Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DE LA FÊTE DE LA DÉDICACE À LA SEMAINE SAINTE.

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CCXLIX. — Nouvelles déclarations de Jésus sur sa personne. Jésus dans la Pérée; il parle sur le divorce et bénit les petits enfants. Maladie et mort de Lazare.


3282. (Jean 10: 22.) J'ai déjà dit que la fête de la Dédicace avait été instituée par Judas Macchabée, en mémoire de la restauration du temple après les profanations d'Antiochus Épiphane. Elle se célébrait le 25 de Cisleu, mois correspondant à notre mois de décembre [681]. Comme c'était une fête d'institution humaine, les Israélites ne se faisaient pas une obligation de s'y rendre. Toutefois elle attirait un certain concours de peuple, raison suffisante pour que notre Seigneur s'y rencontrât, car le temps se hâtait (9: 4).

3283. (23-30.) Il ne paraît pas cependant que le Seigneur ait fait autre chose cette fois-ci, que de se montrer quelques instants; mais le souvenir de son précédent séjour était resté comme une flèche dans le cœur de ses ennemis, en sorte qu'il put reprendre le fil de ses entretiens au point même où ils avaient été interrompus [3158]. Jésus s'était rendu au temple, lieu où les Juifs s'assemblaient en tout temps, et surtout lors des fêtes. Il allait et venait sous un des grands portiques qui entouraient le saint lieu et qu'on appelait le portique de Salomon, lorsque les Juifs l'invitèrent à déclarer s'il était vraiment le Christ? Mais, bien qu'il ne le leur eût pas dit, à eux, en propres termes, cela ne résultait-il pas de toutes ses déclarations? Ils le sentaient au fond de leur conscience; aussi Jésus se contenta-t-il de leur reprocher l'obstination qu'ils mettaient à le méconnaître (25), et, reprenant l'image dont il s'était servi deux mois auparavant (26), il oppose leur conduite à celle qu'ils auraient tenue s'ils avaient été de ses brebis; puis il rappelle à quoi l'on reconnaît celles-ci et les grands privilèges qui leur sont assurés (27-20). Et comme il venait de dire qu'il connaît ses brebis, qu'il leur donne la vie éternelle, que personne ne peut les ravir de sa main (car ce serait les ravir de la main même de son Père), tout autant de choses qui attestaient sa divinité, il conclut par ces paroles solennelles: «Moi et le Père sommes un» (30), un seul et même être.

3284. (31-38.) Les Juifs saisirent très bien le sens de cette déclaration, car ils prirent des pierres pour lapider Jésus, comme s'il eût blasphémé. Mais le Seigneur leur dit avec une sainte et sublime ironie: «J'ai fait devant vous beaucoup de bonnes œuvres de la part de mon Père; pour laquelle de ces bonnes œuvres voulez-vous me lapider?» Sur quoi ils répondirent: «Ce n'est pas pour une bonne œuvre que nous voulons te lapider, mais c'est qu'étant homme, tu te fais Dieu.» Or, afin de détourner l'orage au moyen d'une question propre à les embarrasser, il leur cita le verset 6 du Psaume 82, où le mot de «dieu» est appliqué aux juges du peuple, par la raison qu'ils étaient les organes de la justice divine, bien qu'ils fussent de simples mortels; et il leur demanda si, à prendre le mot dans sa moindre acception (ce à quoi ils auraient consenti, moyennant quelque bienveillance), il ne pouvait pas s'attribuer la qualité de Fils de Dieu, lui que le Père avait si manifestement marqué de son sceau et envoyé dans le monde. Ce n'est pas du reste qu'il voulut restreindre en aucune façon le sens qu'ils avaient mis eux-mêmes à ses paroles, car il termine en les reproduisant sous une autre forme: «Croyez, dit-il, que le Père est en moi et moi en lui,» ce qui revenait encore à ceci: «Moi et le Père sommes un.»

3285. (39-42; M. 19: 1, 2; Mc. 10: 1.) Ce fut bien de la sorte que l'entendirent les Juifs, car ils cherchèrent derechef à s'emparer de lui; mais il leur échappa, et il s'en alla de l'autre côté du Jourdain. C'était en ces lieux que Jean avait commencé son ministère, et ce fut là, pour ainsi dire, que Jésus acheva le sien. Il y demeura pendant au moins deux mois, janvier et février. Beaucoup de gens se rendirent auprès de lui, et la foi y faisait des progrès réjouissants. Les discours du Seigneur rappelaient ceux de Jean; mais ce que Jean n'avait pas fait, c'était des miracles. Ceux-ci se multipliaient sous les mains puissantes du Seigneur; puis, on voyait clairement que tout ce que Jean avait dit de Jésus était parfaitement véritable.

3286. Les évangélistes nous donnent d'ailleurs peu de détails sur cette courte portion du ministère de notre Seigneur. Deux traits seulement, qui paraissent appartenir à cette époque, nous le montrent toujours harcelé par des ennemis auxquels il ne se lasse pas de fermer la bouche; puis, toujours heureux d'instruire ses disciples et de bénir les humbles. C'est d'abord, une discussion sur le divorce; ensuite, la bénédiction des petits enfants par l'imposition des mains.

3287. (M. 19: 3-12; Mc. 10: 2-12.) Vous vous rappelez que, précédemment déjà, le Seigneur s'était élevé contre les divorces si fréquents chez les Juifs (2853, 3250). Les pharisiens, ces hypocrites que Jésus retrouvait partout, bien qu'ils ne fussent nulle part aussi nombreux ni aussi puissants qu'à Jérusalem; les pharisiens, qui n'étaient sûrement pas innocents de cet abus, et qui ne cherchaient que les occasions d'embarrasser le Seigneur par leurs questions et de le tenter à parler contre la loi, lui firent remarquer l'opposition qui existait sur ce point entre sa doctrine et l'institution de Moïse. Sur quoi Jésus leur dit que si, par la permission de Dieu, leur grand législateur avait autorisé le divorce, c'était une de ces lois civiles dans lesquelles on est obligé de prendre en considération la méchanceté du cœur humain; que, d'ailleurs, ce même Moïse leur avait révélé de la part de Dieu comment l'Éternel, au commencement du monde, ne créa qu'un seul homme et qu'une seule femme, les unissant l'un à l'autre par un lien indissoluble; d'où il résultait que la répudiation de la femme par son mari aurait dû toujours être envisagée comme un cas extrême, au lieu de devenir une coutume dont on se prévalait sous le moindre prétexte.

