Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DEPUIS LA FÊTE DES TABERNACLES, JUSQU'À CELLE DE LA DÉDICACE.

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CCXXXVI. — Jésus à la fête des Tabernacles. Nicodème.


3117. (Jean 7: 11-13.) Notre Seigneur marchait donc du côté de Jérusalem, pour la dernière fête des Tabernacles à laquelle il dût assister. Il était seul avec les apôtres, sauf les quelques disciples recrutés en route. La solennité avait commencé; les jours se passaient et Jésus, attendu par plusieurs, ne venait toujours point. Les Juifs cependant s'entretenaient beaucoup de lui, et, comme il arrive en pareil cas, on portait sur sa personne les jugements les plus contradictoires. Les uns le tenaient pour un homme de bien; d'autres ne voulaient voir en lui qu'un imposteur. Ses amis n'osaient pas dire tout haut ce qu'ils pensaient, tant il y avait d'irritation chez les adversaires.

3118. (14-17.) La moitié de la semaine consacrée à la fête [910] s'étant écoulée de la sorte, Jésus enfin paraît et monte au lieu sacré pour s'y faire voir et entendre. Nul ne pouvait contester la sagesse ni l'excellence de ses enseignements, mais on se rabattait sur ce qu'il y avait d'étrange à entendre parler de la sorte un homme qu'on n'avait pas vu à l'école des docteurs. Sur quoi Jésus leur déclara qu'en effet sa doctrine était d'une tout autre origine. Il ne l'avait apprise d'aucun scribe, d'aucun savant; bien plus, à ne voir en lui que l'homme, on pouvait dire que sa doctrine ne venait pas de lui. Elle venait directement de Dieu, comme il était facile de s'en convaincre, moyennant certaines dispositions intérieures qui, hélas! n'étaient pas communes parmi les auditeurs de Jésus. Car, s'il est vrai que «les hommes aiment les ténèbres, parce que leurs œuvres sont mauvaises» (3: 19), il est tout aussi vrai que ceux qui acceptent réellement la volonté de Dieu, reconnaissent sans peine que notre Seigneur Jésus-Christ en est le suprême révélateur et la vivante expression.

3119. (18, 19.) «Voyez d'ailleurs, ajoute Jésus, voyez si je ne suis pas digne de confiance. Peut-on m'accuser de vues intéressées, moi qui vis dans la pauvreté, moi qui refuse les honneurs qu'on voudrait me décerner (6: 15), moi, qui n'ai en vue que de préparer des âmes a la vie éternelle, pour la gloire de Celui qui m'a envoyé? Avant moi déjà, vous eûtes un grand prophète dans la personne de Moïse, par qui l’Éternel votre Dieu vous donna la loi; mais cette loi, il n'est aucun de vous qui ne la viole...» Ces derniers mots contenaient un reproche d'autant plus grave qu'il était fondé, et le Seigneur y ajouta sur le champ une accusation plus spéciale et non moins sérieuse: «D'où vient, dit-il, que vous cherchez à me faire mourir'!» Pour s'expliquer l'incohérence apparente d'un discours d'ailleurs si frappant, il faut penser, ou bien que l'évangéliste ne l'a donné qu'en abrégé, ou, simplement, que notre Seigneur, parlant à une foule immense et plus ou moins tumultueuse, ne prononça pas un discours proprement dit, mais quelques phrases entrecoupées, dans lesquelles il résumait sa pensée, ne pouvant, vu la difficulté de la situation, l'exposer plus amplement.

3120. (20.) Rien n'irrite un pécheur comme de se voir démasqué. Cette foule savait bien qu'on avait juré la mort de Jésus, que sa perte avait été résolue une année auparavant, dans cette même ville de Jérusalem (5: 16); tout le monde se le disait à l'oreille, amis et ennemis; mais il est des choses dont tout le monde convient, qui se trament sans trop de gêne et qu'on a honte d'énoncer à haute voix: «Qui est-ce qui cherche à te faire mourir?» crient mille bouches du sein de la foule, «tu as un démon.» 0 mes lecteurs, quelle horrible insulte! quel blasphème! Y a-t-il un seul disciple de Jésus-Christ qui puisse, après cela, se plaindre des outrages auxquels l'expose sa foi?

3121. (21-24.) Le prétexte de cette haine, on s'en souvient, était la guérison de l'impotent de Béthesda (5:5 -16). Ce miracle avait laissé un souvenir d'autant plus vif que le Seigneur ne s'était pas remontré dès lors à Jérusalem. Il entra donc tout à fait dans la pensée des Juifs en revenant sur ce qui s'était passé quelques mois auparavant, et nous le voyons justifier de nouveau sa conduite par des arguments pleins de force et de simplicité. Si, au lieu de juger l'individu, les adversaires avaient consenti à juger l'œuvre, il eût été impossible qu'ils n'en eussent reconnu l'innocence. Il devenait donc de plus en plus évident qu'au fond, loin de condamner l'œuvre, ils l'admiraient; mais ils en voulaient à celui qui l'avait faite: il fallait le trouver coupable, et c'est pour cela qu'ils s'arrêtaient aux apparences.

3122. (25-30.) Les complots sanguinaires des magistrats étaient si bien connus à Jérusalem, qu'on s'étonnait de voir Jésus aller et venir librement par la ville et enseigner publiquement dans le saint lieu. Est-ce donc que les principaux du peuple l'auraient enfin reconnu pour le Christ? «Cependant, disaient quelques-uns dans leurs préjugés, quand le Christ viendra, nul ne saura d'où il vient;» et Jésus continuait de crier à la multitude: «En effet, à ne voir en moi qu'un homme, vous savez qui je suis et d'où je viens; mais ma mission et mon mandat, voilà ce que vous vous refusez à recevoir. Je suis envoyé par celui qui est le Véritable; j'ai charge de vous le faire connaître, et il ne dit par ma bouche que des choses parfaitement certaines.» Ces paroles ne désarmèrent point les ennemis du Seigneur; ils persévéraient à vouloir sa mort; mais, par une volonté supérieure à leur rage, ils ne mirent pas les mains sur lui, vu que son heure n'était pas encore venue; son heure, c'est-à-dire l'heure qu'il avait choisie et déterminée d'avance [2728, 2730].

3123. (31-36.) Inquiets, cependant, de voir que beaucoup de gens parmi le peuple se tournaient de son côté, les pharisiens et les principaux sacrificateurs envoyèrent des sergents pour le saisir. Ils leur avaient sans doute donné pour instruction de guetter le moment favorable. Mais Jésus, à qui rien n'est caché, ne laissait pas de poursuivre le cours de ses prédications. Il annonçait donc aux Juifs que bientôt il ne serait plus avec eux, qu'il retournerait auprès de Celui qui l'avait envoyé, les suppliant de se donner à lui tout de suite, car s'ils demeuraient dans l'incrédulité, il leur serait impossible d'aller où il allait lui-même. Ces paroles cachaient un sens spirituel que méconnurent les auditeurs de Jésus, si ignorants et si charnels. Ils pensèrent qu'il les menaçait de porter ses bienfaits aux Israélites dispersés dans l'Asie Mineure, en Égypte et en Europe. On les appelait les Grecs, parce qu'ils parlaient généralement la langue grecque, et c'est ainsi d'ailleurs qu'on les distinguait des Juifs de Palestine.

3124. (37-39.) Le septième jour de la fête des Tabernacles, jour son cœur charnel rien de ce qui pouvait le satisfaire. Il avait épousé la fille du roi Arétas, quand il s'éprit d'une passion doublement criminelle pour une femme devenue tristement célèbre. Hérode Philippe, frère d'Hérode Antipas, avait épousé sa nièce, Hérodias fille d'Aristobule, autre fils d'Hérode le Grand. Antipas, pour devenir l'époux de celle qui était à la fois sa nièce et sa belle-sœur, répudia la fille d'Arétas (de là sa guerre avec les Arabes), et ravit à Philippe la femme de qui ce dernier prince avait eu une fille appelée Salomé.

3125. (39.) Sous cette image, il est donc question des grâces que le Saint-Esprit répand et communique de proche en proche, comme une eau qui, de sa source, s'épanche en divers lieux. Ni au moment où Jésus parlait, ni dans aucun des temps antérieurs, l'Esprit-Saint n'avait été versé sur la terre de la manière qu'il le fut après la résurrection de Jésus-Christ. C'est l'observation que fait l'évangéliste, et l'importance en est très grande. Le Saint-Esprit est éternel et éternellement le même, dans l'unité avec le Père et le Fils, mais l'Esprit-Saint où l'Esprit de grâce et de sainteté tout à la fois, cet Esprit, en tant qu'il se communique à de pauvres pécheurs pour les relever, cet Esprit a eu ses temps et ses heures. De même que nous voyons le Fils déjà révélé dans l'Ancien Testament, et que, toutefois, il ne l'a été pleinement que lors de sa venue en chair; ainsi, bien que l'Ancien Testament rende témoignage au Saint-Esprit, c'est seulement depuis la glorification de notre Sauveur qu'il s'est manifesté dans sa plénitude, et que les effusions d'Esprit-Saint se sont faites avec une extrême abondance.

3126.(40-44) Après cette proclamation du Seigneur, il y eut un mouvement parmi la foule. Oui, en vérité, disaient les uns, celui-ci est le grand prophète annoncé par Moïse (Deut. 18: 18); d'autres, ne comprenant pas que le prophète annoncé par Moïse n'était autre que le Christ, le Messie [2717], ou disant la même chose sous des termes différents, déclaraient reconnaître en lui le Christ. Puis il en venait qui rappelaient que le Messie sortirait de Bethléhem et non de Nazareth. Au milieu de ces propos divers, les plus acharnés parlaient toujours de mettre la main sur lui; mais, chez les hommes, même les plus méchants, les actes ne suivent pas toujours les menaces.

3127. (45-53.) Au lieu de cela, les sergents revinrent seuls aux sacrificateurs et aux pharisiens, et, interpellés sur la raison qui les avait empêchés de saisir Jésus, ils déclarèrent que jamais personne n'avait parlé comme lui. En sorte qu'ils avaient été contenus par le respect et par l'admiration! Il est facile de concevoir la colère des chefs du peuple à l'ouïe de ce rapport. Ils reprochent aux sergents de s'être laissé séduire, ils s'indignent qu'on puisse approuver un individu que des magistrats haut placés et de saints personnages, tels que les pharisiens, estimaient criminel; ils s'exaspèrent contre cette foule qui ne veut pas entrer dans leurs vues, populace ignorante et exécrable à leur avis!!! Se trouvera-t-il quelqu'un dans le conseil qui ose prendre la défense du Saint et du Juste? Oui; parmi ces magistrats iniques et ces docteurs aveugles, on comptait Nicodème, celui qui, deux ans et demi auparavant, s'était timidement approché de Jésus (3: 1, 2); ce Nicodème, pour qui les paroles du Seigneur n'avaient pas été complètement vaines et qui essaya d'invoquer la justice au milieu de ces forcenés. Il y gagna une réponse pleine de mépris; mais il avait fait son devoir, et quand tous furent rentrés dans leur maison, ce ne fut pas lui dont le cœur éprouva le moins de calme et de contentement.

3128. Remarquez, en passant, avec quelle perspicacité le monde s'aperçoit des premiers pas que fait une âme dans le chemin du salut. Nicodème peut-être ne se rendait pas bien compte à lui-même de ses sentiments. Il pensait n'avoir pris que le parti de l'opprimé, et il y avait en lui plus de foi qu'il ne s'en doutait. Ses collègues ne s'y trompèrent pas. C'est pour cela qu'ils lui dirent: «Est-ce que tu es aussi de la Galilée? Aurais-tu du penchant pour la doctrine de cet homme? Serais-tu secrètement un des siens?» Ah! quand le monde a découvert dans une âme les premiers symptômes de la foi, il dresse bientôt toutes ses batteries, et il faut à cette pauvre âme un grand secours de la grâce de Dieu!


CCXXXVII. — La femme adultère; nouvelles discussions avec les Juifs; Abraham; divinité du Christ.


3129. (Jean 8:1-11.) Au nord-est de Jérusalem et à fort peu de distance de cette ville, se trouve la montagne des Oliviers, témoin jadis (Jean 8: 1-11.) des larmes et de l'humiliation du roi David [1564]. Ce fut là que notre Seigneur alla chercher quelque repos après les fatigues de la journée, tandis que ses ennemis se retiraient sous le toit de leurs palais. Mais, au point du jour, il ne manqua pas de retourner à Jérusalem, de se rendre dans le lieu sacré, sa propre maison, et d'y enseigner le peuple selon sa coutume. Selon leur coutume aussi, ses ennemis ne tardèrent pas à l'y poursuivre. Cette fois, ce ne fut pas avec le magistrat qu'il eut affaire, mais avec des scribes et des pharisiens qui, pour le tenter [2712], lui amenèrent une femme adultère, en lui demandant s'il ne fallait pas la lapider, à teneur de la loi de Moïse, loi qui ne déterminait pas le supplice, mais la lapidation était celui qu'on appliquait le plus ordinairement (Lévit. 20: 10).

3130. La question était embarrassante à plusieurs égards. D'abord, il s'agissait de savoir si le Seigneur dirait à cette femme, encore toute couverte de son crime: «Tes péchés te sont pardonnés;» ou bien, s'il ne démentirait pas à cette occasion le constant caractère de miséricorde et de grâce empreint dans ses paroles. Puis, comme la loi de Moïse était à la fois une loi morale et civile, ce que les Juifs ne pouvaient ni ne devaient séparer, il fallait voir comment le Seigneur s'abstiendrait de prononcer en matière civile, sans porter atteinte à la loi morale. «Tu ne commettras point adultère,» telle était la loi morale, «On fera mourir l'homme et la femme adultères,» telle était la loi civile. Enfin, depuis que les Romains avaient annexé la Judée à leur province de Syrie, les Juifs n'avaient plus le droit de condamner à mort pour des crimes commis contre la loi commune. Les scribes espéraient donc que le Seigneur leur fournirait le moyen de le compromettre auprès du gouverneur s'il ordonnait de lapider cette femme; ou auprès du peuple, jaloux des droits mêmes qu'il ne possédait plus, s'il renvoyait toute l'affaire au gouverneur.

3131. La manière dont notre Seigneur évita le piège, est admirable à tous égards. Il commence par tracer sur la terre des mots qui ne nous sont pas rapportés, mais qui étaient sans doute de nature à préparer l'effet de sa réponse. Celle-ci fut foudroyante pour les méchants hypocrites dont le Seigneur se voyait entouré. Elle nous est à nous-mêmes un sérieux avertissement; car nous y voyons quels retours nous devons faire sur nos propres voies, avant de condamner nos frères (Matth. 7: 1-5). Tous quittèrent la place, un à un, en commençant par les plus âgés, tant ils se sentirent repris au fond de leur conscience; et, dominés par la parole puissante du Seigneur, nul d'entre eux n'aurait osé jeter le premier une pierre contre cette femme, pourtant si coupable.

3132. C'est ainsi que notre Seigneur sut faire d'une question juridique une question toute morale et s'en tenir, malgré qu'on en eût, au but unique de sa mission. Jésus-Christ et son Évangile n'ont rien à démêler avec les lois civiles, non, pas même avec celles dont Dieu fut l'auteur, ni à plus forte raison avec les institutions politiques d'origine humaine. Nous donc, disciples de Jésus et de son Évangile, tout en nous soumettant au pouvoir séculier dans les choses qui sont de sa compétence, nous ne briguerons jamais pour notre Église une influence civile et politique qui ne saurait lui appartenir, si elle est vraiment l'Église du Seigneur.

3133. Laissé seul avec cette femme, humiliée, confuse, tremblante, Jésus lui parle enfin de manière à lui faire comprendre qu'il n'avait eu nullement l'intention de justifier son crime: «Puisque tes accusateurs sont partis, puisqu'il n'en est aucun qui t'ait condamnée, ne crains pas que je veuille plus qu'eux te lapider. Va donc, mais ne pèche plus.» Si cette femme, toute coupable qu'elle était, avait en ce moment éprouvé une vraie repentance, si elle avait regardé du cœur à Jésus pour être sauvée, nul doute qu'il ne lui eût dit, comme à la pécheresse: «Tes péchés te sont pardonnes; va-t'en en paix, ta foi t'a sauvée» (Luc 7: 48, 50); mais ce n'est pas ainsi qu'il lui parle, car ces mots: «Je ne te condamne pas non plus,» ne signifiaient pas nécessairement que miséricorde lui fût faite devant Dieu. Toutefois il est permis d'espérer que tant d'indulgence produisit de salutaires impressions dans le cœur de cette malheureuse créature, et que celui qui refusa de la condamner dans le temps qu'il était sur la terre pour sauver le monde et non pour le juger, pourra la compter au dernier jour parmi les brebis perdues et retrouvées.

3134. (12-20.) Notre Seigneur était alors dans une des salles du temple qu'on appelait le Trésor ou la Trésorerie, et l'évangéliste reproduit les discours qu'il tint à ceux qui l'entouraient. «Je suis la lumière du monde, leur dit-il, celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie.» Paroles faciles à comprendre et pleines de vérité; paroles horriblement présomptueuses, si Jésus n'eût été qu'un simple homme. Mais il est la lumière par cela même qu'il est le Seigneur. Si donc quelqu'un croit en lui, il passe incontinent des ténèbres, à la lumière; c'est l'Esprit de Christ qui l'a illuminé, et ses clartés sont la vie de l'âme. Voilà ce que savent par expérience ceux qui suivent Jésus. Voilà ce qu'avouent, du moins en partie, bien des hommes qui, sans accepter l'Évangile dans son entier, ne laissent pas d'admirer les lumières morales dont il a enrichi le monde; en sorte qu'ils ne se scandalisent point du témoignage que Jésus se rendit à lui-même sous ce rapport. Il n'en fut pas ainsi des pharisiens, et, sur l'observation qu'ils lui en firent, le Seigneur leur représenta que, fût-il seul à se rendre témoignage, encore méritait-il d'être cru, car nul ne pouvait dire que, dans aucune de ses paroles, il se fût jamais écarté de la vérité. D'ailleurs il n'était pas seul: en lui et avec lui, le Père rendait le même témoignage.» Ton père! répliquent les pharisiens, qui est-il? et où est-il? nous ne le connaissons pas. — En effet, dit le Seigneur, vous ne le connaissez pas plus que vous ne me connaissez. Croyez en moi et vous connaîtrez le Père.» Hélas! combien de gens qui, semblables à ces pharisiens, ne connaissent pas le Père, ne l'aiment pas, ne vivent pas en relations habituelles et intimes avec lui, parce qu'ils s'obstinent à repousser Celui qui est la lumière du monde.

3135. (21-27.) Alors Jésus leur répéta ce qu'il avait dit la veille, sur son départ et sur la nécessité où ils étaient de se convertir promptement, s'ils voulaient ne pas mourir dans leurs péchés, c'est-à-dire ne pas être perdus sans ressource. Et comme ils s'arrêtaient toujours à des pensées terrestres, le Seigneur leur fit entendre que le départ dont il parlait, était tout autre chose que la mort proprement dite. Jésus, par sa nature divine, appartient à un monde très différent de celui-ci; c'est dans ce monde invisible qu'il devait retourner, de manière à rendre toute incrédulité inexcusable. Si donc ces aveugles docteurs ne se hâtaient pas de croire en lui, comme en CELUI QUI EST [636], ils mourraient infailliblement dans leurs péchés... «Qui es-tu donc? s'écrient les pharisiens. — Dès le commencement cela même que je vous dis;» telle fut la réponse. Elle est obscure assurément; mais aussi, considérez quel grand mystère elle recouvre, «Je Suis;» avait dit le Seigneur; et, sans répéter ces deux mots, il ajoute: «Dès le commencement cela même que je vous dis;» puis il déclare de nouveau qu'il procède du Père et que tout ce qu'il dit est véritable.

3136. (28-30.) Pour compléter la prédiction qu'il venait d'articuler relativement à son retour dans la gloire, notre Seigneur annonce qu'il devra son élévation à ses ennemis eux-mêmes. Ce sont eux qui l'attacheront au haut d'une croix et c'est par cette croix qu'il entrera dans son règne, après avoir fait ce grand acte d'obéissance et magnifié de la sorte l'amour éternel du Père. Or, encore que ces paroles n'aient pu être comprises entièrement, elles ne laissèrent pas d'agir sur bien des cœurs. Après ce discours de Jésus, il y eut beaucoup de personnes qui se rangèrent de son côté, ou, comme le dit l'Évangile, qui crurent en lui [2747].

