Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ACTES DES APÔTRES

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CCLXXII. — Nouveaux détails sur le dernier entretien de Jésus avec ses disciples et sur son ascension; remplacement de Judas.


3624. (Actes 1: 1.) Le livre des Actes, adressé à Théophile (Luc 1: 3) n'est que la continuation de l'Évangile de Luc. C'est encore un récit des choses que Jésus a faites (Jean 21: 25), mais qu'il a faites par le ministère de ses serviteurs. Il renferme une période de trente années seulement; il ne parle que du plus petit nombre des apôtres, et il est loin d'épuiser tout ce qu'il y aurait eu à dire sur ceux mêmes dont il s'occupe le plus. On peut cependant l'envisager comme l'histoire de la conversion du monde, en ce sens qu'on y voit l'Évangile prendre insensiblement possession des pays et des hommes les plus divers, s'établir d'abord dans la cité sainte où David et ses successeurs avaient eu leur trône, et passer de là dans la ville des Césars, capitale du quatrième empire prophétisé par Daniel. La fondation du royaume des cieux annoncé par les prophètes et par notre Seigneur Jésus-Christ, tel est donc le sujet du livre intitulé: LES ACTES DES APÔTRES.

3625. (2-5). C'est de ce royaume, nous dit Luc, que le Seigneur avait occupé ses disciples, dans les diverses entrevues qu'il eut avec eux durant quarante jours, depuis son relèvement d'entre les morts, instructions qui n'étaient pas entièrement nouvelles, mais qu'il accompagna, cette fois, d'ordres nouveaux [3591]. En même temps, une action particulière du Saint-Esprit commençait à leur faire comprendre comment les souffrances du Seigneur avaient dû être le point de départ de sa gloire et de son règne. Mais cet Esprit d'intelligence, que Jésus leur infusait tout en leur révélant de vive voix sa pensée, n'était que les arrhes de l'onction plus abondante qu'ils avaient à en recevoir bientôt, selon la parole du fils de Zacharie (Luc 24: 49; Matth. 3: 11) [5573].

3626. (6-8.) Après ce court résumé, Luc reprend le récit de la dernière apparition de notre Seigneur, pour raconter plus en détail les merveilles de son ascension et nous transmettre, du moins en partie, l'entretien qu'il eut alors avec ses disciples. Ceux-ci, pressentant l'heure de la séparation, demandèrent au Seigneur si le temps était venu «où il rétablirait le royaume pour Israël.» On a cru retrouver dans cette question l’esprit charnel des disciples, comme s'ils avaient pu méconnaître encore la nature spirituelle du royaume des cieux. Mais il se peut aussi que, faisant très bien la distinction qui existe entre le royaume des cieux proprement dit et le rétablissement d'Israël, ils s'informassent, et quoi de plus naturel! s'ils verraient de leurs yeux la réalisation des prophéties relatives à ce rétablissement. Aussi le Seigneur ne leur reprocha-t-il point d'être dans l'erreur sur le fond même de la question. Oui, semble-t-il leur dire, «il y aura un rétablissement, un royaume pour Israël; vous faites bien d'y croire et de l'espérer; mais quant au temps et aux moments, le Père se les est réservés, et puisqu'il ne les a pas révélés clairement dans sa Parole, vous devez consentir à les ignorer.» Ce n'était pas là, d'ailleurs, ce qui devait le plus préoccuper les apôtres. L'établissement du royaume des cieux, ou du nouvel ordre de choses fondé sur la mort du Sauveur, marchait avant le rétablissement d'Israël. Attester en tous lieux la résurrection de Jésus-Christ, et, à cet effet, recevoir du Saint-Esprit une puissance divine, voilà ce qui, pour l'heure, était l'essentiel.

3627. Cette réponse de notre Seigneur doit être prise en sérieuse considération par les chrétiens qui, de nos jours, s'enquièrent avec une nouvelle sollicitude des temps fixés, non seulement pour la restauration d'Israël, mais encore pour l'accomplissement de toutes les prophéties qui s'y rattachent. Je suis loin de blâmer les recherches auxquelles des cœurs pieux se livrent sur ce sujet; mais ce qu'il me paraît nécessaire de rappeler, c'est, d'un côté, que, malgré les indications qui nous sont fournies là-dessus par les Écritures, la chronologie des prophéties non accomplies ne saurait s'établir avec une parfaite certitude; et, d'un autre côté, que ces recherches ne doivent jamais nous détourner de notre devoir prochain, qui est, dans le cas actuel, de porter ou de faire porter l'Évangile par toute la terre. Car, pour le redire [3598], si les apôtres ont dû commencer l'évangélisation du monde, la pousser même jusqu'à un point étonnant, puisque Thomas, par exemple, paraît avoir prêché la bonne nouvelle dans les Indes et Paul en Espagne, «les extrémités de la terre » alors connue, il n'en est pas moins vrai qu'ils n'ont fait que commencer. L'œuvre est donc à poursuivre, dans l'intérêt même de l'accomplissement des prophéties, et à poursuivre aussi longtemps qu'il y aura quelque portion du globe recouverte des ténèbres de l'idolâtrie, ou que le Seigneur ne nous aura pas dit de quelque manière: C'est assez.

3628. (9-11.) Il nous le dira, par le fait, lors de son retour sur la terre. Quand il fut monté au ciel, écrit l'historien sacré, et qu'une nuée l'eut dérobé aux yeux des disciples, ceux-ci furent longtemps sans pouvoir détourner leurs regards de la place où ils avaient vu Jésus disparaître. Pour les tirer de cette espèce d'extase, deux anges vinrent leur annoncer, comme une grande consolation, que Jésus descendrait un jour du ciel de la même manière qu'ils l'y avaient vu monter. C'est ce que le Seigneur leur avait dit et répété (Luc 17: 22; Jean 14: 3); mais ce n'était pas trop de le redire encore à des hommes toujours si oublieux, ainsi que nous, des traits mêmes les plus essentiels de la révélation divine. Ainsi donc, Jésus-Christ est au ciel, mais il en reviendra; il en reviendra dans son humanité, mais dans son humanité glorieuse; telle est la promesse qui va faire désormais le fond des espérances des disciples de Jésus-Christ, promesse donnée par le ministère des anges, mais procédant bien réellement du Seigneur.

3629. De la montagne des Oliviers, dont le pied était à mille pas environ des murailles de Jérusalem (la plus grande distance que les rabbins permissent de franchir, un jour de sabbat), les disciples retournèrent à la sainte cité, d'où ils étaient sortis pour avoir à Béthanie, ou près de là, leur dernier entretien avec le Seigneur. Tous originaires de la Galilée, ils ne possédaient pas de maisons à Jérusalem, mais ils y avaient des amis, et c'est probablement chez l'un d'eux ou dans un caravansérail, que logeaient les onze apôtres. Leurs noms nous sont donnés ici comme dans l'Évangile; mais, pour les quatre premiers, avec un léger intervertissement d'ordre dont il est aisé de se rendre compte. Si le nom d'André avait été précédemment accolé à celui de son frère, maintenant ce sont les noms de Jacques et de Jean, parce qu'il avait plu au Seigneur de les choisir, avec Pierre, pour être ses principaux témoins, en trois circonstances importantes [3016, 3094, 3473]. Ils persévéraient tous dans la prière et dans la supplication, seul moyen qui leur restât pour demeurer avec le Seigneur; et, à leurs saints exercices se joignirent, outre bon nombre de frères sans doute, les femmes que nous avons vues souvent auprès de Jésus et Marie, sa mère. Celle-ci était là comme simple disciple, et non comme médiatrice entre les hommes et le Seigneur. Il ne serait pas nécessaire de le dire, sans les erreurs de la superstition romaine; mais le rôle de cette femme, d'ailleurs bienheureuse (Luc 1: 48), fut si peu celui qu'un nouveau paganisme a voulu lui attribuer, que, dès ce moment, il n'est plus fait d'elle aucune mention quelconque. Il est probable que Dieu lui accorda bientôt la grâce de mourir, et que l'apôtre Jean lui ferma les yeux (Jean 19: 27); mais cela même ne nous est pas raconté. Quant à une prétendue assomption de la vierge, c'est une pure invention des prêtres romains.

3630. (13-26.) Dix jours se passèrent entre l'ascension de notre Seigneur et la Pentecôte. Ce fut dans cet intervalle que les apôtres conçurent le projet de combler le vide que le traître Judas avait laissé dans leurs rangs. Le Seigneur leur en avait-il donné l'ordre? ou bien faisaient-ils du nombre douze un nombre tellement sacramentel qu'il fallut le compléter avant de se mettre à l'œuvre? Ni l'un, ni l’autre, probablement. Qu'un des leurs, et même un des plus éminents, vienne bientôt à sceller de son sang la vérité de son témoignage et la sainteté de sa vie, ils ne songeront pas à le remplacer, heureux en quelque sorte d'avoir à se rappeler sans cesse, par son absence même, la gloire de son départ (12: 2). Mais la place alors inoccupée leur retraçait trop vivement le crime du malheureux Judas et sa fin déplorable; puis, il y avait là-dessus une prophétie. Si d'ailleurs nous voyons Pierre prendre l'initiative, nous ne l'attribuerons pas seulement à la vivacité et à la résolution de son caractère, nous ajouterons qu'il était probablement le plus âgé des apôtres, qu'il faut à toute assemblée un président, et que Pierre avait à la présidence une vocation spéciale du Seigneur (Luc 22: 32). Toutefois, ce ne fut jamais en pape que Pierre parla au milieu de ses frères; puis, la position personnelle qu'il occupa parmi eux ne devait ni ne pouvait se transmettre à personne.

3631. Cent vingt individus, y compris les apôtres, se trouvaient réunis, lorsque Pierre prit la parole pour rappeler la prophétie relative à la trahison de Judas (Jean 13: 18-20) et la fin lamentable de ce malheureux disciple. Puis, alléguant en faveur de l'avis qu'il allait ouvrir, deux passages extraits de deux psaumes messianiques (Ps. 69: 25; 109: 8), il proposa le remplacement de Judas et le mode de ce remplacement. À son invitation, l'assemblée présenta ou indiqua, nomma deux disciples, Joseph et Matthias; et quand ils eurent prié le Seigneur de désigner lui-même l'homme qu'il avait choisi, on jeta le sort sur eux, et Matthias fut ajouté aux onze envoyés ou apôtres.

3632. Il est à remarquer là-dessus comment, à défaut d'ordre formel du Seigneur, Pierre s'appuie sur les Écritures pour légitimer sa  proposition. Le Seigneur lui avait dit, ainsi qu'à ses collègues, et dans leurs personnes, à l'Église future, que tout ce qu'ils lieraient sur la terre serait lié dans les cieux; mais voyez comme ils comprennent bien qu'il fallait toutefois, pour cela, que leurs décisions fussent en harmonie avec la Parole de l'Éternel. Remarquez ensuite quelle foi Pierre avait à l'inspiration des Écritures: «Le Saint-Esprit a dit d'avance par la bouche de David», C'est du reste ce que le roi-prophète avait exprimé lui-même (2 Sam. 23: 2), et ce qui est vrai de tous les prophètes, en sorte que nous avons dans leurs écrits la parole vraie du Saint-Esprit. Il ne faut pas, d'après cela, nous étonner si le langage des prophètes ne s'explique pas toujours exactement par les mêmes règles que le langage humain; si, par exemple, là où David ne semble parler que de lui et de ses ennemis, comme dans les deux passages cités par Pierre, il entend réellement parler de Jésus-Christ et des auteurs de sa mort, notamment de Judas. Admirez, en outre, de quel ton plein de calme et de modération Pierre entretient ses frères du disciple apostat: point d'épithètes injurieuses, point d'exclamations passionnées. Cela n'empêche pas que sa parole ne soit d'une grande force; car il parle du champ acheté au moyen des trente pièces d'argent, comme si Judas en avait fait lui-même l'acquisition. Oui, c'était son argent, un argent horriblement gagné qui avait été échangé contre le Champ du Sang. Quant à la description que fait ici de la catastrophe un homme qui n'en avait sûrement pas été témoin oculaire, mais qui devait être bien informé, quoique différente du récit de l'Évangile [3514], elle doit pouvoir se concilier avec celui-ci. On pense que Judas s'étant étranglé sur le bord d'un précipice, y tomba la face en terre et s'y creva par le milieu du corps: horrible fin, après un crime plus horrible encore!

3633. La manière dont on s'y prit pour remplacer Judas me paraît pleine de sagesse et de foi, l'une de ces dispositions n'excluant jamais l'autre. D'une part, il fallait un homme qui pût, comme les onze autres, se dire le témoin des grandes œuvres du Christ; il fallait, d'autre part, qu'il pût se présenter comme envoyé par le Seigneur lui-même. On obtint ce double résultat par le choix qu'on fit de deux disciples vraiment qualifiés, et par la prière qu'on offrit au Seigneur Jésus afin qu'il désignât, au moyen du sort, celui des deux qu'il avait choisi. Cela ne signifie pas que le sort soit toujours, ni même généralement, la manière la plus sûre de connaître la volonté de Dieu; il ne faut faire intervenir cet expédient qu'à défaut de toute lumière. Mais dans cette occasion et après la prière si simple et si fervente de l'assemblée, il est impossible de ne pas tenir pour certain que sa marche fut approuvée de Dieu. Observons, au surplus, qu'il ne nous est plus reparlé de ce Matthias, le douzième apôtre; en sorte que, si l'auteur sacré l'a introduit dans son histoire, ce n'est pas à cause du rôle qu'il joua plus tard et qu'on ignore, c'est tout simplement par l'intérêt que présente le seul fait de son élection. Je ne veux pas dire que Matthias ait été un serviteur inutile dans la vigne du Maître; mais je fais seulement remarquer en passant, que le livre des Actes ne prétend pas nous raconter la part que chaque apôtre prit à l'avancement du règne de Dieu.


CCLXXIII. — La Pentecôte. Effusion du Saint-Esprit; discours de Pierre.


3634. (2: 1.) La Pentecôte, ou Fête des semaines [910], se célébrait cinquante jours après Pâques; elle ne tombait donc pas constamment sur le même jour, et, cette année-là, elle dut avoir lieu le vendredi. C'était à la fois une fête d'actions de grâces pour les moissons, et l'anniversaire de la publication des dix commandements sur le mont de Sinaï. Comme pour la Pâque, un grand concours de peuple se pressait alors à Jérusalem. On conçoit, en conséquence, que le Seigneur ait voulu dater de ce jour la première prédication de l'Évangile par ses apôtres, et ce qu'on pourrait appeler l'avènement de l'Église ou la première moisson. Quant à l'année précise qui vit ce fait merveilleux, il n'est pas facile de la déterminer. C'était l'année de la mort de notre Seigneur; et, s'il entra dans son ministère à l'âge de trente ans, c'est-à-dire l'an 31 dès sa naissance, ou 27 de l'ère chrétienne [2590]; si, d'un autre côté, l'on donne trois ans et demi, au moins, à son ministère, comme la chronologie des Évangiles l'exige, il serait mort dans la 34e année de son âge, ou la 30e de l'ère chrétienne. Mais Luc, le seul des évangélistes qui donne quelque indication sur ce point, peu important au fond, se borne à dire que Jésus avait environ trente ans quand il fut baptisé. Or, diverses raisons, dans le détail desquelles je ne saurais entrer, font penser que notre Seigneur devait avoir alors trente-trois ans au moins; d'où il résulterait que sa mort, et par conséquent la fondation de l'Église, sortie en quelque sorte de sa croix, eurent lieu l’an 33 de l'ère chrétienne. C'est l'opinion, je crois, la plus généralement admise, et la date que j'adopte pour point de départ des dates subséquentes.

3635. (1-4.) Le jour de la Pentecôte étant donc arrivé, l'assemblée que nous avons vue tout à l'heure occupée à remplacer Judas, s'était de nouveau réunie dans un même lieu et encore plus dans un même sentiment d'attente en la promesse du Seigneur (1: 4, 5). Tout à coup, il se fit, et avec grand éclat, une abondante effusion d'Esprit-Saint. Il y eut dans toute la maison, non pas un coup de vent, mais un bruit semblable à celui que ferait un vent véhément, signe de la présence et symbole de l'action du Saint-Esprit (Jean 3: 8). Rendus attentifs par ce phénomène, ceux qui étaient assemblés virent se poser sur chacun d'eux de petites flammes, baptême de feu dont j'ai donné l'explication [2681]. Ces flammes d'ailleurs, par leur forme, ne ressemblaient pas mal à des langues et elles figuraient ainsi le miracle qui s'opérait à cet instant même dans la personne des disciples, miracle qui ne dépasse pas la puissance créatrice de Celui qui a doué l'homme de la parole et qui confondit les langues à la tour de Babel; miracle dont la nécessité ne saurait être contestée, puisque les apôtres étaient appelés à prêcher l'Évangile parmi toutes sortes de peuples; miracle enfin qui avait aussi pour but de convaincre les disciples eux-mêmes qu'ils n'étaient pas victimes d'une illusion, tout en attestant à la multitude la divine autorité de leur mandat. Voici donc en quoi consista le prodige; c'est que des idiomes qu'ils n'avaient jamais appris leur devinrent aussi familiers que leur langue maternelle, et toutefois (ce qui ne rend pas le prodige moins frappant), ils ne les parlaient que lorsque l'Esprit le voulait et seulement pour exprimer les choses que cet Esprit leur dictait; en sorte qu'on ne peut pas dire qu'ils sussent et possédassent ces idiomes, comme quelqu'un qui se les serait appropriés par l'étude.

3636. (5-11.) À chaque fête, la ville de Jérusalem voyait sa population plus que doublée par le grand nombre d'Israélites qui y accouraient de toutes parts. Les plus éloignés s'y rendaient au moins une fois en leur vie; les plus rapprochés presque à chaque fête. Il arrivait aussi fréquemment que des Israélites pieux abandonnaient leurs établissements lointains, pour rentrer dans le pays de leurs pères et s'y fixer; d'où il résulte que, parmi les habitants de Jérusalem, on trouvait, en tout temps et surtout à l'époque des solennités, un grand nombre de Juifs qui, nés dans la dispersion, parlaient la langue de leur pays d'origine et en portaient le nom. C'est ainsi que, de nos jours, il va des Juifs allemands, français, portugais, hollandais, etc. Or, les disciples de Jésus ayant quitté leur chambre haute, poussés par le Saint-Esprit, sevirent bientôt entourés, soit au temple, soit dans les places publiques, d'une foule de gens que le bruit de ce qui venait d'arriver ne tarda pas à attirer. Dans cette foule, on comptait en grand nombre ces Juifs étrangers, généralement plus pieux que les habitants mêmes de Jérusalem. Pour comprendre la scène dont cette ville fut alors le théâtre et le tableau qu'en fait saint Luc, il faut se représenter une multitude de groupes se formant sur divers lieux; les apôtres, et probablement d'autres disciples, allant de l'un à l'autre et parlant à tous de la gloire du Seigneur dans la langue familière à chacun; puis, voilà leurs auditeurs qui se mêlent ou du moins se rencontrent, qui se font part les uns aux autres de la grande nouvelle, qui se racontent leur émotion et leur étonnement: ce sont les mille propos de ces gens, que l'historien sacré résume en un seul discours, où, selon sa coutume, se trouve, «par ordre» (Luc 1: 3), l'énumération des divers peuples et des divers pays qui avaient là des représentants.

3637. (12, 13.) Ce qui dut remplir d'admiration les auditeurs des apôtres, ce ne fut pas seulement le don que ces Galiléens avaient reçu de parler à chacun sa langue, mais encore «les grandes choses de Dieu» qui faisaient le sujet de leurs discours. En sorte qu'ils se demandaient l'un à l'autre: Que veut dire ceci? Se pourrait-il en effet que leur Maître, Jésus de Nazareth, eût été le Messie promis à nos pères? Ainsi devaient parler les hommes sérieux. Mais il y avait dans cette foule un plus grand nombre de gens qui n'étaient pas mieux disposés pour la vérité, que cinquante jours auparavant. L'énorme crime dont ils s'étaient rendus coupables en crucifiant le Seigneur, était un nouveau poids sur leur conscience endurcie et un redoublement du voile qui couvrait leurs yeux. Plutôt que de s'accuser eux-mêmes, il fallait inventer quelque prétexte pour s'obstiner dans l'incrédulité. Profitant donc de ce qu'avait d'étrange cette scène, où diverses langues se mêlaient et s'entre-croisaient, non sans une sorte de confusion, ils imaginèrent (ressource fréquente des cœurs endurcis), de tourner en ridicule les prophètes de l'Éternel; car ils ne pouvaient sûrement croire eux-mêmes ce qu'ils leur imputaient. Telle était la situation, lorsque Pierre prit la parole, et, dans une langue propre à être comprise du plus grand nombre des Juifs étrangers, en grec probablement, il prononça un discours non moins remarquable que le miracle qui l'avait précédé.

3638. En voici d'abord une courte analyse. Après avoir repoussé l'absurde accusation des adversaires (14, 15), Pierre montre, par une citation du prophète Joël (2: 28-32), que le merveilleux événement, objet de leurs dérisions, avait été annoncé comme un signe des temps du Messie (16-21). Or ce Messie, continue l'apôtre, c'est Jésus de Nazareth, déclaré tel par ses miracles, par la mort même qu'il a soufferte selon la prescience de Dieu et selon les prophéties, mais principalement par sa résurrection (22-31). C'est sur ce point en particulier que le prédicateur insiste, rappelant à ce sujet un oracle important du roi David (Ps. 16: 8-11), et montrant qu'en cet endroit, David n'avait pu parler que du Christ et non de lui. Pour compléter ses preuves et revenir à l'idée qui avait été son point de départ, Pierre déclare que Jésus a été enlevé au ciel, qu'il a envoyé de là le Saint-Esprit pour reproduire les merveilles dont on avait le spectacle, et que cette gloire du Christ avait été pareillement prédite par le prophète David (32-35; Ps. 110: 1). Conclusion de tout le discours: «Que toute la maison d'Israël sache donc avec certitude, que Dieu l'a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous avez crucifié» (36).

3639. (14-36.) Quelle prédication que ce premier sermon prêché par le premier des apôtres, à la première fête des Juifs depuis la mort du Sauveur! S'il ne brille pas par l'éloquence des rhéteurs, rien assurément ne l'égale en simplicité, en force et en actualité. Voyez comme Pierre va droit au fait; voyez avec quelle noblesse et avec quelle réserve, en ce qui le concernait personnellement, il dit au sujet de ses collègues, l'impossibilité de les supposer ivres à une heure de la matinée où, selon l'usage des Juifs, tous se trouvaient encore à jeun de toute nourriture; voyez avec quel courage, avec quelle décision et de quel ton ferme et modéré tout à la fois, il accuse à son tour les habitants de Jérusalem d'avoir «tué» le Seigneur, de l'avoir cloué par des mains iniques, de l'avoir crucifié. On ne saurait unir à plus de courage plus de calme; et, quand nous nous souvenons de ce qu'était Pierre: bouillant, impétueux jusqu'à la témérité; quand nous nous rappelons également cette nuit douloureuse où il se montra si léger, si timide, ou du moins si prompt à oublier ses meilleures résolutions, contraste fréquent chez des hommes de ce caractère, nous ne pouvons méconnaître l'étonnant changement qui, par la puissance du Saint-Esprit, s'était opéré dans toute sa personne.

3640. On arrive au même résultat quand on observe la sagesse et l'ordre des idées qu'il développe. Jésus est le Christ: c'est ce que prouvent ses miracles, les prophéties accomplies en sa mort, sa résurrection, son ascension, l'envoi du Saint-Esprit, l'action sensible et actuelle de cet Esprit sur les disciples. Puis, comme Pierre s'adressait à des Israélites, il fallait les convaincre que leurs prophètes avaient annoncé toutes ces choses, et c'est ce qu'il fait en citant trois oracles très frappants et très décisifs. Mais d'où est venu au pêcheur de Bethsaïda cet art à disposer les matériaux de son discours? Où a-t-il pris cette profonde intelligence des Écritures, lui qui, l'autre jour encore, les comprenait si mal? (Jean 20: 9.) Comme on voit ici l'accomplissement de ces promesses du Seigneur: «Je ne vous laisserai point orphelins, je viens à vous;» «voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde,» et «le Saint-Esprit vous enseignera ce qu'il faut dire» (J. 14: 18; M. 28: 20; L. 12: 12).

3641. Or, puisque c'est par l'inspiration divine que l'apôtre Pierre a parlé, de quel respect et de quelle confiance ne devons-nous pas honorer sa parole, notamment l'interprétation qu'il nous donne des textes de l'Ancien Testament? Après l'avoir entendu, tenons pour assuré que, dans Joël et ailleurs, «les derniers jours» signifient les temps du Messie, temps qui commencèrent à la naissance de JésusChrist et qui alors déjà s'annoncèrent par une effusion toute nouvelle d'Esprit-Saint [2626, 2629, 2648, 2653]; temps que marqua mieux encore l'effusion plus abondante de ce même Esprit, le jour de la Pentecôte; temps vers la fin desquels nous marchons de siècle en siècle, et qui, en la grande journée du Seigneur, doivent nous montrer des prodiges plus éclatants que tous les autres. Mais, quelle que soit la portion de cette période dans laquelle on vive, «quiconque invoquera le nom du Seigneur (Jéhovah) sera sauvé» (21). Or, qu'il s'agisse ici du Seigneur Jésus-Christ, c'est bien évident, puisque l'invocation du nom de Jéhovah n'empêcha pas la ruine des Juifs qui n'avaient pas cru au Fils unique de Dieu.

3642. Nous apprenons également de Pierre, et avec une parfaite certitude (28), que David, un des plus grands prophètes du Messie, patriarche en ce sens que de lui sortit la race royale et, de cette race, le Christ, exprima souvent dans ses cantiques la confiance et la joie, les souffrances et la gloire du Rédempteur, là même où il semblait d'abord ne parler que des siennes; bien plus, qu'il l'appelait son Seigneur, encore que Dieu lui eût prédit que le Roi-Messie descendrait de lui (Ps. 110). Si je rappelle ces choses après les avoir exposées précédemment avec quelque détail, c'est pour montrer les services que m'a rendus le Nouveau Testament dans l'explication de l'Ancien, et pour donner à mes lecteurs un avis d'une grande importance. Ils doivent repousser résolument tout commentaire des Écritures qui est en désaccord avec la parole des apôtres du Seigneur; car nul docteur assurément ne saurait comprendre la Bible, mieux que ne le firent ces hommes inspirés de Dieu.


CCLXXIV. — Effets du discours de Pierre.


3643. (37-40.) Le discours de Pierre eut des résultats qui ne doivent pas nous étonner, bien que la prédication de l'Évangile n'en ait que rarement produit d'aussi considérables. Ses auditeurs se sentirent le cœur pénétré; pénétré de douleur, de crainte, d'espérance; pénétré de respect et de confiance pour ces hommes simples et francs, qui parlaient avec tant d'élévation par la bouche de l'un d'eux; et, comme il arrive toujours quand le cœur est vraiment touché, ils leur demandèrent ce qu'ils avaient donc à faire maintenant [2677]. Une seule chose, leur répond Pierre: «vous convertir et recevoir le baptême au nom de Jésus-Christ. De là dépend le pardon de vos péchés et le don du Saint-Esprit; car c'est à vous qu'appartient la promesse, à vous et à vos enfants, et à tous ceux qui sont loin, autant que le Seigneur en appellera.» Mais, ne se bornant pas à cette courte réponse, il insistait et exhortait de diverses manières, ses discours et ceux de ses collègues revenant toujours à ceci: «Sauvez-vous loin de cette génération perverse!»

3644. Fidèles à leur mandat (Luc 24: 49), les apôtres prêchent donc la conversion à ce peuple de Jérusalem qui avait crucifié Jésus, et ils se montrent prêts à recevoir dans leur société, par le baptême, tous ceux qui, d'un cœur touché, en manifesteraient le désir. Comme ils comprenaient bien, maintenant, la pensée de leur Maître. Ce n'est pas tout. Les hommes auxquels ils parlaient n'étaient pas des idolâtres, plusieurs même avaient une certaine piété (5); n'importe, tous doivent se convertir. Et, bien qu'ils aient tous été circoncis, la plupart peut-être baptisés du baptême des pharisiens ou de celui de Jean, il faut qu'ils reçoivent le propre baptême de Jésus-Christ; parce que c'est en Jésus seul, le Fils de Dieu, que des pécheurs peuvent posséder le Père et recevoir l'Esprit-Saint. Convertissez-vous! C'est-à-dire reconnaissez vos péchés, tournez vos cœurs vers Dieu, croyez en Jésus; alors le baptême sera pour vous un signe et un gage de pardon et de renouvellement. Tel est, en substance, le salut qui se trouve auprès du Seigneur. Deux grâces le composent essentiellement, deux grâces inséparables et qui, l'une et l'autre, découlent de la croix du Rédempteur, savoir le pardon des péchés et le don du Saint-Esprit. Les plus habiles théologiens n'ont jamais exposé plus nettement la doctrine qui nous sauve. De qui donc Pierre et ses collègues l’avaientils subitement apprise, si ce n'est de Dieu lui-même?

3645. Ces deux grâces se rattachent à une seule et même promesse, promesse aussi ancienne que le péché dans le monde, promesse renouvelée à Abraham, promesse mille fois reproduite dès lors, et, plus récemment encore proclamée et sanctionnée par le Fils de Dieu. Les enfants d'Israël y avaient les premiers droits, parce qu'il avait été dans le bon plaisir du Père de l'adresser avant tout à Abraham et à sa postérité; mais à côté de sa postérité selon la chair, Abraham en possède une selon l'esprit [314], et la promesse appartient également à cette postérité spirituelle. Tout dépend de l'appel de Dieu, dit l'apôtre. Or, il vous appelle maintenant, vous qui lisez ces lignes, comme il appela jadis vos pères, comme il appellera vos successeurs et tous ceux auxquels il fera porter sa Parole; car c'est dans la Parole de Dieu que sont les appels de sa grâce, et cette Parole fut de tout temps destinée à faire entendre au loin la voix du Saint-Esprit.

3646. Ceux qui sont loin! Cette expression est susceptible de plus d'un sens. On peut être loin de Dieu par son incrédulité et par ses mauvaises œuvres. Sous ce rapport, ceux mêmes d'entre nous qui croient de tout leur cœur étaient autrefois bien loin de Dieu, quoique nés de parents chrétiens et baptisés dans leur enfance. Au moment où l'apôtre parlait, personne n'était plus éloigné du salut que les pharisiens et les sadducéens de Jérusalem, eux qui avaient résisté jusqu'à la fin aux appels réitérés de Jésus-Christ. Mais il est une autre sorte d'éloignement de Dieu. Le nègre qui traîne une malheureuse existence dans les sables brûlants de l'Afrique, adorant ses indignes fétiches, n'a pas la grâce de Dieu aussi près de lui que l'habitant de nos contrées maintenant si privilégiées. Je dis maintenant; car du temps des apôtres, nos pères, peuples barbares et plongés dans les plus effroyables superstitions, habitaient des contrées fort éloignées de Jérusalem, et ils étaient encore plus loin de Dieu. J'ajouterai pour nous, chrétiens du dix-neuvième siècle, que nous étions loin encore, bien loin dans l'avenir, lorsque Pierre prononça cette parole prophétique: «à vous est la promesse, et à vos enfants, et à tous ceux qui sont loin, autant que le Seigneur notre Dieu en appellera.» Il n'est pas sur, nous le verrons, qu'il ait eu l'entière intelligence des mots qui sortirent de sa bouche. Par ceux qui étaient loin, il entendait probablement les Juifs dispersés; mais cette circonstance même atteste que c'est le Saint-Esprit, et non son propre esprit qui parlait.

3647. Quant à ce cri que les apôtres allaient répétant, avec l'accent d'une profonde charité: «Sauvez-vous loin de cette race tortue, n ou à voies obliques (40), il revient à dire: Convertissez-vous, puisque sans la conversion, tout homme est perdu (Luc 13: 5.) Oh! puisse-t-il aussi retentir dans vos âmes, mes chers lecteurs, ce cri de réveil et de salut! La génération présente n'est pas meilleure que les générations des temps passés. Bien que le mal ne s'y manifeste pas en toutes choses de la même manière, nous avons nos pharisiens et nos sadducéens. D'ailleurs, l'amour de l'argent et de la domination, l'oubli de Dieu et de l'éternité, la soif du plaisir et les mauvaises mœurs, le manque de sincérité et de droiture, surtout dans les actes de la religion; tous ces vices ne caractérisent que trop la génération actuelle. Or, il est clair qu'on ne se sauve pas avec cela, et que, si vous voulez sauver votre âme, il faut vous séparer du présent siècle mauvais, pour vous donner à Dieu.

3648. (41.) Trois mille personnes se rendirent à l'appel des prédicateurs de la bonne nouvelle et furent baptisées en ce même jour. Pour le petit troupeau, c'était un accroissement considérable: c'était peu, relativement à la multitude qui avait ouï la voix de Dieu (Matth. 20: 16). Ainsi s'accomplit ce que le Seigneur avait dit dans la parabole du semeur, et en même temps ce qu'il avait dit à Pierre sur la part qu'il prendrait à la fondation du règne de Dieu (Matth. 16: 18). En cet instant, l'assemblée, ou, comme on dit plus ordinairement, l'Église fit plus que de sortir des langes: la voilà formée; et, dans son état d'adolescence, elle nous offre un sujet d'étude plein d'intérêt et d'instruction. D'abord, nous voyons ici de quelle manière la vraie Église se constitue et se recrute. C'est par la prédication de la Parole et sous l'onction du Saint-Esprit. De ces trois mille individus, plusieurs sans doute, au moment où les apôtres commencèrent à prêcher l'Évangile, n'étaient pas loin du royaume des cieux (Marc 12: 34). Ils avaient pu voir et entendre notre Seigneur quelques semaines auparavant, et qui sait s'il n'en était pas parmi eux qui l'avaient suivi déjà quelque temps, mêlés avec les disciples? Dans cette supposition même, c'était la parole de Jésus qui les avait attirés et préparés, et ce qui les décide maintenant, c'est encore cette parole, rendue efficace par l'effusion du Saint-Esprit en leur âme. L'Église donc, j'entends la vraie, se forme et se recrute par la grâce et la puissance du Seigneur; toute autre manière, telle que le simple fait de la naissance, l'empire de la coutume et des mœurs, l'action des lois et l'influence des dépositaires de l'autorité, ne servent qu'à la dénaturer. Il faut que ceux qui se joignent à l'Église le fassent volontairement, de plein gré, avec plaisir, selon la prophétie dont Pierre avait cité les premiers mots (Psaume 110: 3); or ce sont précisément les dispositions que produit le Saint-Esprit. Et, s'il se trouve dans l'Église des âmes qui feignent ces sentiments ou qui se fassent illusion sur leurs vrais motifs, il faut au moins que le crime en soit tout à elles, la responsabilité toute sur elles, ce qui ne saurait avoir lieu lorsqu'on y est introduit par une impulsion étrangère et par une sorte de contrainte.

