Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DEPUIS LA FÊTE MENTIONNÉE DANS L'ÉVANGILE DE SAINT JEAN, CHAP.V. JUSQU'À LA TROISIÈME PÂQUE.

----------


CCXXIX. — La piscine de Béthesda. Divinité de Jésus-Christ.


3020. (Jean 5:1.) Depuis la première Pâque célébrée à Jérusalem par notre Seigneur [2740], il y en avait eu une autre qu'il paraît avoir passée loin de cette ville [2938]. Il fallait néanmoins qu'il s'y montrât encore, et plus d'une fois, avant sa mort. Les Juifs avaient institué plusieurs fêtes outre celles qu'ordonnait la loi de Moïse, et l'on ignore celle qui allait avoir lieu, lorsque Jésus fit son second voyage à Jérusalem. Quelques-uns pensent que c'était la fête du Purim, au mois de février [2502], d'autres la fêle de la Dédicace, deux mois auparavant. Si c'eût été la Pâque ou les Tabernacles, il semble que l'évangéliste n'eût pas dit, en termes généraux, une fête. Quoi qu'il en soit, il ne nous instruit, ni de la durée du séjour que Jésus fit alors à Jérusalem, ni de la manière dont il y employa son temps. Un seul miracle et un seul discours, voilà ce qui nous est rapporté par l'Évangile; mais l'un et l'autre nous montrent Jésus en sa plénitude (Jean l: 16), et l'on comprend très bien que les Juifs incrédules n'aient pas longtemps toléré dans leur ville un homme qui parlait et agissait de la sorte.

3021. (2-4.) Il y avait à Jérusalem une de ces sources bienfaisantes auxquelles tant de malades vont demander la santé. On en avait recueilli les eaux dans une piscine qu'on appelait Béthesda, c'est-à-dire Maison de miséricorde, et là se faisaient de temps en temps des guérisons miraculeuses. Tout à coup on voyait l'eau s'agiter, et le premier malade qui s'y jetait après qu'elle avait été troublée, en ressortait guéri. L'évangéliste nous dit que c'était un ange qui faisait cela de la part de Dieu, mais probablement sans se rendre visible aux yeux des hommes. Toujours est-il qu'il avait plu à l'Éternel de maintenir au milieu de son peuple, ou peut-être d'y susciter en ces temps extraordinaires, ce signe de sa présence, à la fois puissante et miséricordieuse.

3022. (5-9.) On conçoit que notre Seigneur dut diriger ses pas vers Béthesda et rendre un tel lieu témoin de sa miséricorde. Il n'y alla pas guérir tous les malades, de même qu'il ne sauve pas tous les pécheurs; mais il lui plut de déployer sa grâce envers un pauvre impotent dont les infirmités duraient depuis trente-huit années. Cet homme, très pauvre à ce qu'il paraît, avait enfin obtenu un lit dans cette espèce d'hôpital, mais lorsque l'eau venait à être troublée, il n'avait personne pour l'y jeter: quant à y descendre de lui-même, la chose lui était naturellement impossible. C'est à ce malheureux que le Seigneur s'adressa par une question qui semble, au premier abord, bien oiseuse. Pouvait-il mettre en doute que l'impotent ne voulût être guéri? Non certes; mais si vous vous rappelez dans quel but essentiel notre Seigneur a opéré ses guérisons miraculeuses[2818], vous comprendrez quelle fut son intention. Il déclarait ainsi qu'il sauve seulement ceux qui le veulent, et que de plus cette volonté ne doit point se sous-entendre. Si nous désirons vraiment les grâces de Dieu, demandons-les.

3023. (9-13.) Dominé par la puissance divine qui lui avait rendu l'activité de ses membres, l'impotent chargea son petit lit sur ses épaules et, sans s'arrêter un seul instant, il partit. Or c'était le jour du sabbat, et les Juifs ne manquèrent pas de réclamer contre l'infraction que cet homme faisait à la loi du repos. Il est vrai qu'il était défendu de porter des fardeaux ce jour-là (Jér. 17: 21, 22); mais le lit de l'impotent était bien plus un trophée qu'une charge; d'ailleurs sa justification était facile. Celui qui avait eu la puissance de le guérir, avait bien eu le droit sans doute de lui faire enlever sa couchette, pour montrer à tous les yeux que le malade avait réellement recouvré l'intégrité de ses forces. Du reste, l'événement avait eu son cours avec tant de rapidité, Jésus s'était lui-même dérobé si vite dans la foule, que l'homme ne sut pas dire à qui, précisément, il devait sa guérison.

3024. (1-1.) Le Seigneur, cependant, ne voulait pas le lui laisser. ignorer. L'heureux malade était monté au temple pour y rendre ses actions de grâces à l'Éternel. Il ne faisait que son devoir; mais c'est quand on suit la ligne du devoir qu'on est le plus sûr de rencontrer Jésus. Après un discours dont l'évangéliste ne nous donne que la fin, le Seigneur lui dit: «Voici, tu as été guéri, ne pèche plus, de peur que pis ne t'arrive.» En ce peu de mots, combien de grandes vérités! On y voit que tous nos maux viennent primitivement du péché, que toutes nos délivrances sont des invitations à ne plus le commettre, et que l'abus des grâces de Dieu aggrave infailliblement notre condamnation. N'y voit-on pas également que Jésus est venu non seulement  pour effacer nos transgressions, mais encore pour nous former à la sainteté? ... 
.... Notre Seigneur saisit la circonstance pour adresser au peuple une de ces proclamations magnifiques, qui, après dix-huit siècles, n'ont rien perdu de leur importance ni de leur solennité, et que les anciens prophètes avaient annoncées comme devant sortir de la bouche du Christ (Es. 55: 1). «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive!» Puis il explique encore une fois ce que c'est qu'aller à lui: «Si quelqu'un croit en moi,» ajoute-t-il [3071]. O vous donc qui lisez ces lignes, si votre âme éprouve quelque besoin de bonheur, de pardon, de sainteté, regardez à Jésus; croyez en lui, allez vers lui, et non seulement il vous donnera tout ce qui vous est nécessaire pour vous-mêmes, mais encore il fera de vous une source de bonheur, d'édification et de grâce pour votre prochain. Écoutez sa promesse: «Si quelqu'un croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront de lui, comme le disaient déjà les anciennes Écritures» (Es. 58: 11; Prov. 18: 4).

3025. (15, 16.) Dans la candeur de son âme, l'homme que Jésus avait guéri, n'eut rien de plus pressé que de publier le nom de son bienfaiteur. Il ne s'attendait pas assurément que l'hommage de sa reconnaissance deviendrait par le fait une dénonciation. Or, soit que les Juifs prissent toujours plus ombrage de la popularité dont jouissait alors notre Seigneur, soit qu'en effet leur zèle pour la stricte observance du sabbat les eût enflammés contre lui d'une colère non feinte, ils songèrent plus sérieusement que jamais à le faire mourir. Ce n'étaient pas seulement des pharisiens cette fois, mais une partie même de la population de Jérusalem, appelée les Juifs par saint Jean [2717]; en sorte que la vie de Jésus se trouva menacée, encore plus qu'elle ne l'avait été précédemment et par la même cause [2948].

