Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DEPUIS LA PREMIÈRE PÂQUE DE NOTRE SEIGNEUR JUSQU'À LA SECONDE.

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CCX. — Première Pâque; purification du temple;

première prophétie; la foi.


2739. (Jean 2:12.) Quand les jours consacrés aux solennités de la noce furent achevés, Jésus se rendit à Capernaüm accompagné de sa mère, de ses frères et de ses disciples. — Capernaüm, mot qui signifie village de consolation ou beau village, était situé à l'extrémité nord-ouest du lac de Génézareth, à une lieue de l'embouchure du Jourdain et au nord d'une plaine charmante, extrêmement fertile. Sa position sur la grande route qui unissait Damas à la Phénicie, en faisait une place importante; c'est pourquoi les Romains y avaient des douanes et une garnison. Autant Nazareth était un bourg isolé et obscur, autant Capernaüm se faisait remarquer par le nombre, l'activité et la variété de ses habitants; aussi fut-il le lieu que notre Seigneur choisit comme son principal séjour.

2740. (13.) Cette première fois, il n'y demeura que peu de temps, parce que la Pâque des Juifs était proche, et que,pour «accomplir toute justice» [2647, 2685] il voulait aussi monter à Jérusalem. On disait, monter à Jérusalem, par la raison que cette illustre et sainte cité était située dans les montagnes. Il y avait de 25 à 30 lieues entre Capernaüm et Jérusalem. Jésus franchit cette distance, marchant avec ses disciples d'étape en étape, selon la coutume des nombreuses caravanes qui, à cette époque de l'année, suivaient le même chemin. On était au printemps [681].

2741. (14-17.) Le premier acte par lequel le Seigneur manifesta sa présence dans son temple (Malachie 3:1), fut un acte d'autorité et de purification. Il y avait là, non pas dans le temple proprement dit, mais, selon l'original, dans le lieu sacré, c'est-à-dire dans les cours et sous les portiques dépendant du temple [1781], des gens qui vendaient des bœufs, des brebis et des colombes, d'autres qui faisaient métier de changer les monnaies. Ces industries assurément avaient leur utilité; car les Israélites qui venaient des pays lointains où ils étaient établis depuis la dispersion, ne pouvaient amener avec eux les victimes qu'ils se proposaient d'offrir sur l'autel du Seigneur; puis, comme ils apportaient des monnaies étrangères, il était bon qu'ils pussent les changer contre celles du pays. Mais, poussés par l'esprit du gain, ces marchands et ces changeurs abusaient de la nécessité de leurs frères pour réaliser des profits exorbitants, et d'ailleurs était-ce bien dans les avenues et dans les bâtiments du lieu saint qu'on devait établir un tel marché?

2742. On ne sait depuis quand régnait cet abus scandaleux, abus qui n'est que trop imité par l'Église romaine dans les localités où certaines dévotions attirent de nombreux pèlerins; mais on comprend qu'il dut exciter la sainte colère de notre Sauveur. S'armant d'un fouet de cordelettes, symbole de la justice divine, il en menaça tous ces profanateurs; et ceux-ci, vaincus par la majesté de sa personne et de ses paroles, s'enfuirent devant lui, comme s'évanouiront au jour du jugement, ceux qui auront porté le mépris de la religion jusqu'à en faire métier et marchandise. Les vendeurs de colombes hésitaient à se retirer, apparemment parce qu'ils vendaient surtout aux pauvres (Lév. 5: 7) et qu'ils se croyaient par là moins coupables; mais le Seigneur leur dit, à eux également: «Emportez ces choses d'ici, et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de marché.»

2743. Par là s'accomplit, nous dit l'évangéliste (17) un mot du psaume 69: 9; mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que les disciples en firent d'eux-mêmes l'application à leur Maître, et nous verrons qu'ils furent loin d'avoir toujours ce même discernement.

2744. (18.) L'acte de notre Seigneur était si convenable, il l'avait exécuté d'une manière si rapide et si solennelle, que personne n'eut l'idée de s'y opposer. Cependant les Juifs, c'est-à-dire les habitants de Jérusalem qui étaient là, ne purent s'empêcher de lui demander de quel droit il corrigeait des abus sur lesquels leurs chefs fermaient les yeux. Ils sentaient que Jésus venait d'agir en prophète, comme aurait pu le faire un Moïse, un Élie, un Esdras, un Néhémie, et ils lui dirent: «Quel signe nous montres-tu pour justifier l'autorité que tu t'arroges?» Ce fut alors que notre Seigneur prononça la parole prophétique qui est comme le pivot sur lequel tourne toute son œuvre.

2745. (19-22.) «Renversez ce temple, leur dit-il, et en trois jours je le relèverai.» Semblable à beaucoup d'autres prophéties, celle-ci fut exprimée en termes, non pas équivoques, mais figurés, et par cela même obscurs, afin que l'accomplissement seul pût en donner la clef. «Si vous étiez assez impies pour abattre ce temple, comme vous l'êtes pour y souffrir de telles profanations, j'aurais la puissance de le relever en trois jours;» toutefois c'était du temple de son corps que Jésus parlait. Il voulait dire que les Juifs, ces mêmes Juifs de Jérusalem, le feraient mourir, mais qu'il reprendrait la vie le troisième jour; et si notre Seigneur appelle son corps un temple, c'est qu'en effet toute à la plénitude de la divinité habite en lui corporellement» (Coloss. 2:9), sans compter que le temple lui-même de Jérusalem était un type de sa personne [1790].

2746. Les Juifs crurent ou feignirent de croire que Jésus parlait du temple qu'Hérode avait commencé à restaurer quarante-six ans auparavant [2590]; quant aux disciples, saint Jean avoue naïvement qu'ils n'en eurent pas l'intelligence avant que leur Maître se fût relevé d'entre les morts. Ils avaient très bien saisi le rapport qui existait entre la prophétie du Ps. 69 et l'expulsion des profanateurs du saint lieu; mais quand Jésus annonce sa résurrection, ils n'y entendent rien! nouvelle preuve, après tant d'autres, que l'interprétation des prophéties non accomplies est d'une extrême difficulté.

2747. (23-25.) Pendant que Jésus était à la fête, il fit plusieurs miracles qui attirèrent une foule de gens auprès de lui. Il est dit que tous ces gens-là croyaient en son nom, d'où l'on pourrait conclure qu'ils étaient tous nés de Dieu, ou vraiment convertis (1: 12-14); mais il est dit aussi que Jésus ne se fiait point à eux, parce qu'il lisait dans leur cœur beaucoup d'incrédulité sous les apparences de la foi. D'où il suit que le mot croire, signifie ici faire profession de croire, se ranger parmi ceux qui croient et aller avec eux. Il y a donc deux sortes de foi: la foi aux miracles, comme on s'exprime [2738], ou, si l'on veut, la foi historique et de l'esprit, puis la foi du cœur. Appeler Jésus, son Seigneur et son Sauveur, c'est une espèce de foi; mais cette foi peut n'être qu'extérieure et toute de paroles. La vraie foi est un sentiment et non pas une idée, un sentiment saint et profond et non pas une simple admiration de la puissance et de l'amour de Dieu; or Dieu regarde au cœur.

2748. C'est ce que le Saint-Esprit déclare ici par la bouche de Jean, au sujet de Jésus-Christ, après avoir fait cette même déclaration, dans l'Ancien Testament, quant à l'Éternel (1 Sam. 16: 7). Nulle part il n'est dit rien de pareil relativement à Moïse ou à quelque autre prophète, parce qu'en effet il n'y a que celui qui a créé l'homme, qui puisse savoir toujours et à coup sûr ce qui se cache dans les profondeurs de la pensée. Voici donc un de ces nombreux passages de nos saints livres où la divinité du Sauveur nous est enseignée d'une manière d'autant plus forte qu'elle est indirecte. C'est comme lorsqu'il nous est dit que, par le changement de l'eau en vin, il manifesta sa propre gloire (11).


CCXI. — Jésus et Nicodème.


2749. (Jean 3:1.) Voici maintenant un homme qui n'était, ni du petit nombre de ceux qui commençaient à croire du cœur en Jésus, ni de cette foule qui, poussée par une foi stérile, le suivait machinalement. Il était simplement attiré; mais la grâce de Dieu le destinait à marcher, dans la suite, parmi les plus résolus. Il s'appelait Nicodème, appartenait à la secte des pharisiens, et, docteur en Israël, il y exerçait une magistrature.

2750. (2). À ce moment du ministère de notre Seigneur, les pharisiens et les principaux du peuple avaient déjà pressenti que, s'il était le Christ, ils n'avaient pas à espérer de son avènement ce que leurs passions s'en étaient promis. Aussi fallait-il quelque courage chez ceux qui occupaient une position éminente, pour se joindre aux disciples. Ce courage, Nicodème ne le possédait pas encore, car il alla de nuit vers Jésus. Cependant il ne contestait point la réalité de ses miracles; il en concluait sa mission divine; il venait à lui comme à un docteur inspiré d'en haut, et peut-être pensait-il qu'il n'en fallait pas davantage.

2751. (3.) Mais combien Nicodème se trompait! Il ne comprenait rien encore aux choses du royaume de Dieu, parce qu'il n'avait pas subi la grande transformation qui est auparavant nécessaire (1: 13). C'est ce que notre Seigneur voulut lui faire sentir dès les premiers mots, en lui disant: «Amen, amen, si quelqu'un n'est engendré d'en s haut, il ne peut voir le royaume de Dieu.» Ce mot amen, qui est hébreu [1614], et qu'on a traduit par en vérité, s'est offert au chapitre 1, verset 52, sans que nous l'ayons observé. En cet endroit-là, comme ici, il s'agissait d'une grande parole sur laquelle le Seigneur voulait attirer fortement l'attention, et nous verrons qu'il en est toujours de même partout où cette formule se rencontre.

2752. Qu'est-ce donc que Jésus déclare avec tant de solennité au pharisien Nicodème? Lui parlant du royaume de Dieu qu'avait prêché Jean-Baptiste (Matth. 3: 2), il lui dit qu'il y a une nouvelle naissance; que toute âme doit l'expérimenter avant de pouvoir discerner les choses qui appartiennent à ce royaume, et en conséquence avant d'y être introduite; il lui dit enfin que cette nouvelle naissance est le fruit d'une génération divine, ou une sorte de création qui vient d'en haut. En effet, c'est du ciel seulement que peut nous venir la lumière qui, éclairant les choses du ciel, est destinée à nous les faire voir, apprécier et accueillir.

2753. (1-6.) Par cela même que Nicodème n'était point né de nouveau, il ne put comprendre ce discours. Il crut ou fit semblant de croire qu'il s'agissait de recommencer, par quelque miracle de la puissance divine, toute une carrière terrestre. Mais Jésus, reprenant la parole avec la même solennité: «Amen, amen, je te dis, si quelqu'un n'est engendré d'eau et d'Esprit il ne peut entrer dans le «royaume de Dieu.» L'eau n'est ici qu'une image, comme ailleurs c'était le feu (M. 3: 11; L. 3: 15-17). Ce «je te dis» a une force qui sûrement n'échappe pas à mes lecteurs, et, bien qu'il y en ait probablement parmi eux qui ne sont pas encore nés de Dieu, peut-être qu'instruits des doctrines de l'Évangile dès leur enfance, ils comprendront la Parole du Seigneur mieux que ne le fit Nicodème.

2754. Il ne s'agit pas ici d'une nouvelle naissance semblable à la première; mais il s'agit d'être engendré d'eau, symbole de la grâce de Dieu, et d'Esprit, source et dispensateur de.cette grâce. Jean avait baptisé d'eau, en signe de repentance; Jésus baptise du Saint-Esprit, auteur et source de la foi; or, pour être né de Dieu, il ne suffit pas d'avoir reçu le premier baptême; tandis que ceux que le Saint-Esprit a baptisés sont réellement de nouvelles créatures. Leurs croyances, leurs sentiments, leurs affections, leurs espérances, leurs craintes, leur genre de vie, tout est devenu nouveau, tout a reçu d'en haut une direction et une empreinte de sainteté. 

2755. (6.) À quoi servirait-il d'ailleurs de rentrer dans le sein de sa mère pour naître une seconde fois1? «Ce qui est né de la chair est chair.» L'homme pécheur n'engendre que des pécheurs, le mal ne saurait produire que le mal; mais ce qui est engendré de l'Esprit est esprit. L'Esprit reproduit dans le pécheur la vie spirituelle qui était en Adam avant sa chute. Ainsi, tout homme qui n'est pas né de nouveau ou engendré d'en haut, est charnel; mais celui qui est né de Dieu est spirituel. Quelles grandes doctrines que celles qui sont annoncées en ces termes au pharisien Nicodème! Comme on conçoit bien que le Saint-Esprit nous ait conservé ce sublime entretien!

2756. (7-9.) Nicodème continuant à s'étonner, Jésus compare ce qui se passe dans un homme né de l'Esprit aux effets du vent qui souffle où il veut et dont on entend la voix, sans qu'on sache ni d'où il vient, ni où il va. Rien n'est puissant et libre comme l'action du vent; telle est celle du Saint-Esprit. Il fait ce qu'il veut cl comme il le veut; on ressent ses influences à n'en pouvoir douter; mais que cet Esprit sache pénétrer l'esprit de l'homme et s'en rendre maître, tout en lui laissant ses traits propres et sa responsabilité, c'est ce qu'on ne saurait s'expliquer par le raisonnement. Si au lieu de «vent» on dit «l'Esprit,» traduction plus exacte, on ne change pas le sens fondamental, et l'on se trouve en présence du même mystère. Aussi Nicodème répond-il à Jésus: «Comment se peuvent faire ces choses?»

2757. (10, 11.) Sans dire qu'elles soient parfaitement à notre portée, le Seigneur fait pourtant remarquer à son interlocuteur qu'il avait tort de s'étonner, comme s'il se fût agi d'une doctrine entièrement nouvelle. L'Ancien Testament la supposait déjà (Deut. 30: 6; Ps. 51: 7,12; Jér. 31: 33; Ezéch. 11: 19; 36: 26, 27). En tout cas, celui avec lequel parlait Nicodème était parfaitement à croire, car ce qu'il annonçait des mystères de la vie spirituelle, il le connaissait comme on connaît ce qu'on a vu de ses propres yeux. S'il dit nous, et non pas je, c'est que ses apôtres et tous les vrais chrétiens après eux, n'ont cessé d'ajouter là-dessus, au témoignage de Jésus, celui de leur propre expérience.

2758. (12.) Car, après tout, cette doctrine de la régénération où de la nouvelle naissance est une doctrine terrestre, relativement à celles dont notre Seigneur allait entretenir Nicodème. Il y a de plus grands mystères. Celui-ci se rattache à des faits où l'humain est mélangé avec le divin; mais en voici qui sont purement célestes et par conséquent d'une nature encore plus profonde.

2759. (13.) D'abord, c'est que Jésus, le Fils de l'homme, après être monté au ciel, en est redescendu, sans cesser toutefois d'être dans le ciel; énigme qui s'explique par les apparitions du Seigneur au temps jadis, et par la divinité de sa personne. Manoah, par exemple [1270], le vit bien réellement monter au ciel, et pendant que Jésus, dans son humanité, parlait avec Nicodème, il était tout aussi réellement avec le Père, en sa divinité. Voilà ce qu'il nous donne lui-même comme un mystère, et un mystère plus étonnant que celui du réengendrement par le Saint-Esprit.

2760. (14, 15.) Autre mystère. Ce Fils de l'homme qui habitait tout à la fois la terre en tant qu'homme, et le ciel en tant que Dieu, devait être élevé sur une croix, comme le serpent d'airain le fut au haut d'une perche [967], afin que les pécheurs qui croiraient en lui, ou qui regarderaient vers lui, fussent sauvés de la condamnation qu'ils méritent, et reçussent une éternelle félicité qu'ils ne méritent pas! Qui pourra jamais comprendre un pareil dévouement; qui pourra sonder la source d'où procèdent de telles merveilles?

2761. (16.) Voyez en effet l'idée que le Seigneur nous donne ici de l'amour de Dieu, auteur de ce grand salut. Qui a-t-il aimé? Le monde, car toute âme avant d'être convertie est du monde; or le monde est par nature ennemi de Dieu! Qu'a-t-il fait pour ce monde coupable? Il lui a livré, abandonné son propre Fils, pour que les méchants en fissent ce qu'ils voudraient! son Fils, son unique, celui qu'il aime, comme Abraham! Et dans quel but? Afin de retirer de la perdition et d'enrichir de la vie éternelle tout homme qui, simplement, croit, selon ce qu'il avait dit par la bouche d'un prophète: «Voici tous les bouts de la terre, regardez vers moi et soyez sauvés» (Ésaïe 45: 22). Ainsi, quiconque croit en lui (remarquez bien ce mot quiconque), quiconque croit en lui, petits et grands, pauvres et riches, jeunes et vieux, ignorants et savants, les pécheurs invétérés aussi bien que les autres; tous sont appelés à la gloire céleste par l'amour incompréhensible de Dieu!

2762. (17). Quand un prince, armé de toute sa puissance, arriverait brusquement dans une de ses provinces révoltées, qui ne penserait qu'il vient pour exercer une juste vengeance sur les rebelles? et que dirions-nous de lui, s'il était démontré qu'il n'est descendu de son trône que pour leur porter des paroles de grâce? Tel a été notre Jésus; il est venu non pour juger le monde, mais pour le sauver; et encore à présent, s'il nous adresse sa parole, c'est en conséquence du rachat qu'il a fait de nos âmes.

2763. (18.) Ce n'est pas à dire néanmoins que tous indistinctement seront sauvés. Celui qui croit en lui ne sera pas jugé ou pas condamné, ce qui revient au même, puisque des coupables tels que nous ne sauraient paraître en jugement sans y recevoir leur condamnation; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé. Né dans le péché et coupable d'une multitude de transgressions, il a été jugé dès le commencement du monde en Adam, et ce qui met à sa condamnation un sceau irrévocable, c'est son incrédulité.

2764. (19.) L'incrédulité, en effet, n'est pas une simple erreur; elle est de plus un vrai crime. Car lorsqu'on repousse la grâce de Dieu qui est en Jésus-Christ, cela vient toujours, ou de ce qu'on ne veut pas avouer ses péchés passés, et c'est en quelque sorte les commettre de nouveau, ou de ce qu'on a des habitudes mauvaises qu'on se refuse à délaisser. C'est ainsi que le pécheur obstiné préfère les ténèbres à la lumière. S'il s'approchait de Christ, il verrait tout le mal que recèle son âme, il devrait le détester et l'abandonner; or c'est ce qu'il ne veut à aucun prix (20). Mais l'homme sincère et droit, tel que Nathanaël [2724], l'homme surtout qui a appris du Seigneur à marcher dans la vérité, celui-là s'approche toujours plus de la lumière, parce que sa vie tout entière est selon Dieu; il pense, parle et agit en la présence du Seigneur et il n'a rien de caché pour lui (21).


CCXII. — Nouveaux traits de la prédication de Jean-Baptiste.


2765. (Jean 3: 22-24.) Quelques jours s'étant ainsi passés, pendant lesquels notre Seigneur eut sans doute avec plusieurs personnes des conversations semblables à celle que nous venons d'étudier, il quitta Jérusalem pour séjourner quelque temps, avec ses disciples, dans la contrée méridionale du pays de Canaan, qu'on appelait plus particulièrement la Judée, parce que c'était essentiellement l'ancien territoire de la tribu de Juda [1162]. Le fils de Zacharie se trouvait également dans ces quartiers, mais plus au nord; il continuait à prêcher le royaume de Dieu et à baptiser en signe de repentance et de purification. Les Juifs qui venaient à Jésus et qui se rangeaient au nombre de ses disciples étaient aussi baptisés.

2766. (25, 26.) Ce double baptême devint bientôt un sujet de discussion entre les disciples de Jean et les Juifs. Ceux-là peut-être estimaient qu'après le baptême de Jean l'on ne devait pas en recevoir un autre; ou bien, qu'avant de recevoir celui de Jésus, il fallait passer par celui de Jean. Quoi qu'il en soit, ils coururent à leur maître, lui racontant que tout le monde se tournait du côté de Jésus, et cherchant à exciter sa jalousie contre un homme qui menaçait de lui ravir ses disciples. Ces gens étaient bien charnels, mais leur conduite ne rend que plus admirable celle de Jean-Baptiste.

2767. (27.) «Un homme, leur dit-il, ne peut rien recevoir, à moins «qu'il ne lui soit donné du ciel.» — Si j'ai eu des disciples, c'est Dieu qui me les a donnés: il peut donc me les reprendre; et si mes disciples vont à Jésus, c'est Dieu qui les lui donne. Il est beau de voir cet entier abandon à la volonté de Dieu, d'entendre ce pieux langage chez un homme qui avait eu tant de succès dans sa prédication et qui en rapporte toute la gloire à l'Éternel!

2768. (28, 29.) Jean avait dit assez nettement qu'il n'était pas le Christ. Pourquoi donc ses disciples s'étonnent-ils qu'on se porte de lui à Jésus; de la voix qui criait: Convertissez-vous, à l'Agneau qui se charge du péché du monde! C'est que la passion oublie ce qu'elle veut; c'est que les disciples de Jean, dont il s'agit ici, avaient déjà fait de son baptême toute leur religion; c'est qu'ils n'éprouvaient pas le besoin d'un Sauveur; c'est que leur âme, en conséquence, ne se sentait nullement pressée de recevoir celui à qui l'épouse appartient. L'épouse, dans le langage même des prophètes [1892], c'est l'Église des rachetés; l'époux, c'est Jésus, le Fils de Dieu, l'Éternel des armées [2249]; l'ami de l'époux, c'est Jean. Bien loin donc qu'il s'afflige de ce que les âmes s'approchent du Seigneur, il en ressent au contraire une parfaite joie.