3649. (42.) Librement devenus membres de l'Église, les frères de Jérusalem persévéraient dans la doctrine des envoyés de Jésus-Christ. La doctrine est ce qui fait l'essence et la vie de l'Église. Celle-ci est une société religieuse ou spirituelle qui n'est rien que par les dogmes qu'elle professe; et, pour avoir droit à s'appeler l'Église du Seigneur, il faut qu'elle retienne les dogmes prêchés par les apôtres, dogmes qui ont tous Jésus-Christ pour objet, et dont nous possédons une exposition sommaire dans le discours prononcé le jour de la Pentecôte (Jean 8: 31). — De plus, les frères de Jérusalem persévéraient dans la communion, mot qui ne signifie pas, selon le langage ordinaire, la participation à la sainte Cène, mais qui doit s'entendre de l'union intime des membres de l'Église. La société chrétienne est une famille dont Dieu est le Père et Jésus-Christ le frère aîné, en même temps qu'il en est le chef, le docteur, le sauveur; famille au sein de laquelle le Saint-Esprit répand les plus tendres et les plus pures affections (Jean 13: 35). — Ils persévéraient dans la fraction du pain; c'est-à-dire qu'ils aimaient à se retracer, par cet acte, le souvenir du dernier souper de leur Seigneur et le sacrifice qu'il avait accompli le lendemain. C'est ce souvenir qui retrempait leur foi, leur espérance et leur charité. La vue du pain rompu plaçait devant eux le Sauveur expirant sur la croix et leur était un gage de son prochain retour en sa chair glorifiée (Luc 22: 19, 20). — Enfin, les frères de Jérusalem persévéraient dans la prière; car ils avaient reçu l'Esprit qui fait prier, l'Esprit qui leur remettait en mémoire les nombreuses exhortations de Jésus-Christ sur ce sujet. Éloignés pour un temps du Seigneur, il leur était doux d'entretenir ainsi des relations avec lui, soit qu'ils invoquassent le Père en son nom, soit qu'ils l'invoquassent lui-même. Tel est le tableau que présentait alors l'Église; modèle à suivre dans tous les temps. Qu'est-ce donc qu'une Église? C'est une réunion d'hommes qui, professant la doctrine.des apôtres et s'aimant les uns les autres, s'assemblent pour rompre le pain en mémoire du Sauveur et pour offrir à Dieu des prières communes; je ne pense pas qu'on en puisse donner une définition plus exacte.

3650. (43.) Tandis que les choses se passaient de la sorte parmi les frères, une certaine crainte agitait la multitude, et ses chefs non moins qu'elle, comme il arrive généralement dans les réveils religieux. Faudra-t-il donc se convertir? Mais comment se décider à mener la même vie que ces gens-là, et comment nier pourtant qu'ils n'y aient trouvé la paix? Si nous les écoutons, tout est perdu pour nous du côté du monde; mais en méprisant leurs paroles, à quels dangers peut-être ne nous exposons-nous pas de la part de Dieu? Cette dernière pensée surtout préoccupait les esprits, à raison des nombreux miracles qui se faisaient par les mains des envoyés du Seigneur; en sorte que, même des incrédules se prenaient à redouter leur puissance, bien qu'ils pussent voir que leurs miracles, semblables à ceux de leur Maître, n'avaient rien de malfaisant. Toujours est-il que la présence du Dieu fort au milieu d'eux était manifeste, et il n'en fallait pas davantage pour inspirer de la crainte à des pécheurs [2823].

3651. (44, 45.) Voyez au contraire les fruits que la foi portait au milieu des frères. Pressés par le besoin de se rapprocher les uns des autres, soit au temple, soit ailleurs, on les voyait habituellement réunis en dehors de la masse du peuple, moins encore pour ne pas se mêler avec la foule incrédule, que pour resserrer les liens de fraternité qui faisaient d'eux un seul corps. Puis ils ne souffraient pas qu'il y eût dans leur sein quelque nécessiteux. En place de la dîme que la loi de Moïse assignait aux veuves et aux orphelins, ils envisageaient tout ce qu'ils possédaient comme appartenant à tous; et, s'il le fallait, on les voyait vendre quelqu'une de leurs possessions pour en faire part à ceux qui étaient dans le besoin. C'est par là qu'ils montraient à la fois leur détachement des biens du monde, leur affection pour les frères de Jésus-Christ, et l'intelligence qui leur avait été donnée de ses enseignements sur le sujet important de l'aumône. Il ne s'agit pas de savoir si, peut-être, dans la pratique, quelques-uns ne poussèrent pas les choses au-delà de ce qu'il fallait; l'esprit qui les faisait agir était bien certainement celui de l'Évangile, et cela doit nous suffire pour les admirer et pour que nous nous disions: «Va et fais du même» (Luc 10: 37).

3652. En vous proposant cet exemple, et à cause des circonstances présentes, je dois pourtant vous faire observer combien la communauté chrétienne diffère du communisme socialiste qu'un monde impie ose prôner au nom de l'Évangile. Il est évident, en effet, que les frères de Jérusalem furent loin d'abolir la propriété privée pour réunir toutes les fortunes dans un fonds commun: il s'agissait uniquement de venir au secours des pauvres. Mais la principale différence, c'est que tout ce déploiement d'amour et de compassion était, comme l'entrée même dans l'Église, parfaitement volontaire; tandis que les communistes de notre temps voudraient atteindre leur résultat par la force des lois. Hélas! après tant de siècles durant lesquels les institutions civiles ont contraint les incrédules à professer le christianisme, il n'est pas étonnant qu'on veuille aujourd'hui contraindre les égoïstes à agir en chrétiens. Mais comme la contrainte sous sa première forme était un meurtre, le meurtre de la conscience; la contrainte, sous cette nouvelle forme, est une spoliation, un vol manifeste, un renversement de l'ordre social tout fondé sur la propriété. Il n'y avait rien de pareil dans la communauté des frères; car nous verrons bientôt qu'après avoir vendu leurs biens, ils demeuraient maîtres du produit de la vente; sans compter que cet exercice particulier de la charité fut tellement spécial à l'Église de Jérusalem, que nous n'en retrouverons ailleurs nulle trace. Ceci donc n'est pas un des traits qui entrent nécessairement, comme ceux de tout à l'heure, dans la définition de l'Église.

3653. (46, 47.) Ce que l'Église de Jérusalem eut également de particulier, ce fut l'habitude qu'elle conserva de se joindre à tout le peuple dans le culte qui se célébrait au temple. Si les rachetés de Jésus-Christ n'offraient plus pour eux-mêmes de sacrifices, il ne leur répugnait point d'assister à l'immolation de victimes qui, depuis des siècles, figuraient la grande expiation maintenant accomplie par le Seigneur; et lorsque, à l'heure de la prière, on faisait fumer le parfum, ils aimaient à porter leurs supplications devant le trône de la grâce. Le temple, et le culte qu'on y célébrait, avaient un tel caractère de sainteté divine, le Seigneur Jésus lui-même les avait tellement honorés de sa présence, que ses disciples, fils d'Abraham et des prophètes, ne songèrent point à s'en éloigner tant que Dieu ne le leur interdirait pas; et la ruine du peuple juif arriva auparavant. Alors, tout fut dit. Jusque-là, l'Église de Jérusalem montra pour l'ancien culte le même respect qu'un Siméon, un Joseph, une Élisabeth, un Zacharie, sans pourtant y participer exactement de la même manière. Mais, à ce culte mitigé, ils ajoutèrent leurs assemblées particulières, rompant le pain, de maison en maison; et, par la circonstance que Luc ajoute, il est assez évident qu'ils le faisaient à chacun de leurs repas. Proprement, il n'y avait qu'un repas, vers le soir. Or, ils s'invitaient les uns chez les autres, selon l'antique coutume des Juifs quand ils offraient des sacrifices de prospérité, et, prenant leur nourriture avec une grande joie, ils commençaient ou terminaient par des actions de grâces et par la fraction du pain, en mémoire de Jésus. C’est ainsi qu'ils vivaient habituellement dans le sentiment de sa présence, le Seigneur les comblant de telles grâces que, malgré la crainte qu'inspiraient au peuple les miracles et la prédication des apôtres, ce même peuple ne pouvait s'empêcher d'admirer et d'aimer ceux qui avaient embrassé la nouvelle doctrine. Aussi, le Seigneur ajoutait-il chaque jour à l'assemblée, ceux qui, selon l'exhortation de Pierre et de ses collègues, se sauvaient du milieu de la génération perverse. Ah! comment, après cela, ne pas demander à Dieu qu'il répande de nouveau sur l'Église une telle abondance de son Esprit, qu'elle en vienne à présenter au monde un spectacle pareil a celui de l'Église de Jérusalem, et qu'à ce spectacle, un grand nombre d'âmes se convertissent!


CCLXXV. — Guérison d'un impotent; second discours de Pierre; première persécution.


3654. (3: 1-5.) Ainsi se passaient les jours, peut-être les semaines. Le repos est chose si douce qu'il put arriver aux apôtres, dans ces premiers moments, d'oublier les persécutions que le Seigneur leur avait souvent prédites. Mais si les hommes influents avaient paru d'abord ne pas prendre garde aux disciples du Crucifié, il est évident que leur apparente indifférence ne pouvait durer longtemps.

3655. Pierre et Jean, deux disciples qui devaient aimer à se trouver ensemble (3551), montaient un jour au lieu sacré, vers trois heures de l'après-midi, heure de la prière et du sacrifice perpétuel, et en même temps de la mort du Seigneur. Il y avait là, sur leur chemin, un homme, impotent dès sa naissance, qu'on y déposait régulièrement, pour le mettre à la portée des aumônes, usage fréquent encore dans certains pays. Le Seigneur devait avoir passé près de cet homme plus d'une fois, notamment dans ses dernières visites au temple; et, bien qu'il eût fait alors plusieurs guérisons miraculeuses, ce pauvre impotent était resté au nombre de ceux à qui le Seigneur n'avait pas jugé bon de rendre la santé. Il le réservait pour un autre temps; d'ailleurs il ne faisait pas état de guérir tous les malades. Les apôtres, à leur tour, l'avaient vu plus d'une fois depuis la Pentecôte, sans déployer en sa faveur leur pouvoir miraculeux. C'est pourquoi, renonçant probablement à tout espoir de guérison, il se contentait de leur demander l'aumône; non sans doute qu'il les crût riches, mais parce qu'il avait ouï parler de la bienfaisance des disciples de Jésus.

3656. (6, 7.) Si la communauté chrétienne avait consisté, comme quelques-uns le pensent, dans le partage des biens, Pierre n'aurait pas pu dire à l'impotent: «Je n'ai ni or, ni argent;» ou, en d'autres termes, je suis un pauvre aussi bien que toi. Destitués de toutes ressources pécuniaires, les apôtres étaient de ceux aux besoins desquels on pourvoyait par le moyen de la bourse commune; mais ce qu'ils avaient à donner valait plus que de l'or et de l'argent, plus encore que la guérison miraculeuse d'un mal incurable. Ils proclamaient le nom de Jésus, et, par ce nom, ils restauraient l'âme pour la vie éternelle. «Au nom de Jésus le Nazaréen!» Notre Seigneur avait agi au nom de son Père, et le plus souvent en son propre nom, ou de sa propre autorité, parce qu'il est le Fils de Dieu. C'est par cette raison même que nous voyons maintenant les apôtres agir au nom de Jésus. Ils proclamaient ainsi l'éternelle divinité de Celui qui est devenu le Fils de l'homme; ils rappelaient en même temps ses nombreux miracles et les paroles de miséricorde qui étaient sorties de sa bouche.

3657. (8-11.) Après cela, rien n'est touchant comme la joie du pauvre homme qui venait d'être guéri d'une manière si inattendue, et dans le cœur duquel l'Esprit de grâce vivifiait le beau nom que Pierre avait invoqué sur lui. 11 marche et saute comme un petit enfant qui essaye ses forces naissantes, et il loue Dieu de sa délivrance avec des démonstrations si vives, que le peuple en était rempli d'étonnement; car cet homme était parfaitement connu de tous, et on ne l'avait vu que gisant sur la terre ou porté par des mains charitables. La foule et l'agitation s'accroissant par degré, les apôtres auraient dû, semble-t-il, se soustraire à une admiration qui avait pour objet leurs personnes, plus que la bonté et la puissance du Seigneur; mais l'homme qu'ils avaient si bien guéri les retenait avec force; en sorte que Pierre et Jean ne purent ni s'arracher de ses étreintes, ni éviter les transports de la multitude. Que faire donc? Profiter de l'occasion pour annoncer la bonne nouvelle; c'est ce que fit Pierre sans balancer.

3658. (12-26.) Rattachant toujours son enseignement aux pensées mêmes qui agitaient le peuple et au fait merveilleux qui leur avait donné naissance: «Vous vous étonnez, dit-il, comme si c'était nous, notre puissance ou notre piété, qui eût fait marcher cet homme. Non; c'est le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob qui glorifie de la sorte son serviteur Jésus. Vous l'avez renié et mis à mort; mais Dieu l'a ressuscité, et c'est par la foi en lui que s'est opéré le miracle, objet de votre admiration. En le faisant mourir, vous n'avez pas compris ce que vous faisiez; mais vous n'en avez pas moins accompli de la sorte ce que Dieu avait annoncé d'avance par ses prophètes. Convertissez-vous donc, pour que vos péchés soient effacés, ce péché-là et tous les autres, et pour que vous soyez prêts à recevoir le Seigneur quand il reviendra dans sa gloire. C'est lui qui est le grand prophète annoncé par Moïse (Deut. 18: 15-19); et c'est pour vous, tout premièrement, qu'il est venu.» Tel fut, en résumé, le second discours public de l'apôtre Pierre. Fort semblable au précédent pour le fond, il a des particularités qu'il importe de signaler.

3659. (13.) Remarquez d'abord les liens étroits qui unissent la nouvelle économie à l'ancienne. C'est le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob qui a glorifié le Seigneur Jésus, après s'être révélé en lui et par lui. Bien plus, la prédication de la bonne nouvelle, le salut que Christ nous a conquis, est la conséquence du testament que Dieu avait fait en faveur des patriarches, dans la personne d'Abraham (25); et c'est en particulier pour cela que l'Évangile était annoncé aux Juifs avant de l'être à d'autres peuples.

3660. Remarquez ensuite les noms que le Saint-Esprit donne ici par la bouche de Pierre, au Médiateur de la nouvelle alliance. Il commence par l'appeler Jésus le Nazaréen (6), nom sous lequel il était universellement connu; mais à ce moment déjà nous l'entendons lui donner son titre de Christ et l'invoquer sous ce nom. Ensuite, selon le langage d'Ésaïe, il l'appelle le Serviteur ou l'Esclave de l'Éternel (13-26), le Saint et le Juste (11), savoir le Saint d'Israël, le Juste par excellence; enfin, le Prince de la vie (15), celui qui marche en tête des vivants et qui est le principe de toute vie véritable (Jean 14: 6). Méditez ces divers noms du Seigneur Jésus, vous y retrouverez tout ce par quoi nos âmes sont sauvées, consolées, sanctifiées; surtout si vous terminez cette méditation en pesant les dernières paroles de l'apôtre. Sacrificateur de la nouvelle alliance, Jésus a été envoyé pour bénir (Nombr. 6: 22-27); non pas pour dire comme les anciens sacrificateurs: L'Éternel vous bénisse; mais pour bénir lui-même, en retirant les pécheurs de leurs iniquités, ou en les sanctifiant, ce qui est la bénédiction par excellence.

3661. Si du Maître vous passez au disciple, vous aurez également de quoi vous édifier. Vous serez frappés, en premier lieu, de la vivacité avec laquelle, lui, jadis si orgueilleux, il se défend des honneurs que la multitude semblait vouloir lui rendre, et vous ne le serez pas moins de l'entendre répéter un mot qui devait profondément l'humilier: «Vous avez renié le serviteur de l'Éternel, vous avez renie le Saint et le Juste!» Il est donc permis à un prédicateur de reprocher à autrui les crimes mêmes dont il a pu se rendre coupable, pourvu qu'il en ait du repentir et qu'il les ait portés au pied de la croix de Jésus. Bien plus, l'expérience qu'il a du péché ne le rendra que plus courageux à le signaler chez ses frères, parce qu'il en a senti toute l'amertume. Or, ce courage de la foi et de la charité, voyez comme il brille chez notre apôtre, voyez comme il reproche aux Juifs de s'être montrés moins justes que le païen Pilate, et de n'avoir pas rougi de préférer à Jésus un misérable meurtrier. Admirez, d'un autre côté, par quel ménagement il semble vouloir atténuer leur crime et celui des magistrats, en l'attribuant pour beaucoup à leur ignorance (17). Toujours est-il que ce péché, ajouté aux autres, leur imposait l'obligation de se convertir.

3662. Mais encore une fois, qu'est-ce que se convertir? Rapprochez l'une de l'autre deux paroles de ce discours, et vous aurez la réponse. Se convertir, c'est se tourner vers Dieu et se détourner de ses méchancetés (19, 26). On comprend, d'après cela, pourquoi le Seigneur invite à se convertir ceux mêmes qui appartiennent à son peuple (Luc: 13: 5); pourquoi il y invite un fidèle, un homme déjà converti, mais qui, par quelque grave faute, s'est éloigné de Dieu (Luc 22: 32). Ensuite, bien que l'apôtre ne le dise pas expressément, il est manifeste que, dans sa pensée, la conversion et la foi en Jésus-Christ sont liées l'une à l'autre. C'est par la foi en son nom que l'impotent a été guéri (16); c'est par elle aussi que les péchés sont effacés, effacés comme d'un livre (Es. 43: 25); par elle que vient pour les âmes un temps de rafraîchissement (19) après les ardeurs consumantes de la colère de Dieu (Ps. 32: 4.); par elle, enfin, et par elle seule qu'on est sanctifié (26). Ce Jésus, d'ailleurs, dont le nom produit de telles merveilles, paraîtra de nouveau sur la terre à l'époque du rétablissement de toutes choses, selon les anciennes prophéties (20, 21); mais, en attendant, il est au ciel, dans sa nature à la fois divine et humaine: c'est là, et nulle part ailleurs, que nous devons le chercher, vers lui que nous devons regarder pour avoir la vie.

3663. (4: 1-3.) Après que Pierre eut achevé son discours, et comme il parlait au peuple, ainsi que Jean son fidèle collègue, ils virent arriver à eux des hommes qui, sans doute au nom de l'ordre public, mirent la main sur leurs personnes, et, pour première persécution, les privèrent de leur liberté. Il y avait d'abord le sacrificateur, par où il faut entendre probablement celui qui avait offert les parfums à l'heure de la prière; hélas! ce n'était pas un Zacharie! puis le chef militaire du temple, autre sacrificateur, commandant le corps des lévites qui faisaient la garde du saint lieu; enfin, des sadducéens, gens, vous le savez, qui ne croyaient à rien et qui étaient inquiets de ce que les apôtres annonçaient en Jésus a le relèvement,» non pas le relèvement de la nation, mais «celui d'entre les morts.» Ce fut donc l'impiété sadducéenne, le matérialisme des hommes au pouvoir, qui commença cette longue série de persécutions auxquelles l'Église de Jésus-Christ s'est vue exposée dans tous les temps, selon les prédictions de son divin Chef. Bientôt nous verrons le pharisaïsme prendre part à cette horrible lutte contre la vérité; mais, pour le moment du moins, les pharisiens se tenaient à l'écart. Dans leur vieil antagonisme contre les disciples de Sadoc [2582], ils n'étaient pas fâchés d'entendre ces Galiléens parler de la résurrection des morts, doctrine qui les distinguait surtout de leurs adversaires. Cependant la Parole de Dieu produisait ses effets. Celui qui avait nourri des milliers d'hommes avec quelques pains et quelques poissons daigna bénir la prédication de Pierre; et, malgré la persécution naissante, une foule considérable d'Israélites crurent en Jésus-Christ. Le nombre des nouveaux convertis fut d'environ cinq mille (A), sans compter les femmes et les enfants; à moins qu'il ne faille entendre le texte sacré dans ce sens, que l'Église reçut en ce jour une augmentation qui accrut jusqu'à cinq mille le chiffre des frères, abstraction faite des enfants et même des femmes. Dans tous les cas, la Parole du Seigneur s'accomplissait doublement, et par les souffrances de ses serviteurs et par les succès de leurs travaux.

3664. (5-7.) Les apôtres ayant passé la nuit en prison ou sous bonne garde, ils furent conduits le lendemain devant le conseil des Juifs, assemblé, paraît-il, sous la présidence d'Anne, l'ancien souverain sacrificateur. Là se trouvaient, avec son gendre Caïphe, deux hommes dont les noms ne se lisent qu'ici, et une foule d'autres fils d'Aaron. Hélas! leurs pères avaient persécuté maints prophètes (rappelez-vous notamment Amos et Jérémie); eux-mêmes, ils avaient récemment fait mourir le Saint et le Juste: nous connaissons donc ces hommes et nous savons de quoi ils étaient capables. Leur haine ne s'était pas éteinte dans le sang de Jésus, et nous ne devons pas nous étonner du ton plein de mépris avec lequel ils interpellent maintenant les humbles disciples du Seigneur: «Par quelle puissance, leur disent-ils, ou en quel nom avez-vous fait cela, vous?» S'il le faut, pour satisfaire leur animosité, ils ne manqueront pas de prétendre encore que c'était par la puissance de Satan qu'ils guérissaient les malades.

3665. (8-12.) C'est pour de telles circonstances que le Seigneur avait expressément promis à ses disciples l'assistance particulière du Saint-Esprit; aussi sommes-nous bien sûrs que les apôtres avaient passé une nuit fort tranquille, attendant avec calme ce que leur réservait le lendemain. Ils ne furent pas trompés dans leur attente; car Pierre, rempli d'Esprit-Saint, prononça pour sa défense un discours tout pénétré de la grâce divine. Il n'est pas long, et il ne devait pas l'être. Respectueux et ferme tout à la fois, l'apôtre répond directement et simplement à la question; mais sans négliger la prédication claire et complète de la bonne nouvelle, fondée, comme toujours, sur la résurrection de Jésus, et consistant essentiellement dans la proclamation du salut par son nom et par son nom seul. Si les apôtres n'avaient pas été traînés à la barre du grand conseil des Juifs, appelé le sanhédrin, ils auraient pu s'éviter la douloureuse tâche de lui reprocher son crime; mais puisqu'il avait voulu les entendre, ils étaient bien forcés de lui déclarer que Jésus, crucifié par ses ordres, était ressuscité des morts, et qu’il est la pierre angulaire dont avaient parlé David et Ésaïe (Ps. 118: 22; Es. 28, 16). Cette fois, le prédicateur inspiré fait allusion à la prophétie, plutôt qu'il ne la cite textuellement; mais il parlait à des hommes qui connaissaient les Écritures mieux que le gros du peuple, et d'ailleurs il n'y avait pas si longtemps que le Seigneur leur avait fait l'application de ces mêmes prophéties, au moins de la première (Matth. 21: 42). Quel courage cependant ne fallait-il pas à Pierre, pour réveiller en eux de tels souvenirs!

3666. (13-18.) Ses auditeurs eux-mêmes furent étonnés de ce discours; mais, à la manière des mondains, bien moins du fond que de la forme. Tant d'assurance chez des hommes du commun, hommes qu'ils reconnaissaient, il est vrai, pour avoir été avec Jésus, mais qui, jusqu'à sa mort, avaient si peu marqué; tant d'assurance, dis-je, jointe au miracle incontestable dont ils avaient la preuve vivante sous les yeux, leur paraissait un problème inexplicable, et peut-être auraient-ils cru dès ce moment à l'Évangile, si seulement ils avaient cru en Dieu et s'ils eussent pu croire sans se convertir (Jean 5: 38). Au lieu de cela, ils ne songent qu'à mettre fin le plus tôt possible à toute cette affaire. Comme ils s'efforçaient d'étouffer la voix de leur conscience, ils vont s'efforcer pareillement d'étouffer celle des apôtres, et ils leur défendent avec grandes menaces de parler à qui que ce soit en ce nom-là. Remarquez comme ils évitent eux-mêmes de répéter un nom qui devait leur être, en effet, si pénible à prononcer. Or, non seulement Pierre et Jean ne se laissèrent point effrayer par ces menaces, et se gardèrent bien de promettre plus de retenue à l'avenir; non seulement ils se retirèrent, résolus à poursuivre l'œuvre qui leur avait été confiée par le Seigneur, mais encore ils ne voulurent pas que le magistrat pût ignorer leurs intentions et les accuser d'un manque de droiture: «Jugez s'il est juste, devant Dieu, de vous écouter plutôt que Dieu; car nous ne pouvons pas ne point parler des choses que nous avons vues et entendues.»

3667. (19-22.) Paroles sublimes! Quelque dégradés que soient ses juges, Pierre respecte en eux le caractère dont ils sont revêtus; il ne veut pas supposer qu'il n'y ait plus en eux aucun sentiment de justice, aucune conscience des droits de Dieu sur ses créatures, ni qu'ils aillent jusqu'à s'arroger une autorité supérieure à celle du Seigneur. Quant à Pierre et à ses collègues, ils ne peuvent pas ne point avoir vu et entendu les choses qu'ils ont vues et entendues, et il leur serait tout aussi impossible de les dissimuler [3193]. Qu'on leur ôte la vie, ils ne parleront plus; mais tant qu'ils vivront, le Saint et le Juste fera d'eux ses témoins fidèles et persévérants. C'est bien là ce que comprirent les hommes devant qui comparaissaient les apôtres; aussi, tout leur désir aurait été de les châtier de leur audace, mais le peuple (Actes 4: 23-30; 31; 32-35.) était dans un de ces moments d'enthousiasme qu'il n'est pas prudent de braver, et ils relâchèrent les deux prisonniers, après leur avoir fait de nouvelles menaces.

3668. (23-30.) Il est facile de se représenter avec quelle joie les frères virent revenir ceux d'entre eux qui avaient eu l'honneur de subir, les premiers, quelque persécution pour le nom de Jésus. Bien des prières isolées étaient sans doute montées au ciel en leur faveur; puis, quand ils furent de retour et qu'ils eurent tout raconté, les frères réunis élevèrent d'un commun accord leur voix à Dieu, pour lui rendre des actions de grâces et implorer son secours. Ici, nous les voyons donnant un bel exemple de la manière dont l'Église persécutée doit retremper ses forces, en s'élevant à la pensée de la souveraineté de Dieu et de son adorable prescience. Les opprobres qu'ils viennent d'essuyer dans la personne des deux apôtres, ne sont que la suite des souffrances et de l'humiliation de leur Maître, et celles-ci, Dieu les avait clairement prédites par la bouche de David (Ps. 2:1, 2). Or les esclaves ne sauraient s'attendre à être mieux traités que leur Seigneur. Loin donc de s'abattre, ils demandent à Dieu, non pas qu'il fasse descendre le feu du ciel sur Jérusalem (Luc 9: 54); mais qu'il leur accorde d'annoncer sa parole avec toute assurance et qu'il glorifie le nom de Jésus par de nouveaux miracles. Ce n'est donc pas assez de souffrir patiemment les épreuves de la foi, il faut y puiser une nouvelle énergie, pour abonder de plus en plus dans les œuvres qu'elle inspire.

3669. (31.) Le Seigneur voulant donner aux siens un signe indubitable de son approbation et de l'exaucement de leurs prières, il se fit comme un tremblement de terre qui ébranla le lieu où ils étaient, et ils furent tous remplis d'Esprit-Saint. Ce fut une nouvelle effusion de la grâce de Dieu, moins sans doute pour augmenter leurs dons spirituels et miraculeux, que pour entretenir leurs âmes dans la paix du Seigneur et les affermir en sa sainte vérité. Aussi continuèrent-ils d'annoncer la Parole de Dieu avec une entière assurance, bénédiction inappréciable, et pour eux et pour bon nombre de leurs concitoyens, ainsi que nous le verrons bientôt.


CCLXXVI. — Prospérité de l'Église de Jérusalem; Ananias et Sapphira; nouvelle persécution.


3670. (32-35.) Au moment où nous en sommes de l'histoire apostolique, l'Église de Jérusalem, et il n'y en avait pas d'autres, comptait plus de huit mille personnes que la grâce de Dieu avait amenées aux pieds de Jésus par la prédication de ses disciples. Il est dit de cette multitude qu'elle avait cru, et pourtant, nous allons voir parmi ces croyants des hypocrites, de l'ivraie mêlée au bon grain, selon la parabole du Seigneur (Matth. 13). Ici donc le mot ciboire doit être entendu dans le sens large que nous lui avons vu ailleurs [2747]. La plupart sans doute des membres de cette Église étaient de vrais croyants; mais qu'il y eût des exceptions, c'est ce qui est incontestable. Tous du moins professaient la foi, une même foi, et ils la professaient volontairement, ce qui n'est pas le cas de certaines Églises de nos jours. 

3671. En conséquence, c'étaient les fidèles, et non les infidèles, qui donnaient le ton et l'impulsion à cette heureuse société. Il y avait entre ceux qui la composaient les liens d'une affection commune en Jésus-Christ, c'est la base de tout; puis un grand accord dans la manière d'envisager les choses. Et comme ils possédaient une même foi, une même espérance, un même Sauveur, un même Père, un même héritage au ciel, il ne leur entrait pas dans l'esprit qu'ils pussent posséder des biens de ce monde, sans en faire part à ceux de leurs frères qui en étaient dépourvus. Lorsque Josué partagea le pays, chaque famille avait eu son lot, et si la loi de Dieu avait toujours été observée, on n'aurait jamais vu en Israël, ni l'extrême misère, ni l'extrême opulence. Voilà ce qui tendait à se rétablir, mais volontairement, chez les disciples de Jésus, ce nouveau peuple de frères. Toutes choses étaient communes entre eux, dans le même sens qu'ils n'étaient qu'un seul cœur et qu'une seule âme. Plus les apôtres prêchaient la résurrection des morts par Jésus, plus la grâce de Dieu se répandait; et, par elle, se développaient et se nourrissaient les plus beaux fruits du renoncement et de la charité. En sorte qu'il n'y avait aucun indigent parmi les membres de l'Église. Il n'est pas dit, comme portent les anciennes traductions, que ceux qui avaient des terres et des maisons «les vendaient,», mais qu'ils «faisaient des ventes» et apportaient le prix aux pieds des apôtres, non pour le partager entre tous, mais pour le distribuer au fur et à mesure des besoins. Je le redis encore, il s'en faut bien que cette communauté d'affections, cette fraternité de sentiments et cette libéralité toute spontanée, fruits de la foi en Jésus-Christ, puissent être confondues avec les systèmes modernes de ce communisme haineux, fratricide et tyrannique, qu'on ose recommander au nom de l'Évangile et qui s'allie chez la plupart avec la plus grossière impiété. Il n'est pas douteux, après cela, que les chrétiens de nos jours n'aient à demander instamment au Seigneur une abondante mesure de sa grâce, afin d'apprendre de lui à se dépouiller et à donner; car, au sein même de véritables Églises, il est des gens dont l'avarice et l'égoïsme sont en grand scandale.

3672. (36, 37.) Entre ceux qui se signalèrent par leurs largesses, l'écrivain sacré mentionne un fils deLévi, originaire de l'île de Chypre, où ses pères s'étaient établis autrefois. Il y possédait un champ qu'il vendit et dont il remit la valeur aux apôtres, pour en faire l'usage convenu. Cet homme s'appelait Joses, et fut surnommé par les apôtres Fils de consolation, en hébreu Barnabas. Il avait pour parent un jeune homme que nous ne tarderons pas à voir jouer un rôle dans l’évangélisation du monde, Jean surnommé Marc; Barnabas lui-même, occupa bientôt une place particulièrement honorable parmi les ministres du Seigneur, deux circonstances qui expliquent pourquoi son nom se trouve ici.

3673. (5:1 -11.) D'autres raisons, et de fort douloureuses, ont engagé le Saint-Esprit à nous faire connaître la terrible mort d'Ananias et de Sapphira. Lisez leur histoire; elle se résume en peu de mots. Ananias et Sapphira, gens à leur aise, n'étaient pas entrés dans la société nouvelle par intérêt, ce qui pouvait être le cas de bien des pauvres; mais ils tenaient peut-être l'un et l'autre à être comptés parmi les plus pieux, ou bien, poussés par les inquiétudes de leur conscience, ils avaient ambitionné le bonheur dont jouissaient manifestement les disciples de Jésus-Christ. Qui sait même s'ils ne se croyaient pas vraiment convertis, tandis que, semblables à Judas, une passion dominante remplissait leur cœur et les empêchait d'aller au-delà d'une foi morte. Ils furent aussi de ceux qui vendirent, non pas tout ce qu'ils avaient, mais  «une possession,» dit le texte sacré. Rien ne les y obligeait, comme Pierre le fait remarquer à Ananias; et, après avoir effectué la vente, ils étaient libres de garder le prix, en tout ou en partie; preuve décisive que la communauté d'alors n'était pas le communisme tel qu'on l'entend de nos jours. Mais non, cela n'aurait pas fait le compte des vendeurs. Ils voulaient tout à la fois garder une portion de leur argent et s'acquérir avec le reste un renom de piété et de bienfaisance. Or, ce n'était pas l'Église qu'ils trompaient ainsi, puisqu'elle n'avait pas le droit d'exiger de tels sacrifices; c'était Dieu lui-même, à qui Ananias faisait semblant de se dévouer, corps et biens: c'est au Saint-Esprit qu'il mentait, bien plus qu'aux hommes. Ce qu'il y avait d'horrible, c'est que le mari et la femme s'étaient donné le mot dans cette odieuse supercherie. Ils ne pensaient donc pas que Dieu eût entendu leur complot; ils ne croyaient pas réellement en lui. Aussi Dieu lui-même, et non pas Pierre à coup sûr, fit tomber sur ces deux époux le plus effroyable des châtiments, un châtiment qui rappelle celui de Nadab et d'Abihu, celui de Coré et de ses complices [877, 956]. Selon l'usage des Juifs, usage que facilitaient la nature de leur climat et leur coutume d'enterrer dans des grottes ouvertes, les deux cadavres furent immédiatement enlevés de dessous les yeux de l'assemblée; mais quelle impression profonde cette scène ne dut-elle pas laisser dans le cœur des assistants?

3674. À considérer la patience inconcevable avec laquelle Dieu supporte tant d'impies et d'hypocrites, à considérer surtout le contraste que fait ce miracle effrayant, avec les autres miracles de Jésus et de ses envoyés, il est permis d'éprouver ici quelque étonnement et de se demander pourquoi ce coup de foudre au milieu d'un ciel si serein; pourquoi, dans le domaine de la grâce, un prodige qui a tant de rapports avec ceux de la loi? En voici, me semble-t-il, la vraie raison. Parmi les dangers qui menaçaient l'Église naissante, il n'y en avait pas de plus redoutables que l'hypocrisie, comme il n'y a pas de vice non plus que le Seigneur déteste davantage; rappelez-vous ses apostrophes aux pharisiens. Qu'on se représente ce que serait devenue l'Église, si les Ananias et les Sapphira avaient pu y abonder! Plus de confiance mutuelle, plus de ce concert des cœurs qui attire les bénédictions du Seigneur, plus aucun respect de la part du monde toujours si clairvoyant en matière pareille. De nos jours, la plupart des Églises ou de ce qu'on appelle de ce nom, sont pleines d'hypocrites sans grand dommage pour elles, par la raison même qu'elles semblent avoir combiné leurs institutions de manière à favoriser l'hypocrisie. Mais lorsque nul n'était contraint d'appartenir à l'Église, il est clair que la présence d'un seul hypocrite pouvait faire plus de mal que mille hypocrites en d'autres circonstances. Par Ananias et Sapphira, Satan voulait insinuer dans l'Église de Jésus-Christ un nouveau pharisaïsme et un pharisaïsme pire que l'ancien; or le Seigneur voulut, à son tour, inspirer une crainte salutaire à ceux qui seraient tentés de se joindre aux frères par des motifs charnels. Le but fut atteint; car, nous dit le livre des Actes, il y eut une grande crainte sur toute l'assemblée et sur tous ceux qui apprirent ces choses. Quant à nous, mes chers lecteurs, examinons sérieusement si nous sommes droits devant Dieu; si les motifs qui nous attachent à son Église sont dignes de lui; si nous lui avons donné notre cœur, car c'est là ce qu'il veut; si, enfin, dans le service que nous lui rendons, il ne nous arrive pas souvent de le frauder, en retenant une partie de ce que nous prétendons lui avoir consacré?

