Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DEPUIS L'ENTRÉE DE JEAN DANS SON MINISTÈRE JUSQU'À LA PREMIÈRE PÂQUE APRÈS LE BAPTÊME DE NOTRE SEIGNEUR.

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CCV. — Ministère de Jean.


2669. (L. 3: 1-22; M. 3: 1-17; Mc. 1: 2-11.) Depuis la courte apparition de notre Seigneur dans le temple de Jérusalem, dix-huit ans au moins s'écoulèrent durant lesquels il n'arriva rien dont il ait plu à Dieu de nous donner connaissance, pas même de la mort de Joseph, survenue très probablement dans cet intervalle, puisqu'il n'est plus fait aucune mention de lui. Les Évangiles passent donc à la prédication de Jean, le fils de Zacharie, qu'ils appellent le baptiste ou le baptiseur, à cause de la cérémonie à laquelle il soumettait ceux qui devenaient ses disciples. Quant à l'époque où il commença, Luc la marque avec assez d'exactitude (Luc 3: 1, 2). Tibère César était depuis bientôt quinze ans à la tête des affaires, parce qu'Auguste, son beau-père, l'avait, deux ans avant sa mort, associé au trône; Pontius Pilatus, chevalier romain, administrait la Judée, sous le litre de procurateur; Hérode Antipas, fils d'Hérode le Grand, gouvernait la Galilée, et recevait tantôt le titre de roi, tantôt celui de tétrarque; il en était de même de son frère Philippe qui gouvernait les provinces voisines de la Galilée. L'Abilène, territoire voisin, était sous la conduite d'un nommé Lysanias. Quant à la Judée proprement dite, elle ne possédait plus de prince, ainsi que je l'ai fait remarquer à la fin de l'Étude précédente, et, pour que les souverains sacrificateurs ne pussent pas y reprendre leur ancienne autorité, les Romains avaient soin de les remplacer fréquemment [2380 et suiv.]; il arrivait même qu'ils en instituaient deux en même temps, malgré les prescriptions de la loi de Moïse. Dans ce moment, c'était Anne ou Annas et son beau-fils Caïphe qui exerçaient la souveraine sacrificature.

2670. (Luc 3: 2-6.) À cette époque donc la Parole de Dieu, ou le Saint-Esprit, auteur de cette Parole, s'empara de Jean, qui, sous cette puissante impulsion, se mit à parcourir le pays et à prêcher le baptême de conversion en rémission des péchés. Il invitait les pécheurs à se tourner vers Dieu, puis à recevoir le baptême comme symbole de renouvellement ou de grâce. C'est ainsi qu'il accomplissait l'oracle d'Ésaïe (40: 3-5) et qu'il préparait les hommes de toute chair à embrasser le salut de Dieu, ou, comme dit le prophète, à voir la gloire de l'Éternel; car la gloire de l'Éternel, telle qu'il l'a manifestée en notre Seigneur Jésus-Christ, consiste essentiellement dans le salut qu'il est venu apporter aux pécheurs.

2671. (Marc 1: 2.) Ce fut aussi de cette manière que s'accomplit la parole du prophète Malachie rappelée par saint Marc et que nous avons étudiée en son temps (Mal. 3: 1). Plus nous avançons, plus nous voyons qu'à la venue du Christ toutes choses arrivèrent comme l'Éternel les avait résolues et prédites.

2672. (Matth. 3: 4.) Jusque-là, Jean avait passé sa vie dans la retraite, et maintenant encore il se faisait remarquer par des habitudes d'une grande austérité. Il s'habillait et se nourrissait comme le font, de nos jours même, bien des Orientaux quand la nécessité les y contraint; mais lui, c'était volontairement; c'était pour qu'il y eût parfaite harmonie entre sa personne et le sérieux ministère qu'il remplissait auprès des pécheurs.

2673. (Matth. 3:2.) Tout en proclamant la nécessité de se convertir, Jean annonçait que le royaume des cieux était proche, et par cette expression l'on entendait, selon les prophètes, le règne du Messie ou l'économie évangélique, la nouvelle alliance (Dan. 2: 44). Le souvenir des merveilles de la naissance de Jean, merveilles qui avaient été très publiques, le respect que lui valait sa qualité de sacrificateur, l'austérité de sa vie tout entière, la puissance de sa parole, l'attrait involontaire que les masses éprouvent pour ce qui remue fortement la conscience; tout cela explique pourquoi le peuple se portait en foule aux prédications de Jean. À sa voix donc, chacun se reconnaissait pécheur et se faisait plonger dans le Jourdain (6), car c'est ainsi que s'administrait le baptême. Vêtus de grandes robes de laine, et sous un climat si chaud, hommes et femmes pouvaient, sans inconvénient, entrer et sortir de l'eau du fleuve; et, célébré de cette manière, le baptême exprimait l'entière purification dont l'homme a besoin, purification qui est en même temps le retour à une vie nouvelle.

2674. (7.) Représentez-vous donc ce que dut ressentir le messager du Seigneur lorsqu'il vit arriver à son baptême des pharisiens et des saducéens [2582, 2570]. Les premiers s'estimaient justes par leurs œuvres, et les seconds ne croyaient pas à une autre vie. Qu'est-ce donc qui les poussait auprès de Jean? Sa réputation de sainteté sans doute, la crainte de perdre leur crédit auprès du peuple; mais par-dessus tout, le désir d'avoir une bonne part dans les faveurs du Messie, qu'ils attendaient comme un libérateur temporel, comme un prince, fils de David, destiné à monter sur le trône laissé vacant par Archélaüs et à chasser les Romains du pays de Canaan. C'était donc par des motifs tout charnels que ces hypocrites allaient à Jean. On conçoit dès lors que le Saint-Esprit ait mis en sa bouche les paroles sévères avec lesquelles il accueille, ou plutôt repousse ces profanateurs, leur donnant à entendre qu'ils étaient des enfants de Satan et non pas de Dieu.

2675. (M. 3 : 7-9; L. 3: 7, 8.) Bien que toute la foule ne fût pas composée de pharisiens et de saducéens proprement dits, il ne s'y trouvait, hélas! que trop de gens auxquels convenait l'apostrophe du fils de Zacharie. Alors, comme de nos jours, on croyait assez généralement que l'observation des formes du culte suffit pour être sauvé. C'est contre une telle erreur que Jean proteste. Si vous croyez, semble-t-il dire, qu'il y a une colère à venir, un jugement auquel il s'agit d'échapper, de qui Pavez-vous appris? Et si vous l'avez appris de Dieu, comment pouvez-vous penser que de vaines apparences de religion vous puissent mettre à l'abri de vos craintes? Il faut vous convertir; c'est-à-dire, il faut que vos cœurs se tournent vers Dieu, et que votre repentance se manifeste au dehors par un vrai changement de vie. Et vous, qui lisez ces lignes, n'allez pas vous confier dans votre nom de chrétien, comme les Juifs se confiaient en leur descendance d'Abraham. Des êtres les plus vils à notre estime, de gens dont le cœur est plus dur que les pierres, Dieu peut se susciter des enfants meilleurs que nous; et il l'a bien fait voir, en appelant à lui les Gentils, quand les Juifs eurent rejeté le Seigneur.

2676. (M. 3: 10; L. 3: 9.) C'est pourquoi tremblez, dit Jean-Baptiste. Tout homme est semblable à un arbre qu'on a planté pour y recueillir du fruit; or, l'arbre qui ne porte pas de bon fruit ne peut servir qu'à allumer du feu. Si donc nos œuvres ne sont pas bonnes (il ne suffit pas qu'elles ne soient pas mauvaises), si, dis-je, elles ne sont pas bonnes, bonnes selon Dieu, bonnes à ses yeux, bonnes en tout et toujours, nous ne méritons pas autre chose que la condamnation. Peut-être qu'en parlant de la hache déjà mise à la racine des arbres, Jean désignait la ruine qui devait fondre quarante ans plus tard sur la Judée, et dont ces malheureux fils d'Abraham auraient dû avoir le pressentiment, en voyant la hache des Romains, dès cette époque, levée sur leurs têtes. Nous aussi, nous avons en perspective la destruction de notre corps, et déjà le principe en est au dedans de nous, comme la cognée prête à frapper la racine d'un arbre.