3026. (17, 18.) Ce fut l'occasion que le Seigneur choisit pour déclarer la nature de ses relations avec Dieu. Non seulement il l'appelle son Père, mais encore il se fait égal à lui, en présentant sa propre activité comme une activité divine toute semblable à celle du Père. Rien ne subsiste que par un déploiement continuel du pouvoir divin, et ce travail est commun au Père et au Fils.- C'est bien de cette façon que les Juifs entendirent la chose, aussi les voyons-nous s'affermir dans la résolution de faire mourir l'homme qui osait parler de la sorte.

3027. (19-23.) Mais, sans se laisser arrêter par leurs menaces, Jésus continue de rendre témoignage à la vérité. Il existe entre le Père et le Fils une distinction qu'il ne faut pas méconnaître. Dire en quoi elle consiste, c'est probablement ce qui est impossible au langage humain. Toujours est-il que ce n'est pas le Père qui fait les œuvres du Fils, mais le Fils qui fait celles du Père; la science et le pouvoir vont du Père au Fils et non du Fils au Père. Pourtant, comprenez bien que le Fils est entièrement participant de la nature du Père. D'abord, le Fils, comme le Père, donne et rend la vie à qui il lui plaît. Bien plus, c'est le Fils, et non le Père, qui exercera le jugement universel. Or, Celui de qui procède la vie, Celui qui est le juge de toute la terre, c'est l'Éternel (1 Sam. 2: 6). Donc le Fils est Dieu, comme le Père; il doit être honoré à l'égal du Père, et si quelqu'un ne l'honore pas, il n'honore pas le Père non plus.

3028. (24-29.) Après cela, Jésus répéta ce qu'il avait dit précédemment à Nicodème (3: 16) et peut-être ce docteur de la loi se trouvait-il parmi ses auditeurs. Il le dit en variant ses expressions de manière à faire voir que croire au Père et croire au Fils, c'est au fond une même chose, parce qu'on ne peut croire au Père que par le Fils, ni au Fils sans qu'on aille par cela même au Père. Puis, reprenant les deux idées qu'il venait d'énoncer, Jésus déclare sa divinité essentielle, en disant qu'il a la vie en lui-même aussi bien que le Père, et que c'est à sa voix puissante que les morts sortiront de leurs sépulcres au jour de sa venue; pour preuve de quoi, il fait allusion aux miracles de résurrection qu'il avait déjà opérés [2969, 3016].

3029. Pour prendre à part quelques points de détail, c'est parce que Jésus est devenu le Fils De L'homme qu'il parle comme ayant dû recevoir le droit de juger; c'est parce qu'il a été humilié dans son humanité que, dans cette même humanité, il doit s'asseoir sur le trône glorieux du jugement (27); sans compter qu'il y a une grande miséricorde à ce que nous devions avoir pour Juge celui qui a bien voulu être notre frère et notre Sauveur. Voyez ensuite s'il n'est pas positif qu'il y aura une double résurrection; une résurrection pour la vie et le bonheur, une autre pour le jugement et en conséquence pour la condamnation (3: 18). La première sera le partage de ceux qui, ayant cru (24), se seront appliqués de tout leur cœur à la pratique des bonnes œuvres; la seconde sera le lot de tous les autres, car qui est-ce qui n'a pas fait le mal?

3030. Il est d'ailleurs évident que le Fils n'est pas un être à part, un être indépendant du Père; car alors il y aurait deux Dieux et, par le fait, il n'y en a qu'UN (30). Quant à la créance que nous devons à ces vérités profondes, notre Seigneur ne veut pas qu'elle repose sur son témoignage seul, bien qu'il soit digne de foi (31), mais sur le témoignage même de son Père. Celui de Jean était sans doute d'un très grand poids et les Juifs avaient bien fait de lui demander ce qu'il pensait de Jésus; mais après tout, les œuvres de puissance et de miséricorde du Sauveur, ses miracles, dis-je, attestaient avec plus de force encore la vérité de ses discours (33-38); sans parler des écrits de Moïse et des prophètes, qui lui rendaient un témoignage non équivoque (39-44).

3031. Tel fut en substance le discours que Jésus prononça pour sa justification. Mais voyez comme sa pensée se porte sur ceux qui l'écoutent, et non pas seulement sur lui-même. C'est pour leur salut qu'il leur dit toutes ces choses; ce qui l'attriste, c'est que la Parole de Dieu, qu'ils possédaient, qu'ils lisaient, qu'ils faisaient profession de croire, ne demeurait point en eux; ce qu'il leur reproche, c'est de ne point aimer l'Éternel, c'est de rechercher la gloire qui vient des hommes (42-44), c'est enfin de ne pas accepter réellement Moïse lui-même (46). S'ils avaient médité du cœur les Écritures, aimé Dieu, cherché la gloire qui vient de lui, reçu véritablement les paroles de leur grand prophète, ils n'auraient pas hésité non plus à accueillir Jésus comme l'Ange de Jéhovah, l'Ange de l'Éternel, le Seigneur, le roi d'Israël (47) [2592, l'Ange de l'Alliance].

3032. Or, que mes lecteurs prennent garde à ce que dit ici le Seigneur. Ils ne sont peut-être pas autrement chrétiens que ces Juifs n'étaient Israélites. Ils ont la Bible, ils la lisent; mais ses enseignements n'habitent pas dans leur âme. Ils appellent Jésus, Seigneur; mais ils ne croient pas véritablement en lui. Cela vient de ce qu'ils sont beaucoup plus occupés de l'approbation des hommes que de celle de Dieu, et toutefois ils osent dire qu'ils l'aiment!!!

3033. Détachons encore quelques traits d'un discours dont la richesse est inépuisable. — Les Juifs avaient accueilli d'abord avec des transports de joie les prédications de Jean-Baptiste, mais ce fut un enthousiasme de courte durée, comme on voit la foule courir quelque temps après un célèbre prédicateur et s'en lasser bientôt (35). — Or, ce qui avait été dit par ce même Jean, notre Seigneur le confirme ici de la façon la plus positive: «Personne n'entendit jamais la voix du Père, ni ne vit sa face!» (37.) Il est pourtant certain que plusieurs fidèles ouïrent la voix de l'Éternel et virent la face de Dieu. La conséquence en est que c'est par son Fils que le Père s'est toujours communiqué aux hommes, et que le Fils est Dieu, dans l'unité avec le Père [2716].

3034. (43.) Il est incontestable que les imposteurs, les inventeurs de superstitions, les faux prophètes, trouvent un accès plus facile auprès de la généralité des hommes que les prédicateurs de la vérité. Est-il, je le demande, une preuve plus forte de la dégradation morale du genre humain? D'un autre côté, pourrions-nous jamais nous tenir trop sur nos gardes contre ceux qui abjurent la saine doctrine et dont les poisons s'infiltrent si aisément dans les cœurs. Remarquez enfin le soin avec lequel notre Seigneur écarte l'idée qu'il puisse, dans aucun cas, devenir notre accusateur. Il est venu pour sauver; il sera le juge de ceux qui n'ont pas cru; mais leur accusateur, c'est Moïse, ou la loi, ou leurs œuvres, trois expressions qui présentent la même idée (45). 


