Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DEPUIS LA SECONDE PÂQUE, JUSQU'À LA FÊTE MENTIONNÉE EN SAINT JEAN, CHAP. V, v. 1.

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CCXXIII. — Seconde Pâque; le Sabbat; Jésus voué à la mort;

élection des douze Apôtres.


2938. (Luc 6:1.) Sans qu'on puisse dire au juste ce qu'on entendait par le sabbat second-premier, il est probable que c'était le sabbat après celui de la Pâque, lorsque la Pâque elle-même ne tombait pas sur le septième jour. C'est-à-dire qu'il y avait à ce moment de l'année religieuse des Juifs, deux grands sabbats, appelés, l'un le premier et l'autre le second-premier. Le soleil du printemps brillait donc pour la deuxième fois depuis que Jésus, le soleil des justes, était entré dans son ministère. Une nouvelle Pâque venait de se célébrer, à partir de celle où nous l'avons vu purgeant le temple de la présence de ceux qui le profanaient [2741]. Il ne paraît pas qu'il se fût rendu cette fois à Jérusalem, les Évangiles du moins ne nous le disent pas; mais, poursuivant le récit de quelques-unes des choses que Jésus a dites et a faites (Jean 21: 25), ils nous racontent ce qui lui arriva dans ce sabbat second-premier; comment les pharisiens continuaient à surveiller ses démarches, et comment il saisit l'occasion qu'ils lui présentèrent de redresser leurs idées erronées sur l'observation du sabbat.

2939. Ici commence, à bien dire, la longue lutte de Jésus avec les pharisiens et les saducéens, ces puissances du présent siècle qui, instruments du prince des ténèbres, finirent par remporter contre le Seigneur une victoire sanglante, mais se perdirent par leur victoire même, selon les prophéties [102, 103]. Vigoureusement repris par Jean-Baptiste à cause de leur hypocrisie, les pharisiens et les saducéens ceux-là surtout, avaient dû garder dans leur cœur une profonde haine pour le saint messager du Messie, et cette haine se reporta naturellement sur Jésus. Après cette terrible humiliation, et lorsque le Seigneur eut ensuite fait entendre sa voix, il leur fut facile de comprendre que leur règne tendait à sa fin; rien en conséquence ne devait leur coûter pour conjurer l'orage qui les menaçait. Plus le peuple se pressait autour de Jésus, plus leurs frayeurs augmentaient. Croire et se convertir, voilà ce qui aurait changé leurs anxiétés en allégresse, mais voilà, d'un autre côté, ce qu'ils ne voulaient à aucun prix et nous en verrons plus tard les raisons.

2940. (Luc 6: 1-5; Matth. 12: 1-8; Mc. 2: 23-28). Un jour donc que notre Seigneur traversait un champ de blé avec ses disciples, ceux-ci, pressés par la faim, arrachèrent des épis et, les broyant dans leurs mains, ils se mirent à les manger. L'acte lui-même n'avait rien de répréhensible, puisque la loi de Moïse l'autorisait (Deut. 23: 24,25); aussi les pharisiens n'eurent pas même l'idée d'y voir une indélicatesse. Mais ce jour était un sabbat, et parce que Moïse avait défendu d'allumer, ce jour-là, du feu dans sa demeure (Exode 35: 3), les pharisiens estimaient qu'en broyant les épis, ce qui était préparer sa nourriture, les apôtres avaient enfreint le commandement. C'est jusque-là qu'ils avaient porté leurs exagérations formalistes, et le mal datait de loin [2567]. Les Juifs, délivrés de la captivité, ne retournèrent plus au culte des idoles, comme l'avaient fait si souvent leurs ancêtres; mais on peut dire qu'ils étaient devenus idolâtres des formes de leur culte, et si les pharisiens exerçaient une si grande influence, c'est qu'ils prenaient sous leur protection cette idolâtrie nouvelle.


2941. Pour qu'ils comprissent tout à la fois leur erreur et leur injustice, le Seigneur commença par rappeler ce qui était arrivé à David, du temps d'Abiathar, fils et successeur immédiat du sacrificateur Abimélec [1417-1419]. Si, dans une nécessité pressante, David et ses gens avaient pu manger des pains consacrés, Jésus et ses disciples pouvaient bien aussi, sans sacrilège, broyer des épis dans leurs mains le jour du sabbat. Ensuite il leur représenta que, ce jour même, les sacrificateurs travaillaient, pour le service de Dieu, autant et plus que les autres jours. Par ces deux considérations, il voulait leur faire sentir, non pas que la loi de Dieu sur le sabbat ne dût pas être observée, mais qu'ils en méconnaissaient la vraie signification, comme au reste celle des autres points de la loi [2848]. L'Éternel n'avait pas entendu que tout travail quelconque fut interdit et qu'on dut plutôt se laisser mourir de faim. C'est donc le sabbat des pharisiens que Jésus condamne, et non pas celui des deux tables [746].

2942. Après cela, Jésus reproche à ses adversaires leur manque de compassion, faute bien plus grave que celle qu'il leur plaisait de relever, ou plutôt d'imaginer. Car, si la cessation des travaux ordinaires de la semaine est indispensable pour faciliter la sanctification du sabbat; si, par conséquent, cette suspension générale du travail fait partie de la loi immuable du Seigneur, il n'en est pas de même des règlements de détail relatifs à ce jour. Ils appartenaient plutôt aux ordonnances cérémonielles, ou à la loi civile des Juifs [763, 785]; et, bien que ces ordonnances et cette loi ne fussent point en opposition avec les lois éternelles de la morale, il est clair cependant que «miséricorde est plus que sacrifice.» La charité sanctifie le jour du repos, mieux encore que la suspension du travail. C'est, je pense, ce que notre Seigneur voulut faire comprendre aux pharisiens, en leur citant la parole du prophète Osée, ch. 6, vers. 6.

2943. Bien plus, le Seigneur déclare que «le sabbat a été fait pour l'homme, et non pas l'homme pour le sabbat» (Marc 2: 27.) Ce n'est pas dire que l'homme puisse en faire un jour de dissipation ou de nonchalance, un jour de fatigues inutiles après les fatigues légitimes de la semaine; car cette manière de passer le sabbat serait funeste à l'homme au lieu de lui être avantageuse. Toujours est-il que nous ne devons jamais devenir esclaves des formes. Étant admis que nous avons besoin d'un jour où nos travaux ordinaires soient régulièrement interrompus, afin de nous occuper plus exclusivement de notre âme et de Dieu, il demeure évident qu'une occupation momentanée, passagère, une occupation importante, nécessaire, une occupation qui d'ailleurs ne va pas à contre sens de la sanctification, ne saurait être absolument répréhensible ce jour-là.

2944. Remarquez au surplus que notre Seigneur a dit: «pour l'homme,» et non pas «pour le Juif seulement.» C'est qu'en effet la consécration d'un jour sur sept, est fort antérieure à l'existence du peuple d'Israël. Elle a eu lieu dans l'intérêt de l'homme en général, de l'homme même avant sa chute [47]. Or, de ce que le chrétien est devenu, par la grâce de Dieu, une nouvelle créature, il ne s'ensuit pas qu'il n'ait pas besoin de mettre un jour à part pour le service de son Dieu. Bien loin que ce soit un fardeau pour lui, il y voit un de ses privilèges. Au vrai chrétien, tous les jours sont de saints jours; mais ils ne le sont pas plus pour lui qu'ils ne l'étaient pour Adam avant son péché. Si donc, comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est le sabbat des pharisiens que notre Seigneur désavoue et non celui de Moïse, à plus forte raison n'est-ce pas l'institution primitive du saint repos des enfants de Dieu, puisqu'il la sanctionne au contraire par l'allusion qu'il y fait.

2945. Ce n'est pas à dire que notre Seigneur n'eût pu, s'il l'avait voulu, supprimer l'institution primitive elle-même, vu qu'il est «le Seigneur du sabbat.» (L. 6: 5; M. 12: 8.) Plus grand que le temple, car il est celui que «les cieux, même les cieux des cieux ne peuvent contenir» (2 Chron. 6: 18), il est le maître d'abroger le sabbat, comme il a été le maître de l'établir (M. 12: 6). Si donc il souffrait que ses disciples broyassent des épis, ce jour-là, comment douter qu'ils ne fissent ce qui était parfaitement légitime. Et si, plus tard, nous voyons ces mêmes disciples, conduits par l'Esprit de leur Seigneur, modifier d'une manière quelconque la solennisation du jour du repos, qui dira qu'en cela ils aient agi sans juste autorité?

2946. (L. 6: 6-10; M. 12: 9-13; Mc. 3: 1-5.) Peu après, semble-t-il, Jésus étant entré, un jour de sabbat, dans une synagogue, des scribes (hérodiens, pour la plupart, c'est-à-dire saducéens), l'y suivirent, accompagnés de quelques pharisiens. Ils espéraient sans doute qu'il leur fournirait l'occasion de renouveler leurs attaques au sujet du sabbat. Ils attachaient une très haute importance à le convaincre de péché sur ce point, car rien n'eût été plus propre à lui aliéner la multitude. Or, il se trouvait en la synagogue un homme qui avait la main droite privée de mouvement et de vie. Comme il implorait sans doute la compassion du Seigneur, les scribes et les pharisiens demandèrent à Jésus s'il était permis de faire des guérisons le jour du sabbat. Il paraît que leurs médecins mêmes s'abstenaient de visiter alors les malades, et ils s'efforçaient de ne voir en Jésus qu'un homme qui guérissait merveilleusement les infirmités physiques. À de tels adversaires, la meilleure manière de répondre est souvent de leur adresser à son tour des questions qui leur ferment la bouche. C'est ce que fit notre Seigneur, comme vous le verrez dans les Évangiles, et ses interlocuteurs n'ayant évidemment rien à répondre, Jésus conclut l'entretien par ces mots tout simples: «II est donc permis de faire du bien le jour du sabbat.»

2947. En rapprochant ce récit de celui qui précède, il est évident que le Seigneur du sabbat a voulu déterminer le genre d'œuvres qui s'accommodent avec le repos religieux. Dans l'intérêt de notre âme, comme dans celui du prochain et pour la gloire même de Dieu, il est bon que le culte du saint jour abonde en actes de bienfaisance. Ce n'est pas à une vie contemplative que le Seigneur nous appelle, ce n'est pas non plus en multipliant outre mesure les dévotions que nous entrons le mieux dans ses vues. Tous les jours, les disciples de Jésus doivent être, comme lui, prêts à faire de bonnes œuvres, mais combien plus encore dans le jour qu'il s'est consacré.