3137. (31-47.) Cette foi, chez un grand nombre, n'était encore qu'une simple adhésion de l'esprit; l'impuissance de résister plus longtemps; un attrait, un désir et non une volonté bien résolue de se donner au Seigneur. Lors donc que Jésus eut exhorté ces nouveaux croyants à lui demeurer fidèles, afin d'obtenir la pleine connaissance de la vérité et par elle la liberté, plusieurs lui firent observer avec une certaine aigreur qu'en fait de liberté, des enfants d'Abraham n'avaient rien à recevoir de personne. Or voici la réponse du Seigneur. On peut être à la fois libre et esclave. Tant qu'on vit dans le péché, on est esclave du péché. Sous ce rapport, nul homme n'est libre. Jésus, le Fils de Dieu venu sur la terre, est le seul ici-bas qui n'ait jamais connu cet esclavage, le seul aussi qui puisse nous donner la vraie liberté. De même, quant à la descendance d'Abraham, dont les Juifs étaient si fiers et non sans motifs, on peut être fils d'Abraham et avoir un autre père; ou, si l'on veut, il est des enfants d'Abraham, tels que Jésus, qui ont Dieu pour père; il en est qui ont un autre père que Dieu. Ici, il s'agit évidemment d'une paternité spirituelle, car au point de vue de la création, Dieu serait le père de tous. Quel est donc celui qui est le père des incrédules, des pharisiens, de quiconque refuse de se convertir? Le Seigneur, après avoir cherché à le faire comprendre sans être obligé de le dire expressément, finit par prononcer le mot terrible: «C'est le Diable, le Calomniateur, le Satan, l'Adversaire, celui qui, dès le commencement, fut menteur et meurtrier. Sa véritable postérité ici-bas se compose de tous ceux qui vivent dans le péché et rejettent la grâce de Dieu.»

3138. Il est quelques traits du discours de notre Seigneur sur lesquels nous devons nous arrêter un moment. Nous y voyons que la liberté dont il enrichit les siens a pour effet de les introduire, et pour toujours, dans la maison de leur Père céleste (35, 36); que la foi qui agissait en Abraham lorsqu'il reçut le Seigneur dans ses tentes de Mamré, fut précisément ce à quoi le Seigneur nous invite nous-mêmes (39, 40); que le péché est l'œuvre de Satan; que tout le désir de Satan est de nous voir rejeter Jésus-Christ; que c'est lui enfin qui, par les ténèbres et les impuretés dont il remplit les cœurs, empêche ceux dont il est le père d'écouter la parole du Sauveur et de devenir enfants de Dieu (41-44).

3139. (48-59.) À des arguments sans réplique, les ennemis de la vérité répondent par des insultes. C'est leur seule ressource, et l'on voit que, dans cette occasion, ils en usèrent largement avec notre Seigneur. Mais lui, plein de patience, continue d'en appeler à Celui dont il cherchait la gloire et qui juge avec justice; après quoi, pour encourager ses disciples, il déclare que si quelqu'un observe sa parole, «il ne goûtera jamais la mort,» par où il faut entendre la mort seconde, ou bien ceci encore, que la mort pour les fidèles n'est pas proprement une mort, mais le commencement de la vie véritable.

3140. On conçoit que les Juifs, toujours aux aguets pour trouver Jésus en défaut, ne manquèrent pas de relever sa dernière assertion. Abraham et les prophètes sont morts! Qui es-tu donc pour promettre à tes disciples qu'ils ne mourront point? À cette question, il répond comme il l'avait fait précédemment, en ajoutant que s'il désavouait sa qualité de Fils de Dieu, il entrerait dans une voie de mensonge semblable à la leur. Quant à leur étonnement, il va le rendre bien plus fort en leur déclarant qu'Abraham avait vu son jour et s'en était réjoui. Les Juifs comprirent que le Seigneur prétendait avoir été vu d'Abraham et ils avaient raison. Pour cette fois, rien ne leur semble plus facile que de montrer l'absurdité d'une telle prétention: «Tu n'as pas cinquante ans et tu as vu Abraham!» Non, Jésus, homme, n'avait pas cinquante ans, il n'en avait pas quarante, quoique ses fatigues et son sérieux le fissent paraître plus âgé; toutefois il avait réellement vu Abraham [322]; car il est Celui qui est [636]. «Avant qu'Abraham fût Je Suis,» dit-il, et non cas j'étais, comme porte une traduction. — En rapprochant cette assertion de ce qu'il avait dit plus haut (24), les Juifs ne doutèrent plus qu'il ne prétendît être le Dieu d'Israël. Dans l'obstination de leur incrédulité, ils prirent des pierres pour le lapider; mais il leur échappa, comme il avait échappé jadis aux habitants de Nazareth [2807].


CCXXXVIII. — L'aveugle-né. Le bon Berger.


3141. Si notre Seigneur ne fit que peu de miracles à Jérusalem, ceux qu'il y opéra furent accompagnés de circonstances qui les rendent particulièrement remarquables; ainsi la guérison de l'impotent [3022] et aujourd'hui celle d'un aveugle de naissance, miracle qui nous est raconté fort au long.

3142. (Jean 9: 1-12.) Comme Jésus se retirait du temple, il rencontra le pauvre aveugle dont il va être question. Les disciples, parlant d'une idée juste, savoir que les maux de l'humanité sont l'effet de la chute, croyaient avec les amis de Job et avec bien d'autres, qu'on pouvait mesurer les péchés d'un homme aux maux qu'il souffre ici-bas. Leur question revenait donc à ceci: «Pour que cet homme soit né aveugle, il faut qu'il y ait en lui, ou qu'il y ait eu chez ses parents, plus de péché que dans le commun des mortels.» Beaucoup de Juifs d'ailleurs croyaient à la transmigration des âmes; c'est-à-dire qu'ils croyaient que l'âme d'un individu avait existé précédemment dans un autre individu, et peut-être les disciples se demandaient-ils si le malheur de cet homme ne pouvait pas s'expliquer de cette manière. Toutefois, il est plus probable qu'ils avaient appris du pharisaïsme à envisager les hommes, comme n'héritant pas tous, dans une même mesure, du péché originel.

3143. À la question de ses disciples, le Seigneur répondit en se servant de leurs propres expressions et en se plaçant à leur point de vue. L'aveugle de naissance n'était point pécheur d'une façon particulière, ni ses parents non plus, ils étaient pécheurs comme tous le sont; la seule chose qu'il y eut ici de particulier, c'est que, dès sa naissance, cet homme avait été destiné à devenir un monument de la puissance et de la grâce de Dieu. Sur ce dernier point, sans doute, on ne peut en dire autant de tous les aveugles, ni de tous les malheureux de ce monde; toujours est-il que les misères de l'humanité servent généralement à manifester les œuvres du Très-Haut, ou autrement sa gloire; sa gloire comme juge et vengeur du péché, sa gloire comme le Sauveur de créatures coupables et justement condamnées.

3144. Il y a pour tous un temps destiné au travail; c'est le jour, autrement la vie présente. Après cela, vient pour les paresseux une nuit où nul ne peut travailler, et il s'agit ici du travail dont le Seigneur parlait à la foule après la multiplication des pains (6: 27). Notre Seigneur lui-même eut un temps marqué pour faire son œuvre, l'œuvre de notre salut, et comme il l'a employé! À cet instant même il va montrer de nouveau par un acte très significatif, ce qu'il veut être pour ce pauvre monde: il en est la lumière, comme il l'avait dit aux Juifs dans le temple (8: 12).

3145. Si le Seigneur se plaît quelquefois à faire sortir subitement une âme des ténèbres du péché [2786], le plus souvent il agit avec lenteur et n'arrive au résultat que par degrés, comme dans la guérison de cet aveugle. Puis, il y emploie des instruments qui, relativement à l'œuvre dont il s'agit, ne sont, hélas! que de la boue sur les yeux; mais c'est lui, quoi qu'il en soit, qui opère, et tout sert entre ses mains. Enfin, il y a aussi pour nous un réservoir de l'Envoyé, réservoir des eaux pures de la grâce, où se nettoient toutes les souillures et où les yeux de l'intelligence, ou plutôt ceux du cœur, acquièrent la faculté de voir le royaume de Dieu.

3146. L'aveugle auquel notre Seigneur rendit ainsi la vue était bien connu; car depuis de longues années on le voyait assis sur les degrés du temple, attendant des aumônes. La merveille de sa guérison ne pouvait se nier, et quand on lui demanda qui lui avait fait cela, il put bien désigner Jésus par son nom; mais, naturellement, il ne lui fut pas possible d'indiquer ce qu'il était devenu. Le Seigneur avait continué son chemin, tandis que l'aveugle s'était rendu au réservoir de Siloé.

3147. (13-34.) Cependant, ceux qui se trouvaient là jugèrent le cas extrêmement grave. Les uns, pour faire leur cour aux pharisiens, d'autres peut-être dans l'espoir de les convaincre ou du moins de les confondre, leur amenèrent celui qui avait été aveugle, et à l'instant même commença une discussion d'autant plus vive que cette guérison avait eu lien le jour du sabbat. Les pharisiens, toujours imbus de leurs fausses idées sur la manière d'observer ce saint repos, s'obstinaient à prétendre, contre l'évidence, que Jésus le violait par ses guérisons, et ils en concluaient qu'il ne pouvait être un envoyé de l'Éternel. D'autres, avec plus de bon sens, demandaient comment il était possible qu'un simple homme, un homme pécheur, fît de tels miracles. Quant à celui qui avait été aveugle, interrogé sur ce qu'il en pensait, il répondit naïvement que le personnage qui l'avait guéri devait être un prophète.

3148. Les ennemis de Jésus avaient encore une ressource; c'était de nier que l'homme eût été privé de la vue. Ils firent donc venir ses parents qui, bien qu'intimidés, ne laissèrent pas de déclarer que leur fils était réellement né aveugle; quant à dire comment il avait été guéri, c'est ce que, par la crainte coupable de se compromettre, ils lui abandonnaient le soin de faire. D'ailleurs, ce n'était plus un enfant, et son témoignage méritait toute créance. On l'appela donc une seconde fois, et on lui fit subir un interrogatoire dont les détails sont pleins d'intérêt.

3149. Pour lui ôter l'envie de redonner à Jésus le nom de prophète, ils commencèrent par prononcer avec autorité que cet homme était un pécheur; qu'à leur jugement infaillible, il avait transgressé la loi; qu'on eût donc à bien prendre garde, dans l'intérêt même de la gloire de Dieu, à la manière dont on parlerait de lui. — Là-dessus, l'aveugle, avec une prudence et une véracité remarquables, repartit en ce peu de mots: «S'il est un pécheur, je ne sais,» je n'ai pas à juger après vous; «je sais une seule chose, c'est qu'ayant été aveugle, maintenant je vois.» Puis, sur la demande qu'on lui fit encore de raconter comment l'affaire s'était passée: «Voulez-vous aussi devenir ses disciples?» leur dit ce pauvre homme, dans sa simplicité. Alors la colère de ces méchants ne connaît plus de bornes. Ils en viennent aux injures, ils s'indignent à la seule pensée d'être disciples de Jésus, comme si c'eût été par là devenir infidèle à Moïse, et comme si Jésus eût été un homme sans aveu dont personne ne connaissait l'origine.

3150. Or, cette prétention parut tellement étrange à celui qui avait été aveugle, qu'il ne put s'empêcher de le faire remarquer. Il ne concevait pas qu'on parlât ainsi de quelqu'un qui lui avait ouvert les yeux, à lui pauvre aveugle de naissance. Dieu seul peut faire une telle œuvre, et un homme qui donne des yeux à celui qui n'en avait pas, doit nécessairement venir de Dieu. Rien n'est plus juste que ce simple raisonnement; aussi les adversaires ne purent-ils y répondre que par de nouvelles injures, injures qui nous les montrent imbus du préjugé dont nous parlions tout à l'heure. Les hommes, pensaient-ils, ne sont pas tous également pécheurs; mais un individu né aveugle, celui-là sans doute fut entièrement engendré dans le mal, et d'un tel homme il n'y a rien de bon à attendre. C'est pourquoi, ils le jetèrent dehors.

3151. (35-38.) Ainsi commençait à s'accomplir ce que le Seigneur avait dit des persécutions qui menacent ses disciples. Mais bienheureux ceux qui souffrent quelque outrage pour l'amour de lui! (Matth. 5: 10-12.) Rejetés des hommes, ils sont aussitôt recueillis par le Seigneur. Jésus, rencontrant l'excommunié, se fit connaître à lui comme le Fils de Dieu, et cet heureux enfant d'Abraham se prosterna contre terre, en l'appelant son Seigneur. Il l'adora, nous est-il dit, et Jésus ne l'empêcha point de le faire, par la raison qu'il est en effet le Seigneur, le Fils de Dieu.

3152. (39-41.) Tout ceci se termina par une déclaration sérieuse du Sauveur et par un discours plein d'encouragement pour ceux qui lui appartiennent. La déclaration, c'est qu'il se fait déjà dans ce monde un grand jugement, au moyen même de l'Évangile: les aveugles voient et les voyants deviennent aveugles; les voyants, c'est-à-dire ceux qui se croient suffisamment instruits et qui s'estiment dans la bonne route; les aveugles, c'est-à-dire ceux qui sentent leur ignorance et qui cherchent en Jésus le seul guide capable de les mettre au chemin de la vie éternelle. Les pharisiens étaient ces prétendus voyants, et ceux qu'ils appelaient des pécheurs étaient ces aveugles. Hélas! des choses semblables se passent encore aujourd'hui. Ce qui constitue le grand péché de tant de gens, ce qui les fait demeurer dans le mal jusqu'à la fin, c'est qu'au lieu de se reconnaître de pauvres aveugles, ils disent: Nous voyons et nous n'avons pas besoin qu'une prétendue révélation de Dieu nous éclaire.


3153. Quant à ceux au contraire dont les yeux ont été ouverts par le Seigneur, il leur serait impossible d'élever le moindre doute sur la vérité et sur l'indispensable nécessité de ses révélations. Semblables à l'aveugle-né, ils ne savent pas toujours répondre aux objections des incrédules; mais si on leur demande raison de leur foi, ils diront sans balancer: Je crois parce que Dieu m'a donné des yeux pour voir et un cœur pour comprendre; j'étais misérable et je suis consolé; jadis esclave de mes passions, maintenant je les combats et en somme je les dompte; j'avais peur de ce qui me réjouit maintenant et je cherchais mon bonheur dans les choses que je fuis: tout en moi est changé! Qui est-ce qui a fait cela? C'est la Parole de Jésus et son Esprit; c'est Dieu lui-même. Telle est ma foi, telle est aussi la raison de ma foi.

3154. (Jean 10: 1-15.) Après cela, notre Seigneur se mit à parler d'une bergerie qui ne peut être autre chose que ce qui est ailleurs appelé le royaume des cieux. Ceux qui croient sont les brebis de la bergerie dont Jésus est tout à la fois la porte et le berger. Les premiers mots du discours s'appliquent aux pharisiens. Ils attendaient aussi le règne de Dieu, mais comme ils ne voulaient pas y entrer par la véritable porte, ils ne faisaient qu'une œuvre de destruction. C'est pourquoi les brebis commençaient à se défier d'eux et à les fuir, préférant avec raison s'attacher aux pas du vrai Berger. Pour entrer le premier par la porte, le bon Berger s'est prêché lui-même; il s'est annoncé comme le Fils de Dieu, le Sauveur du monde; aussi le portier, qui est peut-être le Saint-Esprit, lui a-t-il ouvert l'entrée de bien des cœurs! Voilà comment il se fait que ses brebis entendent sa voix. Il les connaît d'ailleurs une à une; il les appelle par leur nom [2233] et elles le suivent, attendu qu'elles connaissent sa voix, tandis que la voix des faux docteurs, loin de les captiver, les épouvante.

3155. Les auditeurs de Jésus-Christ ne le comprirent pas, bien que plusieurs paroles des prophètes eussent pu les préparer à ce discours [596, 1641, 2224, 2493]. C'est pourquoi le Seigneur leur dit expressément qu'il était la porte et que, par les voleurs, il entendait tous ceux qui, avant ce jour, s'étaient donnés comme les organes de l'éternelle vérité sans y avoir eu réellement mission de la part de Dieu, par où sûrement il ne voulait pas parler des anciens prophètes. Puis, reprenant son idée fondamentale, il proclame les grâces du salut réservées aux fidèles, savoir la liberté et la nourriture spirituelles; car, tandis que le voleur ne songe qu'à détruire, lui au contraire est venu pour que ses brebis aient la vie et, en quelque sorte, plus que la vie.

3156. Or voici par quel moyen. Le bon Berger se donne lui-même pour ses brebis. Si elles ne lui avaient pas appartenu, s'il n'en avait été que le gardien salarié et non le propriétaire, il les aurait laissées dans la gueule du loup ou de Satan, et il aurait reculé devant le sacrifice qu'il devait accomplir pour les sauver. Mais les brebis étant à lui, il les connaît, il les aime; elles aussi le connaissent et l'aiment: entre lui et elles, sont des relations toutes semblables à celles qui existent entre le Père et le Fils. Quel mystère de l'amour de notre Dieu!

3157. (16-18.) Ces paroles si tendres et si consolantes du Seigneur Jésus nous sont destinées aussi bien qu'à ceux qui les entendirent; car nous descendons des pauvres païens auxquels il faisait allusion en disant: «J'ai encore des brebis qui ne sont pas de cette bergerie.» Par le moyen de ses apôtres, il a fait retentir en tous lieux les appels de sa grâce et, maintenant, il y a sur la terre un grand troupeau dont il est le berger, troupeau qui se compose des fidèles de tous les pays, quels que soient les noms qu'ils portent parmi les hommes. C'est donc pour nous aussi que Jésus a laissé sa vie et qu'ensuite il l'a reprise, accomplissant ainsi volontairement l'œuvre de la miséricorde du Père, selon le commandement qu'il avait reçu de lui; car si le Christ est le Fils de Dieu, il est aussi le Fils de l'homme: en cette dernière qualité, il a connu ce que c'est qu'obéir.

3158. (19-21.) Ce discours, on le conçoit, ne fut pas mieux reçu que les précédents. Les ennemis du Seigneur répondirent de nouveau par d'horribles injures; mais les gens de bon sens se récriaient à ce sujet comme nous l'eussions fait nous-mêmes: «Ces paroles, disaient-ils, ne sont point d'un démoniaque; un démon peut-il ouvrir les yeux des aveugles?» À quoi nous ajouterons un avertissement. Il ne suffit pas pour être sauvé de reconnaître l'excellence des discours de Jésus et la vérité de ses miracles. Que mes lecteurs s'examinent donc pour voir s'ils peuvent se compter au nombre des brebis du Seigneur; s'ils écoutent réellement sa voix, s'ils le suivent, s'ils l'aiment, s'ils cherchent en lui seul la vie de leur âme?


CCXXXIX. — Mission des soixante et dix disciples; un docteur; la seule chose nécessaire.


3159. De la fête des tabernacles, l'Évangile de Jean nous transporte directement à celle de la dédicace, qui, instituée par Judas Macchabée, en souvenir de la restauration du temple profané par Antiochus Épiphane [2577], se célébrait le vingt-cinquième jour du neuvième mois, soixante et dix jours après les tabernacles. Mais nous avons, dans les autres Évangiles, le moyen de suppléer au silence de saint Jean.

3160. (Luc 10: 1-16.) Avant de quitter Jérusalem ou peu après son départ, le Seigneur choisit parmi ses disciples, de jour en jour plus nombreux, soixante et dix hommes, avec charge d'annoncer le royaume de Dieu dans la Judée, comme les douze l'avaient fait plus d'une année auparavant [3035]. La mission qu'il leur donna fut toute semblable, et il la formula presque dans les mêmes termes. Je me bornerai donc à signaler les traits de ce discours qui ne se trouvent pas dans le précédent.

3161. Le monde est comparé à un champ (2), et les élus de Dieu à un blé prêt h recevoir la faucille pour être mis en gerbes, jusqu'à ce que le maître du champ les serre dans son grenier. Ici, les prédicateurs de l'Évangile sont les moissonneurs. Il en faut beaucoup; et, relativement à l'immensité de l'œuvre, ils sont bien peu nombreux! C'est pourquoi nous ne devons pas cesser de prier Dieu qu'il se suscite des ouvriers dans sa moisson et notamment des ministres de sa Parole.

3162. (4.) Les Orientaux mettent un temps considérable à leurs salutations; ce sont de longues cérémonies. Notre Seigneur, voulant faire comprendre à ses messagers qu'ils n'avaient pas de moments à perdre, leur dit, comme autrefois Élisée à son serviteur (2 Rois 4: 29), de ne saluer personne en chemin; instruction que je recommande à l'attention de tant de gens, même pieux, qui perdent un temps précieux à de simples visites de politesse et à de vains usages auxquels on donne le nom spécieux de devoirs de société.

3163. (7, 8.) Cependant l'ouvrier du Seigneur, reconnaissant de l'accueil qu'on lui fera et mangeant sans scrupule de tout ce qui lui sera présenté, ne devra pas se faire remarquer par une austérité affectée; il ne faudra pas non plus, quand il reçoit quelque part une généreuse hospitalité, qu'il se donne l'air de l'inconstance et du mécontentement, en quittant sans cesse une maison pour une autre.