CCXXX. — Première mission des Apôtres. Prophéties.


3035. (L. 9: 1-6; Mc. 6: 7-13; M. 10:1, 5-27.) Comme Jésus regagnait la Galilée et peu après son départ de Jérusalem, si ce n'est avant, il jugea bon de confier aux douze une mission qui devait être pour eux comme un apprentissage de leur future carrière. Jean-Baptiste, selon toute apparence, avait alors terminé la sienne dans les prisons d'Hérode, et le Seigneur voulant faire voir peut-être que les hommes n'ont pas la puissance d'arrêter ses desseins; que, pour un ouvrier qu'ils lui enlèvent, il en peut susciter douze nouveaux; enfin, que les miracles qu'il faisait seraient, au besoin, faits par d'autres que par lui; le Seigneur, dis-je, chargea ses disciples de continuer le ministère de Jean-Baptiste, en parcourant les localités jusque-là demeurées étrangères à la prédication de l'Évangile. Il les envoya deux à deux, pour qu'ils se soutinssent et s'encourageassent mutuellement, leur donnant des instructions qui, malgré leur spécialité, ne laissent pas de mériter notre attention, car il en est plusieurs qui conservent de nos jours toute leur importance.

3036. (Matth. 10: 5-10.) Ce n'est pas le cas, si l'on veut, de celles que nous lisons les premières. Aujourd'hui, l'Évangile doit être prêché à toute créature; mais le Seigneur, évitant alors ce qui pouvait être une occasion de scandale pour les Juifs et accomplissant les promesses spéciales faites à leurs pères, défendit aux douze d'aller ailleurs que dans les villes et dans les bourgades des Israélites. Ils devaient, comme Jean, annoncer la venue du Christ; puis, sceller leur prédication par des guérisons miraculeuses, ce que Jean n'avait pas reçu le pouvoir de faire. Il fallait d'ailleurs qu'ils n'acceptassent de l'argent de personne, afin qu'on ne pût en aucune manière les soupçonner de vues intéressées. Ce n'était pas qu'ils eussent par-devers eux de quoi vivre, car ils partaient dénués de tout; ni qu'ils n'eussent pas droit à leur nourriture, ce qui est le moindre salaire qu'on donne à un ouvrier: comment donc les choses devaient-elles se passer?

3037. (11-15.) Pour le bien comprendre, il faut se placer dans la situation. Les douze ne devaient avoir affaire, cette fois, qu'avec les Israélites; or, comme ceux-ci attendaient généralement le royaume de Dieu et qu'ils avaient tous ouï parler de Jésus et de Jean, bien qu'ils n'eussent pas tous entendu leur voix, il était peu probable que les apôtres rencontrassent sur leur chemin une seule bourgade où il n'y eût quelqu'une de ces âmes qui, préparées par la grâce de Dieu, aspiraient aux consolations promises à Abraham et à sa postérité, pour le temps du Messie. Ces gens-là, brebis perdues d'Israël, troupeau sans pasteurs, dignes par leur piété de recevoir les messagers de Jésus, ne manqueraient pas de les accueillir comme des frères. Aussi le Seigneur autorise-t-il ses apôtres à s'établir dans leurs maisons et à y recevoir, avec simplicité de cœur, l'hospitalité qui leur serait offerte. Bien plus, en entrant dans ces maisons bénies, ils invoqueront sur elles la paix de Dieu, et leur prière sera certainement exaucée.

3038. Si toutefois il leur arrive de se voir rejetés par une population ou par une famille qui leur avait d'abord paru bien disposée (et cela ne manquera pas d'avoir lieu), qu'ils ne regrettent point leurs paroles de paix; ils auront fait ce qu'ils devaient et la bénédiction de Dieu reposera sur eux. Mais en partant de là, le plus tôt possible, ils secoueront la poussière de leurs pieds, moins en signe de menace, que pour dire à ces gens: Vous n'avez rien voulu de nos paroles, en conséquence nous ne voulons rien emporter dé ce qui est à vous; acte qui, par la volonté du Seigneur, se trouvait être de la sorte un acte d'accusation. Or malheur à eux! Sodome et Gomorrhe furent détruites à cause de leurs abominations et les habitants de ces villes coupables subiront un terrible jugement au dernier jour; mais leur sort sera moins terrible que celui des Israélites qui, ayant eu le bonheur d'entendre les apôtres, refusèrent de les écouter!

3039. Je ne saurais omettre les principales instructions qu'on peut déduire des paroles que je viens d'exposer; mais, pour n'être pas trop long, je me borne à les indiquer sommairement. — Bien que nous soyons appelés à faire luire notre lumière devant tous les hommes, il n'est pas douteux que nous ne devions surtout annoncer l'Évangile à ceux qui nous paraissent les mieux disposés à le recevoir. — Il n'est jamais permis de se faire payer les grâces dont on est le canal auprès des âmes de la part de Dieu. — D'un autre côté, toute personne qui emploie sa vie à la prédication de l'Évangile doit accepter sans scrupule ce qui lui est offert volontairement pour sa subsistance. Si nous sommes des ouvriers de Dieu, envoyés par lui, nous ne concevrons aucune crainte à cet égard; car Dieu est un bon et puissant maître, et il est impossible qu'il n'ait pas soin de ceux qu'il emploie. Prenons garde seulement à une chose, c'est qu'il ne peut jamais vouloir que ses serviteurs reçoivent leur nourriture d'un monde impie ou indifférent.

3040. (16-25.) Après ces directions générales sur la conduite que ses apôtres devaient tenir dans leur mission, notre Seigneur leur annonce, en termes fort remarquables, ce qui leur arriverait. C'est donc une prophétie; et, comme la plupart de celles que nous avons lues dans l'Ancien Testament, il est facile d'y voir un sens prochain et un sens éloigné. Elle ne s'est pas accomplie en tous ses points durant la première mission des apôtres; d'un autre côté, il s'en faut beaucoup qu'elle ait cessé d'être vraie depuis qu'ils ont été retirés de ce monde. Au contraire, elle s'accomplit encore de nos jours et ceux qui viendront après, la trouveront, comme nous, ancienne et nouvelle tout à la fois.

3041. Le monde est plein de violence: le fidèle disciple de Jésus-Christ doit être plein de douceur (16-18). Par ses bonnes qualités, il s'attirerait l'affection des mondains, si ces derniers pouvaient lui pardonner la foi qui l'anime et de laquelle découlent ses bonnes œuvres. Mais, comme les cœurs non convertis ne sauraient aimer Jésus-Christ, ils ne sauraient non plus aimer ceux qui s'efforcent de lui être semblables et que dirige son Esprit. C'est pourquoi, plus nous appartiendrons vraiment au Sauveur, plus nous ressentirons les effets de la malveillance, non pas seulement des plus méchantes, mais des personnes même qui ont une grande réputation de bonté, et qui, lorsqu'il s'agit de l'Évangile, se montrent quelquefois telles que des loups. Or, le disciple de Jésus-Christ, loin de rendre le mal pour le mal, demeurera paisible et doux comme une brebis qui ne songe pas à se défendre, et qui, par le fait, n'en a pas le moyen.