2948. Marc nous dit qu'avant d'opérer la guérison du pauvre infirme, le Seigneur promena sur les pharisiens un regard de colère et de tristesse tout à la fois (3: 5); puis, les trois évangélistes parlent de la fureur dont les ennemis de Jésus-Christ furent remplis en cet instant et des projets de mort qu'ils commencèrent à former contre lui (L. 6: 11; M. 12: 14; Mc. 3: 5, 6). Là, une sainte colère, une vive et juste indignation, tempérée par une douleur non moins sainte; ici, la colère cruelle de l'homme, l'aveuglement de la passion, une haine violente toujours prête à répandre le sang! Ce fut donc ce jour même que la perte de notre Seigneur fut jurée. Le complot s'effectua seulement deux ans plus tard, parce que, après tout, Jésus donna sa vie quand il le voulut. Dès ce moment, toutefois, il dut user de précautions pour éviter les pièges que lui tendirent ses ennemis.

2949. (M. 12: 15-21; Mc. 3: 7-12). Ainsi, à cette époque même, il jugea bon de s'éloigner pendant quelque temps du théâtre ordinaire de ses travaux et de recommander fortement à ceux qui le suivirent, ou qui, de diverses contrées, se rendirent vers lui, de ne pas divulguer les choses dont ils étaient les témoins. Or, dit Matthieu, voilà comment s'accomplit un des beaux oracles d'Ésaïe (42: 1-4). «Le Serviteur, l'Élu de l'Éternel, en qui habitait l'Esprit-Saint, ne fut point un homme ami des débats. S'il dut proclamer les jugements de Dieu, ce ne fut pas avec la pensée d'ameuter le peuple contre ceux qui l'opprimaient et le pervertissaient. Lui-même, c'est avec une grande patience qu'il a attendu le jour où il doit revenir pour donner victoire à la justice divine. Cependant, il se montra plein de compassion envers les ignorants et envers les pécheurs humiliés, roseaux froissés, lumignons fumants; en sorte que des hommes de toutes nations, de Tyr et de Sidon, de l'Idumée et de delà le Jourdain,

2950. (L. 6: 12-16; M. 10: 2-4; Mc. 3: 13-19.) Ce fut dans ce temps que Jésus adressa décidément à douze de ses disciples, la vocation qui devait leur donner une place à part dans l'administration de son royaume spirituel. Acte d'une grande solennité, car le Seigneur s'y prépara en passant toute une nuit dans la prière. Puis, quand il fut jour, il appela la multitude de ses disciples, et, d'entre eux, il en choisit douze, qu'il destinait à être continuellement avec lui, pour prêcher plus tard en tous lieux sa doctrine. Si l'on met en regard les listes qui nous sont données par les trois évangélistes, on y remarque à première vue des différences considérables en apparence, mais qui ne le sont pas en réalité.

2951. D'abord, il y a différence dans l'ordre des noms. Luc et Matthieu disent Simon, André, Jacques et Jean, pour les quatre premiers; Marc dit: Simon, Jacques, Jean et André. Le cinquième et le sixième: Philippe et Barthélemy, sont placés de même dans les trois Évangiles. Luc et Marc portent ensuite Matthieu, Thomas et Jacques, et l'autre Évangile porte Thomas, Matthieu et Jacques. En voilà donc neuf qui, sauf un changement de place, se trouvent parfaitement identiques. Le douzième ne l'est pas moins; c'est, dans les trois Évangiles, Judas Iscariot. Quant au dixième et au onzième, nous avons:

en saint Luc en saint Matthieu en saint Marc
Simon Lebbée Thaddée
Jude Simon Simon

d'où il résulte que Jude, Lebbée et Thaddée doivent être trois noms d'un seul et même individu. Son nom primitif était Jude ou plutôt Judas, comme dit le grec. Or ce nom de Judas, porté par deux apôtres (aussi bien que ceux de Simon et de Jacques), ce nom de Judas étant devenu odieux à des oreilles chrétiennes depuis la trahison de l'Iscariote, on conçoit que l'autre Judas ait été de préférence désigné par son nom de Lebbée, homme de cœur; puis, qu'on y ait même ajouté plus tard un autre surnom encore plus propre à le distinguer de son homonyme: Thaddée, qui veut dire le Confesseur.

2952. Voici donc quels furent les douze apôtres, avec les surnoms qui les distinguaient:

1. Simon, Pierre ou Céphas [2721].
2. André, son frère [2720, 2721].
3. Jean et
4. Jacques, fils, l'un et l'autre, de Zébédée, et appelés Boanerges, ou les fils du tonnerre [2810].
5. Philippe [2723]
6. Barthélemy, que plusieurs croient être Nathanaël [2723, 2724].
7. Matthieu, autrement Lévi [2932].
8. Thomas, appelé aussi Didyme, ou le Jumeau.
9. Jacques, fils d'Alphée.
10. Simon, le Zélé, ou le Cananite (de Cana).
11. Judas, frère de Jacques, surnommé Lebbée et Thaddée.
12. Judas l'Iscariote.

Quant à Jacques, frère de Lebbée, dont le nom paraît occasionnellement dans cette liste, ce ne doit être ni le Jacques frère de Jean, ni Jacques fils d'Alphée, mais le frère même du Seigneur, comme nous le verrons autre part; d'où il résulterait que Judas, surnommé Lebbée et Thaddée, était fils de Joseph et de Marie, la mère de Jésus.

2953. Des douze, il en est trois ou quatre que nous connaissons déjà quelque peu, et par eux nous pouvons juger des autres. Rien ne les distinguait de leurs compatriotes, si ce n'est la grâce que le Seigneur daigna leur faire. Parmi eux point de riches ni de puissants, point de docteurs, point de magistrats, point de sacrificateurs. Nul savoir, nulle éloquence ne les recommandait particulièrement à l'attention publique. C'est qu'il convenait à Jésus d'avoir pour apôtres des hommes qui n'eussent, selon le monde, aucune chance de succès, afin que leur œuvre parût d'autant mieux l'œuvre de Dieu. Quant à leur titre d'Apôtres, il ne signifie rien de plus que missionnaire ou envoyé; et si maintenant on y ajoute celui de saint, saint Pierre, saint Jean, saint Matthieu, tandis qu'on ne dit pas saint Moïse, saint Ésaïe et saint Jérémie, c'est par un usage que le Nouveau Testament ne justifie d'aucune sorte. Sans doute que ces pauvres pécheurs devinrent de saints hommes; mais ce ne fut pas de leur mission ou de leur apostolat qu'ils tinrent leur sainteté, ce fut de leur foi; et par là, tout vrai chrétien peut être saint aussi bien qu'eux: tous, d'autre part, ne peuvent être apôtres.


CCXXIV. — Discours de la plaine. Le capitaine de Capernaüm.

Le jeune homme de Naïn.


2954. (Luc 6: 17-19.) Escorté dès ce moment par les douze, mais non pas sans interruption, notre Seigneur continua de faire entendre sa voix de lieu en lieu, et de manifester sa gloire par des guérisons miraculeuses; en sorte qu'on venait à lui de toute la Judée et de la contrée maritime de Tyr et de Sidon, c'est-à-dire du midi et du nord [2949]. Juifs et Gentils se pressaient autour de sa personne. Or, la puissance qui agissait par lui était telle que, seulement de le toucher on était guéri. Belle image des merveilles de la foi qui nous met en rapport avec Jésus-Christ, et, par là, nous communique sa propre vie.

2955. Cependant, tous ceux qui allaient au Seigneur n'y allaient pas en disciples. L'Évangile désigne sous ce nom les personnes qui avaient à cœur de s'approprier les enseignements de Jésus; et Jésus à son tour ne manquait pas d'exprimer ce qu'il attendait de ceux qui l'appelaient Docteur et Seigneur. C'est ce qu'il fit précisément à cette époque, où tant de gens s'étaient attroupés pour l'entendre. Le discours qui sortit alors de sa bouche (20-49) offre tellement d'analogie avec celui de la Montagne, que plusieurs n'y voient qu'un seul et même discours. Mais, en admettant que notre Seigneur s'y soit intentionnellement servi de termes semblables, les différences sont assez essentielles pour qu'on les envisage comme deux discours prononcés à quelque temps l'un de l'autre; l'un sur une montagne près de Capernaüm, l'autre dans une plaine au pied d'un des monts qui dominent la rive nord-est du lac de Génézareth; l'un adressé aux disciples, l'autre à la multitude; celui-ci, par cette raison même, plus court que le précédent et contenant toutefois des développements qu'il comportait beaucoup mieux.

2956. Il s'ouvre aussi par des béatitudes, mais elles sont moins nombreuses et il n'en est pas une qui se lise exactement dans les mêmes termes (20-23). La différence est telle, qu'ici notre Seigneur semble avoir principalement à cœur de consoler, par la perspective des biens célestes, ses disciples pauvres et malheureux; tandis que, dans le discours de la Montagne, s'il est parlé de misère et d'affliction, c'est au sens spirituel; c'est une affliction et une misère qui sont en elles-mêmes un vrai bonheur, puisqu'on doit y voir des effets et des gages de la grâce de Dieu. Par cela même que, dans son discours actuel, le Seigneur s'en tient à des idées plus générales, et, si je puis dire ainsi, d'un ordre plus extérieur et plus terrestre, il ne parle, cette fois, ni des débonnaires, ni des miséricordieux, ni de ceux qui ont le cœur pur, ni enfin de ceux qui procurent la paix.

2957. Après cela, notre Seigneur complète son discours par des menaces qui n'avaient point paru dans le précédent(24-26). Malheur, malheur, malheur aux heureux du siècle, s'écrie-t-il; car c'est à cela que reviennent ses paroles. Oui, malheur à ceux qui n'ont d'autres richesses que celles de la terre, qui y cherchent le rassasiement de leur cœur, qui ne songent qu'à se divertir et qui tiennent par-dessus tout à l'approbation des hommes! Malheur à eux! tous leurs biens étant de la terre, quand ces biens viendront à leur manquer, rien ne leur restera que la détresse et les lamentations de la mort.

2958. Parmi les idées nouvelles que renferme l'introduction de ce discours, remarquez l'endroit où Jésus énumère les maux auxquels ses disciples seraient exposés de la part des méchants (22). Ils vous haïront: ivres de haine, ils vous rejetteront du milieu d'eux, par la mort même s'il le faut; tout au moins ils vous abreuveront d'outrages, et le nom que vous porterez comme disciples du Fils de l'homme deviendra un terme de mépris; on inventera même des épithètes insultantes pour vous désigner à la haine publique. Comme ces paroles se sont vérifiées dans tous les temps!

2959. Voyez ensuite combien peu un chrétien, un ministre de Jésus-Christ surtout, doit s'attendre à recueillir l'estime et l'approbation des mondains (26). Ce ne pourrait être que par le sacrifice de ses convictions, ou par son peu de zèle à confesser et à servir le Seigneur. Il faudrait qu'il consentît à suivre, quelque peu du moins, la multitude pour mal faire. Aussi Jésus dit-il à ses disciples: «Malheur à vous quand tous les hommes diront du bien de vous!»

