Les premiers temps ont-ils connu cela ?»

Ainsi ferons-nous pour toutes les doctrines que nous croirons devoir combattre. Pourquoi nous arrêter dans les ténèbres des siècles intermédiaires ? La lumière est au commencement, et, quiconque voudra sincèrement la lumière, c'est là qu'il la cherchera.

Versets 21 et suiv.-Une femme cananéenne demande la guérison de sa fille. Jésus semble vouloir refuser. La femme insiste.


43. Verset 28. Alors Jésus lui dit : 0 femme, ta foi est grande ; qu'il te soit fait comme tu le désires.

La femme est exaucée parce que sa foi « est grande. .» Nulle part, dans l'Écriture, vous ne verrez mentionner d'autre condition que celle-là. Les redites, vous l'avez vu (note 13), sont condamnées ; les pratiques diverses qu'on associe à la prière, les pèlerinages pour aller prier ici ou là, ce sont encore des commandements d'hommes. L'Écriture n'en dit rien, et l'esprit du christianisme les réprouve.

Versets 99 et suiv. - Guérisons nombreuses. Seconde multiplication des pains


CHAPITRE XVI

Les Pharisiens demandent un prodige; Jésus refuse. Le levain des pharisiens, l'hypocrisie. Belle confession de saint Pierre: « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant. » Jésus le félicite. Ce n'est pas la chair et le sang, lui dit-il, qui lui ont révélé cela, mais Dieu.


44. Verset 18. Et moi aussi je te dis que tu es Pierre, et que, sur cette Pierre, je bâtirai mon Église...

Une première observation à faire sur ces mots, observation accessoire, mais grave, c'est qu'on ne les trouve qu'ici, dans saint Matthieu.
Est-ce à dire que nous voulions les faire considérer comme douteux? Nullement; l'authenticité en est incontestable. Nous demandons seulement s'ils auraient pu, avec l'importance qu'on leur donne , être omis par les trois autres historiens de Jésus-Christ.

Cette omission, une seule chose la rendrait un peu moins extraordinaire : ce serait que les trois Évangélistes eussent omis toute la conversation où saint Matthieu a placé ce détail. Mais non.

Voilà saint Marc (Chap. VIII) qui reproduit à peu près mot à mot tout ce qui précède, tout ce qui suit, et, n'omettant que quelques lignes, omet précisément celles-là.
Voilà saint Luc, habituellement si détaillé, qui les omet également (Chap. IX).
Voilà saint Jean qui ne les reproduit pas davantage, et cependant saint Jean, écrivant longtemps après les trois autres, a dû voir, selon vous, la papauté pleinement établie; nouveau motif pour ne pas oublier d'en rapporter la fondation.

Ainsi, cette déclaration qu'un catholique, après l'avoir tant entendu répéter et exploiter, ne serait pas surpris de lire en vingt endroits du Nouveau Testament, qu'il sache qu'elle n'y est qu'en un seul, bien que le seul cours des récits dût la ramener quatre fois. Qu'il se suppose ensuite, lui ou tout autre catholique, écrivant, fût-ce en quatre pages, l'histoire de Jésus-Christ, et qu'il nous dise s'il oublierait ces mots, s'il comprendrait que trois historiens sur quatre pussent les oublier.

Une seconde observation , c'est que ce passage est une figure, et même une figure qui va jusqu'au jeu de mots, chose ordinaire en Orient. Une figure peut-elle servir de base à un système? L'éclaircir, oui ; le fonder, non. Comparaison n'est pas raison, dit-on vulgairement.

Si le Nouveau Testament nous montre ailleurs saint Pierre chef de l'Église, alors nous devons reconnaître que c'est cette dignité qui lui est conférée ici ; si le Nouveau Testament se tait ailleurs, s'il nous donne des faits incompatibles avec le système romain, alors nous sommes en droit de déclarer que ce n'est pas le système romain qui est au fond de cette figure. Elle ne peut dire, en un mot, que ce que lui fera dire le reste du Nouveau Testament.
Ainsi, pour que ce passage établît la suprématie de saint Pierre, il faudrait :

1- Que les privilèges accordés ici à cet apôtre eussent été accordés à lui seul ;
2- Que les autres apôtres et saint Pierre lui-même eussent entendu la chose ainsi. - Or :

1- Vous verrez plus loin des passages où ils sont tous mis sur le même rang, et où Jésus-Christ donne à tous l'autorité qu'il semble ici ne donner qu'à saint Pierre;

2- Vous ne trouverez, dans leurs épîtres, aucune trace de cette prétendue suprématie de l'un d'eux, et saint Pierre lui-même, dans les siennes, n'en dit rien. Saint Paul (Ephés. 11, 20) nous montre l'Église fondée, non sur un apôtre en particulier, mais « sur les apôtres et les prophètes. »Partout où il est question d'un chef suprême, ce chef est Jésus-Christ, et saint Pierre n'est nulle part indiqué comme lui ayant succédé.