3164. (13-15; Matth.11: 20-24.) Chorazin, Bethsaïda, Capernaüm, villes des bords du lac de Génézareth, avaient eu, par la présence de Jésus dans leurs murs, d'immenses prérogatives, et pourtant il s'en fallait bien que leurs habitants se fussent tous convertis. Aussi malheur à eux au jour du jugement! Alors, les villes païennes de Tyr et de Sidon seront dans un état déplorable assurément, vu leurs grands péchés; mais l'état de Chorazin et de Bethsaïda, de Capernaüm surtout, sera pire encore. Oh! vous qui lisez ces lignes et qui avez reçu pour le moins autant de grâces que les Capernaïtes, pensez à votre responsabilité devant Dieu! Si vous rejetez cette parole, vous rejetez Jésus-Christ, et si vous rejetez Jésus-Christ, vous rejetez Dieu lui-même (Luc 10:16).

3165. (Luc 10: 17-20.) C'est par anticipation peut-être que Luc raconte maintenant le retour des soixante-dix disciples; il est possible aussi que leur course missionnaire n'ait duré que peu de jours. Ils revinrent donc tout joyeux, à cause des miracles qu'il leur avait été donné d'opérer, surtout dans la guérison des démoniaques. À cette occasion, le Seigneur leur dit deux choses dignes d'attention. L'une, que ces guérisons n'étaient que le prélude de sa grande victoire sur Satan, lequel doit tomber un jour comme un éclair tombe du ciel, ce qui me paraît la vraie traduction; l'autre, qu'il est une grâce beaucoup plus grande que celle de guérir des démoniaques: c'est d'avoir son nom écrit auprès de Dieu, ou autrement d'être du nombre des rachetés de Jésus. Si donc nous avons la foi en lui, ne regrettons pas de ne pouvoir faire des miracles, nous possédons quelque chose d'infiniment meilleur (Matth. 7: 21-23).

3166. (21-24; Matth. 11: 25-27.) À ce même instant, le Seigneur donna jour à une de ces pensées intimes qui occupaient son âme et dont la plupart sans doute ne nous seront révélées que lorsque nous le verrons face à face. Il l'exprime dans un hymne où il célèbre la gloire de son Père, et cette gloire, il la voit en ce que Dieu a choisi les petits et les chétifs de ce monde, par préférence à tant de sages et d'intelligents qui ne comprennent rien aux merveilles de son amour. Voici donc le mystère de la libre et souveraine grâce de Dieu. Nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils. Dieu est de sa nature incompréhensible. Ce n'est donc pas par notre intelligence naturelle que nous pouvons entrer en relations avec lui: il faut qu'il se révèle à nous. Or il lui est aussi facile de se révéler aux ignorants qu'aux savants; c'est même ainsi qu'il agit volontiers, afin de montrer tout à la fois que de lui vient la lumière et qu'il la fait briller où il veut. Quant aux derniers mots de Jésus, le sens en est facile à saisir, si on les applique aux hommes avec lesquels il parlait et qui avaient les regards attachés sur lui. Il n'est pas moins aisé de nous en faire l'application; car nous aussi nous voyons beaucoup de choses que la foi de nos pères désirait de voir. Si, de nos jours, l'impiété marche tête levée, jamais peut-être aussi la foi ne remporta de plus beaux triomphes, et tout se prépare manifestement pour le règne définitif du Messie.

3167. (28-30.) Ce Messie, doux à entendre, doux à considérer et à savourer; ce Messie si humble qu'il consent à demeurer en nous, vils pécheurs, après avoir habité parmi nous; ce Messie, dis-je, doux et humble de cœur, comme aucun homme ne le fut ni ne le sera jamais, invite à croire en lui tous ceux que fatiguent les peines de la vie et surtout le poids redoutable du péché. Il ne leur promet pas, comme les faux docteurs, qu'ils seront affranchis de toute gêne. La foi en lui est un joug qui fait ployer la tête et qui retient dans un étroit sillon. Mais, après tout, ce sillon est le chemin qui mène à la vie, ce joug est doux à l'âme qui est née de Dieu, et le fardeau que Jésus nous impose est admirablement léger, en comparaison de celui de Satan. Ah! mes chers lecteurs, laissez-vous donc instruire par lui et vous trouverez le repos de votre âme. Priez pour ces multitudes qui s'agitent dans leurs inquiétudes et dans leur ignorance, au lieu d'aller puiser près de Jésus le calme et la lumière.

3168. (Luc 10: 25-29.) Voici un homme du moins qui semblait chercher ce repos. Il fit au Seigneur une question fort solennelle; mais ses intentions manquaient de droiture et de vrai sérieux. Tout son but était de faire parler Jésus, de le sonder, de le tenter, ou, comme nous le dirions familièrement, de le tâter. Il est à remarquer d'ailleurs  qu'il ne demande pas à Jésus ce qu'il doit faire pour être sauvé, ce qui aurait supposé chez lui quelque sentiment de ses péchés; mais, comme il pensait à gagner le ciel par ses œuvres, il dit: «Que faudra-t-il que j'aie fait pour hériter de la vie éternelle.» À la question ainsi posée, il n'y avait et il n'y a encore qu'une seule réponse: «Fais tout ce que dit la loi, remplis tes devoirs sans qu'il y manque rien, et tu vivras.» Tu vivras et non pas tu seras sauvé; car si quelqu'un a observé toute la loi de Dieu, il n'a pas besoin proprement d'être sauvé: il est, par son obéissance, dans le chemin de la vie éternelle (Lévit. 18:5).

3169. Notre Seigneur avait voulu que son questionneur dît lui-même ce qui était écrit dans la loi, et cet homme avait très bien répondu, en la résumant tout entière dans l'amour de Dieu et du prochain. Mais quand il eut entendu sous quelles conditions la loi pouvait lui procurer la vie éternelle, il s'occupa tout de suite à trouver quelque moyen de se justifier; c'est-à-dire de se blanchir à ses propres yeux des accusations de sa conscience, ou plutôt peut-être des accusations que lui intentait l'œil scrutateur de Jésus. Quant à l'amour de Dieu, il s'estimait irréprochable; car rien n'est plus aisé que de se faire illusion sur ce point, par là même que Dieu n'est pas personnellement et visiblement avec nous et que d'ailleurs, pour pouvoir aimer Dieu, on se fait un Dieu à sa façon; mais il n'en est pas ainsi de l'amour du prochain. Si un étranger, un inconnu, un ennemi même est mon prochain, il me sera difficile de dire que j'aime ce prochain-là comme ma propre personne. C'est pourquoi l'homme de loi dit à Jésus: «Et qui est mon prochain?»

3170. (30-37.) Notre Seigneur répondit par l'histoire ou la parabole du bon Samaritain, trait admirable et trop connu pour que je m'arrête à le raconter. D'ailleurs je ne pourrais faire que le transcrire textuellement. Relisez donc simplement l'Évangile, et vous verrez en quels termes, simples et forts, Jésus-Christ peint la dureté de cœur du sacrificateur et du Lévite, deux prêtres, qui, voyant un homme baigné dans son sang, passent de l'autre côté du chemin pour n'avoir pas à lui tendre secours. Cependant, ils n'étaient point pressés de continuer leur route, car ils se trouvaient là «par hasard,» comme gens qui se promènent; tandis que le Samaritain était en voyage. Mais, plein de compassion, il s'arrête, relève le blessé, lui fait un premier pansement, le place sur sa propre monture, le conduit dans une hôtellerie, le veille toute une nuit et, le lendemain, quand il doit le quitter, il tire de sa bourse deux deniers (il n'était pas riche), s'engageant d'ailleurs à payer toute la dépense lorsqu'il reviendrait! Du sacrificateur, du Lévite ou du Samaritain, qui se montre le plus prochain, le plus ami de l'homme que les brigands avaient laissé pour mort? Remarquez, je vous prie, le tour que le Seigneur donne à son enseignement. Le docteur avait demandé: Qui est mon prochain? et Jésus lui répond: Sois le prochain de quiconque a besoin de toi, de ton argent, de ton temps, de tes soins, de tes vœux, de tes prières, de ta compassion, de ton support, de ton affection, et tu ne me demanderas plus qui est ton prochain, parce que tu seras, toi, le prochain de tout le monde. Aimer notre prochain comme nous-mêmes, c'est nous sentir nous-mêmes le prochain de tous et de chacun; c'est avoir pour autrui une affection qui ne dépende en aucune manière des circonstances. Par exemple, cet homme est mon ennemi, il fait tout ce qu'il peut pour cesser d'être mon prochain; mais, quoi qu'il fasse, il ne saurait empêcher que je ne sois son prochain et que je ne l'aime en conséquence; non pas, si vous le voulez, parce qu'il est mon prochain, mais parce que je suis le sien. À prendre la chose de cette manière, et c'est bien ainsi que le Seigneur l'entend, qui est-ce qui oserait se justifier devant Dieu, en prétendant avoir fait les œuvres que sa loi sainte nous commande?

3171. Quelques-uns voient en outre dans la parabole, un sens allégorique dont je dois faire mention. L'homme tombé entre les mains des brigands serait le pécheur condamné justement à la mort; les deux prêtres seraient la loi, qui refuse de nous sauver, et le bon Samaritain figurerait Jésus lui-même, auquel on donnait ce titre injurieux (Jean 8: 48). L'huile et le vin seraient le symbole des grâces du salut; l'hôtellerie, celui de l'Église de Christ, où le Saint-Esprit console et sanctifie les âmes et où le Sauveur se montre toujours prêt à payer pour ses rachetés. Quoi qu'il en soit de cette interprétation, il est parfaitement sûr que le moyen par excellence de savoir en quoi consiste l'amour du prochain, c'est de consulter l'exemple de notre Sauveur. Ah! combien nous étions éloignés de lui lorsqu'il s'est fait notre prochain! et serait-ce trop de dire qu'il a pour nous une affection comme celle qu'il a pour lui-même?

3172. (38-42.) Assez près de Jérusalem était un village où demeuraient deux sœurs chez lesquelles Jésus s'arrêta quelques moments. L'une s'appelait Marthe et l'autre Marie. Rien n'indique qu'elles le vissent alors pour la première fois; dans tous les cas, leur conduite  prouve que l'une et l'autre se consacraient du cœur à son service. Mais elles ne manifestèrent pas leur zèle de la même façon. Tandis que Marthe se livrait avec trop d'empressement aux soins domestiques qu'exigeait la présence de leur hôte, Marie, absorbée par l'attention qu'elle prêtait aux discours de Jésus, laissait à sa sœur toute la fatigue du ménage. On ne saurait dire que sa conduite fût entièrement irréprochable, mais à coup sûr l'extrême où peut-être elle tombait, valait mieux que celui dans lequel se jetait Marthe. Marie du moins laisse faire sa sœur sans la censurer de son agitation, tandis que Marthe, vive et impatiente, semble exiger de Jésus qu'il renvoie Marie, afin qu'elle partage les soins matériels qui l'absorbaient elle-même.

3173. Jamais parole inconsidérée ne produisit de fruits plus excellents, car elle provoqua de la part du Seigneur une réponse qui demeurera, jusqu'à la fin du monde, un avertissement et une consolation pour beaucoup d'âmes. Non seulement nous devons prendre garde que les soins et les soucis de la vie ne nous éloignent du Sauveur et ne nous rendent injustes envers ceux qui s'attachent à son service; mais encore préservons-nous, dans son service même, d'une agitation fiévreuse qui le glorifie assez mal. Après cela, reconnaissons qu'il est, à la lettre, une seule chose vraiment nécessaire, une seule dont il soit absolument impossible de se passer, sinon qu'on ne consente à se voir éternellement misérable: c'est le salut. Enfin, bienheureux ceux qui vont à Jésus pour avoir la vie! Quoi qu'en puissent dire les mondains, ils ont choisi la bonne part et, quels que soient les efforts de l'adversaire, cette bonne part ne leur sera point ôtée.


CCXL. — La prière; si Satan peut chasser Satan; Jonas et Salomon. Malheur aux pharisiens.


3174. (Luc 11: 1-4.) Un jour que notre Seigneur avait été en prière, ses disciples lui demandèrent de leur enseigner à prier, comme Jean l'avait appris à ses disciples. Ceux qui lui firent cette demande étaient probablement des hommes qui, marchant avec lui depuis peu de temps, n'avaient pas entendu son sermon de la Montagne. En voyant leur Maître se retirer fréquemment à l'écart pour vaquer à l'oraison, ils comprirent que c'était aussi leur devoir; et véritablement, quoique la prière ne soit pas à elle seule toute la religion, ainsi que je l'ai dit ailleurs, il est sûr que celui qui ne prie pas est un homme sans religion. Aussi notre Seigneur, s'empressant d'accéder à un vœu qui était déjà une prière et une bonne prière, répéta l'enseignement qu'il avait donné à ses premiers disciples deux ans auparavant, dans une tout autre partie du pays (Matth. 6.) La différence est qu'il supprima cette fois les dernières paroles, qui n'appartiennent pas à la prière proprement dite.

3175. (5-13.) Non content de cela, notre Seigneur répète aussi ce qu'il avait enseigné sur la nécessité de persévérer dans l'oraison (Matth. 7:7 -11). Il le fait en partie dans les mêmes termes (9-13), mais il ajoute une parabole dont le sens est facile à saisir. Il est vrai que bien souvent nous nous laissons fléchir aux prières de nos semblables, moins par amour pour eux que pour nous débarrasser de leurs importunités (6-8); or que ne devons-nous pas espérer de prières persévérantes adressées à un Dieu qui nous aime plus que nous ne pourrons jamais le comprendre! — Nous avons donc ici trois instructions de la plus haute importance: Il faut prier; il faut demander au Seigneur qu'il nous enseigne à prier; il faut persévérer dans la prière. Après quoi, si nous voulons savoir ce qu'on doit demander par-dessus tout, écoutons encore notre Seigneur. Dans son discours de la Montagne (Matth. 7: 11), il avait dit: «Si donc vous, méchants comme vous l'êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père céleste donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui lui en demandent.» Ici, nous apprenons, de sa propre bouche, quelles sont ces «bonnes choses» que nous devons demander à Dieu et attendre de lui avec une pleine confiance: c'est l'Esprit-Saint, ou autrement ce sont les grâces du Saint-Esprit, grâces sans lesquelles nous ne saurions posséder ici-bas la vie de Dieu, ni entrer un jour dans la vie éternelle.

3176. (Matth. 9: 27-31.) À cette époque appartient, pense-t-on, le récit que nous fait saint Matthieu de la guérison de deux aveugles. Ils recouvrèrent la vue par un simple attouchement, après que le Seigneur leur eut dit: «Croyez-vous que je puisse faire cela?» Ils avaient déjà manifesté leur foi en l'appelant Fils de David, car c'est ainsi et avec raison qu'on désignait le Christ; mais il ne suffit pas que nous reconnaissions en Jésus le Messie promis, il faut que nous soyons persuadés, du fond de l'âme, qu'il a le pouvoir de nous ouvrir les yeux ou, autrement, de nous sauver. Quant au motif qui, dans cette occasion, put engager le Seigneur à interdire aux aveugles la divulgation actuelle d'une merveille dont le secret ne pouvait être gardé longtemps, nous le trouvons, ce me semble, quelques  lignes plus bas. On y voit que les pharisiens recommençaient à proférer leurs horribles blasphèmes. Or Jésus avait dit lui-même qu'il ne faut pas jeter les perles devant les pourceaux, et vous vous souvenez du double motif sur lequel il appuie sa recommandation [2910].

3177. (L. 11: 14, 15; M. 9: 32-34.) Un muet que la puissance de Dieu fait parler! c'est une vive image du pécheur dont la langue était inhabile à louer l'Éternel et qui, par la grâce divine, apprend à se servir enfin du beau don de la parole pour le plus noble de tous les emplois. Le peuple, témoin de ce nouveau miracle, fut dans une grande admiration, autant peut-être à cause des choses que le muet disait, qu'en vertu du prodige lui-même. Mais, plus la multitude s'émerveillait, plus les pharisiens s'irritaient, et, comme ils ne pouvaient nier le miracle, il ne leur restait d'autre ressource que celle dont ils avaient usé plus d'une fois: «C'est par Béelzébub, le chef des démons, qu'il chasse les démons.»

3178. (L. 11: 16; M. 12: 38.) D'autres, pour le tenter, lui demandaient un signe du ciel, ce que quelques-uns d'entre eux avaient aussi fait jadis [3086] (Mc. 8: 11). Ils croyaient, paraît-il, que Satan pouvait opérer des miracles ici-bas, mais non dans ce qu'ils appelaient le ciel, et ce qui n'est après tout que l'atmosphère au travers de laquelle nous voyons les astres. Mais en admettant, comme il le faut bien, que Dieu permet quelquefois à Satan d'aveugler le monde par des prodiges, pourquoi ne lui abandonnerait-il pas l'air, aussi bien que la terre! Quoi qu'il en soit, vous voyez la liaison qu'il y avait entre l'accusation des pharisiens et la demande qu'ils adressaient à Jésus.

3179. (Luc 11: 17-22.) Notre Seigneur répond d'abord à l'accusation et il le fait à peu près dans les mêmes termes que précédemment. Il répète qu'elle est à la fois absurde et sans sincérité. Absurde, car comment croire que Satan puisse être assez son propre ennemi pour se faire la guerre à lui-même; sans sincérité, car les fils des pharisiens, c'est-à-dire leurs élèves, essayaient fréquemment de guérir les démoniaques, ils prétendaient même y réussir; or les avait-on jamais accusés de le faire par la puissance de Satan? De là, trois conséquences: Premièrement, c'est par le doigt de Dieu que Jésus chassait les démons; puis, le royaume qui se révélait en sa personne et en ses œuvres était bien le royaume de Dieu; enfin, Satan, l'homme fort et bien armé, avait trouvé un homme plus fort que lui, parce que cet homme est le Fils de Dieu.

3180. Notre Seigneur est si loin d'emprunter à Satan sa puissance, qu'il répudie au contraire tout secours que lui et les siens voudraient lui offrir (23). Souvent on entend dire au sujet de certains livres religieux ou de certaines prédications d'où Jésus-Christ est absent, qu'il s'y trouve pourtant de bonnes choses et qu'on peut en recueillir quelque bien; mais il y a là manifestement une erreur. J'avoue que, dans une autre occasion, notre Seigneur avait dit: «Celui qui n'est pas contre nous est pour nous» (9: 50); mais il s'agissait alors d'un homme qui chassait les démons en son nom; d'où il suit que les deux déclarations, loin de se contredire, se confirment mutuellement. En religion et en morale (si l'on peut distinguer la morale de la religion), ceux qui ne sont pas d'accord avec Jésus sont contre lui, et au lieu d'assembler des âmes en faisceau pour la gloire de Dieu, ils les dispersent et les perdent. Nous donc, prenons garde qui nous écoutons!

3181. (24-26; Matth. 12: 43-45.) En suivant le même ordre d'idées, le Seigneur dit alors une parabole dont le sens n'est pas très facile à saisir. Peut-être a-t-il voulu décrire les effets que produit un enseignement religieux d'où l'Évangile de sa grâce se trouve exclu. Cet enseignement pourra corriger certains défauts, imprimer au caractère une certaine moralité extérieure; mais l'état réel de l'âme en est plutôt empiré. C'est un esprit impur qui est chassé et qui revient avec sept autres esprits plus méchants que lui. «II en arrivera de même à cette génération méchante,» dit notre Seigneur. En effet, l'état religieux des Juifs sous la direction des pharisiens fut pire qu'en aucun temps. Le démon impur de l'idolâtrie avait été chassé, mais pour faire place aux démons de l'orgueil, du formalisme, de la propre justice, des traditions humaines, du pouvoir sacerdotal, de l'avarice et d'une intolérante bigoterie. Encore ici prenons garde à nous-mêmes. Beaucoup de protestants croient avoir tout gagné en échappant au papisme; mais s'ils n'ont pas le cœur à Jésus-Christ leur état actuel est pire que le premier: la superstition peut recouvrir une certaine foi; l'incrédulité n'est qu'incrédule.

3182. (Luc 11: 27, 28.) Frappée de ce discours, une femme éleva la voix du milieu de la foule, et proclama bienheureuse la mère d'un tel prophète, quelle qu'elle fût! Jésus saisit cette occasion pour répéter ce qu'il avait dit précédemment à cet égard (8: 21), tant il tenait à faire comprendre qu'on lui appartenait en vain par la nature, si on ne lui appartenait pas, avant tout, par la grâce. Quiconque écoutera Parole de Dieu et qui l'observe est bienheureux, plus heureux mille fois que ne le serait Marie même, la mère de Jésus, si elle n'avait pas cru.

3183. (29-32; Matth. 12: 39-42.) Interrompu par l'exclamation de cette femme, notre Seigneur revient à la demande qui lui avait été faite, de prouver par un miracle céleste qu'il n'était pas un agent du prince des ténèbres. Sa réponse est la même que précédemment; mais les termes en sont plus explicites, sans compter qu'elle est aussi plus développée. Connaissant la malice de leur cœur et sachant très bien que, quelque miracle qu'il fît, ces méchants hommes étaient décidés à demeurer dans l'incrédulité, Jésus se contenta d'en appeler au grand miracle qui devait s'accomplir en sa personne et par sa propre puissance, quelques mois plus tard, et dont Jonas avait été le type ou la prophétie vivante (Matth. 16:4). Puis, il déclare que ni Jonas, ni Salomon ne pouvaient lui être comparés, et que les Ninivites qui se convertirent à la voix de Jonas, comme la reine de Séba qui admira Salomon, s'élèveraient au jour du jugement, en témoignage contre les hommes qui rejetaient maintenant un prophète plus grand que Jonas et un roi plus puissant que Salomon.