2677. (Luc 3: 10,11.) L'Évangile ne rapporte pas tous les discours de Jean; mais nous pouvons juger par celui-ci du ton habituel de sa prédication. Accompagnée de la grâce de Dieu, elle devait produire de grands effets. Aussi voyons-nous en saint Luc que la foule lui dit un jour: «Que ferons-nous donc?» Heureux symptôme de conversion! ces hommes comprirent qu'il ne s'agit pas de s'en tenir à une douleur stérile, ni à une vaine agitation de la conscience. Il faut porter des fruits. Il faut, par exemple, que celui qui a deux tuniques en donne à celui qui n'en a point, et que celui qui a des aliments fasse de même. C'est beaucoup exiger, semble-t-il; mais non. La tunique était la partie la plus indispensable du vêtement, et, à l'époque de Jean, il y avait souvent des hommes si misérables, qu'ils manquaient de tout moyen de se vêtir, comme il y en avait aussi qui périssaient de faim. Hélas! c'est ce qu'on voit encore dans les pays où la charité de l'Évangile n'a pas pénétré. Quant à nous, il est sûr que nous devons donner à nos frères plus et mieux qu'une tunique et un morceau de pain; et n'eussions-nous que deux seuls habits, il est des cas où nous devrions savoir nous dépouiller de l'un d'eux en faveur de nos frères.

2678. (12, 13.) Des péagers, c'est-à-dire des hommes odieux au peuple parce qu'ils étaient païens pour la plupart, et que, établis par l'empereur, ils avaient charge de lever les impôts en son nom [2668], des péagers s'adressant à Jean comme à un maître qui enseignait la vérité, lui demandèrent aussi ce qu'ils devaient faire. «Ne faites rien au delà de ce qui vous est ordonné,» leur répondit Jean; ou en d'autres termes, n'outrepassez pas votre compétence, n'abusez pas de votre position pour rançonner le peuple. Il dit enfin à des soldats qui lui faisaient la même question: «N'usez envers personne de violence ni de tromperie, et contentez-vous de votre solde» (14).

2679. Il est une remarque à faire sur ces trois réponses de Jean. Elles nous apprennent que le premier effet de la conversion, c'est, avant toutes choses, de nous rendre attentifs à nos devoirs les plus simples, les plus près de nous, à ceux qu'on appelle à cause de cela les devoirs prochains. Le devoir prochain d'une mère est le soin de sa famille, celui d'un enfant c'est d'obéir à ses parents, d'un malade c'est de souffrir avec patience, d'un riche c'est d'être généreux, d'un domestique c'est de servir ses maîtres, d'un ministre de Jésus-Christ c'est de prêcher fidèlement la Parole de Dieu. Une âme vraiment convertie désire de remplir tous ses devoirs, et, marchant avec simplicité dans cette voie, elle ne cherche pas l'extraordinaire. Elle comprend que le meilleur moyen de glorifier Dieu, c'est de le servir dans la position même où il nous a placés, en observant d'ailleurs par dessus tout les prescriptions de la justice et de la bienfaisance, selon la parole de Jean-Baptiste.

2680. (15-17.) En voyant la foule immense qui se pressait autour de Jean, en contemplant cet homme extraordinaire et pénétrés d'admiration pour les enseignements de ce fils d'Aaron, plusieurs se demandèrent s'il n'était point le Christ qu'on attendait, et bientôt cette pensée fut accueillie par tout le peuple. Il y avait là une grande ignorance des Écritures, puisque, selon les prophéties, le Christ devait naître de David; mais cette erreur même fournit à Jean l'occasion de diriger l'attention du peuple sur celui dont il préparait les voies.

2681. (M. 3: 11, 12; L. 3: 15-17.) Il dit en particulier combien grande serait sa puissance. À côté d'elle, la sienne était moins que rien; car Jean se déclare indigne d'être le dernier de ses esclaves. S'il a baptisé dans l'eau, le Christ baptisera dans l'Esprit-Saint et dans le feu; c'est-à-dire que l'Esprit-Saint éclaire, réchauffe, réjouit, vivifie, comme fait le feu; sans compter qu'il consume le péché dans le cœur des fidèles. Cela pourrait signifier aussi que ceux qui n'auront pas été plongés dans le feu divin et sanctifiant de l'Esprit de grâce, seront plongés une fois dans l'étang ardent de feu et de soufre, comme semblerait l'indiquer la suite du discours; ou bien enfin que le baptême du Saint-Esprit est ordinairement suivi du feu de la persécution.

2682. Quoi qu'il en soit, quelle n'est pas la grandeur de Celui qui, disposant de l'Esprit-Saint comme Jean disposait de l'eau du Jourdain, jugera le monde au dernier jour! En cette grande journée, le Seigneur Jésus-Christ, semblable à un homme vigoureux qui vanne son froment, séparera les infidèles d'avec les fidèles. Ceux-ci lui appartiennent; car tout est à lui: son van, son aire, son blé, son grenier, tout, excepté la paille, c'est-à-dire les pécheurs non convertis, qui s'en vont à la perdition et à une perdition éternelle, car c'est un feu qui ne s'éteint point. Oh! que ces paroles sont sérieuses!

2683. (Luc 3: 18.) Ainsi prêchait le fils de Zacharie; ainsi se réveillait l'Esprit d'Élie le Tisçbite (Malach. 4: 5). Toute sévère et menaçante qu'était cette prédication, elle ne laissait pas d'introduire l'Évangile, ou la bonne nouvelle, dans le monde; car non seulement elle invitait à la conversion, sans laquelle il n'y a pas de salut possible, mais encore elle parlait de Celui en qui se trouve le salut, et du Saint-Esprit par qui les âmes sont converties. Nous verrons avant peu que les discours de Jean au sujet de la bonne nouvelle devinrent toujours plus clairs et plus complets.

2684. (19, 20.) Quant à ce qui est dit ici de son emprisonnement, c'est par anticipation; puisque le récit du baptême de Jésus vient aussitôt après. Mais comme Luc voulait dès ce moment prendre l'histoire de notre Seigneur pour ne plus la quitter, il raconte d'avance ce qui mit fin au ministère de Jean. Nous aurons à revenir là-dessus en temps opportun.


CCVI. — Baptême de notre Seigneur; sa double généalogie.

Déclaration de sa divinité.


2685. (L. 3: 21, 22; M. 3: 13-17; Me. 1: 9-11.) Jean prêchait et baptisait depuis quelques mois, ou depuis plus longtemps, on l'ignore, lorsque Jésus, quittant Nazareth et la Galilée, se rendit auprès de lui sur les bords du Jourdain. Il fallait, pour l'accomplissement des prophéties, que Jésus fût introduit par Jean dans son ministère, que Jésus rendît témoignage à la divine mission de Jean, et que Jean rendît témoignage à celle de Jésus. Tout cela était juste et bon. Aussi lorsque notre Seigneur, se faisant connaître au fils de Zacharie comme le Christ, s'approcha de lui pour être baptisé, et que celui-ci, plein d'humilité, le repoussait en quelque sorte, Jésus lui dit avec ce ton grave que nous retrouverons toujours dans sa bouche: «Laisse faire maintenant, car il nous est convenable d'accomplir toute justice, n parole qui doit être comme le mot d'ordre de chaque chrétien, ne fût-ce que par la solennité du moment où Jésus la prononça.

2686. C'était une vraie humilité que celle de Jean. S'il commence par dire à Jésus: Tu veux que je te baptise et c'est moi, pauvre pécheur, qui ai besoin d'être baptisé par toi, voyez comme il se garde d'insister, comme il fait céder ses répugnances devant la volonté du Seigneur. Tu es le maître, semble-t-il lui dire; «et il le laissa faire.» Bel exemple du respect et de l'obéissance que nous devons à Dieu, dans les choses même où peut-être nous ne comprenons pas d'abord toute sa pensée.

2687. Ce fut ainsi que Jésus reçut le baptême de Jean, bien qu'il n'eût certes besoin ni de repentance ni de pardon. Et comment en douter, après ce qui se passa quand il sortit de l'eau et qu'il était en prières. Au-dessus de sa tête, il se fit comme une déchirure dans le ciel; le Saint-Esprit, l'Esprit de Dieu descendit sur lui, et l'on entendit une voix qui disait à Jésus: «Tu es mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis ma bienveillance» (Luc 3: 21, 22), et à ceux qui étaient là: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé,», etc. (Matth. 3: 17). Pendant ce temps une colombe, symbole de la pureté et des tendres affections, voltigeait au-dessus de notre Sauveur. C'était un signe de la présence du Saint-Esprit, comme plus tard les langues de feu sur la tête des apôtres.