3042. Cependant la conduite du chrétien au milieu du monde est loin d'être facile. Il lui faut beaucoup de prudence; non pas une prudence astucieuse, ce que pourrait faire croire au premier abord l'image employée par le Seigneur, mais une prudence qui s'allie à la simplicité et à la candeur de la colombe. Comme le serpent se réfugie sous les hautes herbes et le pigeon dans son colombier dès qu'ils aperçoivent le danger, ainsi doit faire le fidèle. Il ne provoquera pas la persécution; il n'ira pas sans nécessité au-devant de l'épreuve; il ne se livrera pas lui-même à la méchanceté des hommes et il aura peu de foi en leur tolérance. Il sait au contraire que s'ils le pouvaient, si Dieu ne confondait leurs entreprises, ils ne manqueraient pas de faire aux disciples de Jésus les plus odieuses et les plus cruelles indignités. Ils les traîneront devant les tribunaux et les livreront à divers supplices; des rois même ne dédaigneront pas de les appeler en leur présence pour les juger et les condamner. Tout cela s'est vu et se voit encore de nos jours. Il y a des différences suivant les temps et les lieux, mais le fond subsiste. Or, cela même atteste la vérité de l'Évangile; c'est un témoignage que, sans le vouloir, le monde rend à l'esprit prophétique de Jésus-Christ. Il faut dire aussi que, de toutes les prédications, la plus puissante, peut-être donc aussi la plus irritante, c'est la douceur et la persévérance des fidèles au sein des persécutions.

3043. En même temps, c'est une grande épreuve pour leur foi. Appelés à se défendre devant les puissants de la terre, ils ne doivent pas s'abandonner à des inquiétudes sur la manière dont ils s'en acquitteront. Qu'ils pensent à ce qu'ils auront à dire, qu'ils prient le Seigneur de ne point les délaisser, à la bonne heure! mais qu'ils ne se préoccupent pas des difficultés de la position; car ils ont un Père dans le ciel, et un Père qui conduit les siens par son Esprit (19, 20). Or, bien certainement, s'il est une circonstance où nous pouvons compter sur son secours, c'est lorsque nous sommes livrés entre les mains des hommes pour le nom de Christ. Rappelez-vous les trois jeunes Hébreux devant Nébucanétzar [2439].

3044. Et ce n'est pas de la part des seuls étrangers que les chrétiens se verront persécutés à cause de leur foi; ceux-mêmes avec lesquels ils sont unis par les liens du plus étroit parentage se montreront souvent leurs pires ennemis. Voilà peut-être ce qui sera le plus propre à ébranler leur foi (21, 2-2). Qu'il est douloureux d'encourir l'animadversion d'un père, d'un époux, d'un frère, et combien n'est-il pas à craindre que l'épi ne se dessèche sous ce brûlant soleil! (13: 21.) Aussi, notre Seigneur fait-il sentir, à cette occasion, la nécessité de demeurer ferme dans la foi: «Celui, dit-il, qui aura persévéré jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé!»

3045. La persécution est une si rude épreuve, que notre Seigneur autorise à s'y soustraire par la fuite; pourvu toutefois, cela va sans dire, pourvu qu'un devoir positif ne nous invite à l'affronter jusqu'au bout (23). Puis, il est également sous-entendu que, si le disciple fuit un lieu rendu intolérable par la violence de la persécution, c'est pour porter ailleurs le témoignage qu'il doit au Seigneur. Ainsi, les apôtres, quittant une ville, n'abandonnaient pas pour cela leur œuvre, car leur mission était auprès de toutes celles d'Israël. Or, le Seigneur leur annonce, en passant, que cette œuvre durerait jusqu'à son retour. De quelque manière qu'on entende la venue du Fils de l'homme, la prophétie demeure vraie; soit qu'il s'agisse du moment où il devait les rejoindre après leur tournée actuelle, soit qu'il s'agisse d'un autre retour de Jésus dont nous aurons plus d'une fois occasion de parler.

3046. La pensée du retour de notre Seigneur et de la proximité de ce jour, était bien propre à soutenir le courage des apôtres. Ce qui devait aussi leur venir en aide, c'était le souvenir des mépris et des insultes dont leur divin Maître se voyait lui-même abreuvé (24, 25). Si donc il les exhorte à la prudence, ce n'est pas qu'il les autorise jamais à perdre courage. Il faut au contraire, qu'en se confiant dans la toute-science et dans la toute-puissance de leur Père céleste, ils confessent franchement leur foi devant les hommes (26, 27). Mais les deux versets dont nous tirons cette pensée, ainsi que les suivants, paraissent appartenir à un discours que nous retrouverons plus tard; saint Matthieu les ayant introduits ici, plutôt suivant le plan de son Évangile, recueil de faits et de discours détachés, que suivant l'ordre chronologique [2600].

3047. Il faut en excepter peut-être les versets 40 et 41. Bien que la déclaration qu'ils renferment reparaisse ailleurs, on conçoit que notre Seigneur ait dû la faire entendre à ses disciples, dès le jour qu'il les envoya devant lui. C'était une nouvelle manière de les encourager au milieu des difficultés de leur œuvre. Bien que séparés de leur docteur, celui-ci ne laissera pas d'être en eux. Ce n'est pas leur doctrine qu'ils vont prêcher et encore moins leurs personnes qu'il s'agit de recommander; mais le Christ de Dieu, et, par le Christ, Dieu lui-même. Toute la force du chrétien dans les épreuves de la foi et notamment dans les persécutions, se tire de cette pensée, que c'est le Seigneur qui est en cause bien plus que ses disciples. D'un autre côté, quelles belles promesses notre Seigneur ne fait-il pas à ceux qui auront reçu ses messagers! Il se donnera lui-même à eux; et, par lui, ils posséderont le Père qui l'a envoyé. De même, recevoir un prophète ou un juste, c'est s'unir à ce prophète ou à ce juste de manière à partager la gloire qui lui est réservée. Enfin tendre une main bienfaisante au plus chétif des disciples de Jésus parce qu'il est disciple, c'est faire une œuvre qui ne demeurera pas sans récompense. Ah! que ceux qui lisent ces lignes se demandent s'ils reçoivent réellement, et Jésus et ses apôtres, et les prophètes et les fidèles.


CCXXXI. — Mort de Jean-Baptiste.


3048. (Matth. 11: 1.) Pendant que les apôtres s'acquittent de leur message et que le Seigneur continue, seul, ses courses et ses prédications dans la Galilée, approchons-nous, avec les Évangiles, de la prison où Jean-Baptiste subit le martyre; écoutons le récit qu'ils nous font de cette catastrophe, et d'abord parlons avec eux de la circonstance à l'occasion de laquelle cette douloureuse histoire nous est racontée.