3184. (Luc 11: 33-36.) Et pourtant, ces hommes se croyaient bien supérieurs aux Ninivites du temps de Jonas. Par cette raison sans doute, notre Seigneur reproduisit ce qu'il avait dit dans le sermon de la Montagne, sur la nécessité d'éclairer sa conscience (Matth. 6:22, 23).

3185. (37-41.) Là-dessus, un pharisien ayant invité notre Seigneur à dîner, il accepta selon sa coutume; mais il s'abstint de faire, avant le repas, les ablutions auxquelles les pharisiens attachaient un si grand prix et qui signifiaient, selon eux, qu'ils allaient prendre leur nourriture avec des mains nettes de tout péché [3081]. On comprend que si le Seigneur en usa de la sorte, ce fut d'abord pour se montrer indépendant des vaines traditions des hommes, ensuite pour provoquer les observations de son hôte, comme cela ne manqua pas d'arriver. Sur quoi Jésus se mit à comparer les pharisiens à des gens qui laveraient soigneusement les dehors des plats et des tasses et qui ne les nettoieraient point à l'intérieur; frappante image de tant de gens, dont toute la religion consiste en cérémonies et toute la morale en vertus d'apparat, comme si Dieu n'avait pas créé les cœurs aussi bien que les corps? Pour ce qui concernait ces ablutions avant les repas, le Seigneur fait sentir aux avares pharisiens, qu'il y aurait eu plus de pureté réelle à partager leur pain avec les indigents.

3186. (42.) Parmi les pratiques auxquelles les pharisiens se gardaient fort de manquer, les portant même jusqu'à l'exagération, il y avait le payement des dîmes, que ces prétendus dévots acquittaient sur le produit de leur jardin, et non pas seulement sur celui de leurs champs et de leurs vignes. Mais Jésus leur montre le vide et le néant de cette obéissance plus que scrupuleuse aux moindres exigences de la loi, tandis qu'ils négligeaient, sans trop de façons, le jugement et l'amour de Dieu. Ce n'est pas qu'il faille négliger les petits devoirs, mais il faut encore moins laisser de côté les plus considérables. Malheur donc à vous, leur dit-il, malgré votre sainteté prétendue!

3187. (43, 11.) Oui, malheur à vous, car vous êtes des orgueilleux et des hypocrites; c'est à cela que reviennent ses paroles. Par les dehors de piété qu'ils affectaient, les pharisiens avaient pour but de s'attirer la considération publique et les hommages d'un peuple formaliste et superstitieux. Au fond de l'âme, la plupart d'entre eux étaient des incrédules et des mondains; en sorte qu'ils ressemblaient, comme nous le dirions, à un cimetière auquel, par de charmantes plantations, on donne l'air d'un jardin, et qui n'en est pas moins plein de cadavres et de pourriture. Hélas! que de gens aujourd'hui qui font le service des autels, qui prêchent dans les chaires, qui fréquentent les églises, qui savent, à l'occasion, prendre un air contrit, et auxquels s'appliquent avec une effrayante vérité les malheur! malheur! prononcés par Jésus-Christ contre les pharisiens de tous les temps.

3188. (45-52.) C'est ce que comprit un homme de loi qui, sans doute, se trouvait parmi les convives du pharisien. Comme il semblait vouloir intimider Jésus, celui-ci repartit en ces mots: «Et à vous aussi, hommes de loi, malheur!» Ce qu'il leur reproche également, c'est l'hypocrisie dont ils se rendaient coupables en vantant sans cesse la loi de l'Éternel, en y ajoutant même diverses prescriptions, destinées à rendre leurs disciples plus agréables à Dieu, et eux-mêmes, ces docteurs de propre justice, comptaient souvent parmi les plus immoraux. Il en est encore ainsi de nos jours. — Ces hommes se montraient d'ailleurs dignes fils de leurs pères. Ils avaient beau ériger des monuments aux anciens prophètes, ils faisaient assez voir, par leurs dispositions envers Jésus et les siens, qu'ils étaient animés du même esprit que le meurtrier d'Abel et les persécuteurs des prophètes, notamment ceux de Zacharie, fils de Barachie (Matth. 23: 35), le contemporain de Zorobabel [2183], martyr dont l'Ancien Testament ne raconte pas la mort, mais qui aurait fini d'une manière semblable au fils de Jéhojadah [2037]. Enfin ces hommes de loi, ces docteurs, s'étaient arrogé le droit exclusif d'interpréter les Écritures, et ils revêtaient leurs interprétations d'une autorité égale à celle de la Parole de Dieu. De là étaient résultés deux maux affreux: ils avaient perdu la vraie connaissance de la Bible, et le peuple ne pouvait démêler leurs erreurs. Hélas! ce n'est que trop l'histoire du clergé romain. Il refuse aux laïques le libre usage des Écritures, prétendant en être l'infaillible interprète, et lui-même il les ignore presque complètement.

3189. Il est à remarquer enfin, au milieu de tout ceci, que le Seigneur prophétise en termes assez clairs le châtiment qu'allaient attirer sur eux les Juifs incrédules (50, 51). En rejetant Jésus et en le crucifiant, ils comblèrent la mesure des iniquités commises par eux et leurs pères; aussi l'Éternel fit-il bientôt tomber sur eux une ruine telle que, ni leurs pères, ni eux, ni personne au monde n'en avaient vu de semblable.


CCXLI. — L'hypocrisie; l'avarice; la vigilance.


3190. (53, 54.) Depuis Jean-Baptiste, les pharisiens ne s'étaient pas entendu reprocher si hautement leur hypocrisie. Or, s'ils avaient supporté les censures du fils de Zacharie, c'est que le peuple tout entier courait à lui; c'est d'ailleurs qu'il leur importait de ne pas se priver des faveurs du Messie, dont la venue était annoncée par Jean comme prochaine, et de qui leurs passions se promettaient toutes sortes de faveurs temporelles. Mais, détrompés sur ce dernier point, ils n'avaient plus le même intérêt à se contenir, et nous ne devons pas nous étonner que leur rage allât croissant.

3191. (L. 12: 1-12; M. 10: 26-33.) Jésus, de son côté, supérieur aux craintes qu'ils cherchaient à lui inspirer, ne se lassait pas de démasquer ces faux dévots, et, mû par un véritable amour pour la foule immense qui l'entourait, il dit au peuple, comme jadis à ses disciples (Marc 8: 15): «Sur toutes choses, gardez-vous du levain des pharisiens qui est l'hypocrisie.» L'hypocrisie est semblable au levain qui pénètre toute la pâte. Quand elle règne dans un cœur, tout y est faux, odieux, repoussant, comme dans Saül, par exemple.

3192. Cette funeste disposition se montre de deux manières. Le plus souvent, c'est en simulant des sentiments de piété qu'on n'a pas, soit qu'on se donne pour pieux tandis qu'on est incrédule, soit qu'on se pare d'affections saintes au delà de ce qu'on éprouve réellement. Mais, dit le Seigneur, en vain se cache-t-on; tout se sait finalement, et l'hypocrite trompe moins de gens qu'il ne croit. Rien d'ailleurs n'est plus coupable qu'une telle conduite. C'est oublier que tout est connu de Dieu et qu'il est inutile de vouloir lui masquer notre visage. Pour mieux dire, l'hypocrite ne croit pas en Dieu; sa religion est toute en vue de l'homme.

3193. Il est une autre hypocrisie moins odieuse, mais non moins funeste. Elle consiste à dissimuler sa foi par crainte des moqueries, de l'opprobre ou des persécutions violentes. C'est un péché dans lequel peuvent tomber des «amis» même du Seigneur. Pour nous prémunir contre ces craintes et par là contre une telle dissimulation, Jésus-Christ nous rappelle que les hommes, après tout, ne peuvent pas nous faire d'autre mal que celui de tuer notre corps, tandis que Dieu peut précipiter notre âme dans la géhenne. Craignons donc la juste colère de Dieu, et nous ne craindrons plus l'impuissante fureur des hommes. Sachons d'ailleurs nous souvenir du soin que le Seigneur prend des plus petites choses. Rien n'est ignoré de lui; tout est dans sa main; nos ennemis ne sauraient franchir les limites qu'il leur assigne, et comment pourrions-nous croire qu'après nous avoir appelés pour la vie éternelle, il voulût nous laisser à la merci des événements!

3194. Ce n'est pas tout. Afin de nous encourager à professer hautement notre foi, le Seigneur déclare que, lors de sa seconde venue, il reconnaîtra pour siens, devant les anges de Dieu, ceux qui l'auront reconnu pour leur Sauveur et leur Dieu, à la lace du monde; tandis que, par un juste retour, il méconnaîtra les prétendus disciples qui auront eu honte de lui et de son Évangile. Mais voyez la bonté du Seigneur! Il avait sous les yeux des hommes qui, peu de mois après, devaient l'abandonner lâchement; même un d'entre eux le renier. Or, par pitié pour eux et pour tant d'autres, qui, faibles dans la foi bien que droits de cœur, succombèrent en divers temps à des tentations pareilles, il déclare que si l'on retourne à lui, on le retrouvera toujours prêt à faire grâce. Il n'est qu'un seul péché pour lequel il n'y ait pas de remède; c'est le blasphème contre le Saint-Esprit, ce péché des pharisiens qui, avec la mauvaise foi la plus insigne, attribuaient à la puissance de Satan les miracles de Jésus [2989]; péché dont se rendent coupables ceux qui, bien que persuadés en leur conscience de la divine inspiration des Écritures, bien que sollicités incessamment par le Saint-Esprit à se convertir, repoussent  tous les appels de la grâce de Dieu et foulent aux pieds sa Parole.

3195. La dernière considération qui doit bannir toutes les craintes par lesquelles nous pourrions nous voir tentés de dissimuler notre foi, c'est le secours du Saint-Esprit, promis à ceux qui confessent courageusement le nom du Sauveur. L'assurance qui en est donnée ici et que nous avons vue ailleurs (Matth. 10: 19, 20), a particulièrement trait aux prédicateurs de l'Évangile; mais il est évident qu'elle est propre à raffermir l'âme de tout chrétien. Confessons avec franchise l'espérance qui est en nous, et le Seigneur ne nous abandonnera pas dans l'accomplissement d'un devoir où sa gloire est si directement intéressée.

3196. (Luc 12: 13-15.) Comme Jésus disait ces choses, il lui fut fait une demande qui lui fournit l'occasion de prémunir ses disciples contre l'avarice, une des plus terribles plaies de l'humanité. On ne voit pas d'abord ce qu'il pouvait y avoir de répréhensible dans la démarche d'un homme qui, après tout, ne voulait rien que de très raisonnable. Il était en différend avec son frère au sujet de l'héritage paternel et il désirait que Jésus les mît d'accord. Mais le Seigneur n'est point venu pour s'occuper d'intérêts matériels. Il y avait des magistrats et des juges sur le terrain desquels il n'empiéta jamais [3132]; et ne fallait-il pas que cet homme fût étrangement préoccupé des affaires de ce monde, pour n'avoir rien de mieux à chercher auprès de Celui qui est le pain du ciel, la lumière des âmes, le Sauveur des pécheurs? L'avarice, nous l'apprenons ici du Seigneur lui-même, ne consiste pas seulement dans une soif insatiable des richesses. On peut ne vouloir, en fait de biens terrestres, que ce qui nous revient naturellement, et néanmoins se rendre coupable de ce péché. Si l'on est tout occupé de ses possessions, si les soins qu'on leur donne détournent de la seule chose nécessaire, si l'on ne sert Dieu que pour attirer sur soi des bénédictions temporelles, on ressemble à l'homme qui s'approcha de Jésus afin qu'il s'occupât de son héritage; on aime sa fortune plus que son âme, et la vie présente plus que la vie à venir: on a son cœur aux choses d'ici-bas. Le monde n'appelle pas cela de l'avarice, mais oui bien le Seigneur. Or, c'est le Seigneur qui nous jugera, et non pas le monde. Écoutons-le donc quand il nous déclare que ce n'est pas l'abondance des biens qui donne la vie.

3197. (16-21.) On le dirait pourtant, à voir le prix que les hommes attachent à la fortune. En voici un, dont les récoltes ont été si abondantes qu'il ne sait qu'en faire. Il va donc se bâtir de plus vastes greniers, il y serrera son extrême abondance, et il se promet de longues années de repos et de bonheur; comme un négociant, par exemple, qui aurait réussi à gagner des millions et qui ne songerait plus qu'à jouir de la vie. Et que voudriez-vous qu'eût fait cet homme? dira le monde. Fallait-il qu'il jetât le surplus de ses récoltes dans la mer? D'ailleurs, n'est pas avare qui use magnifiquement de sa fortune. Cette ignoble épithète convient seulement aux misérables qui, ayant du bien en abondance, vivent toutefois comme des pauvres! Eh! non; selon le témoignage de Celui qui est la vérité, l'on n'est pas moins un avare quand on prodigue sa fortune que lorsqu'on la ménage outre mesure. Regarder l'argent comme le souverain bien, chercher le bonheur dans les jouissances qu'il procure, c'est encore l'amour des richesses, c'est l'avarice. Or, quand la fin viendra, brusquement peut-être et toujours plus rapidement qu'on ne pense, à quoi serviront tant de trésors, si l'on n'a pas été riche en Dieu, riche en la foi, riche en bonnes œuvres; si l'on n'a pas envisagé ses richesses comme appartenant à Dieu et si l'on n'en a pas fait l'usage qu'il voulait?

3198. (22-32.) Telle est donc la manière dont l'amour de l'argent se manifeste chez les possesseurs des biens de ce monde, qu'ils soient riches ou seulement dans la médiocrité. Mais les disciples particuliers de notre Sauveur étaient généralement pauvres. Il importait en conséquence de leur dire aussi comment cette passion pouvait se faire jour dans leur cœur. À cet effet, le Seigneur reproduisit un enseignement sur lequel je n'ai pas à revenir en détail (2904-2907). Je remarquerai seulement que, si les soucis et les inquiétudes sont plus excusables chez les pauvres que chez les riches (et pourtant ceux-ci n'en sont pas exempts), ils proviennent toujours de ce qu'on met son cœur aux choses de la terre. Or, voilà précisément ce qu'il faut entendre par l'avarice. Mais le moyen de combattre victorieusement cette disposition criminelle, c'est de chercher avant tout le royaume de Dieu; c'est de penser que, si notre Père céleste a bien voulu nous donner une place dans ce royaume-là, ce n'est pas pour nous laisser manquer ici-bas de ce qui nous est réellement indispensable.

3199. (33, 34.) Enfin, dans le but de nous faire sentir combien l'avarice est opposée à l'esprit chrétien, le Seigneur la combat de la même manière qu'il avait combattu l'esprit vindicatif: «Si l'on te frappe sur la joue droite, présente aussi l'autre,» avait-il dit (Matth. 5: 39). Ici de même: Plutôt que de mettre votre cœur aux biens terrestres, vendez-les et donnez-les en aumônes, afin que vous n'ayez d'autre trésor que dans le ciel. Nous verrons, par la suite, que les premiers chrétiens, plusieurs d'entre eux du moins, portèrent la foi et l'amour mutuel jusqu'à exécuter ce commandement à la lettre, et il n'est pas douteux que, certaine situation donnée, nous ne dussions en user de même. Il faut donc, au moins, que nous soyons toujours prêts à tout abandonner, si le Seigneur nous y appelle par de grandes calamités publiques ou par les circonstances de son Église.

3200. (35-38.) Supposez que nos cœurs fussent dépouillés de toute hypocrisie et de toute avarice, n'est-il pas vrai qu'il ne nous serait pas difficile de vivre avec la pensée habituelle de la prochaine arrivée du Seigneur? L'hypocrite et l'avare ne sont pas sans vigilance, l'un pour ne pas se trahir, l'autre pour conserver et accroître ses biens; mais ni l'un ni l'autre ne se préparent à rendre compte de leur âme. Il n'en est pas de même d'un vrai disciple de Jésus. Semblable à un homme qui a retroussé sa robe autour de ses reins, afin de pouvoir mieux marcher, travailler ou combattre; semblable encore à un serviteur qui attend ses maîtres la lampe allumée, de peur de s'endormir, il est prêt à recevoir le Seigneur, quel que soit le moment de son arrivée. Or, voyez l'amour de Jésus! Jamais un maître revenant de voyage ne dirait à ses esclaves: Placez-vous à table et je vous servirai; le Sauveur, au contraire, s'est entièrement dévoué pour nous. Il est comme un maître qui, rentrant chez lui bien fatigué, se mettrait à servir ses domestiques, au lieu de se faire servir par eux!

3201. (39, 40.) Un point sur lequel Jésus insiste, c'est l'incertitude où nous sommes du jour de sa venue et de notre propre départ de ce monde, deux circonstances étroitement unies. Dans cette incertitude, que devons-nous faire? Nous endormir? Ah! loin de là! Quand un homme saurait que des voleurs se disposent à assaillir sa maison, mais en ignorant l'heure de l'invasion, il se garderait bien d'aller se coucher. «Vous donc aussi tenez-vous prêts,» dit le Seigneur. Tenez-vous prêts, et non: préparez-vous. C'est donc par la foi et non par les œuvres qu'on est sauvé; car si c'était par les œuvres, on ne serait jamais prêt. Mais que ce soit par la foi ou par les œuvres, le sûr moyen de n'être prêt en aucun temps, c'est d'ajourner sans cesse.

3202. (41-46; Matth. 24: 45-51.) Frappé de ce qu'avait de si sérieux l'avertissement du Seigneur, Pierre le pria de lui dire à qui proprement il l'adressait. À tous les croyants sans doute; mais Jésus voulut faire comprendre aux apôtres et à ceux qui, plus tard, exerceraient quelque ministère dans son Église, qu'ils devaient plus que personne se tenir prêts à rendre compte de leur administration; que, s'ils étaient trouvés vaquant fidèlement à leurs devoirs, ils auraient une grande récompense; que si, au contraire, ils se mettaient à vivre comme des mondains (et combien de soi-disant successeurs des apôtres cette menace n'atteindra-t-elle pas!) ils auraient la tête tranchée pour prix de leur incrédulité et de leur hypocrisie.

3203. (Luc 12: 47, 48.) En général, il est juste que celui qui a connu la volonté de son maître et qui ne s'est pas préparé, soit battu de plus de coups; que celui, dis-je, auquel beaucoup de grâces auront été faites, ait un plus grand compte à rendre. On ne comprend pas aussi bien la sentence prononcée contre l'esclave qui n'aura pas connu la volonté de son maître. Il est bien dit qu'il sera déchiré de peu de coups, mais enfin il sera déchiré. Et pourtant il a péché par ignorance! Cela est vrai; mais il ne laisse pas d'avoir fait «des choses dignes de châtiment,» comme le dit notre Seigneur. Sauf quelques cas fort rares, l'ignorance du devoir n'est jamais absolue; elle n'est donc jamais entièrement innocente: voilà du moins ce qu'on doit conclure de cette parole de Jésus, ajoutée à plusieurs autres endroits de l'Écriture sainte [871, 872]. C'est pourquoi, prenons garde à nous-mêmes; profitons du temps qui nous est donné pour étudier la volonté de notre Maître et demandons-lui sa grâce, par laquelle seule nous pouvons faire ce qu'il veut.


CCXLII. — Les signes des temps; la conversion; prophétie contre Jérusalem.


3204. (49-37; Matth. 10: 34-36.) Peut-être les derniers mots de notre Seigneur avaient-ils excité parmi la foule une de ces émotions soudaines si fréquentes dans les nombreuses assemblées; peut-être s'était-elle manifestée par une sourde agitation ou par d'autres signes de mécontentement. C'est ce qui expliquerait la brusque interruption qu'on observe ici dans la suite du discours de Jésus. Quelle étrange parole! Il est venu jeter le feu sur la terre! Il y apporte, non la paix, mais la division! Le feu, il est vrai, nous est quelquefois présenté comme une image des grâces du Saint-Esprit; mais, en cet endroit, il paraît signifier tout autre chose; ou, si l'on veut, notre Seigneur prédit à la fois l'effusion du Saint-Esprit sur son Église, et l'effet de répulsion qu'en éprouvera le monde. La haine naturelle du cœur humain contre tout ce qui vient de Dieu allait donc se montrer par des violences inouïes; Jésus lui-même devait marcher le premier à ce bûcher qu'il est venu allumer; il y serait baptisé ou plongé; et, comme il ne pouvait sauver son peuple ni rentrer dans sa gloire avant d'avoir été enveloppé par ces flammes, il lui tardait que tout cela fût accompli. Après lui, ceux qui s'attacheraient à sa doctrine rencontreraient la plus vive opposition de la part même de leurs proches, et déjà l'on voyait commencer ce terrible embrasement. Quelques-uns pensent que Jésus aurait mieux fait de laisser le monde tranquille; mais alors nulle âme n'eût été sauvée.