2688. Voilà de quelle manière Jésus devint le Messie, ou le Christ de Dieu. Oint du Saint-Esprit, et non d'huile à la manière d'Aaron, de David et d'Élisée, il fut déclaré sacrificateur, roi et prophète d'un ordre bien supérieur. — En disant qu'il avait alors environ trente ans (Luc 3: 23), Luc rappelle d'une manière générale l'âge fixé pour exercer la sacrificature (Nombr. 4: 3). Ce devait être l'an 30 de l'ère chrétienne. Or, nous avons fait observer que Jésus naquit trois ou quatre ans avant le commencement de l'ère [2590]. Dans tous les cas, c'était au terme des semaines prédites par Daniel, et l'accomplissement ne pouvait être plus précis [2456, 2495]. Dès cet instant notre Seigneur entra dans son ministère.

2689. Il y entra d'une manière à la fois humble et glorieuse: humble, car il se fit baptiser par Jean comme s'il avait eu besoin de cette purification; glorieuse, car il reçut immédiatement non pas un baptême d'Esprit saint, mais le Saint-Esprit lui-même, cet Esprit qui est un avec le Fils, ainsi qu'avec le Père. C'est ce qui n'arriva jamais à aucun prophète. Nul d'entre eux n'obtint, en sa consécration, le témoignage que le Père rendit à Jésus; parce que Jésus est plus qu'un fidèle et qu'un enfant de Dieu, plus qu'un prophète, plus que le plus grand des prophètes, plus qu'un ange: il est le Fils par excellence, le Fils Bien-aimé, Dieu par sa nature, et le vrai centre de l'amour divin; si bien que c'est en Jésus-Christ seul que nous pouvons être aimés du Père.

2690. Nous avons donc ici (et rien certes n'est plus digne de notre attention), nous avons, dis-je, la pleine manifestation d'une vérité qui nous est déjà révélée dans l'Ancien Testament, mais qui se montre en cet endroit avec plus d'évidence; savoir la doctrine de la pluralité dans l'unité divine [22, 37, 41, 1007, 2160], ou autrement de la divinité essentielle du Père, du Fils et du Saint-Esprit, un seul Dieu béni éternellement; doctrine qui nous sera toujours plus clairement enseignée, à mesure aussi que celle de notre salut prendra son développement. Car ce salut consiste en définitive à ce que nous devenions enfants du Tout-Puissant par la foi au Fils de Dieu; or, cette foi, c'est le Saint-Esprit qui la produit dans les cœurs; c'est lui qui nous fait être enfants de Dieu, ou, en d'autres termes, qui nous donne Dieu même pour Père, dans l'amour et la communication de son Fils. 

2691. (Luc 3: 23-38; Matth. 1: 1-17.) Avant de commencer l'histoire proprement dite du ministère de notre Seigneur, Luc s'interrompt pour donner la généalogie du fils de Marie, et c'est par là que Matthieu commence son Évangile. En comparant ces deux généalogies, vous verrez que celle de Matthieu part du patriarche Abraham, pour descendre de génération en génération jusqu'à un nommé Jacob, père de Joseph, l'époux de Marie; tandis que celle de Luc va, en remontant, de ce même Joseph jusqu'à Adam, ou plutôt jusqu'à Dieu. Mais en faisant cette comparaison, vous remarquerez que, si, dans la première, Joseph est dit le fils de Jacob, dans la seconde, son père se nomme Héli. Or Héli et Jacob ne sauraient être le même personnage sous deux noms différents (ce qui arrive pourtant quelquefois); car en prenant dans saint Luc la généalogie d'Héli jusqu'à David, puis, dans Matthieu, celle de David jusqu'à Jacob, père de Joseph, on voit que ce sont deux branches fort distinctes, sortant l'une de David par Nathan, et l'autre, de ce même David par Salomon. Il est donc absolument impossible que ces deux généalogies soient également vraies relativement à Joseph.

2692. Il est tout aussi impossible d'un autre côté que Luc ou Matthieu se soit trompé sur un fait si facile à vérifier, dans un temps où les Juifs de Juda conservaient encore leurs généalogies en très bon ordre; et comme Luc avait sûrement connaissance de l'Évangile de Matthieu quand il écrivit le sien, il faut qu'il ait eu de bonnes raisons, ou plutôt l'Esprit-Saint qui conduisait ses pensées et sa plume, pour donner une généalogie différente. Voici donc comment la chose s'explique. Aux yeux de la multitude et devant la loi, Jésus avait Joseph pour père. Partant de là, saint Matthieu a transcrit des registres publics la généalogie de Joseph, par laquelle il est évident que si Jésus était son fils, d'une manière quelconque, il avait donc aussi David pour père. Mais comme il paraît que Joseph était, à ce moment, le seul rejeton mâle de la branche royale par Salomon, il en résultait que Jésus, fils adoptif de Joseph et son fils aîné selon la loi, était le véritable héritier du trône de Juda. Or il n'y avait pas d'autre manière pour que le Christ, Fils de Dieu et né d'une femme, accomplît en sa personne les anciennes prophéties relatives à ce point important [1506]. Marie aussi descendait de David, bien que dans une autre branche. C'est par elle que Jésus fut tout à la fois le fils de David et le Fils de Dieu. En conséquence, Luc nous donne la généalogie de Marie. Il ne la nomme pas, il est vrai, parce que le nom des femmes n'entrait jamais dans les généalogies, si ce n'est qu'il accompagnât celui de leur époux; mais il n'en est pas moins vrai que c'était Marie qui était fille d'Héli. Elle n'avait probablement pas de frère, en sorte que, selon la loi, Joseph était devenu par son mariage fils d'Héli [1000]. Il suit de là que Jésus, dans son humanité, descendait réellement de David par Nathan, le troisième des fils que ce prince eut à Jérusalem (2 Sam. 5: 14).

2693. Avant de passer outre, nous remarquerons la manière dont les Juifs arrangeaient quelquefois leurs généalogies. Il paraît que ceux qui avaient dressé celle de Joseph eurent l'idée de l'ordonner en trois séries, chacune de deux fois sept générations, sept passant pour un nombre sacré, à cause des sept jours de la création. Pour cela, ils avaient dû supprimer quelques noms, omission sans conséquence, puisque ces noms se lisaient dans l'Ancien Testament. Ainsi au verset 8, entre Joram et Hosias, il faut suppléer Achazias, Joas et Amasia. Mais cela ne change pas la descendance, et nous avons vu qu'il se fit peut-être jadis quelque chose de semblable pour la généalogie de David [1219].

2694. Enfin, il est digne d'observation que l'évangéliste mentionne en passant quatre femmes au nombre des ancêtres de Joseph et de Marie: Thamar, Rahab, Ruth et Bathscébah. Rappelez-vous ce qui a été dit de chacune d'elles [518, 1104, 1209, 1521], et vous comprendrez pourquoi il en est fait mention dans l'Évangile. Thamar incestueuse, Rahab cananéenne, Ruth moabite, Bathscébah victime d'une passion adultère! Comme il est bien vrai de dire que notre Seigneur a été mis au rang des méchants (Es. 53: 12). Au reste, de quelque famille humaine qu'il fût né, il aurait eu pour ancêtres des pécheurs et, parmi eux sans doute, de grands criminels: or voilà ce qu'il est venu chercher et sauver!

2695 (Jean 1: 1-14.) Mais pour sentir à quel point notre Seigneur Jésus-Christ s'est abaissé, il ne faut pas perdre de vue ce qu'il était auparavant, je veux parler de sa nature divine. C'est la considération où ramènent les paroles que l'apôtre saint Jean a écrites en tête de son Évangile et qui nous paraissent devoir trouver leur place en ce lieu-ci.