2769. (30.) L'œuvre de Jean n'était d'ailleurs qu'une œuvre temporaire, tandis que celle de Jésus est permanente; l'une devait aller en diminuant, l'autre toujours croissant. Le nombre des disciples de Jean, immense dès le premier instant, devenait moindre à chaque heure; celui des disciples de Jésus, d'abord si faible, arriverait un jour à ne pouvoir pas mieux se compter que les étoiles (Gen. 15: 3). En somme, la gloire de Jean, si éclatante à l'origine, devait s'effacer devant celle de Jésus: «II faut qu'il croisse et moi que je diminue.» — Cette parole a un autre sens qui, bien qu'indirect, ne laisse pas d'être d'une grande vérité. Si nous sommes à Christ, son image se développera de plus en plus au dedans de nous, et notre mauvaise nature ira s'affaiblissant à proportion.

2770. (31-33.) La raison pour laquelle le Christ devait, en toutes choses, dépasser son précurseur, c'est que celui-ci, malgré l'excellence des dons reçus, n'était que de la terre, tandis que le Christ est du ciel. Or «celui qui vient du ciel est au-dessus de tous;» il dit ce qu'il a vu [2757]; et si tant de gens le rejettent, cela n'ôte rien à la vérité de son témoignage. Ceux qui croient sa parole ont en eux-mêmes la certitude ou le sceau que c'est Dieu qu'ils ont ouï; tout comme leur foi et ses heureux effets mettent un sceau à la réalité de ses grâces.

2771. (31, 35.) Jésus, plus que nul prophète avant lui, est l'organe du ciel auprès des hommes, puisqu'il est la Parole même de Dieu (1: 1), et il a reçu le Saint-Esprit d'une tout autre manière que les prophètes. Ceux-ci ne furent qu'en partie éclairés et pénétrés de cet Esprit, tandis que Jésus l'a reçu dans sa plénitude. Le Saint-Esprit, descendu sur lui, y est demeuré (1: 32, 33), par cela même qu'il est le Fils de Dieu, celui que le Père aime jusqu'à lui remettre toutes choses entre les mains. Or, remarquez en passant que cette parole de Jean-Baptiste: «Le Père a mis toutes choses dans la main du Fils,» suppose à la fois son humanité et sa divinité: son humanité, car c'est l'homme qui ne possède que ce qu'il a reçu; sa divinité, car c'est Dieu et non pas l'homme qui peut avoir toutes choses entre ses mains.

2772. (36.) Tel étant Jésus, qui croit en lui croit en Dieu, et il a la vie éternelle. Il l'a et non pas seulement il l'aura: dès le moment qu'il croit, la vie éternelle lui appartient. Mais si Jésus est ce que nous venons de dire, l'incrédulité devient une véritable révolte, la révolte d'une orgueilleuse raison contre la sagesse éternelle de Dieu: et si la foi en Jésus a pour effet de donner la vie éternelle, ne pas croire en Lui, c'est se priver à toujours de la vie. Il y a sur tout homme une colère de Dieu, à cause du péché; or, par l'incrédulité, le pécheur demeure volontairement sous le poids de cette redoutable colère.

2773. C'est par ces mots que l'Évangile termine ce qui nous est raconté du ministère de Jean-Baptiste, jusqu'à ce qu'il nous le montre en prison et qu'il nous fasse le triste récit de sa mort prématurée. Or, si vous rapprochez ce qui, dans nos Études précédentes et dans celle-ci se rapporte à ce grand serviteur de Dieu, vous admirerez, non seulement l'énergie de ses prédications, mais bien plus encore l'abondance des lumières évangéliques dont le Saint-Esprit l'avait enrichi. Dans un moment où si peu de gens encore savaient qui était Jésus, où nul peut-être ne comprenait bien le but de sa mission et l'œuvre qu'il venait accomplir, vous voyez le fils de Zacharie le proclamer Fils de Dieu et Sauveur du monde, révéler le mystère de sa double nature et, tout en invitant les pécheurs à la repentance et aux bonnes œuvres, déclarer que c'est par la foi seule qu'on peut obtenir la vie éternelle. Jean n'a été qu'une «Voix» (1: 23); mais quelle voix noble et pure; c'est la voix même de Dieu. Heureux ceux qui l'écoutent et la mettent dans leur cœur! Comme André et Jean (1: 35), ils ne sauraient manquer d'aller à Jésus et de trouver en lui, dès à présent, le pardon et la vie!


CCXIII. — Jésus et la Samaritaine.


2774. (Jean 4: 1-3.) Après être demeuré quelque temps dans les contrées voisines de Jérusalem, notre Seigneur prit la résolution de retourner en Galilée, par le motif que les pharisiens commençaient à comploter contre sa personne. En voyant la foule se porter de Jean vers lui, ils comprirent que le mouvement devenait sérieux, et comme Jésus annonçait des doctrines qui ne pouvaient leur plaire, ils se mirent dès ce moment à l'honorer de leur injuste haine.

2775. (2.) Jésus ne baptisait pas lui-même: ses disciples le faisaient de sa part. Peut-être voulut-il éviter des disputes de prééminence entre ceux qui auraient reçu le baptême de ses propres mains et ceux qui, plus tard, ne le recevraient que de la main de ses disciples. D'ailleurs notre Sauveur est venu pour sauver et non pour baptiser; ou plutôt le baptême qu'il administre, c'est celui du Saint-Esprit, et à cette époque il ne s'agissait encore que du baptême d'eau.

2776. (4.) L'ancien pays de Canaan était alors divisé en quatre provinces principales: la Pérée, à l'orient du Jourdain, territoire occupé jadis par les tribus de Ruben, de Gad et de Manassé [1158]; la Judée, à l'ouest du Jourdain et de la mer Morte; la Galilée, au nord [1160], et la Samarie, au centre. De la Judée, il y avait deux manières de se rendre en Galilée: ou par la Pérée, qui était le chemin le plus long, ou par la Samarie. Ce fut cette dernière route que choisit notre Seigneur, voulant, dès l'entrée de son ministère, montrer qu'il était venu sauver les Samaritains aussi bien que les Juifs [2570].

2777. (5, 6.) La ville de Sichar, près de laquelle notre Seigneur arriva et dont il se proposait de faire le théâtre d'une des plus grandes merveilles de la grâce, était l'ancienne Sichem de la Genèse [485], aujourd'hui Naplouse. Située au pied du mont Garizim, elle appartenait jadis à la tribu d'Ephraïm, l'un des fils de Joseph [1164]. Là se trouvait et se trouve encore de nos jours, un puits profond de 105 pieds, mais avec cinq pieds d'eau seulement. C'était le patriarche Jacob qui avait fait creuser ce puits, environ 1,740 ans avant la naissance de notre Seigneur. Il paraît qu'on l'avait soigneusement entretenu, moins encore par la raison qu'on le devait au petit-fils d'Abraham, qu'en vue de son utilité. Jésus y arriva vers midi. C'était déjà la saison chaude; il avait fait probablement une assez longue traite; il était fatigué, car il a connu toutes les infirmités de la vie humaine, moins le péché; et, tandis que ses disciples allaient acheter des vivres dans la ville voisine, il s'assit au frais, sur le bord du puits.

2778. (7-9.) Pendant qu'il était là, une femme que sa prescience attendait, bien qu'il ne l'eût point fait appeler, vint à la fontaine pour puiser de l'eau. Aussitôt Jésus lui demande à boire, car il avait réellement soif, et de plus il voulait lier avec elle une sainte conversation, dont l'issue devait être tout à la gloire de Dieu. La femme est étonnée qu'un Juif réclame d'elle, même ce léger service, car c'est bien un Juif qui lui parle: son langage, peut-être ses vêtements, le côté d'où il paraît venir, tout le trahit; et puis la femme avait sans doute rencontré les disciples allant à la ville. Or les Juifs n'entraient pas volontiers en relation avec les Samaritains. Depuis longtemps une ligne profonde de démarcation les séparait les uns des autres [2103, 2476, 2318], et des faits plus récents n'avaient fait qu'envenimer la querelle [2371, 2579, 2581].

2779. (10.) Ah! lui dit Jésus, si tu connaissais le don, ou la grâce que Dieu te fait dans ce moment; si tu savais qui est ce Juif qui te parle, non seulement tu t'empresserais de le servir, mais encore tu lui demanderais toi-même de l'eau, et il te donnerait non pas de celle qu'on extrait péniblement du fond d'un puits et qui n'est que trop semblable aux tentatives de l'homme pour se sauver lui-même, mais une eau de source vivante et jaillissante, comme celle du rocher de Moïse [729], image de la grâce vivifiante du Saint-Esprit. Voilà ce que notre Seigneur dit à la Samaritaine en langage figuré; mais elle ne le comprit pas mieux que ne l'avait fait le docteur Nicodème, et cela ne doit pas nous étonner de sa part.

2780. (11-14.) Puis, de même que Nicodème avait demandé comment un homme pouvait naître de nouveau quand il était vieux, la Samaritaine, incapable de discerner les choses spirituelles, ne sut voir dans le discours de Jésus que le côté par lequel il pouvait lui paraître absurde. S'il y avait auprès de là, pensa-t-elle. une eau de source jaillissante, Jacob n'aurait pas pris la peine de creuser un puits et l'on n'aurait pas manqué de la découvrir plus tôt! Selon la chair, c'était bien raisonner; toujours est-il que c'était un raisonnement d'où l'Esprit était absent. Pour le faire sentir à son interlocutrice, Jésus lui dit qu'il s'agissait d'une eau tout autre que celle qui désaltère le palais, et encore qui ne désaltère que momentanément. L'eau qu'il donne, au contraire, satisfait la soif de bonheur qui travaille toute âme d'homme, et lorsqu'on en a bu, l'on a en soi une source inépuisable de grâces, grâces qui ont pour dernier terme la vie éternelle.

2781. (15.) Il semble qu'à ces paroles la Samaritaine aurait dû saisir la pensée du Sauveur. Il n'est pas bien sûr qu'elle ne l'ait au moins entrevue; mais son cœur, tout au monde, repousse encore la vérité, et, d'un ton auquel elle s'efforce de donner l'apparence de la conviction mais où perce une certaine moquerie et beaucoup de légèreté; eh bien, dit-elle à Jésus: «Donne-moi aussi de cette eau, afin que je n'aie plus besoin d'en venir puiser ici.»

2782. Peut-être quelques-uns de mes lecteurs s'étonnent-ils que notre Seigneur, au lieu d'emprunter des choses ordinaires de la vie ce langage figuré, n'ait pas tout de suite parlé à la femme en termes directs, et de son âme et du salut dont elle avait besoin. Mais son âme! y avait-elle seulement jamais songé? Le salut! ce mot aurait-il réveillé en elle la moindre idée? Combien la méthode suivie par notre Seigneur n'est-elle pas plus sage! Si la femme ne comprend pas encore, la voilà du moins rendue attentive, et ce discours énigmatique n'y a pas contribué faiblement.

2783. (16-19.) Il fallait cependant quelque chose de plus pour vaincre sa légèreté, et ce qu'il faut, le Seigneur ne manque jamais de le faire. La femme de Sichar avait tenu jusque-là une conduite fort répréhensible. Ses mœurs étaient telles que ses compatriotes ne pouvaient guère les ignorer complètement; mais personne ne connaissait à fond les honteux mystères de sa vie. Elle-même en avait peut-être oublié les principales circonstances, car l'homme parvient assez aisément à chasser de son souvenir ce qui l'importune. Aussi, quand elle entendit cet étranger se montrer tellement au fait de ce qui la concernait, et le lui révéler d'une manière à la fois si grave et si poignante, il lui arriva comme à Nathanaël, non pas do dire: «Tu es le Fils de Dieu, le roi d'Israël» (1: 50), elle n'en était pas encore là; mais de s'écrier: «Seigneur, je vois que tu es un prophète.»

2784. (20.) Tout autre aurait aussitôt demandé ce qu'une pécheresse comme elle devait faire pour être sauvée, mais l'œuvre de la grâce de Dieu se développait lentement dans le cœur de la Samaritaine. On la voit donc cherchant encore à se distraire d'elle-même et, pour toute question, s'informer de Jésus qui avaient raison, des Samaritains ou des Juifs, relativement au lieu dans lequel on devait adorer l'Éternel [2579]. C'est le tort dont se rend coupable quiconque néglige ses intérêts spirituels pour certaines questions religieuses qui, importantes sans doute, appartiennent toutefois à l'ordre extérieur. On peut, en faisant ainsi, montrer du zèle et de la foi; mais souvent c'est un signe équivoque.

2785. (21-24.) Jésus, cependant, voulait amener à lui cette pauvre âme. Il continua donc l'entretien, en répondant que le moment était venu où l'Éternel cesserait d'être exclusivement le Dieu des Juifs. Sans doute que les Samaritains soutenaient une erreur. C'était bien de Sion et non de Garizim, que, selon les prophètes, le salut devait se répandre parmi les nations (Ésaïe 2:3); toujours est-il que Juifs et Samaritains avaient à apprendre en quoi consiste le culte spirituel et vrai qui allait enfin s'établir en tout lieu. Un culte plus indépendant que nul autre de toute forme; un culte dont la valeur résulte essentiellement des dispositions qu'on y apporte: voilà ce qu'il était donné à Jésus-Christ de réaliser, en faisant de chaque fidèle un temple du Dieu qui est Esprit [2629].

2786. (25, 26.) Rendue décidément sérieuse par ces paroles, la Samaritaine exprima l'espoir que le Messie attendu par les gens de sa nation, non moins que parles Juifs, que ce Messie dont quelques-uns parlaient comme étant maintenant arrivé et que tous désignaient par cette épithète: «Celui qui vient» [2512], que le Messie, dis-je, leur annoncerait tout ce qu'il fallait savoir, non seulement au sujet du culte, mais encore sur tant d'autres choses dont elle sentait maintenant le besoin pour son âme. Ce fut alors que Jésus daigna se révéler à cette pauvre pécheresse, en termes plus explicites qu'il ne l'avait fait jusque-là devant la multitude: «Je suis le Christ, moi qui te parle.»

2787. (28-30.) Il n'est pas trop malaisé de se figurer le trouble dans lequel ces simples mots jetèrent la Samaritaine. Femme à vives impressions, elle oublie ce qu'elle était venue chercher au puits de Jacob, comme Jésus avait oublié sa soif en s'occupant de cette âme; elle laisse sa cruche et, première missionnaire, elle court dire aux gens de sa ville: «Venez voir quelqu'un qui m'a dit tout ce que j'ai fait. Celui-ci n'est-il point le Christ?» Sur quoi vous remarquerez qu'elle ne put s'exprimer ainsi, sans risquer qu'on lui demandât ce que donc elle avait fait? Et puis, avec quel ton modeste elle cherche à propager ses nouvelles convictions! Comme Philippe, elle dit: Venez et voyez; mais qui est-elle pour oser dire avec la même affirmation: «J'ai trouvé le Christ? B Bénies d'en haut, ses instances engagèrent beaucoup de Sichémites à se rendre vers Jésus. Elle les avait probablement trouvés à la porte de la ville. C'est là qu'était la place publique, et l'on y voyait toujours un assez grand nombre d'hommes réunis.

2788. (27; 31-38.) Cependant les disciples étaient de retour lois du brusque départ de la Samaritaine. Ils furent très étonnés de ce que Jésus s'entretenait avec une femme, tandis que les docteurs juifs ne jugeaient pas ce sexe digne de leurs enseignements. Mais ils furent plus surpris encore, quand ils virent que leur maître ne partageait point le repas qu'ils s'étaient procuré par son ordre. Et pourtant, pensaient-ils, il doit avoir faim! En conséquence, ils le pressaient de manger. Mais l'âme et le cœur de Jésus étaient trop occupés ailleurs, pour qu'il songeât à son appétit. C'est ce qu'il voulut leur faire sentir en leur disant: «J'ai à manger d'une nourriture que vous ne savez pas!» Hélas, les disciples étaient encore bien charnels! Moins que Nicodème peut-être et surtout moins que la Samaritaine; toujours est-il qu'ils se prirent à conjecturer qu'en leur absence, quelqu'un avait apporté à Jésus de quoi satisfaire sa faim.

2789. Il fallut donc que le Seigneur leur expliquât ce qu'il envisageait comme son véritable aliment. C'était de faire l'œuvre pour laquelle il avait été envoyé, œuvre immense et urgente, semblable à de vastes moissons dorées par un ardent soleil. À la saison de l'année où l'on se trouvait, les campagnes devaient montrer en effet leurs épis mûrissant (Deut. 16: I), et c'est pour cela que Jésus leur dit: «Levez vos yeux et regardez les campagnes, elles sont déjà blanches pour la moisson.» Quant à ces mots: «Il est encore quatre mois et la moisson vient,» c'était un proverbe dont le sens équivaut à celui du pour exprimer qu'une chose peut être certaine, bien qu'elle se fasse attendre, on disait: «Encore quatre mois et la moisson vient.» Mais dans le cas actuel, la moisson allait suivre de près les semailles, une moisson d'âmes recueillies pour la vie éternelle. Voilà ce que le Seigneur veut faire entendre à ses disciples. Après quoi il leur annonce qu'ils seront ouvriers avec lui dans la grande moisson spirituelle, et, pour les encourager, il leur parle des fruits admirables qui couronneront leurs travaux.

2790. (39-42.) Or, quel fruit magnifique déjà que celui des semailles jetées par Jésus dans le cœur de la Samaritaine, cette autre Rahab! Avant même d'avoir vu le Seigneur, beaucoup de ses concitoyens furent touchés du témoignage qu'elle lui avait rendu et dont tout en elle confirmait la vérité. Ils prièrent Jésus de demeurer avec eux et il passa deux jours dans cette ville. Ce furent de beaux jours, n'est-ce pas, pour les heureux Sichémites! Peut-être ne furent-ils témoins d'aucun miracle; mais la puissance du Saint-Esprit en fit un très grand dans leur âme, et ils obtinrent la certitude intime que Jésus était vraiment le Christ, le Sauveur du monde. C'est ce qui arrive à toute personne dont la foi ne repose pas seulement sur les instructions des ministres de la Parole, mais qui s'est nourrie de la Parole même de Dieu et en qui cette parole est devenue vivante par le Saint-Esprit. Que mes lecteurs ne se bornent donc pas à méditer ces Études. Qu'ils lisent et relisent leur chère Bible; puis, qu'ils prient beaucoup, afin que le Seigneur se révèle à eux comme il daigna se révéler aux hommes de Sichar.


CCXIV. — Second miracle à Cana. Prédication à Nazareth.


2791. (Jean 4: 43-45.) Quand notre Seigneur eut passé deux jours à Sichar, il continua sa route vers la Galilée, en s'éloignant ainsi de la Judée, le vrai berceau de ses pères, car il s'y était appliqué le proverbe que «nul prophète n'est honoré dans sa patrie.» La Galilée était également son pays, puisqu'il y avait été élevé et que d'ailleurs elle appartenait au territoire des douze tribus d'Israël; aussi verrons-nous qu'il ne manqua pas d'y rencontrer une vive opposition. Cependant les Galiléens qui, après avoir été témoins des miracles opérés à Jérusalem par Jésus, avaient regagné leurs foyers plus tôt que lui, furent joyeux de le voir de retour et lui firent généralement un très bon accueil, ce qui n'emporte pas qu'ils eussent une foi égale à celle des Sichémites.

2792. (46-48.) Ce ne fut pas à Nazareth que Jésus se rendit d'abord, mais chez ses amis de Cana. C'est là qu'il était lorsqu'on vit arriver un homme de la cour d'Hérode, qui demeurait à Capernaüm. Notre Seigneur avait déjà paru dans cette ville [2739], et sa renommée commençait à y être dans toutes les bouches. Or cet homme avait un fils malade à la mort, et il venait prier Jésus de le guérir. C'était de sa part une certaine foi, car le Seigneur n'avait pas encore rempli la contrée de sa puissance, comme il le fit plus tard. Il lut néanmoins dans le cœur de cet homme qu'il venait plutôt s'assurer si Jésus pouvait opérer une telle merveille, que la lui demander comme une chose qui fût certainement en son pouvoir. C'est pour cette raison sans doute qu'il lui fit ce reproche: «Si vous ne voyez des signes et des miracles vous ne croirez point.»

2793. Beaucoup de gens en effet demandent des miracles pour croire. Il est certain toutefois qu'on peut croire sans avoir vu des miracles, témoin les Samaritains de tout à l'heure. Puis, on peut voir bien des miracles sans croire, témoin tant d'Israélites aux jours de Moïse et des prophètes, pour ne rien dire de ceux qui rejetèrent Jésus malgré les merveilles qu'il avait opérées sous leurs yeux.

2794. (49, 50.) Le reproche de notre Seigneur toucha, paraît-il, le cœur du courtisan; car sa réplique revient à ceci: «Non, ce n'est pas le miracle que je demande, c'est la guérison de mon fils, et je l'attends de ta grâce.» Sur quoi Jésus lui dit: «Va, ton fils vit.» — L'homme crut cette parole et bientôt, descendant les collines qui bordaient le lac de Génézareth, il repartit pour Capernaüm, ne doutant nullement de la véracité du Seigneur. Telle fut la foi d'Abraham, telle doit être la nôtre.

2795. (51-53.) Capernaüm n'était qu'à cinq lieues au plus de Cana. On se demande en conséquence comment il se fit que cet homme ne rencontrât ses esclaves que le lendemain du jour où Jésus lui avait dit: «Ton fils vit.» Il y a deux manières d'expliquer la chose. Ou bien il était demeuré avec Jésus le reste du jour, ce qui montrerait le calme et la fermeté de sa foi; ou bien son entretien ayant eu lieu avec Jésus à une heure après midi, ses esclaves le rencontrèrent après le coucher du soleil, c'est-à-dire lorsqu'un nouveau jour commençait, selon la manière de compter des Juifs [2720]. Quoi qu'il en soit, l'essentiel est de remarquer ici la puissance du Seigneur, la fidélité avec laquelle il tient sa parole et les effets de sa grâce sur les âmes.