3049. (L. 9: 7-9; M. 14: 1-12; Mc. 6: 14-29.) Sur la croupe occidentale du mont Nébo, dont les parois de rochers plongent dans la mer Morte, Hérode avait fait construire un château fort qui était d'une grande magnificence et qu'on appelait Machéronte. C'était là que résidait quelquefois le prince voluptueux qui retenait Jean-Baptiste dans les prisons de la forteresse, et là aussi que vint le chercher le bruit des merveilles opérées par Jésus-Christ. Qui sait si ce ne fut pas de la bouche même des apôtres, employés à leur première mission! Quoi qu'il en soit, le fils du grand Hérode fut tout interdit en apprenant ce qui se passait. Il l'eût moins été sans doute si l'on était venu lui annoncer que les Arabes, avec lesquels il soutenait alors une guerre, avaient mis son armée en déroute. Or voici la cause de son agitation. Il avait fait décapiter Jean, et il se demandait si le nouveau prophète dont on parlait n'était point ce saint homme que Dieu aurait ressuscité? D'autres autour de lui, pensaient que, pour cette fois, c'était bien réellement Élie [2717]; d'autres, un des anciens prophètes. On comprend que devant Hérode, fils d'un usurpateur, personne n'aurait osé dire: C'est peut-être le Fils de David, le Roi-Messie promis dans les Écritures. Toujours est-il que les habitants du château de Machéronte parlaient de religion comme tant de mondains, sans y rien comprendre.

3050. Luc, qui avait mentionné par anticipation l'emprisonnement de Jean-Baptiste (3: 19,20), ne nous raconte pas sa mort; mais nous en trouvons le récit très circonstancié dans les deux autres évangélistes. C'est par eux aussi que nous connaissons la cause honorable de la persécution dont ce grand serviteur de Dieu fut victime. Poursuivant ses courses d'évangélisation, Jean était parvenu à faire entendre sa voix dans le palais d'Hérode. Celui-ci, surnommé Antipas et fils d'Hérode le Grand, n'était pas ce que le monde appelle un homme méchant; mais c'était un homme de plaisir qui ne refusait à son coeur charnel rien de ce qui pouvait le satisfaire. Il avait épousé la fille du roi Arétas, quand il s'éprit d'une passion doublement criminelle pour une femme devenue tristement célèbre. Hérode Philippe, frère d'Hérode Antipas, avait épousé sa nièce, Hérodias, fille d'Aristobule, autre fils d'Hérode le Grand. Antipas, pour devenir l'époux de celle qui autrefois était sa nièce et sa belle-soeur, répudia la fille d'Aretas (de là sa guerre avec les Arabes) et ravit à Philippe la femme de qui ce dernier prince avait eu une fille appelée Salomée.

3051. Ce fut, il faut en convenir, une déplorable famille que cette famille des Hérode! La parole sévère de Jean-Baptiste ne pouvait, ni mieux s'adresser, ni rencontrer des cœurs moins bien disposés. Antipas, cependant, plutôt léger que perverti (et il est beaucoup d'hommes de ce caractère), ne repoussa point du premier abord le grand serviteur de Dieu que la nation tout entière vénérait. Sa conscience ne fut pas inaccessible; il écoutait Jean avec plaisir; il faisait bien des choses selon ses conseils, et, un jour sans doute qu'il se sentit comme entraîné par cette Voix puissante, il ne put s'empêcher de dire à Jean: «Que faut-il que je fasse?» Le fils de Zacharie toujours ferme à réclamer, comme signe d'une vraie conversion, l'accomplissement des devoirs les plus prochains [2679], répondit à Hérode, sans hésiter, qu'il devait rompre ses relations criminelles avec la femme de son frère.

3052. Hérodias apprit bientôt, et probablement de la bouche même du roi, ce que Jean avait osé lui proposer. Or, cette malheureuse femme, plus violente et plus passionnée qu'Hérode, conçut dès ce moment une haine acharnée contre le prophète. Elle eût voulu le faire mourir, elle le demanda peut-être; mais arrêté par une voix intérieure qui lui tenait au fond le même langage que Jean, plein de considération pour un homme si juste et si saint, contenu surtout par la crainte de l'opinion publique, Hérode se contenta de jeter en prison le messager du Seigneur. C'était bien assez pour montrer qu'il était capable de pis, s'il y était poussé; car, jusqu'où ne va-t-on pas lorsqu'on se laisse dominer par une passion criminelle?

3053. Les premiers pas dans le crime sont les seuls qui coûtent, et, plus la haine nous a rendus injustes envers quelqu'un, plus elle s'accroît et désire de s'assouvir. Depuis qu'Hérodias était parvenue à confiner dans une prison le prophète qui avait osé menacer la coupable passion d'Hérode, elle ne cessait de guetter le moment de se défaire d'un homme dont l'existence troublait la sienne. Enfin le jour parut où la haine put se transformer en meurtre [5091].

3054. Hérode célébrait l'anniversaire de sa naissance, non point comme des gens pieux peuvent le faire, mais à la manière des mondains, qui, par des fêtes bruyantes et toutes de dissipation, semblent prendre à tâche d'oublier la fuite rapide des années. Le prince donc, comme jadis Pharaon [533], donnait un grand festin aux seigneurs de sa cour, à ses généraux et à tout ce que sa province offrait d'hommes riches et puissants. Jamais peut-être le château de Machéronte n'avait rien vu de plus splendide. On mangea et l'on but abondamment; les instruments faisaient entendre leurs symphonies, et l'on appela de jeunes filles qui, par leurs danses, ajoutaient aux joies voluptueuses du festin. Avec elles sans doute vint Salomé, la fille de Philippe et d'Hérodias, belle comme sa mère, et, comme elle, instruite de bonne heure dans le dangereux art de plaire.

3055. Le roi fut ravi des charmes et des grâces de la jeune fille; ses convives la couvrirent d'applaudissements, et, transporté de bonheur, comme on dit dans le monde, il estima qu'aucune récompense n'égalerait les jouissances que Salomé venait de lui procurer, ainsi qu'à toute sa cour. Il s'engagea donc, par serment, à lui accorder tout ce qu'elle lui demanderait, même ce qu'il n'était pas en son pouvoir de donner; car il tenait des Romains sa couronne, et je ne pense pas qu'il pût la partager sans leur permission. Mais que ne fait pas, et surtout que ne dit pas un homme de plaisir qui, au lieu d'écouter la raison et la conscience, se laisse gouverner par l'impression des sens!

3056. Ne sachant trop quelle réponse faire, la jeune fille court à Hérodias, et celle-ci décide, sans balancer, qu'elle demandera la tête de Jean-Baptiste. Salomé, à son tour (tant elle avait épousé les passions de sa mère), semble en quelque sorte se vouloir du mal de n'y avoir pas songé d'elle-même. Avec un horrible empressement, elle rentre auprès du roi et d'un ton sec et froid: «Je veux que tu me donnes à l'instant, dans un plat, la tête de Jean le Baptiseur.» Oh! qu'ils sont malheureux, les grands de la terre, d'avoir en mains tant de moyens de satisfaire leurs passions? Mais combien de petits et de pauvres qui n'en sont pas moins coupables devant Dieu, parce que leurs haines sont impuissantes!

