Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA SEMAINE SAINTE.

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CCLIII. — Le samedi avant la Pâque. Marie embaumant Jésus. — Le dimanche. Entrée triomphale à Jérusalem; glorification anticipée de Jésus. — Le lundi. Malédiction du figuier; nouvelle purification du temple; guérisons miraculeuses; acclamations des enfants; dernières proclamations de Jésus.


3328. (J. 12: 1-8; M. 26: 6-13; Mc. 14: 3-9.) Six jours avant la Pâque (ce devait être cette année-là un samedi), Jésus revint a Béthanie, où il fut reçu à souper chez un nommé Simon, dit le Lépreux. Sans doute que Simon avait eu cette maladie, et peut-être devait-il à Jésus même sa guérison. La se trouvait Lazare que Jésus avait ressuscité, et, parmi les personnes qui servaient la table, Marthe, la sœur de Lazare. Avec eux aussi, une femme que Matthieu et Marc ne nomment point, parce qu'ils ne font nulle part mention expresse de Lazare et de ses sœurs, mais que Jean désigne par son nom de Marie, la sœur de Marthe, pour la distinguer de plusieurs autres. Elle s'approcha de Jésus pendant qu'il mangeait et répandit sur sa personne un vase de parfum exquis. Non seulement elle en oignit sa tête; mais, ayant brisé le vase, le parfum coula sur les pieds de Jésus, qui, selon l'usage, avait les jambes en arrière et non sous la table [2982]. Marie avait consacré beaucoup d'argent à ce parfum et elle le tenait en réserve pour embaumer le corps de Jésus, à sa sépulture. Mais, avertie par sa foi que le moment approchait, prévoyant peut-être que les circonstances d'un tel trépas ne lui permettraient pas d'effectuer son pieux dessein, elle voulut montrer que, pour elle, la mort de Jésus était tout autant qu'accomplie et qu'elle estimait plus que tous les biens du monde, les grâces qui devaient en découler. Telle est l'interprétation que Jésus lui-même nous donne de l'action de Marie. Elle avait fait, d'ailleurs, une bonne œuvre à son égard; une œuvre qui se rapportait à lui uniquement, et dont il lui savait gré à cause de l'intention. Ah! combien ne serait-il pas à désirer que nous en fissions souvent de pareilles!

3329. Moins avancés que Marie dans la foi et dans l'amour, comme dans la connaissance des mystères du salut, les disciples, quelques-uns du moins, ne la jugèrent pas aussi favorablement. Il leur semblait qu'elle avait dépensé ce parfum à pure perte et qu'elle eût mieux fait de leur en remettre le prix pour le donner aux pauvres. L'un d'eux surtout, Judas l'Iscariote, plaidait cette cause avec une chaleur particulière. Ce n'était pas qu'il se souciât beaucoup des pauvres. Il était comme tant d'avares qui, pour colorer d'une sorte de piété les regrets que leur causent certaines pertes ou certaines dépenses, s'apitoient sur les pauvres, auxquels, disent-ils, cet argent serait si bien venu; et par le fait, leur fût-il resté, les pauvres n'en auraient pas eu davantage. Judas aussi était avare; or, dans sa passion, il se permettait, à ce qu'il paraît, des infidélités ou, pour le moins, des indélicatesses qui l'ont fait mettre par la Parole de Dieu au rang des larrons. C'est lui qui portait la bourse commune, bourse que l'aumône alimentait (Luc 8: 3), et son cœur, ami de Mammon, eût bondi de joie en y voyant entrer tout à la fois trois cents deniers.

3330. Jésus connaissait parfaitement Judas (Jean 6: 70); mais le moment de le démasquer n'était pas encore venu. Il se contenta donc de répéter cette parole de Moïse: «Vous avez toujours les pauvres avec vous» (Deut. 15: 11). Ainsi, à l'époque même où le Seigneur allait instituer une société toute fondée sur la foi et sur l'amour, il reproduisit ce qu'il avait dit par son prophète, lorsque l'ancien peuple était sur le point d'entrer au pays où tous devaient avoir une part de territoire! Combien donc sont chimériques les plans de ceux qui croient pouvoir bannir d'ici-bas la pauvreté! C'est un des maux inévitablement attachés à l'humanité déchue, un effet très direct du péché, mais un mal toutefois qui n'est pas sans compensation (Luc 6: 20) et qui, en particulier, fournit aux pauvres comme aux riches, s'ils sont dans la foi, l'occasion de montrer cette foi, les uns par leur renoncement, les autres par leur libéralité.

3331. (Jean 12: 9-11.) Quand les habitants de Jérusalem eurent appris que Jésus était de retour à Béthanie, ils y accoururent en foule, afin de le voir, lui et Lazare qu'il avait ressuscité. On conçoit quelle dut être l'inquiétude croissante des principaux du peuple. Aussi nous est-il dit qu'ils s'assemblèrent de nouveau et qu'ils résolurent de se défaire non seulement de Jésus, mais encore de Lazare. Pauvres aveugles! ils croyaient donc, comme les persécuteurs de tous les temps, qu'on peut tuer la vérité! Dans leur coupable matérialisme, ils s'imaginaient qu'une fois Jésus et Lazare morts, tout serait fini! Plus tard, ils purent se convaincre de leur erreur; mais, hélas! il s'en faut bien, qu'ils l'aient universellement reconnue; il s'en faut davantage encore que les incrédules des siècles subséquents aient profité de leur expérience. De nos jours, en effet, on voit des hommes qui, lorsqu'ils le peuvent et l'osent, persécutent à outrance les serviteurs de Jésus-Christ, ne pouvant plus s'attaquer à Jésus-Christ lui-même, et qui croient pouvoir en finir ainsi avec lui et avec sa doctrine.

3332. (L. 19: 28-40; M. 21: 1-9; Mc. 11: 1-10; J. 12: 12-19.) Il paraît que Jésus quitta ce soir-là Béthanie, pour se soustraire à la foule qui s'y accumulait. Mais le lendemain, jour correspondant à notre dimanche, il reprit sa route du côté de Jérusalem, où déjà une multitude d'Israélites de toutes les provinces se trouvaient réunis pour la fête. La faible distance qui sépare Béthanie de Jérusalem est occupée par une montagne déjà célèbre dans l'histoire sainte [1564] et qui l'est devenue bien davantage. Composé de trois collines d'inégale hauteur, collines qui vont du nord au sud, le mont des Oliviers avait sur son flanc oriental, vers le bas, le village de Béthanie; et, à cent pas environ du sommet de la colline moyenne, se trouvait celui de Betphagé, ou des figues mal mûres, nom qui lui venait sans doute, de ce que, par sa position, il était peu favorisé des rayons du soleil. Quand Jésus fut près de ce dernier village, il y envoya chercher un ânon que sa divine science y voyait attaché près de sa mère, et dont il disposa par la puissance qu'il exerce sur toutes choses. En accomplissant ainsi des prophéties d'ailleurs assez obscures (Es. 62: 11; Zach. 9: 9), il voulut attirer l'attention sur les faits qui allaient avoir lieu, même sur les plus insignifiants en apparence. Il fallait aussi que son entrée à Jérusalem se fît avec une solennité digne des grands événements qui devaient s'y réaliser, sans compter qu'il y avait dans cette pompe une figure de la gloire à venir du Roi-Messie.

3333. Tout arriva comme le Seigneur l'avait prédit et ordonné. Quand ses messagers furent de retour, on mit quelques manteaux sur l'ânon, puis Jésus s'assit dessus et il continua son chemin. Cependant la multitude qui, de la Galilée et d'ailleurs, était venue à la fête, sortit de Jérusalem en apprenant que Jésus approchait. Tous portaient des palmes à leurs mains; ils tapissaient la route avec leurs vêtements et la jonchaient de feuilles et de fleurs. Puis, quand ils virent Jésus, ils le saluèrent de leurs acclamations. À leurs nombreuses voix, se joignirent les voix non moins nombreuses de la multitude qui, pendant le voyage d'Ephraïm à Béthanie, s'était accumulée autour de Jésus, et le bruit de ces cris de joie put facilement s'entendre jusque dans la sainte cité. Les acclamations étaient diverses; mais elles exprimaient toutes le même sentiment. Chez plusieurs, elles dénotaient une grande mesure de foi, bien que cette foi fût mêlée avec beaucoup d'ignorance sans doute. «Hosanna! Hosanna!» criaient les uns, c'est-à-dire: Sauve, je te prie! «Hosanna au fils de David! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur!» D'autres disaient: «Hosanna dans les lieux très hauts.» D'autres encore: «Béni soit le règne qui vient au nom du Seigneur, le règne de David notre père!» D'autres enfin: «Béni soit le roi qui vient au nom du Seigneur, le roi d'Israël; paix dans le ciel et gloire dans les lieux très hauts!»

3334. Les pharisiens, qui surveillaient tout ce mouvement, ne manquaient pas d'avoir leurs émissaires au milieu de la foule. De tels cris, on le comprend, ne pouvaient que les importuner. Aussi prièrent-ils Jésus d'imposer silence à ses disciples et de leur faire sentir l'imprudence dont ils se rendaient coupables. Mais ils purent comprendre par la réponse du Seigneur que tout cela se faisait de son aveu, qu'il lui fallait ce triomphe avant son ignominie, que la gloire de Dieu ne peut être sans cesse obscurcie, et qu'à défaut de ceux qui doivent la célébrer, l'Éternel donnerait plutôt du cœur et de la voix aux créatures inanimées (3: 8). Atterrés de cette réponse, les pharisiens se retirèrent, convaincus, semble-t-il, que leur cause était perdue.

3335. (Luc 19: 41-44.) Du haut de la montagne des Oliviers, on a sous ses pieds la ville de Jérusalem et ses saintes collines. Or, tandis que la foule des disciples se livrait à son enthousiasme et que chacun, sans doute, ne rêvait que bonheur à la vue de la cité royale et de l'entrée triomphale qu'y allait faire le Fils de David, Jésus, lui, se mit à pleurer. Lorsque ses yeux découvrirent la malheureuse ville, déjà si souvent châtiée à cause de l'impiété de ses chefs et de ses habitants, son cœur s'émut d'une profonde compassion sur ce cadavre, bien plus difficile à ressusciter que celui de Lazare. Il pleura comme Jérémie et, comme lui, il prophétisa les effroyables malheurs réservés à cette coupable cité. Pour avoir méprisé le jour de la miséricorde, le plus beau de ceux qui eussent jamais lui sur ses murs, elle allait voir se lever contre elle le jour inévitable de la colère divine. Ici, la prophétie est parfaitement claire. Jérusalem essuiera un long siège; la population entière y périra; la ville sera détruite de fond en comble, et c'est ainsi que les Juifs seront punis de leur incrédulité. Ah! malheur à nous-mêmes, si, comme eux, nous méconnaissions les temps de la grâce du Seigneur!