3675. (12-16.) Cependant la force du Seigneur continuait à se manifester par le ministère des apôtres. Et comme il avait donné à son disciple Pierre une plus grande puissance de parole, c'était aussi par son ministère qu'il opérait le plus de prodiges. On vit alors s'accomplir ce que Jésus avait dit une fois: «Celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais et il en fera de plus grandes, parce que je vais à mon Père» (Jean 14: 12). Il y avait là de quoi entraîner bien des âmes, comme malgré elles; mais, sans parler de l'effroi qu'avait produit la mort d'Ananias et de Sapphira, on remarquait chez les apôtres et chez leurs disciples une sainteté, un sérieux qui imposait à la multitude. Si bien que, dans le temple même, où les frères avaient pris le portique de Salomon pour l'endroit de leurs réunions particulières, les autres n'osaient se joindre à eux, respectant la solitude qu'ils se faisaient au milieu de la foule. Mais ce qui était un obstacle pour beaucoup de gens, n'en fut pas un pour les âmes que le Père avait données à son Fils (Jean 6: 37); aussi nous est-il dit que «la multitude de ceux qui croyaient, tant hommes que femmes, s'augmentait de plus en plus.»

3676. (17,18.) Pendant ce temps, les ennemis du Seigneur semblaient avoir oublié leurs sinistres desseins contre ses envoyés. Au fait, ceux-ci étaient des gens exemplaires, qui continuaient, aussi bien que leurs disciples, à honorer le temple et le culte qu'on y célébrait; la plupart même de ceux qui ne se joignaient pas à leurs assemblées, professaient pour eux une grande vénération; puis, le Seigneur les gardait, et modérait par son bras puissant la haine des adversaires. Ces derniers, toutefois, et à leur tête le souverain sacrificateur, ne laissaient pas de surveiller avec inquiétude le mouvement des esprits; ils voyaient journellement de nouvelles conversions à l'Évangile et c'étaient autant d'âmes qui échappaient à leur influence. C'est pourquoi, poussés par la même jalousie qui les avait portés aux dernières extrémités contre le Seigneur, les voilà qui mettent un jour la main sur les apôtres et les font tous jeter en prison. C'étaient encore des sadducéens, sorte de gens assez indifférents d'habitude aux questions religieuses, mais qui deviennent les pires persécuteurs lorsque la voix de la vérité se met à inquiéter leur conscience, ou que leurs intérêts matériels leur paraissent compromis par les progrès de la foi. Or, de nos jours, comme du temps des apôtres, ce n'est pas seulement parmi les hommes du siècle que le sadducéisme recrute ses sectateurs; il atteint les ministres mêmes de la religion.

3677. (19-28.) La persécution alla croissant, car il paraît que cette fois les douze furent tous enfermés; mais il plut au Seigneur de montrer comment il peut délivrer les siens, quand il lui plaît de le faire. Un messager de sa miséricorde ouvrit les portes de la prison pendant la nuit; à son invitation, les apôtres se rendirent de là dans les cours du temple et sous ses portiques, en sorte que, dès le matin, ils y purent recommencer leurs enseignements, faisant entendre à ceux qui arrivaient les paroles de la vie éternelle. De son côté, le souverain sacrificateur et ses acolytes avaient convoqué, pour le matin, de bonne heure, tout le conseil des Juifs; mais quand ils eurent envoyé des sergents avec mission de leur amener les détenus, il leur fut fait rapport que la prison était vide, sans que l'évasion des apôtres eût été aperçue et qu'elle eût laissé la moindre trace. Comme les membres du conseil étaient à se demander, au milieu d'une certaine agitation, ce que cela signifiait et ce que tout cela deviendrait, quelqu'un de leurs partisans leur annonça que les hommes incarcérés la veille, enseignaient tranquillement dans le lieu sacré. Il ne s'agissait donc plus que de les amener devant le sanhédrin, mais sans éclat, pour ne pas irriter un peuple dont la violence passait si vite d'un objet à l'autre; or, rien de plus facile, car les apôtres n'étaient pas de ceux qui repoussent la force par la force.

3678. Ce fut avec une sorte de douceur, ou plutôt avec une certaine crainte que le souverain sacrificateur leur adressa la parole, «nous vous avions expressément défendu d'enseigner en ce nom-là, et voici, vous avez rempli Jérusalem de votre doctrine, et vous voulez faire venir sur nous le sang de cet homme!» Ce nom! cet homme! disent-ils, et ils continuent à n'oser, ni prononcer ce nom, ni dire qui est cet homme (4: 17); mais c'est un homme dont le sang a été répandu par eux, et ils craignent que ce sang ne leur soit redemandé. De la part de qui? De la part de Dieu ou du peuple? Pas de la part de Dieu, semble-t-il, car croyaient-ils en Dieu, ces impies? Cependant, il est difficile que la conscience perde entièrement ses droits, et, à moins d'être parfaitement sûr qu'il n'y aura pas de rétribution finale, on ne saurait vivre dans le crime sans éprouver de temps en temps quelques appréhensions, surtout quand on a crié: «Que son sang soit sur nous et sur nos enfants!» (Matth. 27: 25.) En tout cas, c'était le peuple que ces hommes craignaient. S'exagérant par peur les succès des apôtres, et, sentant qu'en effet leur doctrine était de nature à être accueillie avec empressement, il leur semblait déjà que la ville de Jérusalem en était toute pénétrée. Méconnaissant d'un autre côté les sentiments de charité que la foi en Christ tend à produire, ils se figuraient que, si le peuple venait à croire en ce nom-là, il ne manquerait pas de leur demander compte du sang qu'ils avaient répandu. C'est pour cela qu'ils ressentaient si vivement l'insulte que les apôtres semblaient faire à leur autorité.

3679. (29-32.) Ce fut alors que Pierre répéta sa précédente déclaration, mais sous une forme sensiblement différente. Il en avait appelé jadis à leur propre jugement (4: 19); maintenant qu'ils ont jugé contre Dieu, il prononce avec l'autorité de la foi et du Saint-Esprit «qu'il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes;» vérité de toute évidence pour qui croit en Dieu. La difficulté, dans l'application, est de bien s'assurer quelle est la volonté du Seigneur, de peur qu'en croyant la faire plutôt que celle des hommes, nous ne fassions au fond notre propre volonté, par opposition à celle de Dieu. Quant aux apôtres, ils marchaient d'un pied sûr dans leur résistance aux ordres du magistrat; car ils tenaient leur commission de Celui que Dieu avait déclaré Prince et Sauveur en le réveillant d'entre les morts et en l'élevant au ciel; ils en avaient pour garants leurs propres yeux et le Saint-Esprit qui parlait et agissait en leurs personnes.

3680. Dans cette courte réponse, la prédication de l'Évangile prend un nouveau développement. Aux titres donnés précédemment à Jésus-Christ [3660], s'enjoignent ici deux autres d'une grande importance. Comme Prince, son autorité est supérieure à toutes les autorités d'ici-bas; comme Sauveur, il est le refuge assuré des pécheurs, et ceux-ci lui ont trop d'obligations pour l'abandonner à la première menace. Ce n'est pas tout, si Pierre a proclamé précédemment la nécessité de se convertir à Jésus-Christ pour obtenir le pardon des péchés, complétant à cette heure la bonne nouvelle, il déclare que c'est ce même Jésus qui donne la conversion; qu'il est, non pas simplement le canal, mais encore la source de toutes les grâces du salut; en sorte que ceux qui, par la foi en Jésus, obéissent à Dieu, obéissent par l'influence de l'Esprit-Saint que Jésus leur a donné. Cette doctrine est pleine de consolation pour les cœurs humbles et repentants; mais les auditeurs de Pierre ne voulaient pas entendre parler de conversion. Méconnaissant le besoin qu'ils avaient du pardon de leurs péchés, ils ne savaient pas gré d'un Sauveur, et surtout ils ne voulaient pas que Jésus de Nazareth fût leur Prince (Luc 19: H). Et puis, comment souffrir que des hommes tels que Pierre et ses collègues se prétendissent inspirés, à l'égal des anciens prophètes, et qu'ils ne cessassent de les accuser d'avoir mis à mort le Messie!

3681. (33-39). Aussi nous est-il dit que les membres du conseil frémissaient de rage. En présence même des apôtres, ils délibéraient sur le sort qu'ils voulaient leur faire, et l'on parlait hautement de les tuer. Alors se leva un homme fort considéré de tous, qui ordonna de faire sortir les prévenus, et qui, par l'avis plein de sagesse qu'il ouvrit, fut l'instrument dont Dieu se servit celle fois pour détourner, ou du moins retarder l'orage qui grondait sur son peuple. Cet homme était pharisien et docteur de la loi; il se nommait Gamaliel, et nous verrons plus tard que si, à son école, on se pénétrait d'un pharisaïsme sincère et respectable à beaucoup d'égards, on n'y apprenait pas toutefois la tolérance. Gamaliel, infidèle en ce moment aux principes de sa secte, prit le parti des apôtres, non pour recommander leur doctrine assurément, ni pour leur concilier la bienveillance de leurs juges, puisqu'il les met, eux ou leur maître, sur la même ligne que deux séducteurs qui, une trentaine d'années auparavant, s'étaient dits le Christ et avaient misérablement péri, mais pour demander simplement qu'on ne s'occupât plus d'eux. La généralité du conseil pensait qu'il fallait étouffer dans le sang la nouvelle doctrine; Gamaliel, au contraire, comme beaucoup de philosophes après lui, estimait qu'elle n'avait d'importance que celle qui lui était donnée par ses adversaires.

3682. Quant au principal argument de Gamaliel, pris dans sa généralité, il manque certainement de justesse. Il n'est pas vrai que, dans ce monde de péché, tout ce qui réussit et qui dure soit nécessairement de Dieu, ni en religion, ni en politique, ni en aucune chose, témoin le paganisme et le mahométisme, sans parler de cette multitude d'erreurs qui défigurent depuis si longtemps une grande portion de ce qu'on appelle l'Église. Mais, dans le cas particulier, il faut convenir que Gamaliel voyait juste. Et Theudas, et Judas le Galiléen avaient, l'un et l'autre, pris les armes, ou tout au moins ému le peuple pour défendre leurs prétentions. Ici, rien de pareil. Voilà des hommes simples et pieux, des hommes sans appui terrestre, des hommes qui prêchent les choses les plus absurdes si elles ne sont pas vraies, et des hommes qui ne possèdent rien de ce qui fait quelquefois triompher les absurdités. Laissez-les donc, dit Gamaliel; si cette œuvre n'est pas de Dieu, il est impossible, à la manière dont elle est conduite, qu'elle ne tombe pas: si, l'abandonnant à elle-même, elle prospère, alors, pour certain, elle est de Dieu, et songez à qui vous vous trouveriez avoir fait la guerre! Ce qui explique, au surplus, l'intérêt que mit Gamaliel à défendre les apôtres, c'est qu'il était pharisien et que leurs principaux accusateurs étaient de la secte des sadducéens. Bien souvent, dès lors, l'Église n'a dû sa tranquillité qu'à la division des partis qui auraient voulu sa perte; comme aussi quelquefois ces partis savent oublier leurs différends, pour se liguer contre le Seigneur.

3683. (40-42.) Quoi qu'il en soit, l'avis de Gamaliel prévalut; aussi bien le moment n'était-il pas favorable pour prendre des mesures extrêmes. Mais il fallait pourtant que l'arrestation des apôtres servît à quelque chose; on les fit donc battre de verges, en leur répétant la défense de parler au nom de Jésus, et quand on eut ainsi versé le premier sang depuis celui du Sauveur, on relâcha les victimes. On espérait sans doute que la souffrance les effrayerait plus que ne l'avaient fait les menaces; mais, au contraire, bien que sensibles aux outrages et aux mauvais traitements, comme nous le serions nous-mêmes, les apôtres se réjouirent de l'honneur qu'on leur faisait en les assimilant à leur Maître. Le Saint-Esprit leur remit en mémoire les prophéties du Seigneur relatives aux persécutions qu'ils essuyaient et au bonheur de souffrir quelque chose pour la justice (Matth. 10: 17; 5: 10); c'est pourquoi, loin d'être ébranlés, ils ne cessèrent d'annoncer, et en public et en particulier, que Jésus est le Christ. Tel fut, de tout temps, l'effet de la violence sur ceux qui, droits de cœur, n'ont autre chose en vue, dans la profession de leur foi et dans la prédication de l'Évangile, que la gloire de Dieu et le salut des âmes.


CCLXXVII. — Légères taches dans l'Église de Jérusalem; institution des diacres; martyre d'Étienne.


3684. (6, 7.) Les faits qui nous sont rapportés dans ces deux chapitres semblent, au premier abord, s'être passés immédiatement après ceux dont nous venons de nous occuper. Mais dans l'usage de la Bible, l'expression: «En ces jours-là,» désigne le temps d'une manière assez peu précise (Matth. 3:1). Ici, elle signifie: «En ces temps de progrès et de persécutions tout à la fois.» Bien qu'il y ait des personnes qui rapportent à l'an 33 tout ce qui est raconté dans les sept premiers chapitres des Actes, la plupart pensent, je crois, que l'emprisonnement des apôtres n'eut pas lieu l'année même de la mort du Seigneur, que l'institution des diacres se fit assez longtemps après cet emprisonnement, et qu'Étienne exerçait son ministère depuis plusieurs mois, lorsqu'il fut traduit devant le conseil des Juifs et lapidé. On rapporte en conséquence à l'an 37 de l'ère chrétienne ce dernier événement.

3685. (6:1.) Quoi qu'il en soit, l'Église de Jérusalem était encore de fondation récente. Or, malgré l'abondance de la grâce de Dieu et la présence des apôtres, et plus encore celle du Saint-Esprit; malgré la foi et la charité qui remplissaient les cœurs, on vit se manifester dans cette Église des murmures et du mécontentement, suite de fâcheuses partialités. Les Grecs, dont il est ici question, n'étaient pas des païens d'origine, mais plutôt des hellénistes, qu'il ne faut pas confondre avec les Hellènes ou Grecs proprement dits. Ceux-ci, constamment distingués d'avec le peuple d'Israël, sont appelés autrement les nations ou les gentils; tandis que les hellénistes étaient les Juifs dispersés qui, habitant des pays de langue grecque ou hellène, s'appelaient, par cette raison, hellénistes ou grécisants. Nous avons déjà vu qu'il leur arrivait souvent de se fixer de nouveau dans la Judée, et que la plupart d'entre eux faisaient de fréquents séjours à Jérusalem [3636]. Quant aux veuves à l'occasion desquelles s'éleva la difficulté, on s'est demandé comment il pouvait y avoir, dans l'Église, un si grand nombre de femmes privées de leurs maris, à une époque où la persécution, pour bien dire, n'avait pas encore éclaté. On l'explique en disant que les veuves, plus libres de leurs actions, pouvaient plus aisément se joindre à l'Église que les femmes mariées. On dit aussi qu'on appelait veuves celles que leurs maris non convertis avaient répudiées, ou qui avaient été renvoyées par ceux qui, avant leur conversion, possédaient plusieurs femmes. Du reste, c'est peut-être gratuitement qu'on suppose que ces veuves fussent en très grand nombre: il y en avait là comme partout, et leur position les recommandait particulièrement à la commisération de l'Église. Après cela, il paraît que, dans les repas journaliers qui se faisaient en commun, elles occupaient une place distincte, et, par une raison quelconque, mais qu'on ne saurait approuver, on faisait, dans les distributions, une différence entre les veuves des Juifs hébreux et celles des Juifs hellénistes.

3686.(2-4.) La chose est d'autant plus étonnante que c'étaient alors les apôtres eux-mêmes qui avaient la surintendance des tables et de tous les soins matériels relatifs à ce service. Mais ces hommes d'élite, auxquels, par la grâce du Saint-Esprit, rien ne manquait pour rendre témoignage à la vérité, ces hommes dont la vie tout entière marchait en parfaite harmonie avec leur prédication, étaient des hommes, après tout: ils avaient aussi leurs faiblesses et notamment leur impossibilité de tout voir et de tout faire. C'est pourquoi, reconnaissant le mal dont on se plaignait et signalant indirectement ce qui en était la cause, ils demandèrent à être déchargés d'une fonction dont les détails allaient croissant, et qui pouvait être faite par d'autres aussi bien que par eux; de cette manière, dirent-ils, nous aurons plus de temps pour la prière et pour la prédication. Si donc ils refusaient de rendre à l'Église toutes sortes de services, ce n'était pas pour demeurer oisifs, mais pour lui rendre d'autant mieux le service qui leur était propre. Cet exemple me paraît digne d'imitation. Il ne faut pas que, dans les Églises, un seul homme, ni même plusieurs, cumulent toutes les fonctions. Tel qui excelle à la prédication ne s'entend point à administrer, et réciproquement. Mais si le travail doit être divisé, ce n'est pas pour donner à personne des loisirs inoccupés; il est clair, de plus, qu'il faut, comme à Jérusalem, que le besoin s'en fasse sentir. Parce qu'il y eut sept diacres nommés à la fois dans cette Église, ce n'est pas une raison pour qu'il y en ait partout ce même nombre, ni même pour qu'il y ait des diacres partout. Cette institution ne se rattache pas à l'essence de l'Église; ce n'est pas pour elle une question d'existence, mais de convenance.

3687. Je viens d'écrire le mot de diacre, et vous pourrez observer cependant qu'il ne se trouve point dans le chapitre que nous étudions. Mais si ce mot, dont le sens est serviteur ou ministre, ne s'y rencontre pas, vous y lisez deux fois celui de service, en grec diaconie (versets 1 et 4); puis le texte porte au verset 2 le verbe diaconeïn, bien traduit par servir. Il y est donc parlé du service journalier des tables et du service de la Parole; et ce que les apôtres demandent, c'est qu'il y ait des diacres ou serviteurs et ministres des tables, tandis qu'ils continueront à être eux-mêmes diacres ou serviteurs et ministres de la Parole. Ce mot donc est très général; il se dit de toute espèce de ministère; seulement il est vrai qu'il est appliqué d'une façon plus spéciale aux fonctionnaires qui, sans s'interdire toute activité spirituelle, s'employaient essentiellement à l'administration des intérêts temporels de l'Église.

3688. (6: 5, 6.) Les apôtres ayant donc convoqué la multitude des disciples, proposèrent de choisir sept hommes parmi les plus honorés, les mieux doués du Saint-Esprit et les plus aptes aux soins dont il s'agissait. L'assemblée approuva cet avis et l'on passa à l'élection; puis, les nouveaux serviteurs de l'Église furent placés devant les apôtres, qui prièrent et leur imposèrent les mains. Cette manière de procéder, sans être une règle à suivre dans tous les cas, se rattache cependant à des principes d'une grande importance. On y voit d'abord que l'autorité exercée par les apôtres dans l'Église était d'une nature bien différente de celle que se sont arrogée leurs prétendus successeurs. Il s'en fallait bien que, même de leur vivant, l'Église n'eût rien à dire en ses propres affaires, notamment dans le choix de ses ministres; elle intervint même directement, lorsqu'il fut question de remplacer un apôtre (1: 15-23). On y voit ensuite avec quel soin une Église doit choisir ses fonctionnaires, quel que soit l'objet de leur office. Pour servir aux tables, comme pour toute autre fonction, il fallait des hommes animés de l'Esprit de Dieu. Nous y voyons enfin que tous les actes d'administration ecclésiastique doivent être accompagnés de la prière, parce que c'est Jésus qui est le chef de l'Église, et que c'est une manière de reconnaître et de confesser ce fait; sans parler du besoin si réel que nous avons de son assistance pour agir vraiment selon sa volonté. Quant à l'imposition des mains, si l'on ne voulait voir dans cette cérémonie que le signe de la transmission des dons extraordinaires du Saint-Esprit, on devrait la regarder maintenant comme dépourvue de tout sens; mais, bien que l'imposition des mains des apôtres fût fréquemment accompagnée d'une transmission des dons miraculeux, elle était aussi quelquefois une simple bénédiction au nom du Seigneur, et la consécration à une charge instituée ou approuvée par lui. Dans le cas particulier, l'imposition des mains exprimait qu'une partie de la charge apostolique passait aux sept frères élus, et qu'on appelait la grâce de Dieu sur leurs personnes [987].

3689. Il n'est pas sans intérêt de remarquer, après cela, que les noms des sept diacres sont des noms grecs, ce qui a fait penser qu'ils sortaient tous du milieu des hellénistes. Quelques-uns en ont conclu qu'avant eux il y avait déjà des diacres (ces jeunes gens qui enterrèrent Ananias et Sapphira), mais qu'ils avaient été, jusque-là, pris entre les Hébreux. Pour éviter de nouvelles plaintes, on leur aurait associé sept autres diacres, choisis parmi les plaignants. Pour moi, je me plais de préférence à considérer le résultat de cette élection comme un effet de l'amour et de la confiance qui n'avaient pas cessé d'animer les frères, malgré quelques nuages passagers. Les Hébreux avaient joint leurs voix à celles des hellénistes. De cette manière, ce qui avait d'abord été une sorte de scandale dans l'Église tourna, par la grâce du Seigneur, à un resserrement des liens qui en unissaient les membres les uns aux autres.

3690. (7.) Telle ayant été l'issue de cet incident, nous ne devons pas nous étonner de ce qui est dit ensuite sur les progrès que la foi continuait à faire à Jérusalem. La Parole de Dieu y croissait comme la plante de moutarde sortie de sa petite semence; elle croissait en abondance de prédications, en clarté de doctrine et en efficace sur les cœurs. Le nombre des disciples se multipliait, et même des sacrificateurs en foule étaient comme contraints de se soumettre à la foi nouvelle. Beau triomphe en vérité! car ces sacrificateurs, en se convertissant, déposaient l'éphod pour se ranger parmi les humbles disciples des pêcheurs de la Galilée. Mais la foi est une puissance d'une grande énergie; quand elle commande, il faut que l'âme obéisse. Sainte violence, dont il n'est jamais arrivé à personne de se plaindre, après l'avoir subie.

3691. (8-14.) Parmi les diacres ou serviteurs de l'Église qui avaient été récemment élus, se trouvait un homme remarquable entre tous par la fermeté de sa foi et par la puissance miraculeuse dont le Saint-Esprit l'avait revêtu: c'était Étienne. Non content d'édifier l'Église par ses instructions et par sa vie, il portait l'Évangile dans les synagogues des hellénistes, helléniste lui-même; en sorte que ceux-ci se liguèrent contre lui, espérant de le confondre dans une dispute publique. Josèphe, historien et général juif, qui naquit à Jérusalem l'année même de la mort d'Étienne, ou une année après, nous dit qu'il existait alors dans la ville sainte quatre cent quatre-vingts synagogues ou congrégations distinctes, et que les Juifs de chaque contrée y avaient la leur. Celle des affranchis réunissait, pense-t-on, les Juifs de Rome qui, après avoir été esclaves, avaient recouvré leur liberté; celle des Cyrénéens, les Juifs habitant les côtes de l'Afrique connues sous le nom de Cyrénaïque; quant à la Cilicie et à l'Asie, c'étaient deux provinces de l'Asie Mineure. La première avait Tarse pour capitale, ville encore assez considérable maintenant, et près de laquelle Alexandre le Grand faillit périr en se baignant dans le Cydnus. Là était né, quinze ans peut-être après Jésus-Christ, un homme dont les conquêtes ont été plus étendues et plus durables que celle du bouc de Javan, je veux dire ce disciple de Gamaliel, jeune pharisien fort rigide, dont nous aurons beaucoup à parler dans la suite, et qui va paraître sur la scène pour y jouer d'abord un rôle bien odieux. 11 se trouvait apparemment parmi les hellénistes qui disputaient avec Étienne et qui, «ne pouvant résister à la sagesse et à l'Esprit par lequel il parlait» (Luc 21: 15), ameutèrent le peuple contre lui et le traînèrent devant le conseil, l'accusant d'avoir mal parlé du temple et de la loi. Ils avaient avec eux des témoins menteurs: c'était tout comme dans le procès intenté contre Jésus-Christ.

3692. (15; 7: 1.) On ne saurait douter qu'Étienne n'eût en effet parlé des institutions judaïques d'une manière qui avait d'autant plus offensé les oreilles, que c’était probablement un sujet dont les apôtres évitaient d'entretenir leurs auditeurs. Ils savaient bien que le temple devait être détruit, et que par conséquent le culte lévitique aurait une fin; mais, soit que leur cœur israélite n'aimât pas à s'arrêter sur cette pensée, soit que le Saint-Esprit la retint au fond de leur âme, afin qu'au moment voulu elle se fit jour par l'organe des hellénistes, il paraît qu'Étienne fut le premier à expliquer nettement le plan de Dieu sur ce point de majeure importance. Mais qu'il l'eût fait en termes blasphématoires, c'est ce qui était impossible. Rien qu'à le regarder, on aurait pu s'en convaincre; car ceux qui étaient dans le conseil ayant arrêté les yeux sur lui, virent son visage comme un visage d'ange. Au milieu de cette cohue, de ce mouvement, de ces passions agitées, on lisait sur ses traits tant de calme et de sérénité, tant de dignité et de douceur, une si parfaite innocence, une telle effusion de l'Esprit-Saint, qu'ils semblaient ne pas être ceux d'un homme. C'était presque comme Moïse redescendant de la sainte montagne (851).

3693. (7: 2-54.) Interrogé par le souverain sacrificateur (encore le malheureux Caïphe, à ce qu'on croit), Étienne prononça un discours qui, bien que le plus long de ceux que nous a conservés le livre des Actes, demeura cependant inachevé. Cette circonstance explique l'obscurité qui reste dans l'esprit, après avoir lu la portion de sa défense que ses ennemis consentirent à entendre. On ne voit pas bien où il en voulait venir, ni par conséquent l'utilité des développements dans lesquels il entra. Rappelons-nous toutefois de quoi il était accusé, et nous parviendrons à pénétrer sa pensée. Il devait s'être montré Juif apostat, en blasphémant contre le temple et contre la loi. Pour détruire cette fausse inculpation, il fait un résumé de l'histoire de la nation d'Israël, en homme non seulement qui s'honore d'appartenir à ce peuple, mais encore qui croit fermement que c'est l'Éternel lui-même qui avait appelé Abraham au pays de Canaan et Jacob en Égypte, qui avait délivré les fils d'Israël par le ministère de Moïse, ordonné l'érection du tabernacle dans le désert et confié plus tard à Salomon le soin de lui bâtir un temple. Comment penser qu'un homme qui parle ainsi ait pu blasphémer contre le temple et contre la loi!

3694. Puis, ce qu'Étienne avait pu dire sans blasphème et ce qu'il confirme, bien qu'en touchant la chose indirectement, c'est qu'avant le temple il y avait eu simplement une tente, et, avant la tente du désert, un Abraham, un Isaac, un Jacob, un Joseph, qui avaient adoré Dieu, qui avaient cru en ses promesses et s'étaient endormis dans sa paix, sans avoir eu ni le temple, ni le culte lévitique; c'est que le peuple de Dieu, par conséquent, pouvait de nouveau se voir sans temple et sous une autre loi que celle de Moïse. Ce qu'Étienne dit encore, et qu'il n'avait peut-être jamais exprimé d'une manière si forte, parce que l'occasion ne s'en était pas aussi clairement présentée, c'est que de tout temps le gros de la nation s'était montré hostile à l'Éternel et rebelle à sa voix. Ainsi les frères de Joseph, ainsi les Israélites en Égypte et dans le désert, ainsi encore les contemporains des prophètes qui annoncèrent le Messie. Or, les Juifs du temps d'Étienne, en crucifiant Jésus-Christ, en persécutant ses apôtres, en menaçant du regard celui qui, de sa part, leur adressait la parole à cette heure, manifestaient la même incrédulité et la même opposition au Saint-Esprit, que leurs pères, dans les plus mauvaises époques Voilà ce qu'ils appelaient blasphémer, et voilà ce qu'Étienne était à leur dire, lorsqu'il fut arrêté par les frémissements de leur rage et par leurs grincements de dents.

3695. (85-60.) À cet instant, le dernier qu'Étienne devait passer sur la terre, le Seigneur voulut réjouir le cœur de son disciple en se faisant voir à lui par une extase, effet de la puissance du Saint-Esprit. Étienne vit Jésus, le Fils de l'homme, Jésus dans cette chair qui souffrit pour nos péchés et en laquelle il habite le ciel jusqu'au rétablissement de toutes choses (3: 21); et l'heureux martyr dit à haute voix ce qu'il contemplait et adorait. Mais ceux qui étaient là crièrent plus fort, afin qu'on ne l'entendît pas; ils se bouchèrent les oreilles; puis, se précipitant tous ensemble, ils l'entraînèrent tumultueusement hors de la ville, et, sans autres, ils le lapidèrent. Les témoins, aux termes de la loi (Deut. 17: 7), jetèrent les premiers cailloux, tandis qu'un jeune homme, nommé Saul ou plutôt Saul, le disciple de Gamaliel, gardait leurs manteaux. Quant à Étienne, il avait eu le temps de prononcer cette courte et belle prière: «Seigneur Jésus, reçois mon esprit;» puis, continuant de regarder à Jésus (pour lui Dieu aussi bien qu'homme), il se mit à genoux tandis que les pierres pleuvaient sur sa tête. Il put encore crier à haute voix: «Seigneur, ne leur impute pas ce péché!» Ayant dit cela, il s'endormit sous le tas de pierres dont son corps fut bientôt recouvert.

3696. Telle fut la mort du premier martyr. Ce mot signifie témoin, et vous venez de voir, en effet, comment Étienne rendit témoignage à Jésus-Christ jusqu'à son dernier soupir, comment sa mort aussi rendit témoignage à la sincérité parfaite de sa foi et à la vérité de ses enseignements. «Il s'endormit;» car pour une âme ainsi préparée, la mort n'est pas autre chose qu'un doux et paisible repos dans le sein du Seigneur. Il s'endormit, après avoir proclamé la gloire de Jésus, Fils de l'homme, et en l'invoquant comme son Sauveur et son Dieu. Il s'endormit, le cœur plein d'amour et de compassion pour les malheureux qui le lapidaient! Rien de plus semblable à la mort de Jésus que celle d'Étienne, par la simple raison que l'Esprit de Christ habitait en lui. Et quel contraste avec la terrible fin de celui qui fut quelque temps au nombre des apôtres et qui n'y fut que pour trahir son Maître! C'est que Judas n'avait qu'une foi morte, et que celle d'Étienne était réelle et vivante par le Saint-Esprit. Comment ne pas dire après cela: «Que mon âme meure de la mort des justes et que ma fin soit semblable à la leur!» (Nombr. 23: 10.)

3697. Ce fut donc l'an 36 ou l'an 37, qu'eut lieu l'événement mémorable qui vient de nous occuper, environ trois ou quatre ans après la mort de notre Seigneur. Or, ce fut en ce même temps, selon Josèphe, que Caïphe et Pilate se virent, l'un et l'autre, déposés de leur office par le pouvoir romain; non sans doute pour les punir du mal qu'ils avaient fait à Jésus et à ses disciples, mais à cause de leurs nombreuses malversations. Toujours est-il que ce dut être pour l'Église de Jérusalem une occasion solennelle d'adorer les voies de la Providence. Ces deux hommes, qui étaient entrés la même année, l'un dans la souveraine sacrificature, l'autre dans le gouvernement de la Judée, tombèrent ensemble, lorsque le sang de Christ venait, pour ainsi dire, de couler une seconde fois. Ce n'est pas que Pilate eût concouru à ce dernier crime. Le conseil des Juifs n'avait pas eu besoin de son appui: il n'avait fait qu'user de l'autorité qui lui avait été laissée en matière religieuse [3497], et nous allons voir à quels excès il en porta l'exercice.


CCLXXVIII. — Grande persécution; l'Évangile prêché dans la Samarie; baptême de l'Éthiopien.


3698. (8:1, 2.) Saul (ou Saul), ce jeune homme qui avait recueilli les manteaux des témoins, pendant qu'ils jetaient les premières pierres contre Étienne, avait assez prouvé par là qu'il consentait à ce forfait, et l'on peut bien supposer que, dans cette disposition d'esprit, il ne craignit pas de lever la main contre la victime. Zélé pharisien, il commençait, avec toute sa secte, à partager la haine violente des sadducéens contre les prédicateurs de l'Évangile. J'ai dit ailleurs [3663] ce qui avait pu, jusque-là, leur rendre le pharisaïsme moins hostile; mais maintenant que les pharisiens commençaient à voir où conduisait la nouvelle doctrine et à le comprendre plus nettement peut-être que beaucoup de disciples, car l'intérêt rend clairvoyant, ils jurèrent la perte de gens qui, quelques ménagements qu'ils y missent, ne pouvaient réussir sans modifier profondément le judaïsme, ou plutôt sans le mettre à néant. Aussi y eut-il, à cette époque, une persécution générale dont les précédentes n'avaient pu donner qu'une faible idée. Les disciples se virent obligés de quitter Jérusalem, ville trempée du sang de tant de prophètes (Luc 13: 34); mais par une admirable direction de Dieu, les apôtres furent épargnés.

3699. En examinant attentivement les termes du récit, il semblerait que, le jour même du martyre d'Étienne, la population incrédule et formaliste de Jérusalem se jeta sur les disciples, les poursuivant partout, et que ces derniers, pour la plupart, ne purent que, par une prompte fuite, se soustraire aux violences de la populace. Mais, tandis que le grand nombre s'enfuyait dans les contrées voisines, les apôtres demeuraient à Jérusalem, cachés çà et là et se confiant en la protection du Seigneur. À cela près, la dispersion fut si complète, ce premier jour, qu'il n'y eut personne pour enterrer Étienne, si ce n'est quelques hommes pieux d'entre les Juifs non convertis; mais telle était la vénération qu'avait inspirée le saint martyr, et aussi l'impression laissée par ses derniers moments, que ces hommes mêmes honorèrent de leurs larmes son tombeau. 

3700. (3.) Cependant plusieurs disciples, hommes et femmes, avaient imité les apôtres, et parmi ceux qui s'étaient échappés de la ville au premier instant, beaucoup y rentrèrent peu après, s'offrant ainsi à la haine de leurs ennemis; car l'élan de la persécution avait été si fort, qu'elle ne pouvait s'arrêter de sitôt. Or, soit que Saul se fit remarquer dans l'accomplissement de cette œuvre d'iniquité, soit que l'historien sacré ait cru devoir le mentionner spécialement à raison du rôle qu'il joua plus tard, nous lisons ici les violences auxquelles ce malheureux jeune homme se laissait aller. Il avait pourtant entendu les paroles d'Étienne, mais son cœur n'était pas en état de les comprendre. Il n'y avait vu que de nouveaux blasphèmes; et, dévot à sa manière, ces blasphèmes l'avaient fait frémir d'horreur; car Saul n'était pas un incrédule, et en lui se réalisait une des prophéties les plus remarquables de notre Seigneur (Jean 16: 2). L'Église aussi tout entière put se convaincre alors que Jésus-Christ est bien venu, comme il le disait, apporter l'épée et le feu sur la terre. L'événement que nous avons sous les yeux est donc d'une haute importance, puisqu'il est à la fois l'accomplissement des prophéties de notre Sauveur sur les destinées de son Église, et le premier pas que fit celle-ci dans la carrière de souffrance qu'elle doit traverser d'âge en âge, avant de partager la gloire de son Rédempteur.

3701. (4.) Cet événement est encore important sous un autre point de vue; car ce fut la persécution dont le meurtre d'Étienne donna le signal, qui fit sortir de Jérusalem la prédication de l'Évangile. Ici, l'on ne saurait trop admirer la sagesse du Seigneur. Jérusalem était à une foule d'égards le sol le plus défavorable aux semailles évangéliques. Rappelez-vous la manière dont Jésus y fut reçu chaque fois qu'il s'y rendit; représentez-vous l'influence qu'y exerçaient les hommes sous les coups desquels il tomba! Il fallait certainement un grand miracle pour que l'Église pût s'y établir et y prospérer, mais, d'un autre côté, nulle part les apôtres ne pouvaient se trouver au sein d'une population plus nombreuse et plus variée, à raison des pèlerinages que les Israélites de tous les pays y faisaient sans interruption. Quelques-uns pensent que si, à l'époque de la mort d'Étienne, les apôtres étaient tous encore dans cette ville, cela venait d'un attachement excessif à leurs idées juives et d'une certaine répugnance à s'éloigner de la ville sainte dans laquelle ils auraient voulu concentrer tout le mouvement dont ils étaient les organes. La chose n'est pas impossible, car ces hommes avaient aussi leurs infirmités; mais je me persuade que cela même entrait dans les plans de la sagesse éternelle. Avant que l'arbre jetât au loin ses semences, Dieu voulut qu'il creusât de ses racines et couvrît de ses branches le sol qui l'avait vu naître et qu'avait arrosé le sang du Seigneur. En tout cas, ce ne pouvait être que momentané, et, ce qui n'est pas moins admirable, c'est de voir la persécution qui naquit de cet ordre de choses, amener, selon les intentions du Seigneur, un ordre de choses tout nouveau. Les apôtres demeurent à Jérusalem, afin que le terrain ne soit pas reconquis par le pharisaïsme et le sadducéisme, mais pendant ce temps, les frères vont de lieu en lieu annonçant la bonne nouvelle du salut. Ainsi se formera bientôt un peuple chrétien, sans mélange de judaïsme. Il n'y a pas de fait d'ailleurs qui se soit plus souvent reproduit. Si la persécution est parvenue quelquefois à détruire en certains lieux la vérité, le plus souvent elle a eu pour résultat de l'y affermir, tout en fournissant à d'autres contrées des messagers de la bonne nouvelle. C'est l'histoire, par exemple, des Églises si florissantes des États-Unis d'Amérique.