Il s'est passé des siècles avant que l'Eglise arrivât à l'interprétation romaine de ce mot «Tu es Pierre;» ce n'est qu'après l'établissement du système qu'on s'est mis généralement à en voir là la base.

Chrysostôme, Ambroise, Augustin, Jérôme, tous les Pères, enfin, considèrent la déclaration du Sauveur comme s'appliquant, non à saint Pierre, mais à la confession qu'il vient de faire de la divinité du Christ. Le fondement de l'Eglise , selon eux, la pierre, c'est cette foi dont il vient d'être l'organe ; c'est tout homme qui , comme lui, confessera cette foi (01).


45. Même verset.-... et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle.

Voilà, selon l'Église romaine, la garantie de l'infaillibilité qu'elle s'attribue comme interprète et gardienne de l'enseignement divin.
Nous avons déjà dit un mot sur cette question , et nous y reviendrons souvent ; ne faisons ici qu'une observation sur la manière dont on prétend la poser à propos de ce passage.

Remarquez, en effet, comme on restreint arbitrairement le sens des mots. L'enfer, les portes de l'enfer, c'est le mal en général et l'empire du mal, de la corruption, du crime, tout aussi bien que celui de l'erreur. Or, de l'aveu de ses propres historiens , l'Église romaine a eu des temps d'une corruption effroyable ; on ferait toute une bibliothèque de ce qu'ils ont écrit sur ses désordres. Les portes de l'enfer prévalaient donc largement dans ses moeurs.

Mais si un côté de la prophétie s'est trouvé, de cette manière, ne la point concerner, comment prétendre que l'autre moitié la concerne, que cette autre moitié s'est accomplie, s'accomplit, s'accomplira jusqu'à la fin des siècles; que l'Église, en un mot, a dû rester pure d'erreurs quand elle était souillée en tout le reste? La prophétie est une.

Elle devait tout aussi bien empêcher un Alexandre VI de devenir pape, que l'empêcher, une fois pape, d'enseigner des erreurs. Bref, si les portes de l'enfer ont manifestement prévalu, et bien des fois, dans le gouvernement de l'Église romaine, impossible de se fonder sur cette même prophétie pour soutenir qu'elles ont dû ne jamais prévaloir dans ses doctrines.


46. Verset 19. Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux.

Si Jésus-Christ, dans le verset précédent, a eu la pensée de donner à saint Pierre quelque chose de plus qu'aux autres apôtres , comment se fait-il que, continuant la même phrase, il lui donne ici quelque chose qu'il donne ailleurs (XVIII, 18) aux autres comme à lui?

Étrange manière de parler que celle qui reviendrait à dire : «Je te fais chef de l'Église, et tu auras le même droit que tes subordonnés, celui de remettre les péchés!» - On a fait de grands efforts pour arranger cela; Jésus, a-t-on dit, confère ce droit à Pierre comme droit central et souverain ; il le confère ensuite aux autres comme émanant du centre qu'il vient d'établir. .» Où a-t-on vu cela? Pas dans saint Matthieu, qui n'en dit rien ; pas dans les trois autres Évangiles, puisqu'ils ne disent pas même que Jésus, en cette occasion, ait parlé comme donnant rien à saint Pierre.
Quant au droit en lui-même, voyez les notes 52 et 56.

Versets 21 et suiv.- Jésus prédit ses souffrances. Pierre s'écrie : «A Dieu ne plaise! Cela ne t'arrivera point! »

.
47. Verset 25. Mais Jésus, s'étant retourné, dit à Pierre: Arrière de moi, Satan !

Allez-vous croire que saint Pierre fût réellement Satan, ou que Jésus voulût dire qu'il l'était?- Preuve donc qu'il y a des mots qu'on ne doit pas prendre à la lettre, et dont l'explication doit être cherchée à côté.

C'est ce que nous vous avons dit de faire pour «Tu es Pierre.» Quand vous aurez bien vu que ce mot ne reparaît pas et n'est rappelé nulle part, vous comprendrez qu'il ne saurait avoir eu, ni dans la pensée de Jésus, ni aux yeux de ceux qui l'entendirent, l'immense portée qu'on lui prête.