2696. Jean, l'évangéliste, débute comme Moïse dans la Genèse [15]. Toutes choses ont un commencement, toutes excepté Dieu (1). Or, au commencement, c'est-à-dire avant qu'il existât quoi que ce soit, hors Dieu, la Parole existait (2), Cette Parole, ou ce Verbe de Dieu, n'est pas autre que Jésus-Christ, envisagé dans sa nature divine et en sa qualité de Fils de Dieu par excellence [2689]. Il fut de tout temps auprès de Dieu le Père, et lui-même il était Dieu, avec le Père et le Saint-Esprit. Quand l'Éternel créa les cieux et la terre, il Dit [21], il parla (Ps. 33: 6, 9), et ainsi toutes choses furent faites par sa Parole; toutes choses, sans en excepter aucune, si bien que cette Parole elle-même n'est pas une des choses que Dieu a faites; elle ne s'est pas non plus faite elle-même assurément: elle est donc éternelle (3). Source de toute vie et de toute lumière, elle est la souveraine Sagesse dont parle Salomon [1816], et nul homme ne vit et ne s'éclaire que par elle (4). Aussi, depuis que le monde existe, ou plutôt depuis que, par le péché, il s'est trouvé plongé dans les ténèbres, toute vraie lumière est procédée de lui, notre unique et éternel Médiateur. Mais les hommes méchants et décidés à ne pas se convertir l'ont sans cesse repoussé: témoins soient Caïn, Esaü, Saül et tant d'autres, dans les anciens temps, puis les pharisiens et la masse des Juifs qui rejetèrent et crucifièrent le Sauveur (5).

2697. Lorsque la Parole vint dans le monde pour y être traitée, hélas! comme elle le fut toujours, il y eut de la part de Dieu un homme, Jean, fils de Zacharie, qui eut pour mission de rendre témoignage à cette divine lumière, afin d'amener les âmes à la foi (6,7). Jean lui-même n'était pas la lumière; il ne possédait que celle qu'il recevait du soleil de la justice, mais il lui rendait témoignage (8): telles étaient ses fonctions et nous venons de le voir tout à l'heure [2681, 2685],

2698. Quant à Jésus, auquel il faut toujours revenir, il est la véritable lumière, et s'il a paru dans le monde, c'est pour éclairer tout homme qui reçoit le témoignage de Jean et le sien propre (9). Mais qu'est-il arrivé, dit l'évangéliste? Ce monde, créé par la Parole, ce monde au milieu duquel il est venu, ce monde méchant a méconnu Dieu dans la personne du Christ (10). Et non seulement le monde, mais encore les siens, le peuple juif, ses frères selon la chair, ne l'ont pas reçu (11). Voilà qui est vrai généralement, mais non pas absolument, car il était impossible que le travail du Seigneur restât sans fruit. Aussi y a-t-il eu dans le monde et chez les siens, des âmes qui ont reçu Jésus-Christ (12), c'est-à-dire qui ont cru en lui, en son nom de Jésus ou de Sauveur, et en son nom de Christ ou d'Oint de l'Éternel, tout ensemble sacrificateur, prophète et roi, parce qu'il est le Fils éternel du Père. Mais cette foi, elle ne se transmet pas avec le sang, elle ne sort pas naturellement de notre cœur charnel, l'homme ne saurait l'inspirer à l'homme; elle est le fruit d'un réengendrement, ou d'une nouvelle naissance qui a Dieu pour auteur (13); et quand on est l'objet d'une telle grâce, on devient enfant de Dieu, on a dès ce moment le droit de l'appeler son Père; droit donné et non pas acquis, ou plutôt c'est Christ qui en a payé le prix, car c'est de la Parole qu'il est dit: «Elle leur a donné le droit de devenir enfants de Dieu» (12).

2699. (14.) En effet, c'est pour nous valoir cette immense faveur que la Parole a été faite chair, ou autrement que le Fils de Dieu est devenu le Fils de l'homme et qu'il a habité parmi les hommes plein de grâce et de vérité. Oui, plein de grâce, c'est-à-dire de miséricorde et de pardon, mais aussi plein de vérité, c'est-à-dire de justice et de sainteté. Il console les pécheurs sans endormir leur conscience, il proclame hautement l'obligation d'obéir et l'horreur du péché, sans jeter le désespoir dans les âmes. C'est déjà ce qu'avaient annoncé les prophètes en d'autres termes [2489]. Or qui est-ce qui vient maintenant ajouter son témoignage au leur? C'est l'auteur de l'Évangile où se trouvent ces belles paroles; c'est un disciple de Jésus qui dit, tant en son nom qu'au nom de ses frères: «Et nous avons contemplé sa gloire, gloire comme du Fils unique de la part du Père.»

2700. Cette magnifique introduction de l'Évangile selon saint Jean contient toute la doctrine du salut, il est facile de le voir; et c'est précisément pour cela que je me borne à la courte exposition que je viens d'en faire. La suite de nos Études devra prolonger et développer des traits qui ne sont ici qu'indiqués. Voici pourtant une question que j'adresse dès à présent à mes lecteurs: Avez-vous reçu le Christ? Le recevez-vous comme Celui qui est la Parole éternelle du Père? Cette Parole habite-t-elle en vous pleine de grâce et de vérité? y produit-elle une sainte paix? Questions de vie ou de mort pour votre âme.


CCVII. — La tentation.


2701. (L. 4: 1-13; M. 4: 1-11; Mc. 1: 12,13.) Nous entrons dans un des récits les plus mystérieux de la Bible. Les faits dont il se compose appartiennent à un ordre de choses tout à fait en dehors de nos connaissances naturelles; mais ce n'est pas à dire qu'ils soient moins dignes de notre créance, puisqu'ils nous sont rapportés par le Livre de Dieu. D'ailleurs, nos précédentes études peuvent nous y avoir préparés [74-83, 1056-1058, 1960], et bientôt nous verrons les étroits rapports qui existent, quant au salut de nos âmes, entre ces faits et tout l'ensemble de la révélation.

2702. Jésus venait d'être baptisé par Jean, lorsque l'Esprit-Saint qui était en lui le conduisit dans un désert où il demeura quarante jours, au milieu des bêtes sauvages, seul avec elles, comme Adam avant sa chute, sans qu'elles lui fissent aucun mal. Jésus passa tout ce temps dans le jeûne, soutenu par sa force divine, mais non cependant sans ressentir la privation de nourriture, car «finalement il eut faim.» Il paraît aussi que, durant ce temps, il fut exposé à diverses tentations de l'Adversaire ou du Calomniateur (en hébreu le Satan, et en grec le Diable), et que ces tentations devinrent de plus en plus extraordinaires, jusqu'aux trois dernières dont les Évangiles nous donnent le détail.

2703. Cette retraite, par laquelle notre Seigneur dut commencer son œuvre, avait eu pour type celles de Moïse (Exode 24: 18) et d'Élie (1 Rois 19: 8), deux grands prophètes des anciens temps. Pour en comprendre la nécessité, il faut se rappeler que Jésus a été homme, aussi véritablement qu'il est le Seigneur; or de même qu'il n'a pu expier nos péchés sans souffrir, il n'a pu, sans combattre, se maintenir exempt de péché. Il n'eut pas assurément, comme nous, à lutter contre les passions déréglées d'un mauvais cœur; mais, destiné à vivre avec un monde qui est plongé dans le mal et que les malices de l'enfer dirigent si manifestement, il fallut que Jésus, homme, employât, pour demeurer pur de toute souillure, les moyens qu'il nous recommande à nous-mêmes; savoir la vigilance, la prière, le jeûne, la retraite.

2704. Ainsi donc, Jésus dans le désert, Jésus s'imposant un long jeûne, Jésus plein d'Esprit-Saint, était, on n'en saurait douter, dans la situation même où le voulait le Père, et là, encore, «il accomplissait toute justice.» Ce fut néanmoins dans ces circonstances qu'il eut à essuyer les premiers assauts de Satan, cet ennemi de Dieu et de tout ce qui appartient à Dieu. D'où il est permis de conclure que les fidèles ont constamment à redouter ses embûches, même lorsqu'ils sont tout entiers à leur œuvre et qu'ils s'occupent le plus immédiatement de Dieu et de leur âme. Il est vrai qu'en marchant dans la ligne du devoir on peut compter sur le secours d'en haut, témoin l'histoire tandis que celle de David nous montre à quoi l'on s'expose, si, par négligence, on se livre aux attaques de l'ennemi [1519, 1520].