3702. (5-8.) Parmi ceux que le Seigneur envoya de cette manière annoncer l'Évangile se trouvait Philippe, non l'apôtre, mais un collègue d'Étienne. Il prêchait le Christ, et accompagnait sa prédication de nombreux miracles. Or, il plut au Seigneur de bénir ses travaux au-delà de ce qu'il espérait peut-être lui-même. La population entière d'une ville de la Samarie, entraînée par ce qu'elle voyait et entendait, s'attacha dès ce moment à Philippe, c'est-à-dire à sa doctrine, et ce fut l'occasion d'une grande joie. Ces pauvres Samaritains, si dégradés et encore plus méprisés! Quel bonheur d'apprendre que, si le Fils du Très-Haut avait subi la mort et repris la vie, c'était aussi pour eux, misérables excommuniés auxquels l'accès de Jérusalem était interdit, et qui voyaient arriver à eux, comme de soi-même, ce qu'ils ne seraient jamais allés chercher! Quelle grâce et quel privilège, car ils étaient des derniers, et les voilà parmi les premiers (Luc 13: 30).

3703. (9-13.) Au moment où Philippe arriva dans cette ville, un homme du nom de Simon, y exerçait une influence pernicieuse, en pratiquant avec un triste succès les arts magiques. C'est une grande question que celle de la magie. Les ignorants veulent en voir partout, et pour d'autres elle n'est qu'une chimère, fruit de l'imposture et de la cupidité. Mais en présence de témoignages historiques irrécusables, en présence surtout des déclarations de l'Écriture, il semble impossible qu'il ne se soit passé jadis, à cet égard, des choses très extraordinaires et très réelles. Du reste, réels ou imaginaires, ces arts magiques ayant toujours pour effet de retenir les hommes dans le mal, on ne saurait y voir autre chose que l'action du prince des ténèbres. Simon, le Samaritain, était donc au milieu de ses concitoyens un vrai suppôt de Satan, le fauteur de la superstition et de l'impiété; car on allait jusqu'à dire de lui, comme s'il eût été le Messie: «Celui-ci est la grande puissance de Dieu.» Mais quand les Samaritains eurent reçu dans leur cœur la bonne nouvelle du royaume des cieux, les choses changèrent tellement de face que Simon lui-même «crut, c'est-à-dire qu'il embrassa la doctrine prêchée par Philippe; puis, il ne quittait pas le messager du Seigneur, tant il était étonné des miracles que Philippe opérait, miracles si différents de ses sortilèges.

3704. (14-17.) Les apôtres de Jérusalem ayant appris les merveilles de la grâce de Dieu dont la Samarie était l'objet, y envoyèrent Pierre et Jean, ces deux disciples qui marchaient toujours ensemble, depuis qu'ensemble ils avaient, les premiers, visité le sépulcre de leur Maître, après s'être rencontrés aussi, dans la cour de Caïphe, le matin du grand jour. Ils trouvèrent les choses comme on les leur avait dites. Beaucoup de Samaritains avaient embrassé la foi et reçu le baptême; mais ce qui accompagnait ordinairement à cette époque la conversion des âmes, une effusion de dons miraculeux, ne s'était pas encore manifesté parmi ces nouveaux frères. C'est bien de dons miraculeux qu'il s'agit dans notre texte; car la prédication de Philippe n'aurait pas obtenu de si beaux succès, si le Saint-Esprit avec ses dons ordinaires n'eût été répandu sur ses auditeurs, comme sur lui. Puis, en recevant la Parole de Dieu. Les Samaritains avaient certainement reçu l'Esprit qui agit par le moyen de cette Parole; mais ce qui leur manquait, je le répète, c'était le sceau extraordinaire que le Saint-Esprit mettait alors à son œuvre, selon la promesse du Seigneur (Marc 16: 17. 18).

3705. Ne pensez pas, après cela, que les apôtres pussent, à volonté, communiquer par l'imposition des mains les dons miraculeux. Ce n'est pas à ce point que le Seigneur les avait faits dépositaires de son pouvoir. D'abord, il fallait que ceux à qui ils imposaient les mains eussent été préparés par la prédication de la Parole et par la foi en cette Parole. Puis, vous voyez Pierre et Jean prier pour les Samaritains, afin qu'ils reçussent les dons de l'Esprit. Ce fut donc le Seigneur lui-même qui, en réponse à leurs prières (Jean 15: 7,16) et par l'imposition de leurs mains, répandit sa grâce sur ces nouveaux disciples, de même qu'il l'avait répandue sur les apôtres. Quand on a voulu voir dans ce fait la confirmation épiscopale, c'est-à-dire la cérémonie par laquelle, dans certaines Églises, les évêques ou de simples pasteurs font confirmer à des jeunes gens ce qu'on appelle le vœu de leur baptême, on oublie trois choses qui font ici une différence infinie: premièrement, que la plupart de ces Samaritains étaient sans aucun doute vraiment convertis; secondement, que l'imposition des mains des apôtres fut suivie de dons miraculeux; enfin, que les apôtres exercèrent à plusieurs égards et à celui-ci en particulier, un ministère spécial qui ne pouvait, ni ne devait se perpétuer.

3706. (18-23.) Simon, que les miracles de Philippe avaient rempli d'étonnement, fut tout hors de lui, en voyant les effets produits par les prières et par l'imposition des mains des apôtres. Je dis par les prières des apôtres, et peut-être ne prit-il pas garde à cette circonstance. Il pénétra si peu le fond de ce mystère, qu'il commit l'erreur de penser que les apôtres disposaient du Saint-Esprit quand et comme ils le voulaient. Persuadé sans doute que sa fortune serait faite s'il pouvait acheter et vendre à son tour une telle puissance, il offrit aux apôtres de l'argent pour qu'ils lui donnassent un pouvoir égal au leur. Le péché d'avarice, de trafic et de profanation dont Simon se rendit coupable, s'est dès lors appelé de son nom, une simonie. Il y a simonie à mettre aux choses saintes un prix vénal, comme ne le fait que trop l'Église romaine et, dans une certaine mesure, d'autres Églises bien plus respectables d'ailleurs; il y a simonie, plus ou moins, chez tous ceux qui voient les charges ecclésiastiques sous leur côté lucratif, comme en général chez quiconque fait de la piété un moyen de gagner de l'argent. Or, en relisant la sévère apostrophe par laquelle Pierre repoussa l'odieuse proposition de Simon, vous sentirez combien est affreux le péché dont se rendent coupables les simoniaques, grands ou petits. Il parle même comme s'il n'était guère possible que ce péché-là fût pardonné: c'est que, effectivement, porté à un certain point, il met un obstacle presque insurmontable à la conversion et devient facilement le péché contre le Saint-Esprit.

3707. (24.) Et pourtant, ce malheureux Simon était du nombre de ceux qui avaient cru et qui avaient été baptisés (13); à ce moment même, nous l'entendons supplier les apôtres de prier afin qu'il fût préservé de la malédiction dénoncée par eux! Conclurons-nous de là que sa faute fut une erreur momentanée, une de ces chutes possibles aux fidèles et dont la grâce de Dieu sait les relever? On voudrait le penser; mais quand on considère que le mot «croire» signifie si souvent, et suivant les cas, faire une simple profession de la foi; quand on sait que beaucoup de gens qui se recommandent aux prières d'autrui, le font pour se dispenser de prier eux-mêmes, on n'est pas loin d'admettre la vérité de la tradition d'après laquelle Simon serait bientôt retourné à son premier train et à ses pratiques superstitieuses, nouvel exemple des impuretés qui souillèrent de si bonne heure l'Église de Jésus-Christ. Quant à Pierre, dont le nom primitif était Simon, vous vous le rappelez, quel sérieux retour il put faire sur lui-même comme il dut sentir plus que jamais la grâce que le Seigneur lui avait accordée, lors de son reniement, en le relevant d'un péché non moins grave que la simonie.

3708. (25.) Que de souvenirs encore dut retracer à Pierre et à Jean cette Samarie qu'ils avaient traversée plus d'une fois avec leur cher Maître. C'était là que, six ans auparavant, ils avaient vu, dans la conversion des Sichariotes, les prémices de leur moisson actuelle, moisson que Philippe et les autres fugitifs avaient semée (Jean 4: 37, 38); c'était aussi là que, peu de mois avant la mort du Sauveur, une bourgade tout entière leur ayant refusé l'hospitalité, Jean et son frère auraient voulu que Jésus fit descendre la foudre sur elle. Bien changés en leur cœur, avec quelle joie ne durent-ils pas voir les effets de la grâce de Dieu en ces contrées et concourir par leurs prédications à les gagner au Sauveur! C'est ainsi qu'ils faisaient descendre sur elles le feu du ciel; mais non le feu qui consume [3204]. Après donc qu'ils eurent ajouté leur témoignage à celui de Philippe et de ses compagnons d'œuvre, annonçant la bonne nouvelle en beaucoup de bourgades des Samaritains, ils retournèrent à Jérusalem.

3709. (26-31.) Philippe, cependant, continuait sa tournée d'évangélisation, et tandis qu'il ne songeait qu'à ses chers Samaritains, le Seigneur, de son côté, s'occupait, en ses grandes miséricordes, d'un homme, selon toute apparence encore plus étranger à la famille d'Abraham. C'était un Éthiopien, officier du palais et puissant seigneur de la reine Candace. Cet homme, entre les mains duquel Dieu avait fait tomber les livres de l'Ancien Testament [2569], y avait appris à connaître l'Éternel, et il avait voulu l'adorer dans la sainte ville de Jérusalem. Il était arrivé au fort de la persécution. Cette circonstance même avait dû le rendre attentif à tout ce qui se disait des Nazaréens et de leurs prétentions relativement au Christ promis par les prophètes. Mais, à ce moment, les disciples ne se réunissaient plus dans le temple, et leurs assemblées particulières, plus ou moins secrètes, ne furent pas de facile accès pour l'Éthiopien. Il repartait donc sans avoir pu s'éclairer; mais il ne lisait qu'avec d'autant plus d'intérêt les anciens oracles de l'Éternel, et, poussé par l'Esprit de vérité, il cherchait le Christ de tout son cœur; or nous savons que celui qui cherche, trouve. En effet, un ange du Seigneur dit à Philippe de se rendre sur le chemin où cet homme devait passer.

3710. Deux routes, encore aujourd'hui, conduisent de Jérusalem à Gaza, et l'une des deux traverse une contrée assez déserte. Ce fut sur cette route, la moins fréquentée, que Philippe dut aller, sans savoir encore pourquoi. Mais bientôt il vit venir à lui un homme qui, assis sur son char, lisait avec une profonde attention. C'était le livre du prophète Ésaïe que l'eunuque tenait en sa main, et il en était au chapitre 53. Alors, et sans que nous sachions de quelle manière, le Saint-Esprit dit à Philippe de s'approcher de ce char, ce qu'il fit avec le plus grand empressement, et, entrant tout de suite en matière: «Comprends-tu ce que tu lis? s dit-il à l'Ethiopien.

3711. Mes lecteurs peuvent savoir maintenant par expérience que, si la Bible présente des difficultés, comme tout livre ancien, comme tout livre écrit primitivement dans une langue fort différente de la notre, comme tout livre enfin qui traite des choses profondes de Dieu et de l'avenir, tant s'en faut cependant qu'il n'y ait en elle que mystères et obscurités. Toujours est-il que nous la comprenons difficilement, si quelqu'un ne nous l'explique. Or, le Saint-Esprit est, au fond, le seul interprète de la Parole qu'il a dictée aux prophètes et aux apôtres; mais si le Saint-Esprit exerce sur nos sentiments une action immédiate qu'on ne saurait contester, et si par le cœur il agit sur l'intelligence, il n'en est pas moins vrai que, pour nous donner la compréhension des Écritures, il emploie des moyens en rapport avec la nature des choses. D'abord, l'Écriture s'explique elle-même, un prophète aidant à entendre un autre prophète, le Nouveau Testament donnant la clef de l'Ancien, et l'Ancien Testament facilitant la lecture du Nouveau. Puis, de tout temps, le Seigneur a eu dans son Église des docteurs qui, unissant la foi à la science (il faut ces deux conditions), ont jeté par leurs travaux un grand jour sur les Écritures. Ce sont eux et leurs livres, mes chers lecteurs, qui m'ont aidé dans mon travail; ils ont été mes Philippes; et si, de mon côté, Dieu me fait la grâce d'être pour quelques-uns de vous un guide utile dans l'étude de la Bible, je serai pour eux ce que Philippe fut pour l'Éthiopien. Mais Philippe n'est pas le Seigneur, lequel envoie aux âmes ceux qui peuvent leur être utiles, ni le Saint-Esprit, qui leur ouvre le cœur et y fait pénétrer la vérité.

3712. (32-35.) Représentez-vous donc ces deux hommes, le riche Éthiopien et l'obscur Israélite, assis côte à côte dans un chariot découvert, au milieu d'une route silencieuse, les gens de l'étranger marchant sans doute à pied, devant lui. Ils ont un rouleau de parchemin déployé sur les genoux (c'était moins commode que nos livres), et ils lisent ensemble ce même prophète Ésaïe que vous avez dû lire avec tant d'intérêt, et, je l'espère, avec quelque bénédiction pour vos âmes. L'Éthiopien savait le grec assurément, et il avait entre les mains la traduction qui avait été faite des Écritures en cette langue. Il y cherchait des lumières sur le point qui préoccupait alors tant de gens. Si Jésus de Nazareth est le Messie, il faut que ses souffrances, aussi bien que sa gloire, aient été prédites, et l'eunuque voulait s'en assurer. Or, voyez comme il était bien conduit par le Seigneur, car il lisait justement une des prophéties les plus explicites sous ce double aspect. Aussi ne fut-il pas difficile à Philippe de partir de là pour lui annoncer tout ce qui concernait le Seigneur, savoir la bonne nouvelle de sa mort et de sa résurrection, source et gage de notre salut.

3713. (36-39.) Des voyageurs chrétiens ont récemment retrouvé sur la route qui conduit de Jérusalem à Gaza par le désert, une eau courante qui est très probablement celle près de laquelle l'eunuque et Philippe arrivèrent à cet instant, et où ils s'arrêtèrent sous quelque ombrage, peut-être, pour achever leur entretien. Mais une eau plus pure encore et plus salutaire avait rafraîchi l'âme de cet étranger. Le Saint-Esprit, qui avait mis en lui le désir de connaître la vérité; le Saint-Esprit, qui avait poussé Philippe près de lui; le Saint-Esprit, qui lui avait fait ouvrir le livre d'Ésaïe et qui avait jadis inspiré ce prophète, le Saint-Esprit lui donna les choses qui sont à Jésus-Christ et glorifia le Sauveur dans ce pécheur engendré de nouveau (Jean 3: 5, 6; 16: 14). C'est de tout son cœur qu'il croit que Jésus-Christ est le Fils de Dieu et de tout son cœur qu'il manifeste le désir d'être baptisé. En conséquence, Philippe n'hésite pas à descendre dans l'eau avec lui et à mettre sur sa foi le divin sceau du baptême. Or tel était le bonheur de cet homme que, privé tout aussitôt de son docteur, du seul frère qu'il se connût, il ne laissa pas de continuer son chemin plein de joie. N'avait-il pas en effet ce qui console de toutes les peines de la vie: l'assurance de sa réconciliation avec l'Éternel; et, à défaut du docteur qui lui était enlevé, ne possédait-il pas, par la grâce du Saint-Esprit, l'intelligence de la Parole de Dieu?

3714. (30.) L'officier de la reine Candace, de retour en Abyssinie (pays que les anciens renfermaient, avec la Nubie, sous le nom plus général d'Éthiopie), s'y montra, dit-on, zélé propagateur de la foi; car bien que, trois siècles après, des missionnaires aient trouvé ces contrées dans les ténèbres de l'idolâtrie, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'une Église chrétienne n'ait pu y exister auparavant. Quant à Philippe, transporté miraculeusement par la puissance du Saint-Esprit, il se trouva dans Azot ou Asdod, ancienne ville des Philistins, sur les bords de la Méditerranée, à dix lieues environ de Gaza. De là il se rendit à Césarée, non la Césarée que nous avons vue ailleurs [3089], mais une Césarée qui, située sur la mer, au nord d'Azot et à vingt-cinq lieues environ de Jérusalem, s'appelait autrefois la Tour de Straton. Pendant tout ce voyage, Philippe ne cessa de prêcher l'Évangile, et nous aurons bientôt la preuve que ce ne fut pas sans succès.


CCLXXIX. — Conversion de Saul; commencement de son apostolat et de ses souffrances (Évangile de Matthieu).


3715. (9:1, 2.) Ici commence, à proprement parler, l'histoire de l'un des plus illustres serviteurs de Dieu. Au moment du supplice d'Étienne, époque où il en est fait mention pour la première fois, il était jeune encore, ce qui, dans le langage des Juifs, veut dire qu'il pouvait avoir à peine trente ans. Deux années au moins s'étaient écoulées dès lors. Sa haine pour l'Évangile, loin de s'épuiser, semblait plutôt s'accroître par les persécutions mêmes auxquelles il avait donné les mains dans la ville de Jérusalem, et il cherchait partout de nouvelles victimes. Damas, l'ancienne capitale du royaume de Syrie, ville toujours florissante, comptait parmi ses habitants un grand nombre de Juifs. Ils s'y étaient fixés dès le temps de la première captivité et même auparavant (2 Chron. 28: 5), en sorte qu'il y existait plusieurs synagogues. Bien que l'Évangile n'y eût point encore été porté par les apôtres, il y était néanmoins parvenu, grâce aux relations fréquentes que les Israélites de tous les pays entretenaient avec la ville qu'illustrait et sanctifiait le temple de l'Éternel. C'est ce dont les pharisiens avaient eu vent, et Saul, poussé par son horrible zèle, sollicita du souverain sacrificateur des pouvoirs contre les Juifs de Damas qui avaient pris «ce chemin,» comme porte le texte sacré, parce qu'eu effet la foi en Jésus est, aussi bien que Jésus-Christ lui-même, le chemin de la vie éternelle (Jean 14: 6). Saul se proposait de ne ménager personne. Hommes et femmes, tous devaient sentir sa colère, et ses ordres étaient de les amener liés à Jérusalem. Le Sanhédrin, ce même corps qui avait condamné Jésus, étendait, en matière religieuse, sa juridiction sur les Israélites dispersés en tous lieux, prérogative que les conquérants lui avaient constamment accordée.

3716. (3-5.) Mais tandis que Saul marchait du côté de Damas, le cœur plein de sinistres projets contre le Seigneur, dans la personne de ses disciples (Luc 10: 16), le Seigneur, de son côté, se disposait à faire de lui le plus admirable monument de sa miséricorde. Le pharisien n'était plus qu'à une faible distance de la ville, lorsqu'une lumière éclatante, venant du ciel, resplendit autour de lui. Renversé comme par un coup de foudre, il entendit une voix qui, lui donnant son nom hébreu, ce nom qui rappelait celui du persécuteur de David, père et type du Messie, lui dit: «Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu?» C'était le Seigneur lui-même qui s'adressait à la conscience de Saul, et Saul ne put s'y méprendre; car, lorsque, se débattant sous la main puissante qui le retenait contre terre, il s'écria: «Qui es-tu Seigneur?» il eut pour réponse cette parole: «Je suis Jésus que tu persécutes.» Jésus était donc réellement ressuscité comme le disaient ses disciples; ce Jésus qu'on croyait mort était vivant à n'en pouvoir douter, et Saul a maintenant la plus entière démonstration que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu! Mais la démonstration de la vérité ne suffit pas pour convertir une âme: il faut la préparation du Saint-Esprit. Cette préparation ne manquait pas au persécuteur des disciples de Jésus. Bien que Saul eût agi jusqu'à ce jour dans la sincérité de son zèle pharisaïque, et c'est par là qu'il différait de tant d'hypocrites qui, durant la vie de Jésus, avaient blasphémé contre le Saint-Esprit, il paraît cependant qu'il était quelquefois tourmenté par des doutes sur l'innocence de sa conduite. N'oublions pas qu'il avait été témoin de la mort d'Étienne, qu'il avait vu le visage d'ange du saint martyr, qu'il avait pu entendre son admirable prière, qu'il avait assisté au culte solennel rendu à Jésus par ses lèvres expirantes. Si tout cela put, au premier instant, lui paraître de nouveaux blasphèmes et l'exciter d'autant plus contre les disciples, il était impossible que ce spectacle ne se fût pas représenté à lui sous un aspect différent, et il pressait sur son âme comme «un aiguillon» qui le faisait souffrir, à proportion même de son obstination dans la mauvaise voie. Aussi, quand le Seigneur le sollicita de ne pas résister davantage, Saul se dégagea de cette terrible lutte, en disant: «Seigneur, que veux-tu que je fasse?»

3717. (8-9.) Nous retrouvons ici ce qui fut toujours le signe d'un vrai retour à Dieu: une sainte frayeur des dangers que fait courir l'incrédulité, et la ferme résolution d'entrer dans une voie nouvelle. Or, le Seigneur voulant tout à la fois laisser Saul quelque temps à ses réflexions et le mettre en rapport avec les disciples, ne jugea pas à propos de lui révéler dès ce premier moment toute sa volonté. S'il lui fit entendre quelques paroles qui ne sont pas racontées ici, mais que nous retrouverons ailleurs, il le renvoya surtout à ce qui lui serait dit, de sa part, dans la ville. En attendant, Saul fut frappé de cécité, symbole de l'aveuglement où il avait vécu jusque-là, et ceux qui l'accompagnaient le prirent par la main et le conduisirent à Damas, dont une faible distance les séparait sans doute. Quant à eux, ils avaient confusément entendu une voix, mais ils n'avaient pas vu de qui elle partait, ni entendu les paroles qu'elle avait prononcées. Trois jours se passèrent durant lesquels Saul demeura dans cet état, et tellement absorbé par ses pensées, comme peut-être par les révélations intérieures du Seigneur, qu'il ne mangea ni ne but pendant ce temps. Selon quelques-uns, cela signifierait simplement qu'il ne fit point de repas proprement dits; mais on sait que les abstinences prolongées ne sont pas rares dans les pays orientaux, et après ce qui s'était passé, on comprend ce long jeûne du nouveau converti.

3718. (10-16.) Cependant, le Seigneur n'oubliait pas la promesse qu'il avait faite à Saul. Se révélant personnellement à un disciple de Damas nommé Ananias, il lui donna l'ordre de se transporter auprès de Saul, et de lui rendre la vue en posant la main sur lui. Bien que le Seigneur désignât Saul par cette expression très générale: «un nommé Saul de Tarse,» il savait bien qu'Ananias comprendrait tout de suite de qui il s'agissait; aussi se hâte-t-il d'ajouter ces mots, propres à le rassurer: «Car voici, il prie.» Ah! certes, Saul avait souvent prié, mais de la prière du pharisien [3280]; aujourd'hui seulement commençait pour lui la véritable prière du péager. Combien cette bonne nouvelle n'aurait-elle pas dû réjouir le cœur pieux d'Ananias? Quel bonheur encore d'apprendre que Saul l'attendait, lui, Ananias, lui-même, ensuite d'une vision dont Saul aussi avait été favorisé; car tout se combine dans le conseil et dans les mains de Dieu pour l'accomplissement de sa grâce envers ses élus: il prépare à Saul un Ananias, et en même temps qu'il dit à Ananias d'aller auprès de Saul, il avertit Saul de la visite d'Ananias. Mais, bien que celui-ci eût répondu comme le père des croyants (Gen. 22: 1), il hésitait à faire ce qui lui était ordonné. Sa frayeur se comprend. Un persécuteur tel que Saul! un homme qui avait ravagé l'Église de Jérusalem et que les nouvelles reçues depuis son départ annonçaient aux frères de Damas comme un lion qui venait se jeter dans leur bergerie! Il fallait une grande foi pour aller à lui et l'aborder en disant: «Saul, mon frère!» Mais bien qu'Ananias hésitât, le Seigneur ne laissa pas de lui parler comme à un croyant; car, pour le décider, il se contenta de lui prophétiser le plan de sa grâce au sujet du persécuteur. Instrument de choix, il prêchera le nom de Jésus-Christ après l'avoir insulté (Luc 12: 10); sa vocation sera surtout de l'annoncer aux nations et à des rois de la terre, mais sans oublier les fils d'Israël; enfin, autant et plus que les autres messagers de la bonne Nouvelle, il aura beaucoup à souffrir pour le nom de Jésus. «Alors Ananias s'en alla et il entra dans la maison.»

3719. (17-19.) On ne sait ce qu'il faut admirer le plus en ce récit, de la grandeur du sujet, ou de la simplicité de la narration. Ananias croit à la parole du Seigneur; il entre auprès de Saul, toujours aveugle; il se fait connaître à lui; il pose les mains sur l'élève de Gamaliel, qu'il appelle son frère, et celui-ci, recevant le Saint-Esprit, recouvre en même temps la vue: il est baptisé, il se met à table, et Ananias ayant probablement rompu le pain au nom de Jésus, Saul se sentit fortifié. Ainsi fut élu, converti, guéri, éclairé et consacré, celui de tous les serviteurs de Dieu auquel le monde a le plus d'obligations. C'est, à coup sûr, une des plus belles œuvres du Tout-Puissant, et il est remarquable, entre autres choses, de voir comment il a voulu que les commencements du grand apôtre Paul fussent parfaitement humbles. Il aurait pu le convertir à Jérusalem et dans les cours du temple, aussi bien que sur le chemin de Damas; le faire baptiser et consacrer par le collège des apôtres et non par un fidèle d'ailleurs inconnu; mais, tandis que de cette manière l'orgueilleux Saul eût été mis promptement en évidence, ce que ne voulait pas le Seigneur, nous allons le voir retenu durant de longs jours à Damas, loin du centre d'activité des principaux prédicateurs de l'Évangile! Il y avait là une grande éducation pour l'âme du pharisien, et le développement que prit ensuite son activité, n'en est que plus remarquable.

3720. (19-22.) Bien que le moment ne fût pas encore venu pour Saul de prendre la place qui lui était réservée au premier rang des apôtres, il ne laissa pas de commencer immédiatement l'exercice de son ministère. Après avoir passé quelques jours dans l'intimité des disciples, il parut au milieu des congrégations des Juifs, prêchant Jésus comme le Christ, le Fils de Dieu; car la divinité du Sauveur lui fut, dès sa conversion, pleinement révélée, et elle dut le frapper plus que les anciens disciples. On conçoit l'étonnement qu'excita ce langage, dans la bouche d'un homme qui avait jusque-là déployé tant de haine contre «ceux qui invoquaient ce nom;» c'est ainsi qu'on désignait les disciples de Jésus, comme nous l'avons vu déjà dans la bouche d'Ananias (14). Il n'est pas dit cependant qu'il se soit fait alors des conversions parmi les Juifs, et pourtant il semble que le miracle de la conversion de Saul aurait dû produire cet effet. Il est vrai que, dans la discussion, il fermait aisément la bouche des adversaires, en racontant ce qui lui était arrivé; mais de ce qu'on n'a plus rien à répondre, il ne s'ensuit pas qu'on soit convaincu: on peut même être convaincu, sans que la vérité ait réellement gagné le cœur. Bien plus, nous apprenons de ce fait à ne pas nous étonner quand nous voyons les âmes résister aux preuves les plus pénétrantes, telles par exemple que le témoignage rendu à la vérité par des hommes qui luttèrent longtemps contre elle.

3721. (23-25.) Ne soyons pas surpris non plus, si, en pareille circonstance, on voit l'animosité des adversaires croître avec le zèle et les triomphes des serviteurs de Dieu. Tout ce qu'il y avait de haine contre ceux qui invoquaient le nom de Jésus, se porta naturellement sur Saul, d'autant plus détesté qu'on avait attendu bien autre chose de lui. Aussi verrons-nous ailleurs qu'après un assez court séjour dans la capitale de la Syrie, il dut se réfugier quelque temps chez les descendants d'Ismaël. De là, il revint à Damas, et, un assez grand nombre de jours après sa conversion, dit l'auteur du livre des Actes (Paul lui-même nous apprendra plus tard que ce fut trois ans après), il dut s'évader furtivement d'une ville où il était venu muni d'un grand pouvoir pour faire le mal, et où il ne pouvait plus faire de bien, tant sa vie était sérieusement menacée par les Juifs. Entré de plein jour à Damas, mais aveugle, Paul en sort au milieu des ténèbres d'une nuit obscure; mais son âme était maintenant éclairée, et nul doute qu'il ne s'estimât heureux, lui aussi, d'avoir quelque chose à souffrir pour son Sauveur.

3722. (26-30.) De Damas, Saul regagna Jérusalem avec l'intention de se joindre aux disciples; mais ceux-ci avaient encore un souvenir très vif de ses violences, et malgré ce qu'ils avaient pu apprendre de sa conversion, ils se refusaient à le reconnaître en qualité de disciple, comme s'il eût été impossible que le Seigneur lui eût fait une telle grâce. Ils trouvaient probablement étrange que Saul ne fût pas venu plus tôt à eux. Après avoir ouï dire qu'il était converti, ils avaient sans doute appris son départ pour l'Arabie et dès lors peut-être ils n 'en avaient plus eu de nouvelles. Ainsi s'expliquerait leur conduite. Ce n'est pas la justifier; mais quand on a beaucoup souffert, on devient timide et défiant. Toujours est-il que ce dut être une grande épreuve pour la foi de Saul. Il est plus pénible d'être méconnu de ses frères, que de subir la haine du monde. Au surplus, l'erreur des disciples de Jérusalem, effet d'une première impression, ne fut que momentanée. Il plut au Seigneur de mettre Saul en relations avec Barnabas, ce lévite dont il a été fait mention précédemment [3672] - Celui-ci, convaincu de la parfaite droiture de l'ex-pharisien, le conduisit vers les douze, leur racontant toute l'histoire d'un frère dont personne, à coup sûr, ne prévoyait alors le grand avenir. Dès cet instant, il alla et vint avec eux dans Jérusalem, sans s'inquiéter des moqueries et des menaces des pharisiens, ses anciens affiliés; il parlait d'un ton ferme au nom du Seigneur Jésus, et c'était avec les hellénistes que, helléniste lui-même, il avait surtout affaire. Il voulait ainsi réparer le mal dont il s'était rendu coupable de concert avec eux, dans le temps d'Étienne, et peu s'en fallut qu'il ne subit le même sort. Mais on apprit ce qui se complotait contre lui, et les frères le firent partir pour Césarée, où nous avons laissé le diacre Philippe [3714], et d'où, quelque temps après, on le dirigea sur Tarse, en Cilicie, lieu de son origine.

3723. (31.) À cette époque cependant, les assemblées des frères répandues dans la Palestine jouissaient d'une paix qui devait leur être bien douce après toutes leurs tribulations. L'auteur sacré ne nous dit pas à qui elles en furent redevables, parce qu'il va sans dire que c'était au Seigneur lui-même et à sa grande bonté. Mais les moyens que Dieu emploie pour protéger les siens sont quelquefois bien admirables! Dans le temps à peu près de la conversion de Saul, un jeune prince, nommé Caïus Caligula, avait succédé à l'empereur Tibère, sous le règne duquel notre Seigneur fut crucifié. Ce Caligula, un des hommes les plus cruels et les plus insensés qui aient ceint le diadème voulut être adoré partout comme Dieu, et il ordonna notamment que sa statue fût placée dans le temple de Jérusalem. L'historien Josèphe raconte fort au long la douleur qu'en éprouvèrent les Juifs et l'opposition qu'ils firent à l'ordre de César; comment ils se préparèrent à la guerre, et comment, Caligula étant mort sur ces entrefaites, ils furent délivrés de leurs craintes. Beaucoup de personnes attribuent à cette circonstance le repos dont les Églises jouirent en Judée dans ce même temps, les esprits étant occupés ailleurs; et si Luc n'en dit rien, c'est que son histoire ne fait jamais aucune excursion dans la politique. Les événements du siècle pouvaient nous être transmis par une autre voie; tandis que si Dieu ne nous avait pas fait raconter ceux qui appartiennent à son règne, nous ne les aurions point connus, tant le monde a de tout temps affecté de s'y montrer indifférent.

3724. Quoi qu'il en soit, arrêtons quelques instants nos regards sur ces Églises maintenant paisibles au-dehors, comme elles l'étaient encore au-dedans. Il est bon sans doute pour l'Église d'avoir ses temps d'épreuve; mais il ne l'est pas moins qu'elle ait aussi des temps de repos, et il ne faut pas croire que la persécution lui soit absolument nécessaire pour prospérer. La présence du Saint-Esprit et l'efficace de ses consolations lui sont assurées en toutes saisons; c'est là le secret de sa force. Je dirai même que les souffrances sont pour l'Église, comme pour chaque fidèle, un moyen de sanctification dont la nécessité résulte de ce qu'elle n'est pas ce qu'elle devrait être. Une Église où la foi et l'amour abonderaient n'aurait pas besoin que des châtiments vinssent la réveiller, la stimuler, la pousser à plus de zèle. C'est pourquoi l'Église la plus digne du saint nom d'épouse de Jésus-Christ est celle qui, semblable aux Églises de la Palestine à cette époque, porte comme elles, sans la dure discipline de l'épreuve, les fruits de sanctification qui, par un effet des faiblesses de notre foi, résultent plus ordinairement de la souffrance. En un mot, il est beau de voir les Églises vivantes se multiplier malgré l'opposition parfois si furieuse des adversaires; mais il l'est plus encore de les voir, en des temps meilleurs, actives et fécondes, au lieu de se laisser endormir par la prospérité.

3725. C'est aussi à cette époque qu'on place communément la composition du premier Évangile, celui de Matthieu. Sans répéter ce que j'ai dit ailleurs sur ce sujet [2597, 2600], remarquez toutefois la sagesse du Seigneur dans le choix qu'il fit du moment où cet écrit parut. Pour que la foi des chrétiens reposât sur un témoignage irrécusable, il a voulu que la bonne nouvelle fût, pendant plusieurs années, racontée de bouche en bouche par un grand nombre de témoins; mais, d'un autre côté, afin que maintes légendes ne vinssent pas bientôt se mêler à la vérité, il voulut que, sans trop de retard, cet Évangile fût écrit par un de ceux qui avaient reçu le Saint-Esprit le jour de la Pentecôte. Cette double circonstance explique très bien d'ailleurs la manière dont saint Matthieu a rédigé son livre. Il s'agissait bien moins de raconter par ordre l'histoire de Jésus-Christ, que de fixer les faits et les doctrines qui caractérisent l'Évangile, en les groupant de la manière la plus utile aux besoins du temps et de l'Église. On comprend aussi pourquoi le premier Évangile fut essentiellement écrit en vue des Juifs convertis: il n'y avait alors que des fils d'Abraham qui invoquassent le nom du Seigneur Jésus, sauf l'officier de la reine Candace et quelques autres peut-être.