3336. (Matth. 21: 10,11.) Cependant, Jésus reprit sa marche, lente à proportion de la masse de gens qui lui servait de cortège, et, quand il entra dans Jérusalem, l'agitation y était extrême. Qui est celui-ci? s'écriait-on de toutes parts, et des milliers de voix répondaient: C'est Jésus le prophète, Jésus de Nazareth en Galilée. Oui, un prophète, on n'en pouvait douter; mais la ville dans laquelle il entrait, avait tué plus d'un prophète.

3337. (Jean 12: 20-36.) La foule était si considérable autour de Jésus, que tous assurément ne pouvaient l'approcher. Aussi quelques Grecs, païens de naissance, qui adoraient le Dieu d'Israël, mais auxquels il n'était pas permis de s'avancer à l'intérieur du lieu sacré, demandèrent à Philippe quand et comment ils pourraient voir son Maître. Philippe le dit à André, et l'un et l'autre firent à Jésus la commission de ces étrangers. Le vœu que l'Esprit de grâce et d'adoption avait mis dans leur cœur, fut l'occasion d'une des scènes les plus remarquables que nous retrace l'Évangile.

3338. Le Seigneur voit dans la question qui lui est adressée de la part de ces Grecs, le signe avant-coureur de la gloire qui lui était préparée ici-bas par l'établissement de son règne au milieu de tous les peuples, et cette gloire même reporte naturellement sa pensée sur la gloire éternelle qui lui était assurée dans le sein du Père (23). Il faut toutefois qu'il meure auparavant, comme le grain de blé qu'on jette dans le sillon afin qu'il fructifie (24-26). C'est pour cela que Jésus fait volontiers le sacrifice de sa vie. En lui, le tout premier, on verra que donner à Dieu sa vie terrestre, c'est la garder pour l'éternité. Si donc quelqu'un sert Jésus, qu'il le suive en sa mort; car c'est se préparer à partager sa gloire: le servir, tel est l'unique chemin des honneurs que le Père réserve à ses élus.

3339. Mais le grain de blé, simple et belle image de la mort féconde de Celui qui est le pain de vie [3070], ne nous dit pas tout ce que cette mort devait avoir d'affreux. Le trépas même d'une créature humaine dans une douloureuse agonie, ne nous le dirait pas davantage. Jésus est l'Agneau de Dieu qui se charge des péchés du monde (1: 29); il est venu donner son âme en rançon pour plusieurs (Matth. 20: 28). C'est pourquoi il ne peut voir approcher l'heure suprême sans éprouver un frémissement dans tout son être (27, 28). Il aurait voulu oser demander à son Père d'être délivré de cette heure; mais il était venu pour cette heure même, la plus solennelle de toutes celles que les horloges ont marquées depuis que le monde existe, la plus heureuse pour nous, mais pour lui fort redoutable, et il ne saurait changer de volonté. Aussi s'écrie-t-il, comme nous devons le faire à son exemple, lorsqu'il se livre quelque grand combat dans notre âme: ô Père, glorifie ton nom!» À cette prière, une voix du ciel répondit: «Et je l'ai glorifié, et je le glorifierai encore!»

3340. La confusion et le bruit de la foule étaient tels que tous n'entendirent pas distinctement ces paroles (29-33). C'était bien pour eux néanmoins qu'elles avaient été prononcées. Or, voici comment le Père allait être glorifié en son Fils. La mort que celui-ci devait subir sur la croix était destinée à montrer combien ce monde pécheur est coupable, et à donner en même temps au Fils de l'homme une victoire éclatante sur Satan. Car c'est en la croix que le monde est jugé et que le chef de ce monde est jeté dehors. Puis, le Seigneur étant élevé de la terre, élevé sur le bois infâme et de là élevé dans le ciel, devait tirer à lui, convertir par son Saint-Esprit et laver par son sang, des hommes de toutes nations et de tout caractère, à la gloire de la miséricorde de Dieu.

3341. (34-36.) Jésus ayant dit ces choses, on lui fit observer du milieu de la foule que, selon la loi (ici ce mot veut dire l'ensemble des Écritures), le Christ devait demeurer à toujours (Ps. 45, 6, 7). On ne comprenait pas en conséquence qu'il pût être tout à la fois le Messie et le Fils de l'homme, supposé qu'il entendît se désigner lui-même par cette dernière expression. Sans répondre directement, Jésus exprime d'une manière assez claire d'où venaient toutes les difficultés qu'on lui faisait continuellement. La foi, la vraie foi manquait encore à la plupart de ses auditeurs. Cependant ils devaient se hâter tandis qu'ils avaient avec eux la lumière. Car il faut toujours en revenir là: nous ne disposons pas des grâces de Dieu; par conséquent nous devons les saisir lorsqu'il les met à notre portée. Sinon, malheur à nous! Semblables à des aveugles, nous ne savons où nous allons. 

3342. Ces dernières paroles, pense-t-on, furent dites lorsque le jour tendait à sa fin, circonstance à laquelle notre Seigneur aurait fait allusion dans son discours. Quoi qu'il en soit, dès qu'il l'eut achevé, il se retira secrètement du milieu de la foule qui l'avait accompagné au temple, et il retourna passer la nuit à Béthanie avec ses disciples. Ainsi, jusqu'au moment qu'il avait marqué lui-même, nous le voyons retarder l'heure solennelle de la catastrophe. Les précautions dont il s'entourait prouvent d'ailleurs que, s'il comptait autour de lui beaucoup d'amis, il continuait d'avoir des ennemis en plus grand nombre, surtout parmi les principaux du peuple. À cette occasion, l'évangéliste cite deux prophéties que nous avons étudiées précédemment (Es. 53: 1; 6: 9, 10), et il nous déclare en termes exprès (12: 37-41), que Jésus est ce même Seigneur, l'Éternel, dont Ésaïe vit la gloire, lors de sa vocation à la charge de prophète (Es. 6: 1).

3343. (42, 43.) Il s'en faut cependant que tous demeurassent dans la même incrédulité. Un grand nombre de Juifs, et même de ceux qui occupaient les premières places, déposaient peu à peu leurs préjugés; ils commençaient à comprendre que Jésus rendait témoignage à la vérité (comment avaient-ils jamais pu le mettre en doute?); mais tel était l'empire qu'exerçaient les pharisiens sur ces âmes mal décidées, que peu d'entre eux, aucun d'abord n'osait le confesser ouvertement. Or, pourquoi, dans le fond, cette timidité? L'évangéliste nous le dit, et sa parole est sérieuse: «Ils aimèrent mieux la gloire des hommes que la gloire de Dieu.» De nos jours, mes chers lecteurs, il n'en est pas autrement. Ceux qui, ayant pourtant quelque foi, ne laissent pas de cacher le plus qu'ils peuvent leurs convictions, et refusent de se joindre aux personnes que le monde méprise à cause de leur piété, se rendent coupables de cette hypocrisie, parce qu'ils oui plus à cœur de plaire aux hommes qu'à Dieu. Or, on avouera que ce n'est pas un faible péché que celui-là. Crainte des hommes! respect humain! combien d'âmes qui se perdent pour vous avoir consultés! [3193.]

3344. (M. 21: 18, 19; Marc 11: 12-14.) Le lundi matin, Jésus repartit pour Jérusalem. À peine avait-il eu le temps, la veille, de prendre quelque nourriture, et peut-être passa-t-il toute la nuit en prières. C'est pourquoi, pressé par la faim, il s'approcha d'un de ces nombreux figuiers qui croissaient jusqu'au bord des routes (2 Chron. 1: 15). Ce n'était pas la saison des figues; mais comme le figuier pousse son fruit avant les feuilles mêmes, et que ce fruit n'est, dans aucun temps, absolument immangeable, on comprend que Jésus ait pu approcher la main de cet arbre sans trop étonner ses disciples; toutefois, il fallait qu'il eût une grande faim. D'un autre côté, puisque ce n'était pas la saison des figues, il est clair qu'on n'avait pas dépouillé l'arbre de son fruit; en sorte que s'il n'en portait point, c'est qu'il était réellement stérile. Or, notre Seigneur voulait répéter en action ce qu'il avait dit assez récemment en parabole. C'est pour cela sans doute qu'il était allé vers le figuier, bien qu'il n'ignorât pas l'état dans lequel il le trouverait. À sa parole donc, on vit les larges et vertes feuilles de l'arbre s'incliner vers la terre et les branches perdre leur élasticité; symbole sérieux du chrétien de nom qui ne montre pas sa foi par ses œuvres, proclamation non moins solennelle de ce qu'est la malédiction du Tout-Puissant.

3345. (L. 19: 45, 46; M. 21: 12, 13; Mc. 11: 15-17.) Arrivé dans la ville, Jésus monta droit au temple, où il retrouva les vendeurs et les marchands qu'il en avait chassés trois ans auparavant, mais qui n'avaient pas eu de peine à s'y établir de nouveau [2711]. Comme la précédente fois, il renversa les tables des profanes, et s'il ne s'arma pas d'un fouet, il fit tonner les foudres de la Parole de Dieu. Personne, à ce moment, n'osa lui faire d'objection, parce qu'on était encore sous les impressions de la veille. Quant à notre Seigneur, s'il répéta vers la fin de son ministère un acte par lequel il avait signalé son entrée dans le lieu saint, c'est qu'il voulut rappeler que le but essentiel de sa venue est de purifier les cœurs des péchés qui s'en marchandent la possession.