3057. «Même en riant, le cœur est triste et la joie finit par l'ennui» (Prov. 14: 13), nous dit l'Écriture en parlant de la prétendue félicité des mondains. Hérode en fit alors la douloureuse expérience. (Matthieu 14: 1-12. Marc 6: 14-29.) Ce prince n'avait pas, comme Hérodias et sa fille, abjuré toute espèce de sentiment, aussi fut-il affecté de la demande qui lui était adressée. Mais le respect humain, la crainte des hommes, exerce une puissance terrible sur le cœur même des rois, «À cause de son serment et plus encore à cause de ses convives,» Hérode n'osa pas revenir en arrière. Il craignit sans doute qu'on ne l'accusât de bigotisme et qu'on ne se moquât de lui. Sans compter qu'il ne pouvait alléguer l'innocence de Jean, car alors pourquoi le retenir en prison? Il vit donc à quels crimes conduit un premier crime. Par son ordre un soldat descendit dans le cachot, et bientôt il reparut avec la tête de Jean sur un des plats qui avaient servi au festin.

3058. Quelle horreur! n'est-ce pas? Il faut convenir que l'histoire en raconte peu de pareilles. Mais ce que nul historien n'aurait fait, c'est de conserver, dans un tel récit, le calme qu'y apportent nos évangélistes. Il n'y a pas un mot qui dénote chez eux la moindre passion. Les choses ont eu lieu comme ils les disent, et ils en laissent le jugement à Dieu; observation qui se représentera par la suite d'une manière encore plus frappante. Un historien juif, qui vécut dans ce même siècle et dont j'aurai peut-être plus d'une fois à invoquer le témoignage, le général Josèphe raconte que, peu après cet événement, Hérode perdit une grande bataille contre les Arabes, et que le peuple, plein de vénération pour la mémoire de Jean, ne manqua pas d'attribuer ce malheur à un jugement de Dieu.

3059. Ce fut donc ainsi que mourut le précurseur du Messie, celui qu'on pourrait appeler l'Abel de la nouvelle alliance, si Jésus lui-même ne l'était pas encore plus; brebis au milieu des loups, témoin ou martyr du Rédempteur jusqu'à son dernier soupir, comme il l'avait été dès avant sa naissance. Une telle mort dut être un sérieux avertissement pour les disciples de Jésus; car ils purent y voir le sort qui attendait plusieurs d'entre eux. Et puis, comment douter d'une autre vie après de tels faits? Comment ne pas admettre un jugement où chacun recevra selon ses œuvres? Comment croire que le Seigneur, juste juge, traitera d'une même façon un Hérode et un Jean? Comment ne pas déclarer bienheureux ce serviteur de l'Éternel qui entra dans son repos à l'heure voulue, et ne pas s'effrayer en même temps des maux qui attendent les mondains et les persécuteurs?

3060. Oui, nous n'hésitons pas à dire Jean bienheureux, et toutefois il n'eut pas le temps de se préparer à la mort. À peine prononcée, la sentence du roi se trouve exécutée. Mais le fils de Zacharie était prêt à mourir. Il le fut dès sa plus tendre jeunesse, et sa foi, en se développant, l'avait mûri pour le royaume céleste dont il fut le héraut. Si son âme avait été agitée de quelques doutes dans sa prison, elle s'était tournée vers Jésus, et, dès ce moment, tout fut accompli. C'est pourquoi, heureux.qui, converti du cœur à Jésus-Christ et vivant dans la foi en sa grâce, se trouve prêt à déloger, quel que soit l'instant où son âme lui est redemandée!

3061. Mais encore une fois, si notre conscience est comme obligée d'estimer heureux l'humble fidèle dont la tête fut subitement tranchée dans les prisons du château de Machéronte, en peut-elle dire autant de ce roi voluptueux, si lâche au moment fatal, de cette Hérodias, cruelle autant que séduisante, de sa malheureuse fille, criminelle dès sa jeunesse, de tous ces grands d'ici-bas qui, un instant auparavant, faisaient retentir de leur joie les salles du séjour royal et qu'un incident si lugubre troubla peut-être à peine dans leurs coupables divertissements! Il est donc bien vrai que le bonheur ne se trouve pas où tant de pauvres pécheurs s'obstinent à le chercher! La mort de Jean fut, il est vrai, pour ses disciples, une occasion de deuil et de larmes; quand ils eurent déposé son corps dans un sépulcre, ils durent chercher en Galilée des consolations auprès du Seigneur; Jésus lui-même, en son cœur d'homme, montra la tristesse que cet événement lui imprimait (M. 14: 13); mais qui oserait comparer ce qui se passait dans leurs âmes à tous, avec l'agitation de celle d'Hérode. Tourmenté par les remords (nous l'avons vu en commençant cette Étude), il crut ou plutôt il craignit, quand on vint lui parler de Jésus, que ce ne fût Jean qui était ressuscité. Pour s'en assurer, il désirait de voir le Seigneur; mais sa curiosité ne devait pas être de sitôt satisfaite.


CCXXXII. — Multiplication des pains. Tempête apaisée. Instructions sur la foi.


3062. (L. 9: 10-17; M. 14: 13-33; Mc. 6: 30-52; J. 6: 1-21). Le Seigneur vit venir à lui, presque en même temps, les disciples de Jean, porteurs de la triste nouvelle, et les douze apôtres, au bout de deux ou trois mois qu'avait duré leur première mission. Or, soit par la crainte d'Hérode ou seulement pour échapper à ses regards (ce qui suppose que ce roi avait quitté Machéronte), soit pour passer quelques jours dans la retraite avec ses disciples et se soustraire aux vains empressements de la multitude, il traversa le lac de Génézareth et se réfugia dans un lieu inhabité, près de Behtsaïda. C'était la Bethsaïde-Juliade, voisine de Chorazin et de la montagne d'où le Seigneur était autrefois descendu pour prononcer son discours de la plaine [2722, 2955].

3063. Quelque secret que Jésus y eût mis, le peuple ne tarda pas à savoir où il se tenait caché (car le Seigneur se cache quelquefois), et la foule vint à lui plus nombreuse que jamais. La fête de Pâque approchait (J. 6: 4), la troisième depuis que Jésus était entré dans son ministère, et il est probable que cette circonstance augmentait chez plusieurs le désir de l'entendre. Il leur parlait donc du royaume de Dieu et il guérissait leurs malades.

3064. Un jour que cinq mille hommes environ, sans compter les femmes et les enfants, étaient demeurés jusqu'au soir près de Jésus, les apôtres lui représentèrent qu'il était temps de congédier cette multitude, afin qu'elle se procurât la nourriture dont elle manquait absolument, les vivres que chacun avait apportés se trouvant épuisés. Dans le but d'éprouver leur foi, Jésus dit aux douze et particulièrement à Philippe, un de ses plus anciens disciples (J. 1: 44, 45): Donnez-leur à manger, et si vous n'avez pas de pain, achetez-en. C'était une double impossibilité; car il n'y avait là que cinq pains et deux petits poissons. Quant à la somme qui eût été nécessaire, il est clair que les disciples ne la possédaient pas. Alors Jésus fit asseoir avec ordre toute cette foule sur le gazon, de manière qu'on le vît distinctement debout, au milieu de la prairie. Puis, prenant les pains et les poissons qui, sous sa main créatrice, allaient se multiplier au-delà même du nécessaire, et prononçant de solennelles paroles de bénédictions et d'actions de grâces, il fit distribuer ce miraculeux aliment et ils furent tous rassasiés. Bien plus, on recueillit par son ordre ce qui n'avait pu être consommé, et l'on eut de quoi en remplir douze paniers. Ce fut, comme la mesure de manne conservée dans le tabernacle [726], un monument du prodige que le Seigneur venait d'opérer par sa puissance.