2796. Cet enfant, fils unique selon toute apparence, s'en allait mourir; on n'en attendait plus rien, et, à l'heure même où Jésus l'a voulu, sans avoir vu le malade, sans l'avoir touché, il le rappelle à la vie! Qui ne reconnaîtrait ici le pouvoir même du Créateur des cieux et de la terre? [2696.] Qui hésiterait à mettre sa confiance en Celui dont la parole est d'une telle efficace? Qui pourrait enfin ne pas désirer pour soi et pour sa maison la foi qui, dès ce moment, remplit le cœur du Capernaïte et des siens? Cette dernière grâce fut plus grande encore et plus précieuse que la guérison du malade.

2797. Nous avons d'ailleurs ici une nouvelle preuve que la foi est susceptible de progrès [2738]. Le père du malade avait un commencement de foi lorsqu'il prit le parti de s'adresser à Jésus; puis, quand le Seigneur lui dit: «Ton fils vit,» il crut la parole; enfin, lorsqu'il fut de retour chez lui, il crut, nous dit l'évangéliste, lui et toute sa maison, c'est-à-dire que sa foi s'affermit et qu'elle devint expansive, car sa famille ne crut pas sans qu'il l'y eût exhortée. Je conclus de là que nous devons chercher à croître dans la foi comme dans toutes les autres grâces de Dieu, et que le moyen d'y faire des progrès, c'est de sentir toujours plus le besoin que nous avons de Jésus-Christ (19), puis de méditer beaucoup sa Parole (50), enfin de considérer attentivement les effets de sa grâce sur nous et sur les autres (53).

2798. (54.) La guérison de ce jeune homme fut le second miracle que Jésus fit en Galilée, ou peut-être seulement à Cana. Comme le changement de l'eau en vin, il était destiné non seulement à signaler la puissance du Seigneur, mais encore à figurer l'œuvre qu'il est venu faire. Ceux qui en furent les témoins n'y virent probablement que la première de ces deux choses, mais il en doit être autrement de nous. Il y a là une grande prédication. Parle péché, nous sommes tous malades à la mort, et Jésus seul peut nous délivrer de cette affreuse maladie. Nous devons donc nous tourner vers lui et nous écrier avec David: «O Seigneur, rends-moi la vie selon ta Parole» (Ps. 119: 25).

2799. (Luc 4: 14, 15.) Luc ne nous raconte ni les noces de Cana, ni le voyage de Jésus à Jérusalem, ni, par conséquent, son retour par la Samarie, ni enfin l'histoire du courtisan et de son fils. Il avait conduit Jésus en Galilée d'abord après la tentation, comme effectivement il ne tarda pas à s'y rendre; mais pour retourner de Jean à Luc sans couper le fil du récit et sans en intervertir les circonstances, nous n'avons autre chose à faire qu'à reprendre Luc où nous l'avons laissé [2712], tant il y a d'accord entre ces évangélistes, qui, à plusieurs égards, sont d'ailleurs si différents. Luc aussi nous dit qu'à ce moment notre Seigneur était généralement honoré de tous ceux qui l'approchaient. Voici toutefois une occasion où il n'en alla pas de même.

2800. (16.) Il paraît, d'après ce qui précède, que, depuis son baptême, le Seigneur avait évité de retourner à Nazareth, à cause des préventions qu'on y nourrissait contre sa personne. Avouons-le, ces gens au milieu desquels il avait passé plus de trente ans dans une obscurité profonde et qui étaient habitués à ne voir en lui que le fils du charpentier Joseph, étaient plus mal placés que beaucoup d'autres pour reconnaître la divinité de sa mission. Cependant il n'était pas possible que Jésus n'eût pas soin des siens (Jean 1: 11). Aussi le voyons-nous enfin dans sa ville, et même un jour de sabbat, afin de pouvoir d'autant mieux parler à ses concitoyens, qui ne manquaient pas, ce jour-là, de se rendre à leur synagogue ou congrégation.

2801. On appelait ainsi les assemblées qui, depuis le temps d'Esdras, pense-t-on, se tenaient chaque sabbat pour lire les Écritures et entendre les explications des docteurs. On donnait ce même nom au local où avaient lieu les assemblées. C'était une salle plus ou moins vaste, au fond de laquelle était une estrade ou tribune, place destinée aux anciens et aux ministres ou serviteurs de la synagogue; là sans doute se trouvait aussi un banc pour les docteurs. Sur le devant de l'estrade il y avait une arche, un coffre dans lequel on déposait les rouleaux ou volumes de Moïse, et à côté ceux des prophètes. Puis, en face, était l'auditoire lui-même, les femmes occupant une tribune fermée où il était difficile de les voir, si ce n'est peut-être de l'estrade.

2802. (17-21.) Jésus étant là, siégeant sans doute au milieu des docteurs ou rabbins, il se leva pour lire, et quand on lui eut donné le livre du prophète Ésaïe, il l'ouvrit à l'endroit marqué dans nos Bibles, eh. 61: 1, et il y ajouta, paraît-il, le passage du ch. 42: 7. La lecture faite, il s'assit, suivant l'usage, et il se mit à parler. Il dit que cette prophétie le concernait et que ses auditeurs en avaient dans cet instant même le parfait accomplissement, car il était la personne prédite par Ésaïe et il faisait l'œuvre que le Saint-Esprit avait si exactement dépeinte à l'avance.

2803. Sans répéter ce que j'ai dit ailleurs [2461, 2228], voyez en effet comme cette prophétie s'est bien accomplie. L'Esprit du Seigneur,  ou de l'Éternel [2630], n'est-il pas descendu sur Jésus à son baptême et, de cette manière, n'a-t-il pas été réellement Oint, ou fait Christ? N'est-ce pas une bonne nouvelle qu'il est venu annoncer; et à qui cette bonne nouvelle, cet Évangile est-il destiné, si ce n'est aux pauvres, aux chétifs, aux pécheurs? N'est-il pas vrai qu'il console les cœurs affligés, ceux surtout que brise le sentiment de leurs fautes? (Ps. 51: 17.) N'est-ce pas nous qui sommes ces captifs, ces aveugles, ces opprimés que Jésus veut sortir de la prison où Satan les retient, éclairer de sa divine lumière, affranchir de l'oppression du péché? Enfin ne dira-t-on pas agréé par le Seigneur et plein de grâce, le temps où il est venu lui-même accomplir ces merveilles?

2804. (22.) Voilà ce que notre Seigneur expliquait aux habitants de Nazareth en des termes que nous ne chercherons pas à rétablir. Nous comprenons très bien toutefois l'admiration que ses paroles, pleines de miséricorde, causèrent chez ceux qui les entendirent. Mais admirer, ce n'est pas encore croire, et le cœur humain est tellement incrédule, que souvent il s'étonne là où il devrait simplement adorer; ou, s'il faut le dire d'une autre manière, il est habile à trouver des prétextes pour ne pas croire, alors même qu'il est le plus subjugué. Dans le but d'affaiblir les impressions que Jésus produisait sur eux, ces pauvres Nazaréens s'excitaient à mépriser le docteur céleste en se rappelant l'obscurité de son origine.

2805. (23.) Jésus, qui connaissait leurs pensées, vit qu'ils ne lui pardonnaient pas d'être demeuré si longtemps loin d'eux et d'avoir fait à Capernaüm, ville à moitié païenne, des œuvres dont il aurait dû, pensaient-ils, honorer surtout les siens. Ces miracles, que les gens de Nazareth reprochaient à Jésus d'avoir faits à Capernaüm, c'était peut-être uniquement la guérison dont nous nous sommes occupés tout à l'heure, à moins, ce qui est possible, que le Seigneur n'eût fait dès lors un second voyage dans cette ville; car il ne paraît pas qu'au premier [2739], il y eût déployé sa puissance miraculeuse. Après cela, les concitoyens de Jésus s'étonnaient que celui qui s'annonçait avec tant d'emphase comme le libérateur des pauvres et des opprimés, restât lui-même dans l'indigence et sous l'oppression du pouvoir romain. C'est pour cela qu'il mit dans leur bouche une parabole ou proverbe [1770] qui n'exprimait point mal leur pensée: «Médecin, guéris-toi toi-même.»

2806. (24-28.) Là-dessus, notre Seigneur ayant appliqué à Nazareth, le lieu où il fut élevé, ce qu'il avait dit précédemment de la Judée [2791], justifia toute sa conduite en faisant allusion à deux traits de l'Ancien Testament qui sont bien connus de mes lecteurs [1926, 1982]. Comme Naaman et la veuve de Sarepta avaient été l'un et l'autre des païens, les paroles de Jésus signifiaient qu'il distribue ses grâces selon son bon plaisir, et que les Nazaréens avaient beau lui appartenir de très près, ce fait ne leur donnait nul droit sur sa personne, ni sur aucune de ses faveurs; c'était même leur dire qu'ils s'exposaient, par leur incrédulité, à se voir privés des bienfaits de son règne.

2807. (29, 30.) Si la passion aveugle, on peut dire aussi qu'elle rend clairvoyant. Tel qui refuse de comprendre les choses les plus simples, quand il ne lui plaît pas de les saisir, entend à demi-mot ce qui correspond avec ses sentiments, bons ou mauvais. Les compatriotes de Jésus sentirent très bien la portée d'un discours où la souveraineté de Dieu, ce dogme si méconnu, était proclamée avec tant d'évidence. Il n'en fallut pas davantage pour exciter chez eux une violente colère, et, nouvelle preuve que celui qui hait son frère est un meurtrier (rappelons-nous Caïn, Esaü, les frères de Joseph, Joab le neveu de David et bien d'autres), ces misérables entraînèrent Jésus hors de la ville pour le précipiter du haut d'un rocher. Mais ce n'est pas ainsi, ni sitôt, qu'il devait donner sa vie pour nous; et, soit par une espèce de miracle semblable à celui qui préserva les anges à Sodome, soit que quelques personnes peut-être le prissent sous leur protection, il s'échappa de leurs mains et il s'en alla. De cette façon les Nazaréens ne purent consommer leur crime, mais chacun doit sentir qu'ils ne l'avaient pas moins commis dans leur cœur. Hélas! que dirons-nous de tant de gens qui, de nos jours, insultent le Seigneur Jésus par leurs blasphèmes, ne pouvant le précipiter du trône de sa gloire?

2808. (M. 4: 12-17; Mc. 1: 14, 15.) Avant d'aller plus loin, j'invite mes lecteurs à porter leurs regards sur deux passages où ils verront que si Matthieu et Marc ne racontent pas les faits dont nous nous occupons depuis quelque temps, ils y donnent indirectement leur témoignage. L'Évangile de Matthieu est surtout remarquable par une citation d'Ésaïe (Es. 8: 23; 9: 1), et celui de Marc, par le résumé succinct des prédications de notre Sauveur en ces temps-là. Elles ressemblaient beaucoup à celles de Jean-Baptiste. Le temps marqué par les prophètes pour la venue du Messie est accompli (Dan. 9); son règne va commencer (Dan. 2: 44): il s'agit de se convertir et de croire à la bonne nouvelle du salut (Es. 40: 9). Enfin, l'un et l'autre, nous apprennent que Jean-Baptiste se trouvait alors privé de la liberté. Nous verrons plus tard comment son courage lui avait attiré cette persécution.


CCXV. — Divers miracles. Pierre, André, Jacques et Jean.


2809. (L.4: 31,32; M. 4: 18-22; Mc. 1: 16-22.) De Nazareth, Jésus descendit pour la seconde ou la troisième fois à Capernaüm, ville où il transporta sa demeure et qui eut ainsi le bonheur d'entendre ses enseignements plus qu'aucune autre localité. D'abord ce fut dans la synagogue ou congrégation qu'il exposa sa doctrine, et tous étaient frappés non seulement de ce qu'elle avait de si élevé, mais encore du ton d'autorité qu'il y mettait. «Amen, amen, je vous dis...» À entendre ses paroles, on sentait bien que ce n'étaient pas celles d'un docteur ordinaire, ni même d'un simple prophète. On le comprenait mieux à la vue de ses miracles.

2810. Mais pour arriver de Nazareth à Capernaüm, Jésus avait dû atteindre la mer de Tibériade et en longer la côte occidentale. Passant par Bethsaïda, il y retrouva quatre hommes, pêcheurs de leur métier, dont trois, du moins, après avoir demeuré quelque temps avec lui [2723], étaient retournés à leur gagne-pain, ou que, par ménagement peut-être, il n'avait pas voulu mener à Nazareth. C'étaient les deux fils de Jonas, Pierre et André, puis Jean, fils de Zébédée, avec Jacques son frère. Invités par Jésus à le suivre, ils allèrent à lui tout joyeux. Il est vrai que le Seigneur leur promettait de les faire devenir pêcheurs d'hommes. Mais saisirent-ils alors le sens de cette parole? Il est permis d'en douter. Quoi qu'il en soit, l'appel du Seigneur était catégorique, et ils eurent bien raison de ne pas se laisser arrêter par ce qu'il y avait d'obscur dans la promesse du Seigneur. Jacques et Jean avaient avec eux leur père, Zébédée, vieillard sans doute, que Jésus ne jugea pas à propos de mener avec lui; mais voyez à son occasion, comment les Évangiles coïncident dans les moindres détails. Si Marc ne dit pas comme Matthieu, que Zébédée était dans la nacelle avec ses fils, il dit que ceux-ci le laissèrent avec des ouvriers dont, à son tour, Matthieu n'avait pas fait mention. Pour être indirecte la coïncidence n'est que plus frappante. Il en est beaucoup de cette sorte dans les Évangiles; mais je ne m'arrêterai pas toujours à les signaler.

2811. (L. 4: 33-37; Mc. 1: 23-28.) Arrivés à Capernaüm, et comme ils étaient dans la synagogue, il y vint un homme qui avait un esprit de démon impur. Puisque ce malheureux était admis en ce lieu, il ne paraît pas que sa maladie eût aucun rapport avec la folie; peut-être ne s'agit-il ici que de dispositions morales tellement rebelles à toute correction, qu'elles accusaient la présence même de Satan dans le cœur. Cependant, comme il est parlé autre part de maladies mentales et physiques, effets de la puissance mystérieuse et terrible de Satan, ce vieil ennemi de Dieu et de l'homme, je pense devoir en dire ici quelques mots, en me référant d'ailleurs à de précédentes Études [73 et suiv.; 1056-1058; 2701 et suiv.]

2812. La puissance de Satan sur les âmes pour les inciter au mal, ne saurait être contestée; mais qu'il habite réellement dans tous les cœurs non convertis de manière à les posséder, c'est ce qui ne se déduit pas nécessairement de l'Écriture. On y voit que des fidèles même peuvent, dans l'occasion, céder aux suggestions de Satan [1591]; que certains hommes furent de vrais suppôts de l'Ange déchu [1248,1570]; enfin que le péché qui est dans le monde, vient primitivement du Serpent ancien: d'où il suit que tout homme qui n'est pas converti n'a en lui aucune garantie contre les assauts du Malin, et que celui qui vit dans le péché fait décidément les œuvres du diable; voilà sur ce point la doctrine de l'Écriture.

2813. D'un autre côté, les maux de la vie étant l'effet et la peine du péché, on peut dire qu'ils viennent indirectement de Satan; il est même des maladies qui ont un caractère tel, qu'il semble permis d'y voir une action positive de cet auteur du mal. On contesterait ce point, quant à nos temps actuels, qu'on devrait toutefois le tenir pour vrai relativement à l'époque où vivait notre Sauveur; car les écrivains sacrés nous disent expressément que les maladies des démoniaques avaient pour cause l'action de Satan, qui était en possession du corps et de l'âme des malheureux ainsi tourmentés. Puis, dans la plupart des récits de l'Évangile, on voit qu'en guérissant les démoniaques, notre Seigneur avait à faire, non pas avec les malades seulement, mais avec quelqu'un de plus fort et de plus méchant qu'eux. Or, que Dieu ait, en ce temps-là surtout, permis ce déploiement de la puissance du prince des ténèbres, cela s'explique par le but même de la venue du Sauveur. Il devait briser la tête du serpent, et quand il chassait Satan et ses anges des corps et des âmes qu'ils tenaient en leur pouvoir, c'était hautement proclamer l'autorité qu'il exerce sur eux, les coups mortels qu'il est venu porter à leur empire, et la confiance  avec laquelle ses disciples doivent attendre de lui l'entière délivrance du péché et de ses suites.

2814. (Luc 4: 33-36.) Il est facile d'appliquer au récit que nous avons sous les yeux les observations précédentes. On y voit entre autres, avec quelle plénitude de force notre Seigneur lit du démoniaque un homme tellement renouvelé, que ceux qui étaient là furent frappés de stupeur. Ils s'étonnaient des effets d'une simple parole de Jésus; mais cette parole c'est la Parole de Dieu (Jean 1:1). Bien que Jésus eût déjà fait plusieurs miracles, nul autre, paraît-il, n'avait produit une pareille sensation (37).

2815. (L.4:38, 39; M.8:14, 15; Mc. I: 29-31.) De la congrégation, Jésus passa dans la maison de la belle-mère de Simon, de celui qui, plusieurs mois auparavant, l'avait reconnu pour le Messie et qui marchait avec lui [2721, 2810]. La malade était mère de la femme de Simon et non pas la seconde femme de son père; le mot grec l'exprime positivement. Nous ne ferions pas cette remarque s'il n'importait d'établir, à cause des erreurs catholiques, que ce futur apôtre et ce prétendu premier pape, fut marié. Plus tard même nous verrons que sa femme continua d'être sa compagne dans les travaux de son apostolat. Or, la belle-mère de Simon avait une grosse fièvre. À la requête de ses disciples, Jésus parla à la fièvre, comme il avait parlé au démon, et cette femme fut si promptement et si complètement guérie, que, s'étant levée sur-le-champ, elle se mit à servir ceux qui étaient là, savoir Jésus et, avec lui, Simon, André, Jean et Jacques, comme on le voit par le récit de saint Marc.

2816. Quelque grave que pût être la fièvre qui dévorait cette femme, il en est une plus funeste encore: c'est la fièvre des passions. La morale humaine enseigne divers moyens pour calmer cette fièvre; mais ces moyens ne sauraient la guérir complètement, et s'ils parviennent quelquefois à la couper, ils laissent l'âme dans toute sa faiblesse. Il n'y a que Jésus et sa grâce, la pensée de Jésus et l'action de son Esprit, la prière à Jésus et la foi en lui, qui puissent arrêter la passion dans la violence de son cœur, et la remplacer aussitôt par un entier retour au service de Dieu. C'est ce que tout chrétien connaît par expérience.

2817. (L. 4: 40, 41 ; M. 8: 16-18; Mc. 1: 32-34.) À peine Jésus eut-il pris quelques moments de repos, qu'il dut reparaître devant la multitude. Le soir était venu, et on lui apportait un grand nombre de malades afin qu'il les guérît, ce qu'il faisait en posant la main sur eux, pour signifier l'influence mystérieuse qui sortait de lui et leur communiquait la santé. Parmi ces malades se trouvaient des démoniaques, et, comme les démons criaient qu'il était le Christ, le Fils de Dieu, Jésus leur imposa silence, ne voulant recevoir d'eux aucun témoignage; car si le Seigneur se plaît dans l'honneur qui lui est rendu par ses rachetés, il ne saurait accepter les hommages involontaires que la frayeur arrache quelquefois de la bouche des méchants.

2818. Toutes ces guérisons, nous dit saint Matthieu (8: 17), servaient d'ailleurs à accomplir la prophétie d'Ésaïe: (53: 4), prophétie conçue en ces termes: «II a pris nos infirmités et il a porté nos maladies.» Pourtant notre Seigneur ne prenait pas sur lui proprement les maladies qu'il guérissait; mais la maladie est l'effet du péché, et de plus toutes ces guérisons figuraient la guérison qu'il est venu apporter à nos âmes; tel était le sens de cette prophétie [2246]. C'est là ce qui nous autorise à voir, par exemple, dans le rétablissement de la belle-mère de Simon une image de la santé spirituelle que la grâce du Seigneur rend à une âme dévorée par la fièvre des passions, et dorénavant nous n'oublierons jamais ce genre d'enseignement.

2819. (L. 4: 42-44; Mc. 1: 35-39.) Le lendemain, Jésus se leva qu'il faisait encore obscur, et dès que le jour parut il se retira dans un lieu désert ou écarté, afin d'être seul et de se recueillir dans le sein de son Père; grand exemple pour ceux mêmes dont les occupations ont le plus de rapport avec celles de notre Seigneur. Comme il était là, Simon et les autres vinrent lui annoncer que la foule le cherchait. Bientôt elle arriva sur les pas des disciples; mais, malgré leurs instances, Jésus, qui se devait à tous, quitta Capernaüm pour faire une tournée de prédication dans les autres villes et bourgades de la Galilée, et il alla seul, paraît-il.

2820. (Luc 5: 1-5.) Pendant ce temps, les disciples étaient retournés à leurs occupations ordinaires. Mais bientôt, celui qui avait sur eux des desseins pleins de miséricorde ne tarda pas à les rejoindre près de leur beau lac, afin de leur adresser une vocation définitive [2723, 2810]. À peine arrivé, une grande foule se réunit autour de lui, et, pour être mieux entendu, il monta sur la barque qui appartenait à Simon et à ses associés, Jacques et Jean, fils de Zébédée. Après avoir péché toute la nuit, ils étaient à raccommoder leurs filets, quand le Seigneur parut sur le rivage auquel ils avaient amarré leurs deux barques.