3346. (Matth. 21: 14-16.) Pour rappeler d'une autre manière encore l'œuvre de miséricorde qu'il est venu accomplir, il opéra dans ce même instant des guérisons miraculeuses qui sont comme le couronnement de son ministère public. À ce spectacle, les nombreux enfants qui avaient suivi Jésus jusqu'au temple, se mirent à crier, comme les hommes de la veille: «Hosanna au Fils de David!» Ainsi font généralement les enfants, le lendemain d'une scène qui a fortement agi sur leur imagination; ils la reproduisent de leur mieux, en imitant ce qu'ils ont vu et entendu. Mais il n'y avait pas ici une simple imitation. Ces enfants connaissaient la Bible comme les plus jeunes de mes lecteurs peuvent la connaître; ils savaient que, d'après la Bible, leurs pères attendaient un Messie, et, dans l'heureuse simplicité de leur cœur, Ils ne doutaient pas que ce Messie ne fût devant leurs yeux. C'est ce que Jésus lui-même fit entendre à ceux qui s'indignaient de ce tapage; car il leur cita les paroles d'un psaume tout messianique (Ps. 8: 2). Le Seigneur accueillit les acclamations des enfants comme il avait accueilli les hommages que lui avait rendus la sœur de Lazare [3328], comme il accueille tout ce qu'on fait de bon cœur pour lui; mais on ne hasarde rien, en disant qu'il se plaît surtout au culte que lui rendent les petits, car il éprouve pour eux la plus vive tendresse.

3347. (Jean 12: 44-50.) Ici paraît devoir se placer la dernière proclamation de notre Seigneur au peuple assemblé. Elle résume la plupart des discours qu'il lui avait tenus en divers temps, dans ces mêmes cours du temple (Jean 5, 6, etc.). Croire en lui, c'est croire en Dieu; le contempler, c'est contempler Dieu. Il est lumière, tandis que tout homme est ténèbres; donc, qui croit en lui est éclairé: qui ne croit pas demeure dans la nuit. Ce n'est pas pour juger le monde, mais c'est pour le sauver que Jésus est venu sur la terre; cependant, si quelqu'un, après l'avoir entendu, ne croit pas, la parole qu'il aura entendue le condamnera au dernier jour; car cette parole est selon la volonté du Père, et cette volonté est immuable...

3348. (L. 19: 47, 48; Mc. 11: 18, 19; M. 21: 17.) Le peuple entier fut frappé d'étonnement, comme s'il eût entendu Jésus pour la première fois. Ceux qui n'avaient pas pris la ferme résolution de rester sourds aux appels du Seigneur, demeuraient, dit saint Luc, «suspendus à ses paroles.» Mais les principaux sacrificateurs, les scribes et les chefs, toujours plus irrités au contraire, ne pensaient qu'à le faire périr. L'exécution de leur affreux dessein devenait cependant de plus en plus difficile. À ce moment, l'enthousiasme était général, sans compter que le Seigneur avait toujours soin de quitter la ville avant la nuit. Ainsi, le soir du lundi, comme celui du dimanche, il regagna Béthanie ou tout au moins la montagne des Oliviers.


CCLIV. — Le mardi. La prière de la foi; parabole du père et de ses deux fils; celles des vignerons et du festin des noces; questions captieuses.


3349. De la dernière semaine de notre Seigneur, ce jour-ci est celui dont les événements nous sont racontés avec le plus de détails et où le Seigneur se montra sous les aspects les plus divers. Il faut dire aussi que ce fut proprement ce jour-là que Jésus termina son ministère auprès du peuple. Dès lors, et jusqu'à sa résurrection, nous ne le verrons plus qu'au milieu de ses disciples, ou, victime expiatoire, entre les mains du prince des ténèbres et de ses agents.

3350. (Mc. 11: 20-26; Matth. 21: 20-22.) Reparti de Béthanie, le mardi matin, notre Seigneur passa près du figuier maudit la veille. Les disciples s'étonnèrent, non pas de ce qu'il s'était flétri, ce qui avait eu lieu sous leurs yeux mêmes, mais de ce que l'arbre était déjà sec jusqu'à ses racines, car rien n'est vivace comme la racine du figuier. Alors Jésus leur donna l'enseignement qu'il avait prémédité. Les apôtres recevront pour mandat d'opérer des merveilles plus grandes que le transport d'une montagne dans la mer; car, au seul moyen de la parole, ils convertiront des âmes par milliers. Or, le Seigneur leur annonce que s'ils se portent à cette œuvre avec une pleine foi, ils y réussiront infailliblement. Mais sa promesse s'étend plus loin. Il nous est permis d'y voir la garantie générale de l'exaucement des prières de la foi: j'entends les prières par lesquelles on demande, avec une entière confiance, l'accomplissement de ce que Dieu a promis. Car si l'on demande, même avec une grande foi, ce que Dieu n'a pas dit qu'il voulût faire, on n'est pas plus dans la prière de la foi que si l'on demandait, sans y croire réellement, ce qu'il a promis de la manière la plus formelle. Puis, remarquez comment notre Seigneur rappelle une des dispositions les plus essentielles à la prière [2896]. C'est qu'au fond, là où il n'y a pas de charité, il n'y a pas de foi non plus.

3351. (L. 20: 1-8; M. 21: 23-27; Mc. 11: 27-33.) Arrivé de bonne heure au temple et avant peut-être que la foule s'y fût toute rassemblée, le Seigneur se vit entouré par les principaux sacrificateurs et par les anciens du peuple, lesquels, s'enhardissant et faisant allusion aux événements de la veille, lui demandèrent par quelle autorité il faisait ces choses. Or, à des questions où la malveillance et la mauvaise foi sont évidentes, le mieux est souvent de répondre par quelque interpellation propre à embarrasser les agresseurs. C'est ce que fit Jésus. La question qu'il leur posa revenait à ceci: Vous savez très bien par quelle autorité j'agis, mais vous vous obstinez à ne pas vouloir le reconnaître.

3352. (Matth. 21: 28-32.) Cependant le Seigneur, dans sa bonté et dans sa fidélité, ne s'en tint pas là. Pour faire sentir à ces hommes égarés le crime et le danger de leur situation, il leur proposa deux paraboles dont le sens était si manifeste qu'ils n'eurent pas de peine le saisir, et cela d'autant moins que Jésus les mit lui-même sur la voie. D'abord la parabole de deux fils, dont l'un refuse d'obéir à son père, qui se repent et va travailler dans sa vigne; tandis que l'autre, après avoir dit oui, résiste de fait à la volonté paternelle; celui-là, représentant les pécheurs qui, longtemps rebelles aux appels de la grâce de Dieu, finissent par se convertir; celui-ci, les hommes qui s'estiment justes, honnêtes et pieux, ou ces âmes bien disposées, comme on s'exprime, qui ne manquent pas de bonnes intentions, qui paraissent consentir à tout ce qu'on leur dit de Dieu et de sa Parole, mais qui, en réalité, ne le servent nullement. Les premiers furent coupables, mais ils sont entrés enfin dans la bonne voie: c'est l'enfant prodigue; les seconds, semblables au fils aîné, se croient dans le vrai chemin, encore qu'ils soient perdus. Telle était la position des docteurs juifs. Ils pensaient appartenir à Dieu, parce qu'ils n'étaient ni païens ni proprement incrédules.

3353.(L. 20: 9-19; Matth. 21: 33-46; Mc. 12: 1-12.) La seconde parabole est celle des vignerons. Le pays de Canaan et les Juifs ses habitants, avec les saintes institutions que Dieu leur avait données, sont représentés sous l'image d'une vigne soigneusement close et plantée. Les vignerons sont les chefs du peuple: sacrificateurs, docteurs, anciens et scribes. Les serviteurs envoyés en divers temps par le Maître de la vigne, sont les anciens prophètes jusqu'à Jean-Baptiste. Quant au Fils, il est aisé de voir qui il est. — «Venez et tuons-le.» En ces mots, Jésus prophétise la catastrophe de plus en plus imminente qu'il avait annoncée nombre de fois, comme au reste bien des prophètes avant lui. — «Afin que l'héritage soit à nous;» c'est-à-dire afin que nous soyons nos propres maîtres, ce qui est encore à présent la vraie cause de l'incrédulité. Mais que fera le Seigneur de la vigne? «Il viendra;», car le jugement dont Dieu frappa trente-cinq ans plus tard la Judée fut comme un premier avènement du Seigneur [3273]; «il viendra, dis-je; il fera périr les vignerons, et il donnera la vigne à d'autres, la transportant à une nation qui lui fera mieux rendre ses fruits.» C'est ainsi que les Juifs seront rejetés et les Gentils appelés à leur place [233, 234].

3354. Le Saint-Esprit, parlant par la bouche d'Ésaïe, avait déjà comparé Israël à une vigne plantée et cultivée par les tendres soins de l'Éternel (Es. 5: 1-7); en sorte que les auditeurs de Jésus ne purent ignorer sur qui portaient les menaces de la parabole: «Qu'ainsi n'advienne,» s'écrièrent-ils donc. Mais lui, les ayant regardés, leur rappela les prophéties qui avaient annoncé l'incrédulité avec laquelle ils recevaient le Messie (Ps. 118, 22). Il ne les leur cite pas toutes; il ne choisit pas même les plus saillantes; mais celle qu'il cite est caractéristique, et nous verrons les apôtres la reproduire, plus tard, à diverses occasions. Après quoi, le Seigneur, ne voulant laisser aucun doute dans l'esprit de ses adversaires, leur dit positivement que c'était d'eux en effet qu'il avait voulu parler. On comprend quelle dut être leur rage: la crainte seule du peuple put les empêcher de se saisir à l'heure même de notre Sauveur.

3355. (Matth. 22: 1-14.) À cette parabole succéda celle des noces; semblable à la parabole du souper, que nous avons vue ailleurs (Luc 14: 16-24) [3219], différente toutefois par plusieurs côtés importants. Ici, notre Seigneur entre dans moins de détails sur les motifs qu'on allègue pour repousser les appels de la grâce de Dieu; mais cette parabole dit plus nettement à quoi l'on s'expose en agissant de la sorte, elle a d'ailleurs pour point de départ, comme l'autre, l'incrédulité des Juifs; puis, elle est remarquable par les développements qu'y reçoit la prophétie.

3356. Voici donc ce qui doit se passer sous l'économie évangélique. Il y a un royaume spirituel et céleste dont l'Éternel, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, est le monarque. Jésus lui-même, l'Éternel notre Rédempteur, l'époux de l'Église, est le Fils, l'héritier, le possesseur de ce royaume, et tout le but de sa mission, comme Christ, est de s'acquérir par ses souffrances les âmes que le Père lui a données, et qui, dans leur ensemble, composent son Église. Par un effet de l'alliance traitée avec leurs ancêtres, les fils d'Israël, invités aux noces depuis longtemps, furent aussi les premiers à qui Jésus ait dit par Jean-Baptiste et par ses apôtres, comme par les soixante et dix disciples envoyés devant lui: «Venez aux noces,» ou en d'autres termes: «Convertissez-vous et croyez à l'Évangile.» Mais vous savez comment cet appel fut reçu par le plus grand nombre; car ceci était déjà de l'histoire au moment où Jésus prononçait la parabole. Voici maintenant la prophétie; vous remarquerez aisément qu'elle se rapporte à trois périodes différentes.