3065. (M. 14: 22-27; Mc. 6: 43-52; J. 6: 16-21.) Ce nouveau miracle remplit la foule d'un tel enthousiasme, qu'elle forma le projet insensé d'enlever Jésus pour le proclamer roi. Charnels, ils ne rêvaient que délivrances temporelles et que gloire terrestre. Voilà, se disaient-ils, celui qu'il nous faut pour reconquérir notre indépendance et nous retirer de notre misère! Mais Jésus n'est pas venu établir un royaume de cette nature. Sachant ce qu'on méditait en sa faveur ou, dirai-je, contre lui, il résolut de s'y soustraire par la fuite. Encore fallait-il certaines précautions pour échapper à ses imprudents amis. Il ordonna donc aux douze de repasser le lac, tandis qu'il se tiendrait caché quelque part dans le recueillement de la prière. Mais comme ils cinglaient vers Capernaüm, un violent orage s'éleva. C'était environ la quatrième veille de la nuit; c'est-à-dire sur le matin, car on divisait la nuit en quatre veilles, chacune de trois heures. Ils luttaient avec peine contre le vent, lorsqu'ils voient tout à coup quelqu'un qui passe à côté de leur barque, comme pour la devancer. On comprend la frayeur qu'ils ressentirent et aussi leur joie, en entendant une voix bien connue qui leur disait: «Ayez bon courage; c'est moi, ne craignez point.»

3066. (M. 14: 28-31.) Aussitôt, partagé entre la foi et le doute, et cédant à la vivacité de son caractère, Simon demande à Jésus de l'appeler près de lui sur les eaux. Il lui est fait selon sa foi; mais sa foi était chancelante; aussi eut-il peur et commença-t-il à enfoncer. Cependant, il crie à Jésus. Ce miséricordieux Sauveur lui tend la main; et bientôt, à la requête des autres disciples, ils montent tous les deux sur la barque. Les instructions que présente ce fait ne sauraient échapper à mes lecteurs. Il est bien d'aspirer par la foi à de grandes choses, si la gloire du Seigneur y est d'ailleurs intéressée; mais il faut sonder sa foi, pour connaître ce dont elle est réellement capable. Puis, lorsqu'on est à l'œuvre, il s'agit d'avancer sans crainte, et quand on se sent près de fléchir, il faut regarder à Jésus et lui dire: «Seigneur, sauve-moi.» Ainsi, commencer par la foi, agir par la foi et se relever par elle! Comme nous le dira bientôt le Seigneur: «Tout est possible à celui qui croit.»

3067. (M. 14: 32, 33; Mc. 6: 51, 52; J. 6: 21.) Jésus fut à peine dans la nacelle que le vent cessa. Or les disciples qui, tout préoccupés, la veille, du soin de distribuer la nourriture au peuple, avaient à peine pris garde au miracle des pains et n'en avaient pas saisi la portée, furent vivement frappés de cette scène nocturne. Se prosternant devant Jésus, ils s'écriaient: «Tu es vraiment le Fils de Dieu!» Leur foi allait donc s'affermissant et s'éclairant, ce qui n'empêche pas qu'ils ne fussent encore des hommes peu croyants, comme Jésus l'avait dit au plus vif et au plus décidé de tous. C'est une circonstance qu'il ne faudra pas oublier.

3068. (J. 6: 22-29.) Cependant la foule que Jésus avait laissée de l'autre côté du lac n'abandonnait pas son dessein. Après avoir inutilement cherché le Seigneur tout un jour, ces gens se rendirent à Capernaüm, où l'on put leur dire en quel quartier ils le trouveraient. Le Seigneur saisit cette circonstance pour donner au peuple de grandes instructions sur le sujet important de la foi. Il s'agissait de diriger vers les choses spirituelles les pensées de ces hommes charnels, au risque de s'aliéner le cœur d'un grand nombre d'entre eux; mais le moment était venu de tout dire, et je ne doute pas que mes lecteurs ne s'apprêtent à suivre ce discours avec une grande attention.

3069. Jésus commença donc par leur faire cette question: «Pourquoi me cherchez-vous?» Est-ce le pardon, la lumière, le salut que vous voulez de moi? Non, ce n'est pas même la vue des miracles qui vous attire. Si vous venez à moi, c'est tout simplement pour avoir, encore une fois et sans travail, abondance de pain. Mais ce pain, c'est une nourriture qui périt; il en est une autre qui subsiste éternellement et qui fait vivre l'âme. Celui qui la donne, c'est l'Homme que le Père a marqué d'un sceau, et toutefois pour avoir cette nourriture, il faut travailler. Que ferons-nous donc pour travailler aux œuvres de Dieu?» lui répondit-on du milieu de la foule. «C'est ici l'œuvre de Dieu, réplique Jésus, que vous croyiez en celui qu'il a envoyé!» Nous donc aussi, nous voilà bien avertis. Nous avons quelque chose à faire pour être nourris en vie éternelle: une œuvre de Dieu, c'est à-dire une œuvre divine; œuvre qu'il commande, qu'il accomplit en nous et qui nous unit à lui pour toujours: c'est de croire en Jésus; œuvre par excellence, œuvre des œuvres, qui suppose un grand travail intérieur, beaucoup de luttes quelquefois: l'œuvre des violents, comme l'avait dit le Seigneur (Matth. 11: 12).

3070. (30-33.) Ces hommes qui avaient cru au miracle des pains, parce que leur corps s'en était nourri, veulent maintenant que, par quelque nouveau signe, Jésus leur démontre qu'il est vraiment envoyé de Dieu pour donner la vie éternelle. En d'autres termes, ils estiment que la multiplication de quelques pains d'orge n'est rien en comparaison du prodige par lequel l'Éternel marqua Moïse de son sceau, en nourrissant leurs pères dans le désert, au moyen de ce que l'Ancien Testament lui-même appelle «le pain du ciel» (Néhémie9: 15). Mais que leur répond Jésus? Sans s'arrêter à leur montrer qu'il ne faut pas une puissance moindre pour créer un morceau de pain ordinaire, que pour créer un nouveau genre d'aliment, il leur fait sentir, par trois traits essentiels, la différence qui existait entre la manne d'autrefois et le pain dont il leur parlait à cette heure. La manne ne venait pas vraiment du ciel comme lui, elle venait d'où vient la pluie; d'où la lumière et la chaleur se répandent sur la terre. La manne ne donnait pas la vie comme lui; elle ne faisait que l'entretenir. La manne enfin n'était que pour Israël; mais lui, il est venu pour le monde entier.