2821. (6-8.) Jésus ayant achevé le discours qu'il tenait au peuple (Luc 5; 9-11.) réuni sur la rive, invita Simon à pousser sa barque en avant et à jeter ses filets. Tentative bien inutile, pensa le fils de Jonas (Jean 1: 43), car ils avaient pêché toute la nuit sans rien prendre, et chacun sait que la nuit est le moment le plus favorable pour la pèche. Cependant, telle était déjà sa confiance en Jésus que, sur sa parole, ils jetèrent le filet. Heureux ceux qui font et croient sans hésiter ce que dit la sainte Parole du Dieu fort!

2822. Rien ne donne une idée de la multitude de poissons que renferme un lac poissonneux comme l'était celui de Génézareth. Le Seigneur, qui dispose à son gré de toutes choses [718], fit venir dans le filet de Simon une telle pêche, que les mailles se rompaient et que les barques semblaient vouloir enfoncer; je dis les barques, car Simon et André avaient fait signe à Jacques et à Jean de venir à leur aide. Mais quand Simon eut vu cela, lui dont les impressions étaient vives et promptes, il se jeta aux genoux de Jésus en s'écriant: «Retire-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur.»

2823. Ce n'était pas le premier miracle dont il fût témoin; mais celui-ci, relatif au métier qu'il faisait dès sa jeunesse, avait pour lui quelque chose de particulièrement impressif. Aussi, à l'aspect de cet acte de la puissance divine, Simon éprouve un effroi comme celui de Moïse et de bien d'autres en de telles circonstances [2606]; puis, de même qu'Ésaïe, il n'a qu'une pensée et un sentiment, c'est le sentiment de ses péchés et la pensée du jugement de Dieu [21S8]. S'il avait mieux connu Jésus et l'œuvre qu'il était venu faire, il ne lui aurait pas dit: «Retire-toi de moi,», mais au contraire: «Reçois-moi et me sauve;» toujours est-il qu'il est bon de se reconnaître pécheur devant Dieu: c'est l'œuvre de la grâce divine dans son principe.

2824. (9-11.) L'émotion de Simon se communiqua bientôt à ses associés; mais Jésus leur fit entendre la parole encourageante que Moïse, Gédéon, Ésaïe, Zacharie, Marie, les bergers de Bethléhem avaient précédemment ouïe de sa bouche ou de sa part: «Ne craignez point.» Puis il dit pour la seconde fois à Simon: «Dès maintenant tu seras preneur d'hommes vivants» [2810].

2825. C'est dans cette prophétie du Seigneur que nous devons voir le vrai sens du miracle. Certes, ce n'était pas pour enrichir les fils de Jonas et de Zébédée qu'il leur avait procuré cette merveilleuse pêche, tout au plus était-ce pour leur montrer qu'il avait le pouvoir de leur donner mieux que ce qu'ils laisseraient; car, obéissant à son appel, ils quittèrent tout, selon son ordre, et voilà ces nouveaux Élisées qui vont être les serviteurs d'un prophète plus grand qu'Élie [1944]. Il est grand, en effet, Celui qui, non seulement prédit ainsi l'avenir, mais qui tient cet avenir en sa main, a Je vous ferai devenir....,» comme lorsqu'il disait à Abraham: «Je multiplierai très abondamment ta postérité» (Gen. 22: 17). Notre Seigneur voulait donc faire de ces pauvres pécheurs de Bethsaïda des messagers de la bonne nouvelle, et, de trois d'entre eux surtout, de Simon, de Jacques et de Jean, les principaux témoins de ses souffrances et de sa gloire. C'est pour cela qu'il les prend à lui d'une manière qui devait tout à la fois frapper leur esprit et déterminer leur volonté, en leur annonçant la nature et les succès de leur noble ministère. La prédication qu'ils feront de l'Évangile sera semblable à un filet où Dieu réunira par la puissance de sa grâce une foule innombrable d'hommes. Il n'en sera pas de ceux-ci toutefois comme des poissons arrachés de l'élément où ils vivent, pour être transportés dans celui où ils ne peuvent que mourir: au contraire, c'est de la mort à la vie que passeront les âmes qui seront recueillies dans leur filet! Voilà ce que signifient la pèche miraculeuse et la parole prononcée alors par Jésus-Christ, nouvelle preuve que les miracles de notre Seigneur ont tous une voix qu'il faut savoir entendre et discerner.


CCXVI. — Le sermon de la montagne.


2826. (Matin. 4: 23-25; 5: 1, 2.) Saint Matthieu nous dit l'enthousiasme général qu'excitaient en ce temps la présence du Seigneur et la manifestation de sa puissance. Pour se soustraire à la foule, il monta sur une montagne. Là, s'étant assis au milieu de ses disciples, il leur adressa l'admirable discours qui est connu sous le nom de «Sermon de la Montagne.»

2827. (3-2.) Rien n'était plus propre à saisir l'attention de ses auditeurs que la manière dont notre Seigneur commença. Non seulement il donne à ses maximes cette forme paradoxale qui plaît à l'esprit humain [1875], mais encore il fait vibrer, dès l'entrée, une corde dont le son résonne de même dans tous les cœurs. Qui ne désire en effet d'être heureux! L'homme créé primitivement pour le bonheur, ne saurait renoncer à l'espoir de le posséder tôt ou tard, d'une manière ou d'une autre; mais par une conséquence naturelle de la chute, il lui est impossible d'être heureux ici-bas, et même de découvrir où se trouve la vraie félicité. Le Seigneur seul, lui qui est le Dieu bienheureux, peut nous en faire connaître le chemin. Avec quel sérieux ne devons-nous donc pas écouter ce qu'il va nous dire?

2828. (3.) «Bienheureux, d'abord, sont les pauvres en esprit» ou les pauvres, au sens spirituel de ce mot; c'est-à-dire les pécheurs qui sentent leur misère, qui, humiliés et suppliants, vont à Dieu comme un indigent s'approche de l'homme riche duquel il attend une aumône. Bienheureux sont ces pauvres-là, «car le royaume des cieux est à eux.» Le royaume annoncé par les prophètes et entre autres par Daniel, prêché par Jean et par Jésus lui-même [2808], le royaume que le Seigneur allait constituer, ce royaume spirituel et céleste, Dieu le donne aux humbles et aux petits.

2829. (4.) «Bienheureux ceux qui sont dans le deuil!» Avec le péché, les larmes sont venues sur la terre. L'homme donc étant pécheur, l'affliction lui vaut mieux que la joie, car l'une est plus réellement en harmonie avec son état que l'autre. Cependant, on ne saurait dire d'une manière absolue que tous ceux qui pleurent seront tôt ou tard consolés, puisqu'il va aussi dans la vie à venir des pleurs et des grincements de dents, et que ces horribles douleurs ne sont pas réservées seulement aux heureux du siècle. Quels sont donc les affligés qui seront très certainement consolés, selon la parole immuable du Seigneur? Ce ne peut être que ces mêmes «pauvres» auxquels le royaume des cieux appartient (3); savoir, les fils et les filles d'Adam que le sentiment de leurs péchés met dans le deuil, et pour lesquels, en conséquence, les maux de la vie sont réellement salutaires. C'est à eux et à eux seuls qu'appartiennent les consolations de l'Évangile (Ésaïe 40: 1).

2830. (5.) «Bienheureux ceux qui sont doux,» ou débonnaires. Il y a une douceur, une bonté naturelle, dont les défectuosités se trahissent par la faiblesse de caractère et l'indolence: telle fut la trop grande bonté du sacrificateur Héli [1307]. Il est, d'autre part, une douceur et une débonnaireté, compagnes de la force et de la résolution; c'est un des plus beaux fruits de la grâce de Dieu, car cette débonnaireté a toujours pour principe chez un homme le sentiment vrai de sa misère et de la présence habituelle du Seigneur: ce fut le noble caractère d'Abraham [281] et de son arrière-petit-fils Joseph [549]. L'un et l'autre héritèrent de la terre; car, quoiqu'on en dise, ce ne sont pas les gens les plus hardis, les plus tenaces, les plus difficultueux, qui réussissent le mieux ici-bas. Si les débonnaires sont quelque fois victimes de leur charité, en général on les respecte d'autant plus qu'ils exigent moins de la part de leurs frères, et le bonheur vient en quelque sorte au-devant d'eux comme un héritage. Mais, dans la bouche de notre Seigneur, la terre signifie quelque chose de mieux que la terre maudite sur laquelle nous vivons un petit nombre d'années. Il y a une nouvelle terre, une autre Canaan qui nous est promise (2 Pierre 3: 13); c'est là surtout qu'est assurée la portion des chrétiens débonnaires.

2831. (6.) Dans ce séjour du repos qu'attendent les croyants, la justice seule habite; aussi notre Seigneur déclare-t-il «bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice.» Ce dernier mot peut s'entendre de plusieurs façons. D'abord il est synonyme de sainteté, et il est vrai que c'est une bonne chose que de désirer d'être saint, pourvu qu'on désire de l'être à la manière de Dieu et non à la manière des hommes; pourvu qu'on aspire à la plus haute sainteté possible, et non pas à une sainteté moyenne; pourvu que ce désir soit semblable à la faim et à la soif, besoins qu'on ne saurait satisfaire en se payant de vaines apparences. Ah! si quelqu'un désire la justice, comme il désire du pain quand il a faim, et de l'eau quand il a soif, ce désir-là lui aura sûrement été inspiré par le Saint-Esprit, et tôt ou tard il sera satisfait. Or voici comment:

2832. Chaque effort, chaque pas vers la sainteté parfaite, nous montre combien elle est de difficile accès. C'est pourquoi, de plus en plus pauvre à sa propre estime [2828], de plus en plus affligé [2829], de plus en plus doux et humble, on cherche auprès de Jésus injustice de la foi, à laquelle toute l'Écriture rend témoignage (Gen. 15: 6; Habac. 2: 4); l'âme a faim et soif de Dieu (Ps. 42: 3), et l'on finit par acheter sans argent et sans aucun prix du vin et du lait (Ésaïe 55: 1). Ainsi donc «bienheureux sont ceux qui, sans se lasser, désirent le pardon de leurs péchés et toutes les grâces du Seigneur Jésus; ils entrent ainsi dans la voie de la sainteté et de la justice, pour y marcher d'un pas à la fois sûr et rapide. En vertu même de la grâce qui les réconcilie avec Dieu, «ils seront rassasiés.»

2833. (7.) Celui qui croit en Jésus, comme Sauveur, a déjà reçu miséricorde [2772], mais c'est au dernier jour proprement que la grâce qui lui est faite sera pleinement manifestée. D'ailleurs, ici-bas même, il ne cesse d'avoir besoin que la miséricorde divine le garde, le fortifie, le soutienne et le console, sans parler du support et des pardons qu'il a si souvent à solliciter de la part de ses frères. «Bien heureux donc sont les miséricordieux, car miséricorde leur sera faite.» De tous les signes auxquels on peut le plus sûrement reconnaître qu'on a été reçu en grâce et qu'on a part à la miséricorde éternelle du Père, il n'en est pas de plus caractéristique; et, si nous sommes miséricordieux, compatissants, prompts à pardonner, ne doutons pas que nous ne trouvions auprès de Dieu et de nos frères toute l'indulgence que réclame notre misère.

2834. (8.) Y a-t-il quelqu'un ici-bas qui puisse dire: «J'ai purifié mon cœur et je suis net de mon péché?» (Prov. 20: 9.) Non, sans doute, mais il est une purification intérieure qui vient de Dieu par le Saint-Esprit et dont la foi est le point de départ [2754]. Il y a donc, par la grâce du Seigneur, des pécheurs qui sont purifiés, dont le cœur se remplit ainsi de droiture, d'intégrité, de saintes intentions [2724], et chez qui les pensées et les affections spirituelles luttent sans relâche contre les mauvaises convoitises [524]. C'est de tels hommes que Jésus est le Sauveur, et il déclare qu'ils verront Dieu dans son royaume céleste.

2835. (9.) Il ne doit pas suffire à l'enfant de Dieu de vivre en paix avec tout le monde; il faut encore qu'il s'efforce de faire régner la paix sur la terre. Tandis que les fils de ce siècle semblent quelquefois prendre à tâche de semer les divisions et d'exciter les querelles; ceux qui sont humbles, doux, miséricordieux et purs font tout ce qui dépend d'eux pour calmer et rapprocher les cœurs aigris et divisés. Et puis, ils savent où est la source de toute vraie paix; ils savent que celui qui jouit de la paix d'en haut ne saurait se plaire dans la haine et dans les querelles; c'est pourquoi leurs vœux et leurs efforts tendent surtout à réconcilier les âmes avec Dieu. Or Jésus, le grand pacificateur, est appelé le Fils de Dieu; on doit donc envisager comme fils et filles du Très-Haut ceux qui, de tout leur cœur, font une œuvre semblable à la sienne.

2836. (10-12.) Être persécuté, ce n'est pas seulement subir l'amende ou la prison, se voir bannir de son pays ou conduire à l'échafaud: la haine, le mépris, les outrages, la privation d'un droit quelconque, quand c'est pour cause de religion, tout cela est de la persécution. Or, notre Seigneur, prédisant à ses disciples qu'ils seront persécutés, déclare en même temps que leur récompense sera d'autant plus grande dans le ciel. Il exprime de quatre manières différentes le bonheur de ceux qui souffrent persécution: le royaume des cieux est à eux; ils ont dans ce fait même de quoi se réjouir; un grand salaire leur est assuré; leurs souffrances les assimilent aux prophètes des anciens temps. Rappelez-vous entre autres Jérémie, Daniel, Moïse.

2837. Mais remarquez les précautions que prend notre Seigneur pour que ceux qui sont victimes de la persécution ne voient pas trop aisément dans leurs maux la garantie du bonheur céleste. Il le fait sous trois formes différentes. Vous serez bienheureux, dit-il, si vous souffrez réellement pour la justice; si c'est bien à cause de moi qu'on vous outrage; si enfin c'est en mentant qu'on dit du mal de vous. Supposez, par exemple, un chrétien qui aurait encore un attachement trop vif pour les biens du monde; s'il s'attire le mépris des hommes par son avarice, on ne pourra pas dire que c'est en mentant qu'on dit du mal de lui, et il n'aura pas lieu de se réjouir du mépris dont il est légitimement l'objet. Bien que cet homme fasse profession d'appartenir à Jésus, ce n'est pas pour le nom de Jésus qu'il souffre, ni pour la justice qui vient du Ciel.

2838. Du reste, je dois le dire, encore que ces déclarations et ces promesses s'adressent à tous les vrais chrétiens, elles concernent particulièrement ceux qui, de manière ou d'autre, continuent, au milieu de ce monde méchant, l'œuvre sainte des anciens prophètes. Nul n'est menacé plus qu'eux de la persécution et nul plus qu'eux n'a le droit de la bénir. Mais quand on pense de quelles passions les meilleurs d'entre les hommes souillent leurs plus belles œuvres; par combien de vanité, d'attachement à son propre sens, d'esprit de parti, de paroles peu charitables, on compromet si souvent la cause de l'Évangile, il faut avouer que ceux mêmes qui souffrent le plus manifestement à cause du témoignage qu'ils rendent au Seigneur, ont mille sujets de s'humilier. Ce n'est pas toujours en mentant qu'on dit du mal d'eux, ni toujours de la justice de Christ qu'ils défendent les intérêts, lorsqu'ils défendent leur personne et leurs actes.

2839. Si maintenant nous jetons un coup d'œil sur l'ensemble de ces béatitudes, nous les admirerons toujours davantage. On peut en extraire un tableau complet de l'homme que Dieu aime et du bonheur qu'il lui accorde. L'homme aimé de Dieu est celui qui est humble, qui pleure sur ses fautes, qui est doux et débonnaire, qui désire ardemment et recherche sans se lasser la vraie justice, qui compatit, supporte et pardonne, qui nourrit en son cœur des affections pures et de pieuses pensées, qui est ici-bas un messager de paix, et qui, remplissant de son mieux ce plus saint des devoirs, se voit néanmoins en butte aux persécutions des méchants. Puis, le bonheur de l'homme que Dieu aime, s'exprime en ces termes magnifiques: «Le royaume des cieux est à lui, il sera consolé, il héritera de la terre, il sera rassasié, il lui sera fait miséricorde, il verra Dieu, il sera appelé fils de Dieu, enfin, il a un grand salaire dans le ciel!» Pesez, méditez ces promesses, et voyez si elles n'ont pas de quoi gagner vos cœurs à Celui qui les a faites et qui les veut certainement accomplir.

2840. (13-16.) Le Seigneur, continuant de s'adresser directement à ses disciples: «Vous êtes le sel de la terre, leur dit-il, la lumière du monde, une ville située sur le haut d'une montagne.» Ces trois images ont un sens qui n'est pas difficile à saisir. Comme le sel relève le goût des aliments et préserve les viandes de la putréfaction, ainsi les chrétiens donnent à ce monde sa saveur et empêchent qu'il ne se corrompe tout à fait. C'est du reste une vérité de tous les temps. Notre globe aurait été mille fois détruit par les jugements de Dieu, si le Saint-Esprit n'avait pas constamment préservé quelques hommes de la contagion du mal, et maintenu par eux un peu de piété parmi les fils d'Adam.

2841. Le moyen surtout par lequel les fidèles sont une bénédiction pour le monde, c'est la foi qu'ils professent et les saintes doctrines qu'ils répandent. Il leur est donné de réfléchir quelques rayons de la lumière du soleil de justice [2697], et c'est ce qui les met en évidence, qu'ils le veuillent ou non. De tout cela résultent pour eux de graves obligations. D'abord, malheur au sel si, par impossible, il perdait sa saveur! Un chrétien qui tombe dans le désordre, ne fût-ce que momentanément, s'expose plus que personne au juste mépris des hommes; «il n'est bon qu'à être jeté dehors et foulé aux pieds» [1529]. Puis, si nous sommes vraiment éclairés d'en haut, nous comprendrons que nous ne devons pas garder pour nous seuls notre lumière; car si l'on allume une lampe, ce n'est pas pour qu'elle s'éclaire elle-même, encore moins pour qu'on la mette sous un boisseau, ou, comme nous dirions, dans une armoire, mais c'est afin qu'elle illumine tout l'appartement. Il faut donc que notre foi brille devant les hommes, non en paroles uniquement, mais en bonnes œuvres. De cette manière nous ferons honneur à Celui que Jésus-Christ appelle ici notre Père, et auquel nous ne saurions donner ce titre, si nous n'avons pas la foi et la vie de ses enfants.

2842. (17.) Si, après cela, vous voulez savoir ce que le Seigneur entend par les bonnes œuvres, suivez son discours jusqu'au bout. Vous y verrez d'abord une déclaration qui pouvait sembler inutile, mais dont l'expérience n'a que trop démontré la nécessité. Parce que Jésus s'est élevé contre les traditions des scribes et les ordonnances humaines en matière de religion, parce qu'il est venu remplacer l'économie légale par celle de la grâce (Jean 1: 17); c'est-à-dire, au fond, parce qu'il nous a sauvés de la malédiction de la loi et affranchis du joug des ordonnances cérémonielles, il est des gens qui ont parlé et agi comme s'il n'y avait plus de loi pour les rachetés de Jésus-Christ; ce sont eux qu'on appelle les Antinomiens. Ce n'est donc pas sans utilité que notre Seigneur a déclaré qu'il n'est venu abolir, ni la loi ni les prophètes; c'est-à-dire aucune partie de l'Ancien Testament.

2843. L'œuvre de Jésus-Christ a été une œuvre d'accomplissement et non de destruction; il a bien plutôt édifié que démoli. Il est vrai qu'il a rendu inutiles les anciennes cérémonies, mais c'est que les types se sont tous réalisés en lui. Bien plus, parmi ces types, il en est dont le sens n'est pas épuisé et qui demeurent comme prophéties des temps à venir. Quant à la loi morale, notre Seigneur l'a certainement accomplie, et par son obéissance et par sa mort, ainsi que nous le verrons. Comme nous le verrons également, il lui a ôté tout ce par quoi elle ne peut que nous perdre; mais elle n'en subsiste pas moins dans sa force et dans sa beauté pour servir de règle à notre conduite. La loi de Dieu est immuable par essence, et la Bible entière, inspirée de Dieu, demeurera vraie jusqu'à la fin des temps, non pas dans ses grands traits seulement, mais dans ses moindres détails, jusqu'à un iota (la plus petite lettre de l'alphabet, notre i), et même à un accent (18). Le monde matériel passera, car son existence n'est nécessaire, ni à Dieu, ni au bonheur de ses créatures intelligentes; quant à la loi au contraire, expression de ce que Dieu est, condition indispensable de tout ordre moral, elle ne cessera de proclamer, dans le ciel comme sur la terre, l'obligation d'aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même [1007, 900].

2844. (19.) S'il en est ainsi, tout docteur qui aura construit le système évangélique de manière à affaiblir (vrai sens du mot qu'on a traduit par violer), h affaiblir, dis-je, le sentiment de l'obligation morale, à diminuer l'autorité et l'importance de la loi, sera petit dans le royaume des cieux. Il est possible que ses erreurs ne soient pas assez graves pour le priver du salut; toujours est-il que, dans le règne de la grâce, il occupe un rang inférieur aux prédicateurs de l'Évangile qui, tout en prêchant le salut gratuit, maintiennent la majesté de la loi de Dieu. Il faudrait peut-être ici quelques exemples, mais ils se présenteront d'eux-mêmes dans la suite de ces Études.