2960. (27-38). Les instructions suivantes se retrouvent généralement, et en diverses places, dans le sermon de la Montagne, avec certaines différences néanmoins dont nous devons signaler les principales. Jésus avait dit: «Vous serez donc parfaits comme votre Père qui est dans les cieux est parfait; » il présente maintenant cette idée en d'autres termes: «Soyez miséricordieux comme aussi votre Père est miséricordieux.» Ce qui, par-dessus tout, rend l'Éternel aimable au pécheur, c'est sa miséricorde; que ce soit donc aussi là ce que nous ayons le plus de zèle à imiter. Tout de suite après, Jésus explique ce qu'il entend par «juger» [2908]. Le développement qu'il ajoute est destiné à nous montrer que, non seulement devant Dieu, mais encore auprès de nos semblables, nous rencontrerons l'indulgence et le support à proportion de ce que nous serons nous-mêmes indulgents et miséricordieux.

2961. La parole qu'on lit au verset 39 ne se voit pas dans le discours de la Montagne; mais le même enseignement s'y trouve sous une autre forme (Matth. 7: 15) [2916]. Tout faux docteur est un aveugle qui veut guider un aveugle; or, si un aveugle se met sous la direction d'un aveugle tel que lui, il tombera dans la fosse avec son guide. Cette déclaration du Seigneur ne devrait-elle pas faire trembler tant de catholiques, et aussi de protestants, qui croient pouvoir se décharger sur leurs prêtres et sur leurs ministres de toute responsabilité morale; car le Seigneur n'entend pas que nous suivions aveuglément les directions des docteurs; il faut au contraire que chacun juge pour soi-même, en s'éclairant de la Parole de Dieu et des lumières que le Saint-Esprit donne à ceux qui les lui demandent.

2962. (40.) Comment ne pas voir à quoi l'on s'expose en écoutant les faux prophètes! «Le disciple n'est pas au-dessus de son docteur; mais, formé, tout disciple sera comme son docteur.» Il est rare, en effet, de rencontrer des hommes qui veuillent réellement savoir autre chose et mieux que ceux qui les enseignent. Si donc nous suivons de mauvaises leçons, nous ne pouvons sans miracle ne pas devenir toujours pires.

2963. (41-49.) La fin du discours ne présente rien au fond qui ne soit dans le précédent. Il s'y trouve toutefois une expression qui étonne au premier abord, «L'homme bon,» dit notre Seigneur! Mais, y a-t-il réellement des hommes bons, et lui-même n'avait-il pas dit: «Vous, méchants comme vous l'êtes?» (Matth. 7: 11.) Ce n'est là qu'une opposition apparente. Jésus a voulu dire, ou un homme devenu bon par la grâce de Dieu, ou un homme qui serait bon, à supposer qu'il pût y en avoir de tels. Ce qui demeure vrai, d'une vérité absolue et sans réplique, c'est qu'il ne peut sortir de nous que ce qui y est. Le cœur est-il bon parce qu'il est converti? Il y a là un bon trésor d'où sortent de bonnes choses. Est-il au contraire méchant ou non-converti? Il ne peut sortir que de mauvaises choses de ce mauvais trésor; car «de l'abondance du cœur la bouche parle.» Qu'il y ait donc en nous abondance de foi, de piété, de charité, d'humilité, et nos discours porteront nécessairement l'empreinte de ces grâces du Saint-Esprit.

2964. (L. 7: 1-10; M. 8: 5-13.) Après cela, nous retournons avec Jésus à Capernaüm. Là se trouvait un homme dont l'histoire est d'un grand intérêt. C'était un capitaine romain qui vivait sans doute depuis assez longtemps en Judée, où l'empereur Tibère entretenait des troupes, afin de maintenir sa domination. Ce capitaine, né païen, avait appris au milieu des Juifs à connaître le vrai Dieu, et tout ce qu'on disait de Jésus étant parvenu à ses oreilles, il ne douta pas qu'il ne fût un envoyé du Très-Haut. Auparavant encore il avait montré la ferveur de sa foi en bâtissant à ses frais une synagogue, générosité qui l'avait rendu fort cher aux habitants de la ville.

2965. Cet homme, riche et considéré, avait un esclave paralytique. Un esclave, aux yeux des païens, n'était pas un objet auquel on prît un intérêt de cœur; mais, instruit par la Bible à aimer son prochain comme lui-même, le capitaine fit pour son esclave ce qu'il aurait fait pour son propre fils. D'un autre côté, bien que sa position sociale le plaçât beaucoup au-dessus de Jésus de Nazareth, il crut, par humilité, ne pas devoir se présenter lui-même devant le Seigneur. Matthieu parle comme si le capitaine se fût rendu de sa personne auprès de Jésus, mais en comparant les deux récits, on voit que, si peut-être il sortit de sa maison avec ses amis juifs, ce fut par leur canal qu'il voulut communiquer avec notre Seigneur.

2966. L'humilité du capitaine fut pour le moins égale à sa charité, et l'une et l'autre venaient de sa foi. Il parla, ou fit parler à Jésus (cela revient au même), comme un homme qui croyait à la toute-puissance du Sauveur: Une parole de ta bouche suffit pour rendre la vie! Ah! plût à Dieu que tous mes lecteurs eussent une foi pareille; car rien n'est refusé à ceux qui se confient en Jésus.

2967. La foi! voilà donc ce qui nous rend agréables à Dieu et ce qui nous fait avoir part à ses grâces, en même temps que la foi est elle-même une grâce de Dieu. Les Juifs estimaient que le capitaine méritait que Jésus fit quelque chose pour lui, parce qu'il leur avait bâti une synagogue et qu'il aimait leur nation; ainsi jugent les hommes. Le capitaine, au contraire, bien que digne de l'estime et de la reconnaissance publiques, se considère comme indigne de recevoir Jésus sous son toit; ainsi se juge le pécheur que la grâce divine a touché. Jésus applaudit à la foi du capitaine et exauce sa prière aux termes de sa foi; c'est ainsi que le Seigneur juge et fait à son tour.


2968. Ce capitaine, au surplus, fut, parmi les païens, un des premiers, si ce n'est le premier de ceux qui reçurent la parole du salut. Aussi notre Seigneur déclare-t-il, à cette occasion, qu'au jour de sa venue, il y aura beaucoup d'hommes, nés païens, qui seront envisagés comme ayant fait partie de la famille d'Abraham [314]; tandis que les enfants du royaume, savoir une foule de Juifs et de soi-disant chrétiens, seront désavoués par le Seigneur et jetés là où sont les ténèbres et les cris du désespoir. Parole sérieuse et que je recommande vivement à l'attention de mes lecteurs, afin qu'ils mesurent le danger qui les menace, s'ils n'ont pas la foi du capitaine de Capernaüm.

2969. (Luc 7: 11-17.) Le jour suivant, Jésus partit pour la ville de Naïn, située au pied du mont Thabor [1160], à sept ou huit lieues environ de Capernaüm. Il y arriva sur le soir, accompagné de nombreux disciples avec lesquels il avait pu faire la plus grande partie du trajet par le lac. Chemin faisant une grande foule s'était jointe à eux. Ils rencontrèrent alors un de ces lugubres, convois qui traversent si souvent nos villes et nos campagnes. On portait en terre le corps d'un jeune homme, fils unique d'une veuve. Celle-ci, suivant l'usage des Juifs, usage qui existe de nos jours en plusieurs pays, faisait partie du cortège et sans doute beaucoup d'autres femmes de la ville avec elle. La douleur de cette pauvre mère était profonde, déchirante. Jésus s'approche d'elle et lui dit: «Ne pleure pas.» Il va à la bière et la touche, les porteurs s'arrêtent; le jeune homme est appelé par la voix de Celui qui avait rendu la vie à la main de l'impotent (6:10) et le mort, tout mort qu'il est, entend cette voix; il se réveille, et son heureuse mère le reçoit une seconde fois de la main du Seigneur!

2970. Ce nouveau miracle de Jésus fit sur tous une impression prodigieuse et cela se conçoit. Il ne faut pas plus de puissance pour ressusciter un mort que pour guérir un paralytique par une parole; mais le retour à la vie est quelque chose qui saisit plus fortement la pensée. Aussi n'y eut-il, au milieu de cette foule confuse, qu'un long cri de stupeur et d'admiration; ce qui ne veut pas dire que tous eurent à ce moment la foi vivante et efficace du capitaine de Capernaüm. Quant à nous, ce miracle doit nous affermir dans la conviction que le Seigneur est puissant pour rendre la vie à nos corps mortels. Croyons en lui du fond de l'âme, et, au jour où il visitera son peuple, il nous fera certainement sortir du sépulcre, pour célébrer la gloire de Dieu durant l'éternité. Puis il faut que les mères chrétiennes qui ont dû rendre à la terre les objets de leur tendresse, se souviennent que Jésus compatit à de telles douleurs, aujourd'hui comme alors.


CCXXV. — Jean-Baptiste en prison.


2971. (L. 7: 18-23; M. 11: 2-6.) Nous avons entendu notre évangéliste raconter, par anticipation, l'emprisonnement du fils de Zacharie [2684]. Bien qu'on ne sache pas au juste à quelle époque le Seigneur jugea bon d'éprouver ainsi son serviteur, il paraît que ce ne fut pas fort longtemps après la belle prédication qui nous est rapportée par saint Jean (3: 27-36). Il semble même que l'Esprit de Dieu eût donné au grand prophète du Messie le pressentiment de ce qui l'attendait, car il avait dit en parlant de Jésus: «Il faut qu'il croisse et que moi je diminue» (Jean 3: 30). Oui, il fallait désormais que l'attention se concentrât sur notre Seigneur, et ce fut sans doute un des motifs pour lesquels il permit que son fidèle précurseur fût jeté dans une prison; il fallait aussi qu'on pût voir en lui le prélude du sort qui fut fait à Jésus-Christ lui-même et que partagèrent plus tard tant de ses disciples.

2972. Jean était donc en prison depuis plusieurs mois, lorsqu'il entendit parler des grandes œuvres que Jésus faisait dans la Galilée, province dont Hérode était le tétrarque (Luc 3:1). Quelle consolation pour lui! vous direz-vous sans doute. N'est-ce pas maintenant que sa joie doit être parfaite, car d'immenses multitudes se pressent autour de Jésus et c'est là tout ce que le Précurseur désirait 1 (Jean 3:29.) Hélas! le fils de Zacharie fut homme aussi bien que nous; et, plus que nous, sans doute, il dut avoir Satan pour ennemi. Comme nous, comme Jésus lui-même, il eut des tentations à combattre; et, selon des expériences mille fois répétées, cet homme fort et énergique, une fois repoussé de son champ d'activité, ne put échapper à une sorte d'abattement.