2705. Jésus fut entièrement gardé parce qu'il était le Fils de Dieu, le bien-aimé du Père, et qu'il avait en sa personne une force plus grande que celle de Satan. Cet être méchant et rusé savait bien que Jésus est le Seigneur, mais il savait aussi qu'il était véritablement devenu fils d'Adam, et, en cette qualité, il le jugeait capable de tomber dans le péché, non moins que le premier homme [85]. Il crut donc pouvoir l'entraîner au mécontentement, c'est-à-dire à la révolte, comme il y avait entraîné celui et celle de qui Jésus descendait selon la chair [80]. Jésus avait faim et Satan lui dit: «Si tu es,» ou «puisque tu es le Fils de Dieu,» montre ta puissance en faisant de ces pierres le pain que réclame ta vie. C'était indirectement l'inviter à répudier l'œuvre pour laquelle il était au monde, œuvre de souffrances et de renoncements, œuvre qui eût été anéantie si le Seigneur avait fait des miracles pour n'éprouver ni la faim, ni la fatigue, ni l'angoisse, ni la mort. Aussi Jésus répondit-il en citant, du Deutéronome (8: 3), un passage dont le sens, appliqué à la circonstance, revenait à ceci: «Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père; or sa volonté est que je porte en mon corps et en mon âme la douleur et la peine.» Ainsi pensait le Saint et le Juste. Ah! plût à Dieu que ses disciples affligés et souffrants parlassent tous de cette manière, au lieu de murmurer dans leurs épreuves, et d'employer quelquefois pour en sortir des moyens que Satan seul peut suggérer.

2706. Ce fut par une sorte de prestige que Satan fit voir à notre Seigneur, en un clin d'œil, tous les royaumes de la terre; à moins qu'il ne faille entendre par là simplement que, du haut d'une montagne d'où la vue s'étendait au loin, il se mit à lui parler de la puissance et de la gloire de l'empire romain, qui embrassait alors presque tous les royaumes des peuples civilisés. Quant à cette gloire et à cette puissance, il est bien vrai, dans un certain sens, que c'est le Diable qui les donne, puisqu'elles s'acquièrent et se conservent si souvent au moyen de crimes horribles; toutefois il demeure certain que c'est par l'Éternel que les rois règnent, et que c'est lui qui élève et qui abaisse (1 Sam. 2: 7, 8); en sorte qu'il y avait dans la parole de Satan du vrai et du faux, comme de coutume: assez de vérité pour faire accepter le mensonge, et assez de mensonge pour que ce ne soit plus la vérité; nouveau trait de ressemblance avec la manière dont il s'y prit pour tenter Ève: il lui avait dit qu'Adam et elle seraient comme des dieux, connaissant le bien et le mal! [81, 82.]

2707. «Si tu m'adores,» dit le tentateur. Hélas! il n'est que trop manifeste qu'écouter la parole de Satan au mépris de celle de Dieu, c'est transporter à l'ange des ténèbres l'adoration qui appartient à l'Éternel. Aussi voyons-nous Jésus repousser le trait de l'adversaire en lui citant cette autre parole du Deutéronome: «Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul» (Dent. 6: 13). Voilà ce qui vaut mieux que tous les royaumes du monde. — Et comme Jésus fit précéder cette citation de l'apostrophe que vous avez sûrement remarquée: «Arrière de moi, Satan!» il est permis de penser qu'il eut l'intention de faire sentir à l'ennemi tout le crime qu'il commettait en s'attaquant à son Seigneur, à celui qu'il n'aurait pas dû cesser d'adorer, de concert avec la sainte famille des anges (Hébr. 1: 6), et contre lequel toutefois il s'était révolté depuis si longtemps (Jude, 6) [76].

2708. Après cela, Satan transporta Jésus sur l'une des terrasses les plus élevées du temple de Jérusalem, et il lui dit de se précipiter de là en se confiant à la protection de son Père céleste, comme il avait dit à Ève: «Vous ne mourrez nullement.» Et puis, dans son impie audace, il emprunte lui-même à la Bible un passage dont il se fait une arme contre le Christ (Ps. 91, 11), tactique à laquelle il n'a point renoncé de nos jours, car souvent il se déguise en ange de lumière (2 Cor. 11: 14), et, abusant des Écritures, il répand de funestes erreurs dans le monde, en s’appuyant sur des passages dont il fait de fausses applications.

2709. Cette fois comme les deux autres, le Seigneur répondit avec des textes de la sainte Parole: «Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu,» dit-il au tentateur; ce qui peut s'entendre dans ce sens, qu'en s'attaquant à notre Seigneur, Satan oubliait qu'il avait affaire à Celui qui est le Maître et le Seigneur de toutes choses. Mais on explique plus ordinairement la réponse de Jésus d'une autre manière. C'est comme s'il avait dit à son adversaire: « Il est vrai que je serai gardé de Dieu; mais, avant tout, Dieu me gardera même de feindre un crime tel que le suicide. Compter sur le secours de Dieu pour des choses où il ne l'a pas promis, rendre ce secours nécessaire en se jetant volontairement dans une voie de péché, c'est tenter Dieu; c'est en quelque sorte vouloir qu'il trempe dans nos fautes et l'inciter au mal, considération que tout chrétien doit peser sérieusement» [730, 2376].

2710. Telle est l'histoire de la tentation de notre Seigneur. Sur quoi, il est à remarquer que Satan ne lui tendit pas d'autres pièges au fond que ceux qu'il nous dresse encore tous les jours, et qu'ils furent de plus en plus subtils. Les besoins et les jouissances physiques, la vanité et les biens du monde, les promesses mêmes et les privilèges de la piété, sont tout autant de moyens dont il se sert pour séduire les âmes. D'un autre côté, il est à observer que la Bible fournit à notre Sauveur toutes ses réponses, parce qu'en effet il n'est pas une tentation de Satan contre laquelle l'Écriture ne nous pourvoie de préservatifs infaillibles. Ce qui, d'ailleurs, est, dans tous les cas, le plus simple et le plus sûr quand nous sommes tentés d'une manière subite et inattendue, soit du dehors, soit par nos propres passions, c'est de dire comme Jésus et avec lui: «Arrière de moi, Satan!»

2711. Après ces réflexions générales, il en est une surtout qu'il importe de présenter. On ne saurait mettre en doute que cette tentation n'ait eu lieu par une permission expresse du Seigneur, et même qu'il n'ait été donné à Satan de déployer en cette conjoncture extraordinaire un pouvoir qu'il n'a pas habituellement. Or le but que Dieu s'est proposé ne me paraît pas trop difficile à découvrir. Il suffit pour cela de bien comprendre l'œuvre que Jésus-Christ est venu faire ici-bas. Il a voulu réhabiliter en sa personne les élus de Dieu, tous renfermés dans le péché d'Adam. Tombés en Adam et par lui, ils devaient être relevés en Christ et par Christ. C'est pourquoi notre divin Sauveur a voulu être tenté comme l'avait été le premier homme, et, par son triomphe, commencer la réparation du mal qui fut la suite de la chute de nos premiers parents. En sorte que cette tentation mystérieuse se rattache, par un nœud très simple, à tout le mystère de notre rédemption.

2712. Remarquons enfin que le combat de notre Seigneur contre l'auteur de la révolte du genre humain, combat qui se termine ici par la retraite de l'ennemi et par la glorieuse intervention des anges, recommença plus tard sous diverses formes, jusqu'à ce qu'enfin, selon les termes de la prophétie [102], le serpent eût écrasé le talon de Celui qui est, par excellence, la postérité de la femme; car Luc nous dit que le diable se retira de Jésus «pour un temps.» 


CCVIII. — Suite du ministère de Jean. Premiers disciples de Jésus.


2713. (Jean 1: 15.) Le ministère de Jean-Baptiste ne se termina pas au baptême de Jésus-Christ; c'est ce que nous voyons par le premier chapitre de saint Jean, à l'endroit où nous l'avons quitté [2699]. Le Précurseur continua de rendre témoignage au Messie, en déclarant qu'après lui-même venait quelqu'un qui était de beaucoup son supérieur, car il existait avant lui. Or cela ne peut s'entendre que de la divinité de Jésus-Christ, puisque le fils de Marie était né six mois après celui d'Élisabeth.