3205. (Luc 12: 54-57.) Lors donc qu'on voit les esprits se préoccuper des idées religieuses, s'agiter à leur occasion, se passionner même et s'irriter; lorsque cette irritation se traduit en persécutions ouvertes, c'est un signe du temps, signe que nous ne devons pas méconnaître. Rien de tout cela n'arriverait si Jésus n'était pas là par son Saint-Esprit, si tout le monde dormait du sommeil de la mort, si aucune âme ne ressentait les impressions de la grâce de Dieu. Et quand on voit, de nos jours, des personnes qui accusent les chrétiens des troubles dont ils sont les victimes, ou même de l'incrédulité qui se manifeste à leur occasion (comme si c'était la foi qui fait les impies!), on peut bien leur dire avec le Seigneur: Hypocrites! car il en est de ces personnes comme des pharisiens qui, se refusant à l'évidence, ne voulaient pas reconnaître que le temps du Messie était venu, ou, autrement, le temps de se convertir et de faire ce qui est juste.

3206. (58, 59.) La nécessité de se convertir et de se convertir au plus tôt, voilà ce que notre Seigneur va proclamer de diverses manières. D'abord, par une instruction que nous avons vue ailleurs (Matth. 5: 23-26), et qui, à cette place-ci, se présente comme une parabole. Tout pécheur marche vers la mort et en conséquence vers le jugement. Il a, dans l'Éternel, de qui procède la loi, une partie adverse qu'il doit chercher à satisfaire d'une manière quelconque. Un temps fort court lui est donné pour cela, savoir celui pendant lequel il est en chemin, temps du support, de la patience et des appels de la grâce de Dieu. Mais s'il refuse le moyen de réconciliation qui lui est offert, alors viendront pour lui, et le juge, et l'exécuteur, et la prison; une prison perpétuelle, car pourrait-il jamais, dans sa captivité, payer des dettes qu'il lui fut impossible d'acquitter étant libre?

3207. (Luc 13; 1-5.) Les auditeurs de Jésus comprirent, à ce qu'il paraît, le sens de la parabole; car ils se mirent à lui raconter la mort funeste de quelques Galiléens, objet sur lequel le discours même du Seigneur avait reporté leur pensée. Ces Galiléens, pense-t-on, avaient formé un complot contre la sûreté de l'État, et, au moment où ils donnaient à leur conjuration la solennité d'un sacrifice, ils furent massacrés par les soldats de Pilate, représentant de l'empereur Tibère dans la Judée. Ces malheureux Israélites n'avaient pas eu le temps de se convertir, et Dieu avait fait venir sur eux un bien terrible jugement! C'est aussi, répond Jésus, comme les dix-huit personnes sur lesquelles la tour de Siloé était tombée peu de temps auparavant. Il rapproche ainsi une catastrophe où la main de Dieu seul avait été visible, de celle dans laquelle était intervenue la main de l'homme. Puis il ajoute: «Ne pensez pas toutefois que ces dix-huit personnes, ou ces Galiléens eussent plus besoin de conversion que vous, ni qu'ils fussent plus coupables. C'est pourquoi, si vous ne vous convertissez, vous périrez tous semblablement.» Ainsi, ô mes lecteurs, lorsque Dieu frappe de certains fléaux quelques-uns de nos semblables, individus, familles ou peuples, c'est une voix qui nous crie de nous convertir; car ceux qui sont frappés ne sont pas plus pécheurs au fond que nous ne le sommes nous-mêmes, et ces jugements ont pour but de nous avertir de ce qui nous attend au jour de la grande catastrophe, à supposer que nous mourions dans nos péchés.

3208. (6-9.) Pour compléter son enseignement, le Seigneur ajoute une nouvelle parabole, celle du figuier. Sous cette image, on peut entendre le peuple d'Israël, que Dieu avait établi dans le pays de Canaan, comme on planterait un figuier dans une vigne, c'est-à-dire le meilleur des arbres dans le terrain le plus favorable et le mieux cultivé. À ce point de vue, notre Seigneur annoncerait ici la dispersion du peuple juif, après que le temps de la patience de Dieu aurait été épuisé. Mais on peut entendre aussi par le figuier, tous ceux que le Seigneur appelle à sa connaissance et qu'il place sous l'influence de sa Parole et de sa grâce, afin qu'ils portent des fruits de sainteté et de justice à la gloire de Dieu. Or que nous arrivera-t-il, si nous trompons les vues miséricordieuses du Seigneur et si tout ce qu'il a fait demeure inutile? Jean-Baptiste avait déjà répondu à cette question (3: 9). Cependant le vigneron plaide la cause du pécheur. Le vigneron, c'est Jésus lui-même, pour l'amour duquel Dieu use de patience envers nous, ce Jésus qui ne cesse de nous solliciter à la conversion par son Esprit de grâce, de nous offrir l'efficace de son sang, et qui achevait alors la troisième année de son ministère, circonstance à laquelle il semble faire allusion dans la parabole. Mais, remarquez-le bien, Jésus-Christ ne sauve les âmes qu'en les convertissant. Ceux donc qui refusent obstinément de se convertir ne sauraient échapper à la condamnation. Lui-même, ce tendre et miséricordieux Rédempteur, a prononcé ces paroles: «Sinon, tu le couperas ensuite.»

3209. (10-17.) À quelques jours de là, notre Seigneur fit dans une synagogue, pendant le sabbat, un miracle dont les circonstances ont trop de rapport avec plusieurs autres, pour que j'aie besoin de m'y arrêter. Remarquez seulement que cette pauvre femme, avec son dos courbé vers la terre depuis tant d'années, est une vive image des pécheurs inconvertis, lesquels n'ont de pensées et de cœur que pour les choses d'ici-bas. Hélas! c'est tout ce que Satan désire. Lorsqu'on a été délivré de cette obsession, l'on doit vraiment en rendre gloire à Dieu, par la puissance et la grâce duquel on a obtenu le relèvement (Ps. 146: 8).

3210. (17-21.) La joie que manifesta la multitude à l'occasion de ce nouveau miracle et des censures que Jésus prononça contre les pharisiens, lui fournit l'occasion de répéter les paraboles du grain de sénevé et du levain (Matth. 13). Peut-être eut-il l'intention d'exprimer ainsi que, malgré ces élans de joie et d'admiration, ses disciples ne devaient pas s'attendre à former dès le commencement un grand peuple: peut-être aussi voulait-il qu'ils vissent en cela comme les arrhes et les avant-coureurs de l'extension que prendrait plus tard le royaume de Dieu.

3211. (22-30.) Un certain temps après, notre Seigneur retournant du côté de Jérusalem, bien qu'il ne dût pas encore s'y remontrer, continuait d'enseigner ceux qui venaient à lui. Alors on lui fit une question qui n'est pas sans importance assurément et à laquelle cependant il ne jugea pas à propos de donner, cette fois, une réponse catégorique. Il s'agissait de savoir s'il y a beaucoup de gens qui se sauvent? Or, on peut dire, dans un sens, qu'il nous importe assez peu d'en être instruits; car, à supposer qu'il y ait beaucoup de pécheurs sauvés, cela ne nous apprend pas si nous serons du nombre: et quand même il y en aurait très peu, cela ne dit pas que nous ne puissions pas appartenir à ce petit troupeau. Notre Seigneur fit donc la seule réponse vraiment utile: «Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite.» C'est Jésus lui-même qui est la porte (Jean 10: 9), et c'est par lui seul que nous pouvons avoir accès à la vie éternelle Cette porte elle-même est d'un facile accès; elle est grande et magnifique; c'est la porte royale; mais il existe au dedans de nous et au-dehors tant d'obstacles et d'empêchements, qu'il faut travailler, lutter, persévérer, afin d'atteindre la porte et de la franchir. Sans doute que l'Esprit de Dieu est avec ceux qui le cherchent; car c'est lui-même qui, le premier, vient les chercher dans la voie large du monde; toujours est-il que ce n'est pas sans efforts de notre part que s'obtient le salut. Tout ceci est parfaitement d'accord avec de précédents enseignements (Matth. 7: 13,14); mais voici où il ne semble pas qu'il en soit de même.

3212. «Plusieurs, dit Jésus, chercheront à entrer, et ils ne le pourront.» Or, n'est-ce pas contredire des promesses positives, celle-ci par exemple: «Celui qui cherche trouve?» Mais lisez les lignes suivantes, et vous verrez que Jésus-Christ se transporte au dernier jour et qu'il nous y transporte avec lui. Ce sera dans ce moment que, voyant enfin ce qu'ils ont rejeté, ceux qui auront méprisé sa grâce, voudront entrer près de lui et ne le pourront; parole solennelle destinée à nous faire comprendre clairement qu'il n'y a pas de conversion possible au delà du sépulcre. Alors, il ne servira de rien d'avoir mangé et bu en présence du Seigneur (allusion probable à la sainte Cène, non moins qu'aux relations sociales que Jésus avait entretenues avec les hommes de son temps); il ne servira de rien d'avoir entendu fréquemment annoncer son Évangile et de l'avoir invoqué lui-même comme le Seigneur: si l'on est demeuré dans le péché, l'on sera perdu sans retour. Quel horrible avenir! Quel désespoir pour tant de Juifs et de soi-disant chrétiens, lorsqu'ils verront les fidèles de l'Ancienne Alliance dans le royaume céleste, et qu'ils seront jetés dehors!

3213. Ce ne seront pas seulement les Abraham, les Isaac et les Jacob, avec tous les prophètes, que le Seigneur fera placer à sa table, c'est-à-dire qu'il recevra dans sa famille; de l'orient et de l'occident, du septentrion et du midi, il y aura des hommes, nés païens, qui, s'étant convertis au Seigneur par la prédication de sa Parole, seront traités comme Abraham lui-même, parce qu'ils auront été ses vrais fils en la foi. En sorte que beaucoup de Juifs et de prétendus chrétiens se verront devancés dans le royaume de Dieu par des gens qui semblaient en être fort éloignés.

3214. (31-35.) Ce même jour, quelques pharisiens vinrent dire à Jésus qu'Hérode menaçait de le faire mourir. On conçoit que ce n'était pas par intérêt pour lui qu'ils lui donnaient cet avis, mais plutôt afin de l'intimider, espérant peut-être qu'il se déciderait à fuir en quelque pays lointain. Mais Jésus répondit de manière à leur faire comprendre qu'il ne craignait point Hérode. Il se pouvait sans doute qu'après avoir versé le sang de Jean-Baptiste, ce prince fût altéré de celui de Jésus, comme le renard qui suce avec avidité le sang de ses victimes. Cependant le Seigneur, parfaitement instruit du sort qui lui était réservé pour un temps très prochain (ce qu'expriment ces mois: aujourd'hui, demain et après-demain), savait aussi qu'il ne mourrait pas, comme Jean, sous l'épée d'Hérode. C'était à Jérusalem même qu'il devait laisser sa vie; c'était de la part du peuple de cette ville et de ceux qui y régnaient, qu'il avait à recevoir le dernier coup. Oui, son sang devait couler dans cette ville à la fois si sainte et si criminelle, être répandu par les hommes mêmes auxquels il avait annoncé les miséricordes divines, se mêler à celui des prophètes jadis méconnus et persécutés comme lui! Sous quelle touchante image il représente son amour pour ce peuple ingrat! Avec quelle netteté il exprime que l'incrédulité des Juifs venait de leur mauvais cœur: «Vous ne l'avez pas voulu.» Enfin quelle prédiction de la ruine que leur impiété ne pouvait manquer d'attirer sur la ville qui faisait leur orgueil! Ils en seront chassés; elle sera pour eux un désert; et cet état de choses durera jusqu'à ce qu'ils saluent Jésus et qu'ils le bénissent comme Celui qui vient au nom de Jéhovah; c'est-à-dire jusqu'à ce qu'ils le reconnaissent pour le Messie et qu'ils se convertissent à lui. Voici la seconde fois, en peu de temps, que Jésus prédit la ruine des Juifs (13: 6-9); mais cette fois il y ajoute l'annonce de leur rétablissement, qu'il lie avec son propre retour sur la terre, prophétie particulièrement solennelle et dont il est facile de saisir le rapport avec celles de l'Ancien Testament.


CCXLIII. — Diverses paraboles.


3215. (Luc 14: 1-6.) Plus le ministère de Jésus-Christ tend à son terme, plus ce divin docteur multiplie et varie ses enseignements, sans toutefois perdre jamais de vue ce qui était la grande plaie des Juifs à cette époque; savoir le formalisme et la funeste domination des pharisiens. C'est ce que nous voyons encore dans cet endroit, à l'occasion d'un hydropique guéri le jour du sabbat, jour d'activité religieuse et jour particulièrement béni du Seigneur. Il est à observer, au surplus, que les faits analogues à celui-ci s'étaient passés longtemps auparavant et avaient eu pour théâtre la Galilée ou Jérusalem; or notre Seigneur se trouvait maintenant en d'autres lieux et avec d'autres hommes, ce qui explique la répétition des mêmes actes et des mêmes discours.

3216. (7-11.) C'était dans la maison d'un pharisien, où Jésus avait accepté le dîner qu'on lui avait offert. Or, tel était l'orgueil de ces gens-là, qu'ils ne rougissaient pas de se disputer les places d'honneur autour de la table, procédé qu'interdirait de nos jours la plus simple politesse. Notre Seigneur profita de la circonstance pour leur donner une leçon d'humilité. Il semble au premier abord qu'il recommande d'être humble par calcul, mais on comprend sans peine que telle ne put être sa pensée. N'oublions pas la différence qui existe entre une parabole et un enseignement direct. C'est par figure, par image, que Jésus conseille de prendre la dernière place, afin d'être mis à la première. Oui, lors même que tu aurais droit à occuper le premier rang, prends le moins élevé; car il vaut mieux qu'on t'invite à monter, que si l'on te forçait à descendre. Cela veut dire que tu dois, en toutes choses, te montrer humble de cœur; «car quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé.» Ceux qui prétendent que tous les honneurs leur sont dûs, finissent tôt ou tard par des humiliations; tandis qu'on est généralement favorable aux hommes modestes. Mais, devant Dieu surtout, si nous nous estimons saints et justes, malheur à nous! Si au contraire nous sentons notre misère, nos péchés, notre ignorance, notre absolue incapacité, nous sommes sur le chemin de la gloire.

3217. (12-14.) Voici encore une parabole, car notre Seigneur ne saurait nous interdire de recevoir chez nous nos parents et nos amis, ni nous ordonner de faire des festins aux pauvres, ce qui ne leur serait guère bon. Tout au plus a-t-il voulu nous donner à entendre qu'il y a plus d'égoïsme que de véritable bienveillance dans l'accomplissement de certains devoirs de famille et de société. On invite pour être invité; on accueille pour être accueilli; on salue pour être salué. Mais si cet enseignement du Seigneur est une parabole, nous devons en tirer une instruction plus importante encore; savoir, que rien de ce qui est fait par des vues intéressées ne saurait avoir de valeur aux yeux du souverain Juge. Or ceci s'applique à tout, et non pas seulement aux œuvres de bienfaisance. Par exemple, nous ne devons pas aimer Dieu pour qu'il nous aime, mais parce qu'il nous a aimés, et voilà ce qui n'est possible qu'aux seuls rachetés de Jésus. 

3218. (15-24.) Un de ceux qui étaient à table avec le Seigneur, tout joyeux de ce qu'il voyait et entendait, se mit à parler aussi en similitude, et, prenant son point de comparaison dans les choses qui étaient sous ses yeux: «Bienheureux, s'écria-t-il, celui qui mangera du pain dans le royaume de Dieu!» Cet homme avait raison. Quand on pense à la faim de bonheur qui nous dévore, nous devrions, semble-t-il, saisir avec empressement la félicité qui se trouve auprès de Jésus. D'où vient donc qu'on le fait si peu? C'est ce que le Seigneur nous dit au moyen d'une troisième parabole.

3219. Il compare la grâce du salut à un grand souper que Dieu lui-même a préparé et auquel il invite beaucoup de gens. Tout étant prêt, il envoie son esclave, c'est-à-dire notre Sauveur lui-même, avertir ceux qui avaient été invités. Or si Jésus a voulu se désigner lui-même sous cet humble nom d'esclave, les invités seraient les Juifs, ses contemporains, appelés au salut dès le temps de leurs pères. Il est facile de voir que cette portion de la parabole peut nous être appliquée; car ne sommes-nous pas nous-mêmes, par le seul fait de notre naissance, du nombre des conviés? Quant à ce qui est dit qu'ils se mirent tous unanimement à s'excuser, cela n'exprime que trop bien la répugnance du cœur naturel pour les choses de Dieu: abandonné à lui-même, il ne sait que les repousser.

3220. Et si vous voulez en connaître la cause, suivez la parabole. Ce sont nos préoccupations mondaines, nos affections terrestres, les soins, les soucis, les charmes de la vie qui ferment nos cœurs aux choses célestes. Non pas nos péchés manifestes, ni nos passions désordonnées, car ces plaies énormes nous font plutôt sentir le besoin de la grâce du Seigneur, et si nos désordres nous mènent dans l'abîme, ce n'est pas là toujours ce qui nous empêche le plus d'en sortir. L'amour du monde, les affaires du présent siècle, même celles qui sont légitimes, voilà définitivement ce qui perd les âmes. Acheter un champ et des bœufs, contracter les liens du mariage, ne sont pas des actes que Dieu nous interdise dans tous les cas, ils peuvent même se faire chrétiennement; mais si l'on y met son cœur, on demeurera sourd aux appels les plus pressants de la grâce de Dieu.

3221. Sur le refus des premiers invités, voici des pauvres, des impotents, des boiteux, des aveugles que fait appeler le maître du souper et qui répondent à sa voix. Peut-être le Seigneur entend-il par là les pécheurs et les péagers, objets de l'indignation des pharisiens; ou bien faut-il y voir les âmes qui, n'ayant pas leur cœur aux biens et aux jouissances d'ici-bas, sont pauvres «en esprit,» sentent leur misère, leur ignorance, leur incapacité, et qui, bien que possédant des avantages terrestres, sont, par le cœur, comme s'ils ne les possédaient pas. C'est-à-dire qu'ils renoncent à eux-mêmes, qu'ils se chargent de leur croix et qu'ils suivent Jésus.

3222. Ceux-ci étant entrés dans la salle du souper, il y avait encore de la place; car on n'est pas à l'étroit dans la maison et dans le cœur du Père céleste. Alors l'esclave est envoyé sur les chemins et le long des haies, à l'ombre desquelles étaient couchés des mendiants, misérables et vagabonds. Cette image a trait selon toute apparence aux nations païennes. Elles devaient entendre aussi la bonne nouvelle du Christ et se voir comme contraintes par la puissance de la vérité et par les attraits irrésistibles de la grâce divine. Voilà de qui la maison de Dieu, qui est l'Église, devait bientôt se trouver remplie, tandis que les premiers invités, les Juifs, se verraient, par leur incrédulité, privés des faveurs qui leur avaient été préparées et offertes.

3223. (25-27; Matth. 10: 37-39.) Il est, dans la parabole, un mot que je n'ai pas fait suffisamment remarquer: «Tout est prêt» (17). Oui, Jésus a tout accompli; les grâces du salut se trouvent en surabondance auprès de lui, et nous n'avons rien à ajouter au repas qu'il nous a préparé. Il s'agit uniquement d'entrer dans la salle du souper, ou autrement de croire en la promesse de Dieu. Mais cela même ne se fait pas sans d'immenses difficultés et sans de douloureux sacrifices. Nos proches les plus chers voudraient quelquefois nous détourner du Seigneur; les intérêts de la vie présente sont en conflit continuel avec ceux de l'âme; enfin des souffrances de toute espèce deviennent ici-bas le partage de ceux qui s'attachent au royaume de Dieu. Pour aller à Christ, il faut haïr tout ce qui peut mettre une barrière entre nous et lui, et se sentir prêt à souffrir tout au monde plutôt que de l'abandonner. Si nos parents nous empêchent de suivre Jésus, nous les haïrons comme nous nous haïssons nous-mêmes quand nous sentons dans notre cœur tant d'incrédulité et de péché. Les haïr de la sorte, ce n'est pas dire au fond que nous ne les aimions pas; car en nous haïssant nous-mêmes, nous nous aimons mieux et plus réellement que si nous avions la folie de nous préférer au Seigneur. Toujours est-il qu'il paraît aux hommes qu'on les hait lorsqu'on résiste à leurs coupables volontés. Ils sont assez égoïstes pour vouloir que nous les préférions à Jésus-Christ! Or c'est une grande douleur que d'être soupçonné de haïr, tandis qu'au fond l'on aime cordialement.