2973. Quelques interprètes pensent que ce fut dans l'intérêt de ses disciples et non dans le sien que Jean les envoya demander à Jésus s'il était bien le Christ. Mais cette interprétation n'a pas la vraisemblance de celle qui, prenant les choses dans leur plus grande simplicité, admet que Jean fut à cette heure tourmenté de doutes cruels et sous le poids d'un profond découragement. Et pourquoi non? Jean était-il impeccable? N'a-t-il pas pu se passer en son âme quelque chose de pareil à ce qui jeta jadis tant de trouble et de péché dans celle d'un Moïse (Exode 5: 22,23; Nombr.20: 1-13), d'un Élie (I Rois 19: 3, -4) et d'un Jérémie (Jér. 20: 7-18). Représentez-vous cet homme de Dieu gémissant depuis longtemps sous une captivité que ses persécuteurs assurément ne cherchaient pas à alléger. Jésus se tient éloigné de lui, et il n'a pas plus l'air de penser au prisonnier que s'il n'existait pas. Cependant quelques disciples de Jean viennent le visiter, et peut-être sont-ils de ceux qui n'ont point encore voulu recevoir Jésus comme le Christ. Quelle belle occasion pour Satan 1 comme il va murmurer au cœur de Jean des paroles d'incrédulité!  «Ne serais-tu point victime d'une illusion? Ce que tu crois avoir vu et entendu au baptême de Jésus était-il bien réel? Comment t'expliques-tu qu'il t'abandonne à ton mauvais sort et qu'il ne t'en retire pas par sa puissance?» Que sais-je encore? Car le cœur de l'homme est faible, il est raisonneur, il est par nature plein de ténèbres, et Satan hait un enfant de Dieu à proportion des grâces que celui-ci a reçues, de la sainteté à laquelle il est parvenu.

2974. Un fidèle, cependant, qui se voit momentanément la proie du doute et par conséquent dans le chemin de l'incrédulité, ne se conduira pas à la manière des incrédules. Ceux-ci fuient la lumière, le fidèle éprouvé la recherche. Jean ne saurait se plaire dans la position cruelle et périlleuse où se trouve son âme, il veut s'en arracher et, recourant au meilleur de tous les moyens, il envoie à Jésus, ne pouvant y aller lui-même. Or, le Seigneur ne trompe jamais l'attente de ceux qui se confient en lui. Après avoir fait devant les messagers de Jean divers signes propres à attester sa puissance, il les congédie en mettant dans leur bouche des paroles analogues à celles par où les prophètes avaient annoncé que le Christ opérerait des miracles et précisément des miracles de cette nature. Ainsi donc les œuvres que Jésus faisait et les prophéties qu'il accomplissait par ces œuvres mêmes, voilà ce qui devait bannir toute espèce de doutes du cœur de Jean-Baptiste. Jésus ajouta un mot que les messagers ne pouvaient manquer de rapporter à leur maître: «Et bienheureux est celui qui n'aura pas en moi une occasion de chute» (23), tel est le sens du passage d'après celui du mot «scandale.»

2975. Jean, comme Moïse, comme Job et tant d'autres, avait cédé au découragement, parce qu'il ne concevait pas la conduite du Seigneur à son égard. C'est ainsi qu'il avait eu en Jésus une occasion de chute, ou, pour me servir des termes usités, c'est ainsi que Jésus lui avait été en scandale ou en pierre d'achoppement. Or, maintenant même, il est dans la Parole de Dieu, dans les œuvres de Dieu, dans le salut de Dieu, une foule de choses qui peuvent être et qui sont quelquefois pour nos âmes des pierres d'achoppement. Mais voici le propre de la foi. C'est de nous porter à dire, contre toute apparence contraire: «Et pourtant la Bible est de Dieu; tout ce que Dieu fait est bien fait; il n'y a pas d'autre Sauveur que Jésus, ni d'autre salut que le sien! Bienheureux est l'homme qui ne se scandalise pas à son occasion!»

2976. (L. 7: 24-28; M. 11: 7-11.) Puis, comme la foule qui entourait Jésus pouvait à son tour se scandaliser de la question que Jean lui avait fait adresser, notre Seigneur s'empressa (les envoyés de Jean étant partis) de relever dans l'esprit du peuple cet homme éminent entre tous les serviteurs de Dieu. Si quelques doutes l'avaient ému, ce ne pouvaient être que des doutes passagers. Car, pour savoir ce que valait un tel homme, on n'avait qu'à se rappeler le temps où sa voix se faisait entendre dans le désert. Certes, Jean ne s'y était pas montré semblable à un roseau agité par lé vent! Si, d'un autre côté, l'on voulait se rappeler la vie austère qu'il menait alors, on acquerrait bientôt la certitude que son découragement ne provenait pas des rigueurs de la captivité. Dans tous les cas, et bien qu'un nuage fût venu couvrir un instant son soleil, nul doute que Jean-Baptiste ne fût un prophète, plus grand, à certains égards, que tous les autres. Prophétisé par Ésaïe et par Malachie [2670, 2671], figuré par le grand prophète Élie, rempli du Saint-Esprit dès le ventre de sa mère, c'est lui qui avait eu la gloire d'ouvrir par ses proclamations le règne de l'Évangile et de concourir à la sainte onction du Fils de Dieu. Quel ministère que celui de Jean!

2977. Notre Seigneur déclare toutefois que le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que Jean-Baptiste; parole mystérieuse qu'on explique de diverses manières. Si l'on entend par le royaume des cieux l'économie évangélique actuelle, il est vrai que le moindre chrétien, à le supposer animé de la foi que ce nom suppose, possède des lumières et des assurances dont Jean-Baptiste ne pouvait encore jouir. Rien ne remplace les faits accomplis, et ceux qui ont vécu après la mort et la résurrection de notre Sauveur ont dû avoir dans leur foi des clartés et une certitude qui manquèrent nécessairement à Jean-Baptiste. Puis, si l'on entend par le royaume de Dieu, le règne éternel et glorieux du Seigneur, celui qu'il exerce et qu'il exerça toujours sur les anges fidèles, celui dont ses serviteurs feront partie au jour de sa venue, il est certain, non pas que Jean y sera le plus petit assurément, mais que le plus petit dans ce royaume est de beaucoup au-dessus de ce qu'était Jean au moment où notre Seigneur prononça cette parole. Il a donc voulu dire qu'ici-bas les plus pieux et les plus saints ne sont point encore ce que la grâce du Seigneur les fera devenir un jour. C'est pourquoi nul ne doit se scandaliser de la chute momentanée du fils de Zacharie. «Il était encore de la terre et il parlait comme étant de la terre» (Jean 3: 31). 

2978. (L. 7: 29, 30; M. 11: 12-15.) Quoi qu'il en soit, Jean fut bien réellement un homme de Dieu, et tous ceux qui acceptèrent son baptême, justifièrent Dieu par cela même, ou reconnurent que Jean était l'interprète fidèle de la justice do l'Éternel. Quant aux pharisiens, en méprisant le baptême de Jean, ils rejetèrent le conseil de Dieu et s'exposèrent volontairement aux coups de sa justice. Il faut dire aussi qu'on n'entre pas au royaume des cieux sans se faire quelquefois de rudes violences et qu'on trouve sur son chemin des obstacles qu'il faut savoir écarter avec une grande vigueur; c'est pourquoi notre Seigneur parle de ce royaume comme d'une conquête à faire de vive force, et c'est là ce que beaucoup d'oreilles ne veulent pas entendre. On voudrait appartenir à Jésus-Christ et continuer mollement son train de vie ordinaire. Or, ce n'est pas possible.

2979. (Luc 7: 31-35; Matth. 11: 16-19). Parmi ceux qui rejetèrent la prédication de Jean, plusieurs prétextèrent la singularité de son genre de vie, et, à cause de cela, ils osèrent même l'accuser d'être possédé du démon, comme de nos jours on traite de fous ceux qui prennent l'Évangile au sérieux. Puis, Jésus étant venu, lui qui n'avait rien d'étrange dans sa manière de vivre, voilà ces mêmes hommes qui se font austères pour le condamner, et qui l'accusent d'être un mangeur et un buveur. C'est-à-dire que, de quelque manière qu'on s'y prenne, ceux qui ne veulent pas croire et se convertir, trouvent toujours quelques prétextes; souvent même les plus absurdes sont à leurs yeux les meilleurs. «En attendant, la sagesse de Dieu est justifiée par ses enfants,» dit notre Seigneur. Oui, les enfants de Dieu reconnaissent en toutes choses la sagesse de leur Père céleste; ils comprennent particulièrement pourquoi le prédicateur de la repentance dut vivre comme il l'a fait, et pourquoi l'auteur de notre salut, la source divine de notre joie, a dû éviter tout ce qui aurait pu assombrir son glorieux ministère.


CCXXVI. — La pécheresse; les saintes femmes; le blasphème contre le Saint-Esprit; la famille de Jésus.


2980. (Luc 7: 36-50). Voici une de ces occasions où l'on voit le Seigneur honorant de sa présence la table des gens du monde. Mais à en juger par ce récit et par d'autres semblables, il n'est pas difficile de se convaincre qu'il ne s'y asseyait pas uniquement pour satisfaire sa faim et sa soif. Jamais Jésus ne fut un moment sans s'occuper de l'œuvre qu'il était venu accomplir pour la gloire du Père.

2981. Un pharisien, nommé Simon, avait invité Jésus à dîner chez lui. Il crut sans doute lui faire beaucoup d'honneur, tout docteur qu'il l'appelait; car il avait négligé à son égard les premiers devoirs de la politesse. Il ne lui avait, ni donné l'accolade fraternelle selon l'usage, ni offert l'eau pour se laver les pieds, ni, à plus forte raison, présenté des parfums, comme on faisait dans les jours de fête. Simon était un homme de bien peut-être, à parler le langage ordinaire, mais il était plein de son propre mérite, et, comme ses pareils, il s'estimait vertueux et juste, réservant le nom de pécheurs pour les païens et les gens vraiment dépravés, auxquels il vouait du reste un profond mépris.

2982. Pendant que Jésus était à table, probablement sous quelque portique ou dans un jardin ouvert au public, une femme que nos versions qualifient de femme de mauvaise vie, mais qui est simplement appelée une pécheresse (et qui est-ce qui ne pèche pas en quelque manière?) une femme toutefois, il faut bien le dire, dont les péchés paraissent avoir été graves et notoires, s'approcha de Jésus par derrière; et, comme on mangeait à moitié couché sur un lit, selon l'usage de ces temps, les jambes en dehors, la pécheresse se mit à genoux, versant d'abondantes larmes sur les pieds de Jésus, les essuyant avec ses cheveux, les baisant en signe d'adoration (Ps. 2: 12), et les oignant d'essences parfumées. Or, le pharisien Simon s'indignait en lui-même de ce que Jésus permettait à cette femme de l'approcher; car, s'il est prophète, pensait-il, il doit la connaître et savoir que c'est une pécheresse. Voilà comment Jésus était pour Simon une occasion de chute ou un scandale [2651, 2974].