2714. Quant aux paroles qui suivent (16-18), on ne sait pas au juste si elles sont une réflexion de l'évangéliste, ou une citation des discours du Précurseur. Dans tous les cas, elles viennent du Saint-Esprit et elles nous déclarent qu'en Jésus habitait la plénitude, ou l'entière perfection de Dieu (16); que de cette plénitude ou de cette source inépuisable découlent toute lumière et toute foi; que, pour mettre le comble à ses grâces, le Seigneur se plaît à les multiplier dans la mesure même des grâces précédemment accordées, produisant en nous le bien et le récompensant par de nouvelles faveurs; que ceux enfin qu'il enrichit de la sorte sont les pécheurs qui, nés de Dieu (1: 12, 13), peuvent unir leur voix à celle de Jean et des apôtres en disant: «Nous, nous tous, nous avons reçu, et tout reçu de lui.»

2715. (17.) Jusqu'à Jésus-Christ c'est la loi qui régnait, la loi donnée à Israël par le canal de Moïse. Déjà, sous cette économie, il y avait accès à la grâce de Dieu par la promesse, ou autrement par Jésus-Christ [1107, 1130, 2231, 2272]; toutefois, la grâce proprement n'a régné que depuis la venue de notre Sauveur, en qui se sont réalisés les types et les promesses de l'Ancienne Alliance. Ici le mot vérité est l'équivalent de réalité.

2716. (18.) Ce n'est pas à dire que le Fils de Dieu, avant de venir ici-bas pour le salut de son peuple, ne se fût jamais manifesté. Car, dans un grand nombre de cas, l'Éternel se montra jadis aux siens. Souvenez-vous entre autres d'Abraham, de Jacob, de Moïse, de Josué, de Gédéon, de Salomon, d'Ésaïe, d'Ézéchiel. Or l'Écriture nous déclare, ici comme ailleurs, que, depuis la chute de l'homme, c'est constamment dans la personne du Fils et par son intermédiaire que Dieu s'est révélé au monde; en sorte que jamais personne ne connut Dieu que par le Fils.

2717. (19-21.) Dès le commencement du ministère de Jean, plusieurs, avons-nous vu [2680], s'étaient imaginé que peut-être il était le Christ. Malgré ses dénégations, le bruit en parvint à Jérusalem, d'où les Juifs (nom que saint Jean donne en particulier aux habitants de cette ville et de la Judée proprement dite), envoyèrent au fils de Zacharie des sacrificateurs et des Lévites, tous gens de sa tribu, afin de l'interroger sur ce sujet. Quand il eut encore protesté qu'il n'était point le Christ, ils lui demandèrent si donc il était Élie. Comme ce prophète avait été enlevé au ciel sans passer par la mort et qu'il y avait une prédiction qui annonçait son retour, ou quelque chose de pareil (Mal. 4: 5, 6), on conçoit très bien leur idée. À cette nouvelle question, Jean répondit encore négativement, quoiqu'il fût réellement le prophète que Malachie avait annoncé sous le nom d'Élie. Mais il jugea convenable de se placer à leur point de vue, ne voulant pas attirer sur sa personne une attention qui devait se porter tout entière sur Jésus. — À cette question enfin: «Es-tu le prophète?» il répondit non, parce qu'en effet il n'était pas le grand prophète annoncé par Moïse, prophète qui n'était autre que le Messie lui-même, quoique les interlocuteurs de Jean parussent l'entendre autrement (Deut. 18: 18,19).

2718. (22-28.) Qui es-tu donc? lui dirent ces sacrificateurs et ces scribes, qui d'ailleurs appartenaient à la secte des pharisiens et dont plusieurs peut-être gardaient un amer souvenir de l'apostrophe sévère que Jean avait adressée à quelques-uns d'entre eux [2674]; qui es-tu? «Je suis une voix, dit Jean, une simple voix, comme l'a dit Ésaïe (40: 3) et je n'ai pas d'autre charge que de préparer les chemins du Seigneur. — Pourquoi donc baptises-tu, et te fais-tu des disciples, à la manière de nos docteurs? — Il est vrai que je baptise d'eau comme vous le faites vous-mêmes (car ce n'était point un nouvel usage chez les Juifs); mais ce n'est pas pour moi que je fais des disciples, c'est pour un homme qui est maintenant au milieu de vous et que vous ne connaissez pas encore. Cet homme, répète Jean, est tellement au-dessus de moi, que je ne suis pas digne d'être le dernier de ses esclaves.» — Voilà ce qui se passait sur la rive gauche du Jourdain, où Jean prêchait et baptisait. Quant à vous, mes lecteurs, que vous soyez destinés à baptiser des pécheurs et à leur prêcher l'Évangile, ou simplement à répandre votre foi tout autour de vous, devoir de chaque chrétien, dites-vous bien, que vous non plus, vous ne devez pas aspirer à vous faire des disciples: tout votre désir doit être d'amener des âmes à Jésus-Christ, comme le faisait Jean-Baptiste, et vous allez voir que ses appels ne demeurèrent pas stériles.

2719. (29-34.) Le lendemain de ce même jour, Jésus revenant du désert où il avait remporté sa première victoire contre Satan, parut au milieu de la multitude qui écoutait Jean, et celui-ci, portant ses regards sur le Seigneur, que rien ne distinguait au dehors (Ésaïe 53:2), prononça cette belle parole: «Voici l'Agneau de Dieu qui se charge du péché du monde» ou «qui ôte le péché du monde.» Par là quatre grandes vérités étaient à la fois proclamées: que Jésus serait immolé comme l'agneau du sacrifice, qu'il le serait de la part de Dieu, qu'il expierait ainsi les péchés, enfin que cette expiation n'était pas destinée aux fils d'Abraham seulement, mais aux croyants de toute la terre. Puis Jean se hâte de déclarer que ce saint Agneau était précisément celui dont il avait annoncé l'infinie grandeur. Par la volonté de Dieu, ces deux hommes s'étaient trouvés en des circonstances qui les avaient tenus éloignés l'un de l'autre. Jusqu'à ce moment aussi le fils de Zacharie n'avait connu qu'imparfaitement le mystère du Messie; mais depuis qu'il avait vu le Saint-Esprit descendre et demeurer sur Jésus, il savait, par le témoignage même du Père, que c'est lui qui baptise d'Esprit-Saint, parce qu'il est le Fils De Dieu. Et nous, ne conclurons-nous pas de tout cela, que ce qui caractérise essentiellement la nouvelle économie, c'est le baptême de l'Esprit, ce baptême que Jésus-Christ nous a mérité par sa mort. La question: «Es-tu chrétien,» revient donc à celle-ci: «As-tu été baptisé du Saint-Esprit?»

2720. (33-39.) Le jour suivant, Jean ayant auprès de lui deux de ses disciples, leur montra de nouveau Jésus, dont il semble qu'on craignit de s'approcher. Pour les déterminer à le faire, il leur redit une parole qui doit aussi toucher notre cœur: «Voici l'Agneau de Dieu,» le doux, le bon, l'aimable sauveur de nos âmes. Alors les deux disciples cédant à l'appel de la grâce divine, s'attachèrent aux pas de Jésus. Mais le Seigneur entend que nous nous rendions compte de nos pensées, de nos motifs, de nos intentions, car il ne sait pas gré de ce qu'on fait par entraînement et sans conviction. Il leur dit donc: «Que voulez-vous?» — Demeurer avec toi et ouïr ce que tu as à nous dire; te prendre pour notre docteur et nous pénétrer de tes leçons: c'est à cela que revient leur courte réponse. Ce n'était pas encore toute la foi qui devait les animer plus tard, mais c'était pourtant déjà quelques gouttes du baptême de l'Esprit. La grâce du Seigneur agissait dans leur âme. Ils allèrent et virent; et ces heureux disciples demeurèrent avec Jésus jusqu'à la fin du jour. Or il était la dixième heure ou quatre heures du soir, attendu que les Juifs comptaient leurs heures depuis le lever du soleil, six avant midi et six après.