3357. Dans la première, le dîner est prêt, la victime a été immolée; Jésus a tout accompli, et, malgré le refus des anciens invités, il daigne encore les solliciter par ses messagers; c'est ce qu'il a fait au moyen des apôtres, après son ascension. Mais, au lieu de se convertir, le gros de la nation s'obstinera dans son incrédulité. Loin de se rendre à la voix des prédicateurs de l'Évangile, les enfants d'Israël les persécuteront à outrance. Aussi le roi enverra ses armées contre eux; il fera périr ces meurtriers et brûlera leur ville; oracle qui s'est accompli d'une manière merveilleuse, lorsque Jérusalem fut consumée par un incendie à effrayer ceux mêmes qui auraient dû s'en réjouir, je veux dire les Romains, dont l'armée investissait depuis deux ans la sainte cité. Ce fut alors surtout que, la réjection des Juifs ayant été rendue manifeste, le règne de Dieu fit de grands progrès parmi les nations, et que le grain de sénevé se mit à devenir un grand arbre. «Méchants et bons» entrèrent dans la salle des noces, et ainsi se forma une assemblée ou une Église considérable, mais naturellement fort mélangée. C'est la seconde période de la prophétie, celle où nous vivons présentement et qui dure depuis bientôt dix-huit siècles.

3358. Mais voici une nouvelle phase du royaume des cieux. Le roi en personne paraîtra dans l'assemblée qui se compose de tous ceux que «ses esclaves» auront admis aux noces. Assisté de «ses serviteurs,» les anges, selon une autre parabole (13: 49), il séparera ses élus, reconnaissables à la robe de noces qui a remplacé leurs vêtements pauvres et déguenillés. Cette robe de noces, telle que la belle robe donnée à l'enfant prodigue, représente la foi et les saintes dispositions dont la foi est le principe. Selon l'usage des grands, en ces temps anciens, c'était l'époux lui-même qui donnait aux invités leurs habits de fête. D'où vient donc qu'il se trouve là, parmi les convives, un individu qui n'a pas la robe de purification et de pieuse joie? C'est qu'il ne l'a pas demandée en entrant, c'est qu'il s'est cru suffisamment vêtu par sa propre justice, c'est qu'au fond il a méprisé Celui qui avait daigné le convier. Aussi aura-t-il la bouche fermée, lorsque le Roi lui dira, non pas «mon ami,» comme portent la plupart des versions; mais «compagnon!» toi qui as voulu être de ma compagnie et de mon assemblée, «comment es-tu entré ici, sans avoir une robe de noces?» Ah! mes chers lecteurs, qu'il sera terrible et juste tout à la fois de se voir lier les pieds et les mains, et jeter dans les ténèbres de dehors, pour n'avoir pas voulu se revêtir de la parfaite justice de Jésus-Christ!

3359. (M. 22: 15-22; Mc. 12:13-17; L. 20:20-26.) Les pharisiens, qui s'étaient retirés un moment pour délibérer sur ce qu'il y avait à faire, comprirent que leur meilleure politique était de compromettre Jésus auprès du peuple, ou auprès du magistrat romain qui gouvernait la Judée. S'ils parvenaient à séparer le peuple de Jésus, il leur serait facile d'entreprendre contre lui tout ce qu'ils voudraient; si, à défaut de cela, ils pouvaient l'entraîner à quelque propos séditieux ou à quelque révolte contre l'autorité, ils connaissaient assez les Romains pour savoir que rien n'arrêterait leur vengeance. C'est pourquoi nous les voyons revenir avec les hérodiens, leurs ennemis personnels mais chauds partisans de l'empereur, dans l'intention de tendre à Jésus un piège auquel il ne semblait pouvoir échapper. Car s'il exhortait à payer le tribut, on se hâterait de le représenter au peuple comme un mauvais Juif, peu jaloux de l'indépendance de sa patrie; s'il autorisait à ne pas le payer, il serait aussitôt dénoncé au gouverneur. Pour le dire autrement, on voulait qu'il prît parti en politique; or, quelque parti qu'il embrassât, il y avait de quoi perdre, ou son autorité ou sa personne.

3360. La réponse du Seigneur est admirable. Non seulement elle ne donnait aucune prise à ses adversaires, mais encore elle établit une grande vérité qu'on n'a que trop souvent oubliée. Les princes ont, quant aux choses de ce monde, un pouvoir auquel les disciples de Jésus-Christ doivent se soumettre sans hésiter; mais par-dessus l'autorité des princes et des lois humaines, domine l'autorité souveraine de Dieu. En sorte que nous sommes tenus d'obéir en même temps et à César et à Dieu. Or, pour que la chose soit possible, il faut manifestement, nul prince n'étant infaillible, que les lois civiles n'entrent pas dans le domaine de la religion. Celui-ci appartient exclusivement au Seigneur, et, à moins que César ne soit le simple exécuteur des lois proclamées par l'Éternel lui-même, ce qui ne s'est vu que sous la théocratie judaïque, il faut que le spirituel soit tenu à part du temporel, que l'Église se gouverne elle-même par la Parole de Dieu, laissant l'État se régir par ses propres lois. C'est alors que, sans confusion et sans conflit, on peut tout à la fois rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.

3361. (M. 22: 23-33; Mc. 12: 18-27; L. 20: 27-38.) Aux pharisiens succédèrent les saducéens, matérialistes et moqueurs, qui crurent embarrasser Jésus en lui posant un problème au sujet du relèvement des morts, ou de la résurrection. Partant d'une loi de Moïse que mes lecteurs connaissent (Deut. 25: 5-10), ils lui contèrent une histoire qui a tout l'air d'une fable, mais que le Seigneur accepta telle qu'on la lui proposait, par la raison précisément qu'elle lui fournissait d'autant mieux l'occasion de confondre ces impies. Il le fait de deux manières: d'abord, en leur montrant qu'ils se formaient une idée grossièrement absurde de l'état des hommes après la résurrection; puis, en leur citant, dans Moïse même, une parole de Dieu qui suppose nécessairement que les morts revivront, car ils ne cessent même pas de vivre quant à Dieu. Nous donc, notons bien ces deux points: ceux qui auront part à la glorieuse résurrection des enfants de Dieu seront comme les anges dans le ciel, et pour obtenir cette grâce, il faut vivre de la foi qui anima les patriarches Abraham, Isaac et Jacob.

3362. (M. 22: 34-40; Mc. 12: 28-34; L. 20: 39.) Alors un scribe, docteur de la loi, vint à son tour adresser une question à laquelle il pensait peut-être que Jésus ne saurait répondre sans amener une discussion dont il se promettait de sortir vainqueur. «Quel est le plus grand commandement de la loi?» Cédant à la tendance générale de l'humanité, et plus excusables que beaucoup d'autres peuples, les Juifs plaçaient les lois cérémonielles au-dessus de tout. Observer scrupuleusement les formes du culte établi par l'Éternel leur paraissait le devoir suprême. Nous penserions probablement comme eux, si le Seigneur ne nous eût pleinement éclairés sur ce point; car, même après cela, combien d'hommes qui se font les idées les plus fausses des fondements de la morale. Selon notre Seigneur Jésus-Christ, la loi tout entière et la sagesse des prophètes reviennent à ceci: Adore Dieu et n'adore que lui, te souvenant que l'essence de cette adoration consiste à aimer Dieu de tout ton cœur et ton prochain comme toi-même. Heureux ceux qui acceptent cette doctrine, comme le fit le docteur de la loi, car ils s'approchent par là du royaume de Dieu. Bientôt ils sentiront le besoin qu'ils ont de la grâce de Jésus-Christ, soit pour effacer leurs péchés envers Dieu et le prochain, soit pour répandre dans leur cœur, par le Saint-Esprit, l'amour du Seigneur et de leurs frères.

3363. (M. 22: 41-46; Mc. 12: 33-37; L. 20: 39-44.) Après avoir été interrogé de la sorte, Jésus voulut adresser aussi une question à ses interlocuteurs et ramener leur attention sur sa personne. Il s'agissait de savoir comment le Christ pouvait être à la fois le fils et le Seigneur de David, David lui attribuant cette dernière qualité dans le psaume 110. La question est d'une haute importance, car elle résume tout le mystère de l'incarnation divine; elle est comme la clef de la voûte dans l'œuvre de notre rédemption. Un enfant, parmi nous, n'éprouverait aucun embarras à la résoudre, parce que nous savons tous que Jésus est fils de David quant à son humanité, et Seigneur de David quant à sa divinité; mais elle embarrassa cruellement les docteurs auxquels Jésus s'adressait, et dès ce moment ils n'osèrent plus l'interroger.


CCLV. — Apostrophe aux pharisiens. La pite de la veuve. Grande prophétie.


3364. (M. 23: 1-39; Mc. 12: 38-40; L. 20: 45-47.) Quand on pense à tout le mal qu'avaient fait les pharisiens par leurs doctrines relâchées et par leur formalisme; quand on voit la haine profonde que leur orgueil portait au Seigneur Jésus; quand on sait l'acharnement avec lequel ils poursuivirent plus tard ses rachetés, et qu'on réfléchit au grand nombre d'individus qui, de siècle en siècle, ont continué, sous d'autres noms, l'odieuse secte des pharisiens, on ne s'étonne pas que notre Seigneur, avant de terminer son ministère, ait attiré de nouveau sur leurs personnes et sur leur système, l'attention du peuple et celle de ses disciples. II fallait ouvrir les yeux de la multitude; il n'importait pas moins de prémunir contre l'esprit et les tendances pharisaïques, l'Église qui allait se former. Sans prétendre que Matthieu n'ait été conduit par le Saint-Esprit à reproduire ici quelques traits de discours prononcés antérieurement, il n'est point impossible que le Seigneur lui-même ne se soit répété, afin de mieux graver son enseignement dans le cœur de ceux qui déjà l'avaient entendu, sans parler de ses nouveaux auditeurs.