3224. (Luc 14: 28-33.) Tout cela donc n'est point facile, et ce n'est pas de la morale comme le monde la veut. De plus, on ne saurait disconvenir que notre Seigneur n'eût pu, s'il l'avait voulu, exprimer ces vérités en des termes moins repoussants; mais, entouré dans ce moment d'une grande foule, son intention, pleine de sagesse, fut probablement de faire sentir à tout ce monde, qu'il n'est pas aussi aisé d'être son disciple que plusieurs peut-être se l'imaginaient. En conséquence, il compléta son enseignement par deux similitudes qui reviennent, l'une et l'autre, à dire qu'en allant à Jésus, il importe de se rendre compte des difficultés de la vie chrétienne, non pas pour s'abandonner au découragement, mais pour user de sages précautions et se procurer les secours nécessaires. Quelle différence entre notre Seigneur et tant de docteurs qui se donnent pour ses ministres! Ceux-ci présentent la vie de la foi comme facile à tous égards, ils allèchent les âmes par des tableaux pleins de poésie sur le bonheur du juste; mais en ne disant pas la vérité tout entière, ils se trouvent être des prédicateurs de mensonge. Il est vrai que la vie de Dieu vaut mieux de toute manière que la vie du péché; rien n'est plus funeste néanmoins que d'oublier les renoncements, les combats, les douleurs qui sont le partage du fidèle. À peine est-on entré dans la carrière, qu'on les rencontre, et si l'on s'est nourri de vaines illusions, il est bien à craindre qu'on ne retourne en arrière, une fois que le voile est déchiré.

3225. (34, 35.) Or, retourner en arrière, c'est la pire de toutes les conditions, c'est devenir semblable à du sel qui aurait perdu sa saveur, et il n'est pas étonnant que le Seigneur fasse, là-dessus, un appel sérieux à ceux qui l'entouraient. Je voudrais bien aussi l'adresser à mes lecteurs cet appel; leur demander s'ils ont pris congé de toutes choses au monde pour suivre Jésus; c'est-à-dire, s'ils ont calculé ce à quoi l'on s'expose ici-bas en entrant dans la voie du salut, et s'ils sont prêts à tout sacrifier plutôt que de s'en retirer, supposé qu'ils y marchent réellement.


CCXLIV. — Paraboles de la brebis, de la drachme, et du fils perdus et retrouvés.


3226. (Luc 15: 1-7.) Les Pharisiens continuant à se scandaliser de ce que notre Seigneur vivait avec des gens qu'ils appelaient des pécheurs, eux se croyant justes, il saisit cette occasion pour revenir, par trois paraboles fort semblables, sur le sujet important de la conversion. Il compare d'abord le pécheur à une brebis perdue. Le berger en possédait cent; une d'elles s'égare; que fera-t-il? Parce qu'il lui en reste quatre-vingt-dix-neuf, laissera-t-il tranquillement la centième devenir la proie du loup? Non, assurément. Il se met plutôt à sa recherche, et, s'il la retrouve, il en éprouve une joie que la conservation des quatre-vingt-dix-neuf autres ne lui avait pas causée. C'est comme une mère qui, ayant eu un de ses enfants dangereusement malade et le voyant rétabli, se réjouit d'une joie que ne lui faisait pas éprouver la bonne santé des autres membres de sa famille; car, pendant la maladie de son enfant, elle n'avait eu, en quelque sorte, de pensée que pour lui.

3227. Il semble pourtant extraordinaire qu'un homme qui a retrouvé sa brebis, assemble amis et voisins pour qu'ils se réjouissent avec lui de son bonheur! N'y a-t-il pas là ce qu'on pourrait appeler une exagération, comme celle du grain de moutarde qui devient un grand arbre [3001] ou comme celle du maître qui se met à servir ses esclaves fidèles [3200]? Oui, si l'on veut; mais les merveilles de la grâce de Dieu ne sauraient être comparées aux choses terrestres, sans qu'on imprime à celles-ci une apparence d'exagération: c'est même par l'exagération seule des proportions, que ces images peuvent donner une idée des choses célestes. Si donc vous vous étonnez de la joie du berger de la parabole, sachez qu'il y a du plus étonnant encore; savoir, la joie qui se manifeste dans le ciel à la conversion d'un pécheur, joie merveilleuse dont celle du berger n'est après tout qu'une bien faible représentation. Apprenez aussi de là quel est le prix de votre âme, quel sentiment vous devez éprouver quand on vous raconte la conversion d'un pécheur, le crime dont se rendent coupables les pharisiens de nos jours en s'offensant de tels récits; puis, demandez-vous, vous qui lisez ces lignes, si vous avez été une occasion de joie pour les habitants du ciel.

3238. Mais qui sont ces quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion? À cette question, l'on peut faire trois réponses également vraies. Les anges demeurés fidèles à Dieu n'ont pas besoin de conversion; ce sont les quatre-vingt-dix-neuf brebis fidèles au bercail, et leur permanence dans l'amour de Dieu cause moins de joie au ciel que la conversion d'un pécheur, conversion dans laquelle éclate avec tant de gloire la miséricorde de l'Éternel: première réponse. Les pécheurs convertis précédemment n'ont plus besoin de conversion. Il y a eu de la joie au ciel lorsqu'ils furent convertis; mais, maintenant, leur persévérance dans la foi y cause moins de joie que la conversion d'un pécheur engagé jusqu'à ce jour dans les voies de l'iniquité; c'est une nouvelle victoire sur le prince des ténèbres: seconde réponse. Voici enfin la troisième explication que je crois la meilleure et qui est analogue à celle que j'ai présentée sur un sujet tout semblable [2934]. Les pharisiens étaient ces prétendus justes qui pensaient n'avoir pas besoin de* conversion. Or il est clair qu'il y a plus de joie au ciel pour un seul pécheur qui se convertit, que pour quatre-vingt-dix-neuf pharisiens fiers de leur propre justice et pleins d'incrédulité.

3229. (8-10.) La parabole de la drachme perdue est tout à fait semblable à la précédente. Seulement on y voit mieux encore avec quelle tendre sollicitude, avec quels soins, pour ainsi dire minutieux, l'Esprit du Seigneur cherche les âmes qui sont perdues et qui demeureraient inévitablement en cet état, si la grâce de Dieu ne les prévenait. À force d'errer, une brebis retrouvera peut-être son chemin, ses cris attireront vers elle le berger qui la cherche; mais une pièce de monnaie reste où elle est, jusqu'à ce que quelqu'un la relève. Puis c'est ici qu'on apprend quels sont les habitants du ciel pour qui la conversion du pécheur est un sujet de joie; c'est mieux qu'Abraham, Isaac et Jacob, car ce sont les anges mêmes de Dieu. Pleins d'amour pour Jéhovah leur Seigneur et le nôtre, ils se réjouissent d'une joie ineffable à chaque manifestation nouvelle de son incompréhensible charité!

3230. (11-32.) Après ces deux paraboles, vient celle du fils perdu et retrouvé, ordinairement appelée la parabole de l'enfant prodigue. Ici le pécheur est représenté sous l'image d'un jeune homme qui, ayant reçu de son bon père sa part d'héritage, s'éloigne de la maison paternelle, dissipe tout ce qu'il a, et tombe dans une affreuse misère. Par cela même que notre Seigneur prend cette fois pour I>oint de comparaison un homme, et non une chose inanimée comme la drachme, ou un être destitué de raison comme une brebis, la parabole nous dira sans doute ce qui se passe dans un cœur que Dieu convertit à lui, et c'est à quoi nous devrons être particulièrement attentifs.

3231. Tout homme a reçu de Dieu un corps et une âme, doués l'un et l'autre des plus belles facultés; le Seigneur nous a mis entre les mains une foule de moyens d'action et d'influence; il se manifeste à tous par la conscience et il en est auquel il lui a plu de se révéler par sa Parole. C'était le cas des Juifs en particulier; c'est le nôtre encore plus. Mais, laissant cela de côté, il demeure vrai que chaque homme reçoit ici-bas une part quelconque de biens dont la source est en Dieu et qui devraient être, par nous, consacrés à sa gloire: force, esprit, santé, temps, richesses, pouvoir, etc. Il n'est pas moins incontestable que, depuis la chute et en tous lieux, comme dans tous les temps, l'homme naturel vit éloigné de Dieu et qu'il prodigue à la vanité et au péché les dons de son Créateur, soit qu'il se prostitue aux faux dieux, soit qu'il ne vive que pour un monde dont il est impossible de concilier le service avec celui du Seigneur.

3232. Mais, dans le désordre moral, il est impossible que l'âme humaine soit heureuse. Le pécheur est misérable comme un homme qui est dévoré par la faim et qui n'a rien pour l'apaiser. En cet état de malaise inexprimable, il cherche de tous côtés des distractions; il lui semble qu'en se livrant encore un peu plus à ses passions, il finira par trouver le bonheur; mais, en s'asservissant toujours plus complètement à Satan et au monde, il se dégrade aussi toujours davantage, et son affreuse misère empire chaque jour. C'est de ce triste état que nous avons l'image dans la détresse où se trouva bientôt l'enfant prodigue.

3233. Ici, commence pour lui une ère nouvelle, et dès ce moment il n'est plus le type de toute âme d'homme, mais seulement de celles qui se convertissent à Dieu. En contemplant cet autre tableau, nous voyons que, pour se convertir, il faut commencer par rentrer en soi-même, ce que si peu de gens savent faire; puis il faut tourner ses regards vers Dieu, vers ce Dieu plein de bonté, qui traite ses heureux serviteurs bien mieux assurément que Satan ne traite ses esclaves; il faut enfin se décider à sortir de l'état de péché où l'on se trouve, pour recourir à la miséricorde du Père céleste. C'est ce qu'on doit faire avec une véritable repentance, et l'histoire de l'enfant prodigue nous apprend admirablement ce qu'il faut entendre par là. Le pécheur vraiment humilié confesse ses fautes sans chercher nullement à les excuser; il reconnaît qu'il a offensé Dieu, Dieu lui-même par ses transgressions (Ps. 51); il s'avoue indigne de pardon et toutefois il ne laisse pas d'espérer que le Seigneur daignera recevoir son repentir, car sans cet espoir il ne songerait pas même à retourner vers lui.

3234. Ensuite, la vraie repentance est active. Ce que l'enfant prodigue a dit, il le fait; non pas entièrement toutefois, et ce trait est touchant. Quand il voit avec quelle bonté son père vient au-devant de lui, il comprend qu'il insulterait ce cœur paternel, s'il se bornait à demander une place de mercenaire dans la maison. Il se sent peut-être toujours plus indigne d'un tel père; mais avec un tel père il n'y a pas d'enfant, si perdu soit-il, qui ne puisse être reçu en pleine grâce. Car voyez, finalement; c'est Dieu qui prévient le pécheur et qui lui ouvre le premier les bras de sa miséricorde. Oh! quel tendre père! et quel mystère d'amour que cette joie qu'il éprouve au retour d'une âme égarée! Ce ne sont donc pas seulement les anges du ciel qui se réjouissent lorsqu'une âme se convertit; c'est aussi le Père céleste, celui, nous dit l'Écriture, qui se réjouit en ses œuvres (Ps. 104: 31).

3235. Il est encore à remarquer de quelle manière la parabole décrit les résultats de la conversion d'un pécheur, quant à ce pécheur lui-même. Auparavant, rien de plus misérable ni de plus dégradé; maintenant, au contraire, rien de plus heureux ni de plus comblé d'honneur. Il était mort, et le voilà revenu à la vie; perdu, et le voilà retrouvé. Morts, perdus éternellement, c'est donc ce que vous êtes, ô mes lecteurs, si vos cœurs ne sont pas convertis! Vivants et retrouvés pour toujours, telle est votre bonne part, à supposer que vous soyez allés à Jésus pour avoir la vie!

3236. (25-32.) Cependant, si, en étudiant ces belles paraboles, nom avons pu oublier les pharisiens et les scribes, qui en avaient fourni l'occasion, le Seigneur, de son côté, ne les oubliait pas. Il se réservait de les peindre sous l'image du frère aîné de l'enfant prodigue. Les pharisiens s'irritaient de ce que Jésus recevait les péagers et les pécheurs; c'est ainsi que le frère de la parabole, cœur dénaturé, se met en colère lorsqu'il apprend le sujet de tant de joie. Quand son père vient le solliciter d'entrer pour se réjouir avec toute la famille, il s'y refuse, comme les pharisiens qui résistaient aux appels les plus tendres du Sauveur. À leur manière encore, il voit dans l'obéissance qu'il rendait à son père un fardeau et non un privilège. Fier de la régularité de ses mœurs, il se flatte de n'avoir jamais méconnu ses obligations. Cependant, être toujours avec son père ne suffit pas à son bonheur, car il aurait voulu se réjouir avec ses amis, ou, en d'autres termes, il tournait un œil de regret du côté du monde. Enfin, il exagère les torts de son frère, auquel il dédaigne de donner ce nom, et il ne comprend pas qu'après de tels égarements, on puisse l'accueillir avec tant de joie.

3237. Mais tout cela rend manifeste que ce malheureux fils n'aimait ni son père ni son frère. Or, sans l'amour de Dieu et du prochain, qu'est-on, si ce n'est un pécheur perdu et maudit? Voilà ce qu'oublient les honnêtes gens de ce monde. À l'exemple des pharisiens, ils s'estiment justes, ils se comparent avec orgueil à ceux qu'ils appellent les grands pécheurs, ils s'irritent de ce que ceux-ci les devancent par la conversion dans le royaume des deux, et ils ne voient pas qu'un pécheur qui se convertit, quels qu'aient été ses désordres, est réellement dans la bonne voie; tandis qu'un pécheur qui refuse de se convertir demeure dans le chemin de la mort, quelles que soient ses prétendues vertus.

3238. En résumé donc, ces trois paraboles nous enseignent que tout homme est perdu; que le salut vient du Seigneur; que le bon Berger s'est dévoué pour nous; que nous devons nécessairement nous convertir, afin d'être sauvés; que rien n'égale la misère des pécheurs non convertis, si ce n'est le bonheur de ceux qui se convertissent; enfin, que ce qui est encore supérieur à tout cela, c'est l'amour de Dieu envers nous et la joie des habitants du ciel, quand une âme passe du royaume de Satan à celui du Seigneur.


CCXLV. — L'économe infidèle.


3239. (Luc 16: 1-8.) Pour comprendre l'enseignement que Jésus donne ensuite à ses disciples, et non plus aux pharisiens bien que présents, il faut une attention toute particulière, car il offre d'assez grandes difficultés. Les plus grandes, toutefois, sont venues de ce qu'on a voulu voir ici une parabole, tandis que c'est peut-être une histoire véritable. Elles viennent surtout de ce que, parabole ou histoire, on a interprété ce récit en appliquant à Dieu lui-même tout ce qui y est dit de l'homme riche. Or, dans ce système d'interprétation, l'on avait peine à concevoir que Dieu put louer l'économe infidèle. Il est vrai que le maître no loue que le savoir-faire de son indigne serviteur; mais cela même ne se conçoit pas facilement de la part de Dieu.

3240. Si l'on prend garde au but que se proposait notre Seigneur, but qu'indique nettement le verset 8, on comprendra que, parabole ou histoire, ce récit nous retrace une scène toute de ce monde. Et le maître et le serviteur sont des mondains. Celui-ci ne le montre que trop par les énormes abus de confiance dont il se rend coupable; celui-là, par l'espèce d'admiration qu'il ressent pour son habile voleur. Ceci ressemble, trait pour Irait, à ce que rapporte un ancien historien français (Ph.de Commines) au sujet du roi Louis XI, si connu par l'habileté de sa politique mondaine. Ce monarque avait des espions en Angleterre et jusque parmi les seigneurs de la cour. Un jour, il envoya quelqu'un de ses officiers avec l'argent destiné à payer la pension d'un de ces seigneurs, et avec ordre de rapporter un reçu en bonne forme. Mais, non seulement l'Anglais, pour ne pas se compromettre, refusa de donner ce reçu, il fallut même que l'envoyé du roi glissât l'argent dans la manche de la robe du traître. En apprenant cela, Louis XI félicita beaucoup le roi d'Angleterre d'avoir un si habile homme à son service. Il admira donc le savoir-faire de ce misérable, comme, dans la parabole, le maître loue son intendant de ce qu'il avait agi avec prudence.

3241. Il se pourrait donc très bien que l'histoire de l'intendant infidèle et de son maître se fût passée telle quelle, à la connaissance de bien des gens; mais qu'elle soit réelle ou fictive, l'instruction demeure la même, et c'est une instruction pleine de vérité. Quoi de plus ingénieux et de plus persévérant en effet que l'homme qui poursuit l'objet de ses passions? Si quelque obstacle l'arrête, il avise aussitôt au moyen de l'écarter. Rien surtout ne l'effraye autant que la misère, et il a grand souci de son avenir terrestre, encore que cet avenir soit de courte durée. À ce point de vue, il sent très bien la valeur du moment présent. On pourrait croire qu'une fois converti, cet homme ne manquera pas de mettre aux choses de la vie éternelle la même activité et le même savoir-faire qu'il mettait auparavant aux choses du présent siècle; mais, hélas! il n'en est pas ainsi, et, comme le dit notre Seigneur: «Les fils de ce siècle sont plus prudents que les fils de lumière dans leur propre génération» [1147]. Cela ne signifie pas que les fidèles doivent rivaliser d'habileté avec les mondains pour les intérêts d'ici-bas, ni, cela va sans dire, qu'il puisse être question d'apporter dans les affaires du règne de Dieu le genre d'habileté, fréquemment si coupable, que les gens du monde déploient pour satisfaire leurs passions; mais il serait à désirer que, dans l'intérêt de leur âme et de la gloire de Dieu, les enfants de la lumière se montrassent conduits par la vraie prudence et par une sainte industrie, au lieu qu'on a si souvent la douleur et la honte de voir des incrédules faire, pour les biens périssables, ce que des croyants ne savent pas faire pour les biens éternels. Il faudrait, par exemple, que le départ de mille missionnaires fût quelque chose d'aussi naturel et d'aussi fréquent, que les expatriations dont l'unique objet est de chercher fortune! Et puis, n'est-il pas vrai que ce qui reste en chaque fidèle de l'enfant du siècle déploie souvent dans les affaires de ce monde une énergie dont ils n'ont certes pas à se glorifier?

3242. Les exhortations et les maximes qui suivent cette première sentence de notre Seigneur se rattachent les unes aux autres moins étroitement qu'à la parabole. La première de ces maximes (9) a été quelquefois bien mal comprise. On a cru y voir la doctrine du salut par les œuvres et surtout par l'aumône; mais véritablement il n'y a là rien de pareil. Mammon, c'est le dieu des richesses, ou l'argent et l'or [2902]. Jésus l'appelle le Mammon de l'injustice, comme Dieu est appelé le Dieu de la vérité, le Dieu de la justice. L'amour de l'argent porte à toutes sortes d'iniquités, ce que montre si bien l'histoire de l'administrateur infidèle. Entre autres infamies, vous avez vu comment il s'y prit, ce mondain si prudent, pour se faire des amis qui l'accueillent après sa déconfiture. Eh bien! notre Seigneur, qui veut que nous soyons plus prudents que les enfants de ce siècle, nous dit d'employer aussi notre argent à nous faire des amis, et des amis qui puissent, non pas nous introduire dans le ciel, ceci est l'œuvre même du Sauveur, mais nous y recevoir. Cela signifie que la meilleure manière d'employer notre argent, c'est de venir au secours des disciples pauvres du Seigneur Jésus, et de faire annoncer l'Évangile à ceux qui ne le connaissent point. Oh! oui, si nous avons fait quelque bien à ces petits qui croient en Jésus, si nous avons contribué par nos dons à la conversion de quelques âmes, nous rencontrerons dans le ciel, à côté du Sauveur, des frères et des sœurs qui nous accueilleront avec amour et avec joie (Dan. 12: 3). Nous sommes sauvés par la pure grâce de Dieu; mais, par la foi en cette grâce, nous abondons en œuvres de charité; or, entre ces œuvres et le bonheur du ciel, il existe des rapports qu'il est facile de reconnaître.

3243. (10.) Un autre devoir de prudence chrétienne, c'est d'être fidèle dans les moindres choses, pour l'être aussi dans les grandes; car il est impossible que celui qui est injuste dans les petites circonstances ne le soit pas tôt ou tard dans les plus considérables. Il n'est pas de vérité morale plus généralement admise que celle-ci. L'économe infidèle n'en était pas venu tout d'un coup à cet excès de dépravation. On commence par peu et l'on finit par beaucoup. Il est donc évident que, si l'on veut éviter le crime, le plus sûr moyen est de fuir tout ce qui a l'apparence du mal. Mais en regardant de près aux paroles du Sauveur, on voit qu'elles disent plus que cela. «Si quelqu'un est fidèle dans les petites choses, il est fidèle dans les grandes, et, injuste dans les petites, il l'est aussi dans les grandes.» Il l'est déjà, parce qu'on ne saurait commettre une petite faute sans violer quelque grand commandement, ni remplir en son entier un petit devoir sans accomplir quelque grande loi de Dieu. Par exemple, celui qui se met en colère sans cause oublie Dieu et s'élève, comme Caïn, contre son frère; or, un mouvement d'irritation semble généralement n'être qu'une faute aussi légère qu'elle est commune. D'un autre côté, celui qui, de bon cœur et non par une vaine politesse, salue en passant un homme dont il a pourtant à se plaindre, remplit un grand devoir de piété et de charité (Matth. 5: 47). C'est ainsi que tout se lie dans la vie morale, et l'on peut dire, en un certain sens, que rien n'y est petit ou de peu d'importance.