2721. (40-42.) De ces deux disciples de Jean-Baptiste, l'un s'appelait André; l'autre, on le pense, était Jean l'évangéliste, qui, par modestie, ne se serait pas nommé. André ayant rencontré son frère Simon, ou Siméon, bientôt surnommé Pierre, lui dit: «Nous avons trouvé le Messie,» et l'évangéliste explique à cette occasion que ce mot hébreu se rend en grec par le Christ; comme celui-ci, dans notre langue, se traduirait par l'Oint. Les entretiens d'André avec Jésus avaient donc porté leur fruit; car non seulement il le reconnaît pour le Messie promis, mais encore il s'empresse d'amener des âmes à sa connaissance et, avant tout, ses propres parents. Simon, qui devait être lui-même entre les mains du Seigneur un instrument de bénédiction pour tant de pécheurs, Simon alla sans se faire presser, et, sitôt que Jésus le vit, il lui annonça qu'outre son nom de Simon, il porterait plus tard celui de Céphas, mot hébreu qui signifie un roc, ou une piètre, prophétisant ainsi la fermeté de sa foi, sans parler d'une autre raison que nous verrons en son temps.

2722. (43-52.) Le lendemain, Jésus voulut s'en aller en Galilée, province où il avait été élevé et qu'il destinait à devenir, avec Jérusalem, le siège principal de son œuvre. La Galilée formait la partie septentrionale de l'ancien pays de Canaan. Là vivaient jadis les tribus d'Issachar, de Zabulon, de Nephthali, d'Ascer et une partie de celle de Manassé [1165]; là se trouvaient quelques lieux célèbres dans l'histoire du peuple juif, tels que la plaine de Jisréel et le mont Carmel; mais pour les rendre vraiment illustres, il a fallu l'habitation prolongée que Jésus y a faite durant les jours de sa chair. C'est depuis ce moment que le lac de Génézareth, que les cités et les villages baignés par ses eaux, que le Thabor, et des bourgades telles que Nazareth, Cana et Nain, ont acquis une célébrité qui durera aussi longtemps que le monde. Nazareth était à cinq ou six lieues à l'ouest du lac. — Le lac lui-même voyait fleurir sur sa rive occidentale, Capernaüm, Betsaïda, Magdala, Tibériade, tandis que sur la rive orientale, à peu près en face de Capernaüm se trouvait Chorazin, et plus au midi, en face de Tibériade, Dalmanutha, sans parler d'une autre Betsaïda qui était au nord-est du lac, et qu'on distinguait de la précédente par le surnom de Juliade.

2723. André et Pierre étaient de la première Betsaïda, sur les rives du lac de Génésareth, appelé aussi le lac de Tibériade, ou la mer de Galilée. Là vivait un Juif, nommé Philippe, qu'il plut au Seigneur d'appeler à lui, comme il avait appelé Pierre par le moyen d'André, et André par le moyen de Jean-Baptiste. Philippe ayant suivi Jésus, rencontra, peu après, un fils d'Abraham dont le nom était Nathanaël. Celui-ci n'avait point encore vu le Seigneur, mais il était, avec bien d'autres, dans l'attente du Messie. «Nous l'avons trouvé,» lui dit Philippe, «celui que Moïse et les prophètes ont annoncé et si bien décrit dans la loi,» c'est-à-dire dans les Écritures; «c'est Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth.» Mais Nazareth était une bourgade sans importance, qui même avait un pauvre renom, et Nathanaël ne pouvait croire qu'un personnage tel que le Messie pût venir de là. Si du moins ceux qui ont le tort de se laisser prévenir contre les personnes et contre les choses, avaient tous la bonne foi de l'honnête Nathanaël! Quand Philippe lui eut dit: et Viens et vois,» il ne s'entêta pas dans ses préjugés et il se rendit auprès de Jésus.

2724. En le voyant approcher, le Seigneur dit de cet homme: «Voici vraiment un Israélite en qui il n'y a point de fraude;» c'est-à-dire un homme droit, qui a pu pécher par ignorance, mais qui est disposé à se laisser éclairer et dont le cœur est sincèrement à Dieu (Ps. 32: 2). «Et d'où me connais-tu? lui dit l'Israélite! — Avant que Philippe t'appelât, quand tu étais sous le figuier je te voyais.» Qu'est-ce que Nathanaël faisait sous ce figuier, ou plutôt à quoi son esprit et son cœur s'y occupaient-ils? C'est ce que nous ignorons; mais il est positif que Dieu seul pouvait savoir, non pas que Nathanaël avait été assis sous son figuier, mais qu'il s'y était passé des choses, qu'après Dieu, Nathanaël seul devait connaître. Peut-être que dans sa prière matinale, il avait demandé à Dieu de lui manifester si ce Jésus dont on commençait à panier était le Christ. Or voilà sa prière exaucée au-delà même de ce qu'il pouvait espérer. Il vient d'entendre la voix de celui qui connaît toutes choses; aussi n'hésite-t-il pas à le saluer, non pas seulement comme un simple docteur, mais comme le Fils de Dieu, le roi d'Israël, selon les paroles des prophètes (Ps. 2: 2, 6, 7).

2725. Quelque vive que fût la lumière dont il plut au Seigneur d'éclairer ce nouveau disciple, il lui annonça qu'il verrait plus tard bien d'autres choses et qu'il comprendrait toujours mieux le sens des paroles mêmes qu'il venait de prononcer. C'est quand le Seigneur paraîtra dans la gloire des cieux, dans cette gloire qu'il fut donné à Jacob d'entrevoir lorsqu'il dormait à Béthel, c'est alors surtout que Nathanaël et tous les fidèles l'adoreront comme le Fils de Dieu, le roi d'Israël; et toutefois, même à cette glorieuse époque, il paraîtra revêtu de son humanité. C'est ce que notre Seigneur a voulu dire, en se donnant ici le titre de Fils de l'homme. Il constate par là son abaissement volontaire et son entière incarnation, déclarant du même coup que c'est dans l'intérêt de l'homme déchu, qu'il doit, en sa qualité de Fils de l'homme, entrer un jour dans la gloire. Heureux les André, les Jean, les Simon, les Philippe, les Nathanaël! Ils ne furent pas tous appelés au salut de la même manière, mais tous ils écoutèrent les appels de la grâce, et ils verront la gloire du Seigneur au grand jour de sa venue!


CCIX. — Les noces de Cana.


2726. (Jean 2:1, 2.) Entre Betsaïda, la ville des disciples, et Nazareth, celle du Seigneur, se trouvait un bourg nommé Cana. Ce fut là que Jésus se rendit le troisième jour, ou deux jours après la vocation de Nathanaël. On y célébrait une noce chez des parents, ou tout au moins chez des amis de Marie. Notre Seigneur y avait été invité avec ses disciples et il savait qu'il y trouverait sa mère. Quant à Joseph, comme il n'en est plus fait aucune mention depuis que Jésus entra dans son ministère, on pense généralement, comme je l'ai dit ailleurs [2669], qu'il avait été recueilli vers ses pères.

2727. (3.) Il est des peintres qui ont voulu représenter les noces de Cana et qui l'ont fait d'une manière bien absurde, pour ne pas dire impie. Leur pinceau, prodigue d'or, de draperies et de colonnades, a créé une fête, telle qu'on en voit quelquefois dans les palais des riches et des puissants de ce monde! Mais, non; Jésus, pauvre comme sa mère et ses frères, n'avait pas de relations parmi les heureux du siècle; et, bien que la société des noces de Cana fût, à ce qu'il paraît, très nombreuse et que, selon la coutume, la fête ait duré plusieurs jours, si la famille des époux avait été dans l'opulence, le vin ne serait pas venu à manquer.

2728. On se demande comment il entra dans l'esprit de Marie que Jésus suppléerait à la pauvreté de leurs hôtes, car il n'avait fait encore aucun miracle. Mais les explications les plus simples sont généralement les meilleures. Peut-être qu’en voyant arriver Jésus avec un plus grand nombre de disciples qu'on n'en attendait, Marie lui exprima la crainte que la compagnie ne fût trop considérable pour leurs hôtes; à quoi Jésus aurait répondu qu'il se chargeait d'y pourvoir. Ce serait en conséquence de cela que Marie, attentive à ce qui se passait et voyant les provisions s'épuiser, s'approcha du Seigneur et lui dit: «Ils n'ont plus de vin, » ce qui était jusqu'à un certain point lui dicter ce qu'il avait à faire, ou du moins lui en fixer l'heure, ou le moment.