48. Verset 26. Que servirait-il à un homme de gagner le monde entier, s'il perd son âme? Ou que donnerait un homme pour le rachat de son âme?

Il y a loin de là à un système qui permet de se racheter en payant des indulgences , des messes, en enrichissant des couvents, etc. Dira-t-on que l'Église romaine exige, à côté de, cela, des sentiments de pénitence? C'est, en effet, ce qu'on nous répond; mais est-ce bien ce qui a lieu? N'est-on pas invinciblement conduit à voir le rachat de l'âme dans le seul fait de payer pour cela?
Que devient, quand on a payé, la pensée de la rédemption par Jésus-Christ?

Est-il facile de rester assez chrétien pour ne pas avoir confiance en l'argent même qu'on a livré? Les prêtres s'inquiètent-ils même beaucoup, en général des sentiments intérieurs qui accompagneront la dépense faite?


CHAPITRE XVII

La transfiguration. Enseignement Sur Élie et Jean-Baptiste. Guérison d'un lunatique, Jésus prédit sa mort et sa résurrection. il paie le tribut.


CHAPITRE XVIII

L'humilité Les scandales. La brebis perdue. Conduite à tenir envers un frère par qu' on a été offensé. Le reprendre d'abord en particulier, puis devant un ou deux témoins


49. Verset 17. S'il ne les écoute pas , dis-le,à l'Église, et, s'il n'écoute pas non plus l'Église, qu'il te soit comme un païen et un publicain.

Ce n'est que par un jeu de mots qu'on a vu là le système romain de l'autorité de l'Église.
Remarquez d'abord qu'il n'est nullement question, ici, d'une autorité de doctrine. Il s'agit de juger entre deux hommes dont l'un a offensé l'autre.

Remarquez ensuite que cette Église, à laquelle il est dit que l'offensé portera sa plainte, n'est évidemment pas l'Église, l'Église dans son ensemble, mais la communauté, petite ou grande, la paroisse, enfin, dont il est membre.

Remarquez, en troisième lien, qu'il est question de la communauté entière, non des chefs seulement, puisque Jésus dit à l'offensé de reprendre son frère d'abord en particulier, puis devant une ou deux personnes, puis devant toute l'assemblée. Donc, sur ce point encore , rien de commun avec le système romain, où le clergé seul prononce, où l'autorité de l'Eglise ne réside qu'en lui.


50. Accessoirement, remarquez que la seule peine indiquée est l'exclusion: « Qu'il te soit comme un païen. »

Nulle mention d'un châtiment violent, d'une contrainte quelconque à exercer contre qui ne se soumettra pas. Ainsi, quand ce passage établirait l'autorité de l'Église romaine, il condamnerait encore l'usage qu'elle en a fait partout où elle a eu la force en main.


51. Verset 18. Je vous dis en vérité que tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel et que tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel.

Voici donc Jésus donnant à tous les apôtres ce qu'il avait paru précédemment ne donner qu'à saint Pierre.
A tous les apôtres, disons-nous ; mais nous ne disons pas assez. Ce verset est lié à ce qui précède; ce qui précède, c'est la question de l'arrêt à prononcer contre celui qui aura offensé son frère, arrêt que prononceront, nous l'avons vu, non pas les chefs seulement, mais l'Église, les fidèles, la communauté entière. De là une observation très grave : c'est que.le pouvoir de lier, de délier, de condamner, d'absoudre, est donné ici, non aux prêtres, mais à l'Église, à l'ensemble de ceux qui la composent, et c'est ce que prouve encore, au verset 20, le secours divin promis à toute assemblée chrétienne, ne se composât-elle que de deux ou trois personnes.

Il n'est donc pas question d'un privilège accordé aux apôtres , et nous voilà encore plus loin, par conséquent, de l'idée d'un privilège accordé à l'un d'eux.


52.Ce passage nous aide, en outre, à déterminer la nature du pouvoir en question.

L'Église visible étant l'image de l'Église invisible, celui qui sera exclu de la première se trouvera, par cela même, exclu de la seconde ; condamné sur la terre, il l'est aussi dans le ciel. Voilà la théorie , et , dans ces termes, tout le monde J'admets ; mais que suppose-t-elle ?

Évidemment, que la condamnation prononcée sur la terre est juste. L'Église romaine n'a-t-elle jamais excommunié injustement? N'a-t-elle jamais injustement refusé de délier ceux qu'elle avait ainsi liés?