3365. Encore que les pharisiens défigurassent la loi de Moïse par leurs traditions, ils ne laissaient pas de la proposer au peuple; c'est pourquoi le Seigneur invite d'abord ses auditeurs à observer leurs paroles pour autant qu'elles étaient conformes à la Parole de Dieu, cela va sans dire, mais en même temps à ne pas imiter leur conduite. Que faisaient-ils en effet? Par une ignorance volontaire de la miséricorde divine et de la rédemption prophétisée à leurs pères, ils ne prêchaient que la loi. À cette loi parfaite, ils ajoutaient une foule d'observances de leur invention, fardeau qu'ils liaient sur les épaules des hommes et qu'ils n'avaient garde de porter eux-mêmes. Cependant, ils accomplissaient certaines œuvres de dévotion; mais c'était par pure politique, car il leur importait de paraître pieux, afin d'exploiter à leur profit les superstitions populaires. Ainsi, ils se distinguaient de la foule par la largeur des bandes de parchemin qu'ils attachaient à leur bras gauche ou à leur front, lorsqu'ils se mettaient à prier, et par l'ampleur des franges de leurs robes (Nombr. 15: 38 et suivants). Mais que tout cela eût pour principe l'orgueil et non pas une vraie piété, c'est ce que prouvait l'arrogance de leurs prétentions.

3366. Il suffit de connaître quelque peu l'histoire de l'Église pour savoir que l'esprit des pharisiens ne s'est pas éteint avec eux. On a vu et l'on voit encore des hommes qui cachent sous les dehors d'une fausse dévotion, les mêmes vices et les mêmes vues mondaines. Us portent aussi des vêtements qui les séparent du commun des mortels; ils cherchent les salutations et les hommages d'un peuple abusé; il faut qu'ils aient partout les premières places, et ils se font appeler docteurs, révérends pères, directeurs, justement ce que le Seigneur a défendu. Les noms, il est vrai, n'importent guère; aussi est-ce la chose plus que le mot que notre Seigneur a condamnée. En conséquence, il n'est rien dont ses disciples, quels qu'ils soient, doivent plus se garder que de prendre sur les âmes une autorité qui appartient au Seigneur seul, ou de soumettre leur propre conscience à la parole et aux vues particulières d'un homme, quelle que soit l'apparente humilité dont il se revête. Ceci, on le conçoit, peut très bien se faire, tout en rendant à ses conducteurs spirituels et généralement aux chrétiens distingués par leur foi et par leurs lumières, le respect et la déférence qui leur sont dus.

3367. D'après ce qu'étaient les pharisiens, nous ne saurions nous étonner des maux dont le Seigneur les menace pour la dernière fois. Des hommes qui, faisant monopole des choses saintes, fermaient à leur prochain les avenues de la vérité et marchaient eux-mêmes dans le chemin de l'erreur, conséquence inévitable de leur criminelle audace; des hommes qui, sous prétexte de piété, ne songeaient qu'à accumuler de l'argent; qui s'efforçaient par tous les moyens, non pas de convertir les âmes, mais de se faire des prosélytes; qui, à force de subtilités, parvenaient à appeler le mal bien et le bien mal; qui se montraient pleins de zèle pour les moindres observances et pleins de relâchement dans l'accomplissement des plus grands devoirs; qui sanctifiaient les dehors de leur vie et demeuraient au dedans rongés de passions honteuses; des hommes enfin dont les mains s'apprêtaient à verser le sang du Saint et du Juste, comme leurs pères avaient répandu celui de maints prophètes; de tels hommes assurément ne pouvaient qu'attirer la malédiction divine sur la ville coupable dont les habitants se laissaient conduire par eux! Voilà ce que le Seigneur avait déjà proclamé plus d'une fois, et ce qu'il voulut répéter en cette occasion solennelle.

3368. Solennelle en effet, car notre Seigneur allait cesser de faire entendre sa voix dans le saint lieu. Lorsqu'il avait, quelques mois auparavant, prononcé la même prophétie contre Jérusalem, il se trouvait éloigné de la ville, objet de ses divines menaces, et il n'avait pas pour auditoire, comme cette fois, le peuple entier de cette coupable cité. On aurait pu croire que sa parole s'était accomplie lors de son entrée triomphale [3333], car on l'avait précisément salué par les cris mille fois répétés de: «Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur!» Afin donc de montrer que la prophétie avait un sens différent et se rapportait à un temps plus éloigné, il la reproduit au moment où il sort du temple pour n'y plus rentrer, et il ajoute un mot qu'il n'avait pas dit la première fois: «Vous ne me verrez plus dès maintenant...»

3369. (L. 21: 1-4; Mc. 12: 41-44.) Jésus, se retirant du temple, s'assit un moment près du trésor, dans le parvis consacré aux femmes, et il se plaisait à voir l'empressement avec lequel chacun déposait ses offrandes volontaires pour l'entretien du temple. Les riches apportaient beaucoup d'argent sans doute, mais il leur en restait plus encore qu'ils n'en donnaient; c'est pourquoi Jésus fit remarquer à ses disciples une pauvre veuve qui jeta dans le tronc un quart de sou et dont l'offrande était réellement supérieure à celle des riches. Il savait, notre Seigneur, que son Église compterait plus de pauvres que de gens opulents, et il a voulu encourager ceux qui, ayant peu, ne sauraient donner à Dieu de grandes sommes. Qu'il est touchant de le voir couronner de cette manière les enseignements d'une si grande journée! Comme on apprend toujours mieux de quel prix sont à ses yeux les petits et les humbles! Et puis, quel encouragement à faire pour lui, pour son service, tout ce qui est en notre pouvoir, quand même ce que nous pouvons n'est jamais, hélas! que fort peu de chose!

3370. (L. 21: 3-7; M. 24: 1-3; Mc. 13: 1-4.) Jésus sortit enfin des cours du temple, et, comme il s'en allait, ses disciples lui firent remarquer la splendeur des matériaux qu'Hérode avait employés pour la restauration de cet édifice, et la magnificence non moins grande des ornements dont la générosité des riches l'avait décoré. L'un d'eux surtout insistant là-dessus, Jésus lui dit, mais en s'adressant à tous: «Vous admirez cela! Les jours viendront où il ne sera laissé pierre sur pierre qui ne soit démolie.» Puis, quand ils furent sur la montagne des Oliviers, où l'on avait en face de soi le mont de Morija et les majestueux édifices qui le couronnaient, Pierre, Jacques, Jean et André lui demandèrent quand ces choses auraient lieu et quel serait le signe de sa présence et de la consommation du siècle? Ils unissaient dans leur pensée, et avec raison, la parole qu'ils venaient d'entendre à celle que Jésus avait prononcée avant de sortir du saint lieu (Matth. 23: 37-39). Jérusalem sera désolée et le temple détruit de fond en comble; après quoi, le Seigneur reparaîtra au milieu des siens! Mais à quelle époque ces jugements et ce retour triomphal auront-ils lieu? Quel rapport existe-t-il entre ces événements et la fin du monde? C'est pour répondre à cette double ou triple question que notre Seigneur fit entendre à ses disciples une de ses plus belles prophéties, complément d'une prophétie précédente (Luc 17) et qu'on pourrait appeler, par excellence, la prophétie du mont des Oliviers.

3371. (L. 21: 8-36; M. 24: 4-51; Mc. 13: 5-37.) Le Seigneur ne voulant pas dire le temps précis de sa dernière venue, se borne à tracer un tableau général des faits qui devaient s'accomplir auparavant et qui, par leur nature même, seraient propres à remettre en mémoire ce grand jour, à le figurer d'avance, à le préparer. D'abord il s'élèvera de faux Christs, par lesquels beaucoup d'âmes seront séduites. Or, ces faux Christs désignent, ou des hommes, tels qu'il y en a eu, qui se sont donnés pour le Messie, ou des docteurs qui, au nom de Jésus, prêchèrent un faux Christ, c'est-à-dire un faux Évangile. À l'intérieur de l'Église, voilà donc les maux qui, avant le retour glorieux du Seigneur, menaceront son existence. Au-dehors et dans le monde, des guerres et des tremblements de terre, des pestes, des famines; en sorte qu'il ne faudra pas attendre de longtemps le règne de paix et de prospérité prédit par les prophètes comme coïncidant avec le règne du Sauveur [2183]. Il ne fallait pas non plus que les disciples s'imaginassent, à la vue de ces désordres, que la fin était là; car tous ces jugements de Dieu sont peu de chose en comparaison de ceux qui précéderont «la consommation du siècle.» Alors, dit Luc, des événements épouvantables se passeront sur la terre, et il y aura de grands signes dans le ciel (Luc 21: 11).

3372. Avant tout cela, savoir dès les premiers jours de l'économie évangélique; bien longtemps donc avant le retour glorieux du Seigneur, les prédicateurs du salut se verront traînés devant les conseils, devant les tribunaux civils et ecclésiastiques, devant les gouverneurs des provinces et même devant les rois; ils seront battus de verges, jetés en prison, conduits à l'échafaud, à cause de Jésus. Cela même leur serait un témoignage de la véracité du Seigneur et de la méchanceté du monde, tandis qu'ils rendront ainsi témoignage à Dieu devant le monde par leurs souffrances mêmes. C'est dans ces circonstances que la bonne nouvelle sera prêchée à toutes les nations et alors seulement viendra la fin. En attendant, que les messagers du Seigneur ne se croient pas abandonnés par lui. Il leur donnera une bouche [640] et une sagesse qui confondront leurs adversaires, car c'est par le Saint-Esprit qu'ils parleront. Il est vrai qu'ils auront pour ennemis leurs plus proches parents; qu'en des temps postérieurs ils auront à lutter contre de faux prophètes, tels que le pape et Mahomet; que l'iniquité se multipliera dans le monde et que même l'amour se refroidira chez un grand nombre de chrétiens: il est vrai, pour tout dire en un mot, qu'ils seront haïs de toutes les nations à cause du nom de Christ; mais, comme Jésus l'avait dit ailleurs, sa protection ne laisse pas d'être assurée à ses serviteurs dans les moindres détails de la vie, jusqu'à un cheveu (Luc 12: 7); par où il n'entend pas assurément que jamais aucun mal ne les atteindra, puisqu'il leur annonce au contraire des persécutions, même sanglantes: mais ce ne sera toutefois que s'il le permet et il leur tiendra compte de leurs moindres souffrances, pensée bien propre à les faire persévérer jusqu'à la fin, pour l'entière possession du salut.

