CATHERINE BOOTH
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Par l’auteur de Serge Batourine
(Suite 7)
Sur ce point, Mme Booth a exercé une influence salutaire non seulement sur les femmes de l’Armée, mais sur nombre d’autres de ses sœurs en la foi, à qui elle a fait comprendre à quel point le luxe et la toilette sont en désaccord avec la profession chrétienne.
Nombre d’autres traits distinctifs de l’Armée du salut sont dus à Mme Booth. Elle a souvent été appelée à en défendre les méthodes. Elle avait trop de jugement pour ne pas se rendre compte qu’en plus d’un point elles donnaient lieu à la critique. Voici comme elle y répond:
«Si vos demeures étaient décimées par le choléra, tous les moyens vous seraient bons pour en arrêter les ravages, et si l’on vous reprochait l’inconvenance de vos mesures: les gens meurent! vous écrieriez-vous; il faut à tout prix les sauver. Ce serait là votre seul argument.»
Mme Booth ne pouvait soutenir les critiques de gens qui ne savaient rien sacrifier pour la cause de Dieu ou le bien de l’humanité. Dans ces cas-là elle avait recours au sarcasme.
«Encore de l’argent! toujours de l’argent! s’écrie-t-on. Comme ces gens parleraient différemment s’il s’agissait d’une guerre nationale! Que diraient les journaux? De quoi parleraient-ils dans leurs meetings? — Il faut faire des emprunts; il faut se procurer de l’argent à tout prix. On ne sera pas battu faute de millions! Ah! c’est que cette guerre-là leur tient à cœur. Les femmes vendront leurs ornements; les hommes livreront leurs revenus plutôt que de voir la liberté ou la grandeur de la nation sacrifiée.
Ces gens-là manifestent plus de courroux contre ceux qui les poussent au combat que contre l’ennemi lui-même.
C’est ce qui leur fait le plus haïr l’Armée du salut. Ils disent: vous êtes trop agressifs; laissez-nous tranquilles; nous sommes gens de paix. ILS VEULENT UNE RELIGION D’ARRIÈRE-BOUTIQUE, TRANQUILLE ET CONFORTABLE.
Combattre! ils ont horreur du mot. Faire face à la canaille! c’est hors de question. Être insulté, frappé, lapidé, tué peut-être pour l’amour de Christ, c’est folie.
Osez obéir à Dieu, et vous voilà un fou. Qu’on l’enferme!
Ces chrétiens-là sont la risée de l’enfer.
Qu’on les laisse tranquilles, dit le diable; ils sont mes meilleurs auxiliaires.
Les chrétiens de nos jours sont fort zélés pour bâtir des sépulcres aux prophètes, aux saints, aux guerriers du temps passé. Ils font de belles conférences sur Luther, George Fox et Wesley. Ils écouteront avec le plus grand intérêt des dissertations sur leur héroïsme, mais quant à les imiter, cela ne leur vient même pas à l’esprit.
Tout ce qu’ils demandent dans la plupart des cas, c’est qu’on amuse leur intelligence et qu’on chatouille leurs sentiments. Ils ne s’aperçoivent pas qu’ils sont aussi bien appelés que leurs héros à braver les hommes et les démons pour étendre le règne de Dieu sur terre».
Madame Booth était une personne d’une individualité très accentuée. L’intensité des convictions, jointe à une grande indépendance, était son trait le plus caractéristique. C’est un fait rare de nos temps, où le manque de conviction est à l’ordre du jour.
On doute, on examine les dogmes, on les discute, et la généralité des gens meurent sans être arrivés à une conviction positive.
Madame Booth, au contraire, y arriva dans sa première jeunesse, et jamais elle ne varia. C’est ce qui fit sa force et donna un cachet si marqué à son œuvre. Sa foi ne connaissait pas de défaillance, et aucune considération personnelle, aucune crainte des conséquences ne porta jamais atteinte au témoignage qu’elle rendait, au message qu’elle délivrait. Elle parlait avec l’autorité d’un prophète et s’en croyait la mission.
Quoi qu’il en soit, l’histoire nous apprend que ce sont les gens d’une idée qui ont le plus accompli dans leur génération. Pour convaincre, il faut être convaincu soi-même. Mme Booth l'était, et aujourd’hui des milliers d’âmes la bénissent comme leur mère spirituelle. Mme Booth passa sa vie à lutter et à souffrir pour l’humanité.
Une visite à Whitechapel jetait l’angoisse et le trouble dans son âme. La vue du péché et des souffrances humaines l’écrasait parfois à un tel point que sans l’influence bienfaisante de son mari, elle y aurait succombé il y a longtemps.
L’élasticité de caractère du Général, sa gaieté et ses saillies humoristiques ont été pour elle comme des jets rafraîchissants. Plus elle s’appesantissait sur les misères de la vie, plus il cherchait à tourner ses regards vers l’heure de la victoire et faisait éclater sa foi en joyeux alléluias.
Mais la lame usait le fourreau. Faible et souffrante déjà depuis longtemps d’une maladie de cœur, Mme Booth commençait à sentir en elle les atteintes d’un nouveau mal, celui qui lui avait enlevé sa mère.
Le 21 juin 1889, elle prononça son dernier discours dans le City Temple, église du Dr Joseph Parker, et peu après dit adieu pour toujours au service actif. Mais elle avait formé ses enfants au combat. Ils étaient prêts à saisir les armes qui glissaient de ses doigts fatigués.
— Ah! si vous aviez vu ma mère quand elle nous a envoyés à la guerre! s’écriait avec enthousiasme sa fille aînée.
«Rien ne m’a autant frappé, dit le Commissaire Railton, un des principaux chefs de l’Armée du salut, que la promptitude avec laquelle Mme Booth abandonna ses filles pour le service des perdus. Quand l’aînée partit pour Paris, ce qui réjouissait le plus sa mère, était de savoir que, soir après soir, elle se trouvait au milieu des êtres les plus vils et les plus dégradés.
Avec quelle joie elle vit la seconde quitter les conforts de l’Europe pour vivre au milieu des foules indigènes de Bombay, tandis que la troisième se consacrait aux classes les plus brutales de Londres.»
Brâmwell Booth, l’aîné de la famille, est Chef d’État-Major en Angleterre. Sa femme est à la tête des refuges et des œuvres de relèvement.
Les dernières années de sa vie, Mme Booth a eu la joie de voir une troupe de petits-enfants jouer à ses pieds. Elles les aimait tendrement et voulut toujours en avoir un ou deux auprès d’elle durant ses longs mois de souffrance. Mme Booth avait la plus haute idée de la mission d’une mère. «DES MÈRES, DES MÈRES, C’EST CE QU’IL NOUS FAUT», disait-elle à un ami peu de temps avant sa mort.
(À suivre.)
En avant 1904 08 20
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