Personne ne le prétend. Donc il y a des cas où ce qu'elle lie sur la terre n'est pas lié dans le ciel ; donc il est impossible de fonder sur ces paroles un droit qui supposerait la promesse s'accomplissant toujours.


53. Verset 19. Je vous dis encore que, si deux d'entre vous s'accordent sur la terre pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux.

Belle invitation à s'unir, pour prier, dans une fraternité sainte; mais faudra-t-il prendre la promesse à la lettre?
Croirez-vous que, dès qu'on est deux à demander une chose, Dieu l'accorde infailliblement? - Remettez donc aussi dans les limites de la réalité les promesses faites à l'Église.


54. Verset 20. Car en quelque lieu que deux ou trois personnes soient assemblées en mon nom, je m'y trouve au milieu d'elles.

Même remarque que sur le verset précédent. Sur le terrain de la piété, voilà une assurance précieuse, une consolation sainte; érigez la chose en système, et vous voila dans l'absurde.

Deux ou trois personnes quelconques, assemblées au nom de Jésus-Christ, se figureront Jésus-Christ inspirant toutes leurs résolutions , toutes leurs paroles; armées de ce passage , elles peuvent se croire tout aussi infaillibles que l'Église romaine prétend l'être en s'appuyant sur certains autres. - Vous ne devez donc prendre à la lettre ni ceux-ci, ni ceux-là.


55. Ramené à son vrai sens, ce passage combat encore une autre idée romaine, l'importance donnée à certains lieux de culte ou de prière, les privilèges qu'on y suppose attachés.

Jésus, nous dit-il lui-même, est partout où on s'assemble en son nom. Certains lieux pourront valoir mieux que d'autres, mais parce qu'ils faciliteront le recueillement et les émotions pieuses , nullement à cause de quelque vertu qui leur soit propre, ou qu'un pape leur ait donnée.


56. Versets 21 et 22. Alors Pierre, s'étant approché, lui dit: Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère lorsqu'il aura péché contre moi? Sera-ce jusqu'à sept fois ? Jésus lui répondit: je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à septante fois sept fois.

A. Voyez comme saint Pierre est loin d'appliquer aux péchés en général ce que Jésus a dit du droit de lier et de délier; ce n'est même pas , à ses yeux, une question de droit, mais uniquement de devoir.
Il s'en tient à l'idée dont Jésus est parti, celle d'une offense reçue, et des ménagements à garder envers l'offenseur avant de le faire condamner. « Lorsque mon frère aura péché contre moi,» dit-il ; reproduction des paroles de Jésus au verset 15 : « Si ton frère a péché contre toi. »

Ajoutez que Jésus entre si bien dans l'idée de saint Pierre , qu'il ne se borne pas à lui répondre, mais développe sa réponse dans une longue parabole, celle du créancier impitoyable. Ainsi, dans ce chapitre, non seulement rien n'établit le droit de lier et de délier, tel que l'entend l'Église romaine, mais rien même, au fond, n'y a rapport.

B. Ce qui prouve encore à quel point l'idée romaine est fausse, c'est la modification qu'elle a dû subir, en pratique, sous peine d'aboutir à l'absurde.
Remarquez, en effet, qu'en disant à ses apôtres : «Ce que vous lierez.... Ce que vous délierez .... etc. » Jésus-Christ ne mentionne aucune enquête préalable, aucune forme à observer.

Ces paroles, par conséquent , si elles prouvent quelque chose, prouvent trop ; si elles ont le sens qu'on prétend leur attribuer, elles l'ont beaucoup plus large qu'on ne le leur attribue: le prêtre pourra lier, délier, damner, absoudre, tout ce qui se trouvera sur son chemin ; point de confession avant, point de pénitence après, point de formes, point de règles,

Car, encore une fois, Jésus n'en a pas parlé, Jésus n'indique aucune restriction au pouvoir dont on veut qu'il ait investi le prêtre. Or, ce qui prouve trop, ne prouve rien. Si le prêtre a le droit de lier et de délier, si ce droit est fondé sur les paroles ci-dessus , ce droit va infiniment au delà de l'absolution sacramentelle : il est souverain, absolu ; le prêtre est Dieu. Si vous repoussez cette conséquence, vous repoussez nécessairement le principe ; si le droit de lier et de délier n'est pas absolu, il n'existe pas.
C'est ce que nous montrerons encore ailleurs (119 B).

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(01) voir, pour les citations, notre Histoire du concile de Trente, livre V.
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