CCLXXX. — Prédications et miracles de Pierre; conversion et baptême du capitaine Corneille.


3726. Bien que plusieurs années déjà se fussent écoulées depuis la résurrection de notre Seigneur, l'Évangile n'avait pas encore été porté aux idolâtres, ou à ceux que les Juifs appelaient les Goïm (nations ou gentils). La suite nous montrera que Dieu avait essentiellement réservé cette tâche difficile à l'apôtre Paul. Il trouva bon néanmoins de la commencer par Pierre, afin de montrer que la conversion des gentils et celle des Juifs était une seule et même œuvre dans le fond. Il n'ignorait pas d'ailleurs les préjugés qu'il y aurait à vaincre chez les fils d'Abraham pour leur faire recevoir au milieu d'eux, simplement par le baptême et sans la circoncision, les hommes des nations, les Goïm. C'est pour cela qu'il voulut vaincre d'abord l'apôtre Pierre, prévenu lui-même autant que nul autre, et dont l'opinion, modifiée par les faits, ne pouvait qu'exercer une grande influence sur toute l'Église sortie de la synagogue.

3727. (32-35.) L'historien sacré nous montre donc ici, pour la seconde fois, cet apôtre sortant de Jérusalem [3701] et visitant tout le pays, mais ne s'occupant encore que des Juifs, particulièrement des membres de l'Église. Ceux-ci, appelés ailleurs les frères (10: 23), les disciples (9: 10), ceux qui invoquent le nom de Jésus (9: 14), sont désignés ici par un bien beau nom, celui de Saints. C'est déjà comme cela qu'Ananias les avait nommés, en parlant au Seigneur lui-même (13), et combien ne faut-il pas que la dégradation de l'Église soit grande, pour que ce nom soit tombé en désuétude comme il l'est! Les courses de Pierre l'ayant conduit à Lydde, ville située entre Jérusalem et Joppe, et voisine de Saron, dans la riche contrée qui portait ce nom, il opéra sur un paralytique une de ces guérisons destinées à prouver tout à la fois qu'il parlait de la part de Jésus, et que ce Jésus était réellement vivant, toujours revêtu de la même puissance. «Enée! Jésus, le Christ, te guérit; lève-toi, et arrange toi-même ton lit.» Aussitôt connue à Lydde et à Saron, cette merveille produisit une impression profonde. Ce ne furent pas seulement quelques individus qui «se tournèrent vers le Seigneur,» dit le texte sacré; mais il y eut un mouvement si considérable que tous furent entraînés, et l'on ne saurait douter que, par la grâce du Seigneur, il n'y ait eu au milieu de tout cela grand nombre de conversions réelles et durables. Partout donc s'accomplissait la parole dite à Simon: «Tu es Pierre, et sur cette pierre j'édifierai mon assemblée» (Matth. 16: 18). 

3728. (9: 36-43.) Pendant que Pierre était à Lydde, l'église de Joppe fit une perte qui plongea dans le deuil toute la congrégation. Ce n'était pas un docteur, un Philippe ou quelque autre frère éminent que Dieu venait de rappeler à lui. C'était une simple femme, une veuve, selon toute apparence, et rien n'indique qu'elle laissât après elle une famille d'orphelins. Mais Dorcas abondait en bonnes œuvres et en aumônes. Non contente de donner de son superflu, peut-être de son nécessaire, comme la veuve de l'Évangile (Luc 21: 1-4), elle travaillait de ses mains pour procurer des vêtements à ceux qui en manquaient, fondatrice, en quelque sorte, de ces sociétés de travail communes parmi nous, sans qu'on puisse dire, hélas! que toutes les personnes qui en font partie soient, par leur foi et par leur charité, de véritables Dorcas. La douleur fut si profonde et si générale, que les frères de Joppe déléguèrent deux des leurs à Pierre, dans la pensée qu'il lui serait donné de rappeler Dorcas à la vie, ou simplement peut-être pour qu'il vint les consoler. Or le Seigneur voulut que son disciple fit l'une et l'autre chose; ensuite de quoi il y eut à Joppe un grand nombre de conversions, et Pierre y demeura durant assez longtemps chez un corroyeur nommé Simon ou Siméon, comme lui. Du reste, ces deux miracles de Pierre ne sont là qu'épisodiquement et pour conduire au fait principal, fait de la plus haute importance dont le chapitre dixième et les dix-huit premiers versets da chapitre suivant contiennent le récit.

3729. (10: 1-8.) Dans cette ville de Césarée où nous avons vu que Philippe avait porté ses pas en quittant Azot, et où Saul lui-même parut quelques moments [3722], mais selon toute probabilité, après la visite de Pierre, le voyage de Saul ayant été raconté par anticipation; dans cette ville considérable, célèbre par son beau port, et assez souvent la résidence du gouverneur romain, se trouvait en garnison, à cette époque, un homme qui, par son nom, semble avoir appartenu à la célèbre famille Cornélia. C'est de la même famille qu'était sorti jadis ce L. Scipion, par qui la puissance romaine avait pénétré pour la première fois en Asie [2573]. Dans tous les cas, notre Cornélius n'était pas un personnage sans importance. Comme le centenier de Capernaüm, il avait acquis la connaissance de Dieu pendant son séjour en Judée, et, sans avoir embrassé le judaïsme, il adorait l'Éternel, montrait sa foi par ses bonnes œuvres, et sa maison tout entière ressentait l'influence de sa piété [2964]. C'était une âme que le Saint-Esprit préparait pour être les prémices de la grande moisson au milieu des païens, et, chose remarquable, il avait fallu à cet effet l'accomplissement de la grande prophétie de Daniel sur la quatrième monarchie. Peut-être Corneille avait-il ouï parler de Philippe et de ses prédications, mais il n'avait pas encore été mis en rapports directs avec les messagers de l'Évangile. C'est toutefois ce qu'il fallait pour le salut de son âme; c'est ce qu'il fallait aussi pour l'instruction même des messagers de la bonne nouvelle, et cela explique la vision céleste dont il fut favorisé. Un ange, mentionnant ses aumônes et ses prières comme un témoignage accepté de Dieu, lui signifia toutefois que cela ne suffisait pas, et qu'il eût à appeler le nommé Simon-Pierre, actuellement à Joppe, afin d'entendre de lui ce qu'il avait à faire. Soumis à la voix divine, Corneille dépêcha deux de ses domestiques et un soldat; et comme c'étaient des hommes qui partageaient ses convictions, il leur raconta tout ce qui s'était passé.

3730. (9-16.) Deux journées de marche séparaient Joppe de Césarée. Le lendemain du jour où Corneille avait eu sa vision et expédié ses gens, Pierre monta, vers l'heure de midi, sur la terrasse de la maison de son hôte, et ayant devant les yeux la vaste mer, si belle image de l'immensité, il se livrait à l'exercice de la prière, consolation et force de tout enfant de Dieu (6: 4). À ce moment, l'apôtre eut faim, et, comme on lui apprêtait de la nourriture, il entra en extase et il eut une vision qui n'était pas sans rapport avec la faim qu'il éprouvait, mais qui avait trait surtout à l'événement auquel le Seigneur voulait le préparer. Il faut que mes lecteurs se rappellent ici l'opinion généralement répandue chez les Juifs à cette époque. Malgré le grand nombre de prophéties qui annonçaient la vocation des gentils, ils n'imaginaient rien de pareil à ce que la grâce de Dieu destinait aux nations idolâtres. Ils ne disaient pas qu'un païen ne pût parvenir d'aucune manière à l'héritage des promesses; mais il fallait pour cela, pensaient-ils, qu'il s'incorporât à la famille d'Abraham par la circoncision, et, de cette manière encore, le salut n'était que pour les Juifs. Les apôtres eux-mêmes n'entendaient pas la chose autrement, bien que le Seigneur leur eût assez nettement déclaré sa pensée (Jean 10: 16; Matth. 28: 19), et bien qu'ils eussent, de leur propre bouche, prophétisé dans ce même sens (2: 39). L'inspiration ne leur donnait pas la connaissance de toutes choses, et ils ne devenaient infaillibles que là où il plaisait au Saint-Esprit de les éclairer. Or, ils étaient encore sur ce point dans une certaine ignorance, mais la lumière allait se faire.

3731. Pour comprendre le sens de la vision, il faut se rappeler en outre les prescriptions de la loi de Moïse au sujet des animaux qu'il n'était pas permis de manger, et qui, par cette raison, étaient tenus pour souillés ou impurs. Dans la vision, ces animaux sont l'image des nations idolâtres avec lesquelles un Israélite ne devait point entrer en relations, et qu'il envisageait comme souillées par le fait même qu'elles étaient étrangères à l'alliance. L'espèce de remontrance enfin que la voix du Seigneur fit entendre à l'apôtre signifiait que les païens étant appelés à recevoir, aussi bien que les Juifs, la grâce de l'Évangile, il n'y avait plus à tenir compte de la souillure que la loi leur avait imprimée (15).

3732. (17-124.) Pierre ne comprit pas d'abord le sens de la vision; mais il ne put être longtemps dans le doute. Pendant que les messagers de Corneille s'informent de lui à la porte de la maison, le Saint-Esprit lui-même, interrompant les méditations de Pierre, l'invite à descendre auprès d'eux et à les suivre sans hésitation. Mais où? C'est ce que l'apôtre apprend de leur bouche. Ils prononcent le nom de leur maître; ils racontent en deux mots ce qui s'est passé la veille à Césarée, et Pierre, qui commence à comprendre, Pierre, pour qui ce que Dieu a purifié ne saurait plus être souillé, fait entrer ces païens dans la maison de son hôte et les loge auprès de lui. Le lendemain, ils partent ensemble et arrivent le surlendemain à Césarée, dans la société de quelques frères de Joppe; on voit plus loin que ceux-ci étaient au nombre de six (11: 12). Pierre savait-il au juste ce qu'il allait faire à Césarée? Il est permis d'en douter. Tout ce que les domestiques de Corneille avaient dit, c'est que leur maître attendait de lui «des paroles,» et l'Esprit lui-même ne l'avait pas informé plus clairement: «Va avec eux sans hésiter, parce que c'est moi qui les ai envoyés.» Mais ce dont Pierre est certain, c'est que le Seigneur le veut à Césarée, chez Corneille, au milieu de ces gentils; et quand on est appelé par le Seigneur, on marche avec assurance. Voilà donc cette petite troupe d'amis de Jésus entrant à Césarée, pour y tenir une assemblée qui ne fit pas de bruit dans le monde, et qui n'en a pas moins été, pour ce même monde, le commencement d'une ère religieuse toute nouvelle.

3733. (24-27.) Corneille, qui avait pu calculer les heures du voyage et qui ne mettait pas en doute la fidélité de Dieu, avait réuni sa famille et ses intimes amis, et il attendait avec eux le messager du Seigneur. Hélas! ce pauvre Corneille, païen naguère, adorateur d'hommes divinisés, ne vit pas plutôt Pierre que, frappé de son air vénérable, il se jeta à ses pieds pour l'adorer. Mouvement irréfléchi qui fit sortir de la bouche de Pierre, de celui dont les papes se prétendent les successeurs, la parole la plus foudroyante contre l'idolâtrie actuelle des catholiques-romains. Les papes se laissent adorer, ils se font adorer, ils frappent des médailles où l'on voit les cardinaux à genoux devant le souverain pontife, avec cette exergue: Adorant qnem creant; ails adorent celui qu'ils créent;» tandis que Pierre, jaloux d'une gloire qui n'appartient qu'à Dieu et qu'il lui eût été si facile d'usurper, s'empressa de relever le Romain Corneille, en lui disant: «Et moi aussi, je suis un homme.» Le capitaine était allé au-devant de Pierre; il rentra dans la salle, conversant avec lui, et l'on conçoit quel moment plein d'intérêt ce dut être pour les personnes qui s'y trouvaient assemblées.

3734. (28-33.) Après s'être excusé de ce que, contrairement à tous les usages des Juifs, il entrait librement dans la maison d'un païen, expliquant de quelle manière Dieu l'y avait lui-même engagé, et comment, serviteur soumis, il avait obéi sans faire aucune objection, Pierre demanda qu'on lui dit aussi par quelle raison et dans quel but on l'avait appelé. Alors Corneille raconta ponctuellement ce qui lui était arrivé le quatrième jour avant celui où ils se trouvaient, et «maintenant, dit-il, nous sommes tous ici devant Dieu, pour entendre toutes les choses dont Dieu t'a donné charge.» C'est une belle et sérieuse parole que celle de ce brave soldat. Quel bonheur, si, dans nos assemblées, nous nous placions tous ainsi devant le Seigneur, prêts à recevoir en nos cœurs ce que Dieu daigne nous dire par la bouche de nos frères! Vous voyez que, par la grâce d'en haut, Corneille et les siens avaient toutes les dispositions qu'on peut désirer chez les pécheurs auxquels on annonce l'Évangile; ils priaient beaucoup, ils faisaient tout le bien en leur pouvoir, ils avaient faim de la Parole de Dieu, et ils se plaçaient devant lui pour écouter cette d'vine Parole. Aussi la vérité n'eut-elle pas de peine à se faire jour dans leur âme.

3735. (34-43.) Pierre leur en fit l'exposition avec sa manière à la fois simple et énergique. Au premier abord, ce nouveau discours semble entièrement calqué sur les précédents; mais un examen attentif y fait voir au contraire des différences considérables, et de ces différences qui constatent l'authenticité d'un récit. Il commence par exprimer ses convictions actuelles sur les intentions de la miséricorde divine envers les païens. Il lui est maintenant démontré, non pas qu'un honnête païen sera sauvé par son honnêteté tout en demeurant éloigné du Sauveur, mais que le moment était venu où le Seigneur voulait se former un peuple parmi les gentils, et il en voyait la preuve dans les saintes dispositions qu'il avait mises au cœur de Corneille, pour le préparer à recevoir Jésus-Christ. Si d'ailleurs les promesses ont été faites aux fils d'Israël en premier lieu, Jésus, Fils de Dieu, ne laisse pas d'être le Seigneur de tous.

3736. C'est de ce Jésus que Pierre devait entretenir son auditoire; mais, tandis qu'à Jérusalem il s'était borné à parler de sa résurrection et de sa seconde venue, le reste étant généralement connu, ici, nous le voyons reprendre en résumé toute l'histoire du Sauveur, depuis son baptême par Jean jusqu'à son relèvement d'entre les morts, n'oubliant pas d'annoncer son futur retour pour juger le monde, et proclamant surtout le pardon des péchés par la foi en son nom. C'était le point essentiel, alors comme aujourd'hui. Corneille et ses amis, encore que pieux et bienfaisants, avaient besoin d'être sauvés. Il en avait été ainsi de Zachée, du centenier de Capernaüm et de tant d'autres non moins bien disposés.

3737. (44-48.) Voilà sans doute ce que Pierre allait exprimer, lorsqu'il fut interrompu (11: 15) par un événement auquel nul d'entre eux ne s'attendait. Après que le Saint-Esprit eut dit par la bouche de Pierre: «Tout homme qui croit en lui reçoit le pardon des péchés par son nom,» cet Esprit de grâce et de lumière descendit sur tous ceux qui écoutaient Dieu de si bon cœur. 11 fut sur eux, comme il est encore de nos jours sur quiconque écoute avec sérieux une prédication fidèle; mais il y eut de plus l'effusion miraculeuse des dons surnaturels qu'obtenait, en ces premiers temps, la foi des élus. Cela se fit avant qu'ils fussent baptisés et sans que Pierre leur eût imposé les mains; par où Dieu voulut montrer clairement que le don de sa grâce n'est pas comme fatalement lié aux actes qui en sont les signes et quelquefois les sceaux. Il fallait d'ailleurs qu'on ne pût faire aucune objection contre l'introduction immédiate de ces étrangers dans l'Église du Seigneur. Pour cela, non seulement il avait d'avance préparé leurs âmes, non seulement deux visions étaient venues tracer la marche à suivre envers eux, mais encore le Saint-Esprit se les approprie de manière à lever tous les doutes. Aussi, Pierre répondant, semble-t-il, aux scrupules des frères de Joppe dont il s'était fait accompagner et qui éprouvaient un grand étonnement de ce qu'ils voyaient: «Quelqu'un, dit-il, peut-il refuser l'eau pour ceux-ci, qui ont reçu le Saint-Esprit aussi bien que nous?» En effet, il y avait là une seconde Pentecôte, la Pentecôte des nations païennes, après celle de la nation juive à Jérusalem; et c'est du baptême administré ce jour même à Corneille et aux siens qu'est sorti, pour ainsi dire, le baptême administré dès lors à tant de millions de chrétiens d'entre la gentilité. Hélas! si nos pères et nous, nous avons été baptisés dans le nom de Jésus comme Corneille, pouvons-nous dire que tous aient été, comme lui, baptisés du Saint-Esprit, à ne parler que de ses dons ordinaires? 

3738. (11: 1-18.) Après avoir passé quelques jours a Césarée auprès de l'heureux Corneille, Pierre remonta à Jérusalem, où il s'attendait bien que sa conduite rencontrerait des contradicteurs, car il prit avec lui les six frères qui l'avaient accompagné, et au témoignage desquels il voulait se référer (12). En effet, on ne manqua pas de lui faire un crime de ses relations avec des incirconcis, suivant le bruit qui en était venu jusqu'à eux. On ne parlait pas même du baptême qui leur avait été administré, soit qu'on le tint pour nul, vu les circonstances, soit qu'on ne le crût pas capable d'effacer la souillure de l'incirconcision. Vous voyez combien l'esprit juif était tenace chez ces frères de Jérusalem, et quelles vues étroites cet esprit leur faisait apporter aux choses de l'Évangile. Pierre donc, naguère tout semblable à eux, leur raconte de point en point ce qui s'était passé; il leur montre dans l'événement qui causait leur surprise l'accomplissement d'une des dernières paroles de Jésus (1: 5); et il finit en leur représentant le péché dont il se serait rendu coupable, s'il avait refusé d'entrer dans les vues de Dieu. Ce nouveau discours ne fut pas moins béni que le précédent. Non seulement les frères de Jérusalem prirent leur parti de ne plus posséder un droit exclusif à la grâce de Dieu, en tant que Juifs; mais encore ils se réjouirent de ce que Dieu donnait aussi la conversion aux gentils, pour qu'ils eussent la vie. Oui, c'est Dieu qui donne la conversion à ceux qu'il veut sauver, et comment ne pas le glorifier, lorsqu'il manifeste sa grâce envers les pécheurs, bien plus encore peut-être quand il s'agit de pécheurs que nous en jugeons indignes!


CCLXXXI. — L'Église helléniste d'Antioche; second voyage de Saul à Jérusalem; supplice de Jacques, un des apôtres; nouvel emprisonnement de Pierre et mort soudaine d'Hérode-Agrippa.


3739. (19-21.) L'historien sacré, reprenant son récit où il l'avait laissé (8: 40), nous apprend que les disciples chassés de Jérusalem après la mort d'Étienne, ne s'étaient pas bornés à prêcher l'Évangile dans la Judée, la Samarie et la Galilée, mais qu'ils l'avaient porté jusque dans les contrées païennes de la Phénicie, au nord de Césarée, puis dans l'île de Chypre et à Antioche, ville considérable de Syrie (maintenant Antakiéh), près de la côte occidentale de la mer Méditerranée, en face à peu près de l'île de Chypre. Mais comme cela se passait avant la conversion de Corneille et des siens, ils n'avaient garde de s'adresser aux gentils; les Juifs seuls leur semblaient appelés au salut. Cependant, au nombre de ceux avec lesquels ils entrèrent en relations, parce qu'ils étaient d'origine juive, se trouvèrent un certain nombre de ces Israélites qu'on appelait hellénistes [3685]. Ce fut pour eux surtout que la bonne nouvelle du salut fut annoncée à Antioche. Située sur le fleuve Oronte, cette ville était à six ou sept lieues de la mer. Les Juifs y jouissaient de privilèges égaux à ceux des Grecs, et leur situation y était très florissante. Ce fut là que se fonda la première Église essentiellement composée de Juifs parlant le grec, intermédiaire préparé par le Seigneur entre les Églises de la Judée et celles qui allaient bientôt se former chez les Grecs proprement dits, ou autrement chez les païens, «La main de Jésus fut avec ceux qui y prêchèrent les premiers l’Évangile, Cypriens et Cyrénéens, en sorte qu'un grand nombre de Juifs hellénistes ayant cru, se tournèrent vers le Seigneur.» Ce furent donc des Juifs originaires des côtes de l'Afrique et d'une île fameuse par les impuretés de son idolâtrie, qui devinrent les fondateurs de l'une des plus illustres Églises de l'antiquité! Les voies de Dieu sont vraiment admirables!

3740. (22-24.) Bien que les frères de Jérusalem ne se rendissent pas compte de l'immense portée du mouvement dont Antioche était le théâtre, ils montrèrent l'intérêt qu'ils y prenaient en y députant Barnabas. Barnabas, de l’île de Chypre et par conséquent helléniste (4: 36); Barnabas, «homme bon et rempli d'Esprit-Saint et de foi,» était qualifié plus que personne pour une telle mission. Quelle joie ne dut pas éprouver ce respectable serviteur de Dieu, en voyant les effets de la grâce divine sur ces nouveaux frères! Aussi ne cessait-il de les exhorter à «demeurer attachés au Seigneur avec décision de cœur.» Ce ne sont donc pas seulement les pécheurs non convertis qui ont besoin d'exhortations. Il semble qu'une fois au Seigneur, on ne devrait plus vouloir autre chose que sa grâce; mais Satan attaque les fidèles de tant de façons, qu'il est besoin de les solliciter à demeurer fidèles et à déployer une grande décision dans la profession de leur foi. C'est là-dessus que bien des gens, même pieux, ne sont que trop souvent en défaut; toutefois, dans l'œuvre de notre salut, et du commencement à la fin, rien n'est plus indispensable que la résolution, la fermeté, le courage (Matth. 11: 12).

3741. (25, 26.) Barnabas, qui, en allant à Antioche, avait dû passer par Césarée, et qui peut-être avait été surpris de ne pas y trouver Saul (9: 30), poussa jusqu'à Tarse, capitale de la province limitrophe, d'où il ramena Saul à Antioche. 11 sentait que la place de ce jeune docteur était dans cette jeune Église, et la suite prouva qu'il avait été réellement conduit par le Seigneur. Pendant tout une année, Barnabas et Saul firent partie de l'Église d'Antioche; leurs enseignements attirèrent beaucoup de monde et portèrent de grands fruits, non seulement parmi les Juifs hellénistes, mais aussi probablement parmi les païens. Jusqu'à ce moment, les assemblées des disciples de Jésus n'avaient pas été distinguées par le public d'avec les synagogues des Juifs. Le monde, qui, autant qu'il le peut, demeure indifférent aux idées religieuses, ne put plus ignorer ce qui se passait. Une nouvelle doctrine était prêchée et se propageait; un nouveau peuple se formait. C'était assez semblable au judaïsme, mais il y avait évidement autre chose: à l'autorité de Moïse succédait celle de quelqu'un qu'on appelait le Christ. Alors, comme toujours, on s'empressa d'assigner un nom à cette nouveauté et, si ce ne fut pas celui de christianisme, on désigna du moins par le nom de «chrétiens» ceux qui s'y rattachaient. Quelques personnes pensent que ce furent les disciples qui se donnèrent ce titre; mais, sans entrer en discussion sur un point de peu d'importance au fond et qui pourra s'éclaircir dans la suite de ces Études, nous avons vu précédemment de quelle manière ils se désignaient. C'est sous le nom de «frères» qu'ils s'adressaient la parole, sous ceux de «disciples» et de «saints» qu'ils parlaient les uns des autres et que le Seigneur lui-même les nommait; quelquefois on disait: «Ceux qui croient,» ceux qui invoquent le nom du Seigneur, «ceux qui suivent le Chemin.» Quant au nom de «chrétiens,» ou de sectateurs du Christ, nom honorable maintenant, malgré l'abus qu'on en fait, il me paraît probable que, dans l'origine, ce fut un terme de mépris de la part du monde. Quoi qu'il en soit, il fut un temps où il suffisait de revendiquer ou d'accepter ce titre pour être envoyé au supplice, et ainsi s'accomplit une des prophéties les plus remarquables de notre Seigneur (Luc 6: 22).

3742. (27-30.) Pendant que Barnabas et Saul multipliaient leurs travaux à Antioche, il y arriva de Jérusalem des prophètes, dont l'un, nommé Agabus, avait, paraît-il, pour mission de prédire une famine qui s'étendrait au loin. Or, soit parce que la disette se faisait toujours sentir en Canaan plus que nulle part, comme on peut s'en souvenir, soit parce que la générosité, peut-être excessive, des fidèles de Jérusalem envers leurs pauvres, avait appauvri la communauté tout entière, on pensa tout de suite à la détresse où se trouveraient les frères de Judée. La famine fut annoncée comme imminente, car les chrétiens d'Antioche s'empressèrent de faire une collecte, à laquelle chacun prit part selon ses facultés; ils en envoyèrent le produit par Barnabas et par Saul, et ceux-ci le remirent entre les mains des anciens de l'Église de Jérusalem, c'est-à-dire des frères qui dirigeaient cette Église et qui portaient le même nom que les chefs des synagogues juives. Ce fut le second voyage que Saul fit à Jérusalem depuis sa conversion. La famine prédite par Agabus eut lieu sous le règne de Claude César, qui, l'an 41, avait succédé à Caïus Caligula, lui-même successeur de Tibère, comme je l'ai dit ailleurs [2723]. Il suit de là, que, sans pouvoir assigner à ce second voyage de Saul une date certaine, il dut avoir lieu cinq ou six ans après sa conversion; donc, deux ou trois ans après son premier voyage. Mais ce qui est plus intéressant qu'une donnée chronologique, c'est la preuve que ce récit nous fournit de la fraternité qui existait entre tous les serviteurs de Jésus. 11 est évident qu'ils s'envisageaient comme ne faisant qu'un seul et même corps, dont aucun membre ne peut souffrir, que le corps tout entier ne souffre; bel exemple donné par «les chrétiens > d'Antioche aux chrétiens de tous les temps.

3743. (12: 1, 2.) À la famine succédèrent de nouvelles persécutions contre les frères de Jérusalem. La Judée, qui, depuis Archélaüs, fils d'Hérode le Grand, avait cessé d'être sous le joug de l'odieuse famille des Hérode [2668], s'y était vue replacée parla volonté de l'empereur Claude. Aristobule, autre fils d'Hérode le Grand, père d'Hérodias, l'indigne épouse de ses deux oncles Philippe et Hérode Antipas [3050], Aristobule, dis-je, mis à mort par son père l'an 6 de l'ère chrétienne, n'était jamais monté sur le trône; mais il avait laissé, outre sa fille Hérodias, un fils nommé Hérode et surnommé Agrippa, qui passa sa jeunesse à Rome et s'y fit beaucoup d'amis en vivant dans le débordement. Après la mort de Tibère, Caligula nomma cet Hérode roi de quelques provinces voisines de la Judée, et, comme il se trouvait à Rome lors de l'avènement de Claude, celui-ci lui rendit l'administration royale des États de son grand-père. Mais ce petit-fils du cruel Hérode le Grand et neveu du voluptueux Hérode Antipas, ne jouit pas longtemps d'une autorité qu'il ne craignit pas de diriger contre les disciples de Jésus-Christ.

3744. L'an 44 de l'ère chrétienne (ici la date paraît assez positive, d'après l'historien Josèphe), Hérode Agrippa étant à Jérusalem, mit la main sur quelques membres de l'assemblée pour les maltraiter. S'il poussa la violence jusqu'à en faire mourir plusieurs, c'est ce qu'on ignore; ce qu'il y a de sur, c'est qu'il fit décapiter Jacques, le frère de Jean. C'était lui que Jésus avait surtout honoré de sa confiance, avec son frère et avec Pierre [3473], lui qui avait fait à Jésus la demande ambitieuse qu'on n'a sans doute pas oubliée et à qui le Seigneur avait prophétisé le sort qui l'atteignait en ce moment (Matth. 20: 23). Il le lui avait, dis-je, prophétisé, mais de telle sorte que nul n'aurait pu imaginer qu'il serait le premier en qui la prophétie se réaliserait, a moins qu'on ne se souvint en même temps de la prédiction spéciale qui, prononcée plus tard, concernait son frère [3389]. Toujours est-il qu'il ne pouvait entrer dans les vues du Seigneur que les témoins de sa résurrection tombassent tous sous les premiers coups de leurs ennemis, et l'on ne saurait trop admirer de quelle haute protection il les avait environnés jusque-là, comme il le fait aujourd'hui pour nos missionnaires. Mais il était bon, d'un autre côté, et utile à la gloire de Dieu, que l'un d'entre eux, au moins, scellât de son sang la fidélité de leur témoignage à tous, et que ce sang, devenant une menace sur la tête des autres, le monde vît clairement que ces hommes étaient parfaitement convaincus de la résurrection de leur Maître, convaincus jusqu'à donner leur vie, plutôt que de se rétracter. Or, ce fut Jacques qui eut l'insigne privilège d'ouvrir la liste des apôtres martyrs; il reçut ainsi le baptême dont son Maître avait été baptisé, et il acquit auprès de lui la place de distinction qu'il avait ambitionnée, mais en entendant d'abord la chose dans un tout autre sens.

3745. (3-5.) La manière dont Hérode était parvenu au pouvoir, lui imposait la nécessité de capter par tous les moyens possibles la faveur populaire. Cet homme sans conscience ne se demanda pas s'il agissait selon la justice ou non. La tête de Jacques, un des plus actifs et des plus zélés, était tombée aux applaudissements de la populace de Jérusalem, toujours la même; il n'en fallait pas davantage pour qu'Hérode cherchât quelque autre victime, et le tour de Pierre parut enfin venu. Hérode le fit mettre en prison sous forte garde, se réservant de donner au peuple le spectacle de son supplice quand la semaine des pains sans levain serait passée et la pâque entièrement achevée. Seize soldats répondaient de sa personne, et, après la fin lamentable de Jacques, comment espérer que Pierre pût échapper au sort qui l'attendait? Cependant, «une prière persévérante se faisait à Dieu pour lui, par l'assemblée,» moins peut-être en vue d'une délivrance impossible, que pour assurer au pauvre prisonnier les consolations et la force d'en haut. Ce n'étaient pas des prières nombreuses, mais «une prière persévérante:» les frères, pense-t-on, s'étaient entendus et organisés de manière qu'il y eût, à toute heure du jour et de la nuit, quelques personnes assemblées au nom de Jésus et réclamant l'effet de ses promesses (Jean 16: 23).

3746. (6-11.) Le dernier jour des pains sans levain était expiré. Le soleil qui allait se lever, devait, selon l'ordre impie d'Hérode, voir couler le sang de celui qui avait dit, lorsqu'il était incapable d'un tel sacrifice: «Je donnerai ma vie pour toi,» et qui maintenant laissait avec tant de calme le moment fatal s'approcher. Lié à deux soldats par le moyen de deux chaînes, il dormait paisiblement dans la prison, tandis que ses frères priaient, montrant leur foi par l'ardeur de leurs supplications, comme lui par la parfaite tranquillité de son âme. Tout à coup, la prison est merveilleusement éclairée, Pierre se sent frappé au côté, quelqu'un lui dit de se lever et de s'habiller, les chaînes qui liaient ses mains se détachent, on l'invite à sortir et il sort, les portes s'ouvrent les unes après les autres devant lui et devant son libérateur mystérieux, il arrive enfin dans la rue sans que rien de ce qui s'était passé eût été vu et entendu par les soldats. Pierre lui-même avait obéi machinalement et comme on le ferait dans un songe; aussi lui semblait-il que tout cela n'était qu'une vision. Ce fut seulement lorsqu'il sentit l'air extérieur lui rafraîchir le visage, et qu'abandonné par l'ange du Seigneur, il se vit bien réellement au milieu de la ville, qu'il comprit ce qui lui était arrivé. Lui-même peut-être ne l'avait pas cru possible, après la mort de Jacques, son cher collègue; d'ailleurs, il s'était probablement endormi avec le doux souvenir de la parole de son bon Maître: «Toi, suis-moi,» et il s'attendait à un tout autre réveil (Jean 21: 22).

3747. (12-17.) Mais où ira-t-il, à cette heure avancée de la nuit? Après quelques instants de réflexion, Pierre se dirige vers la maison d'une nommée Marie, dont nous verrons bientôt le fils occupé à la prédication de l'Évangile, sainte femme, qui montrait son zèle pour le Seigneur en ouvrant sa demeure aux assemblées des frères. Sans que Pierre pût savoir qu'il y trouverait à ce moment une réunion de prières, il était sûr d'être bien accueilli par Marie et par Jean-Marc son fils. Voilà donc l'apôtre devant cette maison hospitalière, il heurte au vestibule, et une jeune fille appelée Rose (c'est la traduction de son nom grec) vient, timidement sans doute, s'informer qui fait ce bruit. «C'est moi,» dit Pierre, et la jeune fille reconnaît une voix qu'elle avait souvent entendue parlant des choses de Dieu. Dans le trouble que lui cause un bonheur si inespéré, elle rentre en courant sans avoir ouvert la porte, et vient annoncer à l'assemblée que Pierre est là, devant le vestibule. Insensée! lui dit-on; et comme elle insistait: «Non, ce ne peut être lui,» dirent quelques-uns; «c'est son ange.» Pierre, cependant, continuait à heurter, jusqu'à ce qu'on vint enfin lui ouvrir. Or, même après l'avoir vu, ils ne revenaient pas de leur étonnement, si peu ils s'attendaient à quelque chose de pareil. L'agitation fut grande parmi les frères, et comme chacun sans doute adressait des questions à l'apôtre, il leur imposa silence par un signe de la main; puis il leur raconta comment sa délivrance s'était opérée, les priant d'en donner promptement avis aux frères et à Jacques avant tout. Ce Jacques était frère de notre Seigneur, un des principaux témoins de sa résurrection [3600], lequel, sans être apôtre, occupait une place éminente, on croit la première, parmi les anciens de l'Église de Jérusalem.

3748. On ne saurait lire le récit que je viens à la fois de résumer et de développer, sans être frappé de la simplicité naïve avec laquelle tous les faits y sont offerts à notre attention, même les plus simples, parce que tous ont leur importance. On y voit si bien, par exemple, que, dans ce temps de miracles, les fidèles ne réglaient pas plus leur conduite là-dessus, que nous ne devons le faire de nos jours. Nous y voyons aussi que, malgré les lumières extraordinaires répandues par le Seigneur sur son Église, il se retrouvait chez plusieurs des restes d'anciennes opinions, qui, pour n'être pas incompatibles avec la vraie foi, n'en étaient pas moins des erreurs. Quand les apôtres avaient revu Jésus après sa résurrection, ils avaient cru que c'était un esprit; cette fois, les amis de Pierre pensent que c'est son ange, et non pas lui, qui vient de frappera la porte. Sans doute qu'il existe des anges au ciel et que ces anges ne demeurent pas étrangers à ce qui se fait sur la terre: toute la Bible nous l'atteste; mais que chacun de nous ait son ange gardien, comme le pensent quelques personnes, ou que chaque fidèle ait auprès de Dieu un ange qui lui ressemble, ce que paraissaient croire les Juifs, c'est ce qui ne peut s'établir par la Parole de Dieu, pas même par un passage dont nous avons dû nous occuper précédemment, et qui pourrait seul autoriser cette idée (Matth. 18:10).

3749. (12: 12-17.) Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans l'histoire qui nous occupe, c'est la délivrance même de Pierre, non pas tant par ce qu'elle eut de miraculeux, que par le jour qu'elle jette sur les voies du Seigneur. Il voulut montrer que si Jacques avait succombé, ce n'était pas qu'il n'eût pu le délivrer aussi. Or, l'histoire de l'Église a, dans tous les siècles, présenté des événements analogues. 11 est bon pour la gloire de Dieu que ses enfants souffrent et quelquefois même qu'ils succombent; mais il est nécessaire aussi pour l'affermissement des faibles et pour l'instruction du monde, que le divin chef de l'Église la protège avec éclat contre ses puissants ennemis; protection qui ne se borne pas toujours à la délivrance des fidèles, mais qui va jusqu'au châtiment de leurs persécuteurs, comme on le voit par l'histoire d'Hérode.