2983. Mais le pharisien ne tarda pas à voir, s'il le voulut, qu'en effet Jésus connaît les cœurs; car il répondit sur-le-champ à sa pensée, bien qu'elle fût demeurée au fond de son âme. — D'abord, la parabole que Jésus propose à Simon était destinée à lui montrer que nos péchés, nombreux ou non, sont des dettes qu'il nous est impossible d'acquitter nous-mêmes: il faut de toute nécessité qu'ils nous soient pardonnés et de pure grâce. Ensuite, s'il compare la pécheresse à quelqu'un qui devrait cinq cents deniers, et Simon à un homme qui n'en devrait que cinquante, cela ne signifie pas que Simon fût réellement moins coupable devant Dieu que la pécheresse: tout dépend tellement des circonstances! Mais, ce qu'il veut dire, c'est que la pécheresse s'estimait dix fois plus coupable que Simon, ou que celui-ci le croyait dix fois moins coupable qu'elle. C'était là ce qui expliquait  leur conduite à tous les trois. Simon ne se croit pas pécheur, voilà pourquoi il a si mal reçu le Sauveur; la femme se sent grandement pécheresse, voilà ce qui la fait venir à Jésus avec tant de larmes. Notre Seigneur, enfin, est venu guérir les malades, et voilà par quelle cause il ne repousse pas la pauvre femme.

2984. Mais ce n'est pas tout, le Seigneur a voulu marquer nettement ce qui caractérisait la piété ou la conversion de la pécheresse. Il est plus que probable, que, touchée de la grâce divine depuis quelque temps, elle ne se trouvait pas pour la première fois en présence du Seigneur; mais c'était récemment peut-être qu'elle avait commencé à se sentir délivrée du poids de ses péchés; or, pénétrée d'une vive reconnaissance, elle avait éprouvé le besoin de confesser publiquement sa foi et son repentir. Elle aimait donc vivement le Seigneur et l'amour qu'elle lui portait venait de sa foi. Il lui avait été donné de voir en Jésus celui par qui ses péchés, tous ses péchés, ses grands péchés, pouvaient lui être entièrement remis. - C'est pourquoi elle l'aimait. Aussi Jésus lui dit: «Ta foi t'a sauvée, va-t'en en paix.» La foi en Jésus, voilà donc ce qui sauve. On est sauvé dès que l'on croit; alors aussi, l'on aime et l'on est en paix. D'où nous concluons, non pas que bienheureux sont ceux qui ont beaucoup péché, car il en est ainsi de tous les hommes; mais que ceux-là sont heureux qui, sentant la gravité et le nombre de leurs transgressions, vont à Jésus pour être sauvés. Qu'ils croient seulement, et ils connaîtront par expérience les infinies compassions du Seigneur.


2985. (Luc 8: 1-3). Comme nous l'avons déjà remarqué, depuis que Jésus avait élu les douze, il marchait habituellement escorté par eux; mais ici, nous le voyons en outre accompagné de plusieurs femmes, parmi lesquelles l'évangéliste nomme Marie de Magdala, Jeanne, femme de l'intendant d'Hérode, et Susanne. Ce devait être un spectacle assez nouveau de voir des femmes s'attacher aux pas d'un docteur; mais Jésus est venu faire toutes choses nouvelles, et il voulait que l'on comprît bien le but et l'esprit de sa mission. Les femmes y ont un intérêt égal aux hommes, parce qu'elles ont une âme à sauver aussi bien qu'eux. Il n'en serait pas absolument de même, j'en conviens, si Jésus était venu proposer au monde certains systèmes politiques, comme quelques-uns le prétendent. L'Évangile exerce sans doute son influence sur toutes choses; mais c'est par une action indirecte, qu'il ne faut pas confondre avec son but essentiel. L'action directe de l'Évangile a pour unique objet l'âme humaine, l'âme de chaque individu, homme ou femme; il n'est donc pas étonnant que les femmes prennent aussi vivement à cœur que personne toutes les questions relatives au règne de Dieu.

2986. On pense, mais sans aucun fondement solide, que Marie de Magdala, cette pauvre femme de laquelle Jésus avait chassé sept démons, ou, comme on peut l'entendre, un démon très malfaisant, était la pécheresse de tout à l'heure. Quant à Jeanne, femme de Chuzas, il est doux de voir, pour la seconde fois, parmi les disciples de Jésus une personne sortant du palais d'Hérode [2792]. Il paraît donc que, si la prédication du fils de Zacharie avait été perdue pour le prince et pour sa famille (Luc 3: 19, 20), elle ne l'avait pas été pour les gens de sa maison, et que, si parmi ceux qui suivaient Jésus, la plupart étaient pauvres comme lui, il s'y trouvait aussi quelques personnes aisées. Du reste, riches ou non, les femmes dont il est ici parlé, avaient des moyens d'existence dont notre Seigneur était entièrement dépourvu; aussi l'assistaient-elles de leurs biens. Bel exemple à suivre, partout où l'Église, semblable à son divin époux, ne veut posséder aucun bien de la terre, préférant à l'opulence, les saintes aumônes de ses enfants. En effet, si Jésus n'est plus au milieu de nous, nous demandant du pain en échange de la Parole de vie, nous avons ses ministres et ses missionnaires à défrayer, sa Bible à répandre, son culte à entretenir, et en faisant cela, nous imitons les saintes femmes qui le suivaient.

2987. (Marc 3: 20, 21.) Et dans sa pauvreté, quelle vie fatigante que celle de Jésus ici-bas! Vous le voyez par ce passage de Marc qui, omettant les faits immédiatement postérieurs à l'élection des douze, reprend maintenant son récit, en parfait accord avec les autres Évangiles. Comme il est dès lors arrivé plus d'une fois à des missionnaires en pays païen, Jésus se vit un jour tellement obsédé par la foule, tellement occupé à répondre aux questions de chacun, tellement absorbé parles intérêts éternels de tous, qu'il ne put même prendre son repas. Insensiblement sa parole s'était élevée à une hauteur si grande qu'elle devint de plus en plus inintelligible à la plupart de ces hommes charnels; aussi crurent-ils qu'il perdait le sens et l'on voyait le moment où il succomberait de lassitude; en sorte que ses proches, ou mieux peut-être ses alentours, s'apprêtaient à l'arracher d'un lieu dans lequel d'ailleurs tous n'étaient pas ses amis.

2988. (Mc. 3: 22-30; M. 12: 22-32.) Ce fut alors qu'il jugea bon de déployer en faveur d'un malheureux, à la fois aveugle, muet et démoniaque, une puissance semblable à celle qui avait ressuscité le fils de la veuve de Nain. Que dire à ce spectacle? La foule n'hésita pas: «Celui-ci est le fils de David, le Messie,» qualité que Jésus ne s'attribuait pas encore publiquement. Mais les pharisiens, nous l'avons déjà vu, ne l'entendaient pas ainsi, et il leur importait d'étouffer à tout prix les élans de la multitude, ou, dirai-je, la voix même du sens commun. Il est vrai que Jésus faisait des miracles et notamment qu'il chassait des démons; on ne pouvait le contester. Aussi les pharisiens n'essayèrent-ils pas de le faire; mais, dirent-ils tout haut, c'est par Béelzébub [1963] qu'il opère ses merveilles. Pour répondre à ce blasphème, le Seigneur en appelle encore au bon sens de ses auditeurs. Quoi! Satan voudrait se détruire lui-même! Vous avez parmi vous des hommes qui se donnent comme guérissant les démoniaques, et, tandis que vous ne les accusez pas d'emprunter pour cela le pouvoir de Satan, vous osez m'en accuser. Mais voici, ô pharisiens hypocrites! vous comprenez que si je chasse les démons par l'Esprit de Dieu, il est donc vrai que je viens fonder le règne de Dieu au milieu de vous, que je suis le maître de Satan malgré toute sa puissance, enfin que si quelqu'un ne se joint pas à moi contre Satan, il est avec Satan contre moi! Oui, vous comprenez cela. C'est pourquoi, mentant à votre conscience, vous prétendez que je chasse Satan par la puissance même de ce prince des ténèbres et non par le Saint-Esprit de Dieu. Or, c'est là un horrible blasphème, non contre moi, mais contre l'Esprit de sainteté; c'est un péché irrémissible.

2989. (Matth. 12: 33-37.) Le blasphème contre le Saint-Esprit, ce crime épouvantable, consistait donc en ce que les pharisiens attribuaient à Satan les œuvres de l'Esprit de Dieu et qu'ils le faisaient selon toute apparence en luttant contre leur conviction intime. Un tel péché semble n'avoir pu se reproduire! Non pas sous la même forme sans doute. Pourtant, il y a un péché irrémissible, redoutable sujet dont nous aurons à reparler plus tard. En attendant, écoutez comment le Seigneur généralise sa pensée. Le blasphème contre le Saint-Esprit, cet horrible péché de la langue, comme tous ceux que nous commettons par nos paroles, vient après tout de ce que notre cœur abonde en méchancetés et en souillures. Même à ne prendre que ce qu'il y a, semble-t-il, de moins coupable, toute personne qui consume sa vie en conversations inutiles et frivoles, constate par là même que son cœur est vide de Dieu. Que sera-ce donc s'il ne sort habituellement de ses lèvres que des mensonges, des flatteries ou des sarcasmes, des médisances et des calomnies; s'il ne se sert de la voix que pour dissimuler sa pensée ou pour exciter ses passions et celles d'autrui; s'il va jusqu'aux grossièretés de l'insulte et des moqueries, s'il profane Dieu par de perpétuels jurements, ou la chasteté par des discours souvent impurs; si, enfin, il oppose sans cesse à la Parole de Dieu des paroles d'incrédulité? À bien considérer la chose, il n'est rien par quoi un homme manifeste mieux ce qu'il est que par ses discours, La parole est tellement ce qui caractérise l'humanité, que le fond de notre vie intellectuelle et morale se développe ou s'écoule parla; aussi, comprend-on parfaitement pourquoi notre Seigneur termine son instruction en ces termes si remarquables: «Par tes paroles tu seras justifié, et par tes paroles tu seras condamné.»

2990. Au jour où Dieu fera venir toute œuvre en jugement, on verra quelle grande œuvre, bonne ou mauvaise, chacun aura faite par ses paroles. Les uns, animés d'une vraie foi, auront tiré du bon trésor de leur cœur des paroles de charité, d'espérance, de vérité qui auront été pour beaucoup d'âmes une lumière et une vie; par leurs paroles ils seront justifiés ou déclarés du nombre de ceux qui ont cherché et trouvé le royaume des cieux et la justice de Dieu [2906]. Les autres, conduits par l'esprit du monde, auront tiré du mauvais trésor de leur cœur des paroles qu'il n'y aura qu'à leur rappeler pour qu'ils reconnaissent la justice de leur condamnation. Disons donc maintenant du fond de notre âme: O Dieu! remplis-nous de foi, d'amour, d'humilité, de patience, afin que de l'abondance de notre cœur, nos lèvres confessent ton saint nom et qu'elles communiquent ta grâce à ceux qui nous entendent!