2845. (20.) Au reste, voici déjà ce que nous cherchons. Les scribes et les pharisiens estimaient que l'homme peut et doit se faire juste par ses œuvres, la justice consistant, à leurs yeux, dans l'observation des commandements. Par là, ils semblaient glorifier hautement la loi de Dieu; mais, au contraire, leur doctrine tendait à l'affaiblir. Comme il n'y a pas moyen, après tout, qu'on s'élève jamais, par ses efforts, jusqu'à la sainteté parfaite de la loi, on est obligé, pour se mettre de niveau avec elle, de la rabaisser jusqu'à soi. On arrange les commandements du Seigneur de manière à pouvoir se persuader qu'on les a parfaitement accomplis, et voilà comment on parvient à établir sa propre justice. Mais cette justice n'est pas la vraie, et, par cette raison, Jésus dit à ses disciples: «Si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume de Dieu.»

2846. Au nombre de ces hommes, il y en avait d'honnêtes, de moraux; plusieurs ne manquaient pas d'une certaine piété; mais, en définitive, leur justice était une justice humaine, et, pour pouvoir entrer dans le royaume des cieux, il faut une justice divine. Rien ne saurait plaire à Dieu que ce qui vient de lui et qui lui ressemble. C'est pourquoi, la justice supérieure à celle des scribes et des pharisiens, c'est la justice de la foi [2605]. En nous unissant à Christ, cette foi nous fait avoir part à son sacrifice; par ce sacrifice, nos péchés sont expiés et nous recevons l'Esprit de sanctification. Or cet Esprit donne l'intelligence de la vérité, il répand l'amour de Dieu dans les cœurs, il enseigne la parfaite obéissance, et, conduits par lui, les rachetés du Sauveur gardent ses commandements, qu'ils ne trouvent point pénibles (1 Jean 5: 3). Il se peut très bien que ceci ne fût pas compris de la sorte par les auditeurs de Jésus-Christ, mais plus tard, comme vous le verrez, ses disciples ne purent pas douter que telle n'eût été sa pensée.


CCXVII. — Le sermon de la montagne. (Suite.)


2847. (5: 21, 22.) Pour prouver tout à la fois, et qu'il n'était point venu abolir la loi, et que la justice qu'il donne est supérieure à celle des scribes et des pharisiens, notre Seigneur va passer en revue quelques-uns des commandements de Dieu et nous dire comment il les faut entendre et pratiquer.

2848. D'abord c'est le sixième (Exode 20: 13). Les docteurs juifs pensaient qu'il suffisait de n'avoir jamais tué pour qu'on eût observé cette loi. Mais notre Seigneur nous enseigne que la colère, l'outrage et l'insulte sont, au sens spirituel, des péchés de meurtre. Il y a sans doute une sainte colère [449, 838, 991, 2742], mais il en est une qui est passionnée, émotion violente d'une âme qui, ne se possédant plus, s'emporte loin de Dieu; haine d'un moment, si l'on veut, mais qui ne laisse pas quelquefois de pousser jusqu'au crime. Un même tribunal punira les hommes colères et les meurtriers. Quant à celui qui traite son frère d'homme de rien, sens du mot raca, il comparaîtra devant un juge supérieur aux tribunaux ordinaires. Enfin la géhenne du feu est préparée pour celui qui insulte son prochain, même dans les termes les moins offensants en apparence, tant ils sont devenus familiers aux lèvres d'un monde dépourvu de charité. Pour le dire en passant, le mot géhenne paraît formé de deux mots, l'un grec, l'autre hébreu. Il signifie la terre, ou la vallée de Hinnom, endroit fameux par les horribles boucheries de sang humain qui s'y firent au temps de l'impie Manassé (2 Chron. 33: 6; 2 Rois 21: 16). C'est l'expression dont le Seigneur se sert fréquemment pour désigner les peines du siècle à venir.

2849. Voyez donc à quoi l'on s'expose en transgressant la loi de Dieu dans une mesure quelconque. La moindre transgression porte d'une manière ou d'une autre sur un grand commandement. Que de gens, hélas! qui ont réellement versé le sang de leur prochain! mais qui comptera tous ceux qui seront jugés comme meurtriers? Est-il exagéré de dire qu'au dernier jour, il n'y aura pas un seul des réprouvés qui ne demeure convaincu en sa conscience d'avoir violé le sixième commandement, sinon dans sa lettre, du moins dans son esprit? Et vous qui lisez ces lignes, ne direz-vous pas avec David: «O Dieu, délivre-moi de tant de sang?» (Ps. 51: 14.) Ne sentirez-vous pas le besoin que vous avez d'une expiation; et si déjà vous avez saisi par la foi le salut dont Jésus-Christ est l'auteur, ce salut ne vous deviendra-t-il pas tous les jours plus précieux?

2850. (23-26.) Cependant nous n'avons pas encore le sens complet du sixième commandement. Il ne suffit pas d'être innocent de meurtre, de colère, d'outrages et d'insultes; il ne suffit même pas d'avoir le cœur pur de toute haine: le chrétien éprouve de plus le besoin que nul ne conserve de mauvais sentiments à son égard. Si donc nous nous apercevons qu'un de nos frères se croit offensé par nous, n'importe de quelle manière, nous nous hâterons de lui tendre une main de réconciliation. Tant que nous ne l'aurons pas fait, il ne nous est pas permis de porter nos prières devant le trône de la grâce. Ah! voilà certes un précepte bien oublié, et une extension de la loi de Dieu à laquelle ils ne pensent guère, ceux qui se croient purs de tout péché.

2851. Et s'il se trouve que nous nous soyons réellement rendus coupables de quelque tort envers noire prochain, il s'agit de le reconnaître au plus tôt, d'en obtenir le pardon de la part du frère que nous avons offensé; autrement le juge vers lequel nous marchons tous exigera jusqu'à notre dernier sou le payement de la dette. Quand nous manquons à nos frères, c'est Dieu même que nous offensons. Si notre frère nous pardonne, il ne s'ensuit pas nécessairement que Dieu nous pardonne aussi; mais il est clair que si nous ne faisons rien pour réparer nos torts envers le prochain, nous ne saurions nous attendre qu'à un juste jugement de la part du Seigneur. Tel me paraît être le sens de cet enseignement, bien qu'on doive, en partie du moins, l'envisager comme une parabole, ainsi que nous le remarquerons plus tard.

2852. (27, 28.) Du sixième commandement, notre Seigneur passe au septième (Exode 20: 14). Après avoir déclaré que celui qui hait est meurtrier, il déclare pareillement que celui qui convoite une femme est adultère, car il ne lui manque que les moyens et l'occasion [1528]; et si cela est vrai de l'homme, ce l'est plus encore de la femme, intérieurement perdue sitôt qu'elle cesse d'être chaste et modeste dans ses pensées.

2853. (29, 30.) Mais comment ferons-nous pour que de mauvais désirs ne s'élèvent pas dans nos cœurs et n'y jettent pas leurs souillures? Notre Seigneur nous le dit en des termes figurés qui sont d'une grande force. Il faut, à tout prix, nous séparer de ce qui nous excite au mal. Quelque attrait qu'aient pour vous certains livres si entraînants, certaines localités si favorables à la rêverie, certaines sociétés si amusantes, certaines habitudes si flatteuses pour les sens, jetez, fuyez, rompez tout cela. Sans doute, vous auriez beau vous arracher les yeux et vous couper les mains, vous n'ôteriez pas ainsi de vos cœurs toute convoitise; par conséquent la Parole du Seigneur ne doit pas être prise à la lettre. Et pourtant elle est vraie; car il y a des personnes et des choses qui peuvent vous être chères comme la prunelle de vos yeux, précieuses comme votre main droite, et qu'il s'agit toutefois de ne pas épargner si elles vous entraînent au mal.

2854. Puis, voyez si l'on peut imaginer quelque chose de plus propre à inspirer l'horreur du péché et des peines terribles dont Dieu le menace. Celui qui pratique l'iniquité se fait plus de mal que s'il s'arrachait un œil ou se coupait la main droite. Être aveugle ou manchot n'est rien, en comparaison de la misère des réprouvés et des ardeurs de la géhenne [2848]. Après de telles déclarations, livrez-vous, sans scrupule, aux pensées impures de votre mauvais cœur, à vos convoitises charnelles, à vos penchants déréglés! Mais, si vous le faites, ne dites pas que votre âme ait la moindre crainte de Dieu.

2855. (31, 32.) À ceci se rattachent les devoirs du mariage, de cette sainte union que rien ne peut dissoudre, si ce n'est la mort ou l'inconduite des époux. Sous l'ancienne loi, l'Éternel avait permis le divorce pour éviter de plus grands maux, mais c'était une loi civile. La loi proprement religieuse est celle que notre Seigneur rappelle. Nous le verrons plus tard revenir sur ce sujet. Il se borne, cette fois, à déclarer qu'une femme ne saurait être répudiée par son mari, sauf pour cause d'adultère, et que si, étant renvoyée par d'autres motifs, elle se donne à un nouvel époux, ils se rendent l'un et l'autre coupables de ce crime, attendu que, selon Dieu, cette femme n'a pas cessé d'appartenir à son premier mari. C'est pourquoi, des époux chrétiens ne sauraient d'aucune sorte songer à la possibilité d'un divorce. Il est des pays où la loi des hommes permet la séparation du mari et de la femme, avec ou sans divorce, alors même que Dieu ne l'a point autorisée; mais, dans aucun cas, le disciple de Jésus-Christ ne se prévaudra de lois qui n'existeraient pas si le monde entier pouvait être chrétien.

2856. (33-37.) La loi de Moïse avait institué le serment (Ex. 22: 11; Deut. 6: 13; 10: 20) et elle avait mis, avec raison, au nombre des crimes, le parjure ou la violation de la foi jurée (Lévit. 19: 12; Nombr. 30: 3; Exode 20: 7). Sans citer des textes exprès, notre Seigneur fait allusion à ces deux circonstances, et voici maintenant ce qu'il ajoute, ou plutôt de quelle manière il exprime la pensée de la loi.

2857. D'abord, ce qu'il condamne, ce n'est pas le serment lui-même, acte de culte parfaitement légitime, et qui est pour l'homme sincèrement pieux une occasion de professer publiquement sa foi. Il est vrai que, dans la plupart des pays, on a prodigué d'une façon scandaleuse l'usage du serment et que, de cette manière, il est une foule d'individus qu'on tente au parjure; mais ce n'est pas de quoi notre Seigneur a voulu parler. S'il en avait eu l'intention, il aurait pu dire: «Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens: Tu jureras par le nom de l'Éternel; mais moi je vous dis de ne pas jurer du tout, ni par le ciel, ni par la terre, encore moins par le nom de l'Éternel.» Je pense donc que les quakers, et d'autres avec eux, se trompent quand ils prétendent qu'il y a du péché dans toute espèce de serment; mais il serait à désirer que des chrétiens ne tombassent jamais en des erreurs plus fâcheuses; car, quoi qu'il en soit, mieux vaut cet excès de scrupules que la profane légèreté des mondains.

2858. Il s'agit donc ici de ce qu'on appelle les jurements. Ceux dont les Juifs se rendaient coupables étaient bien innocents, en comparaison des profanations impies et des épouvantables imprécations que se permettent de prétendus chrétiens. Ils ne juraient ni le nom de Dieu ni le nom du diable; et toutefois notre Seigneur condamne leurs jurements, en montrant que tout serment, au fond, se rapporte à Dieu, et que ces habitudes impies viennent de Satan. Ne comprenez-vous pas en effet que celui qui, à tout propos, dit «mon Dieu,» ou a ma foi,» traite Dieu et sa foi comme des choses vaines et sans valeur? Et s'il remplace le nom de Dieu par celui de Père; s'il prononce «par Di» au lieu de «par Dieu»; de quelque manière qu'il dissimule le jurement, ne se rend-il pas coupable du même péché? Or ce péché est grave assurément, car il en existe peu qui montrent plus à découvert notre abominable penchant à offenser Dieu. Tous les autres s'expliquent par la satisfaction qu'ils procurent à quelqu'une de nos dispositions naturelles; tandis qu'on cherche vainement de quelle passion celui-ci procède, si ce n'est de la passion de pécher pour pécher, ce qui est le cachet même de Satan. La seule excuse tant soit peu plausible, c'est qu'on jure par mégarde; mais c'est dire que le mal est devenu une habitude et que le cœur est vide de Dieu et de foi. Alors on prononce les paroles les plus saintes et en même temps les plus impies, sans y attacher aucune idée, sans réveiller en soi le souvenir de l'Être qu'on offense avec tant de mépris! 

2859. En résumé donc, le chrétien doit se borner à dire oui ou non, suivant qu'il veut affirmer ou nier. Il faut que ses discours soient toujours tellement marqués au coin de la vérité, que personne ne songe seulement à attendre de lui autre chose qu'un oui ou un non. Ce n'est pas qu'il ne puisse, suivant les cas, affirmer ou nier avec force; mais, bien loin que les jurements ajoutent quelque valeur à la parole du jureur, ils devraient avoir plutôt pour effet d'exciter des doutes sur sa véracité.

2860. (38-42.) «Œil pour œil,» «dent pour dent»; cette parole se trouve en effet dans la loi de Moïse (Exode 21: 23-25); mais elle appartenait à la loi civile, et les Juifs avaient eu l'immense tort d'en faire une règle de conduite entre les particuliers, comme s'il avait été permis de rendre le mal pour le mal. Afin de combattre une erreur si grave, notre Seigneur emploie un moyen qui devait frapper l'esprit de ses auditeurs. Plutôt que de nous venger, nous devons nous livrer sans défense aux attaques des méchants, à leurs injustices et à leurs vexations. La violence avec laquelle nous défendons nos intérêts et nos droits vient de pur égoïsme et d'attachement excessif aux choses de la terre. Cédons, donnons, prêtons de bon cœur. Peut-être qu'en faisant ainsi nous essuierons quelques pertes, mais heureux sont les débonnaires et ceux qui souffrent pour la justice. Depuis Abel jusqu'à nos jours, les fidèles ont été généralement victimes de la méchanceté des hommes, et nul finalement ne s'en est mal trouvé. D'ailleurs, il n'est pas sûr qu'en suivant avec foi cette marche, ils s'attirent plus de mal que s'ils étaient sans cesse à lutter et à disputer. On a vu des chrétiens qui, par une conscience à mon avis mal éclairée, ont porté jusqu'à ses dernières limites l'observation stricte et littérale de ces divines directions. Le Seigneur n'a pas laissé de les honorer d'une protection spéciale, comme autrefois les Réchabites [2335], parce que, en définitive, c'était dans la simplicité de leur cœur et par la foi qu'ils agissaient.

2861. (43-47.) Jusqu'ici notre Seigneur a réellement cité des paroles de la loi, mais en voici une où il n'est pas possible de reconnaître Dieu. Oui bien dans ces mots: «Tu aimeras ton prochain» (Lév. 19: 18), mais non pas dans ceux qu'on y ajoutait: «Et tu haïras ton ennemi!» C'est en vain que vous les chercheriez dans la Bible. Vous y lirez, il est vrai, l'ordre donné aux Israélites de châtier les ennemis de Dieu et de détester leurs mauvaises œuvres (Deut 7: 2, 3); mais on comprend que ce n'était pas les inviter à les haïr d'une haine personnelle, comme les anciens docteurs avaient osé le dire. Il était arrivé de ceci à peu près de même qu'au sujet de la loi «œil pour œil, dent pour dent.» Les Juifs se persuadaient que les étrangers n'étaient pas leur prochain, et qu'il y avait permission, ordre même de les haïr; nouvelle erreur que notre Seigneur réfute en termes dont il n'y a personne qui n'ait senti la beauté.

2862. Le chrétien est exposé à l'animadversion du monde. Par cela même qu'il est chrétien et que le monde ne l'est pas, celui-ci le maudit, l'outrage, le persécute. Or, comment le chrétien répondra-t-il au monde? En l'aimant, en le bénissant, en lui faisant du bien et en priant pour lui. Admirez la gradation. Si nous aimons nos ennemis, nous les bénirons; si c'est du cœur que nous les bénissons, nous le montrerons en leur faisant du bien; si enfin c'est par un véritable amour que nous leur faisons du bien, nous prierons pour eux. Ce dernier acte est, dans tous les cas, la plus sûre marque de l'intérêt qu'ils nous inspirent; comme aussi, la plupart du temps, l'unique moyen que nous ayons de leur être utiles. L'orgueil trouve quelquefois son compte dans le bien qu'on fait à ses ennemis. Souvent ils prendraient pour une insulte nos bénédictions et nos bons procédés. Souvent encore, ils sont trop nombreux ou trop loin de notre portée pour que nos bienfaits puissent les atteindre; mais nous avons du moins la ressource de les recommander au Dieu des miséricordes.

2863. Notre Seigneur nous présente deux motifs principaux dans le but de nous engager à la pratique de ce grand devoir, accompli déjà d'une manière si admirable par plusieurs saints de l'Ancienne Alliance, notamment par Joseph, Moïse, David, Jérémie. Le premier, c'est l'exemple de Dieu. Rien d'étonnant comme la patience dont il use envers les méchants et l'abondance de biens qu'il répand sur eux, malgré leur ingratitude. Si donc nous voulons être vraiment les fils et les filles de ce bon Dieu et pouvoir à juste titre le nommer notre Père, soyons, comme lui, pleins de compassion envers ceux mêmes qui ne nous aiment pas.

2864. Et puis, qu'est-ce qu'aimer seulement ceux qui nous aiment, et faire accueil à ceux qui nous font accueil? Qu'y a-t-il là d'extraordinaire? En agir autrement serait un crime; ne faire que cela, ce n'est pas dépasser la vertu des péagers et des païens. Or il faut que notre justice soit plus grande que la leur; le Seigneur ne nous a pas parlé, il ne nous a pas sauvés pour que nous ne fissions rien de plus que ceux qui le méconnaissent. À ce point de vue, le devoir qui nous occupe est donc, parmi les devoirs chrétiens, un des plus élémentaires. Toujours est-il qu'il n'est ni facile, ni commun d'aimer véritablement ses ennemis; il faut, pour le pouvoir, un cœur renouvelé par la grâce de Dieu; ou, en d'autres termes, il n'y a que le vrai chrétien qui soit en état de remplir chrétiennement les saintes obligations de la loi.

2865. (48.) Parvenu à ce point de son discours et avant d'entamer un autre ordre d'idées, notre Seigneur se résume dans ces mots si graves: «Vous serez donc parfaits comme votre Père qui est dans les cieux est parfait.» Il est clair qu'il s'agit ici, non d'égalité, mais de ressemblance. Toujours est-il que cette déclaration élève bien haut la doctrine morale de l'Évangile, ou plutôt la morale de la Bible, car ce principe était déjà nettement formulé par l'Ancien Testament (Lév. 19: 2). La parfaite sainteté, tel est donc le terme vers lequel nous devons aspirer, et, pour savoir en quoi elle consiste, nous n'avons qu'à relire avec sérieux la portion de l'Écriture qui vient de nous occuper.


CCXVIII. — Le sermon de la montagne. (Suite.)


2866. (Matth. 6: 1-18.) C'est un seul et même enseignement que notre Seigneur donne ici, bien qu'il semble traiter de trois sujets différents: l'aumône, la prière et le jeûne. Pour faire tomber la chose sous les sens, il suffit de placer en regard les paroles de Jésus.

Prenez garde de ne pas faire votre aumône devant les hommes pour en être remarqués; autrement vous n'avez point de salaire auprès de votre père qui est dans les cieux (1). Quand donc tu fais l'aumône, ne sonne pas la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans les congrégations et dans les rues pour être honorés des hommes (2). Et lorsque tu pries ne fais pas comme les hypocrites; car ils aiment à prier en se tenant debout dans les congrégations et au coin des rues, pour être vus des hommes (5) Et lorsque Vous jeûnez ne vous faites pas un air triste comme les hypocrites; car ils se rendent le visage abattu, afin qu'il paraisse aux hommes qu'ils jeûnent (16).

Amen, je vous dis, ils reçoivent leur salaire (2).

Mais quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite (3); afin que ton aumône soit dans le secret, et ton Père, qui voit dans le secret, te récompensera lui-même en public (4).

Amen, je vous dis, ils reçoivent leur salaire (3).

Mais toi, lorsque tu pries, entre dans ton cabinet, et ayant fermé la porte, prie ton Père qui est dans le secret; et ton Père qui est dans le secret te récompensera en public (6).

Amen, je vous dis qu'ils reçoivent leur salaire (16).

Mais toi, quand tu jeûnes, oins ta tête, et lave ton visage (17), afin que tu ne paraisses pas aux hommes jeûner, mais à ton Père qui est dans le secret; et ton Père qui voit dans le secret te récompensera en public (18).

2867. Ce rapprochement nous conduit à penser qu'il s'agit ici de trois actes d'un même devoir. En effet, l'aumône, la prière et le jeûne appartiennent tous trois au culte que nous devons à Dieu. L'aumône nous est déjà présentée sous ce point de vue par l'Ancien Testament (Deut. 14: 22-29; Prov. 19: 17), et nous verrons que Jésus-Christ et ses apôtres ne lui donnent pas un autre caractère. L'aumône est un hommage de reconnaissance, rendu à Dieu dans la personne des indigents. C'est un sacrifice auquel il prend plaisir (Héb. 13:16); mais il faut pour cela que celui qui donne, donne de bon cœur, qu'il donne réellement à Dieu.

2868. (1, 2.) Or si nous faisons des aumônes en vue des hommes, pour en être remarqués et nous attirer leurs éloges, nous aurons fait sans doute envers les pauvres une bonne œuvre; mais nous nous tromperions étrangement quand nous prétendrions que cette œuvre possède en outre une valeur religieuse. L'aumône ainsi faite est un culte hypocrite. Au fond, l'on a voulu s'honorer soi-même, et par conséquent on n'a point honoré Dieu. En agissant de la sorte on parvient à se faire une réputation de bienfaisance et de piété, mais c'est tout le salaire qu'on recevra; car ce n'est pas à l'Éternel qu'on a donné; c'est à soi-même, je le répète, et en se couvrant, par-dessus, du masque de la dévotion et de la charité.