3750. (18-23.) Après que ce prince eut déchargé sur les gardes son impuissante fureur, il quitta Jérusalem pour Césarée, ville de luxe et de plaisirs, dont le séjour devait lui plaire plus que celui de la cité sainte et sérieuse. D'ailleurs, il se rapprochait ainsi de la Phénicie, avec laquelle il était en différend. Sans rapporter ce fait et l'ambassade qui s'y rattache, Josèphe raconte néanmoins que, dans une assemblée publique, Hérode parut devant le peuple, vêtu d'une robe de drap d'argent, dont l'éclat, au soleil, était si vif qu'on ne pouvait le regarder. Il nous dit aussi que ses courtisans le proclamèrent dieu et que, frappé dans son orgueil, ce prince fut enlevé subitement par une maladie affreuse. Les détails dans lesquels entre l'écrivain sacré, plus précis que ceux de l'historien juif, sont certainement aussi plus exacts. Au surplus, qu'on prenne le récit où l'on voudra, il demeure vrai qu'Hérode, le meurtrier de Jacques, fut frappé par la main de Dieu, d'une manière tellement manifeste que nul ne put le méconnaître. Mais ce rapprochement entre la mort du roi et celle de l'apôtre, il est à remarquer que le Saint-Esprit ne le fait point lui-même. Hérode avait sans doute commis un horrible crime en décapitant un ministre du Seigneur; son crime toutefois, fut l'impiété, l'orgueil, la méchanceté de son âme et la corruption de ses mœurs. Sa haine pour les prédicateurs et les disciples de l'Évangile venait de là, et telle fut, en définitive, la cause de sa ruine. Or, envisagée de la sorte, son histoire n'est que trop, hélas! l'histoire de tous les persécuteurs.


CCLXXXII. — Paul en Chypre et à Antioche de Pisidie.

Premier voyage missionnaire de cet apôtre; extension considérable du règne de Dieu.


3751. (24.) Tandis que Dieu montrait, par la terrible mort d'Hérode, la vanité et le néant des grandeurs terrestres, sa Parole croissait et se multipliait, malgré l'opposition violente des adversaires: elle croissait en clarté, les événements de chaque jour venant confirmer les vérités qu'elle proclame; elle acquérait une force toujours plus grande sur ceux qui la recevaient, et, par leur moyen, elle se multipliait en quelque sorte, chaque fidèle devenant un prédicateur de l'Évangile. «Les cieux et la terre passeront, avait dit notre Seigneur, mais mes paroles ne passeront point:» il avait dit aussi que les portes de l'enfer ne triompheraient pas de son assemblée.

3752. (25.) Est-ce que Barnabas et Saul, ces deux députés de l'Église d'Antioche (11: 30), se trouvaient à Jérusalem à l'époque de la mort de Jacques et de l'emprisonnement de Pierre? Dans ce cas, ces événements solennels durent être pour eux d'une grande instruction. Mais il se pourrait que les faits racontés dans le chapitre douzième se fussent passés avant leur arrivée. Quoi qu'il en soit, nous avons ici la suite du récit interrompu à la fin du chapitre précédent. Après avoir remis le produit de leur collecte, Barnabas et Saul repartirent de Jérusalem emmenant avec eux le disciple Jean, surnommé Marc. Cousin de Barnabas (Coloss. 4: 10), il était, avons-nous dit, fils de cette Marie dans la maison de laquelle Pierre se réfugia, la nuit de sa délivrance. Marc, nom sous lequel il est le plus souvent désigné, Marc était donc habitant de Jérusalem. La tradition le désigne comme celui qui, le soir que notre Seigneur fut livré, s'élança de son lit et courut à la rue au moment où Jésus passait; elle prétend même qu'il faut voir en lui le jeune magistrat qui vint demander au Seigneur ce qu'il fallait faire pour hériter de la vie éternelle et que le Seigneur aima [3483, 3296]. En tout cas on ne saurait douter, sur le témoignage universel de l'Église, qu'il ne soit l'auteur de l'Évangile qui porte son nom, et il fallait bien qu'il fût remarquable par les dons du SaintEsprit, pour que Bamabas et Saul en fissent leur collègue.

3753. (13: 1-3.) Tout semble attester qu'à cette époque, l'Église d'Antioche était la plus considérable des Églises, après celle de Jérusalem. Si celle-ci continuait à se voir favorisée de la présence des apôtres, l'Église d'Antioche comptait dans son sein plusieurs prophètes et docteurs dont l'historien sacré nous donne les noms. À leur tête était le vénérable Barnabas; parmi eux, un homme qui avait été camarade d'études du roi Hérode, et Saul, nommé le dernier. Ils servaient le Seigneur dans le ministère de la Parole, enseignant, exhortant, consolant, fortifiant l'Église par les discours que leur donnait le Saint-Esprit; puis, il nous est dit qu'ils jeûnaient, non du jeûne hypocrite des pharisiens, c'est bien clair, ni même du jeûne encore plus ou moins judaïque des disciples de Jean-Baptiste, mais du jeûne spirituel que notre Seigneur avait présenté à ses interlocuteurs comme l'acte de la piété la plus élevée [2874, 2936]. Il fallait qu'une grande idée les préoccupât, et c'était probablement celle du futur départ de quelques-uns d'entre eux. Ils sentaient que leur devoir était de ne pas demeurer enfermés à Antioche. Sous cette impression, qui leur venait d'en haut, ils priaient et jeûnaient, demandant sans doute au Seigneur de tracer leur chemin et de désigner ceux qu'il lui convenait d'envoyer parmi les nations. Comprenaient-ils alors qu'il entrait dans les vues du Seigneur de ne pas remettre à l'un des douze cette mission, afin qu'on ne crût pas que l'évangélisation du monde ne pouvait se faire sans eux? c'est ce que nous ignorons. Quoi qu'il en soit, l'événement prouva qu'en effet, lorsque Jésus avait ordonné aux douze d'aller et d'enseigner toutes les nations, il n'entendait pas que nul autre ne pût remplir ce glorieux ministère, tout comme il est certain que ce ministère n'a pas cessé avec les temps apostoliques.

3754. Le Saint-Esprit fit donc connaître aux docteurs d'Antioche qu'il avait choisi pour cette œuvre Barnabas et Saul, le premier et le dernier de la liste des docteurs. Il voulut de plus qu'à leur mission divine proprement dite, s'ajoutât une mission de la part de leurs frères. Ceux-ci durent mettre à part Barnabas et Saul ou les désigner comme les élus du Seigneur, puis leur imposer les mains dans une réunion de prières et de jeûne; après quoi, ils leur donnèrent congé. Ce fut à cette heure, pour bien dire, que Saul fut appelé à l'apostolat; ce mot voulant dire mission, comme celui d'apôtre signifie envoyé. Appelé par le Seigneur Jésus lui-même, sur le chemin de Damas; compté dès lors au nombre des docteurs par les frères, comme il l'était auparavant par les pharisiens, il prend maintenant sa place définitive entre les apôtres, recevant pour la seconde fois l'imposition des mains, signe de sa vocation divine et de la transmission de sa nouvelle charge (9: 17). Le Seigneur voulut donc que l'Église intervint ici comme lorsqu'il s'était agi de remplacer Judas. Tout, dans l'Église, doit se faire par l'Église elle-même ou par ses représentants, selon le mandat que lui en a confié le Seigneur. Et ce n'est pas exclure le Saint-Esprit; car, au contraire, plus nous serons fidèles à ses propres institutions, plus nous serons sûrs que nos pensées sont conformes aux siennes. Cette participation de l'Église ou de ses conducteurs à des actes qui sembleraient devoir appartenir entièrement à Dieu, se retrouve déjà dans l'Ancien Testament [987]; et si, d'ailleurs, Dieu se sert d'instruments pouramener les âmes à sa connaissance, est-il bien étonnant qu'il s'en serve aussi pour les gouverner? C'est par le moyen de Barnabas et de Saul, que le Saint-Esprit allait convertir une foule de pécheurs; c'est aussi par le moyen des docteurs d'Antioche, que ce même Esprit les envoya porter au loin l'Évangile de sa grâce. Et de nos jours, un homme, tant pieux soit-il, qui va de son propre mouvement évangéliser un pays, est-il plus sûr d'obéir au Saint-Esprit, que si, après beaucoup de prières, il est envoyé par une Église fidèle?

3755. (4, 5.) Ainsi donc, missionnaires de par le Saint-Esprit, Barnabas et Saul quittèrent leurs frères d'Antioche, et ils n'eurent pas besoin d'aller bien loin pour trouver de l'occupation. Des âmes à sauver! qui n'en a près de soi? D'abord, ils se rendirent à Séleucie, port de mer le plus rapproché d'Antioche, d'où ils gagnèrent l'île de Chypre, voisine de cette côte et patrie de Barnabas [3672]. Débarqués à Salamine, sur la côte orientale, en face de l'Asie, ils annoncèrent la Parole de Dieu aux Juifs de la localité, et Jean, c'est-à-dire Marc, les assistait dans leur ministère.

3756. (6, 7.) Par l'arrivée de Barnabas et de Saul dans l'île de Chypre, la prédication de l'Évangile attaquait de plus près les contrées où régnait le paganisme. La grande et belle île de Chypre était fameuse en particulier par le culte qu'on y rendait aux divinités à la fois si poétiques et si impures de la Grèce. Vénus y avait plusieurs temples, et aucune plume chrétienne ne saurait se résoudre à retracer les fêtes voluptueuses par lesquelles on honorait cette déesse. Les apôtres ayant traversé l'île d'orient en occident, arrivèrent à Paphos, non sans avoir eu mainte occasion de déplorer le spectacle d'une si grande corruption, sous un si beau ciel et au sein d'une si belle nature. Paphos était la résidence du proconsul ou gouverneur romain, Sergius Paulus. Il paraît que cet homme avait des besoins religieux, et c'est probablement pour cela qu'il recherchait la société d'un Juif qui, se donnant pour prophète, exerçait la magie à la manière de Simon le Samaritain. Ce fut par la même raison qu'il fit appeler Barnabas et Saul, désirant entendre de leur bouche la Parole de Dieu. Ceci, pour le dire en passant, prouve que la prédication des missionnaires avait porté quelques fruits, ou que du moins elle avait eu du retentissement.

3757. (8-12.) Mais Bar-Jésus, autrement dit Elymas, se mit en opposition directe avec les ministres du Dieu vivant. Plus le proconsul se montrait ébranlé, plus il s'efforçait de le détourner de la foi; et, comme il ne pouvait le faire sans blasphémer, le Saint-Esprit revêtit à cette heure même le plus jeune des apôtres d'une puissance de parole et d'œuvre qui devait confondre l'imposture et punir la méchanceté du magicien. C'est un terrible crime que de résister à Dieu; mais le crime est encore plus affreux lorsque, non content de repousser pour soi les appels de la vérité, on s'efforce d'empêcher les âmes de se convertir. Tel fut le péché d'Elymas, et l'on conçoit sans peine la sévérité de Dieu à son égard. Mais avec quelle émotion l'apôtre de Jésus-Christ ne dut-il pas prononcer une sentence qui lui rappelait si vivement sa propre histoire. N'avait-il pas aussi fait la guerre à Dieu? N'avait-il pas été, lui aussi, frappé momentanément de cécité, en punition de son crime? Oh! comme il dut prier intérieurement, pour que le malheureux Bar-Jésus éprouvât, à son tour, les effets tout-puissants de la grâce du Seigneur!

3758. L'historien sacré ne nous disant pas ce que devint plus tard le méchant Elymas, il est à craindre, hélas! qu'il n'ait persisté dans son aveuglement moral, même après avoir été guéri de sa cécité. Mais le proconsul, témoin du miracle et frappé de la doctrine du Seigneur, y soumit son cœur, et ce fut une conquête importante pour l'Évangile. Ce n'est pas que l'âme d'un grand de la terre soit plus précieuse que celle du pauvre et du chétif, ni qu'à cette époque, les prédicateurs de l'Évangile eussent la malheureuse, pour ne pas dire la coupable pensée de s'appuyer sur le bras de l'autorité. Mais il demeure vrai que les gouverneurs des peuples sont fréquemment ceux chez qui la vérité pénètre avec le plus de peine, et il n'est pas indifférent pour les progrès du règne de Dieu qu'ils soient animés de bon vouloir envers le Seigneur. À ces deux égards la conversion de Serge-Paul fut un événement assez considérable pour que l'auteur sacré ait dû l'enregistrer dans son livre. D'autant plus que ce fut à cette occasion qu'il plut au Seigneur de révéler par des faits, et non plus seulement par des paroles, la grandeur future de son serviteur Saul, j'entends l'énergie qu'il déploierait dans son ministère et les succès dont son travail serait couronné. C'est aussi à partir de ce moment qu'il est parlé de lui plus que de tout autre, et que son nom est habituellement placé avant celui de Barnabas, tandis qu'auparavant c'était le contraire. On a remarqué en outre que, dès lors aussi, l'historien sacré ne l'appelle plus que Paul, au lieu de Saul. Quelques-uns pensent que l'apôtre prit ce nouveau nom en mémoire de la conversion du proconsul, comme s'il eût voulu s'en faire un trophée; mais le nom de Paul étant, dans la forme grecque, un mot tout semblable au nom hébreu Saul, il est plus probable que l'apôtre se désigna de la sorte, à raison simplement de ce que, dès ce jour, son ministère s'accomplit surtout parmi les païens et en des contrées où se parlait universellement la langue grecque.

3759. (13-15.) En partant de Paphos et en naviguant vers le nord, on atteint bientôt la portion du continent asiatique appelée maintenant la Natolie, autrefois l'Asie Mineure ou même simplement l'Asie. Là se trouvait, entre autres provinces, d'abord la Cilicie, patrie de Paul, directement au nord de l'île de Chypre; à l'ouest, la Pamphylie, et au nord de celle-ci la Pisidie; la Lycaonie était encore plus au nord. De Paphos, où ils demeurèrent on ne sait combien de temps, et sans visiter toutefois la Cilicie, Paul, Barnabas et Marc passèrent en Pamphylie, dont Perge était une des principales villes. Après y avoir sans doute annoncé l'Évangile, ils en partirent pour la Pisidie où se trouvait une ville nommée Antioche, comme la ville plus importante de Syrie où ils avaient reçu leur mission. Cependant, Paul et Barnabas avaient perdu à Perge leur compagnon d'œuvre. Marc, cédant peut-être à quelque découragement, était retourné à Jérusalem. Ils n'en poursuivirent pas moins leur carrière avec une grande résolution. Dès le premier sabbat, ils se rendirent dans la congrégation des Juifs établis en cette ville païenne; et, quand on eut achevé les lectures ordinaires de la Parole de Dieu, les chefs de la congrégation, anciens ou évêques, c'est ainsi qu'on les appelait, les firent inviter à prendre la parole, s'ils avaient quelques exhortations à adresser à l'assemblée. Soit que la réputation de Paul et de Barnabas les eût précédés, soit qu’on sût simplement que c'étaient des docteurs venus de Jérusalem, il était fort naturel qu'on désirât de les entendre. Ce fut alors que Paul prononça le premier de ses discours qui nous aient été conservés.

3760. (16-41.) Avant de l'étudier, je dois à mes lecteurs une explication sur la différence qui existe entre les données chronologiques que nous avons ici, et celles que la Bible nous a fournies ailleurs. Si l'on ajoute les dates indiquées par Paul: 40 ans dans le désert, 450 ans pour le temps des juges et 40 ans pour le règne de Saul, on obtient 530 ans depuis la sortie d'Égypte jusqu'à David, ce qui ferait environ 580 ans jusqu'à la construction du temple de Salomon; tandis que cette période n'est que de 480 ans, sans compter que Saul ne régna réellement pas quarante ans. Or, même en faisant abstraction des lumières que Paul tenait du Saint-Esprit, il est manifeste que ce docteur, instruit avec soin dans la connaissance des Écritures, devait savoir aussi bien que nous ce qui est dit au premier livre des Rois sur l'époque où Salomon consacra le temple qui faisait la gloire et, en quelque sorte, la religion des Juifs. Il est donc impossible qu'il se soit mis en contradiction avec le texte sacré, et il doit y avoir moyen de lever la difficulté. — Il est des personnes qui pensent que Paul, s'adressant à des Juifs de langue grecque, adopta la chronologie introduite au milieu d'eux par la version des Septante, bien que fautive; et l'on conçoit en effet que ce n'était pas le lieu d'exciter une discussion sur un point d'une importance tellement secondaire. Mais il est une autre manière d'expliquer la chose. — Les mots: «pendant environ 450 ans,» du verset 20, peuvent n'être qu'une parenthèse, placée même par plusieurs manuscrits en tête du verset, le mot «pendant» pouvant d'ailleurs se supprimer. En sorte que ces 450 ans se rapporteraient, non à ce qui suit, mais à ce qui précède, et il y a effectivement 450 ans de la naissance d'Isaac, en qui Dieu élut les patriarches, jusqu'au partage du pays de Canaan. Il se pourrait aussi que ces 450 ans dussent s'entendre du temps qui s'écoula depuis la sortie d'Égypte jusqu'au moment où David fut reconnu roi par les douze tribus, intervalle qui est de 444 ans. Dans cette supposition, le «après cela» du verset 20 se rattacherait à la circonstance mentionnée dans les derniers mots du verset 17, point de départ des délivrances subséquentes et type fondamental du salut qui est en Jésus-Christ. — Quant aux «40 ans» du verset 21, ils peuvent s'entendre du gouvernement de Saül, joint à celui de Samuel [de 1099 à 1056], temps de préparation, avant l'avènement de David, comme les 40 ans du désert furent un temps de préparation jusqu'à la conquête de Canaan. — Venons-en maintenant au discours même de Paul.

3761. (16-25.) Après avoir fait signe de la main, pour obtenir un silence de tout temps fort rare dans les synagogues, et s'adressant à la fois aux Israélites et aux hommes pieux d'entre les nations, qui, amenés à la connaissance de Dieu, lui rendaient un culte avec les Juifs, Paul commence à rappeler ce qui est à la base de tout dans la doctrine du salut, savoir l'élection de la grâce ou le choix que Dieu avait fait d'Abraham, d'Isaac et de Jacob pour se former un peuple particulier. Le séjour de ce peuple en Égypte, sa délivrance de l'esclavage, la conquête du pays de Canaan, la vocation de David au trône; tout cela était le fruit de l'élection divine. De ce David, de ce prophète-roi, de cet homme dont la mémoire était justement révérée, devait, selon la promesse, sortir l'Élu par excellence, Jésus-Christ, le Sauveur, à la grandeur duquel le fils de Zacharie, autre homme digne de toute vénération, avait rendu un éclatant témoignage dans le temps qu'il prêchait au peuple d'Israël un baptême de conversion.

3762. (26-41). C'est donc à Jésus-Christ qu'aboutit le plan de l'élection divine; en lui est le salut, et c'est ce salut que Paul était chargé d'annoncer à ses auditeurs. Les habitants de Jérusalem avaient rejeté le Christ, et, en le rejetant, ils n'en avaient accompli que plus merveilleusement les prophéties. Bien qu'innocent, dit Paul, ils l'ont fait mourir par les mains de Pilate; on l'a descendu de la croix et mis dans un sépulcre, d'où il est sorti par la puissance de Dieu. Ses disciples particuliers ont attesté ce lait devant tout le peuple, et par là s'est réalisée la promesse que Dieu avait faite aux pères, depuis Adam jusqu'à Malachie. Voici donc en quoi consiste le salut: c'est que Jésus-Christ est mort sur la croix et qu'il a repris la vie; c'est qu'il est le Fils de Dieu, le Saint de l'Éternel; c'est qu'en lui toutes les saintes grâces de David sont accomplies; c'est que, par son moyen, le pardon des péchés est annoncé; c'est, enfin, que tout homme qui croit est justifié par lui de toutes les choses dont on ne saurait être justifié par la loi de Moïse. Cette œuvre de Dieu, ce grand salut, ne manque pas de contempteurs; mais, selon la parole d'un prophète, elle n'en est pas moins la grande merveille du Dieu fort. Malheur donc à qui la méprise! (Habac. 1: 5.)

3763. Il n'y a dans ce discours rien de brillant, rien de ce que les hommes appellent éloquence. Qu'est-ce donc qui en fait la force? C'est qu'il est tout fondé sur les Écritures; c'est qu'il proclame la vérité telle que Dieu l'a faite; c'est, en d'autres termes, qu'il s'appuie tout entier sur les promesses de Dieu et sur leur accomplissement; c'est enfin que le Saint-Esprit, parlant par la bouche de Paul, y découvre lui-même aux pécheurs les trésors de la grâce de Dieu. On peut s'étonner à première vue que l'apôtre n'y fasse aucune mention de sa conversion, fait éclatant qui prouvait autant que nul autre la réalité de la résurrection de Jésus-Christ; mais Paul n'était pas connu personnellement de ceux auxquels il s'adressait, et il convenait bien mieux qu'il s'effaçât, pour en appeler au témoignage des disciples qui avaient vécu avec Jésus. Du reste, vous avez pu remarquer combien sa prédication est d'accord avec celle de Pierre, non seulement quant au fond des choses, mais encore quant à la manière de les présenter; accord d'autant plus digne d'attention que Paul n'avait point été à l'école des autres apôtres. C'est que l'Esprit qui inspirait Pierre inspira Paul également, non cependant sans confier à chacun sa mission spéciale. Remarquez notamment en quels termes il exprime par la bouche de l'ex-pharisien, et pour la première fois avec cette netteté et sous cette formule, la doctrine la plus antipharisaïque qu'on puisse imaginer. Déjà Moïse avait déclaré qu'Abraham crut à l'Éternel, et que sa foi lui fut imputée à justice (Gen. 15: 6); déjà le prophète Habacuc avait dit: «Le juste par la foi vivra» (2: 4); déjà notre Sauveur avait prononcé que le péager de la parabole s'en retourna justifié, bien que pécheur (Luc 18: 14); déjà Pierre avait proclamé Jésus Prince et Sauveur, pour donner la conversion et le pardon des péchés (Act. 5: 31); mais il appartenait à Paul de rassembler toutes ces données en disant: «Sachez, hommes frères, que, par le moyen de Jésus, le pardon des péchés vous est annoncé, et que quiconque croit est justifié par lui de toutes les choses dont vous n'avez pu être justifiés par la loi de Moïse.» C'est là ce qu'on appelle la justification par la foi, et j'attendrai pour exposer cette doctrine dans tout son jour, que la Parole de Dieu m'y conduise elle-même.

3764. (42, 43.) La prédication de Paul, comme il n'arrive que trop souvent, produisit moins d'effet sur ceux qui semblaient le plus près du royaume de Dieu, que sur les hommes qui, par leur naissance et leurs superstitions, en étaient le plus éloignés. Les païens d'origine, auditeurs de l'Apôtre, le supplièrent, lui et son collègue, de leur parler des mêmes choses le sabbat suivant; bon signe en vérité, quand on ne craint pas de s'entendre répéter, et que Jésus est mort et qu'il est ressuscité, pour expier nos fautes et nous justifier devant Dieu. Cependant, il y eut beaucoup de Juifs et de prosélytes qui, mus par une foi naissante, suivirent, dès ce moment, Paul et Barnabas. Or, à sa naissance comme plus tard, la foi consiste toujours à saisir la grâce de Dieu, et c'est dans cette grâce que les apôtres exhortaient leurs nouveaux disciples à persévérer. O vous donc, mes lecteurs, croyez en la grâce du Seigneur; et si vous y croyez déjà, tenez-vous-y fortement attachés; c'est, en deux mots, tout l'Évangile.


CCLXXXIII. — Suite du premier voyage missionnaire. — Paul à Iconie, à Lystre, à Derbe, et retour.


3765. (44-47.) On doit bien penser que, pendant toute la semaine, il ne fut bruit à Antioche que de ce qui s'était passé le précédent sabbat; les apôtres, d'ailleurs, ne pouvaient être demeurés oisifs; en sorte que, le sabbat suivant, une grande foule de païens s'assembla pour entendre la Parole de Dieu. Le monde eut alors sous les yeux un bien triste spectacle. Ces malheureux Juifs, toujours et partout les mêmes, au lieu de se réjouir des succès de l'Évangile, s'indignèrent à la pensée que les païens étaient appelés à partager avec eux les grâces du Seigneur, preuve qu'ils n'en sentaient pas le besoin pour eux-mêmes. [3237]. Ils se mirent donc à contredire Paul et Barnabas. Dans leur fureur, ils allèrent jusqu'à des blasphèmes, et, en se comportant de la sorte, ils montrèrent clairement aux apôtres la marche qu'ils avaient à suivre dorénavant (Matth. 7: 6). C'était bien devant eux que Paul et Barnabas avaient dû commencer leurs prédications (A. 3: 26); mais puisqu'ils repoussaient la Parole de Dieu, s'excluant ainsi volontairement de la vie éternelle, les ministres de Jésus-Christ n'avaient pas autre chose à faire qu'à se tourner vers les nations étrangères, estimées par les Juifs si fort au-dessous d'eux. C'était d'ailleurs ce qu'Ésaïe avait prophétisé (Es. 49: 6); et voilà comment les ennemis de la vérité contribuent souvent à la mettre en lumière!

3766. (48, 49.) Mais tandis que les fils d'Abraham selon la chair «annulaient contre eux-mêmes le conseil de Dieu» (Luc 7: 30), des hommes, jusque-là séparés de la république d'Israël, se réjouissaient de la bonne nouvelle; ils admiraient l'excellence de la Parole sainte; ils la glorifiaient en se convertissant au Seigneur: «Tous ceux, dit l'auteur sacré, qui étaient ordonnés pour la vie éternelle;» car, selon la déclaration précise de Jésus-Christ, «nul ne va au Fils que le Père ne l'attire» (Jean 6: 44). C'est pourquoi la Parole du Seigneur se répandait dans toute la contrée, nonobstant l'opposition des Juifs; car leur incrédulité ne pouvait assurément empêcher que cette Parole ne parvînt aux âmes dont l'Éternel voulait le salut.

3767. (50-52.) Les adversaires de la vérité commencent d'ordinaire par lui opposer leurs sophismes et leurs invectives; c'est ce qu'avaient fait les Juifs d'Antioche de Pisidie. Après cela, quand ils voient qu'en dépit de leurs efforts la cause de l'Évangile ne laisse pas de triompher, ils persécutent ceux qui le prêchent, sauf à exercer plus tard leur colère contre les personnes qui l'embrassent; c'est ce qu'on vit encore à Antioche. Jouissant d'une faible influence sur le peuple, les Juifs excitèrent contre les apôtres quelques dévotes et certaines femmes de haut rang; puis, par elles peut-être, les principaux de la ville, et il en résulta que Paul et Barnabas furent chassés de ce lieu. Selon l'ordre de leur Maître, ordre qu'ils n'avaient pas reçu personnellement, mais qui ne les concernait pas moins, ils secouèrent la poussière de leurs pieds en témoignage contre ceux qui les rejetaient [3038], et, se dirigeant à l'est, ils arrivèrent à Iconie. Cependant, ils avaient fait à Antioche une œuvre stable. Les disciples qu'ils y laissèrent, tristes sans doute de cette séparation et des violences qui l'avaient amenée, n'en demeurèrent pas moins dans la joie que donne le Saint-Esprit. Ils eurent donc la preuve en eux-mêmes que leur foi et leurs espérances ne reposaient pas sur des paroles d'hommes, ni sur la présence des ministres de Jésus, mais sur l'action même de son Esprit de grâce et de vérité.

3768. (14: 1-7.) Le séjour des apôtres à Iconie fut de longue durée et porta des fruits de salut pour beaucoup d'âmes, tant parmi les Juifs que parmi les païens, malgré l'opposition constante des défenseurs de la synagogue qui, à Iconie comme à Antioche, commirent l'indignité d'exaspérer contre les disciples les esprits des païens, plus disposés qu'eux à la tolérance. Beaucoup de miracles se faisaient par les mains des apôtres, les conversions se multipliaient; en sorte qu'il y eut bientôt un soulèvement général de tous ceux qui n'avaient pas cru. Grecs et Juifs, les magistrats à leur tête, formèrent le projet de lapider Paul et Barnabas; mais ceux-ci, comprenant que leur œuvre dans cette ville était achevée, la quittèrent spontanément et se transportèrent à Lystre, puis à Derbe, villes de Lycaonie, au sud-est d'Iconie. Ce n'était pas pour se soustraire à de nouvelles persécutions par un coupable silence; car au contraire, il y annoncèrent l'Évangile, comme ils l'avaient fait en Chypre, en Pamphylie et en Pisidie, au mépris des mêmes périls.

3769. (8-10.) Un des premiers fruits de la prédication des apôtres dans la ville de Lystre, paraît avoir été la conversion d'un homme qui, dès sa naissance, était privé de l'usage de ses jambes. Le Seigneur, voulant faire de ce pauvre infirme un monument de sa puissance et tout à la fois de sa grâce, lui donna, par le ministère de Paul, la faculté de marcher. Or, il lui arriva, comme à l'impotent guéri par Pierre [3657], que, non seulement la vie se mit à circuler dans ses jambes, jusqu'à présent frappées de mort, mais encore que, dès le premier moment, il put en user non à la manière d'un malade, qui, après un long séjour au lit, doit rapprendre à marcher, ni à la manière du petit enfant qui s'exerce longtemps avant de pouvoir poser et diriger ses pieds avec assurance; mais il allait sautant et marchant, comme s'il eût toujours eu la pleine possession de ses forces: œuvre du Dieu créateur, s'il en fût jamais, et touchante image de la vie spirituelle dont la grâce du Seigneur anime, en les régénérant, des âmes mortes jusque-là dans leurs fautes et dans leurs péchés.

3770. (11-15.) Les habitants de Lystre, plus adonnés peut-être à l'idolâtrie que ceux d'Iconie et d'Antioche, par la raison, semble-t-il, qu'il n'y avait pas de synagogue juive au milieu d'eux, ne virent dans ce miracle qu'une seule chose: la puissance infinie qui s'y était déployée; et comme ils ne connaissaient pas Celui qui a créé les cieux et la terre, comme d'un autre côté leur bon sens se refusait à penser que de simples mortels pussent jouir d'un tel pouvoir, ils s'arrêtèrent à l'idée que deux de leurs dieux, ayant revêtu la forme humaine, selon leurs fables, étaient descendus parmi eux. Barnabas étant le plus Âgé, ils jugèrent à son aspect vénérable qu'il n'était autre que Jupiter, le roi de l'Olympe grec, et de Paul ils firent Mercure, le dieu de l'éloquence. C'est pourquoi, le sacrificateur de service auprès d'une statue de Jupiter, érigée à l'entrée de la ville comme pour la garder, s'empressa d'amener devant les apôtres des taureaux ornés de couronnes de fleurs, selon les usages des sacrifices païens, et, de concert avec le peuple, il s'apprêtait à les immoler en leur honneur. Mais Barnabas et Paul ayant appris ce qui se préparait, déchirèrent leurs vêtements et se précipitèrent dans la foule, en poussant des cris qui attestaient en même temps leur confusion et leur zèle pour Dieu. Voici donc la seconde fois que nous voyons combien il eût été facile aux apôtres d'exploiter, dans leur intérêt particulier, l'enthousiasme qu'excitait leur puissance; la seconde fois aussi que nous voyons combien l'homme est naturellement enclin à détourner de Dieu la gloire qui lui est due [3733]. Mais Celui qui donnait à ses envoyés le pouvoir d'opérer des miracles, les gardait par son Saint-Esprit, et ce fut par ce même Esprit qu'ils prononcèrent le discours plein d'énergie que nous lisons en cet endroit.

3771. (14: 15-18.) Si l'on s'étonnait que les apôtres n'aient pas profité de l'occasion pour annoncer Jésus-Christ à ces pauvres Lycaoniens, il faudrait se rappeler les circonstances où ils se trouvaient. C'était au milieu d'une foule confuse dont il s'agissait de comprimer le coupable élan, et à laquelle il n'était pas possible de faire entendre de longs discours. Paul donc, allant au plus pressé, se contente d'abord de protester contre leur idolâtrie, partant pour cela des honneurs mêmes qu'ils voulaient leur décerner, à eux qui n'étaient que des hommes, sujets à toutes les infirmités humaines. Cependant, ce que les apôtres leur prêchèrent ne laissait pas d'être une bonne nouvelle, selon le mot que porte le texte; car ils leur parlèrent de la patience et de la bienveillance du Dieu tout-puissant; ils leur dirent que c'est lui qui remplit les cœurs de nourriture et de joie. D'ailleurs, inviter les pécheurs à se tourner vers Dieu, n'est-ce pas leur annoncer la bonne nouvelle que Dieu voudra bien les recevoir? Ce discours atteignit en partie son but; mais ce ne fut pas sans peine que ces aveugles consentirent à ne pas adorer Paul et Barnabas.

3772. (19, 20.) Après avoir été traités comme des dieux par les païens de Lystre, les apôtres furent, bientôt après, traités comme des malfaiteurs par les Juifs d'Antioche et d'Iconie. Ceux-ci, poursuivant de leur haine les messagers de la bonne nouvelle, vinrent exciter contre eux les Lycaoniens, secrètement irrités d'avoir été contrariés dans leurs superstitions; et, de leur consentement, ils lapidèrent Paul. Ce fut Paul et non Barnabas, qui tomba sous leurs coups, ou parce que Paul, plus ardent, ne craignit pas d'y demeurer exposé, tandis que Barnabas se tenait sagement à l'écart, ou parce que Paul, portant plus habituellement la parole, avait eu particulièrement l'honneur de s'attirer leur haine. Quand ils l'eurent assommé à coups de pierres, ils le traînèrent hors de la ville, le laissant pour mort. Mais, soit que le Seigneur l'eut préservé merveilleusement de toute atteinte mortelle, soit qu'il le rappelât à la vie par une résurrection, Paul, entouré des disciples, se leva et rentra courageusement dans la ville. Cependant, le lendemain même, il partit pour Derbe avec Barnabas. L'Évangile était maintenant planté à Lystre dans le cœur de l'impotent et de plusieurs autres: il n'était donc pas nécessaire que les apôtres y demeurassent plus longtemps.

3773. (21, 22.) Derbe, autre ville de la Lycaonie, fut, selon toute apparence, le point extrême du premier voyage missionnaire de Paul. La prédication de l'Évangile n'y rencontra pas les mêmes obstacles que dans les localités précédentes; les apôtres purent y faire un assez long séjour; ce qu'il y a de certain, c'est qu'ils y formèrent bon nombre de disciples. Le moment du départ étant arrivé, Paul et Barnabas jugèrent convenable de rentrer en Syrie, non point par la Cilicie, ce qui eût été le plus court chemin, mais par Lystre, Iconie et Antioche de Pisidie, malgré les persécutions qui les en avaient chassés. Ils refirent donc, par une marche rétrograde, absolument le même voyage jusqu'en Pamphylie, s'employant surtout à affermir les âmes des disciples, afin qu'ils persévérassent dans la foi sans se laisser ébranler par la persécution. Ils leur disaient même, selon la parole de Jésus, que la souffrance est, dans ce monde, la condition naturelle de ceux qui s'attachent à la vérité.