2991. (M. 12: 46-50; Mc. 3: 31-35; L. 8: 19-21.) À ce moment, où la fatigue de Jésus-Christ allait croissant, non moins que la passion de ses adversaires, on vint l'avertir que des personnes qui devaient lui être fort chères, l'attendaient hors de la maison. Ici reparaît Marie, après un silence bien long et bien inexplicable, si elle avait dû occuper dans l'œuvre de notre salut la place éminente que les catholiques-romains ont imaginé de lui attribuer. Depuis les noces de Cana, il n'a plus été fait d'elle aucune mention. Cela ne veut pas dire nécessairement qu'elle n'eût pas revu celui qui est son Seigneur et le nôtre, mais cela montre du moins qu'elle ne se tenait pas sans cesse auprès de lui. D'ailleurs, Marie était alors une femme de passé cinquante ans, et Jésus menait une vie agitée à laquelle tous ne pouvaient s'associer. La mère de notre Sauveur se montre enfin, mais c'est pour fournir à son fils une nouvelle occasion de constater la nature des rapports qui existaient entre eux [2729]. Elle avait avec elle les frères de Jésus, dont les noms se lisent ailleurs (Matth. 13: 55); et, sur ce qu'on dit au Seigneur que sa famille le réclamait, il fit entendre une déclaration qui est pour nous du plus vif intérêt: «Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la pratiquent.» Il suit de là, premièrement, que ceux qui, selon la chair, furent parents de Jésus-Christ, n'ont eu sur nous aucune prérogative spirituelle; en second lieu, que, pour entrer avec lui dans les douces et intimes relations de frères et de sœurs, même de mère, il suffit d'écouter sa parole et de la recevoir intérieurement. Quelle douce pensée! et quelle tendresse dans cet appel de la grâce du Seigneur, après les réprimandes foudroyantes qu'il adressait tout à l'heure aux pharisiens! C'est qu'en effet rien n'égale la sévérité de Dieu envers ceux qui le méprisent, ni sa bonté envers ceux qui s'approchent de lui pour faire ce qu'il commande. [2592, Bonté et sévérité de Dieu.]


CCXXVII. — Paraboles du royaume des cieux.


2992. (M. 13: 1-3; Mc. 4: 1, 2; L. 8: A.) Sortant enfin de la maison, Jésus se rendit au bord du lac; et, comme une précédente fois, montant sur une barque afin d'être mieux entendu (Luc 5:3), il se mit à enseigner la foule qui se pressait sur le rivage. Jamais prédication ne fut plus directement appropriée à l'auditoire et à la circonstance. En effet, c'est de la parabole du semeur qu'il s'agit d'abord.

2993. (M. 13: 3-36: Mc. 4: 3-12; L. 8: 5-10.) Au bout d'un champ que la herse vient de niveler, se trouve une haie qui sépare le champ du grand chemin, et, en deçà de la haie, une bande de terrain pierreux sur lequel la charrue n'a point passé. Le semeur, arrivé là, jette sa poignée de semence, et, naturellement, il en saute quelques grains sur la route, d'autres tombent dans la haie et sur le terrain sec, d'autres enfin sur la terre labourée. Les premiers sont bientôt enlevés par les oiseaux ou foulés sous les pieds des passants; les seconds poussent en automne, mais, le printemps venu, les épines et les orties de la haie prennent le dessus et étouffent les épis; les troisièmes montrent promptement leurs frêles tuyaux, car il y a peu de terre, mais l'ardeur du soleil les a bientôt desséchés; les derniers seuls portent du fruit à maturité.

2994. Soit à ce moment, soit plus tard, lorsqu'ils furent rentrés dans la maison, les disciples demandèrent à Jésus par quel motif il s'adressait au peuple en paraboles. Cette forme d'enseignement, d'un intérêt d'ailleurs si vif, n'est pas toujours d'une clarté parfaite. Une fois qu'on a saisi l'instruction donnée par une parabole, elle se grave dans le souvenir d'une manière ineffaçable; mais ici, plus que nulle part, il faut que le Saint-Esprit lui-même nous instruise pour que nous n'imputions pas à la parabole le sens qui convient à nos pensées, plutôt que celui qui est dans la pensée de Dieu. Pourquoi donc Jésus donnait-il à la multitude un genre d'enseignement que nul ne pouvait comprendre sans une grâce particulière? Sa réponse est bien étonnante. Quoi donc! Celui qui est venu sauver les âmes se serait-il volontairement exprimé de manière à les perdre? Non, sans doute; mais il voulait s'attirer ainsi les questions de ses auditeurs, et leur faire sentir le besoin qu'ils avaient d'être éclairés d'en haut; il voulait et il veut encore que nous joignions à l'audition de sa parole la prière. Or, il y a jugement de Dieu sur ceux qui, s'obstinant dans l'incrédulité, se refusent à demander les lumières du Saint-Esprit [2764], et la sainte Écriture est construite de telle sorte que les hommes qui ne veulent pas comprendre puissent s'égarer et se perdre à leur aise. Ainsi d'ailleurs s'accomplit la parole remarquable que le Seigneur avait adressée au prophète Ésaïe lors de sa vocation, et par laquelle il avait annoncé la future incrédulité des auditeurs du Messie [2161].

2995. (M. 13: 18-23; Mc. 4: 14-20; L. 8: 11-15.) Notre Seigneur ayant expliqué à ses disciples la similitude du semeur, elle paraît maintenant une des plus faciles; en voici le sens. La Parole de Dieu, comparée à de la semence qu'on jette dans la terre, n'est pas reçue par tous de la même sorte. Il en est qui, semblables aux pharisiens, écoutent la Parole mais n'en gardent rien dans le cœur, parce que Satan, le père de l'incrédulité, de l'orgueil et des mauvaises mœurs, l'en arrache à mesure: c'est comme des grains de blé qui tomberaient sur un chemin. D'autres écoutent volontiers la Parole; il semble qu'elle ait pénétré dans leur âme, car pendant un certain temps on les voit marcher avec les disciples. C'est le cas d'une foule de gens. Mais, viennent les épreuves de la foi, comme aux Israélites dans le désert, viennent les persécutions prédites aux fidèles, et tout séchera, comme sèchent, par un soleil brûlant, des épis qui n'ont pas de racines un peu profondes. Ici, les racines qui manquent, c'est la repentance sincère et une foi véritable. — Une troisième espèce de gens ne recueillent aucun fruit des prédications de la Parole, parce que leur âme est absorbée par les soucis de la vie, ou par les biens et les plaisirs du siècle: la Parole est étouffée, telle que des épis de blé au milieu des orties et des ronces qui forment la haie d'un champ. C'est un Hérode, c'est un Saul; hélas! c'est la femme de Lot et des millions d'êtres semblables. — Enfin, notre Seigneur parle de personnes dont le cœur honnête et bon retient la Parole et porte des fruits avec patience et persévérance. Or, par ces cœurs honnêtes et bons ou par cette bonne terre, on ne saurait entendre que des cœurs semblables à celui d'Abraham et des fidèles de tous les temps, c'est-à-dire des cœurs rendus honnêtes et bons par la grâce puissante du Seigneur, tout comme c'est par la culture qu'une terre devient propre à produire d'abondantes récoltes.

2996. Sur quoi, je dois à mes lecteurs quelques observations essentielles. D'abord, si notre Seigneur fait quatre classes des auditeurs de la Parole, cela ne signifie pas que toute assemblée réunie pour écouter l'Évangile soit invariablement composée de ces quatre classes de personnes, ni que le même individu ne puisse appartenir alternativement aux trois premières, suivant les circonstances. Les auditeurs même les plus sérieux, les chrétiens les plus fidèles, sont quelquefois semblables au chemin, ou à la terre légère, ou à celle que recouvrent les épines; tout comme le cœur le plus endurci peut se voir amolli et fécondé par cette même parole de la grâce de Dieu qu'il repoussa trop longtemps. Il n'en est pas moins vrai qu'à un moment donné, il n'est personne qui n'écoute de l'une ou de l'autre de ces quatre manières, et que des quatre une seule conduit au salut. C'est pourquoi le Seigneur termine la parabole en s'écriant comme dans une autre occasion: «Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende» (Matth. 11: 15); car, dans une foule d'auditeurs, il en est toujours un grand nombre qui sont là comme s'ils n'avaient point d'oreilles. Leur esprit est occupé ailleurs, et il est tout simple que la Parole ne puisse point les sauver, puisque au fond ils ne l'écoutent pas.

2997. (L. 8: 16-18; Mc. 4: 21-25, 33, 34; M. 13: 12.) Après avoir expliqué la parabole, le Seigneur reprit ce qu'il disait tout à l'heure du crime dont se rendent coupables ceux qui ne veulent pas le comprendre; ils auront pour punition de se voir enlever tout ce qu'ils possèdent en fait de grâces et de privilèges. C'est ainsi que les Juifs incrédules, qui se croyaient le peuple de Dieu et qui l'étaient en un certain sens, se privaient eux-mêmes des bénédictions; tandis que les disciples rendus attentifs à la parole du divin docteur, informés par lui du sens de cette parole, étaient de la sorte à la source de grâces toujours nouvelles. Aussi le Seigneur, après leur avoir dit: «Prenez garde comment vous écoutez,» après leur avoir rappelé que, s'il les éclairait, c'était pour qu'ils en éclairassent d'autres à leur tour (Matth. 5: 1 4), les proclame bienheureux de voir et d'entendre des choses qui, depuis le temps de Moïse et auparavant, avaient fait l'objet des espérances de tant de prophètes. Tout cela nous est d'une application si facile, que je n'ai pas besoin de m'y arrêter; mais combien n'est-il pas nécessaire que nous nous examinions, pour savoir de quelle manière nous recevons ces paroles de notre Sauveur.

2998. À la parabole du semeur, prononcée en public et expliquée aux disciples en particulier, notre Seigneur en ajouta quatre autres que la foule entendit également: celles de l'ivraie, du grain de sénevé, du levain et de l'épi croissant et mûrissant. En voici le sens d'une manière générale.

2999. Si la parabole du semeur nous dit comment le règne de Jésus-Christ se fonde et se propage, savoir par la prédication de l'Évangile, celle do l'ivraie nous rappelle qu'il se fait dans le monde une autre prédication que celle-là (Matth. 13: 24-30). L'erreur, sous toutes ses formes, y est largement semée par Satan, et le royaume même de Dieu en subit la triste influence; en sorte qu'il ne faut pas s'attendre à ce que le bien s'y trouve sans mélange. Rien, toutefois, n'est plus admirable que les progrès de ce royaume, comparés à son origine; c'est un grain de semence de moutarde qui, par miracle, devient un arbre à loger les oiseaux du ciel (31-33; Marc 4: 30-32); puis, tout comme un peu de levain fait lever une masse de pâte, le royaume des cieux possède en lui-même le principe de son développement. Enfin, c'est par une marche lente et assurée qu'il doit atteindre à son plus haut terme, comme le dit la similitude rapportée par saint Marc (Marc 4: 26-29).