3288. Rentrés dans la maison, les disciples l'interrogèrent de nouveau sur ce sujet. Ils lui représentèrent que ses principes tendaient à rendre fort dure la condition du mariage; en sorte qu'après tout, mieux valait ne pas se marier. Sans les approuver, Jésus leur dit pourtant qu'il était un cas, en effet, où l'homme faisait bien de se vouer au célibat; savoir, s'il s'agissait de se consacrer entièrement au service de Dieu et de l'Évangile; mais encore fit-il observer que pareil renoncement n'est pas donné à tout le monde. L'expression dont il se servit peut signifier aussi que l'élévation de sa pensée ne pouvait pas même être comprise de tous. Effectivement, on en est venu à l'entendre dans le sens des vœux monastiques, et certes ce n'était pas là ce que le Seigneur avait en vue.

3289. (L. 18: 15-17; M. 19: 13-15; Mc. 10: 13-16.) À cette même époque, eut lieu une scène d'un grand intérêt et qui nous est racontée dans trois Évangiles, avec quelques différences. On amena vers Jésus de petits enfants, pour qu'il leur donnât sa bénédiction, en posant les mains sur eux ou seulement en les touchant. Quelques-uns de ceux qui exprimaient ce désir y mettaient peut-être plus de superstition que de vraie foi. Dans tous les cas, les disciples ne comprenaient pas qu'on pût, à ce point, importuner leur Maître; en sorte qu'ils s'efforçaient d'écarter ces enfants et ceux qui les conduisaient. Mais Jésus, toujours si bon pour ceux qui se confient en lui, fut indigné de la manière, dure sans doute, avec laquelle ces pauvres petits étaient repoussés. Il les fait venir, il les embrasse avec tendresse, il pose les mains sur eux et il les bénit, en prononçant une parole trop connue pour qu'il soit nécessaire de la transcrire.

3290. Cette parole de notre Seigneur mérite une sérieuse attention, et de la part des enfants, et de la part des personnes chargées de leur éducation. Il y déclare que sa doctrine et sa grâce sont destinées aux petits comme aux grands. Pour se croire dispensé de faire connaître l'Évangile aux enfants, il faudrait, ou bien qu'ils n'eussent pas besoin d'un Sauveur, ou bien qu'ils fussent hors d'état de comprendre les choses du salut. Or, quant au premier point, «ce qui est né de la chair est chair» (Jean 3: 6), et sitôt que la conscience d'un enfant commence à parler, c'est-à-dire de très bonne heure, on doit, avec l'aide de Dieu, tâcher de la réveiller et de l'amener à Jésus par cette nouvelle naissance qui vient du Saint-Esprit. Quant à l'intelligence des choses du salut, il est manifeste que Dieu peut la donner à un enfant, et qu'il le fait souvent d'une manière très remarquable.

3291. Bien plus, on voit par cette même parole du Seigneur et par la déclaration solennelle dont il l'accompagne (Luc 18: 17), que les enfants sont mieux qualifiés que personne pour devenir membres de son royaume, c'est-à-dire pour recevoir son salut et devenir ses disciples. Pécheur par le fait même de sa naissance, un petit enfant toutefois n'est point encore endurci dans le mal; sa raison plus simple ne se laisse pas séduire par les sophismes des passions; il est confiant; il croit facilement ce qu'on lui dit; il sent le besoin de secours, de protection, de délivrance. Aussi Jésus exprime-t-il nettement que si un homme, à quelque âge qu'il soit parvenu, ne revêt pas les dispositions d'un petit enfant, ces dispositions mêmes que je viens d'énumérer, il ne peut devenir son disciple, ni avoir part à sa gloire. — Après cela, Jésus partit, nous dit saint Matthieu (19: 13). Ce devait être son dernier voyage, et nous allons voir dans un autre Évangile quelle circonstance détermina le moment du départ.

3292. (Jean 11: 1-3). On touchait au printemps; les jours s'allongeaient et bientôt ils allaient égaler les nuits; alors venait la Pâque, cette Pâque même qui devait être la dernière pour notre Seigneur. À ce moment, un des disciples bien-aimés de Jésus, Lazare, le frère de Marie et de Marthe, était tombé dangereusement malade, dans sa maison, à Béthanie, village voisin de Jérusalem. Marie, sa sœur, nommée la première, à cause sans doute du rôle plus éminent que lui a valu sa profonde piété, Marie était cette femme qui, au témoignage même de Jésus, avait choisi la bonne part (Luc 10: 42); mais comme Jean ne raconte pas cette circonstance, il caractérise Marie par un fait qui eut lieu plus tard, ainsi que nous le verrons, et qui se lit dans son Évangile et dans deux autres. Lazare donc étant malade, ses sœurs le firent savoir à Jésus, en recommandant à ses compassions celui qu'il aimait. Est-ce donc que le Fils de Dieu ne sait pas toutes choses? Oui, sans doute; mais notre devoir est de nous adresser à lui dans nos peines. Le message de Marthe et de Marie ne signifiait pas nécessairement: Tu ignores que ton ami est malade; mais il signifiait: Nous avons besoin de ton aide et nous y recourons.

3293. (4-10.) Ce que le Seigneur dit alors prouve en effet que rien ne lui est caché [324]. Non seulement il n'ignorait pas que Lazare était malade; mais encore il savait quelle serait l'issue de cette épreuve: il la voyait déjà tourner à la gloire de Dieu et à sa propre gloire, ce qui est tout un. Et puis, Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare; Marthe, nommée cette fois la première, pour montrer que, devant le Seigneur, il n'y a pas d'acception de personnes, et que les faibles en la foi lui sont chers aussi. Or, quoi qu'il arrive à ceux que le Seigneur aime, on peut être assuré que c'est pour leur bien. Cependant Jésus laissa passer deux jours avant de quitter la Pérée. Les disciples étonnés, non pas de ce retard, mais de ce qu'il osait se montrer encore une fois à ceux qui avaient voulu le lapider, auraient désiré de le retenir; mais Jésus leur fit comprendre, en citant certains proverbes généralement répandus, qu'il y avait temps pour tout, comme nous le dirions, et qu'il savait bien ce qu'il faisait.