2869. (3, 4.) La véritable aumône est donc celle qu'on fait en secret et sans songer à y rattacher le moindre mérite, selon cette parole du Seigneur: «Que ta main gauche ne sache pas ce que fait la droite.» Donnons aux pauvres par amour pour Celui de qui nous tenons toutes choses, et non pas pour qu'il nous accorde de nouvelles faveurs; que ce soit à lui-même que nous fassions notre offrande, bien plus qu'au pauvre qui nous tend la main; en un mot, agissons par reconnaissance et non par intérêt, c'est ainsi que l'aumône devient un vrai culte.

2870. Est-il donc interdit de placer son nom au bas d'une souscription de bienfaisance, ou même de ne faire aucune aumône en public, par exemple dans les saintes assemblées ou ailleurs, sous les yeux de quelques personnes? En réponse à cette question, observez que le Seigneur ne condamne pas toute aumône vue, mais toute aumône faite pour être vue. Réfléchissez ensuite qu'on peut donner publiquement, sans songer à se faire un mérite de sa charité, tout comme on peut, bien qu'en s'entourant du plus grand secret, se féliciter en soi-même de sa bienfaisance. Cela vous explique pourquoi l'Église chrétienne a pu avoir, dès les premiers temps, des aumônes publiques. Toujours est-il que, lorsque nous y versons nos contributions, nous devons surveiller avec soin notre cœur, de peur que nous ne pensions à ceux qui nous voient, plus qu'à celui que nous ne voyons point. Et puis, tenons comme une chose certaine que, si nous ne savons faire l'aumône qu'en public, nous ne savons pas la faire du tout comme le Seigneur le veut.

2871. (S.) L'instruction sur la prière a la même portée. Il n'est pas défendu de prier dans les assemblées, ni même, selon l'occasion, hors de son cabinet comme Isaac (Gen. 24: 63); mais malheur à nous si nous prions «pour être vus des hommes;» si nous nous rendons à des assemblées religieuses par des considérations humaines; si nous y affectons un grand air de recueillement, afin d'acquérir un renom de piété! Il n'y a rien là pour Dieu et par conséquent ce n'est que de l'hypocrisie. De telles prières peuvent nous valoir une certaine estime de la part des hommes, parce qu'ils ne lisent pas au fond du cœur, mais c'est là tout ce qu'il est permis d'attendre en récompense.

2872. (6.) La vraie prière est donc celle du cabinet, celle du cœur, celle qui est une conversation intime avec le Seigneur. C'est cette prière-là qui, au jour de Christ, doit recevoir une récompense publique, par cela même qu'elle est l'œuvre du Saint-Esprit dans notre âme et le canal de toutes les grâces de Dieu. En conséquence, je dis ici comme pour l'aumône, que l'homme qui n'a jamais prié, sinon dans les assemblées publiques des chrétiens ou même dans le culte domestique; que celui qui ne connaît pas la prière individuelle et secrète; que celui-là n'a jamais prié véritablement. C'est le cas de tant de gens qui, réduits à une vague religiosité, ne connaissent ni la douceur de la communion avec Dieu, ni son influence sanctifiante.

2873. (7-15.) Avant d'aborder le sujet du jeûne, notre Seigneur prolonge ses enseignements sur la prière; mais, à raison de leur importance, nous les reprendrons séparément.

2874. (16-18.) Passer une journée entière dans l'abstinence et dans l'humiliation sans qu'il en paraisse quoi que ce soit au-dehors, ne fût-ce qu'un plus grand sérieux dans la physionomie, c'est, à la vérité, ce qui serait assez difficile. Mais ici, comme pour l'aumône et pour la prière, la question est de savoir ce qu'on cherche. Jeûne-t-on pour être vu des hommes? On a des jours régulièrement destinés à cette dévotion; l'on s'efforce de leur imprimer et de s'imprimer à soi-même un aspect lugubre; on fait parade d'un acte religieux qui s'y prête moins que nul autre: c'est là ce que faisaient les pharisiens. Au contraire,  a-t-on résolu en son cœur de consacrer un jour à la prière et à de saintes méditations, et, pour pouvoir s'y livrer tout entier, a-t-on pris le parti de se priver de ses repas ordinaires? On évitera tout ce qui pourrait ébruiter cette détermination; rien, à l'extérieur, ne dira qu'on jeûne; c'est un temps qu'on veut donner plus complètement à Dieu et pendant lequel il n'y a pas de pensées pour le monde: tel doit être le jeûne du chrétien, jeûne individuel et secret par-dessus toutes choses.

2875. Veux-je dire par là que les Églises ne puissent pas proclamer des jours de jeûne? N'y aura-t-il pas des jeûnes collectifs, comme il y a des prières et des aumônes collectives? Je le pense tout à fait. Seulement il est sûr que celui qui n'a jamais jeûné qu'avec son Église n'a point encore jeûné comme le Seigneur l'entend. Ensuite, lorsqu'une Église jeûne, il n'est nullement nécessaire que le monde le sache; il vaut mieux plutôt l'éviter. Enfin, les jeûnes de l'Église n'ont de valeur que par la piété de chacun de ses membres, et il ne faudra pas qu'on croie avoir jeûné, soi, parce que l'Église aura consacré occasionnellement un jour à cet exercice de piété.

2876. En dernière analyse, ces instructions sur l'aumône, la prière et le jeûne me paraissent compléter admirablement la parole de Jésus à la Samaritaine (Jean 4: 24). Le culte spirituel et vrai est essentiellement un culte d'intimité avec Dieu. S'il faut pour la gloire du Seigneur et pour l'édification de son Église, que ce culte revête quelquefois le caractère de l'association et de la publicité, encore est-il que, dans tous les cas, sa véritable valeur, aux yeux de Dieu, résulte de la piété qu'y apporte chaque chrétien. Ce sont là des idées fort simples; il a fallu toutefois qu'elles nous fussent révélées par la Bible, tant le cœur naturel de l'homme est porté à matérialiser les choses même les plus spirituelles.


CCXIX. — Le sermon de la montagne. (Suite.)


2877. (6: 7-15.) Pour mettre en saillie les rapports que notre Seigneur établit entre l'aumône, la prière et le jeûne, j'ai laissé de côté l'espèce de digression contenue dans les versets 7-11, et j'y reviens maintenant. Ces instructions supplémentaires sur la prière, et sur la prière seule, nous avertissent, de l'extrême importance du sujet. La prière n'est pas toute la religion sans doute, mais on ne comprend pas la religion sans la prière; aussi, les païens eux-mêmes invoquent-ils leurs faux dieux.

2878. (7.) Ces prières des Gentils ou des nations (car c'est le vrai sens du mot gentil), sont loin de nous offrir quelque modèle à suivre. Rien d'absurde et de puéril comme les mots et les phrases qu'ils entassent à satiété, et l'on dirait que, sentant le vide de leurs invocations, ils s'efforcent de leur donner quelque valeur en les prolongeant outre mesure. C'est pourtant à leur exemple, semble-t-il, qu'on voit chez les catholiques-romains, des dévots répéter et répéter sans cesse des centaines d'Ave Maria et de Pater noster, espérant que, par ce grand nombre de paroles, ils parviendront à se faire entendre.

2879. Remarquez-le cependant, notre Seigneur ne condamne que les vaines répétitions. Si la reproduction de la même pensée ou des mêmes paroles, correspond au besoin qu'éprouve l'âme d'insister sur le même sentiment, et si on le fait avec une chaleur croissante, il n'y a pas là de «vaine redite.» Tout comme on ne doit pas croire que de longues prières soient nécessairement de mauvaises prières. Heureux plutôt ceux qui ont beaucoup de choses à dire au Seigneur et qui peuvent, sans fatigue et sans distractions, prolonger avec lui leurs pieux entretiens! Il n'est pas à craindre qu'ils comptent sur la longueur de leurs prières pour être exaucés.

2880. (8.) Mais il est des gens qui trouvent que les plus courtes prières sont encore trop longues. Dieu, disent-ils, n'a pas besoin que nous lui fassions connaître nos pensées et nos désirs. Ne sait-il pas mieux que nous ce qu'il nous faut? Nos prières lui feront-elles vouloir autre chose que ce qu'il veut? Ainsi raisonne le philosophe, mais voici comment raisonne le Seigneur: «Votre Père sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez; vous donc priez ainsi.» Oui sans doute, il y a en Dieu une volonté déterminée, mais sa volonté est que nous lui adressions des prières et des supplications; si nous ne le faisons pas, nous n'avons rien à attendre de lui, parce que nous aurons méprisé son commandement.

2881. (9.) Encore est-il que Dieu n'exauce pas toute espèce de prières. C'est pourquoi il importe infiniment d'étudier avec soin celle que nous enseigne le Sauveur. On l'appelle l'Oraison dominicale, du mot latin dominus, qui veut dire Seigneur. Quelques-uns pensent, avec les catholiques-romains, que c'est, au fond, la seule prière des chrétiens, parce que Jésus-Christ a dit: «Vous donc, priez ainsi.» Beaucoup de protestants encore croiraient n'avoir pas bien prié s'ils ne finissaient leurs prières en la récitant; et d'un autre côté, il en est qui ne la prononcent jamais. Pour nous, persuadé que notre Seigneur n'a pu vouloir nous donner un formulaire qu'il n'y avait qu'à dire et à répéter invariablement; convaincu, par l'expérience, qu'il n'est pas de prière qui puisse, plus que celle-ci, dégénérer en vaine redite, par cela même qu'on la sait par cœur dès son enfance et qu'on en vient très vite à la réciter machinalement, nous y voyons surtout un modèle à suivre. Mais, par cela même que c'est une prière modèle, nous ne comprendrions pas qu'on ne la prononçât jamais elle-même. Au reste, de quelque manière qu'on l'envisage, il est sûr qu'il importe infiniment d'en avoir une claire intelligence.

2882. Notre Père qui es aux cieux. Ces paroles d'introduction sont destinées à faire naître en nous les vrais sentiments de la prière; et d'abord, la confiance et l'adoration. Si Dieu est à la fois notre Père et le Dieu Tout-Puissant, avec quel abandon, avec quelle ferme espérance ne lui adresserons-nous pas nos requêtes? En même temps, quel respect ne ressentirons-nous pas pour lui? Bien que les fidèles de l'Ancienne Alliance ne connussent pas Jéhovah sous ce doux nom de Père, le Saint-Esprit leur dicta néanmoins des prières tout empreintes de sentiments convenables à des enfants de Dieu, et il s'en faut que tous ceux qui s'appellent chrétiens sachent prier comme Moïse, David, Ésaïe et tant d'autres.

2883. Ton nom soit sanctifié... Rappelons-nous que le mot sanctifier signifie, mettre à part, tenir pour sacré [47, 741] (Ex. 20: 8); rappelons-nous également ce qu'est le nom de l'Éternel [636], et nous comprendrons aisément la pensée du Seigneur. Pour que le nom de Dieu nous soit un nom saint, un nom vénéré, il faut que nous connaissions Dieu lui-même, et que nous l'adorions en nos cœurs. Par cette première demande de l'Oraison dominicale, nous exprimons donc le désir que tous vénèrent et servent Dieu, que tous se consacrent à son service.

2884. (10.) Il faut à cet effet que Jésus-Christ établisse son empire dans les cœurs. Lui seul, par la prédication de l'Évangile, peut faire tomber les idoles des faux dieux et couvrir la terre de la connaissance de l'Éternel; or, nous demandons qu'il en soit ainsi, lorsque nous disons: «Que ton règne,» ou ton royaume «vienne.» Il s'agit ici du même royaume dont Jean-Baptiste avait annoncé l'approche (Matth. 3: 2) et que Jésus aussi proclamait (Matth. 4: 17). Vous savez comment il déclarait à Nicodème que personne n'y peut entrer ou le voir, s'il ne naît de nouveau (Jean 3: 3,5); vous savez de plus que cette nouvelle naissance c'est le Saint-Esprit qui la donne. Aussi longtemps que le Saint-Esprit n'aura pas été répandu sur toute chair et que le Seigneur Jésus n'aura pas été révélé dans sa gloire, nous aurons à dire: «Que ton règne vienne!»

2885. Ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Il y a une volonté de Dieu qui se fait, soit que nous le voulions, soit que nous ne le voulions pas. Mais Dieu a donné aux anges et aux hommes d'avoir une volonté propre [85]. Les habitants du ciel ne veulent que ce que Dieu veut, tandis que ceux de la terre luttent sans cesse contre les injonctions de la loi sainte du Seigneur. Or ce que nous lui demandons ici, c'est qu'il incline les cœurs à vouloir ce qu'il veut.

2886. Ces trois premières demandes de l'Oraison dominicale ont évidemment un même objet, la gloire de Dieu. C'est ce qu'exprime en particulier la première demande. Mais pour que Dieu soit glorifié, il faut que le règne de Dieu s'étende sur la terre, objet de la seconde demande. Enfin, ce qui, constitue essentiellement la gloire de Dieu, c'est que sa volonté s'accomplisse dans toutes ses créatures, et c'est pour nous amener là que Jésus-Christ veut régner sur nous.

2887. (11.) Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien. Le pain représente ici les choses nécessaires à la vie: pain, eau, vêtements, domicile, etc.; mais, après tout, rien que ce qui est strictement nécessaire; par où notre Seigneur a eu l'intention manifeste de nous apprendre à borner nos désirs, car ce que nous n'osons demander à Dieu, nous ne devons pas avoir la passion de le posséder. Il a voulu aussi nous rappeler de qui nous tenons notre vie et qui en est le soutien. Mais, chose vraiment remarquable dans une prière si courte, il s'y trouve une sorte de pléonasme. Notre Seigneur aurait pu dire simplement: Donne-nous aujourd'hui notre pain, ou donne-nous notre pain quotidien. Pourquoi exprimer en deux mots différents la même idée? C'est que, par-dessus tout, il ne veut pas que ses disciples soient thésauriseurs et soucieux. En effet, si nous appelons Dieu notre Père, n'attendrons-nous pas de lui la nourriture, comme des enfants qui vont à leur devoir, bien sûrs qu'à leur retour ils retrouveront leur repas tout préparé?

2888. (12.) Et remets-nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs. Ces dettes ce sont nos péchés. Chaque fois que nous péchons, nous négligeons de faire ce que nous devions; or quand on ne fait pas ce qu'on doit, on redoit. Dette d'autant plus effrayante que nous ne saurions jamais la payer et qu'elle s'accroît chaque jour. A supposer que nous fissions aujourd'hui tout notre devoir, il en résulterait simplement que nous n'aurions pas augmenté notre dette, mais la dette d'hier ne serait point acquittée. Et que sera-ce si nous péchons aujourd'hui comme hier? Il n'y a donc qu'un moyen d'être affranchi, c'est que Dieu annule la créance; et puisqu'il s'en refait une chaque jour, c'est aussi chaque jour que nous devons lui demander pardon. Mais si nous connaissons Jésus-Christ, nous ferons cette demande comme nous faisons celle de notre pain: avec une parfaite assurance d'être exaucés, parce que nous savons qu'il a pleinement expié nos transgressions.

2889. (13.) Et ne nous amène pas en tentation. Si l'on dit comme certaines versions: Ne nous induis pas en tentation, l'on dit plus que le texte; et si l'on dit: Ne nous laisse pas succomber à la tentation, l'on ne dit pas assez. Toute circonstance qui met à l'épreuve notre foi et notre obéissance est une tentation. Témoin Abraham, quand Dieu lui redemanda son Isaac; témoin David, quand Saül lui fut livré dans la caverne. Or, quoique ce ne soit jamais Dieu qui nous tente au mal, c'est bien lui qui nous place en des circonstances où nous pouvons être conduits à mal faire [1057]. Ce que nous demandons, par conséquent, c'est qu'il épargne notre faiblesse, qu'il ne nous éprouve pas au-dessus de nos forces, enfin qu'il nous garde au milieu de la tentation; ce qui est exprimé dans la septième demande.

2890. Mais délivre-nous du méchant, ou du malin, ou du mal, trois traductions également possibles et qui donnent, en résultat, le même sens. C'est de Satan qu'il est ici question, de celui qui tenta nos premiers parents et qui osa même tenter le Seigneur. Quelque puissant et rusé que soit le prince des ténèbres, il ne saurait perdre ceux que Dieu garde; mais le Seigneur lui-même, en nous dictant cette prière, nous invite à la vigilance, et il ne veut pas nous laisser ignorer, qu'abandonnés à nous-mêmes, nous succomberions certainement.

2891. Telle est cette magnifique prière, qui se divise naturellement en deux parties; l'une contenant les trois premières demandes; l'autre, les quatre dernières, ou trois, si, conformément à l'usage, on réunit en une seule la sixième et la septième. La première partie a pour objet essentiel la gloire de Dieu, nous l'avons déjà fait remarquer, et nous y apprenons ce qui doit avant tout occuper nos prières; la seconde a pour objet nos propres intérêts; non que nous ne soyons vivement intéressés aux progrès du règne de Dieu, ni que la gloire de Dieu ne soit pas intéressée à notre salut; mais enfin, l'on sent qu'entre ces deux parties de l'Oraison il y a la différence que je viens de dire.

2892. La seconde partie se subdivise en deux sections. Dans l'une, nous nous occupons de nos intérêts matériels, dans l'autre, de nos intérêts spirituels; mais tandis que nous avons une seule demande pour ceux-là, nous en avons trois pour ceux-ci. Par où notre Seigneur a eu sûrement l'intention de nous montrer la supériorité de l'âme sur le corps, de la vie à venir sur la vie présente, des biens célestes sur les biens terrestres, sur ceux même qui nous paraissent de la plus absolue nécessité. Et puis, si nous comparons entre elles les trois dernières demandes, nous y voyons que le Seigneur nous fait implorer successivement les deux grâces qui constituent tout le salut ici-bas; dans la cinquième demande de l'Oraison, le pardon de nos péchés, et dans les deux dernières, la délivrance du péché lui-même, ou la sanctification. Or, que manque-t-il à une âme qui est à la fois reçue en grâce et sanctifiée?

2893. On a fait une autre observation fort importante et qui est moins subtile qu'elle ne le semble d'abord. Quand nous disons: «Ton règne vienne,» il s'agit évidemment du règne de Jésus-Christ. Puis si nous demandons: Qui est-ce, du Père, du Fils, ou du Saint-Esprit qui incline les cœurs à vouloir ce que Dieu veut? on répond sans hésiter: C'est le Saint-Esprit. Il est facile de conclure que la première demande se rapporte essentiellement au Père, dont le nom est d'ailleurs en tête de l'Oraison. Ensuite, si l'on veut savoir par qui nous obtenons le pardon de nos péchés, on répondra: Par le Fils. — Qui chasse de notre cœur les mauvaises pensées? Le Saint-Esprit. — Qui nous donne notre pain? Le Père céleste. Ce résultat admirable ne saurait être fortuit. Jésus est venu nous faire connaître le Père et nous procurer le Saint-Esprit; il est lui-même le Fils unique issu du Père; quand donc il nous enseigne à prier Dieu, il n'est point étonnant que sa prière se rapporte au Père, au Fils et au Saint-Esprit, l'Éternel Dieu auquel doit s'adresser tout notre culte.

2894. Cette divine prière est donc toute pénétrée de doctrine; c'est-à-dire que le dogme chrétien en ressort avec plénitude, non seulement la doctrine du salut, mais encore celle de Dieu. Elle est aussi d'une grande portée morale. En nous faisant dire nous et non pas moi, elle nous invite à aimer notre prochain comme nous-mêmes, et elle ne nous presse pas avec moins de force à nous unir en assemblées chrétiennes pour invoquer Dieu de concert. Puis, nous avons vu comme elle nous prêche la modération dans les désirs, et comme  elle est propre à nous détourner du mal. Toutefois c'est une véritable oraison. D'un bout à l'autre on y voit des mains jointes s'élevant vers le ciel. Ce n'est pas comme certaines prières, qui sont plutôt une exhortation adressée aux auditeurs, ou, pour ainsi dire, une pièce d'éloquence, toute d'argumentation et de traits d'esprit.

2895. (13.) La louange et l'action de grâce cependant ne doivent pas demeurer étrangères à l'oraison; elles en sont, au contraire, inséparables. C'est pour cela que notre Seigneur termine la sienne par ces magnifiques paroles: «Car à toi est le règne, la puissance et la gloire, pour les siècles. Amen.» C'est ce qu'on appelle une doxologie, ou une déclaration de la gloire de Dieu. Trop de prières sont à cet égard pleines de lacunes, tant nous savons peu rendre à Dieu le culte qui lui est dû.

2896. (14, 15.) Comme si notre Seigneur avait craint que ses disciples ne comprissent pas ce que signifiait le mot dettes, dans la cinquième demande de l'Oraison, il l'explique ici en se servant du mot offenses. Mais il a une raison de plus pour reprendre cette idée. Il faut que nous sachions bien, ce que du reste nous avons vu ailleurs [2850], que la vraie prière est incompatible avec des sentiments de malveillance, avec la haine, avec un cœur sans miséricorde. Si bien que, pour une âme ainsi disposée, la prière se tourne en imprécations contre soi-même. C'est comme si l'on disait: Ne me pardonne pas mes péchés, ô Dieu, car je ne sais ni ne veux pardonner les offenses qu'on m'a faites.