3071. (34-40.) Dans un esprit semblable à celui de la Samaritaine (Jean 4: 15), les Juifs s'efforcèrent d'entendre Jésus tout autrement qu'il n'était naturel de le faire. Aussi se hâta-t-il de déclarer qu'il est lui-même le pain dont il leur parlait, pain vivant qui nourrit l'âme (35). On se l'approprie en allant à lui, en croyant en lui, deux expressions d'une même idée. Or ceux qui vont à Jésus pour être vivifiés, ce sont les pécheurs que le Père lui a donnés (37); autrement, ceux auxquels le Père inspire le désir d'avoir en lui la vie éternelle. C'est donc par un effet de la volonté du Père qu'ils croient, et il est impossible en conséquence que Jésus ne les reçoive pas et qu'il ne les ressuscite au dernier jour (38, 39). C'est aussi la volonté du Père que celui qui contemple le Fils et croit en lui (encore deux expressions de la même idée), ait, dès à présent, la vie éternelle et qu'il le relève d'entre les morts au dernier jour (40).

3072. (41-46.) Il y avait, dans cette doctrine, deux assertions surtout qui scandalisèrent les auditeurs de Jésus-Christ. D'abord, qu'un homme dont ils connaissaient si bien l'extraction prétendit être descendu du ciel; ensuite, qu'on ne pût croire en lui à moins d'y être amené par le Père. Mais Jésus les répète l'une et l'autre sous une forme un peu différente et en commençant par la seconde, bien qu'ils ne l'eussent pas attaquée expressément. Les prophètes, dit-il, ont annoncé qu'un jour viendrait où Dieu lui-même enseignerait les siens (Es. 54: 13); mais que leur enseignera-t-il si ce n'est à recevoir son Fils, afin qu'ils aient la vie? Puis, il est certain que personne ne vit jamais le Père: l'Ange que virent les patriarches, c'est celui qui est de Dieu, le Fils, la Parole; il était donc au ciel avant de venir sur la terre.

3073. (47-51.) Après quoi, notre Seigneur reprend avec un ton de plus en plus solennel ses précédentes déclarations: «Celui qui croit en moi a la vie éternelle. Je suis le pain de vie. Non pas un pain comme la manne, qui n'a pas empêché vos pères de mourir, ni un pain qui se mange de la bouche; mais un pain qu'on mange ou qu'on s'approprie par la foi.» Enfin, le Sauveur de nos âmes ajoute une nouvelle idée bien importante: c'est qu'il donnera sa chair, c'est-à-dire son corps ou plutôt sa personne, pour le salut du monde; par où il faisait évidemment allusion à ses souffrances et à sa mort.

3074. (53-59.) Quelle que fut l'ignorance des Juifs et leur disposition à tout interpréter matériellement, il était impossible qu'ils ne comprissent pas assez, pour voir que Jésus n'entendait nullement réaliser les grossières espérances de leur cœur. S'arrêtant donc à ce qu'il y avait en effet de plus heurtant dans son discours, ils s'excitaient contre lui, en relevant un mot qu'il n'avait pas encore prononcé, mais qui résultait bien de ce qu'il avait dit. Cet homme veut nous donner sa chair à manger! Se peut-il rien de plus absurde? Mais le Seigneur ne recule pas devant cette prétendue absurdité. Oui, c'est vrai, leur dit-il, il faut que vous mangiez la chair du Fils de l'homme et que vous buviez son sang; autrement il n'y a pas de vie éternelle pour vous, ni en vous. Ma chair et mon sang, c'est-à-dire mes souffrances et ma mort (que Jésus prophétisait de la sorte); ma chair et mon sang, ma personne même et non pas seulement mes discours, sont une véritable nourriture et un vrai breuvage. Celui qui me mange demeure en moi et moi en lui: nous ne faisons qu'un; c'est pour cela même qu'il a, dès maintenant, la vie éternelle et qu'au dernier jour, je le relèverai d'entre les morts.

3075. Cette expression, manger la chair du Fils de l'homme et boire son sang, n'est évidemment qu'une nouvelle manière d'exprimer la foi par laquelle les âmes doivent s'unir à lui pour avoir la vie éternelle. Croire en Jésus, aller à lui, le contempler, se nourrir de lui, c'est une seule et même chose. Transportons-nous donc vers lui par la pensée, regardons à lui de tout notre cœur, recevons-le tout entier dans notre âme; là est la vie dès maintenant et à toujours. Tel est le sens, à la fois simple et élevé, de toute cette instruction.

3076. (60-63.) On ne saurait nier néanmoins que, par les termes dont il se servit, le Seigneur ne l'ait enveloppée d'une certaine obscurité. Mais s'il prit cette tournure énigmatique, repoussante même, je pense que ce fut dans le but exprès de faire une épuration parmi ceux qui le suivaient. Il y en avait tant qui étaient là sans trop savoir pourquoi; tant d'autres qui n'y apportaient que des intentions profanes! Cependant, pour enlever tout prétexte à ceux qui affectaient de revêtir ses paroles d'un sens qu'elles n'avaient pas, il donna deux explications dont l'une ne fut parfaitement claire que plus tard, parce que c'était une prophétie, mais dont l'autre était d'une clarté actuelle  qui ne laissait rien à désirer. D'abord, il annonce qu'il monterait un jour au ciel dans ce même corps dont on le voyait revêtu, et que par conséquent il ne s'agissait point proprement de manger sa chair. Puis, il déclare que c'est l'Esprit qui fait vivre; qu'on pourrait manger sa chair sans être sauvé, et dès là que son discours devait être entendu dans le sens spirituel, seul capable de donner la vie. — Tout cela, au fond, est fort simple; mais c'est comme les autres objets de la foi, nul ne peut les saisir que par une grâce spéciale du Père (64, 65), vérité sur laquelle le Seigneur insiste en terminant.

3077. (66-71.) Dès ce moment, beaucoup de ceux mêmes qui étaient comptés au nombre des disciples s'éloignèrent de notre Seigneur, et le délaissement fut tel que Jésus, se tournant vers les douze, leur demanda s'ils ne voulaient pas à leur tour le quitter. Il savait bien ce qu'étaient leurs dispositions (64), mais il voulait qu'ils s'en rendissent compte à eux-mêmes. Alors Pierre, prenant la parole au nom de tous, fit une belle confession que je propose pour exemple à mes lecteurs. Apprécient-ils la doctrine*de l'Évangile comme ils le doivent? Y voient-ils la source même de la vie éternelle? Jésus est-il pour eux le Christ, le Fils du Dieu vivant? Comprennent-ils que lui seul peut leur donner le salut? En d'autres termes, croient-ils en lui? se nourrissent-ils de lui? sont-ils un avec lui? Bienheureux qui confesse Jésus comme le firent Pierre et ses collègues! Parmi eux, toutefois, se trouvait celui qui, plus tard, devait commettre l'horrible crime de livrer Jésus entre les mains de ses ennemis. Ainsi prenons-y garde! On peut appartenir à une société de disciples choisis avec soin, y avoir été placé en quelque sorte par la main même du Seigneur, et se rencontrer finalement avec les fils de l'adversaire.


Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant