Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DEPUIS LA TROISIÈME PÂQUE, JUSQU'À LA FÊTE DES TABERNACLES.

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CCXXXIII. — Entretien avec les Pharisiens sur le formalisme et sur les traditions -, ce qui souille l'homme; la Cananéenne; nouveaux miracles et nouvelles discussions.


3078. (Mc. 6: 53-56; M. 14: 34-36). Les faits qui nous ont occupés dans l'Étude précédente se passèrent, avons-nous dit, aux approches de la Pâque. Jésus, qui avait été quelques mois auparavant à Jérusalem [3020], ne jugea pas à propos de s'y rendre alors, bien qu'il dût y retourner plus d'une fois dans le courant de cette année, la dernière de son ministère. Or, soit par la raison qu'il n'avait plus que peu de temps devant lui, soit tout simplement que les évangélistes nous aient raconté la fin de l'œuvre avec plus de détails que le commencement, nous allons voir chez notre Seigneur un redoublement extraordinaire d'activité, ses discours et ses miracles acquièrent une importance croissante; tellement que cette dernière année offre un intérêt qui semble effacer celui des deux autres, comme la semaine qui précéda la mort de Jésus, fait en quelque sorte oublier tout le reste.

3079. (Mc. 7: 1-13; M. 15: 1-9.) Jésus était donc demeuré sur les bords du lac de Génézareth avec ses disciples, quand des pharisiens de Jérusalem, contrariés sans doute de ce qu'il avait évité leur haine en s'absentant de la fête, vinrent l'y chercher et le harceler de leurs questions captieuses. Ce qui caractérisait la religion des pharisiens et de leurs adeptes, c'était, avons-nous dit ailleurs, l'observance scrupuleuse des lois cérémonielles promulguées par Moïse, formes qui leur apparaissaient comme constituant l'essence du culte divin. Premier tort de leur part, vu que, même sous l'ancienne économie, l'esprit devait toujours l'emporter sur la forme [2592, l'Esprit et la forme]. À ce tort ils en ajoutaient un second, non moins grave. Ils avaient converti en lois les usages des anciens ou ce qu'on appelle les Traditions, et ils mettaient ces traditions au même rang que les ordonnances divines, si même ils ne leur donnaient la prééminence [2570, 2582]. Enfin, et c'est toujours ce qui arrive lorsque les hommes associent leurs inventions à la pensée de Dieu, ils plaçaient souvent les formes de leur culte au-dessus des devoirs les plus évidents de la morale.

3080. On conçoit que notre Seigneur ait dû se mettre en lutte ouverte avec de si détestables erreurs, non seulement à cause du mal qu'elles faisaient alors, mais surtout parce qu'elles ne devaient que trop se reproduire au milieu du monde christianisé. C'était une des raisons pour lesquelles ses disciples ne jeûnaient pas comme ceux des pharisiens [2935]; c'est aussi pour cela qu'ils ne se lavaient pas dans les formes voulues avant chacun de leurs repas. Sur le reproche que lui en font ses adversaires, voyez avec quelle indignation Jésus-Christ leur reproche à son tour leur hypocrisie, leur formalisme, leur impiété; voyez comme il les terrasse en leur citant un mot d'Ésaïe qui leur était si directement applicable (29: 13); voyez comme il les accuse en propres termes d'annuler la sainte Parole de Dieu par leurs traditions! Tout cela était d'une application immédiate aux auditeurs de Jésus; mais ne vous semble-t-il pas, à l'entendre, qu'il avait devant lui ces prêtres de l'Église romaine, pharisiens des temps modernes, qui, pour me tenir à un seul trait, se font payer des messes en expiation du péché, et ces protestants non moins pharisiens, qui voient dans les actes extérieurs du culte une sorte de compensation pour une vie peu morale?

3081. (Mc. 7: H-17; M. 15: 10-15). Non content toutefois de fermer la bouche à ses contradicteurs, le Seigneur appelle la multitude et lui fait entendre une de ces paroles qui, une fois comprises, jettent une vive et durable lumière dans les âmes. Afin de dépouiller leurs aliments de tout ce qui pouvait, malgré leurs précautions, ressembler à quelque souillure légale, les pharisiens se lavaient scrupuleusement les mains et les bras avant de manger. «Mais, dit Jésus à la foule qui était là, il n'y a rien hors de l'homme qui puisse, en entrant au dedans de lui, le souiller; ce qui sort de lui, c'est là ce qui souille l'homme,» et il termine par la formule qui accompagnait souvent ses paraboles. Or les disciples eux-mêmes avaient si peu l'habitude de diriger leur esprit du côté des pensées morales, que «leurs oreilles n'entendirent pas» cette maxime. Rentrés à la maison, ils firent remarquer à leur Maître qu'il avait scandalisé les pharisiens (et eux aussi peut-être, plus qu'ils n'osaient le dire); ils lui demandèrent donc une explication.

3082. (Mc. 7: 17-23; M. 15: 15-20.) Après avoir exprimé, comme deux ans auparavant, mais non pas complètement dans les mêmes termes, que les pharisiens étaient de faux docteurs à éviter, des plantes que Dieu n'avait pas plantées, de l'ivraie semée dans le champ par l'ennemi, des aveugles que des aveugles seuls pouvaient prendre pour guides, il s'empressa de donner aux disciples l'explication demandée, et par le fait nous ne saurions rien y ajouter. Relisez donc attentivement ces paroles; rapprochez-les de quelques autres que je n'ai peut-être pas assez recommandées à votre attention (Gen. 6: 5; 8: 21; Prov. 4: 23; 6: 18; 22: 15; Jér. 17: 9), et vous comprendrez que ce qui fait de nous des êtres souillés, c'est que notre cœur est mauvais; de ce cœur mauvais sort toute espèce de mal, et ce mal, effet de la corruption intérieure, achève d'imprimer à notre personne entière le caractère d'une chose souillée...

3083. (Mc. 7: 24-30; M. 15: 21-28.) Jésus au milieu des païens, pour fuir la malveillance des fils d'Abraham, ses frères en la chair! Jésus repoussant avec une apparence de dureté la prière d'une pauvre Cananéenne! Celle-ci montrant une foi, une persévérance dignes de toute imitation! Le Seigneur bénissant enfin celle dont il avait mis les sentiments à une si rude épreuve! Tel est le tableau que nous avons sous les yeux. Cette femme fut, avec le centenier de Capernaüm [2964], les prémices de l'abondante récolte que l'Évangile devait faire plus tard parmi les nations idolâtres. Tyr et Sidon, siège d'un antique paganisme et, une fois, le théâtre de délivrances miraculeuses [1926-1928], tels furent les lieux où Jésus dirigea momentanément ses pas, comme pour dire que, plus tard, ses disciples y porteraient la bonne nouvelle du salut. Quant à nous, dont les ancêtres étaient des païens et non pas, comme les fils d'Abraham, des enfants de la maison, sentons l'étendue de la grâce qui nous a été faite; sentons-la vivement, car ce n'est pas de miettes tombant de la table que le Seigneur nourrit nos âmes, c'est des mets succulents dont la table est couverte. Oui, Jésus se donne à nous comme le pain céleste. Tout en nous reconnaissant parfaitement indignes de lui, ne laissons donc pas de lui demander les plus grandes grâces. S'il paraît au premier abord ne pas nous entendre et même nous repousser, insistons avec une foi d'autant plus intense. Puis, si de pauvres pécheurs, même à notre avis les plus coupables, s'attachent aux pas de Jésus et crient à lui, gardons-nous de leur dire, avec les disciples d'autrefois: «Renvoie-les, car ils nous suivent en criant.»

3084. (Mc. 7: 31-37; M. 15: 29-31.) De la Phénicie, notre Seigneur revint en Galilée par la Décapole. C'est-à-dire qu'il dut traverser le Liban et l'Anti-Liban pour regagner ainsi les pays à l'est du lac de Génézareth. Il fit en ces lieux un miracle, parle fond semblable à tous les autres, mais accompagné de circonstances assez caractéristiques pour qu'il nous ait été raconté en détail. Je veux parler d'abord de la compassion que Jésus éprouva pour ce pauvre homme, sourd et presque muet, compassion qu'il exprima par de profonds soupirs; puis, du moyen qu'il employa pour lui rendre l'ouïe et lui délier la langue, dans le but, je pense, de montrer les effets salutaires de toute communication intime avec sa personne; enfin, du silence qu'il crut devoir imposer aux témoins de ce miracle. Sur ce dernier point, il y a lieu de croire que notre Seigneur avait alors des raisons pour que son retour ne s'ébruitât pas sitôt. C'est bien ainsi qu'il faut l'entendre, car nous voyons en saint Matthieu que, peu après, il multiplia de nouveau ses actes de puissance, comme quelqu'un qui ne craint pas qu'on sache où il est, ni qui il est.

3085. (Mc. 8: 1-9; M. 15: 32-38.) La compassion de Jésus se montre encore dans le récit qui nous est fait par les deux évangélistes, d'une nouvelle multiplication de pains et de poissons [3064]. Le Seigneur, toujours miséricordieux et plein de sympathie, a pitié de cette foule affamée, comme il avait pitié des erreurs où l'entraînaient ses conducteurs infidèles. Il prend donc intérêt à nos corps aussi bien qu'à nos âmes; et si nous le suivons d'un cœur droit, il ne nous laissera pas manquer du nécessaire. Quoi qu'il en soit, «tout ce qu'il fait est bien fait,» comme disait le peuple après la guérison du sourd-muet, et nous avons, dans ce divin modèle, la règle des soins et du zèle avec lesquels nous devons pourvoir en même temps aux nécessités temporelles et spirituelles du prochain.

3086. (Mc. 8: 10-13; M. 15: 39-16: 1-4.) La multitude ayant été nourrie doublement, et par le pain et par la Parole, Jésus la congédia pour aller de l'autre côté du lac, à Magdala, en passant par Dalmanutha. C'est du moins ainsi qu'il est facile de concilier les deux évangélistes, opposés en apparence. Là, notre Seigneur retrouva les pharisiens, non peut-être ceux qu'il avait laissés à son départ pour la Phénicie, mais des hommes du même parti et animés par conséquent de passions toutes pareilles. Parmi eux, il y avait des saducéens; et, bien qu'habituellement en guerre les uns avec les autres, il ne leur était pas difficile de s'accorder contre Jésus-Christ, leur ennemi commun, parce qu'il est l'ennemi de toute hypocrisie. Ces aveugles, conducteurs d'aveugles, feignirent de n'avoir plus besoin, pour croire en lui, que d'un signe ou d'un miracle venant du ciel, comme la manne, par exemple, ou, que sais-je, comme l'ombre du cadran d'Achaz ou le soleil au temps de Josué. Mais quoi! lorsque, à l'approche du soir, le ciel était rouge, ils savaient bien dire que le lendemain il ferait beau temps, et les grandes choses dont Dieu les rendait témoins ne leur suffisaient pas pour reconnaître que les temps du Messie étaient arrivés! Eli! oui, qu'ils le sentaient au fond de leur âme. C'est pour cela que le Seigneur les accuse d'hypocrisie. Sachant très bien que leur demande ne procédait pas d'un vrai désir de croire, il leur déclare qu'ils n'auront pas d'autre miracle céleste que celui de Jonas le prophète. Puis, sans s'expliquer davantage, il les laisse et s'en va. Avouons qu'ils ne durent guère comprendre une parole si obscure; nous-mêmes peut-être ne l'entendrions-nous pas mieux, si Jésus ne l'avait reproduite plus tard, en exprimant alors toute sa pensée.

3087. (Mc. 8: 13-21; M. 16: 5-12.) Pour fuir, semble-t-il, des discussions de plus en plus inutiles, le Seigneur repassa le lac avec ses disciples et, chemin faisant, il leur dit: «Gardez-vous avec soin du levain des pharisiens et du levain d'Hérode ou des saducéens.» Comme de coutume, ils ne comprirent pas, et comme de coutume aussi le Seigneur s'expliqua plus nettement. Bien qu'opposées, la doctrine des pharisiens et celle des saducéens étaient également funestes. La pâte que faisait fermenter ce levain empoisonné, était une pâte empoisonnée. Si, dans leur grossier matérialisme, les saducéens niaient les anges et les esprits et le jugement à venir, les pharisiens à leur tour matérialisaient le culte divin et la religion tout entière. Une même hypocrisie d'ailleurs les faisait tenir d'autant plus fortement aux pratiques de la dévotion, qu'ils avaient moins de piété réelle dans le cœur. Or, ni le pharisaïsme ni le saducéisme ne se sont éteints avec les pharisiens et les saducéens d'autrefois, et le Seigneur qui veut la vérité avant tout, la vérité dans le cœur, la vérité sur les lèvres, la vérité dans les actes, nous dit encore aujourd'hui: «Gardez-vous avec soin du levain des pharisiens et des saducéens.»

3088. (Marc 8: 22-26.) Parvenu à la rive orientale du lac, Jésus dirigea ses pas, pour la seconde fois, du côté de Bethsaïde-Juliade [3062]. Il s'éloignait ainsi des lieux où les pharisiens déployaient contre lui d'autant plus d'activité que ses adhérents s'y trouvaient en plus grand nombre. A Bethsaïde, ou dans quelque bourg voisin, il guérit un aveugle, comme il avait guéri auparavant le sourd-muet [3084]. Mais, tant les œuvres du Seigneur ont de variété au sein d'une ressemblance non moins admirable, cette guérison ne fut pas aussi subite que les précédentes. L'aveugle n'aperçut d'abord les objets que d'une manière confuse, et il fallut un nouvel acte de la puissance divine pour qu'il les vît distinctement. Fidèle à l'explication générale que j'ai donnée des miracles de notre Seigneur, celui-ci me paraît être une image de ce qui se passe ordinairement dans l'illumination ou dans la conversion des pécheurs. Ceux que le Saint-Esprit éclaire n'ont pas, du premier moment, une vue fort nette des doctrines du salut et encore moins de la part qu'ils ont dans les grâces de Dieu; mais insensiblement leurs âmes s'ouvrent à la pleine lumière et le Seigneur leur montre tout ce qu'il faut qu'elles voient. Grand encouragement pour vous, mes chers lecteurs, si, regardant du cœur vers Jésus-Christ, vous êtes toutefois dans l'ignorance à plusieurs égards. Regardez encore, regardez toujours, et vous finirez par voir avec netteté tous les objets de la foi.


CCXXXIV. — Jésus à Césarée de Philippe. La transfiguration.


3089. (L. 9: 18-27; M. 16: 13-28; Mc. 8: 27-38; 9: 1.) À Bethsaïde-Juliade, Jésus, semble-t-il, se sentait encore trop près des lieux dont il tenait à s'éloigner en ce temps-là. Il poussa donc plus au nord, jusqu'au pied de l'Anti-Liban et de l'Hermon, vallée délicieuse où le Jourdain prend sa source avant d'entrer dans le lac Mérom et où se trouvait l'antique ville de Dan, appelée aussi Panéade et Césarée de Philippe, depuis que le tétrarque Philippe l'avait restaurée et dédiée aux empereurs romains. Seul quelque temps avec ses disciples, Jésus voulut leur fournir l'occasion de réitérer la profession de leur foi (Jean 6: 68, 69), et il leur demanda, comme s'il l'eût ignoré, ce que les hommes disaient de lui. Après quoi, interpellés sur leur propre sentiment à cet égard, Pierre, le plus prompt à répondre, prononça cette parole remarquable: «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant» (Matth. 16: 16). C'était, en peu de mots, reconnaître Jésus dans son essence et dans ses offices, à la fois Fils de Dieu et Fils de l'homme, oint pour être sacrificateur comme Aaron, roi et prophète comme David et Moïse.

3090. Bien que, selon toute apparence, l'apôtre ne sentît pas alors la portée de sa déclaration, Jésus ne laissa pas de le dire bienheureux (17); car ce n'était pas la chair et le sang, mais c'était le Père céleste lui-même qui avait mis dans son cœur ce commencement de connaissance et de foi, selon ce qui est exprimé en saint Jean (1: 13; 6: 44). Puis, après l'avoir désigné par son vieux nom et par celui de son père (Bar Jonas veut dire fils de Jonas), il lui rappela le nom qu'il lui avait donné plus de deux ans auparavant [2721], et il lui dit: «Tu es Pierre, et sur cette pierre j'édifierai mon assemblée, etc.» Cette prophétie, qui a fait le texte de tant de disputes entre les adhérents du pape et les chrétiens évangéliques de tous les temps, me paraît signifier, dans son sens le plus simple, que Jésus se formerait bientôt une assemblée, ou une société, ou un peuple (en grec, une église); que, selon la prophétie de la pêche miraculeuse [2824, 2825], Pierre, devenu prédicateur de la foi en Jésus-Christ, le Fils du Dieu vivant, aurait une part considérable au rassemblement de ce peuple ou de cette société; que l'Église, qui est l'Église de Jésus-Christ et non l'Église de Pierre, aurait pour ennemis le grand adversaire Satan, les incrédules de tous les siècles et la mort elle-même, qui lui inflige quelquefois de si rudes plaies; que ces puissances redoutables (le mot porte signifie cela) [367], ne pourraient toutefois la renverser; enfin que la Parole au moyen de laquelle Pierre convertirait beaucoup d'âmes serait une parole à la fois divine et terrestre ou autrement, que ce serait par l'inspiration d'en haut qu'il parlerait, en sorte que tout ce qu'il dirait ne manquerait pas d'être ratifié dans le ciel. Nous verrons plus tard comment s'accomplit cette prophétie, et, en même temps, combien peu elle autorise les prétentions de l'Église romaine et de ses papes.

3091. (20, 21.) En attendant, Jésus fit comprendre aux disciples que le moment n'était pas encore venu de proclamer la vérité qu'il avait plu au Père de leur révéler. Si, deux ans auparavant, il s'était clairement désigné comme le Christ auprès des Samaritains de Sichar, qui étaient dans une position exceptionnelle et de qui il n'avait pas à craindre les mêmes maux ni les mêmes ovations des Juifs [2786], il n'en avait pas fait ainsi partout. Avant que son assemblée ou son église pût être convoquée et se ranger sous son autorité, il fallait qu'il retournât à Jérusalem, qu'il y souffrît beaucoup de la part des chefs du peuple, qu'il fût mis à mort et qu'il ressuscitât. Jusque-là, personne ne pouvait clairement comprendre en quoi ni comment il était le Christ, le Fils de Dieu; au contraire, on devait nécessairement se former des idées inexactes de sa personne et de sa mission. La preuve même, c'est que les apôtres n'entendirent qu'à moitié la parole de leur Maître. C'était la première fois qu'il leur parlait en termes exprès de ses souffrances et de sa mort. Cela seul attira leur attention. Elle s'y concentra tellement qu'ils ne prirent pas garde aux mots par lesquels Jésus termina sa prophétie: «et se réveiller» ou ressusciter «le troisième jour.»

3092. (22,23.) Aussi Pierre, le prenant à part, se mit à le censurer. Quelle présomption, mais en même temps quel cœur! «Seigneur, lui dit-il, aie pitié de toi; non, cela ne t'arrivera point;» il est impossible que lu nous quittes, et encore plus que tu t'exposes à une telle mort! Ici, vraiment, Simon ne prononce pas une de ces paroles qui ne pouvaient manquer d'être ratifiées dans le ciel. C'est l'homme qui parle et non l'apôtre; le fils de Jonas et non Pierre; aussi Jésus lui dit-il: «Va-t'en arrière de moi, Satan, tu m'es en scandale, ou en occasion de chute, parce que tes pensées ne sont pas aux choses de Dieu, mais à celles des hommes.» C'était dire qu'à ce moment Pierre faisait l'œuvre du tentateur et non pas celle de Dieu. Le diable, qui s'était retiré de Jésus pour un temps (Luc 4: 13), pouvait seul désirer qu'il renonçât à opérer, au moyen de sa mort, le salut des hommes; c'est lui qui parlait par la bouche de Pierre, mettant les affections naturelles de l'apôtre en opposition avec les plans de la grâce divine, tactique qu'il n'a nullement abandonnée. Quand une mère, une épouse, par exemple, détournent leur fils ou leur mari de confesser hautement leur foi, afin de les préserver des dangers auxquels les exposerait leur courage, elles font comme Pierre ou comme Satan si l'on veut, lorsqu'il disait à Jésus: «Aie pitié de toi! cela ne t'arrivera point!» Si donc le manque d'affections naturelles dénote une profonde dégradation, il faut d'un autre côté que l'enfant de Dieu soit continuellement sur ses gardes, pour que ses affections les plus légitimes ne lui deviennent pas des occasions de péché.

3093. (24-28.) Jésus tint alors à ses disciples un discours qui devait reporter leur attention sur eux-mêmes, tout en bouleversant encore plusieurs pensées; car il leur annonça nettement qu'ils auraient à donner, eux aussi, leur vie pour lui. Il n'avait pas dit d'une manière explicite de quel supplice il mourrait, et pourtant il y fait allusion, quand il compare ses disciples à des hommes qui se sont offerts volontairement en sacrifice et qui portent leur croix en marchant sur ses traces. Si l'on tient à sa vie plus qu'à sa foi, l'on est perdu; si, au contraire, on préfère Jésus à tout, même à sa propre vie, on est sauvé. Quoi de plus raisonnable! Le monde entier ne vaut pas notre âme, et la possession du monde entier ne saurait nous dédommager de la privation du salut. Ce Jésus, qui venait de prédire sa mort et sa résurrection, reparaîtra dans la gloire de son Père et des saints anges pour juger les hommes; c'est donc bien lui que nous devons préférer à tout; car le monde entier passera, mais le règne de Jésus-Christ est un règne éternel. Or ce règne éternel, dont rien de ce qui existe maintenant ne donne une véritable idée, a reçu toutefois un commencement d'existence par la prédication de l'Évangile et par la conversion des âmes à Jésus-Christ. L'ensemble des fidèles en forme ici-bas comme le noyau ou le germe; et, si l'on veut une date précise, nous dirons qu'à ce point de vue Jésus-Christ est entré dans son règne, lorsqu'il monta au ciel après sa résurrection, et que de là, il envoya le Saint-Esprit sur ses disciples. C'est probablement de ce fait qu'il touche un mot en terminant son discours, à moins qu'on ne préfère y voir quelque allusion à sa transfiguration prochaine; parole, dans tous les cas, bien propre à consoler et à fortifier ses disciples. Non seulement eux, mais encore tous les Israélites qui se trouvaient sous le regard de Jésus en cet instant; car on voit par saint Marc que notre Seigneur avait appelé la foule auprès de lui. Les apôtres ne devaient donc pas constituer à eux seuls le royaume de Dieu; ce n'étaient pas eux seuls non plus qui auraient à se charger de leur croix pour suivre Jésus.

3094. L. 9: 28-36; M. 17: 1-9; Mc. 9: 2-10). Quelques jours après (Luc dit environ huit jours, Matthieu et Marc disent six, ce qui est parfaitement concordant), Jésus ayant pris avec lui les trois disciples dont il avait déjà fait une fois ses témoins de choix [3016], les conduisit sur une haute montagne où il fut transfiguré, nous disent les évangélistes, c'est-à-dire comme métamorphosé. C'était bien toujours le même être, la même humanité du Fils de Dieu, mais dans une gloire et une majesté qui la rendaient tout autre; c'était le Seigneur, tel probablement que Moïse l'avait vu sur le Sinaï, Ésaïe dans le temple, Ézéchiel et Daniel sur les nuées du ciel. Quant à la montagne qui fut le théâtre de cette merveille, la tradition désigne le mont Thabor [1160, 2969]. La distance qui le sépare de Césarée de Philippe n'est pas telle, en effet, que Jésus n'ait pu la franchir aisément en six jours. Du reste, ceci est peu important. Ce qui l'est davantage, c'est le miracle lui-même.

3095. On comprend qu'après avoir parlé aux apôtres de sa gloire à venir, notre Seigneur ait voulu faire pressentir ce qu'elle serait. Cette gloire eut pour signe la lumière resplendissante dont il fut tout à coup revêtu, le témoignage que lui rendirent à ce moment Moïse et Élie, deux des plus grands personnages de l'Ancien Testament, surtout le témoignage bien plus décisif qu'il reçut de la bouche du Père, en confirmation de celui qui avait accompagné son baptême. Cette dernière circonstance, non plus que la lumière au sein de laquelle apparut notre Seigneur, n'a pas besoin de commentaires; arrêtons-nous donc simplement à l'apparition de Moïse et d'Élie.

3096. Il est difficile de savoir à quelles marques les apôtres reconnurent deux hommes qu'ils n'avaient jamais vus, dont il n'existait certainement aucun portrait, et qui d'ailleurs étaient là dans leurs corps glorifiés. Ils le devinèrent parce que Dieu le voulut, et cela se fit, comme, au dernier jour, il nous sera donné de reconnaître ceux avec qui le Seigneur voudra que nous entrions en relations spirituelles: nous les reconnaîtrons, sans les avoir jamais connus.

3097. Quant au choix que le Seigneur fit de ces deux personnages pour servir à son triomphe anticipé, il n'est pas trop difficile d'en concevoir la raison. Non seulement il y avait eu dans leur départ de ce monde, à l'un et à l'autre, quelque chose d'extraordinaire qui préparait à l'idée de les revoir, si Dieu le voulait [1041, 1968]; non seulement Moïse avait annoncé que le Messie serait un prophète semblable à lui (Deut. 18: 18, 19), et Malachie, parlant tout à la fois de Moïse et d'Élie, avait fait, au sujet de ce dernier, une prédiction qui, accomplie en Jean-Baptiste, promettait néanmoins un accomplissement plus littéral (Mal. 4: 5); mais encore Moïse fut toujours envisagé comme la personnification de la Loi et Élie comme celle des prophètes ses successeurs; en sorte que, dans la personne de Moïse et d'Élie, ce sont la loi et les prophètes qui rendent ici témoignage à Jésus-Christ, ou, si l'on veut, qui donnent la main à l'Évangile.

3098. Or, ce qui est particulièrement digne de remarque, c'est le sujet sur lequel roula leur entretien. Ils parlaient de la mort que Jésus allait subir à Jérusalem. En cela, pour bien dire, ils ne faisaient pas autre chose que ce que fait tout l'Ancien Testament par les types de la loi et par les oracles des prophètes; mais cette coïncidence même place hors de doute que les souffrances et la mort du Fils de Dieu ne soient le grand but de son incarnation, l'œuvre par excellence qu'il est venu accomplir ici-bas selon les Écritures, le point de rencontre de l'ancienne économie et de la nouvelle, le fondement de nos espérances comme de celles qui soutinrent et consolèrent, pendant leur vie, un Élie et un Moïse. Cette mort de notre Sauveur, n'est-ce pas d'ailleurs ce qui a fait éternellement le sujet des mystérieux entretiens du Père et du Fils, dans la communion de l'Esprit-Saint?

3099. Quant à ce qui nous est dit du sommeil des disciples et des paroles dépourvues de sens qu'ils prononcèrent à leur réveil, il n'y a rien là qui doive nous étonner. Cela s'explique par leur fatigue et par leurs préoccupations terrestres. Pour saisir à l'instant la signification de ce magnifique spectacle, il eût fallu qu'ils fussent eux-mêmes dans la gloire, ou pour le moins dans une foi très avancée. Toujours est-il que, malgré les belles confessions qu'ils avaient faites précédemment, ils ne représentent pas trop mal tant de gens, même parmi les plus pieux, qui ont une peine infinie à croire aux grandes réalités du monde invisible, ou qui, se laissant aller à leurs impressions, raisonnent avec peu de bon sens sur les choses de Dieu.

3100. Enfin, l'on s'explique aussi pourquoi notre Seigneur ne voulut pas que les disciples racontassent ce dont ils avaient été les témoins, si ce n'est lorsqu'il se serait relevé d'entre les morts. Jusque-là, nul n'aurait ajouté foi à leur parole, pas même peut-être leurs collègues. Ils gardèrent donc le silence. Ils le firent d'autant plus volontiers, que toute cette vision demeurait passablement obscure dans leur esprit, et qu'ils ne s'en rendirent compte que plus tard. Il y avait entre autres une parole qui les embarrassait. Jésus avait dit: «Jusqu'à ce que le Fils de l'homme soit relevé d'entre les morts,» et ils se demandaient ce que cela voulait dire. Comme ils ne croyaient pas à la possibilité de son trépas, ils ne pouvaient comprendre ce qu'il entendait par ce relèvement. Qui était d'ailleurs ce Fils de l'homme? Devait-on entendre par là le même être que la voix céleste venait de proclamer le Fils De Dieu? Pour nous, la réponse est fort simple; mais avouons qu'il ne pouvait en être de même pour les disciples.

3101. (Mc. 0: 11-13; M. 17: 10-13). Il y eut là cependant une chose dont ils crurent avoir l'intelligence. On attendait généralement Élie avant la délivrance d'Israël, et, dans la pensée que cette attente venait de se réaliser sous leurs yeux, ils firent à leur maître une question à laquelle ils ne supposaient pas qu'on pût répondre de deux manières. Mais non, il n'y avait, en ce moment, pas d'autre Élie à espérer que celui qui, après avoir annoncé le règne de Dieu, était tombé sous les coups des impies. Les disciples comprirent que Jésus leur parlait de Jean-Baptiste. Il leur avait dit précédemment la même chose, mais ils l'avaient oubliée (Matth. 11: 14).


CCXXXV. — Puissance de la foi; les didrachmes; l'humilité; la tolérance; troisième voyage à Jérusalem.


3102. (L. 9: 37-43; M. 17: 14-21; Mc. 9: 14-29.) La guérison d'un démoniaque, qui eut lieu le jour suivant et qui nous est racontée avec beaucoup de détails par saint Marc, fournit matière à plusieurs observations fort importantes, tout en offrant des difficultés semblables à celles que nous avons résolues précédemment, autant du moins que la chose est possible [2812]. D'abord, on voit que les disciples, demeurés seuls pendant que Jésus était allé sur la montagne avec Pierre, Jacques et Jean, n'avaient pu opérer cette guérison, preuve qu'il ne leur suffisait pas de vouloir faire des miracles pour y réussir. Ensuite, on peut, des paroles sévères du Seigneur, conclure la raison de leur impuissance: la foi leur avait manqué. Mais le reproche de Jésus est encore plus empreint de douleur que de sévérité. Ce ne fut pas une de ses moindres souffrances, en effet, que d'avoir à vivre dans la société habituelle de pécheurs ignorants, égoïstes, incrédules. Personne assurément ne saurait mettre en doute la longanimité du Sauveur; mais à quelle rude épreuve ne fut-elle pas exposée pendant la durée de sa vie ici-bas! Au surplus, ce fut de tout temps le plus admirable des mystères de Dieu, que cette patience incompréhensible avec laquelle il supporte notre race incrédule et pervertie.

3103. Il n'est pas moins intéressant d'étudier les paroles qu'échangèrent notre Seigneur et le père du malade. Jésus lui ayant fait raconter le triste état dans lequel l'enfant se trouvait dès son bas âge (hélas! l'homme naît dans le mal!), avec quelle naïve douleur ce pauvre père ne dit-il pas à Jésus: «Si tu peux quelque chose, aie compassion de nous et sois-nous en aide!» Sur quoi le Seigneur: «Si tu peux! crois, dit-il; tout est possible pour celui qui croit.» Et ce malheureux père, poussant des cris de détresse et fondant en larmes, prononça cette belle prière: «Je crois, Seigneur; subviens à mon incrédulité!» Par où nous voyons toujours plus évidemment que la prière de la foi est le canal de toutes les grâces de Dieu; que si nous sentons l'infirmité de notre foi nous devons solliciter le Seigneur d'y suppléer et de la fortifier par sa miséricorde, et, en définitive, que tout a sa source dans la grâce de Dieu.

3104. Pour ce qui est de la réponse que Jésus fit à ses disciples, quand ils lui demandèrent par quelle cause ils n'avaient pu chasser ce démon, il est permis d'avouer que, vu la nature du sujet, on n'en comprend pas le sens profond, mais nécessairement obscur. Concluons toutefois de la parole du Seigneur qu'un grain seulement de vraie foi peut de grandes choses, et que la prière et le jeûne sont les deux moyens par excellence pour obtenir sur nous-mêmes et sur nos frères pécheurs, des résultats spirituels auxquels nous aspirerions vainement sans de tels secours.

3105. (L. 9: 44, 45; M. 17: 22, 23; Mc. 9: 30-32.) Pendant que la foule était dans l'admiration de ce nouveau miracle, Jésus répéta pour la seconde fois à ses disciples réunis, qu'il serait mis à mort après beaucoup de souffrances, et qu'il se relèverait le troisième jour (Matth. 16: 20, 21). Il voulait, on le conçoit, que cet événement ne les prît pas au dépourvu; mais ces pauvres disciples s'obstinaient à ne pas comprendre, ou plutôt, semblables à tant de gens, ils comprenaient assez pour craindre de comprendre mieux. Leur cœur leur disait d'interroger le Seigneur, et c'était l'Esprit-Saint qui leur donnait cette bonne pensée; mais ce même cœur, cédant à des impulsions charnelles, répugnait à recevoir de plus vives lumières sur un sujet qui leur déplaisait. N'est-il pas vrai que cette manière d'agir ne se retrouve que trop souvent? Mais malheur à qui s'y obstine.

3106. (M. 17: 24-27; Mc. 9: 33). Notre Seigneur était alors en route pour Capernaüm, et, comme il arrivait dans cette ville, on réclama de lui les didrachmes, ou le sicle (environ un franc et demi) qu'on payait pour l'entretien du temple. Cet impôt était facultatif, comme tous ceux qui servaient à des usages purement religieux [1017]; la question même des percepteurs en est la preuve. Or, que les Israélites payassent ce tribut à Jéhovah leur roi, rien de plus juste; mais Jésus, le Fils de Dieu, en était naturellement exempt. C'est ce qu'il dit à Pierre, en prenant pour point de comparaison les impôts que les Romains faisaient peser sur les provinces conquises. Toutefois, comme les collecteurs des didrachmes n'auraient pas compris son motif, et pour éviter tout scandale, il jugea convenable de les satisfaire. Mais, soit que Jésus fût à ce moment dans le plus entier dénuement, soit qu'il voulût montrer que l'or et l'argent lui appartiennent (Aggée 2: 8) et que par conséquent sa pauvreté était toute volontaire, il se procura par un miracle la pièce de monnaie dont il avait besoin pour son disciple et pour lui.

3107. (L. 9: 46-48; M. 18: 1-5; Mc. 9: 33-37.) Lorsqu'ils furent arrivés dans la maison, nous dit Marc, par quoi il faut entendre sans doute celle où ils logeaient habituellement [2815], le Seigneur interrogea ses disciples sur ce qui avait fait le sujet de leur entretien, et d'un entretien assez vif, pendant qu'ils étaient en route. Étonnés, et ils n'auraient pas dû l'être, étonnés, dis-je, de ce que Jésus n'ignorait pas ce qui se passait entre eux de plus intime et les pensées mêmes de leur cœur, ils n'osaient pas d'abord le lui avouer; tout comme nous hésitons à confesser nos péchés à Dieu, quoique nous ne puissions pas douter qu'il ne les connaisse. Du reste, les disciples avaient sujet d'être honteux; car au moment où Jésus venait de leur prédire ses souffrances et sa mort ignominieuse, ne s'étaient-ils pas  avisés de se disputer sur lequel d'entre eux était le plus grand, preuve assez positive, pour le dire en passant, que Pierre n'était pas envisagé par eux comme leur prince, ainsi que le prétendent les romanistes.

3108. Notre Seigneur, qui faisait tout servir à l'instruction de ses disciples, encore si ignorants et si charnels, profita de l'occasion pour leur donner une grande leçon d'humilité. Après leur avoir dit: «Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et même le serviteur de tous,» il prit un petit enfant qu'il mit au milieu d'eux; puis l'ayant embrassé, il leur dit: «Si vous n'êtes changés et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. Ainsi, quiconque s'abaisse comme ce petit enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des cieux, et quiconque reçoit un tel petit enfant en mon nom, me reçoit.» Or tout ceci revient à dire que la vraie grandeur de l'homme c'est de sentir sa faiblesse et son néant, de se dévouer au service d'autrui et de le faire pour l'amour de Jésus. Quant au sens de cette parole: «Si vous n'êtes changés, etc.,» je me réfère à l'entretien de notre Seigneur avec Nicodème [2752], et j'invite mes lecteurs à examiner leur état devant Dieu, afin de savoir s'ils ont subi ce changement sans lequel le royaume des cieux leur demeurerait fermé pour toujours.

3109. (L. 9: 49, 50; Mc. 9: 38-10.) À cette leçon d'humilité et de charité tout à la fois, l'apôtre Jean, lui qui, plus tard, suivit si bien les traces de son Maître, répondit en racontant un fait qui s'était probablement passé durant leur première mission et où les apôtres n'avaient déployé ni beaucoup de charité, ni beaucoup d'humilité. Ce fait, il le raconte, non pour s'en humilier, mais plutôt pour se justifier. C'est comme s'il avait dit: «Toujours est-il que nous sommes tes envoyés et comme tels au-dessus de tous. Ainsi, quand nous rencontrâmes cet homme qui chassait les démons en ton nom, quoiqu'il ne nous suivît pas, et quand nous lui défendîmes de continuer, n'étions-nous pas dans notre droit?» Mais voyez la réponse du Seigneur. Qu'elle est belle, et comme elle remet en mémoire une réponse toute semblable de Moïse! (Nombr. 11: 29.) Comme elle nous prêche la tolérance envers tous ceux qui ont à cœur d'amener des Âmes à Jésus-Christ, lors même qu'ils ne le feraient pas avec nous et à notre manière! Car il en est d'eux ainsi que de l'homme auquel les apôtres avaient voulu s'opposer. S'il n'était point au nombre des douze, cela ne voulait pas dire qu'il n'eût pas reçu de Jésus même sa vocation; mais, à ce qu'il paraît, sans que les apôtres en eussent connaissance. 

3110. (Mc. 9: 41, 42; M. 10: 42; 18: 6.) Interrompu par le récit que lui avait fait Jean, le Seigneur reprend ce qu'il disait à ses disciples au sujet de leurs disputes et de leurs prétentions. Il les avait remis à leur place en leur proposant pour exemple un petit enfant; maintenant, il va leur faire voir combien cette place est excellente. Plus ils se montreront petits et humbles, plus ils seront sur la terre une vivante représentation de leur Maître; plus ils s'effaceront, plus on ne verra que lui en eux, de telle sorte que le bien qu'on leur fera, sera comme si on l'avait fait à lui-même. Au reste, ce n'est pas peu de chose, devant le Seigneur, qu'un de ces petits qui croient en lui; ce qui le prouve, c'est sa menace contre ceux qui leur auront été en scandale. Si donc nous savons maintenant où est la vraie grandeur, nous savons aussi quel est un des plus grands crimes qu'on puisse commettre.

3111. (Mc. 9: 43-51; M. 18: 8, 9.) Mais pour ne pas le commettre ce crime, pour ne pas scandaliser autrui, c'est-à-dire pour ne lui être pas une occasion de chute, il faut que nous évitions tout ce qui peut nous scandaliser, ou nous faire tomber nous-mêmes dans le péché. C'est ce que nous dit le Seigneur, qui reproduit à cette occasion quelques sentences de son sermon de la Montagne [2853, 2854]. À en juger cependant par le récit de Marc, il n'y eut pas simple répétition. Ici, notre Seigneur parle du malheur des réprouvés sous la terrible image d'un ver qui ne meurt point et d'un feu qui ne s'éteint point; après quoi, il prononce des paroles fort graves, mais sur le sens desquelles il est difficile de se former une opinion arrêtée. De même, semble-t-il avoir voulu dire, que, sous la loi, toute victime était salée de sel (Lév. 2: 13), le feu salera tout homme: le feu de la géhenne, ceux qui reculent devant les sacrifices auxquels la foi les appelle, et le feu même de ces sacrifices, savoir, les saintes douleurs de l'épreuve et des tribulations, ceux qui obéissent aux appels de la grâce. C'est-à-dire qu'il y a pour tous un feu; un feu consumant pour les uns, un feu sanctifiant pour les autres. Ce feu, quoi qu'il en soit, est un sel qui conserve; en sorte que, et la douleur, et la paix seront d'éternelle durée. Et puis, ayons dans nos cœurs abondance du sel de la grâce de Dieu et nous vivrons en paix avec nos frères; c'est ainsi que notre Seigneur termina les instructions auxquelles avaient donné lieu les disputes de ses disciples.

3112. (Matth. 18: 10-14.) Mais non, sa pensée se reporte encore avec complaisance sur ces petits dont il avait déjà beaucoup parlé: «Ne les méprisez pas, nous dit-il, car les anges s'intéressent à eux; ce sont eux que je suis venu chercher et sauver; eux, perdus comme vous, perdus comme tout le monde, s'il n'avaient pas un puissant et miséricordieux Sauveur. Celui-ci est semblable à un riche berger qui court après une de ses brebis égarée et il a une grande joie lorsqu'il la retrouve.» Quel n'est donc pas le prix d'une âme, d'une seule âme, de l'âme du plus chétif! Si elle périt, c'est pour avoir refusé d'entrer dans les pensées de la grâce du Père céleste à son égard. Oh! mes chers lecteurs, nous avons déjà lu dans les Évangiles bien des choses propres à diriger nos cœurs vers l'amour de Jésus; mais avouez, vous surtout jeunes gens, vous pauvres, vous petits, vous malheureux et méprisés peut-être, vous qui lisez ces pages, avouez que jamais le Seigneur ne vous a dit d'une manière plus touchante tout ce qu'il est pour vous. Écoutez donc sa voix, et votre âme vivra.

3113. (J. 7: 1-10; L. 9: 51.) Six mois environ s'étant écoulés depuis le premier miracle des pains, temps pendant lequel notre Seigneur ne cessa de parcourir la Galilée, la fête des Tabernacles arriva, et, comme il n'était point monté à Jérusalem pour la Pâque, on s'attendait généralement qu'il y irait à cette époque. Ses propres frères, les gens de sa famille, l'y sollicitaient; car la plupart ne croyaient point en lui et ils avaient honte de son apparente timidité. Il leur semblait que puisqu'ils y allaient bien, il pouvait en faire autant. Mais, par cela même qu'ils ne croyaient pas, ils ne sentaient pas la différence essentielle qui existait entre lui et eux; entre lui, dont la seule présence offusquait les méchants, et eux, hélas! qui étaient encore tout de ce monde. Cependant, lorsqu'ils furent partis avec les gens de la contrée qui se rendaient à la fête, Jésus, dit Luc, affermit sa face et se mit en route de son côté, mais toujours à leur insu. Or, avant de le suivre dans la ville où l'attendaient tant de contradictions, prélude de tant de souffrances, étudions le petit nombre d'événements qui marquèrent ce troisième voyage à Jérusalem.

3114. (Luc 9: 52-56.) Passant près d'une bourgade des Samaritains, Jésus y fit demander l'hospitalité; mais parce qu'il marchait du côté de Jérusalem, on refusa de le recevoir. Indignés de ce refus, Jacques et Jean, qui peut-être avaient fait le message et, peut-être encore, s'étaient permis de menacer les Samaritains de la colère de leur Maître, lui demandèrent l'autorisation et la puissance de faire descendre le feu du ciel sur cette ville. Pourquoi sur cette ville, plutôt que sur tant d'Israélites de la Galilée qui rejetaient Jésus? Ah! sans doute, parce qu'elle était habitée par des Samaritains, contre lesquels il semblait aux apôtres que le Seigneur ne pouvait se montrer trop sévère! [2778.] Mais Jésus réprima leur intolérance, en établissant d'une manière solennelle et pour faire règle à toujours, que c'est méconnaître l'esprit de l'Évangile que de sévir contre ceux qui le repoussent. Il est vrai qu'Élie avait appelé le feu du ciel sur des hommes méchants (2 Rois 1: 10-12); mais il vivait à une époque où régnait la loi avec ses terribles menaces, et il avait charge de magnifier les jugements de l'Éternel; tandis que le Seigneur est venu sauver les hommes, raison pour laquelle ses miracles furent généralement des manifestations de miséricorde. Que faut-il donc faire lorsque les gens s'obstinent à rejeter l'Évangile? Non pas les contraindre à le recevoir, mais le porter à d'autres: Jésus et ses disciples allèrent dans une autre bourgade (56.)

3115. (L. 9: 57-60; M. 8: 19-22.) Comme ils continuaient leur voyage, un scribe s'offrit à suivre Jésus, ou, comme nous dirions, il lui demanda de l'attacher à sa fortune; mais le Seigneur, sachant probablement que cet homme n'était mû que par des motifs charnels, lui fit sentir qu'il n'avait aucun avantage terrestre à lui promettre, attendu que, ne possédant rien il n'avait non plus rien à donner. Après l'avoir éconduit de la sorte, notre Seigneur jugea bon de faire à un autre homme la grâce que le scribe semblait avoir sollicitée. Et cependant cet autre homme ne paraissait pas trop s'en soucier, car il cherchait, comme tant de gens, des prétextes d'ajournement; mais Jésus vainquit sa résistance en lui faisant comprendre que tout doit céder devant ses ordres. Un troisième enfin manifesta l'intention de suivre le Seigneur, pourvu qu'il lui fût permis auparavant de revoir sa famille et de passer quelque temps avec elle; sur quoi Jésus lui déclara par une parabole, que, son cœur étant au monde, plus sans doute qu'il ne le croyait, il n'y avait pas de place pour lui dans le royaume de Dieu (Luc 9: 61, 62). 

3116. Ce triple récit de circonstances qui peut-être ne se succédèrent pas coup sur coup, mais qui sont groupées en cet endroit par saint Luc à cause de leur parfaite analogie, nous montre avec évidence que le Seigneur est souverainement libre dans l'exercice de sa grâce; qu'il appelle qui il lui plaît et qu'il fait miséricorde à qui il veut; que les intérêts de ce siècle, même les plus légitimes, peuvent mettre une barrière entre nous et lui, et qu'il est certains cas où nous devons les lui sacrifier complètement, car Dieu ne sait pas gré de cœurs partagés (Matth. 6: 24). Remarquons après cela par quelle expression notre Seigneur caractérise les mondains: ce sont des morts. Oui, quant aux choses spirituelles, ils sont morts et incapables de se rendre à eux-mêmes la vie [97]. Enfin, sans qu'il faille conclure des paroles de Jésus que le chrétien est tenu de fermer son cœur aux affections de famille, soyons sûrs que ces affections doivent, le cas échéant, céder le pas aux intérêts de notre âme et à l'amour que le Seigneur attend de nous. C'est une instruction qui s'est déjà présentée [3092], et que nous retrouverons plus tard, avec des développements.


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