2897. Enfin, j'invite mes lecteurs à réfléchir sur tout ce qu'ils viennent de lire, puis à décider une question qui, probablement, n'en est pas une pour eux. L'Oraison dominicale, en ses termes mêmes et dans son esprit, est-elle, ou non, destinée à des âmes converties? Peut-elle être présentée par d'autres que par elles? Qui est-ce qui a le droit d'appeler Dieu Notre Père? Qui est-ce qui met à sa gloire un assez vif intérêt pour s'en occuper avant tout et par-dessus tout? Qui désire l'avancement du règne de Jésus-Christ? Qui est-ce qui sait borner ses désirs terrestres au strict nécessaire? Qui est-ce qui a appris du Seigneur le pardon des offenses? Qui est-ce enfin qui croit à la puissance malfaisante de Satan, et qui est-ce qui demande que son âme en soit délivrée? Nous avons donc ici un modèle de prière destiné aux disciples de Jésus et non point au monde. Bien plus, on peut affirmer sans crainte qu'eux seuls peuvent la faire en esprit et en vérité! C'est même une question de savoir jusqu'à quel point il est bon de l'enseigner aux enfants, dans un âge où il est rare qu'ils la comprennent? Et après tout cela, il est permis de s'étonner que des chrétiens, fort respectables d'ailleurs, en rejettent complètement l'usage, sous prétexte de l'abus que d'autres en font!


CCXX. — Le sermon de la montagne. (Suite.)


2898. (Matth. 6: 19-21.) La terre offre à nos regards et à nos désirs une foule de biens que la bonté divine y a semés avec profusion. Mais le péché a tout gâté. Les richesses de ce monde sont fragiles; la rouille les détruit, les voleurs les dérobent, manière de dire qu'elles n'ont rien d'assuré. Ce qui est plus affreux, c'est que nous ne pouvons faire des biens de la terre notre trésor sans renoncer au ciel, ou leur donner notre cœur sans l'ôter à Dieu. Il y a donc ces deux motifs pour ne pas chercher le bonheur dans la possession des richesses: c'est d'abord que, par leur instabilité même, elles ne sauraient nous rendre heureux; ensuite, que les passions qu'elles développent nous éloignent du Seigneur. Et pourtant, nous avons besoin de posséder quelque part un trésor. Où est-ce donc que nous l'amasserons, si ce n'est dans le ciel, selon l'invitation de Jésus? Là sont des richesses incorruptibles que personne ne peut ravir à leurs possesseurs; des biens auxquels il leur est permis de mettre leurs affections. Ces biens sont la grâce de Dieu et les compassions du Seigneur Jésus-Christ. Ce qu'un trésor est pour l'avare, voilà ce qu'ils doivent être pour nous.

2899. (22, 23.) Un aveugle est comme un homme qui serait constamment dans les plus noires ténèbres. S'il avance la main, il ne sait où il la pose; s'il fait quelques pas, il ignore où ses jambes le portent: l'œil est la lampe du corps. Notre âme possède aussi un œil pour diriger sa vie morale. C'est de cet organe intérieur que, par un rapide mouvement de sa pensée, notre Seigneur veut parler quand il dit: Un œil simple et un œil méchant. Ces épithètes, en effet, conviennent mieux à l'œil de l'âme qu'à celui du corps. L'œil de l'âme, c'est la conscience, qui a charge de nous avertir non moins que de nous reprendre. Mais bien qu'on ait cru pouvoir l'appeler la voix de Dieu, la conscience d'un homme ne saurait être meilleure que cet homme lui-même. Elle peut manquer de simplicité, elle peut être méchante: cette lumière qui est en nous peut n'être que ténèbres. Que sommes-nous alors au point de vue moral? Ténèbres profondes, et pas autre chose que ténèbres.

2900. Voyez la conscience de Juda, le frère de Joseph. C'est bien elle qui parlait lorsqu'il dit: «Ne tuons pas notre frère; il est notre chair» (Gen. 37: 27). Mais est-il plus permis de vendre son frère que de le tuer? La conscience de Juda était pleine de ténèbres. Voyez s'il n'y avait pas aussi des ténèbres dans la conscience d'Aaron, lorsqu'il crut tout concilier en dépouillant les Israélites de leurs vains ornements pour fondre le veau d'or, et lorsqu'il proclama une fête à Jéhovah devant le dieu de fonte que ses mains avaient fait? (Ex. 32: 2, 3, 5.) Je pourrais multiplier les exemples, et j'arriverais à cette importante conclusion que, dans l'état actuel de l'homme, la conscience n'est point un guide suffisant. Il est des gens qui, en toute conscience, commettent des péchés manifestes, et même nous verrons que le plus grand des crimes, la persécution des enfants de Dieu, fut souvent commis par motif de conscience. Combien donc il importe de ne pas trop se confier en ce guide intérieur! Quel soin ne devons-nous pas mettre à l'éclairer, tout clairvoyant qu'il se prétend? Et où puiserons-nous des clartés et plus vives et plus sûres que cette lueur incertaine, si ce n'est dans la Parole de Dieu et dans les communications du Saint-Esprit?

2901. Quand on voit qu'immédiatement après cela notre Seigneur revient sur la pensée des versets précédents (19-21), on est conduit à envisager son enseignement sur la conscience comme une digression; mais une digression dans un discours de Jésus ne saurait être un hors-d'œuvre, et l'on se demande ce qui fait le lien entre ces deux idées: l'attachement aux biens de la terre et la conscience ténébreuse? Si je ne me trompe, le voici. Rien ne fausse plus la conscience que l'amour de l'argent; témoins soient les deux Juda, je veux dire le frère de Joseph et le douzième apôtre. Quant à la raison de ce fait, on la trouve dans les paroles du verset 24: «Nul ne peut servir deux maîtres, etc.»

2902. Au lieu de servir, mettez «être asservi,» au lieu de maître, lisez «Seigneur,» et vous aurez la vraie traduction de ce beau passage. Mammon est le dieu des richesses, le dieu de ce monde, ou Satan. Les volontés de Dieu et celles de Mammon sont tellement opposées, qu'il est absolument impossible de les concilier. L'impossibilité résulte de ce que ni l'un ni l'autre ne se soucient d'une demi-obéissance; ils veulent être seigneurs, ils exigent qu'on leur soit asservi. Il y a d'ailleurs entre eux un antagonisme si complet, qu'on ne saurait aimer Dieu sans haïr Mammon, ni aimer le monde sans haïr Dieu. Lors donc qu'on aspire à servir Mammon, sans toutefois rompre avec le Seigneur, il est nécessaire qu'on se fasse les règles de morale les plus fausses. Alors on appelle le mal, bien, et le bien, mal; alors on n'est pas sans morale quelconque, mais c'est la morale du présent siècle: la lumière de la conscience est devenue ténèbres.

2903. (25-34.) L'auditoire de notre Seigneur renfermait assurément plus de pauvres que de riches, «C'est pourquoi» il voulut que ceux qui l'écoutaient sussent à quels signes ils pourraient reconnaître s'ils avaient Mammon pour dieu, et leur montrer en même temps ce qu'il attend de ses disciples.

2904. (25-27.) Quelle que soit notre situation de fortune, si nous nous livrons à des inquiétudes sur ce que nous mangerons et sur ce que nous boirons, ces inquiétudes proviennent d'un attachement excessif aux choses d'ici-bas. Trois considérations doivent nous faire sentir la folie et le péché de cette mauvaise disposition. D'abord, aussi longtemps que Dieu juge bon de nous conserver la vie, il sait parfaitement qu'il nous faut de la nourriture pour l'entretenir et des vêtements pour couvrir notre corps (25). Ensuite, si Dieu nourrit les oiseaux du ciel, pouvons-nous penser qu'il nous abandonnera, nous qui d'ailleurs avons mille ressources dont les animaux sont privés (26). Ici, notre Seigneur suppose évidemment le travail de l'homme et même son économie. Il n'entend pas que nous restions sans rien faire, ni que nous dilapidions les fruits de sa bienfaisance. Ce n'est pas d'être laborieux et économes qu'il nous défend, mais c'est d'être soucieux. On le voit encore plus clairement par la troisième raison qu'il ajoute; savoir, que nos soucis ne servent à rien (27). Ils servent à si peu, que les personnes qui s'inquiètent, s'agitent et se tourmentent le plus, sont souvent les moins prévoyantes, celles qui ne sont jamais prêtes et à qui tout manque au moment convenable.

2905. (28-32.) Ce qui est vrai de la nourriture l'est aussi des vêtements. Voyez ces fleurs que l'Éternel a parées des plus belles couleurs, bien que leur existence soit de si courte durée! Et nous pourrions craindre qu'il n'ait pas soin de nous? (30.) «O gens de petite foi, s'écrie Jésus, laissez aux nations qui sont sans connaissance de Dieu, laissez-leur les inquiétudes et les soucis pour les choses de la vie présente (32); mais vous qui avez un Père dans le ciel, un Père bien informé de vos besoins, un Père à qui, certes, la puissance et les moyens ne sauraient manquer, comment ne sentez-vous pas l'insulte que vous lui faites en vous préoccupant ainsi de l'avenir? Hélas! c'est que vous êtes des gens de petite foi.» Les hommes non convertis, même les plus riches, sont bien souvent rongés d'inquiétudes, et cela se conçoit; le péché les plaçant fort au-dessous des oiseaux et des lis, ils n'osent pas, ils ne peuvent pas se reposer entièrement sur Dieu. Ils l'appellent leur Père, mais ils sentent au fond qu'il ne l'est pas. Quant à vous, disciples de Jésus, comprenez enfin combien vos défiances et vos soucis vous rendent criminels; n'est-il pas vrai qu'ils trahissent la faiblesse de votre foi, pour ne pas dire la secrète avarice de vos cœurs?

2906. (33.) Voulez-vous goûter un plein repos quant aux choses de la vie présente? Cherchez avant tout et par-dessus tout, toujours plus et toujours mieux, le royaume de Dieu, ce royaume dont Jésus est le roi, puis la justice de Dieu, la justice que Dieu donne [2832]; cherchez en Christ le salut et la vie; alors, tout ce qui est vraiment nécessaire vous sera donné par-dessus et comme si cela ne comptait pas; car «si Dieu n'a point épargné son propre Fils pour nous, ne nous donnera-t-il pas toutes choses avec lui?» (Rom. 8: 32.)

2907. Croyez-en donc la parole de notre Sauveur: «A chaque jour suffit sa peine» (34.) Aujourd'hui, travaillons et prions; aujourd'hui, je l'admets, préparons ce qui doit être prêt aujourd'hui pour demain: dans aucun cas, point de soucis! Non pas à la manière des gens indolents, paresseux, dissipateurs; mais à la manière de ceux qui, chaque jour, prennent de la peine, en se disant toutefois que le jour de demain ne leur appartient point encore; que, par conséquent, ils doivent lui laisser, ou autrement à Dieu, le souci de ce qui le regarde. — Oh! quels magnifiques enseignements! Que l'Esprit de Celui qui les a prononcés daigne les graver dans nos cœurs!


CCXXI. — Le sermon de la montagne. (Fin.)


2908. (Matth. 7: 1-5.) Il nous est très permis, il nous est même enjoint de condamner les œuvres des ténèbres; car c'est un péché que d'appeler le mal, bien, et les ténèbres, lumière (Es. 5: 20). Le magistrat qui siège sur son tribunal, y est assis pour condamner les méchants; les parents doivent corriger leurs enfants; les maîtres, redresser leurs domestiques, et chacun de nous est invité à reprendre son frère lorsqu'il tombe en faute (Lév. 19: 17). Mais ce qui ne peut I’esprit se concilier, ni avec la charité, ni avec l'humilité, ni par conséquent avec la prudence chrétienne, c'est de juger témérairement [267] et sur des apparences [1298]; c'est de suspecter les motifs (1 Sam. 17: 28); c'est de nourrir à l'égard du prochain un esprit d'inquisition et de censure, qui nous rend attentifs à ses moindres fautes et nous arme contre lui d'une impitoyable sévérité.

2909. Ce qui est surtout odieux, c'est de se constituer examinateur et juge de ses frères, tandis qu'on ne s'examine et qu'on ne se juge point soi-même. Il en résulte naturellement que ceux qui sont le plus remplis de mal, ne manquent pas d'être les plus habiles à relever le moindre mal chez les autres: ils ont une poutre dans l'œil et comment peuvent-ils songer à ôter la paille qui est dans l'œil de leur frère? Mais à supposer que nous eussions peu de défauts et de péchés, si nous nous refusons à les reconnaître, ils ne laissent pas d'offusquer notre œil comme le ferait une poutre. Il ne s'agit pas sans doute d'être sans péché pour avoir le droit de condamner le mal chez autrui, ou pour remplir le devoir de la répréhension fraternelle; mais il faut que nous le fassions en nous souvenant que nous sommes nous-mêmes des pécheurs. C'est alors que nous y mettrons la mesure convenable, et que nous pourrons redresser nos frères avec charité et tout à la fois avec humilité.

2910. (6.) Ce n'est pas à nos frères seuls que nous devons des avertissements. L'occasion d'en adresser aux pécheurs non convertis ne se présente, hélas! que trop souvent. Ceux-ci ne sont pas universellement des «chiens» et des «pourceaux.» Il est des hommes parmi eux qui n'ont pas perdu tout honneur et tout sentiment. On les voit quelquefois écouter avec respect et dans une certaine contrition, les leçons de la Parole de Dieu. Rien n'empêche donc que nous ne leur en ouvrions les trésors. Mais s'il s'agit de ces gens complètement dégradés, auxquels il n'est pas possible de parler de Dieu et de sa grâce sans qu'ils se mettent en des états violents, mieux vaut garder un sage silence (Prov. 23: 9). Notre Seigneur nous en donne deux raisons, l'une et l'autre fort remarquables. La première, c'est qu'il ne faut pas exposer ces malheureux pécheurs à blasphémer le saint nom de Dieu; la seconde, que nous ne devons pas affronter les transports de leur rage. Ainsi, bien que les disciples de Christ aient nécessairement des persécutions en perspective, ils sont tenus d'éviter, autant que possible, ce qui peut les faire naître, par la raison même que la persécution est un horrible péché. 

2911. (7-11.) Jusqu'à cet endroit, il ne nous a pas été trop difficile de voir la liaison qui unit entre eux les enseignements de notre Seigneur. Mais, dès ce moment, ils se présentent davantage sous forme de maximes détachées. C'est de la prière que Jésus va donc nous parler encore une fois, nous exhortant à demander ce dont nous avons besoin, à chercher ce que nous avons perdu, à heurter pour avoir où nous réfugier. Mettons-y de la persévérance et nos prières seront infailliblement exaucées. La première de ces idées est exprimée par ces mots: «Demandez, cherchez, heurtez.» Soit que Dieu nous fasse attendre l'effet de nos prières, soit qu'il nous exauce dès le premier mot, du moins en partie, loin de nous relâcher dans l'oraison, nous y redoublerons de zèle, ou pour obtenir ce qui nous fut d'abord refusé, ou pour recevoir de nouvelles grâces. Vous avez demandé et reçu! cherchez donc et vous trouverez; vous avez cherché et trouvé! maintenant heurtez et l'on vous ouvrira. Ou bien, vous avez demandé et vous n'avez pas reçu! cherchez; vous avez cherché et vous n'avez pas trouvé! heurtez. En faisant ainsi, il est impossible que le père de famille ne vous ouvre enfin.

2912. La certitude d'être exaucé se fonde sur une promesse positive et sur un raisonnement sans réplique. «Tout homme qui demande reçoit; et qui cherche trouve; et l'on ouvrira à celui qui heurte:» telle est la promesse de Dieu. Voici le raisonnement: Un père à qui son enfant demande du pain, ne lui donnera pas une pierre, supposé même que le pain lui manque, car ce serait cruellement se moquer de son fils affamé. Or Dieu, qui a pour nos âmes du pain en abondance, nous traitera-t-il plus mal que ne l'ont fait nos pères en la chair? Est-ce que le Père céleste serait méchant, tandis que nos pères en la chair sont bons? Non, c'est tout le contraire. De là vient que nos parents ont pu quelquefois nous donner de mauvaises choses, au lieu que Dieu ne saurait nous en donner que de bonnes. La différence est donc toute en sa faveur.

2913. Remarquez, je vous prie, ce mot jeté en passant: «Méchants comme vous l'êtes.» Ceux à qui Jésus adressa cette apostrophe n'étaient pas plus pécheurs que d'autres; parmi eux au contraire se trouvait, on peut le croire, l'élite morale du peuple de la Galilée; sous ses yeux il avait des hommes que sa grâce préparait depuis longtemps et qu'il avait appelés à lui, tels peut-être qu'un Nathanaël, l'Israélite sans fraude; et c'est à de telles gens qu'il dit: «Méchants comme vous l'êtes!» Quelle confirmation de la vérité fondamentale qu'établit l'Écriture sur l'état actuel de la nature humaine! «L'imagination du cœur des hommes est mauvaise en tout temps» (Gen. 8: 21). Vus à la lumière divine, nous sommes tous des méchants!

2914. (12.) Cependant, le Seigneur nous veut bons, car il nous dit de faire aux hommes tout ce que nous désirons qu'ils nous fassent. C'est, en d'autres termes, l'ancienne et grande loi de l'amour du prochain (Lév. 19: 18). Mais en l'exprimant de cette manière, notre Sauveur a eu l'intention de marquer nettement que cet amour doit être réel et pratique; non en paroles seulement, ni en vaine sensibilité! Que s'il ajoute: «C'est la loi et les prophètes,» sa pensée est de rappeler que tous les préceptes de l'Ancien Testament se résument en celui-ci. Or, faites attention qu'il y a une grande différence entre cette maxime et une autre qu'on cite quelquefois comme étant sortie de la bouche du Seigneur. Les philosophes du paganisme avaient dit: «Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas que les autres vous fassent.» Ils avaient donc su découvrir la loi de la justice; mais celle de la charité leur était demeurée inconnue.

2915. (13, 14.) Il y a deux portes, comme il y a deux chemins et par conséquent deux issues. Une de ces portes est étroite, l'autre est large; un de ces chemins est resserré, l'autre est spacieux; ici est la foule, là est le petit nombre; enfin le second de ces chemins mène à la perdition, le premier conduit à la vie, c'est-à-dire au bonheur éternel. Pensée solennelle! Et si vous me demandez quel est le bon chemin et où se trouve la vraie porte, un mot me suffira pour répondre. Jésus est à la fois la porte, le chemin et la vie, comme il nous le dira plus tard. Par conséquent la route large, c'est toute doctrine et toute vie qui s'éloignent de Jésus, ou qui passent à côté de lui. Vous le comprenez donc, mes chers lecteurs, il n'y a pas deux chemins pour aller à la vie, l'un étroit, l'autre large; celui-ci mène nécessairement à la mort. De plus, si la voie du salut est appelée étroite ou resserrée, c'est en considération du petit nombre de gens, hélas! qui y marchent; car, après tout, c'est la voie royale et il n'en est pas de plus magnifique. Puis, si la porte du ciel nous est représentée comme petite, ce n'est pas que Jésus ne soit infiniment grand en miséricorde et en puissance, et que la foule ne pût toute passer par cette porte, à supposer qu'elle le voulût; mais il demeure vrai que, pour entrer dans le royaume des cieux, il faut se faire petit (5:3), se dépouiller de tout mérite propre et de toute vaine gloire; or rien ne répugne plus à notre cœur naturel qu'une telle humilité, 

2916. (15-20.) Ce qu'on rencontre à chaque pas dans la voie large et ce qui est fort goûté par ceux qui la fréquentent, ce sont les faux prophètes ou les faux docteurs. Vous vous rappelez comment, dans les temps anciens, ils étaient écoutés par le peuple d'Israël, de préférence aux prophètes du Très-Haut. Les faux docteurs ont une grande apparence de débonnaireté et quelquefois ils parlent comme s'ils appartenaient au souverain Berger des brebis. Ils présentent des systèmes qui flattent les passions des hommes; ils interprètent au gré de la raison les mystères de la foi; surtout ils élargissent tant qu'ils peuvent le chemin déjà si large par lequel les âmes courent à leur perte. Il en est parmi eux qui vont jusqu'à dire que Satan même sera sauvé; ils ont, quoi qu'il en soit, la bouche pleine de consolations pour les honnêtes gens de ce monde; puis, de manière ou d'autre, ils nient la nécessité imposée à tout homme de se convertir. Aussi quels sont les fruits que portent leurs enseignements? Ont-ils jamais converti une seule âme, ces malheureux docteurs? Peuvent-ils procurer au pécheur une solide paix? Que font-ils pour l'avancement du règne de Dieu? Y songent-ils seulement? C'est pourquoi, gardons-nous d'eux et de leur doctrine; c'est le grand Docteur qui nous y convie, et jamais il ne nous trompa.

2917. (21-23.) Mais si l'on rencontre dans la voie large des prophètes qu'on ne saurait écouter sans marcher avec eux vers la perdition, il s'y trouve aussi des hommes qui appellent Jésus le Seigneur et l'invoquent en cette qualité; qui prêchent sa doctrine et la prêchent comme de sa part; qui, instruments de conversion pour beaucoup d'âmes, chassent les démons en son nom; qui, en prêchant Jésus-Christ, font des choses grandes et merveilleuses; qui ont toute l'apparence de marcher dans la voie étroite avec les élus du Seigneur, et qui pourtant ne verront pas le royaume de Dieu.... Qu'est-ce donc qui leur manque? Hélas! ce qui manquait à Balaam, à Saül, ce qui manqua bientôt à Judas. Ces trois hommes furent momentanément parmi les prophètes de l'Éternel, mais leur cœur ne lui appartenait pas; ils firent leur propre volonté et non pas la sienne. Or, Notre Seigneur nous dit qu'il y en aura beaucoup, «en ce jour-là,» c'est-à-dire quand son royaume sera manifesté; oui,«beaucoup» de tout semblables, auxquels il dira: «Je ne vous ai jamais connus, approuvés, aimés (Ps. 1:6); retirez-vous de moi, faiseurs d'iniquité.»