3373. Parmi les événements avant-coureurs des derniers jugements de Dieu et du retour de Jésus-Christ, il ne devait pas y en avoir de plus frappants, ni qui dussent produire une impression plus durable, que la destruction de Jérusalem. C'est pourquoi nous voyons notre Seigneur revenir là-dessus, en répétant d'une manière plus expresse ses prophéties précédentes, et en rappelant que ce grand jugement de Dieu avait été prédit autrefois, notamment par le prophète Daniel (9: 26). Ici donc, il nous est déclaré que Jérusalem sera cernée par de puissantes armées; que la Judée entière se verra dévastée; qu'il n'y aura d'autre moyen que la fuite pour échapper à la ruine commune; qu'ainsi s'accompliront, dans toute leur étendue, des prédictions qui n'avaient été qu'à demi réalisées six cents ans auparavant [2306, 2492]; que l'épée n'épargnera ni les femmes ni les enfants à la mamelle; que les Juifs échappés à ce désastre seront dispersés et opprimés parmi tous les peuples, et que Jérusalem sera foulée aux pieds, occupée, tyrannisée par les nations, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de nations étrangères à l'Évangile. Et le Seigneur ajoute que, même après de tels jugements, démonstration pourtant si manifeste de sa divinité, il y aurait encore de faux Christs et de faux prophètes. C'est pour la troisième fois que le Seigneur reproduit ce trait dans cette même prophétie, et cela après avoir prononcé un oracle tout pareil dans une autre circonstance (Luc 17: 33, 34). Mais il insiste ici particulièrement sur les miracles par lesquels les faux Christs et les faux prophètes chercheront à séduire les élus mêmes, si la chose était possible; puis il ajoute: «Pour vous, prenez-y garde; voici, je vous ai tout prédit.» Il répète encore une parole qui doit constamment prémunir les fidèles contre les séductions de ceux qui disent: Le Christ est ici, ou le Christ est là; savoir que son apparition sera subite et évidente comme celle d'un éclair (Luc 17: 24). Bien plus, elle se fera pour le monde entier tout à la fois, car «partout où est le corps mort, là s'assemblent les aigles (Luc 17: 37).

3374. Plusieurs siècles se sont écoulés dès lors et bien des années s'écouleront peut-être encore jusqu'au grand et dernier jugement. Cependant le Seigneur en parle ici comme s'il eût été fort proche. C'est non seulement parce que mille ans sont aux yeux du Seigneur comme un jour (2 Pierre 3: 8), mais encore parce que la prophétie se rapporte à une série d'événements qui se sont succédé et se succéderont, toujours semblables et toujours nouveaux, jusqu'à la venue du Sauveur. Il a donc voulu que chaque génération de ses disciples vécût dans l'attente de ce jour. Quant à la manière dont il se passera et aux événements qui l'annonceront, notre Seigneur ne nous en dit ici que peu de mots. Il y aura sur la terre des calamités jusqu'alors inouïes. «Le signe du Fils de l'homme» paraîtra dans le ciel, sans qu'on puisse déterminer exactement ce que sera ce signe, à moins qu'il ne faille simplement entendre la merveille même de l'apparition du Seigneur dans sa gloire. Venant sur les nuées des cieux, il rassemblera ses élus de tous les pays et de tous les siècles et ce sera la grande journée prédite par tous les prophètes, jour de destruction pour les adversaires, jour de délivrance pour les enfants de Dieu.

3375. (L. 21: 28-36; M. 24: 32-51; Mc. 13: 28-37.) Or, s'il a plu au Seigneur de nous révéler cet avenir, à la fois si sombre et si glorieux, ce n'est pas pour donner une vaine pâture à notre curiosité. Vous en pouvez juger par les exhortations dont il entremêle sa prophétie, et encore plus peut-être par celles qui la terminent. Écoutez-les en effet, et vous y apprendrez dans quel sentiment les fidèles doivent voir se dérouler devant eux les catastrophes annoncées ici par le Seigneur. Il faut qu'ils regardent en haut et qu'ils lèvent leurs têtes, car chacune de ces calamités est un pas de plus vers la délivrance. Lorsque les apôtres essuyèrent leurs persécutions, c'étaient, selon la parabole, les feuilles du figuier qui poussaient. Il en fut de même quand vinrent de faux Christs, puis la destruction de Jérusalem, événements qui eurent lieu du vivant de cette génération. Feuilles du figuier, tout cela; et les traits de la prophétie qui s'accomplissent en nos jours ne sont pas autre chose non plus. Mais la pousse des feuilles annonce, bien que de loin, la saison qui amène le fruit à maturité, et les jugements de Dieu dont nous sommes les témoins, proclament le jugement final qui doit s'exercer sur ce monde. Les cieux et la terre finiront par une dernière et sublime catastrophe, mais les paroles de Jésus sont permanentes à jamais. Quant au jour et à l'heure, le Père seul les connaît; profond mystère sur lequel nous devons moins nous arrêter, que sur les conséquences pratiques dont nous trouvons l'exposition dans le discours même de notre Seigneur. Ne pas se laisser appesantir par la gourmandise, par l'ivrognerie et, remarquez-le bien, par les soucis de la vie, ne pas faire comme les hommes du temps de Noé, de peur d'être «pris» par le jour de Christ comme par un filet; veiller et prier en tout temps; se tenir prêt comme le ferait un maître de maison s'il savait que des larrons doivent venir l'attaquer, ou comme des esclaves qui attendent leur maître à toutes les heures de la nuit; éviter de passer sa vie à se disputer avec ses semblables ou à rechercher les jouissances du présent siècle; s'acquitter au contraire fidèlement de la tâche qui nous est dévolue dans le service de notre Maître: voilà ce qui est de devoir strict pour quiconque croit que le Seigneur reviendra certainement, afin de rendre à chacun selon ses œuvres: à ceux qui auront veillé et prié, la vie éternelle; à ceux qui se seront endormis ou livrés au désordre parce que le Maître ne venait pas, les pleurs et les grincements de dents.


CCLVI. — La parabole des vierges, celle des talents et celle des brebis et des boucs.


3376. (Matth. 25: 1-46.) Représentez-vous notre Seigneur assis avec ses disciples sur la montagne des Oliviers. Déjà, sans doute, le soleil s'était couché dans la mer Méditerranée; mais la lune, levée sur les (Matthieu 25: 1-13.) monts de Galaad, brillait avec éclat et jetait sa lumière mystérieuse sur la ville de Jérusalem. Il n'y avait plus que deux jours jusqu'à la fête de Pâque. Ce fut donc par une belle soirée du printemps que le Seigneur Jésus eut ces entretiens solennels avec ceux qu'il avait destinés à devenir les dépositaires de sa doctrine. Après leur avoir fait entendre des prophéties provoquées par leurs questions mêmes, il continue de les exhorter à la vigilance, en leur parlant encore de ce qui se passerait au jour de sa venue. Il y consacre trois paraboles que nous examinerons successivement, nous réservant de les rapprocher les unes des autres, à la fin de cette Étude.

3377. (1-13.) Les personnes dont se compose le royaume des cieux ici-bas, sont comparées par le Seigneur à dix jeunes filles qui, selon l'usage de ces temps, attendraient l'arrivée de l'époux d'une de leurs amies. Tous les chrétiens savent, en effet, que selon les Écritures, Jésus-Christ doit revenir un jour pour juger les vivants et les morts. La lampe que chaque vierge tient en sa main, c'est donc la profession de l'Évangile, ou la foi, prise dans le sens général que ce mot reçoit de temps en temps [2747]. Celles qui n'ont pas d'huile dans leur lampe, représentent les chrétiens de nom, gens dont toute la foi est en paroles et en apparence; les vierges sages représentent au contraire les personnes qu'anime une foi vivante, par l'onction du Saint-Esprit. Si l'on voit, dans la parabole, les dix vierges s'assoupir en attendant l'Époux, ce n'est pas à dire que les fidèles puissent réellement oublier le jour de Christ au même point que ceux dont la foi n'est qu'apparente. Mais il est vrai qu'il y a souvent pour eux aussi des temps de relâchement; il est vrai que l'incertitude qui plane sur l'instant de notre rencontre avec le Seigneur, produit quelque vague dans l'attente que nous avons; en sorte que la vigilance habituelle des meilleurs chrétiens est comme une espèce do sommeil, en comparaison de ce qui leur arrive, quand le Seigneur, par quelque coup subit ou par le réveil de la piété, les avertit que sa venue approche.

3378. Quoi qu'il en soit, le fidèle ne saurait être pris au dépourvu, par la raison qu'il a de l'huile dans sa lampe; tandis que, si les autres ont pu se faire longtemps des illusions sur leur état, ces illusions doivent tomber au moment où le Seigneur les sommera de paraître devant lui. Ils verront alors que ce qui sauve, ce n'est pas une foi nominale, mais une foi réelle; que cette foi, c'est le Seigneur seul qui la donne; qu'il sera trop tard de la vouloir au jour de sa venue; et, comme nul de nous ne sait à quelle heure le Seigneur arrivera, il nous faut dès à présent rechercher sa grâce, si nous n'en jouissons pas encore, et, dans l'attente de son retour, nous tenir éveillés.

3379. (14-30.) Il est facile de voir la grande ressemblance qui existe entre la parabole des mines ou des marcs (Luc 19: 11-27), et celle des talents, tout comme les rapports qui unissent celle-ci à la parabole des vierges. Les mêmes personnes qui, tout à l'heure, avaient pour symbole les vierges sages, reparaissent ici sous l'image d'esclaves auxquels leur maître remit, en partant, diverses sommes et qui les firent valoir à son profit; tandis que les vierges folles ont pour pendant un esclave qui, n'ayant qu'un talent, l'a enfoui, comme dans la parabole des marcs. C'est toujours la foi vivante opposée à la foi morte. Or, noire Seigneur, après avoir établi, par la similitude des marcs, que la foi vivante, savoir le regard du cœur vers Jésus-Christ, est au fond la même chez tous ceux qui croient véritablement, nous montre ici qu'elle est, en chacun, plus ou moins éclairée, plus ou moins ardente, plus ou moins ferme, plus ou moins efficace: à l'un cinq talents, à un autre deux. Il nous annonce de plus que ceux dont la foi aura fructifié avec le plus d'abondance, recevront de la grâce de Dieu une plus grande rémunération, encore que, pour l'essentiel, il y ait entre tous les croyants une grande égalité, puisqu'ils entendront tous ces excellentes paroles: «Bien! esclave bon et fidèle; tu as été fidèle en peu de chose, je t'établirai sur beaucoup; entre dans la joie de ton Seigneur.» Quant à ceux dont la foi aura été stérile, parce qu'elle n'était pas la véritable, ce qu'ils paraissaient avoir leur sera ôté, et leur part sera avec les incrédules dans les ténèbres de dehors, où sont les pleurs et les grincements de dents [413].