3774. (23.) En s'éloignant des villes où ils avaient prêché l'Évangile, les apôtres n'emportaient avec eux ni la Parole de Dieu, ni le Saint-Esprit; aussi, malgré leur absence, les frères de Lystre, d'Iconie et d'Antioche avaient sûrement fait des progrès dans la foi, et leur nombre avait dû s'accroître par l'effet de la grâce de Dieu. À leur retour dans chacune de ces villes, Paul et Barnabas trouvèrent donc des assemblées ou des Églises qu'il s'agissait d'organiser; car c'est le propre de toutes les œuvres de Dieu, que chacune ait sa forme particulière, et l'Église, en tant que société, ne saurait se passer d'une administration quelconque. Mais si le Seigneur, même sous l'Ancien Testament, avait laissé une assez grande latitude en ce qui concernait certains détails [738], à plus forte raison n'a-t-il rien prescrit de très positif quant à l'organisation proprement dite de son Église. Nous voyons ce que firent les apôtres, et autant que possible il sera bien de les imiter; mais il n'existe pas de commandement formel qui impose l'obligation de les copier dans tous les temps et quelles que soient les circonstances. On ne saurait méconnaître néanmoins certains principes qui leur servirent de direction et que nous devons prendre nous-mêmes pour règle invariable. En tout premier lieu, il faut de l'ordre dans les Églises et des hommes spécialement chargés de l'y maintenir. Les Juifs avaient, pour leurs synagogues ou congrégations, des anciens, aussi nommés ministres, c'est-à-dire sénateurs, inspecteurs ou évoques, c'est-à-dire surveillants. Nous avons déjà vu que l'Église de Jérusalem avait emprunté de la synagogue cet ordre de fonctionnaires (11: 30) ; Paul et Barnabas ne firent autre chose que de transporter l'institution aux nouvelles Églises que le Saint-Esprit avait fondées par leur ministère. Il y eut donc en chaque ville, non pas un ancien (ou évêque), mais des anciens; et nous pouvons conclure de là, d'une manière générale, qu'il n'est pas bon qu'une Église soit sous la direction d'un seul homme, quelque bien qualifié qu'on le suppose. 

3775. Après cela, quoique la chose ne soit pas dite expressément, il est probable que les assemblées désignèrent aux apôtres ceux qu'elles estimaient propres à ce ministère, car on ne verrait pas pourquoi l'on n'aurait pas suivi la même marche qu'en d'autres circonstances pareilles [3631, 3688]; mais, ce qui est plus important, remarquez de quelles saintes précautions on doit s'entourer dans le choix des anciens. Les Églises de Lystre, d'Iconie et d'Antioche accompagnèrent de prières et de jeûnes cet acte solennel, et il y a vraiment lieu de s'affliger quand on voit, de nos jours, avec quelle légèreté tant d'Églises y procèdent. Enfin, observation non moins sérieuse, lorsque les apôtres quittèrent ces Églises pour ne pas les revoir peut-être, il les remirent, non point à la garde proprement de leurs anciens, mais à celle du Seigneur en qui elles avaient cru. C'est-à-dire que, dans tous les cas, c'est le Seigneur qui est le conducteur, le chef, le seul pasteur du peuple qu'il s'est acquis par ses souffrances; que, quelles que soient la foi, la piété, les lumières des anciens d'une Église, c'est toujours en Jésus-Christ que les fidèles doivent chercher leur force et leurs consolations; que les anciens enfin ne sont pas les représentants de Jésus-Christ sur la terre, mais de simples ministres de ses volontés, des instruments, et des instruments d'autant plus utiles qu'ils chercheront moins à s'échapper de la main qui les dirige.

3776. (24-28.) Trois années avaient pu s'écouler depuis que Barnabas et Saul étaient partis d'Antioche de Syrie. Les y voilà maintenant de retour, mais sans avoir repassé par l'île de Chypre; car de Perge ils étaient descendus à Attalie, ville considérable, sur un promontoire de la côte de Pamphylie, et, d'Attalie, ils avaient mis directement à la voile pour Antioche. Quelle ne dut pas être la joie de Niger, de Lucius, de Manahem, de tous les frères et de toutes les sœurs, en revoyant ces premiers messagers de la bonne nouvelle au milieu des païens! L'Église pouvait avoir appris les graves périls qu'ils avaient courus plus d'une fois. Maintenant, ils sont là sains et saufs, et quelles merveilles n'ont-ils pas à raconter! Dieu n'a cessé d'être avec eux! Dieu lui-même a agi par eux! Il a ouvert aux nations la porte de la foi, et le nom de Christ est invoqué par un grand nombre de personnes qui ne connaissaient auparavant d'autre Dieu que Jupiter et Mercure, et Vénus et cette foule de divinités impures qu'adoraient les païens, même les plus instruits. Ce que Paul et Barnabas firent alors, en racontant les succès de leurs prédications, c'est ce que font encore, de nos jours, les missionnaires qui reviennent des pays idolâtres ou qui nous écrivent de ces contrées lointaines. Or, nous savons tous combien il y a d'édification dans leurs récits; en sorte que, par la conversion des peuples, le Seigneur fait deux biens à la fois: il sauve de l'enfer des âmes qui s'y précipitaient, et il affermit celles qui apprennent les merveilles de sa grâce. Mais de toutes les missions, il n'en fut jamais de plus importante que celle dont Paul et Barnabas venaient de s'acquitter; car, après celle d'Antioche de Syrie, ce fut la première mission prolongée en pays idolâtre.


CCLXXXIV. — Conférence des apôtres à Jérusalem. — Troisième voyage de Paul dans cette ville depuis sa conversion.


3777. (15: 1, 2.) On voit par les derniers mois du chapitre précédent que Paul et Barnabas firent à Antioche un séjour assez prolongé, en sorte qu'on ne peut savoir au juste à quelle époque eut lieu le grand événement qui nous est raconté dans ce chapitre-ci. Il n'est pas probable toutefois qu'il faille le placer fort longtemps après le retour des apôtres. Le bruit de leurs triomphes sur le paganisme ne tarda pas à gagner Jérusalem. Or, en apprenant que tous ces païens étaient passés à Jésus-Christ sans s'être auparavant affiliés à la race d'Abraham par la circoncision, il dut y avoir une certaine rumeur parmi les chrétiens de Jérusalem, tous d'origine juive et pratiquant les ordonnances de Moïse, ainsi que nous l'avons vu précédemment [3633]. Quelques-uns d'entre eux, sans en avoir reçu mission de personne, descendirent à Antioche et se mirent à y prêcher que les païens ne pouvaient être sauvés par Jésus-Christ, si au préalable ils ne se faisaient circoncire, selon la coutume de Moïse. Ce fut à cette prétention, ainsi formulée, que Paul et Barnabas firent la plus vive opposition, non seulement pour justifier leur conduite, mais encore pour maintenir la sainte et consolante doctrine du salut gratuit parfaitement accompli en Jésus-Christ. Comme les frères venus de Jérusalem s'obstinaient, il fut résolu que Paul, Barnabas et quelques autres avec eux monteraient en cette ville, où se trouvaient encore la plupart des premiers envoyés du Seigneur, afin de les entendre sur cette question, eux et les anciens d'une Église qui était comme la mère de toutes les autres. Ce n'était pas que Paul et Barnabas pussent avoir des doutes sur la véritable solution de la difficulté, ni qu'ils entendissent faire de l'Église de Jérusalem la maîtresse des Églises du Seigneur; mais, persuadés en leur cœur que l'Esprit qui les avait dirigés conduisait également leurs frères aînés dans l'apostolat, ils étaient heureux de montrer l'accord parfait qui régnait entre eux tous sur la voie du salut.

3778. (3, 4.) D'Antioche à Jérusalem ils durent traverser la Phénicie et la Samarie. La Phénicie, théâtre jadis de la plus horrible idolâtrie, et la Samarie, dont les habitants étaient naguère si opposés à tout ce qui venait des Juifs. Partout les députés d'Antioche rencontrèrent des personnes converties auxquelles ils racontaient en détail comment les nations jusque-là les plus étrangères à la connaissance du Seigneur, se tournaient maintenant vers la parole de sa grâce; et leurs récits étaient accueillis, non avec l'esprit jaloux qui dévorait les Juifs, mais avec une grande allégresse. Pouvait-il en être autrement, puisque ces choses font la joie même des anges dans le ciel? (Luc 15). Arrivés à Jérusalem, Paul, Barnabas et leurs compagnons de route reçurent le meilleur accueil de la part de l'assemblée et de ses conducteurs, les apôtres et les anciens. Sur ce dernier mot, je fais remarquer en passant que là même où les apôtres résidaient, ils avaient été conduits par l'Esprit du Seigneur à établir des anciens pour la direction de l'Église, tandis qu'ils demeuraient eux-mêmes spécialement charges du ministère de la Parole et du témoignage qu'ils devaient rendre à la résurrection de Jésus-Christ.

3779. (4-6.) À Jérusalem, comme partout sur leur passage, Paul et Barnabas s'empressèrent de raconter les choses que Dieu avait opérées «avec eux» parmi les païens. C'était non seulement pour affermir l'Église et la réjouir, mais pour prouver par des faits que les grâces du salut se rattachent toutes à la foi en Jésus-Christ, sans qu'il y ait besoin d'y ajouter l'observation des ordonnances de la loi, telle que la circoncision. Mais, parmi les fidèles sortis de la secte des pharisiens comme Paul, il s'en trouva qui, trop imbus de leurs anciennes opinions pour se laisser éclairer par les faits même les plus évidents (et tous les jours ce phénomène moral se renouvelle), prétendirent qu'il fallait absolument circoncire les païens et les soumettre à la loi de Moïse, sans quoi, c'était bien leur pensée, ils jugeaient impossible que les païens fussent sauvés. Alors eut lieu ce qu'on appelle le concile ou le synode de Jérusalem, mot impropre, à mon avis, puisqu'on entend ordinairement par là une assemblée régulièrement composée de délégués d'un certain nombre d'Églises, et qu'il n'y avait là que l'Église de Jérusalem et quelques représentants de celle d'Antioche. Ce ne fut donc, à bien dire, qu'une conférence entre les fidèles des deux localités où la question des païens avait pris naissance; mais quand on considère la qualité des personnages qui y figurèrent, il est tout simple qu'on ait donné une grande valeur à cette assemblée.

3780. (7-11.) La discussion fut très vive, comme on pouvait naturellement s'y attendre; car il s'agissait de savoir si le christianisme revêtirait la forme légale du judaïsme ou non; si le salut se trouve tout entier ou non dans la croix de Jésus. Plusieurs déjà s'étaient exprimés là-dessus avec une grande chaleur, lorsque Pierre, qui avait dû avoir quelque peine à se contenir, et qui, par son âge comme par le ministère que le Seigneur lui avait confié, méritait une attention particulière, se leva au milieu de l'assemblée et prononça peu de paroles, mais des paroles pleines de ce sens et de cette logique que donne l'Esprit de Dieu. Après avoir rappelé que, dès les jours anciens, c'est-à-dire avant que l'Évangile eût été prêché parmi les idolâtres de l'Asie Mineure et même d'Antioche, Dieu l'avait choisi entre les douze pour l'annoncer le premier, dans la maison de Corneille, à une assemblée toute de païens, il montra comment le Seigneur, en appelant à lui ces hommes, les avait mis au niveau des Juifs qui avaient cru; car il leur avait donné, à eux aussi, le Saint-Esprit, et il avait «purifié leur cœur par la foi.» À cette considération l'apôtre en ajoute une seconde: c'est que ni eux, Juifs, ni leurs pères n'avaient pu être sauvés par la loi de Moïse, joug sous lequel ils auraient succombé s'ils n'avaient espéré en la miséricorde de Dieu. Même à ce moment, où les chrétiens de Jérusalem continuaient d'observer les ordonnances de Moïse, ce n'était nullement par là qu'ils comptaient être sauvés, mais par la pure grâce du Seigneur Jésus-Christ; si bien que, sous ce rapport encore, il n'y avait point de différence entre eux et les païens. L'argument de Pierre avait donc un double aspect, et sous les deux faces il était sans réplique; d'un côté, dit-il, les gentils, bien que non-observateurs de la loi, ont part aux mêmes privilèges que nous: et nous, bien qu'observateurs de la loi, nous estimons n'être sauvés que par la grâce qui leur a été faite ainsi qu'à nous; pourquoi donc vouloir les astreindre aux observances légales?

3781. Dans ce discours, comme dans tout ce qui est sorti de la bouche et de la plume des apôtres, outre le fond de l'argumentation et l'expression générale des pensées, il y a des mots qu'il importe de remarquer, à raison des traits de lumière qui en jaillissent. Ceci, par exemple: «Dieu n'a point mis de différence entre nous et eux, ayant purifié leur cœur par la foi,» doctrine importante et trop oubliée, «Bienheureux ceux qui ont le cœur pur,» avait dit Jésus-Christ; maintenant il nous fait savoir par son apôtre ce qui purifie le cœur. Ce n'est donc pas seulement le pardon des péchés qui se trouve en Jésus, mais encore la sainteté, et Pierre avait déjà proclamé cette vérité d'une autre manière (3: 2ti). Voyez ensuite avec quelle force d'expression il montre le péché qu'il y aurait à exiger des païens l'observation de la loi pour être sauvés. Il ne se contente pas de dire que personne ne fut jamais sauvé par ce moyen, que la loi ne saurait relever l'âme, puisqu'elle n'est qu'un joug écrasant; mais encore il déclare que ce serait tenter Dieu, lui demander ce qu'il n'avait jamais fait, ce qu'il n'avait point promis de faire, ce qu'il ne pouvait faire sans se démentir. Vous voulez que Dieu leur donne la vie par une chose qui n'est qu'un instrument de mort! vous voulez les mettre dans une condition qui ne peut que multiplier le péché, et vous prétendez que cette surabondance de péché les sauvera! Mais c'est en quelque sorte vouloir faire Dieu pécheur; c'est le tenter.

3782. (12-21.) Le discours de Pierre produisit une telle impression que toute la multitude garda le silence pendant un certain temps: il paraît que la délibération avait lieu devant l'Église. C'était le moment pour Barnabas et pour Saul (Barnabas le premier, parce qu'à Jérusalem il reprenait naturellement son ancien rang), de raconter les faits dont ils avaient été les instruments et les témoins, et qui venaient à l'appui de l'argumentation de Pierre. Ces récits mirent fin à la discussion, et il n'y avait plus qu'à résumer un avis qui, par l'action du Saint-Esprit, était devenu celui de tous. C'est ce que fit le président de l'assemblée, ce même Jacques que nous avons vu l'objet de la déférence particulière du plus éminent des apôtres (12: 17), et dont la sainteté fut en honneur parmi les Juifs comme parmi les fidèles. Pour confirmer d'une autre manière encore le discours de Pierre, Jacques en appelle aux prophéties de l'Ancien Testament sur la vocation des gentils, citant celle d'Amos (9: 11, 12), où l'on voit que l'Éternel ferait simultanément deux choses: d'abord il réédifierait la tente de David, puis, de cette tente redressée, il se ferait rechercher par les nations sur lesquelles son nom serait invoqué. Ainsi, relèvement d'Israël en Jésus, fils de David, et appels de grâce aux peuples étrangers: voilà ce qui devait arriver, selon la parole de ce «Dieu qui, de tout temps, connaît toutes ses œuvres.» La conversion des païens d'Antioche et d'Asie était donc l'œuvre de Dieu aussi bien que celle des Juifs; en conséquence, il n'y avait pas à les inquiéter au sujet de leur salut. Ils appartenaient au Seigneur par la foi, et ils n'avaient besoin d'aucun autre mode d'agrégation au peuple de Dieu. Cependant, afin de n'être pas en scandale aux Juifs de la dispersion, notamment dans les villes où ils avaient des synagogues, il importait que les disciples s'y abstinssent de certaines pratiques tellement odieuses aux fils d'Israël, que des chrétiens ne pouvaient se les permettre sans porter un grand préjudice à la prédication de l'Évangile. D'abord toute participation à l'idolâtrie et aux fêtes licencieuses des païens. Il ne semblait pas nécessaire de mentionner cet objet; mais Jacques savait l'entraînement des fêtes populaires, l'empire des coutumes nationales, la fragilité de la chair, et l'on comprend d'après cela qu'il ait fait entrer cet article dans sa proposition. Quant à manger des viandes étouffées et du sang, choses qui ne sont pas criminelles en soi, mais qui, d'un autre côté, ne sont nullement indispensables, il fallait s'en abstenir par ménagement pour les Juifs. C'était une manière frappante et sans cesse renouvelée de prouver que, tout incirconcis qu'on était, on avait réellement abandonné le culte et les mœurs des païens. Ce n'était pas dire: «Nous sommes devenus Juifs,» mais «nous nous sommes séparés du monde.»

3783. (22-29.) Ce que Jacques proposa reçut l'assentiment des apôtres, celui des anciens et de l'Église tout entière. Judas, surnommé Barsabas, et Silas, hommes considérés entre les frères, furent choisis «par l'assemblée» pour reconduire Paul et Barnabas à Antioche, et pour y porter une lettre remarquable à plus d'un titre. Ecrite au nom des apôtres, des anciens et des frères, et non point au nom seulement de Jacques ou de, Pierre, elle ne fut pas adressée à toutes les Églises, mais seulement à celle d'Antioche et aux Églises voisines de Syrie et de Cilicie; car, en ce moment, ces Églises seules avaient été agitées par la question qu'on venait de résoudre. «Il nous a semblé bon, dit l'épître, de vous députer, avec Barnabas et Paul, deux de nos frères.» Barnabas et Paul méritaient toute confiance, vu que c'étaient des hommes qui avaient exposé leur vie pour le nom du Seigneur Jésus-Christ; il était bon toutefois qu'on vît avec eux quelques collaborateurs des premiers apôtres, afin de rendre sensible le parfait accord qui régnait entre tous. Quant au principal, la lettre des apôtres, des anciens et des frères, porte que ce point a été résolu par eux sous l'assistance, si ce n'est par une voix du Saint-Esprit, «II a semblé bon au Saint-Esprit et à nous, » dirent-ils. Cette formule exprime nettement le mystère de l'inspiration, phénomène miraculeux dans lequel il y a comme une infusion de la pensée divine dans la pensée humaine, en sorte que l'expression de cette pensée est tout à la fois de Dieu et de l'homme. Et voyez le ton calme et modéré de ces hommes vraiment inspirés de Dieu! Au lieu de menaces, ils se bornent à dire en terminant leur lettre: «Si vous vous gardez de cela, vous ferez bien.» Quel contraste avec les anathèmes fulminés par tant de conciles qui ont prétendu n'être que la continuation de celui de Jérusalem, et où les hommes les plus violents, les plus étrangers à la vérité et aux bonnes mœurs, ont osé faire précéder leurs décrets de cette formule, si indignement profanée: «il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous!» Remarquez enfin la simplicité parfaite des salutations qui ouvrent et ferment cette lettre. Jamais écrit n'eut un plus grand caractère de vérité; jamais hommes ne se montrèrent plus éloignés de toute exaltation. On s'étonne même de ne pas trouver quelque chose de plus solennel dans un manifeste de cette importance. Nous ne l'eussions pas fait ainsi; mais c'est ainsi que, sous l'inspiration divine et dans la simplicité de leur foi, le rédigèrent les apôtres, les anciens et les frères de Jérusalem, par la plume de Jacques, selon toute apparence. Ces hommes disaient la vérité purement et simplement; ils faisaient l'œuvre de Dieu telle qu'elle leur était présentée, sans songer à l'embellir, ou, dirai-je, à la travestir en y mettant du leur.

3784. (30-35.) Le retour de Paul et de Barnabas fut pour les disciples d'Antioche le sujet d'une grande joie. Ils s'estimèrent heureux du résultat obtenu, bien que leur liberté fût en quelque chose diminuée. Judas et Silas, prophètes du Seigneur, leur adressèrent de nombreuses exhortations, ou, comme nous dirions, prêchèrent plusieurs fois à Antioche ; après quoi, il leur fut permis de repartir pour Jérusalem, emportant les vœux et les bénédictions de l'Église. Cependant, Silas préféra demeurer, et nous allons voir que le Seigneur le destinait à devenir le compagnon des travaux de Paul, au lieu de Barnabas. En attendant, sa présence à Antioche y accrut le nombre, déjà considérable, des docteurs et des prophètes qui illustraient cette Église, ou, pour mieux dire, qui l'édifiaient par leurs prédications et y faisaient faire constamment de nouveaux progrès au règne de Dieu.


CCLXXXV. — Second voyage missionnaire de Paul, en Asie Mineure, puis en Macédoine.


3785. (38-40.) Deux ans s'étaient écoulés, pense-t-on, depuis que Paul et Barnabas avaient achevé leur première mission, lorsqu'ils formèrent le projet de retourner dans les mêmes lieux pour visiter les frères et voir «comment ils allaient,» dit l'historien sacré. Jean-Marc se trouvait alors à Antioche, et Barnabas, son cousin, désirait qu'il fût du voyage. Mais Paul pensa, non sans raison, qu'il n'était pas à propos de prendre avec eux un frère qui, la précédente fois, les avait quittés dès le commencement de la mission. De là un débat assez vif entre ces deux grands serviteurs de Dieu, Paul et Barnabas; mais, hélas! c'étaient des hommes sujets aux mêmes infirmités que nous, comme ils l'avaient dit aux païens de Lystre, et si nous ne pouvons approuver leur conduite dans cette circonstance, nous admirerons de nouveau la fidélité avec laquelle le Saint-Esprit raconte les faiblesses et les fautes des hommes qu'il a le plus honorés. Nous n'admirerons pas moins comment Dieu sait faire concorder avec ses plans les péchés de ses serviteurs. Il résulta de cette altercation qu'il y eut deux missions au lieu d'une: Barnabas et Marc mirent à la voile pour l'île de Chypre, tandis que Paul partait avec Silas, après avoir été confiés à la grâce de Dieu par les frères.

3786. (41 ; 16: 1-5.) En faisant son voyage par terre, Paul eut à traverser deux provinces où sa prédication n'était pas nouvelle. Dans tous les cas, il s'y trouvait des Églises à visiter, puisque c'était à elles que la lettre du concile de Jérusalem avait été adressée. Puis remarquez que Paul était escorté de Silas, un des porteurs de cette lettre. Toutefois, et encore que Paul eût bien des raisons pour séjourner en Cicilie, d'où il était originaire, il ne fit qu'y passer, et l'historien sacré nous transporte immédiatement à Derbe et à Lystre, soit qu'il supprime les noms des lieux intermédiaires, Attalie, Perge et Antioche de Pisidie, soit plutôt que les apôtres aient gagné Derbe directement. Quoi qu'il en soit, l'occupation principale de Paul, dans ce second voyage, fut d'affermir des Églises qui, jeunes encore et entourées de dangers, devaient avoir grand besoin des encouragements de la Parole de Dieu. D'ailleurs, il en est des Églises comme de chacun de ceux qui les composent: ce n'est que par une action constante de la grâce du Seigneur qu'elles peuvent s'affermir dans la foi et dans la sainteté.

3787. (16: 1-5.) Ce fut ici que Dieu fit à Paul un vrai présent, en lui donnant pour disciple un très jeune homme qui compta dès lors parmi les plus fidèles et les plus utiles collaborateurs de l'apôtre. Il était de Derbe, et s'appelait Timothée. Fils d'un païen, mais d'une femme juive, il avait reçu de bonne heure les semences de la vérité par les soins de sa mère et de sa grand'mère, ainsi que nous le verrons plus tard. Ces deux femmes, Israélites pieuses, avaient été probablement converties à Jésus-Christ lors du premier voyage de Paul. Le jeune Timothée datait de cette époque le commencement de sa vraie vie, et tous les frères de la contrée, jusqu'à Iconie, rendaient témoignage à la sincérité de sa foi. Il fut donné à Paul de discerner en lui le futur évangéliste, et il résolut de s'en faire accompagner. Mais comme Timothée n'avait pas été circoncis, l'Apôtre voulut que, Juif par sa mère, il pût avoir un libre accès dans les synagogues, et, par cette raison, il le circoncit. Ce n'était pas se mettre en contradiction avec ses propres principes, ni avec ceux de la conférence de Jérusalem; d'abord, parce que Timothée appartenait au judaïsme par sa mère, et que la question traitée, soit à Jérusalem, soit à Antioche, concernait les fidèles sortis du paganisme; ensuite, parce que Paul ne fit point circoncire Timothée pour qu'il pût être sauvé, mais pour qu'il pût s'adresser aux Juifs comme un des leurs. En cela donc, Paul fut conduit par la sagesse même de Dieu. Il avait si peu la pensée de se mettre en désaccord avec les résolutions prises par les apôtres et les anciens de Jérusalem que, dans toutes les villes, il les faisait connaître aux disciples et leur en recommandait l'observation. Il ne se bornait pas à cela sans doute. C'étaient toujours les grandes vérités du salut qui faisaient le fond de ses prédications; en sorte que les Églises de ces contrées s'affermissaient par la foi et croissaient en nombre chaque jour. Voilà le secret de la force, de la durée et de la fécondité des Églises: c'est la foi en Jésus-Christ, l'attachement du cœur à la saine doctrine du salut.

3788. (6-8.) Cependant, Paul, Silas et leur nouveau collègue Timothée, ne se bornèrent pas à évangéliser les localités qui avaient ouï précédemment la bonne nouvelle. Au nord de la Lycaonie se trouvait la Phrygie, et plus au nord encore la Galatie [2568], deux provinces que nos trois missionnaires parcoururent, non sans y annoncer l'Évangile, bien que Paul fût alors sous le poids de graves infirmités, comme nous le verrons par la suite. De là ils auraient voulu passer en Asie, par où il faut entendre les provinces à l'extrémité occidentale de l'Asie Mineure et notamment celle dont Éphèse était la capitale. Mais le moment où le Saint-Esprit voulait y faire resplendir sa lumière n'était pas encore venu. Les apôtres remontèrent donc des confins de l'Asie propre, vers la Mysie, pour passer en Bithynie, qui était à l'est de la Mysie et au nord-ouest de la Galatie; mais, cette fois encore, l'Esprit de Jésus ne le leur permit pas. Ils avaient, semble-t-il, une secrète répugnance à s'approcher de l'Europe, comme si le champ qui se serait ouvert de la sorte devant eux, leur eût paru trop vaste, trop difficile, trop périlleux, que sais-je? Mais les pensées du Dieu des miséricordes se portaient au contraire vers la terre de Japhet, appelée à de si grandes destinées [234]. C'est pourquoi Paul et ses compagnons revinrent de nouveau sur leurs pas, et, laissant de côté ou traversant la Mysie (on peut entendre le passage de ces deux manières), ils arrivèrent enfin à Troas, où le Seigneur les voulait et où il est évident, par la rapidité du récit, que l'historien sacré avait hâte de les conduire. Troas, un des points extrêmes du continent asiatique du côté de l'Europe, était séparé de la Macédoine par une mer peu large et toute semée d'îles plus ou moins considérables.

3789. (9.) Il ne paraît pas, cependant, que Paul eût songé à franchir la faible distance qui le séparait de la Macédoine, si le Seigneur ne l'y eût déterminé, comme il avait déterminé Pierre à se rendre près de Corneille. Plusieurs jours peut-être s'étaient écoulés, lorsqu'il vit, pendant la nuit, un homme macédonien qui lui dit de la part de Dieu: «Passe en Macédoine et viens nous secourir.» Par là, non seulement le Seigneur révélait à l'Apôtre le chemin qu'il devait suivre, mais encore il lui annonçait, pour son encouragement, qu'il y avait en Macédoine bien des âmes que le Saint-Esprit avait préparées à recevoir l'Évangile. Au surplus, préparés ou non, il existait là des pécheurs qui périssaient faute de connaître la voie du salut, et il s'agissait d'aller à leur secours. Maintenant encore, mes chers lecteurs, il y a dans cette même Macédoine, pays aujourd'hui mahométan, il y a en Asie, en Afrique et dans toutes les parties du globe, des millions d'âmes qui n'ont pas moins besoin de l'Évangile que les Macédoniens du temps de saint Paul. Leur misère nous crie d'avoir pitié d'eux. Que ce soit donc du fond de nos cœurs que nous disions tous les jours à Dieu: Ton règne vienne! Puis, demandons-nous s'il ne nous serait pas possible d'ajouter l'action à la prière, soit en portant nous-mêmes du secours à ceux qui périssent, soit en assistant de nos biens ceux qui y consacrent leur vie.

3790. (10.) Éclairé par cette vision, Paul n'hésita pas un moment sur ce qu'il avait à faire, et aussitôt il chercha quelque moyen de transport pour la Macédoine. Remarquez ici que l'historien sacré, qui, jusqu'à ce moment, avait raconté des faits auxquels il n'avait point pris part, change brusquement la forme de son discours, et au lieu de dire: «Il chercha aussitôt à partir pour la Macédoine,» il dit: «Nous cherchâmes aussitôt à partir pour la Macédoine, concluant que le Seigneur nous appelait à leur annoncer la bonne nouvelle.» Celui qui parle ainsi était donc un des collègues de Paul, mais depuis peu. Malgré la modestie avec laquelle il s'introduit dans son propre récit, on sait qu'il s'appelait Luc et qu'il était médecin. Peut-être devait-il à sa profession d'avoir été rapproché de Paul, sérieusement malade à cette époque, ce que nous apprendront ses propres lettres. On pense d'ailleurs que Luc était de Troas ou de quelqu'une des villes que les apôtres avaient traversées depuis leur séjour en Galatie. Quoi qu'il en soit, il est sûr que, de païen il était devenu chrétien, ou, comme on disait, disciple de Jésus-Christ. Conduit par l'Esprit de Dieu, il se joignit à Paul et à ses deux collègues. Sous l'inspiration de ce même Esprit, il écrivit plus tard le livre que nous étudions, après l'avoir fait précéder de l'Évangile qui porte son nom, Évangile qui nous a si fort servi pour la chronologie et pour l'harmonie de la vie de notre Sauveur. On peut donc l'envisager comme l'historien principal du Nouveau Testament; et n'est-ce pas quelque chose d'admirable, de voir le Seigneur prendre à plus de deux cents lieues de Jérusalem, quinze ans peut-être après sa résurrection et parmi les peuples idolâtres, l'homme qu'il destinait spécialement à dresser les annales de l'inauguration de son règne?

3791. (11, 12.) Voilà donc maintenant quatre messagers de la bonne nouvelle qui font voile vers l'Europe. C'était peu pour évangéliser tout un monde, monde savant, riche, fier de sa force, entêté de ses dieux si poétiques, livré sans retenue aux passions les plus honteuses. Paul, Silas, Timothée et Luc, quatre ministres de la Parole pour des millions d'âmes! C'est comme les missionnaires qui, dans le présent siècle, attaquent les superstitions de la Chine et de l'Inde. Avec quel intérêt n'allons-nous pas suivre les travaux de ces hommes à qui notre Europe doit, après Dieu, tout ce qu'elle possède de vraies lumières et de supériorité sur les autres peuples de la terre, et qui, en tout cas, y ont jeté les premières semences de la vérité par laquelle nous espérons être sauvés! De Troas, ils se dirigèrent droit sur Samothrace, île européenne de l'Archipel, aujourd'hui Semendraki; le lendemain, sur Néapolis, près de la mer, mais sans s'y arrêter, paraît-il. Enfin les voilà dans Philippes, ville importante de Macédoine; non pas la plus considérable de la province, mais la première qu'on y rencontrât en venant d'Asie. C'était une antique cité, restaurée et fortifiée par Philippe, le père d'Alexandre le Grand. Près d'elle avait eu lieu la grande bataille qui donna l'empire à Auguste, et les Romains y avaient fondé une colonie militaire: c'était comme un camp placé aux portes de l'Asie. Par cette raison peut-être, elle comptait peu de Juifs, ou du moins ils y étaient trop peu nombreux pour avoir une synagogue. Arrivé de la sorte en pays complètement païen, Paul comprit que ce devait être sa première station et il fit ses dispositions pour y demeurer quelque temps.

3792. (13, 14.) Il est naturel de supposer que, durant la semaine, les missionnaires eurent de fréquents entretiens avec les personnes qu'ils rencontrèrent, et l'on se figure aisément sur quels sujets ils durent les diriger. Mais le Seigneur veut que son Évangile soit prêché devant des assemblées (Luc 12: 3). C’est pourquoi, le sabbat étant venu, les apôtres se rendirent hors de la ville, près d'une rivière: ils avaient annoncé qu'il s'y ferait une prière, ou, comme nous dirions, une réunion de culte. Il est possible aussi que ce fût l'endroit où se donnaient habituellement rendez-vous les Juifs clairsemés de la ville et le petit nombre de personnes qui, à Philippes, avaient obtenu par eux quelque connaissance de l'Éternel. Quoi qu'il en soit, l'assemblée se trouva composée essentiellement de femmes, si co n'est exclusivement. Cela ne prouverait pas que les entretiens des messagers du salut n'eussent fait d'impression que sur elles; mais, comme il arrive souvent, les femmes montrèrent plus d'empressement et de courage. Tels furent donc les premiers auditeurs de l'Évangile en Europe, et encore fut-ce à un enfant de l'Asie que la prédication profita le plus. Lydie, veuve apparemment et marchande de pourpre, étoffe dont se vêtaient les principaux chefs militaires, Lydie, qui, originaire de Thyatire en Asie Mineure, habitait à Philippes pour son commerce, Lydie, une de ces âmes que Dieu avait préparées, comme Corneille, pour en faire les prémices de sa moisson, Lydie écoutait nous dit Luc, présent à cette scène touchante. Elle écoutait, et combien de gens, hélas! qui assistent à des prédications sans écouter! «Elle écoutait, et le Seigneur lui ouvrit le cœur pour qu'elle fût attentive aux choses que Paul disait;», car c'était Paul surtout qui parlait. Quand il s'agit des choses de la vie et de choses d'ailleurs intelligibles, il suffit d'écouter pour comprendre et pour accepter; mais dans les choses de Dieu, il faut de plus que le Seigneur lui-même nous rende attentifs à sa Parole et à celle de ses serviteurs, raison pôremptoire pour lui demander instamment son Saint-Esprit, lorsque nous nous disposons à écouter.

3793. (15.) Heureuse Lydie! elle demanda et obtint sans peine d'être baptisée; sa maison le fut après elle, ou parce qu'elle partagea sa foi, ou simplement parce qu'il était naturel qu'elle partageât la nouvelle position du chef de la famille, je ne le décide point; puis Lydie supplia Paul et ses collègues de loger sous son toit, ce qu'elle réclamait comme un témoignage de la réalité de sa conversion. Or, soit qu'ils répugnassent à recevoir l'hospitalité chez une femme, pour éviter tout mauvais bruit, soit qu'ils craignissent qu'on ne les suspectât de faire des prosélytes pour vivre à leurs dépens (Matth. 23:14), il fallut que Lydie les forçât, en quelque sorte, à accepter l'invitation de sa charité. Tout cela ne se passa pas nécessairement à l'heure de la réunion, ni peut-être dans le cours de la journée; mais il se peut aussi que ces événements se soient succédé avec rapidité; car si la grâce de Dieu use quelquefois de lenteurs, elle sait aussi, quand il lui plaît, hâter la délivrance.

3794. (16-18.) Comme Paul et ses amis se rendaient à la prière, ce jour même ou peut-être une autre fois, ils se virent suivis par une pauvre esclave qui, faisant le métier de devineresse au moyen de la nécromancie [1454], procurait beaucoup d'argent à ses maîtres. Ce n'était donc pas une esclave inutile quant aux choses du monde [3269]; mais quelle triste utilité que celle qui a pour limites cette terre et qui est peu soucieuse des moyens. Cette malheureuse fille, nous dit Luc, était sous la puissance de l'esprit malin, et celui-ci, pensant probablement décrier Paul et ses collègues en les protégeant, ou poussé, comme au temps de Jésus, par une force plus grande que la sienne, faisait crier à sa victime: «Ces hommes sont des esclaves du Dieu très haut, qui nous annoncent un chemin de salut.» Cette scène pénible s'étant renouvelée à plusieurs reprises, Paul enjoignit à l'esprit de sortir de cette pauvre créature, et celle-ci, délivrée à l'instant, laissa les apôtres tranquilles; mais, dès ce jour aussi, elle cessa son coupable métier.

3795. (19-24.) On ne saurait croire combien il est de gens qui sont hostiles à l'Évangile par des motifs d'intérêt pécuniaire, soit qu'ils exercent un état incompatible avec la foi, soit qu'ils doivent une partie de leurs profits au mal qui règne dans le monde. Les maîtres de la pythonisse, désespérés de la perte que leur occasionnait sa délivrance, s'en prirent à Paul et à Silas, ceux des quatre missionnaires qui étaient le plus en vue, et ils les traînèrent devant l'autorité municipale qui, à raison de leur qualité d'étrangers, les renvoya, paraît-il, aux chefs militaires. Les dénonciateurs, comme il arrive en pareil cas, se gardèrent bien d'articuler leurs véritables griefs; mais, usant de moyens plus sûrs, ils commencent par jeter de la défaveur sur la personne des accusés en les signalant comme étant de ces Juifs que les Romains méprisaient et détestaient tout à la fois; puis, ils les dénoncent comme troublant leur ville, accusation grave aux yeux de guerriers qui plaçaient la discipline avant tout; enfin, ce qui était plus sérieux et plus vrai au fond, ils veulent établir, dirent-ils, des coutumes incompatibles avec les lois de Rome. À l'ouïe de ces paroles, grande agitation parmi ce peuple, zélé pour le nom romain. Sans autre enquête, les commandants de la place font subir aux apôtres l'horrible supplice de la flagellation; et, le corps déchiré de plaies, on les conduit vers la prison, où le geôlier reçoit l'ordre de les garder sûrement. Cet homme, vieux soldat sans doute, dur et sans pitié, n'exécuta que trop bien son mandat: il les jette dans la prison intérieure, quelque cachot obscur, et leur serre les jambes dans des pièces de bois. Ce fut un sang précieux, que ce sang qui teignit alors la place publique de la ville de Philippes, le premier que les témoins de Jésus-Christ donnèrent à leur Maître en faveur de l'Europe païenne, mais non pas le dernier qui ait coulé dans cette même Europe, païenne encore longtemps, puis devenue chrétienne de nom!

3796. (23.) Représentez-vous donc une lourde pièce de bois, fendue par le milieu et trouée de manière à y serrer les jambes après que les deux pièces ont été rapprochées et solidement jointes l'une à l'autre. Dans cette position, le patient ne peut ni se courber, ni s'asseoir; il ne saurait que s'appuyer à la muraille s'il en est proche, et il n'a pas même la faculté de soulever tantôt l'une de ses jambes, tantôt l'autre, afin de se donner quelque repos. De tout ce que Paul avait enduré précédemment, il n'y avait rien eu qui portât davantage tous les caractères du supplice. Alors s'accomplit ce qu'il avait dit lui-même à ses disciples persécutés, et ce que le Seigneur avait annoncé à Ananias (Actes 14: 22; 9: 16). Alors aussi, il put avoir le douloureux et consolant souvenir des souffrances de Jésus, dont le corps avait été pareillement déchiré par les verges des soldats, et qui avait vu ses mains et ses pieds attachés au bois, mais d'une manière bien plus affreuse. Admirons donc, quoique sans étonnement, l'effet que produisirent sur Paul et sur Silas les tortures qui leur étaient infligées. Ils priaient, ces saints et fidèles serviteurs de Jésus, ils priaient et chantaient des hymnes à Dieu, tant leur âme était pleine des consolations du Saint-Esprit.

3797. (25-30.) Le milieu de la nuit étant arrivé, il se fit un miracle pour la délivrance des pieux martyrs. Un tremblement de terre n'est pas un miracle sans doute; mais toutes ces portes ouvertes à la fois, les liens des prisonniers se relâchant en même temps et tombant de leurs mains et de leurs pieds, c'est une œuvre de la puissance de Dieu, non moins que si un mort brise les barrières du sépulcre, ou que si une âme coupable secoue les chaînes du péché. Le geôlier, réveillé en sursaut et ne discernant autre chose dans les ténèbres, sinon que partout où se dirigeaient ses pas il trouvait les portes ouvertes, le geôlier pensa que ses prisonniers s'étaient tous évadés, et, se croyant un homme perdu, il tira son épée et il allait s'en frapper... Mais Paul qui se trouvait en ce moment près de lui, Paul à qui ni la frayeur, ni le sommeil ne troublaient les sens, comprit aux cris de cet homme, non moins qu'à ses gestes, l'acte de désespoir auquel il allait s'abandonner et il l'arrêta court en lui disant: «Nous sommes tous ici.» Alors revenant à lui, le geôlier demande de la lumière, il entre précipitamment et, tout tremblant, il se prosterne devant Paul et Silas. Sa conscience, déjà remuée peut-être par les cantiques de ses saintes victimes* est fortement émue de la scène qu'il a maintenant sous les yeux; il désire avoir un entretien particulier avec les apôtres, et, les tirant de leur cachot, il leur demande ce qu'il faut qu'il fasse pour être sauvé. Question toute différente de questions en apparence analogues [3168, 3296] et que le Saint-Esprit seul avait pu mettre dans Je cœur de ce pauvre païen. Le sentiment du crime qu'il avait été sur le point de commettre contre lui-même et qui put réveiller le sentiment de tous ses péchés; la voix charitable de ces hommes qu'il avait si indignement traités et qui se vengent en lui criant: «Ne te fais point de mal;» tel fut sans doute le double moyen dont le Saint-Esprit se servit pour attirer son âme, à la fois par la crainte et par l'espérance. Alors sortit de son cœur cette question importante, importante pour vous comme pour lui, mes chers lecteurs: «Que faut-il que je fasse pour être sauvé?»

3798. (31-34.) À qui fait cette question par le Saint-Esprit, le Saint-Esprit répond par la bouche des apôtres: «Crois au Seigneur Jésus et-tu seras sauvé, toi et ta maison» (Jean 16: 8, 14), appel qui sert de point de départ à d'ultérieures instructions de la Parole de Dieu. C'est ce qui eut lieu du moins pour le geôlier. Et voyez la puissance transformatrice de cette divine parole! À peine cet homme, tout à l'heure impitoyable, en a-t-il reçu les premières atteintes, qu'il se montre plein de compassion pour les souffrances des prisonniers; il reçoit le baptême avec tous les siens; puis il conduit les apôtres dans son appartement, fait dresser une table devant eux, et son âme est remplie de la joie qu'inspire la foi. Oh! que de merveilles qui s'accomplirent en cette nuit! Et toutes ces merveilles, remarquer-Ie, eurent leur source dans la grande merveille de la rédemption opérée par Jésus-Christ. C'est par le souvenir de ses souffrances que Paul et Silas sont soutenus et consolés dans leur épreuve; si leurs fers tombent, c'est qu'ils sont des rachetés de Jésus; et comment se fait-il qu'un misérable pécheur tel que le geôlier puisse, dans un instant, passer de la mort à la vie? c'est que Jésus est mort pour nos péchés, c'est que celui qui croit en lui est justifié, c'est qu'il nous a procuré un salut gratuit. Le geôlier est sauvé, comme le brigand sur la croix, parce qu'il a cru, et sa foi se montre aussitôt par ses œuvres. Oh! vous, qui lisez ces lignes et qui ne savez pas ce que deviendrait votre âme si elle vous était redemandée, croyez en Jésus, croyez maintenant; et, à cette heure même, vous serez sauvés.

3799. (35-37.) Cependant, les chefs militaires de Philippes n'avaient pas eu l'intention de condamner ces deux étrangers à une longue détention, et peut-être quelques amis étaient-ils intervenus en leur faveur. Dès qu'il fut jour, ils envoyèrent leurs licteurs ou sergents d'armes, ordonner au geôlier de les relâcher; car ils ignoraient les événements dont la prison seule avait été le théâtre. Le geôlier ne doutant pas que les apôtres ne profîtassent aussitôt de leur liberté, se hâta de les congédier avec une bénédiction qui partait sûrement du cœur. Mais non; il se trouvait que Paul et Silas étaient citoyens romains bien que Juifs (nous verrons plus tard comment); or, il était sévèrement interdit par la loi de battre de verges un citoyen de Rome, et non seulement on avait infligé publiquement ce supplice aux apôtres, mais encore on les avait jetés en prison sans jugement. Ils déclarèrent donc qu'ils ne sortiraient pas de prison, à moins que les chefs militaires eux-mêmes ne vinssent les en tirer. Cette détermination de Paul, preuve de l'énergie de son caractère, pourrait être envisagée aussi comme un reste d'orgueil, si l'on ne considérait pas qu'il est généralement permis de repousser les flétrissures imméritées, que cela même peut devenir quelquefois un devoir. Il faut qu'à l'occasion le chrétien sache se laisser traiter comme un malfaiteur, sans se plaindre, ainsi que l'a fait Jésus; mais à son exemple aussi, il est des cas où l'on ne doit pas dédaigner de mettre au jour son innocence. Or il importait, pour le bien des âmes auxquelles Paul avait annoncé l'Évangile à Philippes, qu'aucune tache ne demeurât sur sa personne, s'il se pouvait. C'est pourquoi, dans cette ville romaine, Paul et Silas, Romains l’un et l'autre, crurent pouvoir réclamer le bénéfice de leurs droits civils, et le pouvant, disons qu'ils le devaient.

3800. (38-40.) Quand les chefs apprirent que Paul et Silas étaient Romains (Luc dit sont, et l'emploi du présent montre clairement que le livre des Actes fut écrit du vivant de Paul et de Silas), ils sentirent le mauvais pas dans lequel ils s'étaient engagés. Se transportant à la prison, ils se recommandèrent à la générosité des prisonniers et ils les élargirent de leurs propres mains. Toutefois ils les prièrent de quitter la ville. C'est ce que firent les apôtres, mais non sans être retournés chez Lydie et sans avoir vu les frères, pour leur adresser quelques paroles d'encouragement. Par leur retraite, en quelque sorte volontaire, ils montrèrent que s'ils avaient protesté, ce n'était pas par orgueil ou entêtement. Du reste, Paul comprit sans doute, par ce qui venait de se passer, que le Seigneur l'appelait à porter l'Évangile en d'autres lieux, vu que nul devoir ne l'astreignait à tout braver pour demeurer dans Philippes. L'Évangile y était introduit; une Église s'y trouvait fondée, c'est tout ce qu'il fallait pour le présent; la foi implantée dans les cœurs parle Saint-Esprit allait s'y affermir et gagner du terrain. Nous verrons plus tard que, malgré l'absence de Paul, cette Église devint bientôt considérable, ayant ses évêques et ses diacres, et ce qui vaut mieux encore, remarquable entre toutes par les fruits de sa charité.


CCLXXXVI. — Suite du second voyage missionnaire: Paul en Macédoine et en Grèce.


3801. (17: 1-4.) Une belle route militaire passant par Amphipolis et par Apollonie, conduisait, en quatre jours, de Philippes à Thessalonique, chef-lieu de la province, où les Juifs de la contrée avaient leur synagogue. Ce fut là que Paul se rendit, ayant toujours avec lui Silas et Timothée; quant à Luc, il paraît être resté à Philippes ou avoir repris le chemin de Troas, car il ne parle plus à la première personne du pluriel; mais nous le retrouverons plus tard dans la société de Paul. Celui-ci et ses deux collègues traversèrent-ils Amphipolis et Apollonie sans y jeter quelques grains de la bonne semence? c'est peu probable. Rappelons-nous toutefois que Dieu est le maître de ses dons, et que l'élection de sa grâce n'est pas moins visible relativement aux peuples qu'aux individus. Il valait mieux d'ailleurs que l'Évangile s'établît d'abord à Thessalonique, sauf à rayonner de là dans les villes voisines; de plus, cette marche semblait indiquée par le fait même de l'existence d'une synagogue à Thessalonique; or, nous savons qu'en général le Seigneur agit par les voies les plus simples et les plus naturelles.

3802. Nous savons aussi que ses œuvres sont d'une admirable variété. Tandis qu'à Philippes la prédication des apôtres n'avait d'abord réuni qu'un petit nombre de femmes, nous la voyons au contraire accueillie ici, de très bonne heure, par «une grande multitude de Grecs craignant Dieu, avec quelques Juifs et des femmes de premier rang en nombre assez considérable.» Selon leur coutume, les apôtres se présentèrent dès le premier sabbat dans la synagogue; et, durant trois sabbats, ils les entretinrent de Jésus-Christ d'après les Écritures, leur montrant, comme Jésus l'avait fait aux disciples d'Emmaüs (Luc 24: 44-46), que le Christ devait souffrir, puis entrer dans sa gloire, et lui appliquant ces prophéties. Il plut donc au Seigneur de répandre son Esprit sur des hommes «de toute chair,» dans cette heureuse ville de Thessalonique, et, si la patience des apôtres avait été fort éprouvée à Philippes, ils pouvaient maintenant se réjouir de la manière dont s'accomplissait la vision de Troas: «Passe en Macédoine, et viens nous secourir.»

3803. (5-9.) Mais Satan ne laisse pas entamer son empire sans émouvoir les siens contre les ministres de la miséricorde céleste. Si quelques Juifs avaient été persuadés, la plupart (histoire de tous les temps) furent rebelles à la Parole. Jaloux des succès que remportaient les apôtres, plus jaloux encore de voir tant de Grecs baptisés sans avoir été circoncis, et ces catéchumènes de la loi les devancer dans le royaume de la grâce, les Juifs incrédules n'eurent pas honte d'ameuter contre Paul et ses disciples la plus vile portion de la populace. Au milieu de cette agitation, ils assaillirent la maison de Jason, un des Grecs sans doute qui avaient cru, Jason, l'hôte des apôtres et probablement de l'assemblée des frères. Ils avaient compté trouver chez lui Paul et Silas, qu'ils voulaient livrer au peuple. Dans leur dépit, ils s'emparent de Jason et de quelques autres, les traînent devant le magistrat, accusent les apôtres d'avoir bouleversé toute la terre et Jason de les avoir accueillis dans sa maison. Puis, comme il fallait pourtant expliquer l'origine des troubles qu'ils imputaient à ces nouveaux venus, ils imaginèrent de dire, eux, Juifs, eux peu soucieux au fond des droits et de l'autorité de l'empereur, que ces hommes agissaient tous contre les ordonnances de César (ce qui était faux, puisqu'il n'y avait point encore d'édits contre les chrétiens), et qu'ils proclamaient un autre roi dans la personne de Jésus, assertion vraie, mais non avec le sens qu'il leur plaisait d'y mettre. Ainsi, vous le voyez, toujours le même système d'accusation ou plutôt de calomnie contre les serviteurs de Dieu: ils sont des fauteurs de troubles, ils méprisent l'autorité, ils sont mus par des intérêts politiques. Quelque fausses et absurdes que soient de telles inculpations, elles sont toutefois de nature à jeter l'inquiétude dans les masses et dans l’esprit des gouvernants. C'est ce qui eut lieu à Thessalonique. Il fallut que Jason et ses coaccusés donnassent certaines garanties pour l'avenir, après quoi ils furent relâchés.

3804. (10-12.) En voyant l'irritation générale des esprits, les frères de Thessalonique, et Paul le premier sans doute, comprirent que le moment était venu de se séparer. Ils firent donc partir Paul et Silas pendant la nuit, gardant près d'eux le jeune Timothée. Mais ce n'était pas pour retourner sur leurs pas que les apôtres quittaient Thessalonique; au contraire, les voilà s'avançant plus à l'intérieur dans la Macédoine, et, preuve qu'ils ne fuient pas timidement le danger, ils s'arrêtent à Bérée, petite ville près de Thessalonique, afin d'y livrer une nouvelle bataille au prince des ténèbres, et y remporter des victoires encore plus éclatantes que dans le chef-lieu de la province. Les Juifs de Bérée se montrèrent en effet d'un plus noble caractère que ceux de Thessalonique. Ils reçurent la parole des apôtres avec un extrême empressement, ne se lassant pas de lire et de relire dans la loi et dans les prophètes les oracles que Paul leur signalait comme ayant été accomplis en Jésus-Christ. C'est une manière de procéder qui est toujours accompagnée de bénédictions, et je ne saurais trop la recommander à mes lecteurs. Il faut que, désireux de connaître à fond les Écritures et d'avoir Dieu seul pour docteur, ils examinent attentivement le texte même, sans se borner aux explications qu'on leur en donne; puis, quand on les renvoie, ainsi que je le fais souvent, à quelque endroit, soit de l'Ancien Testament, soit des Évangiles, il faut qu'ils y recourent réellement, pour s'assurer que les explications qu'on leur présente sont conformes aux Écritures. En ajoutant à cela beaucoup de prières, il est impossible que leurs études de la Parole ne produisent pas sur eux le même effet qu'un travail semblable produisit sur les Juifs de Bérée. Ainsi donc, l'Évangile acquit rapidement en cette ville, comme à Thessalonique, de nombreux disciples; mais avec cette différence, que la prédication des apôtres n'y excitait aucune opposition, ni de la part des Juifs, ni de la part des Grecs.

3805. (13-15.) Cependant, Bérée était trop rapprochée de Thessalonique, pour qu'on n'apprît pas bientôt dans cette dernière ville les magnifiques effets de la prédication des apôtres. Grande joie chez les frères, cela va sans dire; mais grande colère aussi chez les ennemis du Seigneur. Ceux-ci, poussés par leur impiété, se portèrent sur Bérée, et ils parvinrent à y exciter de l'agitation parmi le peuple, chose toujours facile, car le cœur humain ne se laisse que trop aisément entraîner à prendre parti contre Dieu. Or, plutôt que d'occasionner des troubles violents par la prolongation d'un séjour qui offrait désormais moins d'utilité que de danger, Paul partit pour Athènes. Les frères l'escortèrent par la route qui conduisait à la mer, et il s'en alla seul, laissant à Bérée son cher Timothée, qui l'y avait rejoint, et Silas, compagnon de ses travaux depuis Antioche. Il continua son chemin avec quelques amis de Bérée. Ceux-ci le quittèrent à leur tour, mais non sans avoir reçu l'ordre de lui renvoyer le plus tôt possible ses deux collègues.

3806. (16,17.) C'est une grande épreuve de patience et de foi que l'isolement forcé, et nulle part on n'est plus seul que dans la foule d'une grande ville. Jusqu'à ce moment, Paul avait toujours eu quelque frère avec lui, et il dut éprouver alors, comme dit l'Écriture, «que deux valent mieux qu'un» (Eccl. 4: 9); il dut comprendre aussi pourquoi le Seigneur avait toujours réuni ses envoyés deux à deux (Mc. 6: 7; L. 10: 1). Représentez-vous donc ce grand apôtre, l'esprit et le cœur tout remplis des souvenirs de Bérée, de Thessalonique et de Philippes, sans parler des Églises d'Asie qu'il avait fortifiées ou fondées dans ce voyage. Quel contraste avec le spectacle que lui présentent les lieux où le Seigneur a maintenant conduit ses pas! Athènes, une des plus illustres villes de la Grèce et de l'antiquité; Athènes, célèbre par son ancienne puissance, par ses grands généraux, ses philosophes, ses orateurs, ses poètes, ses historiens, ses artistes, ne l'était pas moins par son idolâtrie et son extrême légèreté. Partout on vantait l'exquise urbanité des Athéniens et leur civilisation si avancée; mais cela même ne faisait que mettre d'autant plus en relief leur dégradation morale. Aussi Paul, en se promenant dans les rues de cette grande ville, en y voyant les monuments superbes qu'y avait érigés la plus absurde superstition, éprouvait un malaise intérieur dont il ne pouvait se rendre maître. Jaloux de la gloire de Dieu, plein d'un ardent amour pour ses semblables, en face, pour ainsi dire, du prince des ténèbres, le grand fauteur de l'idolâtrie, son esprit s'aigrissait en lui-même, nous dit l'historien sacré. Ce n'est pas qu'il fût près du découragement; car, au contraire, il déployait à Athènes, comme ailleurs, son activité habituelle. Non seulement il cherchait à éclairer les Juifs de la synagogue et leurs prosélytes, mais encore il s'entretenait, chaque jour, dans la place publique avec ceux qui s'y rencontraient. C'était le rendez-vous général des étrangers et des Athéniens inoccupés; c'est-à-dire de tout le monde hors les esclaves.

3807. (18-22.) Parmi ces gens oisifs, qui mettaient leur orgueil à ne faire aucun ouvrage manuel, il y en avait qui passaient leur vie à philosopher, s'efforçant d'approfondir la nature des choses et leur raison d'être. Ils arrivaient de cette manière à s'informer aussi de l'origine du monde, de la destinée future de l'homme, de ses devoirs ici-bas. C'est ce qu'ils appelaient la sagesse, et ceux qui se plaisaient à ces recherches, on les appelait philosophes, ou amis de la sagesse. Mais cette sagesse, hélas! n'avait pas détourné les peuples de l'idolâtrie et des mauvaises mœurs, parce que c'était, en définitive, une sagesse d'homme, et que, depuis la chute, l'homme est séparé de Dieu et de la vérité. Deux sectes philosophiques se partageaient essentiellement les esprits chez les païens de la Grèce et de Rome, sectes qui personnifiaient la double tendance du cœur humain, représentée chez les Juifs par les sadducéens et les pharisiens: c'étaient les épicuriens et les stoïciens; ceux-là plus accommodants et ceux-ci plus austères dans leur morale, mais rte rendant gloire ni les uns ni les autres au grand Dieu de l'univers. Frappés des discours de Paul, les uns se moquaient de lui, le traitant de babillard, d'autres pensaient qu'il leur annonçait de nouveaux dieux, Jésus et Anastasie; car le relèvement ou la résurrection, c'est, en grec, anastasis. Or, il faut savoir que les Athéniens poussaient l'urbanité jusqu'à offrir des autels aux dieux de tous les peuples, à mesure qu'ils en entendaient parler; et, pour des gens qui ne s'occupaient qu'à dire ou à écouter les nouvelles, c'était une grande affaire que les noms de deux divinités étrangères et inconnues jusque-là. On conduisit donc Paul au Champ de Mars, l'Aréopage, place publique où siégeait d'ordinaire le grand tribunal d'Athènes, et là, il fut invité à s'expliquer sur la nouvelle doctrine qu'il professait.

3808. (22-32.) Le cœur dut battre à Paul; car il ne s'était jamais trouvé devant une assemblée de gens aussi cultivés, aussi bien parlant, aussi spirituels et aussi moqueurs, quoique avec politesse, ne sont plus les grossiers Lycaoniens, ni même les Grecs asiatiques d'Antioche de Pisidie, ni les rudes Macédoniens de Thessalonique. Il n'avait aucune violence à craindre de leur part; mais l'Évangile était bien sérieux pour de tels hommes, et la grande difficulté était de captiver leur attention? Or voyez quelle parfaite direction le Saint-Esprit sut donner aux pensées de Paul, et de quelle juste mesure il revêtit ses paroles! On ne saurait être plus saintement habile et poli que ne le fut l'apôtre dans cette circonstance délicate. Ses premiers mots sont juste ce qu'il fallait pour lui concilier la bienveillance de ses auditeurs; car il commence par faire une sorte d'éloge de leur grande dévotion. «Vous avez, leur dit-il, une telle crainte des dieux, que, pour ne pas risquer d'en oublier un seul, vous avez érigé dans votre ville un autel au Dieu inconnu! Eh bien, c'est ce Dieu que je vous annonce, le Dieu qui a créé le monde et toutes les choses qui y sont, qui a fait d'un seul sang tout le genre humain, qui, de cet ensemble, a formé les diverses nationalités, qui nous conserve et nous nourrit, qui invite toute âme à la conversion, et qui jugera la terre avec justice par l'homme qu'il a désigné pour cela en le ressuscitant» Il est probable que de là Paul aurait passé à parler plus amplement de Jésus et du salut, que même il en manifesta l'intention; car s'il fut interrompu par les railleries de quelques-uns, lorsqu'il eut fait mention du relèvement des morts, d'autres lui dirent: «Nous t'entendrons de nouveau là-dessus.»

3809. De ce qu'il y eut des moqueurs qui arrêtèrent Paul au moment où il venait de faire allusion à la résurrection, il ne faudrait pas conclure que ces païens n'eussent aucune notion de la vie à venir: c'est une idée que l'homme ne chasse pas si facilement de son cœur. Ils faisaient profession de croire à l'existence d'un Adès [3254], d'un séjour des morts, divisé en deux parts: les champs Élysée pour les bons et le Tartare pour les méchants; mais ils n'avaient pas l'idée de la fin du monde, du jugement universel, encore moins celle du relèvement de tous les morts au dernier jour. Et puis, la plupart d'entre eux étaient incrédules, même à leur mythologie, en sorte que ce qui aurait pu les détourner de certains crimes, sinon de tout péché, ne produisait aucun effet sur eux. C'est comme de nos jours, où beaucoup de gens qui ne croient pas à la résurrection, disent croire toutefois à l'immortalité de l'âme; mais quand on les serre de près, on voit qu'ils ne croient pas même à cela. Ainsi leurs objections contre les doctrines particulières de la Bible sur les destinées futures de l'homme, proviennent d'une incrédulité beaucoup plus profonde qu'il ne le semble au premier abord.

3810. Dans le résumé que j'ai fait tout à l'heure du discours de Paul, j'ai dû omettre quelques pensées de détail qu'il importe toutefois de considérer, car c'est là surtout qu'on voit l'impression qu'il cherchait à produire sur ses auditeurs. Le Dieu du ciel et de la terre n'habite pas en des temples érigés par la main des hommes (1 Rois 8: 27); il n'a que faire de la chair des victimes (Ps. 50: 12, 13); il est près de chacun de nous, bien que nous ne sachions pas le voir; il est le même en puissance et en bienfaits pour tous les peuples; et, puisque nous sommes la race de ce grand Dieu, comme l'avait dit le poète astronome Aratus, il est clair que Dieu n'est pas semblable à l'or, à l'argent ou au marbre dont les païens faisaient les statues auxquelles ils encensaient. Penser autrement, c'est être dans une grande ignorance; et voilà ce que Paul n'hésite pas à déclarer aux Athéniens, fiers de leur culture intellectuelle. Mais quels ne sont pas les ménagements avec lesquels il leur dit une vérité qui devait leur être si dure. C'est après cela que, toujours dans la forme indirecte, la moins offensante de toutes, il leur prêche la conversion et le jugement de Dieu par Jésus-Christ.

3811. (33, 34.) Quelles que soient les précautions oratoires dont s'entourent les ministres du Dieu vivant, ils ne laissent pas d'irriter les pécheurs obstinés; tout comme, d'un autre côté, il est impossible que l'Évangile soit prêché fidèlement, sans qu'il porte des fruits selon qu'il plaît à Dieu. Si le plus grand nombre des auditeurs de Paul se détournèrent de lui pour toujours, quelques-uns embrassèrent sa doctrine; entre autres un des juges de l'Aréopage, nommé Denys, et une femme du nom de Damaris. Mais d'Église proprement, il n'y en eut pas de fondée à Athènes en ce temps-là; du moins le Nouveau Testament n'en fait aucune mention. Cette grâce était réservée à une autre ville de la Grèce, ville non moins illustre bien que sous d'autres rapports; c'est là que nous devons suivre maintenant notre laborieux missionnaire.

3812. (18: 1-4.) Corinthe, ville autrefois considérable et florissante, enrichie par son commerce et par ses colonies, mais non moins fameuse par l'horrible corruption de ses mœurs, fut saccagée lorsque les Romains envahirent la Grèce, puis relevée de ses ruines sous l'empereur Auguste. À l'époque où Paul y arriva, cette ville, devenue le chef-lieu de la province d'Achaïe (la Morée), était la résidence d'un proconsul et reprenait son antique célébrité. Nulle part assurément la Parole de Dieu n'était plus nécessaire que dans cette ville si adonnée au mal, et nulle part non plus elle ne pouvait trouver autant d'occasions de se faire entendre à toutes sortes de gens. Placée sur l'isthme qui porte son nom, Corinthe se trouvait située entre les deux mers qui mettaient en communication les principales provinces du vaste empire romain. Dès son arrivée, Paul sentit toute l'étendue et toute la difficulté de la tâche; les lettres que nous lirons de lui en font foi. La triste expérience qu'il venait de faire à Athènes du scepticisme et de la légèreté des populations de la Grèce n'était guère propre à l'encourager; mais Dieu eut pitié de son serviteur, arrivant tout seul au milieu de ce monde païen absorbé par les affaires et par les plaisirs. Non seulement il y avait à Corinthe des Juifs en assez grand nombre auprès desquels il put, selon sa coutume, commencer l'œuvre de son ministère, mais encore il y rencontra un Juif d'Asie, nommé Aquilas, faiseur de tentes, qui, avec sa femme Priscille, avait dû quitter Rome en ce temps-là, par l'effet d'une persécution que l'empereur Claude avait dirigée contre les Juifs habitant la capitale. 

3813. Claude avait succédé l'an 41 de Jésus-Christ à l'empereur Caligula, et il mourut l'an 54. L'histoire profane parle de son édit contre les Juifs, mais la date n'en est pas certaine; en sorte qu'on ne saurait d'après ce seul fait déterminer l'époque précise de l'arrivée de Paul à Corinthe. Ce qui demeure sûr, c'est qu'elle doit avoir précédé l'an 54, mais pas de beaucoup; car depuis le voyage de Paul à Jérusalem, avec Barnabas, vers l'an 44 (11: 30), que de choses qui s'étaient passées et qui avaient dû employer plusieurs années de la vie de notre apôtre: son premier voyage missionnaire, puis son long séjour à Antioche, enfin le voyage non moins long qu'il venait de faire pour arriver d'Antioche à Corinthe. Quant à Aquilas et à Priscille, qui, de l'Asie, avaient porté leur industrie à Rome et l'exerçaient maintenant à Corinthe, on ignore s'ils avaient déjà quelque connaissance de l'Évangile, ou s'ils l'entendirent alors pour la première fois de la bouche de Paul. C'étaient, dans tous les cas, des gens pieux avec qui l'Apôtre fut bientôt en d'étroites relations. Selon l'usage infiniment respectable des Israélites, il était à même de gagner sa vie par le travail de ses mains. Or, prévoyant sans doute qu'il aurait à faire un long séjour dans la ville de Corinthe et ne voulant y être à charge à personne, il fut heureux de trouver de l'ouvrage et du pain chez Aquilas. Pendant la semaine, il tissait et cousait les tentures de laine dont on recouvrait les tentes des voyageurs ou celles des vérandas, et le samedi, il se rendait à la synagogue, adressant aux Juifs et aux Grecs des paroles pleines d'entraînement.

3814. (5, 6.) Cependant il fallut, semble-t-il, l'arrivée de Silas et de Timothée pour que le ministère de Paul prît toute son activité. Sans prétendre que, jusqu'à ce moment, il eût été délaissé par le Saint-Esprit, ou que, dissimulant sa foi, il eût mis de la nonchalance à son œuvre, il paraîtrait que sa prédication avait eu quelque chose de plus contenu. Il importait d'ailleurs qu'il ne fût pas seul à rendre témoignage au Seigneur; c'est pourquoi, lorsque Silas et Timothée furent revenus de la Macédoine, l'Esprit poussa Paul à se poser décidément devant les Juifs, en témoin de Jésus-Christ. Alors aussi se manifesta l'opposition de ces malheureux fils d'Abraham; alors vinrent leurs blasphèmes, comme à Thessalonique et comme jadis à Jérusalem. Aussi Paul, secouant ses vêtements et rejetant sur eux toute responsabilité, leur déclara que, dès cet instant, il les abandonnait pour annoncer le salut aux païens.

3815. (7-11.) Ce fut là ce qui donna naissance à l'Église de Corinthe. Un nommé Justus, païen d'origine, mais amené, comme Corneille et tant d'autres, à la connaissance du Dieu de la Bible par ses relations avec des Israélites, Justus, un de ces derniers que la grâce de Dieu se plaisait à placer parmi les premiers, recueillit les apôtres dans sa maison, et là, tout à côté de la synagogue, s'assemblèrent les Corinthiens désireux de suivre leurs prédications. Parmi eux se trouvèrent encore quelques Juifs, entre autres un des chefs ou anciens de la synagogue, qui crut au Seigneur avec toute sa famille. Les nouveaux convertis recevaient le baptême selon l'ordre du Seigneur, et c'est ainsi que l'idolâtre et voluptueuse Corinthe vit se former dans son sein un petit peuple de fidèles; petit encore et bien menacé, mais dont l'avenir était grand, parce que telle était la volonté du Seigneur. C'est ce qu'une vision vint révéler à l'Apôtre, dans un moment où il y a lieu de croire qu'il était saisi de diverses craintes. Encouragé par le Seigneur, il poursuivit son œuvre avec plus de courage, et ainsi s'écoulèrent dix-huit mois depuis son arrivée à Corinthe.

3816. (12-17.) Les Juifs de cette ville, toujours plus irrités, firent, à cette époque, une tentative de persécution qui ne leur réussit pas comme ils l'auraient voulu, grâce à la dédaigneuse indifférence du proconsul, et peut-être à leur maladresse. Ce proconsul se nommait Gallion. Il était frère de Sénèque, célèbre philosophe stoïcien, précepteur d'un prince qui, en ce temps même ou à peu près, succédait à Claude et fut l'empereur Néron. Quand Gallion, philosophe lui-même, eut entendu que les Juifs accusaient Paul de recommander un culte contraire à leur loi, il ne voulut pas seulement entendre la défense de l'accusé, déclarant que de telles questions n'étaient pas de son ressort. Il les chassa donc du tribunal. Or, en voyant de quelle manière le magistrat romain traitait les accusateurs, ces misérables Juifs objets partout de la haine publique, les assistants se jetèrent sur Sosthènes, chef de la synagogue, et ils le frappèrent sous les yeux mêmes de Gallion, sans que celui-ci songeât le moins du monde à le protéger. Conduite peu honorable chez un homme qui était établi pour maintenir l'ordre! Ce fut ainsi toutefois que l'Église naissante se vit délivrée des seuls ennemis publics qu'elle eût à craindre; car à Corinthe, l'Évangile avait affaire avec une population généralement tolérante, comme c'est l'ordinaire dans les villes qui vivent de leur commerce avec toutes les nations.

3817. (18.) Paul put donc demeurer encore un grand nombre de jours à Corinthe, une année peut-être; puis, il partit librement pour aller où le Seigneur le rappelait. Il prit congé des frères et se dirigea de nouveau vers la Syrie, ayant avec lui, outre Silas et Timothée, ses deux collègues ordinaires, Priscille et Aquilas, âmes d'élite décidément acquises à l'Évangile. Avant de s'embarquer à Cenchrée, port oriental de Corinthe, il se fit raser la tête, pour marquer l'expiration d'un vœu sous lequel il avait été un certain temps. Ce devait être le nazaréat ou quelque chose de semblable [925]. Cette circonstance est d'un intérêt particulier. Elle nous atteste que si Paul avait montré tant de résolution contre les Juifs qui estimaient le salut impossible sans la circoncision [3777], il n'en était pas moins demeuré personnellement très fidèle aux observances judaïques, pour autant qu'elles pouvaient se concilier avec le salut par la pure grâce de Dieu; nous avons eu déjà une preuve de ce fait [3787]. Paul donc, à l'exemple d'un grand nombre d'hommes pieux, et selon l'institution de Moïse, s'était consacré solennellement au Seigneur par un vœu spécial et temporaire. Par là, il n'avait sûrement pas eu l'idée d'ajouter quoi que ce fût à l'expiation accomplie par Jésus-Christ; ce n'était pas dans un esprit de propre justice qu'il avait lait ce vœu; il n'imposait d'ailleurs à personne l'obligation d'agir comme lui, et il ne se croyait pas, pour cela, supérieur à ses collègues; mais nous apprendrons bientôt que, si son ministère à Corinthe avait été plus respecté qu'autre part, il avait eu de grandes luttes et de grandes souffrances intérieures, et il vit probablement dans le vœu auquel il se soumit, un moyen de triompher avec plus de succès des infirmités de sa chair. Après quoi, si quelqu'un pensait que, dans cette occasion, Paul judaïsa plus que ne le comportaient ses propres principes, nous dirions que ce qui doit nous servir de règle, c'est la doctrine qu'il prêcha par l'inspiration divine, plutôt que sa conduite, dans laquelle rien ne garantit qu'il ait été divinement préservé de toute faute. Une seule vie est demeurée sans tache; une seule nous est présentée par les Écritures comme un modèle parfait.

3818. Corinthe fut le point extrême du second voyage missionnaire de Paul. De là, comme nous venons de le dire, il reprit le chemin de l'Asie. Mais avant de l'y suivre, nous devons étudier deux lettres qu'il écrivit pendant qu'il était en Achaïe: ce sont les deux Épîtres aux Thessaloniciens.


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