2918. (24-27.) Jésus termine son discours par une parabole. C'est la première dans le Nouveau Testament, et comme elle doit nous disposer à bien écouler les autres! — Deux hommes se sont bâti chacun sa maison. L'un en a creusé les fondements sur le rocher (qui est Christ), l'autre les a posés sur le sable mouvant de la sagesse humaine. Des torrents de pluie ont enflé les rivières, et elles sont venues fondre contre ces deux édifices, qu'ébranlait encore la fureur des vents. Le premier a résisté; le second a été renversé de fond en comble. Tels sont, d'une part, l'homme qui entend la parole du Seigneur et la met en pratique; et, d'autre part, l'homme qui entend cette parole et ne la pratique point. Or, la Parole du Seigneur ne consiste pas en préceptes seulement; elle renferme aussi des béatitudes et des promesses (Chap. 5: 3-12; 6: 33; 7: 11): c'est par ces dernières surtout que notre âme subsiste. Mais celui qui croit et ne fait pas, ne croit pas réellement. Pratiquer la Parole c'est la recevoir en réalité, c'est la prendre au sérieux, c'est vivre d'elle et par elle. L'écouter n'est pas tout: il faut la retenir; il faut que rien de ce qu'elle renferme ne demeure inactif dans nos âmes, ni ses récits ni ses prophéties, ni ses commandements ni ses réprimandes, ni ses promesses ni ses menaces.

2919. Tel fut le discours que Jésus tint à ses disciples devant la multitude réunie sur la montagne, nouveau Sinaï, mais sans obscurité et sans tempête comme sans barrières pour en interdire l'accès, parce que la loi nous y est donnée tout empreinte de la grâce de Dieu. Cependant ce n'est pas encore la sainte montagne d'où nous est venu le salut. — Comme on retrouve ailleurs plusieurs fragments de ce discours, ainsi que nous le verrons, quelques personnes pensent que le Seigneur ne prononça pas dans ce moment toutes ces instructions, notamment celles qui concernent l'avarice (6: 19-34) et la persévérance à prier (7: 7-11). Elles auraient été introduites en ce lieu, parce que Matthieu ne se proposait pas de rapporter les événements auxquels ces leçons se rattachèrent plus tard, et tout cela aurait été dirigé par l'Esprit du Seigneur. La chose n'est pas impossible; mais ce qui est possible également dans le cas actuel, comme cela paraît manifeste en d'autres circonstances, c'est que le Seigneur ait répété plus tard ses précédentes instructions, sinon dans les mêmes termes exactement, toutefois d'une manière assez analogue pour que les évangélistes aient pu, sans falsification, les reproduire en termes identiquement pareils. J'incline même à penser que le Seigneur, qui sait si bien s'accommoder à notre faiblesse, a dû se répéter textuellement, afin de graver plus profondément ses paroles dans l'esprit de  ses auditeurs. Personne assurément n'a su mieux que lui trouver l'exacte expression de la vérité; or, quand on l'a trouvée, il n'y a pas autre chose à faire qu'à la reproduire telle quelle. Par exemple, quoi de plus naturel que Jésus ait fréquemment exhorté ses disciples à persévérer dans la prière; mais après leur avoir dit: «Demandez et l'on vous donnera, cherchez et vous trouverez, heurtez et l'on vous ouvrira,» y avait-il dans cette formule quelque chose à ajouter ou à retrancher? N'étaient-ce pas des paroles qui devaient être répétées sans modification quelconque?

2920. (28, 29.) Déjà plus d'une fois sans doute, le peuple avait été frappé des enseignements de Jésus, et Luc nous l'a dit précédemment (4: 32). Il dut l'être ce jour-là plus que jamais; car nous-mêmes, après dix-huit siècles durant lesquels on ne peut contester que les hommes n'aient fait de grands progrès dans la connaissance du bien et du mal, nous-mêmes, nous sommes forcés, et les incrédules avec nous, de reconnaître que jamais discours pareil ne sortit de la bouche d'aucun docteur. Mais ce qui nous saisit moins peut-être que les Juifs d'alors, parce que nous savons mieux qui est Jésus, c'est le ton d'autorité dont il prononça toutes ses paroles. Avez-vous remarqué ces: «Moi je vous dis,» qui reviennent à plusieurs reprises, quand Jésus explique la loi de l'Éternel? L'avez-vous vu, tout à l'heure, se désigner sans détour comme le Juge suprême des hommes, comme Celui qui leur fera rendre compte de leurs plus secrètes pensées, comme l'Être dont le nom est au-dessus de tout autre nom? (22, 23.) Les scribes des Juifs s'arrogeaient souvent une grande autorité, mais aucun d'eux assurément n'eût osé s'exprimer de la sorte; car nul prophète même ne l'avait fait. La raison, pour nous, en est simple. Les prophètes parlaient au nom du Seigneur: ici c'est le Seigneur lui-même qui parle; or voilà ce que la multitude des Juifs ne savait pas.

2921. Une circonstance qui aurait dû les frapper plus encore que le ton d'autorité du prophète de Nazareth, c'est que, bien différent des moralistes humains, il marque dans ce discours ce qu'il faut être, et non pas seulement ce qu'il faut faire. Le mot par lequel il débute est, pour ainsi dire, sa note fondamentale. Tout son enseignement est «en esprit.» Être humble de cœur et triste à cause de ses péchés; doux et pur et paisible; chercher en Dieu et dans la grâce tout son bonheur; se montrer prêt à subir l'opprobre et plus que cela, pour le nom de Christ; sentir la grandeur et l'excellence de la vocation du chrétien sur la terre; pour y répondre, se faire une juste idée de la sainteté et de la spiritualité des commandements de Dieu, non moins que du mal affreux que recèlent tout péché et toute tentation; aimer cordialement ses ennemis même, et en cela, comme sur tous les points, n'aspirer à rien de moins qu'à la perfection; adorer Dieu dans le fond de son cœur, en lui rendant un culte spirituel et vrai, au lieu de faire du monde son dieu et de se laisser absorber par les préoccupations du présent siècle; songer à l'amendement de sa propre âme, plus encore qu'à celui de l'âme d'autrui, sans pourtant le négliger; prier, prier beaucoup, prier sans cesse; vouloir avec zèle le bonheur, de son prochain comme le sien propre; pour cela sans doute ne pas se tenir dans l'isolement, et toutefois ne point marcher dans la voie large du monde; se défier surtout de ses maximes, si souvent funestes sous des apparences fort spécieuses; ne pas s'imaginer enfin que des paroles chrétiennes et certains actes éclatants de la foi suffisent pour nous assurer l'entrée dans le royaume éternel: telles sont, en résumé, les dispositions d'un vrai disciple de Jésus-Christ; de celui qui est devenu, par la grâce de Dieu, un homme spirituel et qui édifie sa maison sur le rocher du salut.


CCXXII. — Guérison d'un lépreux et d'un paralytique. Vocation de Matthieu. Le Jeûne chrétien.


2922. Il n'y avait rien dans les paroles de notre Seigneur qui pût électriser les masses, comme le font les harangues de certains hommes politiques, ou même les discours d'un orateur chrétien habile à émouvoir les passions. On conçoit toutefois le puissant attrait que devait avoir cette éloquence divine. Aussi Matthieu nous dit-il au commencement du chapitre 8, qu'après cette prédication, de grandes foules se mirent à suivre Jésus; puis il nous raconte une guérison dont le récit se trouve en saint Luc, à l'endroit même où nous avons quitté son Évangile pour étudier le sermon de la Montagne; c'est la guérison d'un lépreux.

2923. (L. 5: 12-16; M. 8 :1-4; Mc. 1: 40-45.) La lèpre, cette affreuse maladie, est une triste et vive image du péché [884, 885]. Comme la lèpre, le péché est un mal qui envahit l'homme tout entier, qui se communique par contagion, qui traîne après soi l'ignominie, qui exclut de la sainte assemblée des enfants de Dieu et qui ne peut être guéri que par un acte extraordinaire de la faveur divine. Le rétablissement d'un lépreux par la puissance de Jésus-Christ, mérite  donc une attention particulière [2818]. Celui dont il est ici question était lépreux dans tout son corps: humainement parlant, il n'y avait pour lui nulle délivrance possible. Mais Jésus arrive dans sa ville, et cet homme, qui sans doute avait entendu parler de lui et qui croyait aux Écritures plus que beaucoup de gens en santé, se jette à ses pieds, sitôt qu'il le voit, et il s'écrie: «Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier.» Langage admirable de la foi; car c'était reconnaître la puissance du Seigneur et le libre usage qu'il fait de sa grâce; en même temps, c'était recourir à lui avec une parfaite confiance. Ainsi fait le pécheur qui, sentant sa misère, se réfugie vers Jésus-Christ. Il s'approche de lui, le cœur déchiré, la tête nue, comme un pauvre esclave du péché, et, la main devant la bouche, il crie: Le souillé! le souillé! (Lévit. 13: 45.)

2924. Puis, de même que le Fils de Dieu s'est mis en rapport avec nous par son humanité, sans avoir toutefois contracté nos souillures, nous le voyons ici poser sa main sur le lépreux, en prononçant cette parole de salut: «Je le veux, sois purifié.» À l'instant la lèpre le quitta. Or, voilà bien aussi comment se fait la délivrance de nos âmes. Le Seigneur tout-puissant s'est approché de nous; et si, par la foi, nous nous mettons en contact avec lui, il se met de son côté en contact avec nous par l'influence secrète de sa grâce: dès ce moment nous sommes purifiés.

2925. En touchant le lépreux, notre Seigneur voulut montrer qu'il n'avait rien à craindre du fléau; mais il n'en est pas moins vrai que, si ce fait avait été connu, l'on aurait pu s'en prévaloir pour fuir Jésus ou pour le séquestrer; c'est par cette raison peut-être, ou par quelque autre motif de prudence, qu'il défendit au malade de raconter comment sa guérison s'était effectuée. Quant à la guérison même, elle ne pouvait ni ne devait demeurer ignorée. Au contraire, Jésus voulut que le lépreux fît tout ce que la loi de Moïse ordonnait pour constater le rétablissement de sa santé (Lév. 14: 2, etc.). Par là, d'ailleurs, non seulement sa guérison devenait authentique, mais encore il était établi que Jésus ne prêchait point la révolte contre les lois.

2926. Cependant le lépreux ne put taire sa reconnaissance. Il en résulta que Jésus se tint à l'écart pendant quelques jours, soit pour ceux qui auraient craint de s'approcher de lui parce qu'il avait touché le lépreux, soit pour se soustraire momentanément à la foule immense qu'attirait le bruit de ses miracles. Mais ces temps de retraite constituaient une partie essentielle de son œuvre. Le Seigneur, devenu homme, éprouvait le besoin de rentrer, pour ainsi dire, dans le sein de son Père, de se fortifier en lui, de se nourrir de lui. Ses prières n'étaient pas les cris et les supplications du pécheur, mais c'était un long et intime entretien avec Dieu; c'étaient les prières de celui qui est la Parole et la Sagesse. Tous les enfants de Dieu savent, dans une certaine mesure et par expérience, ce que pouvaient être ces entretiens du Fils avec le Père.

2927. (L. 5: 17-26; M. 9: 1-8; Mc. 2: 1-12.) Notre Seigneur fit à cette époque une autre guérison qui fut accompagnée de circonstances non moins instructives. Il se trouvait (toujours à Capernaüm) dans une maison où il prêchait devant quelques pharisiens et quelques docteurs de la loi venus de toutes parts, notamment de Jérusalem. La foule était considérable; tous n'avaient pu entrer, si bien que les avenues en étaient encombrées. Là-dessus arrivent quatre hommes portant un paralytique sur un brancard, et, comme ils voulaient absolument le présenter à Jésus, ils firent le tour de la maison, probablement adossée à un coteau, se hissèrent avec leur précieux fardeau sur le toit en terrasse ou peut-être y montèrent par un escalier extérieur, et de là ils descendirent dans l'appartement où était Jésus. Cette manœuvre leur fut plus facile qu'elle ne le serait chez nous, vu la manière dont les maisons étaient construites; toujours est-il qu'il leur fallut de la décision et une sorte de courage; aussi l'Évangile fait-il hautement l'éloge de leur foi.

2928. Ce fut cette foi-même qui rendit leur acte agréable au Seigneur, et, pour le leur témoigner, il commença par dire au paralytique: «O homme, tes péchés te sont pardonnés.» On ne saurait douter, d'après cela, que le paralytique ne fût venu chercher auprès du Christ la paix de son âme, encore plus que la guérison de son corps. D'un autre côté, notre Seigneur, en commençant par là le déploiement de sa miséricorde envers ce malheureux, voulut sûrement montrer deux choses: d'abord, que le pardon des péchés est la plus grande de toutes les grâces; ensuite, que les guérisons miraculeuses opérées par sa main étaient un signe, ou une figure du salut qu'il est venu nous apporter [2818]. Il voulait aussi donner naissance à l'entretien que voici, entretien fort étrange, car une seule voix s'y fait entendre, et cette voix répond à des pensées non exprimées.

2929. Quel blasphème! dirent en eux-mêmes les scribes ou docteurs, et les pharisiens. Cet homme pardonne les péchés comme s'il était Dieu; car c'est bien en son propre nom et sans se réclamer de l'Éternel qu'il le fait! Mais Jésus, répondant à ce que murmurait leur cœur: «Qu'envisagez-vous comme le plus difficile, leur dit-il, de pardonner les péchés ou de guérir par une parole?» À cela point de réponse, parce qu'en effet, il était évident que l'un n'était pas plus facile que l'autre, et que celui qui pouvait l'un, pouvait l'autre. Alors, Jésus ordonne au paralytique de se lever et d'emporter sa couchette, ce qu'il fait au même instant.

2930. Mais avant de lui donner cet ordre, notre Seigneur avait exprimé nettement dans quel but il allait agir. Il voulait montrer le pouvoir qu'il possède, non pas seulement de distribuer la vie dans les membres paralysés d'un pauvre malade, mais surtout de donner à une âme le repos et la paix éternelle. Sur la terre même, et bien que devenu un fils d'homme, il était celui qui pardonne les péchés. Or, ce qu'il fut sur la terre, il l'est encore dans le ciel, d'où il exerce sa toute-puissance pour délivrer nos âmes et pour soulager nos corps.

2931. Ce qui venait de se passer tourna magnifiquement à la gloire de Dieu. Tandis que le paralytique s'en allait le cœur plein d'amour et d'actions de grâces, les spectateurs de cette scène admirable, hors d'eux-mêmes et saisis d'effroi, disaient: «Nous avons vu aujourd'hui des choses étranges!» En effet, ils venaient de voir un homme qui pardonnait les péchés, un homme qui lisait dans les cœurs, un homme, enfin, qui, d'une parole, guérissait les paralytiques, un homme donc qui était entièrement revêtu du pouvoir divin. Quand, au sortir d'une prédication éloquente, chacun se retire le cœur pénétré d'admiration ou d'attendrissement, il y a là vraiment quelque chose pour la gloire de Dieu; mais supposez que, dans l'assemblée, il se soit rencontré une personne, une seule, à qui le discours de l'orateur chrétien ait fait trouver la paix de Dieu, cette personne, par ses nouveaux sentiments et par ses actions de grâces, glorifie le Seigneur plus encore que tous les autres par leurs émotions et leurs applaudissements. Ici est le paralytique; là sont les docteurs et les pharisiens témoins du miracle.

2932. (L. 5: 27-32; M. 9: 9-13; Mc. 2: 13-17.) Après cela, le même jour peut-être, Jésus étant sorti, passa devant le bureau du péage, où se trouvait un nommé Lévi ou Matthieu, fils d'Alphée. Cet homme, à en juger par son nom, était Lévite de naissance, mais il avait en quelque sorte renié son origine et même sa religion, son pays et son peuple, en prenant de l'emploi dans l'administration des impôts; car il s'était associé de la sorte avec des païens, oppresseurs de sa nation. Ce fut à un tel homme que, pour montrer l'infinie grandeur de sa grâce, le Seigneur voulut adresser un appel semblable à celui qu'avaient entendu André, Simon, Jacques et Jean. En même temps, nous avons ici une nouvelle preuve du pouvoir de sa parole, car lorsqu'il eut dit: Matthieu, «suis-moi,» cet homme obéit sur-le-champ. Il est possible qu'il eût vu précédemment le Seigneur; il avait certainement entendu parler de lui; toujours est-il que ce fut la parole puissante de Jésus qui détermina brusquement sa volonté, comme elle avait guéri le démoniaque, et la belle-mère de Simon, et le lépreux, et le paralytique.

2933. Lévi avait une maison à lui et il jouissait sûrement d'une certaine aisance. Avant de quitter tout cela, il voulut réunir à sa table ses anciens amis et leur procurer le bonheur d'entendre eux-mêmes celui qui venait de le prendre à son service. Ces péagers étaient des païens ou de mauvais juifs. C'est pour cela que, dans la langue des scribes et des pharisiens, ils étaient particulièrement qualifiés de pécheurs, car c'est ainsi qu'on lit dans l'original et non pas gens de mauvaise vie. Pécheurs, ils ne l'étaient pas dans le fond plus que bien d'autres; mais les pharisiens, à coup sûr, n'auraient pas consenti qu'on les leur assimilât. Aussi, furent-ils indignés de ce que Jésus pouvait manger avec de tels hommes.

2934. Hélas, ils n'avaient pas compris qui est Jésus, ni ce qu'il était venu faire. Le plus vertueux des hommes n'est pas digne de s'asseoir à la même table que lui, et, d'un autre côté, il est le Sauveur de ceux-mêmes qui paraissent les plus indignes. Un médecin donne ses soins aux malades et non à ceux qui se portent bien. En supposant donc que ces péagers fussent moralement plus malades que d'autres, c'était une raison pour que Jésus s'approchât d'eux. Ils étaient pécheurs, au dire des scribes; quoi de plus naturel, en conséquence, que de leur offrir les moyens de se convertir! Quant à ceux qui se croient bien portants et justes, ce que faisaient les détracteurs de Jésus, il est manifeste qu'ils se privent eux-mêmes de la grâce de Dieu. Tel est le sens de la réponse de notre Seigneur, et nous ne saurions trop la méditer.

2935. (L. 5: 33-38; M. 9: 14-17; Mc. 2: 18-22.) Convaincus ou non par ces paroles, les pharisiens dirigèrent l'entretien sur un autre sujet, mais toujours avec l'intention manifeste de sonder Jésus et avec le désir de le trouver en faute. Les disciples de Jean et les leurs propres jeûnaient souvent, tandis que ceux de Jésus ne le faisaient point. Le jeûne volontaire est un acte de dévotion qui avait reçu la sanction de Dieu par la bouche de ses prophètes [2490]. L'abstinence de nourriture qu'on s'imposait en ces jours-là signifiait que, pécheur, on se regardait comme indigne de vivre; d'ailleurs, le jeûne s'associe tout naturellement à la douleur et à l'affliction causée par un sincère repentir. On comprend donc que les disciples de Jean-Baptiste jeûnassent. On comprend aussi que les pharisiens tinssent beaucoup à cet acte de dévotion, bien qu'il n'eût pas pour eux le sens que nous venons de dire. Leur jeûne était tout extérieur; mais ils ne laissaient pas de l'estimer particulièrement méritoire, à cause des privations qu'on s'y imposait volontairement.

2936. Maintenant, écoutez la réponse de notre Seigneur. Il ne dit pas que ses disciples ne jeûneront jamais; au contraire, ils le feront; mais plus tard, et il y a de cela deux raisons que le Seigneur expose sous forme de paraboles. D'abord, aussi longtemps qu'il était avec eux, le jeûne eût été une sorte de contre sens. Il voulait plutôt qu'ils fussent dans la joie, comme les amis de noce en la présence de l'époux (Jean 3: 29). Ensuite, les jeûnes qu'ils célébreraient, une fois que l'époux leur serait enlevé par la méchanceté des impies, seraient d'une nature tellement spirituelle, ils supposeraient dans les âmes tant de foi et de piété, que, au moment où il leur parlait, c'eût été exiger d'eux l'impossible, que de les inviter à jeûner de cette manière. Le jeûne selon l'Évangile [2874], est comme du drap non foulé, ou comme du vin nouveau; les disciples de Jésus étaient encore un peu trop semblables à un vieil habit ou à de vieux vases: voilà par quelle cause ils ne jeûnaient pas. Le temps de jeûner à l'ancienne manière était passé pour eux; celui de jeûner dans le nouvel esprit n'était encore venu pour personne.

2937. (Luc 5: 39). Ces derniers mots vous donneront la clef d'une quatrième parabole que Luc seul nous rapporte. Les pharisiens aimaient leur vieille manière de jeûner, et tant qu'ils ne deviendraient pas de nouveaux vases, ils ne pourraient s'accommoder du jeûne chrétien. Ils étaient donc comme des hommes qui, ayant bu du vin vieux, n'en veulent point aussitôt du nouveau. De là, je conclus que le jeûne, comme toutes les autres parties du culte chrétien, et plus que nulle autre peut-être, suppose chez ceux qui s'y livrent, les dispositions d'un cœur droit et pieux. Rien donc ne semble plus contraire à l'Évangile que ces jeûnes publics auxquels on convie toute une nation. Aussi comment sont-ils célébrés? Il est de fait cependant que les antiques formes d'un culte quelconque, inspirent à la multitude et surtout à ceux que, dans la multitude, on appelle des gens religieux, une vénération opiniâtre. Cette vénération s'explique très bien quand on réfléchit que c'est fort souvent au moyen des formes religieuses qu'on parvient à se passer de religion. Or, pour ces personnes, les vieux usages, quels qu'ils soient, valent mieux que ce qu'ils appellent des nouveautés, nouveautés prétendues qui, souvent, ne sont pas autre chose que l'Évangile remis en lumière et en pratique.


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