3244. (11.) Il se peut aussi que, par les moindres choses, notre Seigneur ait entendu les biens de la terre, comparés aux biens spirituels et célestes, qui sont les grandes choses. À ce point de vue, les versets 10 et ils ne feraient qu'un, et l'instruction qu'ils renferment se présenterait comme suit. L'injuste Mammon, cet or et cet argent qui sont une occasion de tant de péchés et de misères; ces biens terrestres dont la possession n'est pas toujours criminelle, quoique toujours dangereuse; la fortune, en un mot, dont nous jouissons, petite ou grande, nous appelle à la pratique de devoirs importants. La Parole de Dieu trace la marche à suivre en tout ce qui concerne l'acquisition, la conservation, l'emploi des biens de ce monde, et l'ensemble du caractère chrétien dépend beaucoup de la manière dont on se conduit à ces divers égards. Être fidèle dans l'injuste Mammon et l'être dans les petites choses, sont donc deux expressions d'une même idée. De leur côté, les grandes choses et «ce qui est véritable,» désignent un seul et même objet; savoir, les biens spirituels et célestes. En conclusion, si un homme se montre habituellement inattentif à son devoir quant à l'injuste Mammon, c'est une preuve qu'il ne connaît, ni n'apprécie, ni ne cherche les véritables richesses, et celles-ci ne lui seront point données.

3245. (12.) Telle est l'importance de cet enseignement, que le Seigneur le reproduit avec une modification destinée à le rendre plus frappant encore. Ce qu'il avait d'abord appelé le Mammon de l'injustice, les moindres choses, il l'appelle ce qui est à autrui, et les grandes choses, les richesses véritables, il les désigne sous cette expression; ce qui est à vous. C'est afin de nous rappeler, non pas seulement que nos biens terrestres appartiennent à Dieu, puisque ceux de la grâce viennent aussi de lui; mais que nous devons nous regarder comme les simples dépositaires de notre fortune et nous en dépouiller complètement, s'il le faut, pour nos frères, ce qui ne nous serait ni permis, ni possible quant aux biens de la foi. Et puis, ce que le Seigneur veut peut-être marquer par là, c'est que les biens de ce monde ne font pas un avec nous comme ceux de la grâce. Au moment de notre mort, si ce n'est avant, nous devrons les laisser; tandis que la mort, loin de nous priver des biens célestes, nous en donne l'entière possession. L'avare ne pense pas ainsi. Pour lui, les biens de ce monde sont le certain, ceux de l'éternité l'incertain; et, lorsqu'on porte atteinte à sa fortune, il semble vraiment qu'on attaque son être lui-même, ou, comme on dit vulgairement, qu'on lui arrache l'âme. Quant au vrai chrétien, en possédant Christ, il possède tout.

3246. (13.) Les iniquités dont s'était rendu coupable l'économe infidèle, venaient de ce qu'il avait fait de l'argent son dieu. Nous avons vu ailleurs l'incompatibilité qui existe entre l'amour de Dieu et l'amour de la fortune (12). Il résulte de là que celui qui met son cœur aux biens de la terre, est capable de tous les péchés, par cela même que Dieu n'est point avec lui.


3247. (14.) Les pharisiens étaient «amateurs d'argent,» et si les avares savent très bien affecter les dehors de la religion et de l'humanité [386], souvent aussi leur passion les porte à se moquer des choses spirituelles, parce qu'ils ne sauraient en sentir l'excellence. Lors donc qu'on leur adresse le langage de la foi, il n'est pas rare de les entendre se railler de ce qu'il a de plus sérieux. Mais Jésus leur dit: «Vous pensez être justes et vous oubliez que Dieu regarde au cœur! Les hommes admirent votre piété; mais aux yeux de celui qui sait ce que vous cachez sous ces beaux dehors, vous êtes plutôt un objet d'abomination.» Il n'est rien, en effet, qui soit plus propre à inspirer de l'horreur, que le crime de ceux qui font de la piété un moyen de gagner de l'argent; car c'est mettre Dieu au service de Mammon. Si d'ailleurs vous remarquez la forme générale dont le Seigneur revêt ici sa pensée, vous direz avec moi: Oh! comme il faut que le genre humain soit profondément déchu pour pouvoir admirer tant de choses que Dieu hait; pour élever des statues, par exemple, ou pour tresser des couronnes à des hommes, dont les uns répandirent le sang comme de l'eau dans les guerres suscitées par leur ambition, et dont les autres perdirent des millions d'âmes par leurs écrits licencieux ou impies!

3248. (16.) Quand on songe à l'empire que les passions exercent sur nous, particulièrement l'amour des biens du monde, on comprend ce que le Seigneur a voulu dire, en reparlant de la violence qu'il faut déployer pour entrer dans son royaume. Il s'agit de se vaincre soi-même, de briser toutes sortes de liens terrestres, et ce n'est pas par l'indécision, par la mollesse, par l'inconstance qu'on arrive là. Du reste, cette parole de Jésus rappelle indirectement que tout l'ensemble des révélations de Dieu se divise en deux grandes parties: d'abord, la loi et les prophètes jusqu'à Jean-Baptiste, puis l'Évangile ou la bonne Nouvelle, ou la prédication du règne de Dieu; règne dont les bases furent posées par Jésus-Christ durant son ministère, qu'il inaugura par sa résurrection et par l'envoi du Saint-Esprit, et qui doit se continuer en cet état temporaire, jusqu'au moment où il paraîtra dans sa gloire éternelle.

3249. (17.) Ce n'est pas à dire toutefois que la loi de Dieu soit susceptible de variations et encore moins qu'elle puisse être anéantie. Les cieux et la terre passeront dès que Dieu le voudra; car il n'y a rien en Dieu qui s'y oppose, puisque les cieux et la terre ne sont pas lui et ne participent pas à son essence; mais il n'en est pas ainsi de sa loi (Matth. 5: 18.) L'Éternel ne pourrait l'abroger sans se renoncer lui-même.

3250. La déclaration contenue dans le verset 18 ne se lie facilement ni à ce qui précède ni à ce qui suit. Peut-être Jésus savait-il que, parmi les moqueurs auxquels il avait affaire en ce moment se trouvaient des hommes, non moins coupables que la Samaritaine de Sichar, qu'il fallait obliger de rentrer en eux-mêmes; peut-être aussi lui firent-ils diverses questions au sujet de la loi dont il venait de parler et avons-nous ici une de ses réponses. En la comparant avec ce qui est écrit en saint Matthieu (5: 31, 32), nous voyons toujours plus combien sont contraires à l'Évangile, les divorces qui n'ont pas de cause légitime, et jusqu'ici, selon le Seigneur, il n'y en a qu'une. En dehors de ce cas exceptionnel, le mari divorcé qui se marie commet adultère, aussi bien que la femme divorcée qui se donne à un autre époux. Il est donc certain que, pour des chrétiens, le mariage est une union indissoluble. Ce n'est pas à dire, je le répète, que les lois ne puissent en permettre la rupture, puisque le mariage est un acte civil en même temps que religieux; mais si de telles lois sont nécessaires, c'est, hélas! parce que tous ceux qui portent le nom de chrétiens ne sont pas vraiment à Jésus-Christ.


CCXLVI. — Le mauvais riche.


3251. (Luc 16: 19-31.) Le récit que nous avons sous les yeux doit-il être envisagé comme une histoire ou comme une parabole? Ceux qui veulent y voir un fait réel, se fondent sur ce que le Seigneur y introduit deux personnages dont l'existence n'est rien moins que fictive, Abraham et Lazare. Mais au moment où Jésus prononça ce discours, époque à laquelle il comptait déjà la famille de Béthanie au nombre de ses amis [3172], Lazare n'avait pas encore été couché dans le sépulcre. D'ailleurs, si le vrai Lazare, frère de Marthe et de Marie, ne possédait pas de grands biens, ce qui est plus que probable; rien, toutefois, ne porte à penser qu'il fût plongé dans une misère comme celle dont le Seigneur fait ici le tableau. C'est donc par mégarde qu'on s'est avisé de voir ici le Lazare de Béthanie; mais nous saurons bientôt pourquoi notre Seigneur a désigné sous ce nom le pauvre de la parabole.

3252. Le riche n'est pas nommé. On est convenu de l'appeler le Mauvais Riche. Tout ce qui nous est dit cependant à son sujet, c'est qu'il menait grand train et s'occupait peu des malheureux. Il s'accordait les jouissances que sa fortune comportait, et, comme tant d'égoïstes, il ne pensait pas qu'il y eût personne dans la souffrance, parce qu'il ne manquait lui-même de rien. Il était donc de ces gens qui «thésaurisent pour eux-mêmes» (12: 16-21), qui dépensent en une seule soirée de festin, de bal, de concert, de théâtre, plus qu'il ne faudrait pour nourrir pendant un mois vingt familles pauvres. Ce n'est pas dire que ce fût là tout son crime, car à ce genre de vie s'associent ordinairement bien des désordres secrets; mais n'eut-il commis que ce seul péché, encore est-il que c'était un mauvais riche.

3253. Tous les riches ne sont pas tels que celui-ci, et tous les pauvres non plus ne sont pas des Lazare. Ce nom est l'équivalent d'Éléazar. Il veut dire Dieu aide, raison probable qui l'a fait choisir par notre Seigneur; sans compter qu'il appartenait à un homme que tout le monde connaîtrait un jour comme ayant été particulièrement aimé de Jésus. Le choix de ce nom est d'ailleurs destiné, non pas à nous montrer que nous ne devons assistance qu'aux pauvres qui aiment Jésus et que Jésus aime, mais à opposer, dans la parabole, un riche qui est pauvre en Dieu, à un pauvre qui est riche en la foi. Or, ici-bas, le bonheur semble appartenir exclusivement à l'opulence et bien des indigents s'y trompent; ceux-ci, d'un autre côté, sont quelquefois dans un état à attendrir les cœurs les plus durs. Mais si l'incrédulité et l'égoïsme des premiers ne les empêchent pas de goûter d'enivrantes délices, si la foi des seconds ne les préserve pas de douleurs amères; il y a, pour les uns et pour les autres, une fin qui vient bientôt.

3254. La misère abrège la vie. Lazare meurt; mais qu'est-ce pour lui que la mort? C'est l'entrée de l'éternel repos de Dieu, c'est l'admission au bonheur de la famille dont Abraham est spirituellement le père. Après le pauvre, le riche meurt aussi; il est enterré, et ses richesses, non plus que ses plaisirs, ne peuvent le suivre au sépulcre. Au lieu de cela, des tourments inexprimables dans le séjour des morts, dans l’adès, selon le grec, dans ce lieu invisible, dans cette demeure des trépassés, dont les mystères ne nous sont qu'en partie révélés par les Écritures. C'est ici surtout qu'il importe de se souvenir que nous avons sous les yeux une parabole et non une histoire, comme le prouvent du reste tous les détails du tableau. Il est vrai qu'il existe entre cette vie-ci et la vie éternelle, entre ce monde et le monde à venir, un lieu, ou plutôt un état intermédiaire qui est appelé l'adès ou l'Invisible; mais, quel que soit ce lieu ou cet état, il faut le distinguer de la rétribution finale. En s'appuyant sur un assez grand nombre de passages, bien des chrétiens pensent que, de la mort au jugement, les âmes des hommes sont dans un état comparable au sommeil, à ce sommeil profond où l'on perd tout sentiment de son existence. S'il en est ainsi, le sort des méchants serait momentanément le même que celui des justes, et l'on comprendrait que le Seigneur ait pu représenter Abraham, Lazare et le mauvais riche, comme tous les trois à la fois dans l’adès. Mais, en suivant cette même supposition, les habitants de l’adès ne sauraient, ni se voir, ni s'entretenir de leur commune destinée.

3255. Aussi, bien que le Seigneur y place les personnages de la parabole, il a réellement l'intention de nous montrer ce qu'il arrivera d'eux au jugement dernier. Mais encore, voyez comme il est évident que c'est par figures que Jésus parle. Il n'est nullement probable que, dans le séjour éternel de la gloire et de l'ignominie, il puisse y avoir des communications entre les élus et les réprouvés; il l'est encore moins que ceux-ci soient destinés à exister au sein de flammes dévorantes, puisque la misère des impies est comparée ailleurs à des ténèbres (Matth. 22:13; 25: 30). Cette eau qui est près delà et à laquelle le mauvais riche voudrait se désaltérer, est aussi une image. Le malheureux parle comme s'il avait une langue et un palais à rafraîchir; or, bien que nos corps doivent ressusciter, il est manifeste que toute notre économie physique sera considérablement modifiée. Enfin, ce qui décide la question, me semble-t-il, c'est le désir que témoigne le mauvais riche de voir ses frères se convertir, désir digne d'un ange, et non d'un fils de Satan (Luc 15: 10).

3256. Ces fictions néanmoins cachent de solennelles vérités, comme nous l'avons déjà vu dans plusieurs paraboles, où les circonstances les plus improbables sont souvent celles qui présentent les instructions les plus frappantes [3001, 3200, 3227]. Ici donc, le Seigneur nous fait connaître, sous des images terribles, quel sort épouvantable sera celui des réprouvés. Quoi de pire, en effet, que d'être consumé par les flammes; et comment le Seigneur pouvait-il mieux s'y prendre pour nous faire sentir toute l'horreur de se voir rejeté de Dieu? Alors chacun comprendra ce qu'il a perdu par sa faute; alors on criera pour être délivré, mais ce sera trop tard.

3257. Non seulement ce sera trop tard; mais encore il est très juste qu'il en soit ainsi, comme le montre la réponse d'Abraham. «Mon enfant,» dit-il au mauvais riche (il importait que les pharisiens comprissent qu'on peut être fils d'Abraham et aller en enfer), «mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens en ta vie.» Quel souvenir pour un homme qui avait fait de l'argent son dieu! «Tes biens» (tous les biens que tu désirais, car tu ne te souciais pas des autres, aussi n'y en a-t-il plus pour toi maintenant), «et Lazare pareillement y a reçu des maux» (non pas tous les maux possibles, ni tous les maux que le péché aurait pu attirer sur lui, mais des maux toutefois dont sa qualité d'enfant de Dieu aurait dû, semble-t-il, le préserver), «et maintenant il est consolé et toi tu souffres de grandes douleurs.» «Par-dessus tout cela, continue Abraham, organe de Dieu dans la parabole, par-dessus tout cela, un grand abîme a été fermement établi entre nous et vous, afin que ceux qui veulent passer d'ici vers vous ne le puissent, ni ceux qui sont de là, vers nous.» C'est-à-dire qu'il n'y a pas un purgatoire après cette vie, comme le rêvent les catholiques-romains, ou, en d'autres termes, que nous n'avons, pour nous convertir, que le temps de notre séjour ici-bas: après cela vient l'éternité, heureuse ou malheureuse. Quelle solennelle et redoutable pensée I

3258. La misère des réprouvés sera telle que, si la chose était moralement possible, ils feraient tout au monde pour en préserver leurs anciens amis. Mais, hélas! ils ont bien pu se perdre avec eux, ils ne sauraient maintenant les sauver. Et pourquoi se sont-ils perdus? C'est parce qu'ils n'ont voulu écouter ni Moïse, ni les prophètes. Pourquoi tant d'âmes, au milieu de nous, se perdent-elles pareillement? C'est qu'elles refusent aussi d'écouter Dieu, parlant dans l'Évangile. Les saintes Écritures nous disent tout ce qu'il nous faut pour notre salut. Un mort qui ressusciterait à nos yeux, n'aurait rien à nous apprendre de plus. La vue de ce nouveau miracle pourrait étonner, confondre la pensée; mais, par lui-même, il ne convaincrait pas ceux qui sont décidés à demeurer dans le péché. Voyez les Juifs, témoins de tant de merveilles et même de plusieurs résurrections; ceux qui ne croyaient ni Moïse ni les prophètes, ne crurent pas mieux Jésus-Christ, et il en serait tout autant de nos jours.

3259. Au reste, l'intention principale de notre Seigneur dans cette parabole, fut bien moins d'effrayer à salut les riches mondains et de consoler ses disciples pauvres, que de faire sentir encore une fois l'importance infinie de la conversion, en indiquant le moyen par lequel s'opère cette œuvre excellente de la grâce divine, à savoir par la Parole de l'Ancien et du Nouveau Testament, parole que le Saint-Esprit a dictée aux prophètes et aux apôtres dans ce but exprès. C'est pourquoi, prétendre qu'on ne demanderait pas mieux que de se convertir et néanmoins se refuser à lire la Bible, c'est ressembler à un homme qui voudrait bien ne pas mourir de faim, et qui pourtant repousserait avec obstination toute nourriture.


CCXLVII. — Le scandale; le pardon des injures; le non-mérite des œuvres.


3260. (L. 17: 1-3; M. 18: 7.) Alors Jésus se tournant vers ses disciples: «Il est impossible, leur dit-il, qu'il n'y ait pas des occasions de chute,» ou des scandales, ce dernier mot signifiant, ou s'en souvient, une pierre qu'on rencontre sous ses pas et qui fait tomber. La chose en effet est impossible, à cause du mal qui est dans le monde et auquel ne correspond que trop le mal qui est dans nos cœurs méchants. Mais malheur à l'homme par le moyen duquel le scandale arrive! Souvent celui qui est pour d'autres une occasion de chute n'en est pas responsable, car on peut s'être scandalisé de ce qu'il remplissait son devoir; mais ici, notre Seigneur n'a pas en vue cette sorte de scandale. Malheur, veut-il dire, malheur à ceux qui, par leur incrédulité et par leurs péchés, entraînent les âmes à leur ruine. Ils font un mal qu'il leur est impossible de réparer. La mort même la plus affreuse vaudrait mieux pour eux; car s'il y a une malédiction sur l'homme qui commet le péché, il doit y avoir une malédiction double sur celui qui, par son péché, entraîne les autres dans la mauvaise voie.

3261. Ce sont les «petits» surtout, ceux qui sont encore faibles en la foi, qu'une pierre du chemin fera plus facilement broncher et tomber; c'est aussi lorsqu'on tend des embûches sous les pas des s petits» qu'on est le plus coupable. Quant à ceux qui sont grands en la foi, bien instruits et fort en évidence, il est clair que leurs péchés, comme celui de David (2 Sam. 12: 14), sont en plus grand scandale que ceux des mondains. Voilà pourquoi notre Seigneur dit à ses disciples: «Prenez garde à vous-mêmes,» paroles qui se lient mieux peut-être au verset 2 qu'au verset 3. Les disciples de Jésus ont donc à être sur leurs gardes, soit pour ne pas céder aux occasions de chute, soit pour n'être pas en scandale; car rien n'égale leur responsabilité.

3262. (Luc 17: 3,4.) Déjà précédemment, le Seigneur avait fait sentir à ses disciples la nécessité du pardon des injures. Ici, nous retrouvons, avec quelques modifications, le même enseignement. On peut le résumer en ce peu de mots: «Un racheté de Jésus ne doit pas se lasser de pardonner, surtout à ceux qui manifestent du repentir. Mais ce devoir de miséricorde n'exclut pas celui de la répréhension fraternelle. Au contraire, si c'est par amour que nous pardonnons, nous nous sentirons portés, par ce même amour, à provoquer chez nos frères le sentiment de leurs fautes, quelque pénible que soit cette tâche. Il est plus commode parfois de se taire et d'oublier. Quand la faute est de peu d'importance, il vaut mieux peut-être en agir de la sorte; avouons néanmoins qu'oublier n'est pas toujours pardonner et qu'il y a souvent plus d'amour à reprendre son frère qu'à fermer les yeux sur ses torts (Lév. 19: 17).


3263. (Matth. 18: 15-20.) C'est ce qu'on voit avec une nouvelle clarté dans le récit plus long et plus circonstancié que saint Matthieu nous fait de ce même discours. Ici, comme en saint Luc, il s'agit d'offenses personnelles et non pas de toute espèce de péchés. Lors donc que nous avons à nous plaindre personnellement et d'une manière grave de quelqu'un de nos frères en la foi, nous devons commencer par le reprendre en particulier; c'est la marche que le Seigneur trace pour l'entier accomplissement du devoir, de ce même devoir recommandé en saint Luc. Si l'offenseur nous écoute, tout est fini, tout doit être oublié: nous avons retrouvé un frère. Dans le cas contraire, nous prendrons avec nous une ou deux personnes, que nous constituerons arbitres entre lui et nous: s'il ne les écoute pas, nous déférerons l'affaire à l'assemblée. Au moment où le Seigneur parlait, son assemblée, ce qu'on appelle communément son Église, n'était pas encore fondée et il ne pouvait y renvoyer ceux qui avaient à se plaindre de leurs frères. D'un autre côté, il est peu probable qu'il adressât ses disciples à la synagogue. Il suit de là que l'assemblée dont il parle doit être celle des disciples eux-mêmes, telle qu'elle existait alors; or, partout où il y a quelques croyants, il s'en forme de semblables. Mais remarquez toujours qu'il s'agit ici d'offenses personnelles, et que le Seigneur ne songeait nullement à ériger des frères en une sorte de tribunal ayant charge de prononcer sur tous les péchés et sur toutes les fautes possibles.