2729. (4.) Ceci, à son tour, explique l'apparence de dureté que présente la réponse de Jésus. Il lui importait de bien établir que les relations qui existaient entre lui, le Christ, et Marie, la femme de laquelle il est issu selon la promesse [103], étaient des relations dont elle ne pouvait s'autoriser pour le diriger dans son ministère. C'est parce qu'il est le Fils de Dieu qu'il a pu changer l'eau en vin, et non pas parce qu'il est le fils de Marie. Il le lui avait donné à entendre vingt ans auparavant [2667], mais il fallait le lui rappeler à l'instant où il allait opérer un miracle et faire ainsi les œuvres de son Père. Il fallait aussi rendre inexcusable l'erreur qui fait de Marie une puissante médiatrice, aux prières de laquelle Jésus-Christ n'a rien à refuser: c'est, comme nos lecteurs le savent, une des principales superstitions de l'Église romaine.

2730. (5-8.) Marie comprit la pensée du Seigneur et, donnant l'exemple de la soumission, elle invita ceux qui servaient la table à faire exactement tout ce qui leur serait dit par Jésus, quand son heure serait venue, c'est-à-dire quand il le jugerait à propos. Lors donc qu'il fut bien démontré qu'il n'y avait plus de vin, le Seigneur ordonna de remplir d'eau six vases de pierre d'une assez grande contenance; après quoi, il y fit plonger la coupe qui devait circuler entre les convives, et on la porta à celui des parents ou des amis qui, selon l'usage, avait été institué chef de la table, et non pas maître d'hôtel, comme disent nos traductions ordinaires.

2731. (9, 10.) Tout cela s'était passé au milieu du bruit et du mouvement inévitables en des réunions de ce genre, même les plus modestes; en sorte que le chef de la table ne s'était aperçu de rien. Aussi lorsqu'il eut goûté du vin qu'on lui apporta, il ne put retenir l'expression de son étonnement sur la qualité, si différente de celle du précédent. La coutume des Juifs, beaucoup plus favorable à la sobriété que la nôtre, était d'offrir le meilleur vin au commencement du repas, lorsqu'il y avait toutefois plus d'une sorte de vin à offrir. Si le Seigneur en agit autrement, c'est, on le conçoit, parce qu'il fallait que ce nouveau vin fût très différent du premier, pour que le miracle en fût d'autant plus sensible; c'est d'ailleurs parce que des mains de Dieu il ne peut rien sortir que de bon.

2732. Il est à remarquer que les termes généraux dont se sert le chef de la table, expriment une coutume, plutôt que l'état des convives au milieu desquels se trouvait Jésus. Qui oserait jamais penser que notre Seigneur eût voulu favoriser l'intempérance? Comment croire même qu'il se fût rendu à cette fête, s'il n'avait connu la maison, comme une maison où régnaient la piété et l'attente du Messie? Chez les Juifs, au surplus, les fêtes nuptiales et en général les repas de famille étaient accompagnés de sacrifices d'actions de grâce, ce qui leur imprimait le caractère d'une solennité religieuse. On ne saurait donc les assimiler entièrement à ce qui se passe de nos jours dans ces mêmes circonstances, et encore moins aux fêtes mondaines qui ont le plaisir seul pour objet. C'est pourquoi il serait faux de prétendre, comme quelques-uns n'ont pas eu honte de le faire, qu'en allant aux noces de Cana, notre Seigneur ait légitimé toute espèce de festins et de réunions d'amusement.

2733. D'un autre côté, l’on ne saurait méconnaître l'intention qu'il a eue de condamner par avance les exagérations qui se sont accréditées sous son nom. Il est une austérité chrétienne dont nous ne pouvons trop nous pénétrer; mais il y a des austérités superstitieuses et conventionnelles qui ne sont point dans l'esprit de l'Évangile. Par exemple, nous verrons plus tard que le chrétien peut avoir de bonnes raisons pour demeurer dans le célibat, mais le christianisme n'en faît une obligation à personne, et surtout il ne présente pas le mariage comme une condition voisine de la souillure et qui n'est sanctifiée qu'à grand peine. De même le chrétien peut avoir de bonnes raisons pour rechercher la solitude et pour s'abstenir entièrement de l'usage du vin; mais le christianisme ne présente pas comme un péché, toute réunion sociale ni l'usage modéré «du fruit de la vigne.» C'est ce que nous atteste la présence du Seigneur aux noces de Cana; mais elle nous dit aussi que, soit que nous mangions, soit que nous buvions, il faut qu'il soit avec nous. Quant au mariage en particulier, il n'y a d'union sainte que celle qui s'est faite sous son regard et qui a reçu sa bénédiction.

2734. (11.) Relativement au miracle que fit Jésus, il faut le considérer en lui-même, puis dans sa signification, enfin dans ses résultats. En lui-même, c'est l'exercice de la puissance créatrice de l'Éternel, rien de moins.L’eau changée en vin, c'est le vin substitué à l'eau; c'est l'eau anéantie et le vin créé. Or, qui est-ce qui peut créer ce qui n'existait pas, et anéantir ce qui existait? Personne que Dieu. Créer du vin n'est pas plus difficile après tout que créer la vigne. Celui qui a fait l'un peut faire l'autre; mais bien certainement, il n'y a que lui qui le puisse.

2735. Plusieurs mots, dans l'original, servent à désigner ces œuvres extraordinaires du Christ, lequel est la Parole créatrice [2696]: ceux de prodiges ou de merveilles, d'actes de puissance et de signes. C'est le dernier de ces mots que saint Jean emploie ici et ailleurs. D'habitude nous les renfermons tous dans le terme générique de miracles, mot qui veut dire simplement une chose étonnante. Pour ne parler que de celui qui se fit à Cana et qui fut le premier miracle de notre Seigneur, il est dit que ce fut ainsi qu'il «manifesta sa gloire.» Sa gloire, remarquez-le bien, et non pas la gloire de Dieu, comme le Saint-Esprit l'aurait dit sans aucun doute, si Jésus n'avait pas été réellement le Christ, le Fils de Dieu, Emmanuel, Dieu avec nous.

2736. Sa gloire! c'est-à-dire sa puissance, sa bienveillance, sa divinité, que dérobait aux yeux l'extérieur humble et simple sous lequel il se voilait, mais qui devait se «manifester» aux siens. Or, si le Seigneur a eu et n'a pu avoir en vue que sa gloire, il est clair que nous devons, nous aussi, le glorifier en toutes choses. Il s'agit de montrer ouvertement que nous connaissons sa puissance et son amour; que nous le tenons pour notre Sauveur et notre Dieu.

2737. Mais puisque le miracle de notre Seigneur est appelé un signe, nous avons à nous demander ce que signifiait donc ce changement de l'eau en vin? Sans doute qu'il fut le signe de la présence de Dieu parmi les hommes, ainsi que nous venons de le dire; mais il était destiné à figurer en outre l'œuvre essentielle que Jésus est venu faire ici-bas. Ce n'est pas pour étaler aux yeux sa puissance, car la majesté divine éclate suffisamment dans les œuvres de la création; mais c'est pour sauver nos âmes, que le Christ a paru sur la terre. Or, ce salut, quant à ce qui s'effectue au dedans de nous, consiste principalement dans le changement du cœur. Il faut que le cœur mauvais et inutile devienne bon et propre à la gloire de Dieu. Ce vin donc que le Seigneur créa dans les vases «servant à la purification des Juifs,» est l'image du renouvellement intérieur que doivent subir les siens et que lui seul peut opérer. C'est même, par rapport à nous, le commencement de l'œuvre du salut, et voilà pourquoi ceci est le premier miracle qu'ait fait notre Sauveur. Oh! que ceux dont les pensées et les affections se laissent absorber par le monde, comme une eau qui va se perdre dans l'Océan ou dans les profondeurs de la terre, demandent donc avec instances à Celui qui baptise d'Esprit-Saint, la purification et le renouvellement de leur cœur! Qu'ils le demandent avec une pleine confiance, en se souvenant du miracle de Cana.

2738. Ce miracle eut pour effet moral d'affermir la foi des disciples et de l'éclairer. Ils croyaient déjà; mais la foi est susceptible de degrés et nous le verrons bien dans la suite. Nous verrons aussi que ce ne sont pas les miracles qui donnent la foi; mais ces manifestations de la puissance et de l'amour de Dieu ne laissent pas d'affermir l'âme du fidèle.


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