3294. (11-16.) Ensuite, le Seigneur apprit à ses disciples ce que lui seul pouvait savoir: et que leur ami Lazare était mort, et qu'il allait le rappeler à la vie. Il le leur dit en termes assez clairs; toutefois ils ne le comprirent pas d'abord. Parce que notre Seigneur avait parlé de sommeil, ce qui est le vrai mot pour désigner la mort, ils crurent que Lazare dormait réellement et ils pensaient que c'était le symptôme d'une prochaine guérison. Jésus fut donc obligé de leur dire tout ouvertement: «Lazare est mort.» En même temps, il leur fit entendre que cette mort serait pour eux un grand sujet de joie et que, s'il ne s'était pas rendu plus tôt à Béthanie, c'était afin que le miracle dont Lazare allait devenir l'objet les frappât davantage. Mais Thomas, un des douze, dit aux autres disciples: «Nous aussi, allons, afin de mourir avec lui,» parole qui montre la tendre affection qu'il portait à son Maître; ce qui ne veut pas dire qu'il possédât toute la foi qui lui eût été nécessaire pour partager volontairement le sort funeste vers lequel Jésus lui paraissait courir. C'est donc l'exclamation d'un cœur ardent, mais qui ne se connaît pas.


CCL. — Départ pour Béthanie; entretien avec un jeune magistrat; grandes promesses; parabole des ouvriers.


3295. (Mc. 10: 17; M. 19: 15.) Bien que les autres évangélistes se taisent sur la mort et la résurrection de Lazare, il est facile d'en intercaler le récit dans les leurs propres. Par Marc et Matthieu nous apprenons qu'après avoir béni les petits enfants, notre Seigneur partit du lieu où il était. Allant à Jérusalem, il devait passer par Béthanie, et voici quelques-unes des circonstances de son voyage. Ce fut le dernier; il doit avoir pour nous quelque chose de particulièrement solennel.

3296. (L. 18: 18-27; M. 19: 16-26; Mc. 10: 17-27.) C'est d'abord un jeune homme, magistrat des Juifs, qui se jette à genoux devant Jésus, en s'écriant: «Bon Maître, quel bien faut-il que je fasse pour hériter la vie éternelle?» Tout dans la conduite de cet homme nous atteste que son âme était sérieuse; aussi la réplique du Seigneur le fut-elle à un haut degré. Pour lui faire comprendre que nous ne saurions obtenir la vie éternelle par nos bonnes œuvres, il commence en lui déclarant d'une manière indirecte, que Dieu seul étant bon, tout homme donc est méchant. Encore que l'interlocuteur de Jésus se fût mis à genoux devant lui, il ne reconnaissait pas en sa personne le Fils de Dieu. Il l'avait simplement salué du nom de Rabbi ou de docteur. Or, il n'entrait pas dans les intentions du Seigneur de lui annoncer, dès ce moment, sa divinité; mais, se plaçant à son point de vue, il lui dit: «Puisque tu ne vois en moi qu'un homme, sache que nul homme n'est bon; il n'y a qu'un seul bon, c'est Dieu.»

3297. (L. 18: 18-27; M. 19: 16-26; Mc. 10: 17-27.) Cependant il fallait aller plus loin. Afin de convaincre cet honnête mondain qu'il ne pouvait avoir la vie éternelle par ses œuvres, Jésus lui rappelle les commandements de la seconde Table (Exode 20), en retranchant même le dixième, devant lequel il n'y a pas moyen de ne pas se reconnaître pécheur. La marche que suivit le Seigneur devait avoir pour effet de montrer à ce jeune magistrat combien il comprenait peu la loi de l'Éternel; car, prise en son sens spirituel (Matth. 5), qui prétendra l'avoir gardée de tout temps, même dans ce qu'elle a de plus élémentaire? Pour cela, il faudrait n'avoir jamais haï, n'avoir jamais menti, n'avoir d'aucune manière manqué d'égards envers père et mère. Le Juif à qui Jésus parlait, charnel comme tous ses frères et ne voyant que la lettre des commandements, affirmait les avoir observés dès sa jeunesse.

3298. Il est évident qu'il était dans une grande illusion; mais au lieu de le lui faire sentir par de longs raisonnements, Jésus, qui voulait d'ailleurs lui montrer combien il l'aimait, lui dit avec une grande affection: «Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, et suis-moi» (Luc 12: 33). Bien que ce jeune homme ne reconnût pas le Seigneur pour ce qu'il était, tout atteste qu'il l'envisageait comme un docteur envoyé d'en haut. Cela étant, si les vertus dont il se glorifiait avaient été le fruit d'une obéissance véritable envers Dieu, il n'aurait pas hésité à faire ce que Jésus lui ordonnait de sa part. Mais il était fort riche, et, tout attristé de ce qu'il venait d'entendre, il s'en alla. Il manquait une seule chose à ce jeune homme (et que ceux qui lisent ceci y prennent garde); il lui manquait une seule chose, mais cette chose est tout. Il n'avait pas rempli ses devoirs par amour pour Dieu, ce n'était pas la volonté de Dieu qu'il avait faite, mais la sienne propre. Si donc il avait vécu d'une vie honnête, il n'en était pas moins un mondain, comme le fils aîné de la parabole de l'enfant prodigue, avec moins d'égoïsme dans l'âme; mais enfin toute sa moralité n'était d'aucune valeur pour la vie éternelle.

3299. Alors, notre Seigneur déclara qu'il est difficile et, dans un certain sens, impossible aux riches de devenir ses disciples, tant est grande la tyrannie de Mammon sur ceux qui le servent. Mais les hommes qui entendirent cette parole, gens pauvres pour la plupart, en furent dans la stupéfaction. Ils avaient cru peut-être tout le contraire. Aussi s'écrièrent-ils: «Qui donc sera sauvé?» Il est vrai, semble répondre Jésus, il est vrai que les pauvres aussi mettent leur cœur aux choses de la terre; il est vrai, qu'au fond le salut est difficile pour tous; non pas difficile seulement, mais humainement impossible. Aussi le salut vient-il de Dieu; c'est lui qui sauve, et ceux qui sont sauvés le sont par la foi, non par les œuvres. «Les choses impossibles quant aux hommes sont possibles quant à Dieu.» C'est lui qui convertit et qui donne la vie à qui il lui plaît.

3300. (L. 18: 28-30; M. 19: 27-30; Mc. 10: 28-31.) Après ce qui venait de se passer, l'apôtre Pierre, reportant son souvenir sur le jour où Jésus les avait invités, lui et ses collègues à le suivre; touché, je suppose, de la grâce que le Seigneur leur avait faite en triomphant des résistances de leur cœur charnel, Pierre, dis-je, lui demanda ce qu'il lui arriverait? Or, de quelque manière qu'on explique les termes de la réponse, il demeure évident qu'une grande gloire est réservée aux apôtres de Jésus pour le jour où Jésus lui-même entrera dans sa gloire. Mais ce n'est pas à eux seulement que sont faites les promesses. Tout homme qui, pour l'amour du Christ, aura renoncé aux objets de ses affections terrestres, les verra, dès ici-bas, remplacées par d'autres objets non moins capables de remplir son cœur, bien qu'avec toutes sortes de persécutions, est-il dit en saint Marc; et, après cette vie, c'est une éternelle félicité qui sera son partage. Ainsi, quoi qu’il nous soit absolument interdit de nous attacher à Jésus par calcul, il est sûr qu'il y a tout profit à lui faire les plus grands sacrifices.

3301. (Matth. 20: 1-16.) Ici vient la parabole des ouvriers, parabole dont l'explication n'est pas facile. Peut-être faut-il l'envisager dans son ensemble, plutôt que dans ses détails. Précédée et suivie de cette maxime: «Beaucoup des premiers seront les derniers et des derniers, les premiers,» il semble qu'on doive surtout y voir l'éclaircissement de cette déclaration. Afin que les apôtres ne missent pas une confiance chamelle dans la prérogative qui leur avait été accordée d'entrer les premiers dans la vigne du Seigneur, Jésus leur fait entendre que d'autres y entreront plus tard, et que la grâce de Dieu qui les y appellera ne les laissera pas non plus sans récompense. D'une manière plus générale, quoiqu'il y ait des pécheurs que Dieu daigne convertir à lui dès les premières années de leur vie, il ne faut pas croire que ceux qu'il convertit sur leurs vieux jours ne seront pas tout aussi bien sauvés. Mais quelle preuve frappante que le salut est par la foi, et non par les œuvres; car si c'était par les œuvres qu'on fût sauvé, il est clair que celui qui se convertit au terme d'une carrière oisive (à la onzième heure, soit à cinq heures du soir) ne pourrait d'aucune façon être traité de pair avec celui qui a travaillé dès le matin.

3302. Ce n'est pas certes un encouragement à renvoyer de se convertir, car le Seigneur suppose dans tous les cas un appel de Dieu; et, si nous repoussons les appels qu'il nous adresse aujourd'hui, rien ne nous garantit qu'il les renouvellera plus tard. Il est vrai que les ouvriers appelés à la onzième heure reçurent un denier aussi bien que les autres; mais s'ils étaient restés sur la place publique sans rien faire, c'est que personne ne les avait loués, ou engagés: dès que l'ouvrage leur fut offert, ils y coururent. Voilà ce qui, dans la parabole, se rapporte à cette déclaration: «Les derniers seront les premiers.»

3303. Quant à ces «premiers qui seront les derniers,» cela peut s'entendre des fidèles qui, faibles dans la foi et dans la vigilance, bien que depuis longtemps éclairés par le Seigneur, se voient devancés en foi et en sainteté par d'autres fidèles, convertis longtemps après eux. Cela peut s'entendre aussi des âmes qui, appelées également, à réitérées fois et de bonne heure, par la voix pressante du Seigneur, et ayant, en apparence, marché quelque temps avec lui, se trouveront finalement au nombre de ceux qu'il ne connut jamais (Matth. 7: 21-23). À ce point de vue, il y aurait quelque rapport entre eux et le fils aîné de la parabole de l'enfant prodigue. Comme lui, ces ouvriers trouvent mauvais que le maître de la vigne donne une égale rétribution aux derniers venus, bien qu'il ne leur fasse à eux-mêmes aucun tort. Les uns ont travaillé en vue d'un salaire: ils avaient convenu avec le maître pour un denier; tandis que les autres sont allés de confiance et sans savoir ce qu'on leur donnerait. Chez les premiers est l'esprit mercenaire; chez les autres, la foi. Ainsi les premiers seront les derniers, et, en prenant la chose dans ce sens, on comprend pourquoi le Seigneur ajoute: «car il y en a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus»


CCLI. — Jésus prédit de nouveau ses souffrances; prière des fils de Zébédée; guérison d'un aveugle à Jéricho; Zachée; parabole des dix mines.


3304. (L. 18: 31-34; M. 20: 17-19; Mc. 10: 32-34.) Il n'y avait plus que quelques jours jusqu'à la fête de Pâques. Avec elle approchait le moment où notre Seigneur allait être livré aux sacrificateurs et aux scribes, et par eux aux nations, c'est-à-dire aux idolâtres, dans la personne de Pilate et de ses soldats. C'est ce que Jésus annonce d'une manière très expresse à ses douze disciples, dans le temps même que, tristes et préoccupés, ils faisaient route du côté de Béthanie, par conséquent vers Jérusalem. Il leur dit qu'on se moquera de lui, qu'on l'outragera jusqu'à le frapper au visage, qu'on le fera mourir, mais qu'il ressuscitera le troisième jour. Jamais encore le Seigneur n'avait parlé d'une manière aussi explicite. Plus l'événement approche, plus la prophétie est claire (observation que j'ai déjà présentée à l'occasion des prophéties de l'Ancien Testament). Toujours est-il que les disciples ne comprirent pas mieux cette fois-ci que les précédentes [3091, 3105, 3275], et nous allons voir dans Matthieu et dans Marc ce qui leur obscurcissait l'entendement.

3305. (M. 20: 20-23; Mc. 10: 35-40.) Jacques, Jean et leur mère s'étant approchés de Jésus et l'ayant adoré, lui firent une demande qui prouvait combien leurs pensées étaient aux choses de la terre.Ils rêvaient encore pour leur Maître un royaume temporel, et ils imploraient la faveur d'y occuper les premières places. Sur cela, Jésus, faisant allusion à ce qu'il venait de dire au sujet de ses souffrances, leur rappelle qu'avant d'entrer lui-même dans son règne, il avait à boire une coupe amère et à recevoir un baptême redoutable (Luc 12: 50); puis il leur demande s'ils pouvaient à ce prix le suivre dans sa gloire? Présomptueux, mais pleins d'amour pour leur Seigneur, Jacques et Jean répondirent sans hésiter: «Nous le pouvons.» En effet, leur dit Jésus, vous souffrirez pour moi, vous partagerez mon ignominie (et nous verrons plus tard comment cette prophétie s'accomplit); «mais d'être assis à ma droite et à ma gauche, il ne m'appartient de le donner qu'à ceux auxquels cela est préparé par mon Père.» Cette parole, qui a son côté mystérieux, reporte toutefois avec force et clarté notre pensée sur un principe fondamental, savoir que Dieu est souverainement libre dans la distribution de ses grâces, ce que Jésus avait établi naguère par la parabole des ouvriers et ailleurs [2807, 3166].

3306. (M. 20: 24-28; Mc. 10: 41-45.) Les dix autres apôtres furent indignés des prétentions des deux frères. Mais ceux qui s'indignaient valaient-ils mieux que leurs collègues? Avaient-ils moins d'orgueil et de présomption? La suite nous le fera voir; et déjà nous en pouvons juger par la manière dont le Seigneur calma le mouvement de leur esprit. Il leur parle comme à des gens dont il faut rabattre la vanité, ou qui, du moins, vont se trouver dans une position dangereuse pour l'orgueil et l'ambition. Jésus, donc, faisant allusion à l'autorité dont les apôtres seraient revêtus dans son Église, leur dit nettement que cette autorité serait d'une tout autre nature que celle des princes et des grands du monde. C'est par la parole et non par la contrainte qu'ils régneront; leur humilité et leur charité feront leur véritable grandeur, mot qui demeure vrai pour tous les disciples de Jésus, surtout pour ceux qui exercent quelque charge dans son royaume spirituel. Or, elle est bien frappante, la forme que le Seigneur donne ici à sa déclaration. Si quelqu'un, dit-il, veut être grand, qu'il soit serviteur; s'il veut être le premier, qu'il soit esclave: qu'il fasse ce qu'a fait son Seigneur lui-même. Il s'est abaissé, il s'est anéanti; il s'est mis à notre service, et c'est en passant par le supplice des esclaves qu'il a «donné sa vie en rançon pour nous.»

3307. Ces derniers mots sont d'une grande importance. Je ne sais si les disciples y prirent garde; mais Jésus déclarait par là quel serait le véritable caractère de sa mort ou, si l'on veut, de quelle manière il est pour nous un Sauveur. Ce n'est pas, comme plusieurs le pensent, par la sublimité de sa morale et de son exemple que Jésus-Christ nous sauve; c'est par sa mort, mort expiatoire au moyen de laquelle nous sommes rachetés de la condamnation. Il y a deux manières de payer la rançon d'un esclave: ou par une somme d'argent, ou en se faisant esclave à sa place. C'est donc par expiation ou par substitution. Or il se trouve que Jésus nous a rachetés de ces deux manières; car il a pris sur la croix notre place, et il y a souffert ce qu'il fallait pour effacer nos péchés. Là est l'espoir des fidèles; là est aussi le principe de toute charité et de toute humilité.

3308. (Luc 18: 35-43.) Peu après, Jésus, rentrant en Judée par le chemin de Josué et de David [1121, 1582], se trouva près de Jéricho, la ville de Rahab l'hôtelière. Un aveugle était assis sur la route, demandant l'aumône aux nombreux pèlerins qu'attirait la fête de Pâques. Ayant appris qu'au milieu des hommes qui passaient et dont il entendait les pas et les voix était Jésus de Nazareth, il se mit à crier: «Fils de David, aie pitié de moi.» Plus clairvoyant que la généralité de ceux qui accompagnaient le Seigneur, cet aveugle invoquait Jésus en lui donnant le nom sous lequel les Juifs attendaient avec raison le Messie promis à leurs ancêtres. Aussi se garda-t-il bien d'obtempérer aux sollicitations qu'on lui faisait de modérer ses cris, et Jésus, le guérissant, lui dit, comme à la pécheresse, comme au paralytique: «Ta foi t'a sauvé!» Par la foi, ce pauvre aveugle voyait en Jésus le Messie; par la foi, il implora sa grâce; par la foi, il persévéra malgré l'opposition; par la foi, ses péchés lui furent pardonnés et il obtint la faveur de voir, de ses yeux miraculeusement guéris, son puissant libérateur.

3309. (L. 19: 1-10; Mc. 10: 46.) À ce grand exemple de foi, l'Évangile en ajoute un autre, non moins remarquable. Un péager fort riche, nommé Zachée, païen de naissance comme le centenier de Capernaüm, avait été amené par la grâce de Dieu à reconnaître en Jésus le libérateur promis par les oracles dont les Juifs étaient les dépositaires [2964]. Il résidait à Jéricho, ville où devait se faire un grand commerce de transit, à raison de sa situation. Quand il apprit que le Seigneur passait, il courut en avant, et, comme il était de petite taille, il monta sur un sycomore pour le mieux voir. Il ne s'inquiétait guère des moqueries du monde, et il avait raison. La suite le montra clairement, car Jésus accepta devant tous et d'une manière éclatante l'humble hommage de sa foi. L'ayant invité à descendre de son arbre, il se rendit aussitôt avec lui dans sa maison, comme il l'aurait fait pour un ancien ami. Là-dessus, grands murmures au milieu de ces formalistes qui, selon leur coutume, ne comprenaient pas qu'on pût se mettre en relations avec un péager, avec un pécheur [2933], comme s'ils n'avaient pas été pécheurs eux-mêmes!

3310. (Luc 19: 1-10.) Mais ce pécheur Zachée (dont le nom latin Justus, avait été probablement traduit en hébreu) avait de la foi, et une foi qui ne demeurait point oisive. Non par vanterie assurément, mais pour laver le Seigneur du crime qu'on lui faisait d'être entré dans la maison d'un péager, Zachée va lui dire une de ces choses qu'on ne dit guère, mais qu'on ne saurait cacher à Celui qui sait tout: «Je donne la moitié de mes biens aux pauvres, et si j'ai fait tort à quelqu'un, je rends le quadruple.» Bel exemple, assurément, de charité et de justice tout à la fois. C'est pourquoi Jésus s'écria: «Aujourd'hui le salut est arrivé pour cette maison, parce que celui-ci aussi est fils d'Abraham; car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui est perdu.»

3311. Ainsi donc, malgré ses bonnes œuvres, Zachée avait besoin d'être sauvé, puisque Jésus dit: «Aujourd'hui le salut est arrivé pour cette maison.» Il déclare, à la vérité, que ce païen était aussi un fils d'Abraham; mais nous savons qu'Abraham fut justifié par sa foi et non par ses œuvres [291]. Il exprime d'ailleurs, très nettement, bien que d'une manière indirecte, que Zachée était une de ces brebis perdues qu'il est venu chercher et sauver, en donnant sa vie pour elles. Or, ce n'est pas Zachée seulement qui était perdu; nous le sommes tous par nature; et si Dieu, dans sa grâce, n'était venu au-devant de nous, s'il ne nous avait donné un Sauveur, nous serions tous demeurés perdus. Non seulement cela, mais encore c'est lui qui s'approche de nous pour nous appeler à Jésus afin d'avoir la vie, lui qui incline nos cœurs à recevoir le salut. Aussi, quelque misérable que soit une âme, comme après tout elle ne peut être plus que perdue, il ne faut pas que la considération de sa misère l'empêche de chercher la paix auprès de celui qui est venu chercher et sauver ce qui est perdu: ce doit être plutôt tout le contraire.

3312. (11, 12.) Jéricho se trouve à six lieues environ de Jérusalem. Notre Seigneur n'était donc plus qu'à une faible distance de la ville qui «avait si souvent tué les prophètes et lapidé ceux qui lui étaient envoyés.» Malgré les prédictions si claires par lesquelles il avait annoncé ses souffrances et sa mort, les disciples se flattaient toujours de le voir bientôt établir un royaume de Dieu tel que leur cœur charnel se le figurait. C'est pourquoi le Seigneur leur dit une parabole dont le sens, cette fois, n'est pas difficile à démêler. Qui est l'homme de grande naissance, sinon Jésus, Fils de Dieu quant à sa nature divine et né du Saint-Esprit quant à son humanité? La contrée éloignée c'est le ciel, séjour de la paix et de la gloire. Jésus devait y rentrer par sa résurrection et exercer de là sur son Église une autorité royale, jusqu'au moment où il reviendra pour juger la terre avec justice.

3313. (13.) Mais s'il est personnellement absent de ce monde, il y est représenté par ses esclaves. Il leur a remis en dépôt les vérités du salut. Ces vérités, ces promesses, ces préceptes sont les mêmes pour tous; chacun possède sa mine, ou son marc, valeur de cent deniers [3266], et chacun est appelé à faire valoir pour lui et pour les autres les grâces qu'il a reçues. Lorsque le Seigneur reviendra, il réglera compte avec ses esclaves.

3314. (14.) Cependant, si Jésus possède ici-bas des esclaves ou des disciples, il a aussi des adversaires en grand nombre, qui, semblables à la plupart des Juifs d'autrefois, ne veulent pas qu'il règne sur eux. Peut-être consentiraient-ils à être sauvés par lui, s'ils pouvaient continuer de vivre à leur fantaisie; mais les hommes aiment mieux obéir à Satan qu'à Jésus; ils prendront le premier venu pour roi, plutôt que lui: ils préfèrent la tyrannie de leurs passions à la douce autorité du bon Berger des brebis. Cependant le jour vient où ils devront, eux aussi, paraître en jugement devant Celui qu'ils ont rejeté.

3315. (1B-23.) En ce jour, on verra clairement que notre Seigneur eut ici-bas deux sortes de disciples: les esclaves fidèles, dans les mains de qui ses faveurs auront, par sa grâce, plus ou moins fructifié, et les méchants esclaves qui auront rendu inutile le trésor que le Maître leur avait remis en dépôt. Les premiers recevront une récompense en rapport avec leur fidélité et toutefois fort disproportionnée à leur travail (dix villes pour mille deniers!), parce que Dieu est riche en miséricorde. Quant aux autres, leur foi morte et conséquemment improductive, ne servira qu'à leur condamnation. Or, il importe de remarquer que leur perte même aura pour cause les idées injurieuses qu'ils se seront faites des dispositions du Seigneur à leur égard. S'obstinant à ne voir en lui qu'un maître, un législateur, un juge et non point un sauveur, comment auraient-ils pu l'aimer et se dévouer à son service? Et, ne l'aimant pas, comment s'étonner qu'ils n'aient rien fait pour lui, pas même ce qui était le plus h leur portée.

3316. (24-26.) S'il est dit que la mine du méchant esclave fut donnée à celui qui en avait dix, c'est pour amener l'admirable déclaration que, après avoir immensément béni et récompensé, Dieu peut bénir et récompenser encore plus. Sa grâce ne connaît point de bornes, et rien n'est plus propre à nous faire redoubler de zèle dans notre service. D'un autre côté, prenons garde à nous. Si nous nous en tenons à une connaissance stérile de Jésus-Christ et de son Évangile, si nous ne sommes chrétiens que par notre baptême et par une profession semblable à celle de la multitude, tout cet extérieur de religion nous sera ôté; et lorsque, au dernier jour, ce que la bonté divine nous accorde maintenant de lumières et de grâces nous aura été enlevé, il est bien évident qu'il n'y aura plus aucun moyen de conversion ni de salut pour nos âmes.

3317. (27.) Quant à ceux enfin, qui, décidément incrédules, marchent des deux pieds dans la voie large, il ne saurait y avoir de doute sur leur destinée finale. Pour qu'ils ne puissent raisonnablement se faire aucune illusion sur le sort qui les attend, notre Seigneur prononce leur condamnation en ces termes redoutables: «Égorgez-les devant moi.» — Ainsi la parabole des mines, comme au reste plusieurs autres endroits de l'Écriture, range en trois catégories ceux à qui l'Évangile est annoncé: les vrais croyants, les chrétiens de nom ou d'apparence, et les incrédules. Les premiers seuls appartiennent réellement et pour toujours au royaume de Dieu, bien que les seconds fassent nombre parmi ceux qui s'y rattachent ici-bas [3000, 3005].

3318. (28.) Ce fut dans la maison de Zachée, paraît-il, que notre Seigneur prononça cette importante parabole. Cela fait, il reprit son chemin du côté de Jérusalem; mais, comme nous le verrons bientôt, sans oublier son ami Lazare et ses deux sœurs. C'est donc à Jérusalem, la ville du grand roi David; à Jérusalem, illustrée par tant de prophètes, depuis ce même David jusqu'à Malachie; à Jérusalem, où tant de sacrifices et d'holocaustes avaient été offerts par de saints sacrificateurs: c'est à Jérusalem que nous allons suivre, pour la dernière fois, celui qui, étant le Christ, résume en sa personne tout ce qu'avaient été jadis les rois, les prophètes, les sacrificateurs et les victimes. Mais voyons auparavant, dans les autres Évangiles, ce qui précéda et retarda même quelque peu son entrée dans la sainte cité!


CCLII. — Guérison de deux aveugles; résurrection de Lazare; prophétie de Caïphe; retraite à Éphraïm.


3319. (M. 20: 29-34; Mc. 10: 46-52.) Comme Jésus sortait de Jéricho, deux aveugles recoururent à sa miséricorde. On dit que, de nos jours encore, ces malheureux abondent en Orient. Ceux-ci, encouragés par l'exemple de leur compagnon d'infortune guéri quelques heures auparavant, se jetèrent sur les pas de Jésus, le suppliant, dans les mêmes termes, de leur accorder à eux aussi le précieux don de la vue. L'un d'eux, entre autres, se fit remarquer par la véhémence de ses cris, et c'est pour cela peut-être que Marc le nomme seul. Il se peut aussi qu'il n'y ait eu que deux aveugles guéris, l'un à l'entrée, l'autre à la sortie de Jéricho. Celui-ci s'appelait Bartimée, et rien n'est plus digne d'imitation que sa conduite. Voyez en effet la persévérance de ses prières, la fermeté de sa foi, sa promptitude à répondre aux appels du Seigneur et à se débarrasser de tout ce qui aurait pu retarder sa marche. Comme lui, mes chers lecteurs, ayez pitié de votre âme aveugle et pécheresse; comme lui, criez au Seigneur; comme lui, ne vous laissez pas détourner de votre dessein, mais affermissez-vous y à proportion de la grandeur des obstacles; comme lui, courez où la voix de Jésus vous appelle; comme lui, enfin, dépouillez-vous de vous-même, de tout ce manteau d'orgueil et de malice qui vous enveloppe, et le Seigneur vous dira comme à lui: «Ta foi t'a sauvé.»

3320. (Jean 11: 17-19.) Après avoir opéré ces guérisons, et suivi d'un cortège qui allait se grossissant de tous ceux dont il faisait les objets de sa grâce, Jésus se remit en chemin, et, au bout de cinq heures de marche, il dut se trouver dans Béthanie, qui était entre Jéricho et Jérusalem, à quinze stades de cette dernière ville; c'est-à-dire moins d'une lieue. Pendant le temps qui s'était écoulé depuis que Marthe et Marie avaient envoyé leur messager à Jésus, Lazare était mort, ainsi que le Seigneur l'avait dit à ses disciples, et, depuis quatre jours, il était enterré. La famille qui, par là, se trouvait privée de son chef, était généralement aimée et estimée, ce que montre le grand nombre de visiteurs qui venaient de Jérusalem et des environs pour consoler les deux sœurs. Peut-être savait-on que Jésus approchait.

3321. (20-26.) Aussitôt que Marthe apprit l'arrivée du Seigneur, elle se leva; et, avec sa vivacité ordinaire [3172], laissant Marie à la maison, elle courut au-devant de Jésus et lui dit: «Seigneur, si tu eusses été ici, mon frère ne serait pas mort; mais, même à présent, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera.» Qu'est-ce donc qui autorisait cette femme à croire que Jésus n'aurait pas laissé mourir Lazare et à espérer qu'il y avait encore quelque moyen de le recouvrer? Il est difficile de dire autre chose sinon que telle était sa foi et que l'événement justifia son espérance. Le Seigneur donc qui ne trompe jamais l'attente qu'on met en lui, dit à Marthe: «Ton frère se relèvera.» Oui, dit Marthe, je le sais, au dernier jour;», car il y avait, semble-t-il, à ce moment, une sorte d'oscillation dans sa foi. Aussi, pour raffermir ses convictions et pour lui faire comprendre que le Seigneur était à cette heure ce qu'il sera au dernier jour: «Je suis le relèvement et la vie, dit Jésus; celui qui croit en moi, lors même qu'il serait mort, vivra; et quiconque croit et vit en moi, ne mourra pas pour toujours. Crois-tu cela?» Et vous mes lecteurs, croyez-vous cela? Non pas précisément, si l'on veut, que vous, vous-mêmes, actuellement, vous êtes relevés de votre mort spirituelle, et conséquemment de la condamnation méritée par vos péchés; mais croyez-vous qu'en Jésus est le relèvement? Regardez-vous du cœur à celui qui fait revivre les morts? Votre foi est-elle une vie, et vous fait-elle vivre en lui? S'il en est ainsi, vous êtes passés de la mort à la vie et vous ne mourrez point pour toujours: la parole du Seigneur est positive; elle vous autorise à vous réjouir de la grâce qui vous a été faite.

3322. (27-31.) La réponse de Marthe nous montre pourquoi Jésus l'aimait, malgré le reproche qu'il avait dû lui adresser jadis (L. 10: 41). Elle croyait en lui, le reconnaissant pour le Christ, le Fils de Dieu venu dans le monde. Comme Jésus lui avait dit d'appeler sa sœur, elle courut à la maison; mais à cause des gens qui étaient là, elle lui dit à voix basse que leur cher Maître l'attendait à l'entrée du village. Marie, de dispositions plus calmes que sa sœur, ne laissa pas d'obéir avec promptitude à l'invitation du Seigneur, et les Juifs, pensant qu'elle allait au sépulcre de son frère pour y pleurer, s'attachèrent à ses pas.

3323. (32-36.) Ce fut alors une scène fort touchante. Marie se jeta aux pieds de Jésus et, fondant en larmes, elle lui dit comme Marthe, mais avec moins de paroles: «Si tu eusses été ici, mon frère ne serait pas mort.» Tous ceux qui étaient présents mêlaient leurs lamentations aux siennes, et Jésus lui-même, ému jusqu'au fond des entrailles, demanda qu'on le conduisît vers le tombeau de Lazare. C'était une grotte taillée dans le roc, et l'entrée en était fermée par une pierre. On voit de nos jours, en Judée, quantité de ces cavernes qui servaient jadis de lieu de sépulture. Quand Jésus fut là, et avant même qu'on eût roulé la pierre, il se mit aussi à pleurer; trait fort touchant et plein de consolation pour nous, qui avons si souvent de la tristesse dans le cœur. Il y a donc des larmes qui sont légitimes et il ne faut pas croire qu'il soit indigne d'un homme d'en répandre! Dans nos peines, nous pouvons compter sur la sympathie de notre Sauveur, car il a connu tous les sentiments humains où il n'entre pas du péché. De tout temps, l'Éternel s'est dit le Dieu compatissant, et il ne l'est pas moins sans doute depuis qu'il a été en Christ réconciliant le monde avec lui-même! Oh! combien donc il nous est précieux de savoir que Jésus pleura sur le corps de son ami!

3324. (37-43.) Les Juifs de Jérusalem admirèrent l'affection que Jésus portait à la mémoire de Lazare et ils s'étonnaient de ce que, après avoir, quelques mois auparavant, ouvert les yeux de l'aveugle (9), il n'eût pas guéri son ami, un homme qui lui était si cher; car le cœur humain n'est que trop disposé à critiquer les voies du Seigneur. Or, représentez-vous ce qu'ils éprouvèrent à la vue du spectacle qu'ils eurent aussitôt sous les yeux. Ce Lazare mort depuis plusieurs jours, ce cadavre en pleine décomposition, cette pourriture sort de la tombe à la voix du Seigneur (5: 28). Le voilà debout comme une statue, porté et soutenu par la puissance divine; car, selon la coutume, il avait les mains et les pieds liés avec des bandes et le visage enveloppé d'un mouchoir. Sur l'ordre de Jésus, on le délie et il marche. Celui qui était mort, est revenu à la vie. Aussi beaucoup de ceux qui se trouvaient là, ne purent s'empêcher de croire que Jésus était réellement le Christ, le Seigneur.

3325. Il faut avouer en effet que la résurrection de Lazare est un des miracles les plus éclatants que notre Seigneur ait opérés, et l'on ne saurait méconnaître que, par cet acte solennel et authentique, il n’ait eu l'intention de préparer les esprits à la merveille de son propre relèvement d'entre les morts. C'est peut-être aussi parce qu'il portait ses regards sur sa fin prochaine, qu'en abordant le sépulcre de Lazare, il frémit au dedans de lui. Ce mouvement intérieur de Jésus ne s'explique pas facilement d'une autre manière. Il est vrai qu'il put pleurer Lazare au moment où il allait le ressusciter, comme nous pleurons nos amis chrétiens, quoique nous sachions qu'ils ne sont pas perdus pour toujours. Il est vrai encore que la mort devait être un spectacle particulièrement repoussant pour celui qui est la vie, et que le frémissement de notre Seigneur put venir de cette seule pensée: Voilà donc à quoi le péché réduit tous les hommes! mais c'est aussi à cause du péché des hommes qu'il allait bientôt souffrir lui-même des angoisses inexprimables et mourir d'une mort affreuse: telle est, je pense, la véritable explication.

3326. (46-52.) Cependant, quelques-uns de ceux qui avaient été témoins de la résurrection de Lazare, se hâtèrent d'annoncer le fait aux pharisiens. Le Conseil des juifs s'assembla. Tout est perdu, pensaient-ils; le peuple va nous quitter pour le Nazaréen; et ces hypocrites, feignant de croire qu'alors Jésus se déclarerait roi, exprimèrent la crainte que les Romains ne vinssent les détruire, «Non pas,» leur dit Caïphe, le souverain sacrificateur de cette année-là, nommé récemment à cette place par l'empereur et tout dévoué à Tibère; «non pas: cet homme mourra, j'ose vous le prédire, et ainsi nous serons sauvés.» Ou bien, répondant à quelques-uns des membres du Conseil, qui auraient essayé de prendre la défense du Juste: «Vous n'y entendez rien, aurait-il dit, il faut que cet homme meure et qu'ainsi la nation soit sauvée.» Il attachait à ses paroles un tout autre sens que celui dans lequel elles s'accomplirent; mais, nous dit l'évangéliste, il plut à Dieu de prophétiser par la bouche de ce Balaam, les destinées glorieuses du peuple de Dieu et les fruits de salut que devait porter la mort de Jésus.

3327. (53-57.) En attendant, le Seigneur ne se pressa point d'entrer à Jérusalem. Comme il y avait encore quelques jours jusqu'à Pâques, il gagna des lieux écartés et se cacha dans une ville si peu connue, qu'on ne sait pas même aujourd'hui quelle en était la situation. Elle s'appelait Éphraïm. Pendant ce temps, le peuple des campagnes arrivait en foule. Les habitants de la Galilée n'avaient pas revu Jésus depuis six mois; ceux de la Judée et de la Pérée, au milieu desquels il avait vécu dès lors, le savaient parti en avant: tous s'étonnaient que Jésus ne fût pas encore à Jérusalem et ils l'attendaient avec impatience. D'un autre côté, et par cette raison même, les principaux avaient donné ordre de le dénoncer si l'on venait à savoir où il s'était retiré. Notre Seigneur était donc sous un arrêt de proscription, au moment où nous allons le voir reparaître pour marcher au sacrifice.


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