3380. (31-46.) La troisième parabole nous transporte plus complètement au dernier jour. Nous y voyons le Fils de l'homme dans son règne. Il est assis sur un trône. Les anges lui font un cortège magnifique, et toutes les nations sont assemblées devant lui pour recevoir leur jugement. Maintenant est venue l'heure de séparer l'ivraie du bon grain et de chasser de la salle ceux qui n'ont pas la robe de noces. C'est ce que va faire le Roi, ce roi, dis-je, qui est le berger des brebis. Il met à sa droite ceux que le Père lui a donnés (Jean 8: 37) et pour lesquels il a, de toute éternité, préparé une place dans son royaume céleste; ceux qui, étant justifiés par la foi, ont aimé leur Sauveur et lui ont témoigné cet amour en faisant du bien à ses frères, c'est-à-dire aux enfants de Dieu, malades, pauvres, voyageurs et persécutés. Mais quant à ces prétendus chrétiens qui, n'ayant jamais rien fait pour lui, montrèrent par là qu'ils ne croyaient réellement pas à son amour ni à son sacrifice, ils seront bannis de sa présence et réduits à l'état d'effroyable misère qui, pour toujours, est le partage de Satan et des anges de ténèbres; car il y a une punition éternelle, tout comme il existe une vie éternelle, et celle-ci ne peut appartenir qu'aux âmes devenues justes par une sainte et vraie foi.

3381. Pour reprendre ces paraboles dans leur ensemble, il est manifeste d'abord qu'elles se rapportent toutes les trois au jugement dernier; mais ce qui peut échapper au premier coup d'œil, c'est qu'il ne s'agit pas ici du jugement universel proprement dit. Bien qu'au verset 32, on voie toutes les nations assemblées devant le Seigneur, il ne peut être question que des hommes de toutes nations qui auront eu connaissance de l'Évangile et qui auront fait profession de le recevoir. Ils ne forment ensemble qu'un troupeau, et nous les avons déjà vus représentés par les vierges et les esclaves des deux autres paraboles. En général, il est à remarquer que si la Bible jette une vive lumière sur tout ce qui tient au jugement des peuples auxquels Dieu l'aura fait prêcher, elle parle peu du jugement des nations restées étrangères aux alliances divines. Cet admirable silence est facile à expliquer. La Bible ne satisfait en quoi que ce soit la vaine curiosité des hommes. Elle instruit ceux à qui elle s'adresse, mais elle ne leur parle guère que d'eux; et quand elle parvient à des peuples qui ne la possédaient point encore, elle est dès ce moment pour eux, comme pour les premiers dépositaires de ce trésor, une mine inépuisable d'avertissements et de consolations. Dans ces trois paraboles, il s'agit donc du royaume des cieux, comme il est dit au premier verset du chapitre, ou en d'autres termes du jugement des âmes auxquelles Jésus-Christ fut annoncé.

3382. On ne peut douter que ce jugement ne doive être rendu par Jésus-Christ lui-même, dans son humanité; et, quand on voit les images sous lesquelles il se désigne, on est obligé de reconnaître que nul n'est mieux qualifié pour cela. Non seulement il est le Fils de l'homme, et de cette manière notre pair et notre semblable, garantie de compassion et d'équité, mais encore il est l'époux de l'Église rachetée par son sang; il est le Seigneur auquel nous appartenons, comme des esclaves qui appartiennent à leur maître et lui doivent tout; il est enfin le Roi-Pasteur, destiné à régner éternellement sur le trône de David son père.

3383. Le jugement que rendra le Seigneur, comme tout jugement au reste, ne changera rien à l'état des choses; il ne fera que le constater et le corroborer. Ceux que le Seigneur recevra, récompensera, bénira, sont déjà reçus en grâce, enrichis des faveurs célestes et bénis d'en haut, par un effet de l'amour éternel du Père. Ils ont de l'huile dans leur lampe, ils font valoir leur talent, ils aiment leur Sauveur. Ils lui appartiennent donc dès à présent, et ils jouissent de tout le bonheur possible ici-bas. Le jour de la révélation de Jésus-Christ n'apportera pas dans leur situation un changement du tout au tout; il ne sera, pour eux, que la mise en possession des biens éternels dont ils jouissaient déjà par la foi. Quant aux autres, il en sera de même. Bien qu'en apparence près de Dieu, ils étaient loin de lui; enrichis de diverses grâces, ils n'en faisaient aucun usage; et, parce qu'ils n'aimaient pas, ils étaient malheureux. Au jour du Seigneur, ils se verront définitivement rejetés; les grâces dont ils jouissaient leur seront retirées; et, voués à une misère sans compensations, ce qui n'est pas leur cas maintenant, on ne voit pas ce qui pourrait mettre fin à cette misère.

3384. Qu'elle est saisissante et solennelle la déclaration par laquelle notre Seigneur termine ces trois paraboles! Dans quel religieux silence ceux qui l'entendirent ne durent-ils pas se lever pour descendre le mont des Oliviers et reprendre leur chemin du côté de Béthanie! Voici donc par quoi Jésus-Christ consomma les enseignements de cette grande journée: S'il y a une vie éternelle, il y a aussi une punition éternelle! Cette punition, le Seigneur la prononce en ces termes, dans la parabole des vierges: «Je ne vous connais point,» et dans celle des talents, par ces mots non moins terribles: «Ôté à l'esclave inutile, même ce qu'il a; jetez-le dans les ténèbres de dehors; là seront les pleurs et les grincements de dents.» Il n'y a rien à retrancher de ces paroles, et il n'y a rien non plus à y ajouter. Les croyez-vous, ô mes chers lecteurs? S'il en est ainsi, vous demanderez aux trois paraboles de vous dire par quoi donc vos âmes peuvent être mises, dès maintenant, à l'abri de la colère à venir.

3385. Elles vous répondront que ce n'est pas par la nue possession de l'Évangile (3), mais par une foi vivante, opération secrète et intime du Saint-Esprit (4). Quand on est animé de cette foi, l'on se consacre au service du Seigneur, et l'on a particulièrement à cœur la gloire de son nom (35, 36): les fruits qu'elle produit essentiellement sont des fruits de charité et d'humilité (37-39). Sur ce dernier point remarquez deux choses: d'abord, toute oeuvre de bienfaisance n'est pas un signe de vraie foi. Le Seigneur n'agrée que ce qui est fait pour lui et ce qu'on lui fait à lui-même dans la personne de ses rachetés. En d'autres termes, les œuvres de la foi supposent nécessairement la foi. Ensuite, ce ne sont pas ces œuvres qui nous sauvent, puisqu'elles ne viennent qu'après la foi par laquelle nous sommes sauvés, et puisque le royaume est préparé aux élus dès la fondation du monde (34). Cependant, si d'un côté c'est par la foi que nos péchés nous sont pardonnés et que nous sommes justifiés, c'est-à-dire tenus pour justes [291, 2984, 3299], on ne saurait oublier non plus que rien ne remplace les œuvres. Il faut que nous ayons une sainteté et une justice personnelles; mais cette justice elle-même est le fruit de la foi. En sorte que la foi en Jésus-Christ nous procure ces deux genres de justice: celle du pardon des péchés et celle de la sanctification. Elle nous justifie essentiellement en ce qu'elle nous fait tenir pour justes devant Dieu. Elle nous justifie aussi, l'on peut dire, en nous remplissant de justice et de sainteté.

3386. Croire en Jésus d'une foi vivante et efficace, d'une foi qui produise la vigilance, le dévouement au service du Seigneur et la bienfaisance envers ses rachetés, telle est donc la voie du salut, selon les enseignements uniformes de l'Évangile, enseignements résumés dans les trois paraboles de ce chapitre.


CCLVII. — Le mercredi. Conseil tenu par les Juifs. Souper à Béthanie. Jésus lave les pieds de ses disciples. Il annonce la trahison de Judas et le reniement de Pierre.


3387. (L. 21: 37, 38; 22: 1, 2; M. 26: 1-5; Mc. 14: 1,2.) Durant les jours qui venaient de s'écouler, le Seigneur, nous dit saint Luc, avait passé tout son temps dans le lieu sacré; et, sortant de Jérusalem sur le soir, il s'était chaque fois retiré sur la montagne des Oliviers, soit à Béthanie, soit en quelque lieu solitaire. Il n'y avait plus que deux jours jusqu'à la Pâque, c'est-à-dire jusqu'au jour où commençait la solennité. Ce devait être le 12 ou le 13 de Nisan, correspondant, cette année-là, à notre mercredi. Il paraît que Jésus passa la journée à Béthanie, dans l'intimité de ses disciples, auxquels il annonça positivement que sa mort, ou pour mieux dire, son sacrifice, coïnciderait avec la fête. Ce n'était pas cependant la pensée de ceux qui s'apprêtaient à immoler la sainte victime; non que ce ne fût leur désir, car ils conféraient fréquemment à cette intention. Ce même ils s'assemblèrent chez Caïphe pour en délibérer; mais ils craignaient le peuple, et ils décidèrent qu'on emploierait la ruse et non la violence pour s'emparer de Jésus. Ils résolurent en outre de laisser auparavant écouler la Pâque, afin que la ville se vidât du peuple des campagnes, particulièrement favorable au prophète de Nazareth. Voilà ce qu'ils étaient réduits à comploter; mais Satan les servit au-delà de leurs espérances.

3388. (J. 13: 1, 2; L. 22: 3.) Pendant que les ennemis du Seigneur méditaient leurs sinistres projets et que leurs cœurs se nourrissaient de haine, lui, au contraire, sachant que l'heure de passer à son Père était venue, redoublait de témoignages d'affection envers ceux qu'il lui avait donnés; pécheurs bénis qu'il aima dès le moment où ils se joignirent à lui, ou plutôt qu'il avait aimés avant que le monde fût fait et qu'il doit aimer éternellement. Car tel est le caractère de l'amour du Seigneur envers les siens: rien ne saurait l'altérer ni le diminuer. Ce n'est pas un attachement à la manière des hommes: «Ceux qu'il aima dès le commencement, il les aime jusqu'à la fin.»