3000. (Matth. 13: 36-43.) Les explications que donna notre Seigneur à ses disciples nous montrent que la parabole de l'ivraie est, comme celle du semeur, une parabole prophétique, ou, si l'o» veut, une prophétie présentée sous le voile de l'allégorie. Elle nous enseigne que le royaume des cieux ici-bas, fort différent en cela de ce même royaume dans le siècle à venir, n'est pas destiné à ne contenir que des âmes vraiment fidèles. La parabole du semeur avait déjà pu faire comprendre aux disciples que ceux à qui l'Évangile serait prêché ne l'admettraient pas tous; celle de l'ivraie leur dit qu'au milieu des personnes qui suivront la doctrine des hérauts de l'Évangile, il y en aura beaucoup, hélas! qui n'auront avec les vrais disciples qu'une ressemblance trompeuse, au sujet de laquelle il ne sera pas possible de se méprendre longtemps. Notre Seigneur prédit aussi, chose non moins remarquable, que ses esclaves, ou autrement ceux qui lui appartiennent en réalité, se scandaliseront de cet ordre de choses et recourront à des moyens, même violents, pour l'améliorer. Mais, tout en déclarant que la présence des méchants dans son royaume est un mal, puisque c'est Satan qui les y place, et, par conséquent, sans autoriser d'aucune sorte les institutions et les pratiques qui tendent à multiplier l'ivraie dans le champ, au lieu de chercher à la convertir en bon grain, notre Seigneur veut que ses disciples consentent, comme lui, à ce qu'il y ait cette différence entre son royaume actuel et son royaume futur. À la fin du monde, les anges (et non pas les hommes), assistant le Seigneur dans cette œuvre divine, cueilleront l'ivraie et la brûleront, tandis que les justes, ou autrement les vrais fidèles auront la vie éternelle pour héritage. — Ne vous croyez donc pas assurés du salut, par cela seul que vous appartenez extérieurement à l'Église de Jésus-Christ. Quel que soit le compartiment du champ où vous vous trouvez plantés, dites-vous bien qu'il contient de l'ivraie; examinez-vous donc, convertissez-vous, avant que vienne le grand jour du Seigneur.

3001. (Marc 4: 30-32.) Si nous n'avons pas l'explication que Jésus donna des trois autres paraboles (Marc 4: 33, 31), il n'est pas trop difficile de suppléer au silence de l'Évangile. Celle du grain de moutarde est aussi une prophétie. Il n'y aura d'abord qu'un très petit nombre d'âmes qui recevront l'Évangile; n'importe, il ne laissera pas de faire de grands progrès sur la terre. Si bien, que l'accroissement du royaume dont il est la charte constitutive sera merveilleux comme le serait une plante de moutarde qui deviendrait un grand arbre, et de toutes parts des pécheurs viendront se réfugier sous son bienfaisant ombrage. C'est la petite pierre de Daniel (2: 33).

3002. (Matth.: 13: 33.) Quant à la manière dont l'accroissement se fera, c'est, avons-nous dit tout à l'heure, ce que la parabole du levain représente. L'Évangile, qui rencontre dans le cœur de l'homme autant de répugnance que le levain en inspire à notre palais et à notre estomac, est toutefois le moyen par lequel la grâce de Dieu se formera sur la terre un grand peuple; ou, ce qui revient au même, les fidèles, que le monde méprise et déteste, seront auprès de ce monde même les instruments de la miséricorde divine, pour la conversion des élus.

3003. (Marc 4: 26-29.) Enfin, de même que la semence, une fois jetée en terre, germe, pousse, se développe et mûrit, quoi que fasse l'homme, la Parole du Seigneur ne peut manquer de porter ses fruits ici-bas, soit que Jésus s'y trouve personnellement comme il l'était à cette époque, soit qu'il ait repris sa place dans le repos et dans la gloire de son Père. Cette Parole est puissante et efficace; et, sous la mystérieuse influence du Saint-Esprit, elle prépare les âmes, une à une, et l'ensemble tout entier des disciples, pour le grand jour de la moisson. Mais tout se fait graduellement dans les œuvres de la grâce, comme dans celles de la nature.

3004. (Matth. 13: 44-46.) Étant rentré dans la maison avec ses disciples, Jésus leur proposa trois autres paraboles: celles du trésor caché dans un champ, de la perle de grand prix et du filet. Les deux premières semblent, au premier abord, parfaitement identiques; toutefois elles diffèrent en deux points essentiels. Dans la parabole du trésor, on voit un homme qui fait fortune sans l'avoir cherché, et dans celle de la perle précieuse un homme qui, cherchant des perles, en trouve une d'un prix infini. Puis il y a dans la première cette circonstance remarquable, que celui qui a trouvé le trésor commence par le cacher, tant il a peur qu'on ne le lui prenne. L'une et l'autre de ces similitudes nous parlent de la valeur extrême que nous devons attacher aux biens du royaume de Dieu. Quelques-uns, comme Lévi, l'auteur de cet Évangile [2932], les trouvent sans les avoir seulement désirés, parce qu'ils procèdent de la libre et souveraine grâce de Dieu; d'autres, comme Nathanaël, selon toute apparence [2724], commencèrent à les rechercher par une secrète impulsion de cette même grâce. Dans tous les cas, il est clair que rien au monde ne saurait être mis en parallèle avec le salut. Pour sauver son âme, il faut être prêt à tout sacrifier, et, quand une fois nous avons connu l'amour du Seigneur, nous ne devons pas souffrir que personne nous le ravisse. Du reste, si l'Évangile est comparé à un trésor caché dans un champ, ou à une perle de grand prix dont on fait inopinément la découverte, c'est, on le conçoit, non point parce que Dieu ne l'a pas suffisamment promulgué, mais parce que notre mauvais cœur ne veut pas le comprendre;  il nous est caché, bien que Dieu l'ait mis dans une pleine évidence.

3005. (47-50.) Cette série d'instructions se termine par une dernière parabole qui a beaucoup de rapports avec la parabole de l'ivraie, celle du filet. Vous vous rappelez le miracle que fit notre Seigneur lorsqu'il adressa vocation à Simon, à André, à Jacques et à Jean, et vous n'avez pas oublié le langage qu'il leur tint en cette circonstance (L. 5:10). Ils purent donc comprendre assez aisément ce que signifiait ce filet qui ramasse toute sorte de choses, bonnes et mauvaises, dont on fait le triage, la poche étant achevée. Les pêcheurs sont les hommes que le Seigneur emploie à la prédication de l'Évangile; le filet, avec ses fils entrelacés, représente ce qu'il y a de puissance et d'amour dans cet Évangile. Souvent, on voit les méchants même ne pouvoir résister à ses attraits, bien qu'en réalité ils demeurent non convertis; de là vient qu'au sein du royaume de Dieu se trouvent des choses mauvaises mêlées aux bonnes. C'est comme dans la parabole où l'ivraie est confondue avec le bon grain. Ici enfin, il est établi, pour la seconde fois, que la suppression de ce désordre momentané aura lieu seulement au dernier jour, et que la purification du royaume de Jésus-Christ se fera par le ministère des anges et non par celui des hommes.

3006. (51, 52.) Puis donc que le mélange des méchants et des bons dans le royaume de Dieu subsistera jusqu'à la fin, toutes ces paraboles sont un trésor d'où les docteurs de l'Église auront à tirer sans cesse des instructions, des consolations et des directions à la fois vieilles et nouvelles. Heureux ceux qui, semblables aux premiers disciples, reçoivent l'intelligence de ces paraboles; plus heureux les pécheurs qui, ayant trouvé la perle de grand prix, se sont dépouillés d'eux-mêmes pour l'acheter; qui, régénérés par le Saint-Esprit, sentent la foi travailler en leur cœur comme le levain fermente dans la pâte; heureux, pour tout dire en un mot, le bon grain que Jésus recueillera dans son grenier (Luc 3: 17).


CCXXVIII. — Divers miracles. Jésus à Gadara. Retour à Nazareth.


3007. (L. 8: 22; M. 8: 18; Mc. 4: 33.) Quelle journée bien remplie que celle dont le récit a occupé nos deux Études précédentes presque tout entières! Nous pouvons juger par cet échantillon de la vie que Jésus menait au milieu d'une multitude avide de l'entendre, enthousiaste de sa puissance et toutefois si éloignée encore de l'avoir compris, sans parler de ceux qui lui montraient une opposition d'autant plus vive qu'ils commençaient à entrevoir ce qu'il voulait. Ce même jour, quand le soir fut venu, il désira de traverser le lac, soit pour y prendre quelque repos, soit pour annoncer le royaume de Dieu à des populations qui étaient dans les ténèbres plus encore que le reste du pays. Laissant aux disciples le soin de congédier la foule, il les devança sur la barque, où il fut rejoint par eux et ils partirent: la nuit approchait.

3008. (L. 8: 22-25; M. 8: 23-27; Mc. 4: 36-41.) Comme il était couché sur l'oreiller de la poupe, fatigué des travaux de la journée, et qu'il s'accordait le repos dont il avait besoin [2777], il s'éleva tout à coup un affreux orage. Le vent et les vagues étaient d'une telle violence, que ses disciples, bien qu'habitués à cette navigation, furent saisis d'une extrême frayeur. Ils coururent éveiller Jésus; et quand celui-ci eut, de sa voix puissante, apaisé l'orage et fermé la bouche de la mer, qui semblait avoir voulu engloutir leur petite barque: «O gens de petite foi! leur dit-il, pourquoi êtes-vous si timides? Qu'avez-vous à craindre tant que je suis avec vous?»En réveillant Jésus et en réclamant son secours, les disciples avaient montré quelque foi, c'est incontestable; mais en se laissant aller à tant de frayeur, la faiblesse de leur foi venait de se trahir. Quant au miracle lui-même, il étonna les disciples comme si c'eût été le premier; mais il faut dire que, vu les circonstances, il ne s'en était pas fait qui fussent plus de nature à les frapper. C'est le propre, d'ailleurs, des grandes œuvres du Créateur; on ne se lasse pas de les admirer, même de s'en étonner. Pour nous, mes chers lecteurs, ayons Jésus à côté de nous; et, quand même il semble parfois qu'il sommeille, gardons-nous de nous décourager, quelles que soient, ou pour notre corps, ou pour notre âme, la grandeur des difficultés et l'imminence du péril.