3264. C'est d'une manière analogue que doivent procéder les chrétiens de nos jours. L'assemblée, ou ce qui, je le répète, est la même chose, l'Église à laquelle ils soumettront leurs différents, sera naturellement celle dont ils font partie. Si elle est trop nombreuse, ce seront les anciens de cette assemblée, et même, suivant les cas, ce sera la portion de l'assemblée avec laquelle ils entretiennent des rapports plus intimes et plus habituels. Or, si leur frère, déclaré coupable, ne veut écouter personne, ils doivent le traiter comme un homme étranger à la foi, ce qui ne signifie pas qu'il leur soit permis de le haïr. Enfin, tout ce qui, dans cet esprit d'ordre et de charité, se fera par une assemblée chrétienne pour le maintien de la paix commune, sera certainement ratifié dans le ciel, nous dit notre Seigneur. Entendrons-nous par là qu'il ait voulu donner à son Église un pouvoir infaillible et sans limites? Estimerons-nous surtout qu'il ait eu la pensée d'en revêtir les apôtres et leurs successeurs, réels ou prétendus, à l'exclusion de tous les autres? Non sans doute. En rapprochant cet endroit de celui où Jésus avait fait entendre une parole semblable (16: 19), nous voyons que ce qu'il y a de divin et d'infaillible dans l'Église, consiste en ces deux points: savoir, que partout où Jésus est fidèlement annoncé, Dieu même, en quelque sorte, parle par la bouche de ceux qui l'annoncent; en second lieu, que toute assemblée chrétienne qui se conforme scrupuleusement aux ordres de son chef, est sûre de ses actes, comme si le Seigneur eût prononcé lui-même. Pour montrer d'ailleurs qu'il n'entendait point attribuer à certaine classe de disciples le monopole de ses grâces et de sa force spirituelle, il déclare que là où deux d'entre eux s'accorderont dans une commune prière, il sera prêt à les exaucer, et que toute assemblée réunie pour son service, quelque peu nombreuse qu'elle soit, est certaine de le posséder au milieu d'elle.

3265. (21, 22.) En donnant à ces dernières paroles de notre Seigneur le sens étendu que je viens d'exprimer, je ne crois pas m'écarter de sa pensée. Toutefois, je ne serais pas étonné qu'il eût eu spécialement en vue les prières et les assemblées ayant pour objet la réconciliation des frères, tant l'importance en est grande. Ce fut bien là ce qui, dans tout le discours de Jésus, frappa le plus les disciples, et plût à Dieu que leurs successeurs eussent toujours fait de même. Pierre, homme naturellement vif et emporté, Pierre dont le cœur impétueux avait le plus de peine, peut-être, à s'accommoder de l'enseignement que Jésus venait de leur donner sur le pardon des offenses, Pierre s'approche et lui dit: «Seigneur, combien de fois mon frère péchera-t-il contre moi et lui pardonnerai-je? Jusqu'à sept fois?» — Les Juifs, pense-t-on, disaient ainsi; beaucoup de prétendus chrétiens disent même moins; mais le Seigneur répondit: «Non pas jusqu'à sept fois; mais jusqu'à sept fois septante fois:» c'est-à-dire, le nombre sacré le plus considérable, ou en d'autres termes, toujours. Et pour faire sentir la justice de cette loi de son royaume, il prononça la parabole connue sous le nom de la parabole du débiteur insolvable.

3266. (23-35.) Il se compare lui-même à un roi qui va régler compte avec ses esclaves; puis, ses disciples, tous pécheurs et incapables d'expier leurs péchés, il les compare à un esclave qui devrait dix mille talents, c'est-à-dire une somme énorme. Évalués au taux le plus bas, 10,000 talents feraient douze millions de francs! Comment un esclave pourrait-il jamais payer une telle dette? Aussi le roi, touché de compassion, la lui remet-il gratuitement! Cet esclave à son tour avait des débiteurs; car si nous offensons Dieu, il est bien des gens qui nous offensent. Seulement, tandis que la somme de nos péchés peut être assimilée à une dette de douze millions, les fautes dont nos frères se rendent coupables à notre égard ne sont que cent deniers, ou environ 70 francs; car nous ne sommes pas en la place de Dieu, comme disait Joseph (Gen. 50: 19), et si notre prochain ne remplit pas tous ses devoirs envers nous, nous ne lui rendons pas non plus tout ce que nous lui devons; en sorte que les dettes se compensent.  Or, voici quelque chose d'horrible! nous prétendrions être de ceux à qui Dieu pardonne leurs nombreux péchés, et nous serions sans pardon pour nos frères! N'est-il pas juste que si nous ne remettons pas aux hommes leurs offenses, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ ne nous remette pas non plus les nôtres? Parole sévère, mais sur laquelle il n'y a pas un mot à répliquer.

3267. (Luc 17: 5, 6.) Ce fut alors probablement, qu'effrayés des torts dont tant de fois la dureté de leur cœur les avait rendus coupables envers leur prochain; non moins effrayés des immenses difficultés que présente l'accomplissement du devoir spécial qui leur était prescrit avec tant de force, les disciples dirent au Seigneur: «Augmente-nous la foi!» hommage indirect rendu à la divinité de leur Maître, car qui peut donner la foi, si ce n'est Dieu? En même temps, comme ils reconnaissent bien que la foi seule peut nous mettre en état de remplir nos devoirs entièrement. Le Seigneur, par sa réponse, leur montra qu'ils avaient un juste sentiment de la vérité. En effet, pardonner sans cesse n'est pas plus facile que d'enlever un mûrier de sa place et de le transporter dans la mer en prononçant un seul mot. D'un autre côte, si nous regardons du cœur vers Jésus, tant faiblement soit-il, il est impossible que nous demeurions impitoyables.

3268. (7-10.) Il se peut que la parabole de l'esclave inutile n'ait été prononcée que plusieurs jours après le discours précédent; il est assez facile néanmoins de l'en rapprocher, comme le fait l'écrivain sacré lui-même en supprimant les circonstances intermédiaires. Ainsi que nous l'avons dit tout à l'heure, c'est un grand devoir et un devoir plein de difficultés, que le pardon des injures! En général, ce sont de grands et difficiles devoirs que ceux auxquels le Seigneur appelle ses disciples. Ils en seraient absolument incapables sans la foi et sans la grâce de Dieu dont elle découle. Mais ces devoirs étant accomplis, quelle est noire situation devant Dieu? C'est à quoi répond la parabole actuelle.

3269. Dans une précédente, le Seigneur avait semblé dire tout le contraire de celle-ci [3200]. Là il représentait un maître qui se met à servir ses esclaves; ici, il déclare que nul maître n'en agirait de la sorte. Dans l'une et dans l'autre, toutefois, il nous parle de la grâce de Dieu; là de son incompréhensible grandeur, ici de son absolue nécessité. L'homme même qui aurait accompli tous ses devoirs sans manquer en un seul point, n'aurait fait autre chose que ce qu'il doit: il n'apporte aucun profit à Dieu. S'il pèche, il mérite d'être puni; mais s'il ne pèche pas, il ne mérite pas de récompense. Pour qu'un esclave fût de quelque profit à son maître, il fallait qu'il ajoutât à son travail obligé un surcroît de travail dont le maître touchait les bénéfices. Or, bien loin d'avoir fait tout ce qui nous est commandé, nous avons tous péché en mille manières; comment donc ne sentirions-nous pas la nécessité de la grâce du Seigneur?


CCXLVIII. — Les dix lépreux; une prophétie; parabole du juge inique; celle du pharisien et celle du péager.


3270. (L. 17: 11; M. 19: 1; Mc. 10: 1.) En rapprochant ces trois versets, on voit que le Seigneur, qui, depuis la fête des Tabernacles, avait pour ainsi dire erré dans la Judée, fuyant la haine de ses ennemis; qui, plus d'une fois peut-être avait marché du côté de Jérusalem comme pour y retourner [3211], et chaque fois avait changé de route, se décida finalement à y reparaître, mais en prenant un chemin par lequel on ne pouvait guère l'attendre. Se dirigeant au nord-est, il traversa toute la Samarie, coupa la Galilée au sud, et, passant le Jourdain, il redescendit le cours du fleuve sur sa rive gauche, avec l'intention de le passer de nouveau plus au sud pour se rendre à Jérusalem. Ce fut pendant cette marche qu'il opéra la guérison dont nous allons parler, prononça une de ses grandes prophéties et donna deux enseignements dont nos lecteurs sentiront aisément toute l'importance.

3271. (Luc 17: 12-19.) Ce n'était plus le temps où les miracles naissaient pour ainsi dire sous les pas de Jésus. Cependant, comme il se rencontra sans doute près de quelque hôpital où l'on séquestrait les lépreux, il guérit dix de ces pauvres malades, et parmi eux se trouvait un Samaritain. Celui-ci fut le seul qui, poussé par une foi véritable et comprenant ce que signifiait cette grande délivrance, revint auprès de Jésus en donnant gloire à Dieu. Ce fut à lui seul aussi que le Seigneur fit entendre cette douce parole: «Ta foi t'a sauvé.» Il y a donc à conclure de ce récit que le Seigneur accorde souvent des grâces temporelles à ceux mêmes qui ne cherchent pas auprès de lui la vraie guérison; que la foi, nous l'avons vu déjà bien souvent, est le seul moyen de salut qui nous soit offert par la miséricorde divine; que celui qui est sauvé par la foi, ne manque pas de rendre à Dieu le culte de la reconnaissance; enfin, que ceux qui semblent les plus éloignés du royaume de Dieu, comme ce Samaritain, en sont quelquefois les plus rapprochés, 

3272. (20, 21.) Sur son chemin aussi, Jésus rencontra de nouveau des pharisiens, car il n'y en avait pas seulement à Jérusalem. Ceux-ci convaincus, et avec raison, que, d'après les Écritures, le royaume de Dieu devait une fois s'établir sur la terre, mais trop aveuglés parleurs passions pour voir dans l'œuvre de Jésus l'inauguration de ce beau règne, lui demandèrent quand donc elle aurait lieu. Sur quoi le Seigneur se contenta de leur répondre, qu'envisagé d'une certaine manière, le royaume de Dieu ne viendrait point avec éclat. Ce royaume est d'une nature toute spirituelle. C'est dans le cœur d'abord qu'il doit s'établir, et, par cela même qu'il est spirituel, il ne se limite pas à certains lieux. Cependant, la puissance et la majesté du Seigneur se déploieront aussi d'une manière extérieure et sensible pour la glorification de son peuple et l'abaissement de ses ennemis. C'est là-dessus que porte la prophétie qui vient ensuite et que Jésus adressa, non point aux pharisiens, mais à ses disciples. En voici le sens, autant du moins qu'il m'a été donné de la comprendre.

3273. (22.) Notre Seigneur doit être manifesté de nouveau dans son humanité: c'est pour marquer cela qu'il se désigne expressément sous le nom de Fils de l'homme. Sa venue toutefois n'est pas fixée à un jour seulement. Il y a plusieurs jours du Seigneur, ou, en d'autres termes, il manifestera sa présence et son action souveraine, en divers temps et de diverses manières. Ainsi, l'on pourra dire que le Seigneur vient, chaque fois qu'une abondante effusion de son Saint-Esprit opérera de grands réveils parmi les hommes; il vient encore lorsqu'il exerce des châtiments solennels sur ceux qui rejettent sa domination; il vient aussi pour une âme fidèle quand il la retire de ce monde de péché et de misères, afin de la recueillir dans le sein d'Abraham. Mais rien de tout cela n'est le grand jour de sa venue, bien qu'on puisse dire que chacune de ces manifestations de la puissance de la miséricorde du Seigneur est «un des jours du Fils de l'homme,» Or, entre les traits qui caractérisent la foi des disciples, un des plus saillants, c'est qu'ils désirent constamment de voir un de ces jours. Mais, par la raison que ce sont des jours, des jours rares et souvent séparés par de longs intervalles, il arrive fréquemment à ceux qui les attendent avec le plus de foi, d'être frustrés dans leur attente. Ceci néanmoins ne saurait se dire du grand et dernier jour de la venue de Jésus-Christ: c'est sur le temps et sur la manière seulement, qu'on est exposé à se faire illusion.

3274. (23, 24.) Il y aura des gens qui, abusés par leur imagination ou spéculant sur la foi simple des fidèles, deviendront entre les mains de Satan les instruments d’affreuses déceptions. On verra des hommes se donner pour le Christ; d'autres qui, les croyant, s'évertueront à propager l'erreur ou l'imposture. Cette étonnante prophétie s'est réalisée plus d'une fois dans le cours des siècles. Mais les disciples sages et prudents se sont souvenus de la parole du Maître: «Ne sortez pas; ne les suivez pas.» Non, n'allez pas où l'on vous dit qu'est le Christ, car vous pourriez être pris au piège du Tentateur. Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, ce sera comme l'éclair qui sillonne toute l'étendue du ciel. 11 n'y aura pas besoin qu'on dise: 1! est ici, ou il est là; personne, au fait, n'aura le temps de crier: «Le voilà,» que sa splendeur n'ait déjà rempli le monde entier.

3275. (25.) Tour que ceux qui entendaient la prophétie comprissent tout à la fois, et que cette gloire du Fils de l'homme n'était pas près de paraître, et qu'elle se rattachait à son humiliation préalable, le Seigneur leur rappelle ce qu'il leur avait déjà dit sur ses souffrances et sur ceux qui en seraient les auteurs. Nous donc aussi, lorsque nous dirigeons nos pensées vers la gloire à venir de notre Sauveur, ne le faisons pas sans les reporter également sur la mort ignominieuse qu'il a soufferte pour nos péchés. Ce sera le moyen le plus sûr de nous préparera partager cette gloire.

3276. (26-36.) Revenant, après cela, aux jours futurs de sa venue et les comparant avec ceux de Noé et de Lot, le Seigneur déclare qu'ils arriveront subitement, comme jadis les eaux du déluge sur le genre humain et comme la pluie de feu sur Sodome; qu'ils trouveront les mondains tout occupés d'affaires terrestres et sans aucun souci de leur âme; que ceux qui seront alors en cet état périront misérablement (31); qu'il n'y aura plus aucun moyen d'échapper et qu'à ce moment surtout, on verra quels furent ceux qui donnèrent leur cœur à Jésus (32), ou qui, semblables à la femme de Lot, voulurent concilier Dieu avec le monde, leur foi n'ayant été qu'une foi morte (33). Malheur donc à ceux qui font de la vie présente leur principale affaire: ils perdront tout. Heureux au contraire ceux qui tiennent pour rien cette vie, au prix de l'éternité: ils ont pour héritage assuré la véritable vie (34-36). Mais, hélas! au jour du Christ, comme à présent, la terre offrira le spectacle d'un triste mélange de foi et d'incrédulité. En sorte que, de deux individus le plus étroitement associés ici-bas, l'un sera sauvé et l'autre perdu! Ah! ne nous reposons donc pas, pour le salut éternel de nos âmes, sur les relations que nous pouvons entretenir avec des personnes pieuses, quelque intimes que soient ces relations: c'est à Jésus-Christ qu'il faut que nos cœurs s'unissent, si nous voulons entrer dans son règne.

3277. (37.) «Où, Seigneur?» dirent les disciples après les dernières paroles de leur maître: où, laissé; où, pris? Il est difficile de deviner quelle était leur pensée, et pour le moins autant de comprendre la réponse du Seigneur. — «Où sont les cadavres, là s'assemblent les oiseaux de proie.» Le sens de cette sentence est-il que le monde entier étant habité par des pécheurs, la calamité devra fondre en tous lieux; ou bien faut-il penser avec quelques-uns, que, confirmant d'anciennes prophéties [1031, 2457, 2439], le Seigneur faisait allusion aux aigles romaines et à la destruction prochaine de Jérusalem, ce cadavre infect; ou bien, enfin, la prophétie a-t-elle à la fois ce double sens? C'est une question sur laquelle peut-être nos Études jetteront plus tard quelque jour.

3278. (Luc 18: 1-7.) À moins d'un endurcissement ou d'une légèreté que je n'aime pas à supposer chez mes lecteurs, il me semble impossible qu'ils pensent au retour du Seigneur sans élever leur cœur en haut par de ferventes prières. Et comme nous devons vivre avec cette pensée habituelle [3201], il en résulte que la prière est l'état constant du chrétien. Pour nous faire sentir encore une fois la nécessité d'y persévérer, le Seigneur emploie une parabole pleine d'énergie. Oui, si le juge inique se laisse vaincre par les instances d'une pauvre veuve, qu'est-ce que Dieu, qui est tout amour et justice, ne fera pas pour ses élus? Ceux-ci ont immensément à souffrir de la part d'un monde incrédule; mais le Seigneur finira par prendre leur défense d'une manière éclatante. C'est notamment ce qu'il fera, le jour de sa venue, jour de gloire pour les siens et de confusion pour leurs adversaires. Maintenant, il use de longanimité envers ces derniers, soit parce qu'il a au milieu d'eux des élus à manifester, soit parce que les élus déjà manifestés ne cessent de prier en faveur de leurs ennemis; mais si Dieu montre ici-bas une telle patience envers le monde même, à cause de ses élus, c'est une raison pour que le jugement du monde et la délivrance finale des fidèles se fassent avec d'autant plus d'éclat.

3279. (8.) «Au reste, ajoute le Seigneur, quand le Fils de l'homme sera venu, trouvera-t-il la foi sur la terre?» — Encore une parole prophétique dont le sens précis est difficile à saisir, par la raison qu'elle n'est pas accomplie. Peut-être signifie-t-elle simplement que, quel que soit le moment où le Seigneur viendra, la foi n'aura pas pris possession de tous les cœurs sur la face entière du globe, malgré des prophéties qui pouvaient sembler annoncer le contraire [2183]. Tout comme nous disons que la paix ne se trouve pas ici-bas, quoiqu'il y ait pourtant bien des âmes où, par la grâce de Dieu, elle règne; de même, il est vrai de dire que la foi n'est pas de ce monde et que, jusqu'à la fin, il y aura de la foi sur la terre, mais non pas la foi. Or c'est de cette dernière manière qu'il faut traduire l'original.

3280. (9-14.) À ces graves enseignements succède une parole où nous voyons quelle est la vraie base de la foi qui sauve, et en même temps ce que doit être la prière, le Seigneur ayant dit tout à l'heure qu'il faut prier sans cesse. Quand on veut s'estimer juste, on ne saurait manquer de tenir les autres pour rien, car c'est un moyen facile de se grandir à ses propres yeux; et quand on tient les autres pour rien, c'est une preuve qu'on se juge très favorablement soi-même, car celui qui voit le péché qui souille son âme, est tout au moins indulgent envers ses frères pécheurs. Or, avec de telles dispositions, on est fort loin de la foi et du salut; témoin soit le pharisien de la parabole. Il semble avoir de la piété, car il rend grâces à Dieu; mais par le fait il se croit juste devant lui. Parce qu'il n'a pas commis les plus horribles crimes; parce qu'il est, à plusieurs égards, supérieur à un péager, païen de naissance selon toute probabilité; parce qu'il accomplit, avec une grande régularité, certains devoirs extérieurs de la dévotion, il ne doute pas que Dieu ne lui soit favorable. Mais, que dit le Seigneur? Cet homme s'élève, il sera abaissé.

3281. Admirez au contraire le péager. Tandis que le pharisien a fait sa prière debout au milieu de la foule, il se tient humblement à l'écart, il n'ose pas lever les yeux au ciel, il se frappe la poitrine et il dit: «O Dieu! sois apaisé envers moi, pécheur!» Il ne voit que Dieu et lui; tout le reste du monde s'efface de son souvenir. S'il a fait quelque bien, il ne s'en souvient pas davantage; et quant à s'excuser, il n'y songe nullement. Il est pécheur; il le sent, il l'avoue; Dieu a le droit d'être irrité contre lui, et il le supplie de s'apaiser envers le pécheur. En un mot il s'abaisse; c'est pourquoi il sera élevé, «Celui-ci, dit Jésus, descendit en sa maison justifié plutôt que l'autre.» Comme c'est une parabole, le Seigneur ne la prolonge pas au delà de ce qu'il fallait pour son dessein, qui était de montrer que l'humble sentiment de sa misère est la vraie base de la foi qui sauve; mais, si l'on voulait convertir la parabole en histoire véritable et la compléter,  on le pourrait aisément, selon l'esprit de l'Évangile, en disant: «Ainsi humilié, le péager rencontra Jésus qui se fit connaître à lui comme le Christ, le Sauveur du monde, et il crut; et le Seigneur lui dit: Ta foi t'a sauvé, va-t'en en paix, tes péchés te sont pardonnés.»

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