3009. (L. 8: 26-39; M. 8: 28-34; Mc. 5: 1-20.) Arrivés près de Gadara, sur la rive gauche du lac, Jésus vit venir à lui deux démoniaques, dont la guérison fut accompagnée de circonstances qui la rendent digne d'une attention particulière, surtout celle de l'un d'eux. L'esprit impur avait fait de cet homme un fou furieux; en sorte qu'il brisait avec une force surhumaine les liens au moyen desquels on cherchait à le garrotter. Se dépouillant de ses vêtements, il s'enfuyait tout nu parmi les rochers où l'on avait coutume de tailler des grottes pour en faire la demeure des morts, et nul n'osait s'aventurer près des lieux où il se tenait. Le méchant esprit qui l'animait n'était pas seul, mais plusieurs, d'une manière que nous ne saurions expliquer; aussi se donnait-il à lui-même le nom de Légion. Comme Jésus commandait à l'esprit impur de sortir de cet homme, celui-ci, poussant un cri, se prosterna, disant à grande voix: «Qu'y a-t-il entre toi et moi, Jésus, Fils du Dieu très haut? Je te supplie, ne nous tourmente point avant le temps!» Satan et ses anges savent donc qui est Jésus, ils le redoutent et ils n'ignorent pas les jugements qui les attendent. Mais en de telles convictions, il n'y a rien qui ressemble à la foi des rachetés.

3010. Près de là paissait un troupeau de pourceaux, animaux immondes qu'il était interdit aux Juifs de manger (Lév. 11: 7), et dont la seule présence en ces lieux accusait les Gadaréniens d'un grand mépris pour l'Éternel. L'esprit impur, heureux de pouvoir faire du mal, n'importe de quelle manière, demanda qu'il lui fut permis de précipiter dans la mer ces vils pourceaux, et la permission lui en fut accordée par le Seigneur. C'était, comme tous les fléaux de Dieu, une juste punition infligée à l'avarice et à l'infidélité des Gadaréniens; puis, la manière dont la chose se passa, nous atteste que Satan n'a de puissance que dans la mesure que lui accorde la mystérieuse volonté de l'Éternel [1057]. C'était dire d'un autre côté que Satan n'a d'influence sur nous que par un effet du péché; en sorte que si nous sommes de ceux que Jésus a sauvés, le prince des ténèbres ne nous tient plus sous sa domination. Enfin, il est bien évident que les démons ne se précipitèrent pas avec les pourceaux dans la mer; si donc il est dit qu'ils entrèrent en eux, c'est simplement pour marquer une action déterminante, comme celle qu'ils exerçaient sur les malheureux tombés en leur possession [2812].

3011. À ce même instant, le démoniaque fut entièrement rétabli, et si bien rétabli de corps et d'âme, qu'il voulait suivre Jésus. Mais, non; il pouvait sans s'attacher à ses pas, rendre au Seigneur la gloire qui lui appartient. Une belle tâche lui était dévolue, celle de faire luire sa lumière devant les gens de sa maison et de sa localité. Quel chrétien ne peut être apôtre de cette manière, et pourquoi si peu d'entre nous comprennent-ils l'excellence de la mission qui leur est confiée?

3012. Quant aux habitants de Gadara, ils ne purent contester la réalité du miracle qui venait de s'opérer, mais la passion ne nous fait voir les choses que sous une de leurs faces. Désolés de la perte qu'ils viennent d'essuyer, les Gadaréniens demeurent insensibles à l'œuvre de miséricorde dont ils ont été les témoins. Jésus ne leur paraît qu'un prophète ayant charge de punir leurs iniquités. C'est pourquoi, bien différents des Sichariotes [2790], ils le prient de quitter leur pays au plus tôt. Or Jésus ne veut rien pas force, et malheur à ceux qui lui disent: Retire-toi de nous! C'est une prière qu'il n'entend pas toujours, tant il est plein de grâce; mais nul n'a le droit de se plaindre quand elle est exaucée.

3013. (L. 8: 40; M. 9: 1; Mc. 5: 21.) Notre Seigneur ne fit donc cette fois-ci qu'une assez courte apparition sur la rive gauche du lac de Génézareth; mais il ne laissa pas d'y déposer d'éclatants témoignages de sa puissance et de sa grâce. Du reste, c'était là toute son œuvre, quelque part qu'il se rendît. Partant de Gadara, il se dirigea du côté de Nazareth, où il n'était pas retourné depuis qu'on avait voulu l'y tuer et où tant de motifs toutefois l'appelaient. Peut-être sa mère et ses frères l'avaient-ils suivi de l'autre côté du lac; dans tous les cas, si, en apparence, il avait montré peu d'empressement à les voir quand ils le firent demander [2991], ce n'était pas qu'il ne leur portât une tendre affection.

3014. (L. 8: 41-56; M. 9: 18-26; Mc. 5: 22-43.) La nouvelle de son retour de l'autre côté du lac se fut bientôt répandue et une grande foule ne tarda pas à l'entourer de nouveau. Or, comme il entrait dans une des villes du bord de la mer, un homme nommé Jaïrus, un des chefs ou des anciens de la congrégation, qui avait une jeune fille à l'extrémité, se mit à genoux devant Jésus, le suppliant d'aller auprès d'elle pour la sauver; car c'est ainsi proprement qu'il y a en grec, et cela peut s'entendre du salut de l'âme et du rétablissement de la santé tout ensemble. Notre Seigneur se rendait chez Jaïrus, accompagné d'une foule si considérable, qu'il était comme étouffé par ceux qui le pressaient, lorsqu'une femme malade depuis douze ans éprouva, par une guérison instantanée, les bienheureux effets de la miséricorde divine et d'une foi réelle en la grâce de Jésus.

3015. Cette pauvre femme avait une de ces maladies sérieuses que la Bible nous apprend à envisager, d'une façon toute particulière, comme un des tristes fruits du péché commis par nos premiers parents [886]. La malade avait dû se confier à bien des médecins, mais jamais elle n'eût osé implorer publiquement sa délivrance du Seigneur Jésus, ni peut-être s'en approcher à cause de sa souillure. Or, si nous faisons un retour sur nous-mêmes, nous verrons qu'il en est ainsi généralement de nos péchés. Ils nous inspirent au fond une vive honte, et ce n'est qu'après en avoir trouvé le pardon auprès de Dieu, que nous osons franchement nous avouer pécheurs. C'était pis encore pour notre pauvre malade, car il lui en coûtait autant de confesser sa maladie après la guérison qu'auparavant. Elle se glissa donc dans la foule et parvint à toucher le vêtement de Jésus; puis il fallut encore qu'il la contraignît pour ainsi dire à dévoiler le mystère de sa délivrance. Comme Pierre le fit remarquer à son Maître, tant de gens l'entouraient, qu'il était étonnant de lui entendre demander qui l'avait touché. Ce qui est plus étonnant, c'est qu'il parût l'ignorer; mais il voulait que cette femme rendît spontanément témoignage de ce qui s'était passé en elle, afin que tout le peuple entendît (et nous-mêmes après ce peuple), ce qui assure aux pauvres pécheurs le salut de leur âme: «Aie bon courage, ma fille, ta foi t'a sauvée, va-t'en en paix,» ce que Jésus avait également dit à la pécheresse (Luc 7: 50). Nous voyons aussi de nouveau comment la foi produit cette merveille. Elle nous met en relations étroites et personnelles avec Jésus-Christ, et par là nous fait ressentir les effets de «la puissance qui sort de lui» [2924].

3016. Arrivé chez Jaïrus, le Seigneur et ceux qui l'accompagnaient trouvèrent les gens de la maison dans le désespoir, et déjà, selon la coutume, des instruments faisaient entendre les chants lugubres de la mort, car la jeune fille venait d'expirer. Alors Jésus lui rendit la vie, comme au jeune homme de Naïn. Mais, pour ménager les émotions de cette âme qui allait revenir à l'existence, il fait sortir presque tout le monde, et quand il n'y a plus dans l'appartement que le père et la mère de l'enfant, avec Pierre, Jacques et Jean, sa douce et puissante voix ramène la vie chez celle qui venait de mourir et la joie dans le cœur de ses parents. Il la leur rend; il veut qu'on lui donne à manger pour preuve qu'elle est, non-seulement vivante, mais bien portante; et, par crainte sans doute de l'excitation, de l'enthousiasme que ce miracle pouvait produire au milieu de la foule qui l'attendait dehors, il exige que, pour le moment du moins, on évite de raconter ce qui s'était passé: il suffisait de dire que l'enfant était bien maintenant.

3017. Il ne sera pas difficile à mes lecteurs de voir, d'eux-mêmes, comment ce miracle est une vive image de ce qui a lieu dans une âme que le Seigneur convertit et qu'il arrache de la sorte à la mort spirituelle où nous gisons tous par nature. Cette âme recouvre vie et santé, et dès ce moment elle prend sa nourriture où le Seigneur l'a préparée. Ils remarqueront aussi, sans étonnement, que, dans le cas de Jaïrus comme dans celui de la femme malade, la foi précéda et procura la délivrance.

3018. (Mc. 6:1-6; M. 13: 53-58.) Devancé à Nazareth par le bruit de sa sagesse et de ses miracles, Jésus trouva ses concitoyens, sinon dans l'irritation où il les avait laissés plus d'un an auparavant, du moins dans la même disposition d'incrédulité et par les mêmes raisons. Les Nazaréniens s'obstinaient à le traiter comme s'il n'eût été que le simple fils du charpentier Joseph, et, quand ils voyaient sa mère, ses frères et ses sœurs mêlés avec eux, famille humble et obscure parmi les plus chétives, ils s'affermissaient dans leurs préjugés. Aussi le Seigneur leur répéta-t-il la même parole que précédemment, ce qui était leur dire qu'il ne comptait pas sur un meilleur accueil. Le temps seul ne change pas les cœurs; il faut pour cela quelque chose de plus puissant et de plus sanctifiant, savoir la grâce de Dieu. Remarquez, au surplus, parmi les fils de Marie, ce Judas, ou Jude, frère de Jaques, dont le nom se lit le onzième, dans la liste des apôtres [2952].

3019. (Mc. 6: 6; M. 9: 35-38.) Mais si Jésus trouva peu d'accès à Nazareth et s'il y fit en conséquence peu de miracles, il n'en fut pas de même dans la contrée environnante. Il fut ému de compassion en voyant ces âmes semblables à des brebis dépourvues de bergers. Il fit remarquer à ses disciples combien il y avait à faire pour amener tous ces pécheurs à Dieu et combien peu d'ouvriers à proportion d'une telle tâche. Priez donc, leur dit-il, pour que l'Éternel y pourvoie, parole que nous retrouverons plus tard et qui nous montre que si le salut des âmes est l'œuvre même de Jésus-Christ, ce n'est pas que ses disciples n'aient point à s'en occuper. Nous l'avons vu dès le commencement, dans la vocation d'André et de Jean par Jean-Baptiste, de Pierre par André, de Nathanaël par Philippe. Nous pourrions même ajouter ce qui est dit en saint Jean 4: 2. Telles furent les scènes qui, durant ce long séjour d'environ un an et demi en Galilée, se renouvelèrent sans cesse sous les pas de Jésus, depuis son premier voyage à Jérusalem. C'est dans cette ville que nous allons le suivre maintenant, à l'occasion d'une apparition probablement assez courte qu'il y fit à l'époque où nous sommes parvenus.


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