3389. La journée s'étant passée en des entretiens, des occupations et des prières que l'Évangile ne nous rapporte pas, le moment du souper arriva; c'était le principal repas et il se faisait vers le soir. Jésus se mit à table avec les siens, comme de coutume; mais ce repas allait avoir quelque chose de particulièrement solennel. — Tous étaient là; Judas Iscariot aussi bien que les autres; mais l'Évangile nous apprend que Satan avait déjà mis en son cœur de livrer Jésus entre les mains de ses ennemis. Judas, l'un des douze, était celui auquel notre Seigneur avait fait allusion précédemment, en des termes destinés à diminuer, pour les disciples, l'horrible scandale qui allait les épouvanter (Jean 6: 70, 71). Judas, semblable aux vierges folles, n'avait point d'huile dans sa lampe. Au dehors, il semblait partager la foi des onze autres; mais son cœur était plein d'avarice, et vous savez que nul ne peut être esclave de deux seigneurs (Matth. 6: 21). Comme la passion de Judas nous est révélée pour la première fois dans l'histoire de Marie et du parfum dont elle oignit Jésus [3328], Matthieu et Marc rapportent seulement ici cette circonstance intéressante, bien qu'elle se fût passée quatre jours auparavant. Peut-être qu'alors Judas méditait déjà son coupable dessein; peut-être même qu'à cette époque le crime avait déjà un commencement d'exécution. Dans tous les cas, ces deux faits semblent avoir été rapprochés l'un de l'autre, afin de montrer que Judas, en livrant Jésus, ne fit que céder à une passion qui dès longtemps maîtrisait son âme. Il n'avait certes aucune raison de haïr le Seigneur; car Jésus lui avait témoigné une grande confiance, tout en le mettant à une forte épreuve [2889]. Mais, tandis qu'il aurait dû apprendre le désintéressement, par l'usage même que Jésus faisait des aumônes qu'on versait dans la bourse commune, Judas se mit à aimer l'argent toujours plus. Or, quand on se laisse dominer par une convoitise quelconque, on donne prise à Satan et l'on est capable de tous les péchés. Rappelez-vous là-dessus les nombreux exemples de l'Ancien Testament [83, 523, 1137,1559, 1953, 1991].

3390. Pour comprendre le crime de Judas, il faut cependant tenir compte des illusions que ne manquent jamais de se faire ceux qui s'abandonnent à leurs vices. Il n'est nullement impossible que ce malheureux ne se soit dissimulé l'énormité de sa trahison. Il avait vu Jésus produire tant de miracles et si souvent échapper à ses ennemis; il était tellement convaincu de sa mission divine (exemple effrayant de ce qu'est la foi morte), qu'il pensait peut-être que son Maître saurait bien se soustraire à ses ennemis. En attendant, lui, Judas, leur aurait extorqué de l'argent, sans que personne au monde pût en avoir connaissance, du moins il le pensait. Si d'ailleurs l'Écriture attribue à Satan le crime que méditait le traître, c'est que Satan est le père du meurtre et de toute fraude, c'est qu'il règne dans le cœur de ceux qui se laissent maîtriser par leurs passions. Je pense en outre que cela nous est dit pour nous rappeler l'ancienne prophétie, d'après laquelle la postérité du serpent devait blesser au talon la postérité de la femme. Oui, le moment de la grande lutte est arrivé. Satan va se mettre à l'œuvre, et jamais sa participation aux crimes des hommes ne fut plus manifeste.

3391. (Jean 13: 3.) Jamais non plus il n'y eut de manifestations plus abondantes de l'amour de Dieu; jamais sa présence au milieu des hommes, dans la personne de Jésus-Christ, ne fut plus évidente. À cette table qu'il préside comme Seigneur et Docteur, Jésus va donner un spectacle bien fait pour frapper ses disciples. Ils l'avaient toujours vu parmi eux «doux et humble de cœur,» n'exigeant rien de personne et se donnant à tous; cependant, ils ne l'avaient point encore vu à leurs pieds pour leur rendre un office qui, dans les maisons des grands, appartenait aux derniers des esclaves. Or, ce n'était pas qu'il y eût rien de diminué dans la puissance qu'il avait reçue du Père en sa qualité de Christ. Bien plus, comme c'était du Père qu'il venait, c'est à lui qu'il allait retourner avec une grande gloire. Mais, nonobstant cette infinie grandeur, ou plutôt, en suivant le texte, par cela même que sa grandeur est infinie et inaltérable, il voulut s'humilier et montrer, ainsi qu'il l'avait dit, que le Fils de l'homme est venu «non pour être servi, mais pour servir, et pour donner sa vie en rançon pour plusieurs.» Le voilà donc qui se lève de table et qui, dépouillant sa robe de dessus, demeure vêtu de la simple tunique d'un esclave (4, 5). Dans cet humble costume, il prend le bassin destiné aux ablutions, l'emplit d'eau, s'approche des disciples pour leur laver les pieds, et les essuie ensuite avec le linge dont il était ceint.

3392. (6-9.) Quand il fut arrivé à Simon Pierre (car il n'est point dit qu'il ait commencé par cet apôtre), il fut accueilli d'une manière qui ne doit pas nous surprendre. Pierre était celui de tous peut-être qui sentait le plus vivement les choses, et, quand il vit Jésus agenouillé devant lui, il s'écria: «Toi, Seigneur, tu me laves les pieds!» Représentez-vous ce pêcheur de la Galilée, qui n'avait jamais eu d'esclave pour lui rendre un tel service, et vous entrerez parfaitement dans sa pensée. Il ne comprenait rien à ce qui se passait, et, véritablement, il ne devait rien y comprendre. Aussi le Seigneur lui dit-il: «Tu ne sais pas ce que je fais, mais tu le sauras dans la suite.» Si Pierre avait eu l'humilité de Jean-Baptiste [2686], il eût, dès ce moment, laissé faire son Maître. Au lieu de cela, il lui résiste en face: «Tu ne me laveras jamais les pieds,» lui dit-il. Or, si quelqu'un oppose au Seigneur une résistance absolue et prolongée, il ne saurait avoir aucune part avec lui. C'est ce que Jésus fit entendre à son disciple, et celui-ci, qui aimait pourtant son maître, qui aurait frémi à l'idée d'en être rejeté, se hâta de lui dire: «Seigneur, non seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête!» Dans l'impétuosité de ses affections, il passe maintenant à un autre extrême; il oublie que la véritable obéissance consiste à vouloir ce que Dieu veut, ni moins, ni plus, et à le vouloir comme il le veut et non d'une autre manière.

3393. (10,11.) La réponse de notre Seigneur nous apprend que ce qu'il faisait là était un acte symbolique ou, pour le dire autrement, une parabole. Quand un homme revenait du bain, il avait besoin, en rentrant chez lui, de se laver de nouveau les pieds, à cause de la poussière qui s'y était attachée en chemin; car les Orientaux ne portent pas, comme nous, des bas pour se garantir les jambes. De même en est-il de toute âme qui a été purifiée par la foi. Ses péchés lui sont pardonnés, elle est réconciliée avec Dieu, elle possède une nouvelle vie par le Saint-Esprit; mais cela n'empêche pas qu'elle ne contracte chaque jour quelque souillure par le contact du monde, sans parler du péché qui demeure encore au-dedans. D'où il suit que, si le pécheur régénéré n'a pas besoin d'une seconde régénération, et si le fidèle réconcilié n'a pas besoin que sa rançon soit payée encore une fois, il lui faut cependant chaque jour un renouvellement de la grâce de Dieu, par Jésus-Christ. «Celui qui est lavé n'a plus besoin que de se laver les pieds; mais il est pur tout entier.»

3394. «Et vous êtes purs, mais non pas tous.» Ces mots qu'ajoute notre Seigneur, cette déclaration générale et la restriction qu'il y apporte relativement à Judas, confirment notre commentaire. En même temps, elles nous certifient qu'à cette époque les douze apôtres, sauf Judas, étaient vraiment convertis. Par l'action du Saint-Esprit, les paroles de Jésus avaient pénétré dans leur cœur et ils croyaient. Ce n'est pas à dire que leur foi fût alors fort éclairée, ni leur sanctification très avancée. La suite nous montrera de reste tout ce qui leur manquait; mais Jésus les aimait, il avait commencé en eux la bonne œuvre, et il était désormais impossible qu'elle ne s'achevât pas.

3395. (12-16.) Ce fut par un autre motif encore que Jésus lava les pieds de ses disciples. Il voulut peut-être leur dire que nous devons, nous aussi, nous employer à la sanctification les uns des autres; mais qu'il faut pour cela savoir se mettre à genoux, humble et suppliant, devant ceux qu'on désire de purifier. En tout cas, il voulut leur donner l'exemple de l'abaissement volontaire par humilité et par charité; ou, si l'on veut, l'exemple du parfait dévouement. Oh! comme il éclate ce dévouement dans toute la vie de notre Sauveur, et comme il va nous paraître plus grand encore dans quelques instants! Il y a toutefois ici une abnégation de soi-même qui saisit la pensée d'une façon toute particulière, et qui nous offre un modèle plus en rapport avec notre position que tous les autres actes de la vie du Seigneur. Voici donc la conduite que nous devons tenir envers nos frères. Quelque supérieurs que nous leur puissions être par le rang, l'âge, les connaissances, la foi, la piété, il faut que nous sachions leur rendre les services les plus humbles et que nous le fassions avec l'empressement d'une vraie affection. Mais que parlé-je de supériorité? Plus nous serons réellement grands, plus nous nous estimerons petits devant Dieu et devant les hommes! Du reste, il est certains actes de dévouement et d'abaissement volontaire qui ont pour principe l'amour de la gloire et un grand fond d'égoïsme; il en est qui sont sans utilité véritable pour le prochain; ce n'est pas de ce dévouement-là, ni de cet abaissement, que le Seigneur Jésus nous a donné le modèle.

3396. (17.) Heureux ceux qui savent ces choses; plus heureux encore ceux qui les pratiquent! ou plutôt ces derniers seuls sont heureux! Hélas! nous savons tous plus que nous ne pratiquons. Or, celui qui sait et ne fait pas vit dans une contradiction continuelle avec lui-même. Si donc nous voulons goûter la paix que donne la foi, demandons au Seigneur, sans nous lasser, qu'il mette en nous les mêmes sentiments qui l'animèrent; afin que, humbles et aimant comme lui, nous possédions les vrais caractères et le vrai bonheur des enfants de Dieu.

3397. (18-20.) Voici le moment où Jésus va positivement déclarer qu'un de ceux qui entouraient la table avec lui était sur le point de le livrer. Cette révélation, nécessaire d'abord dans l'intérêt des disciples, pour qui, sans cela, le scandale eût été trop grand, ne l'était pas moins pour la gloire du Seigneur; car il ne fallait pas qu'on pût le croire dans l'ignorance de ce qui se tramait contre lui. Mais comme il en coûte à son cœur de prononcer le terrible mot! Il l'amène peu à peu; il y prépare lentement les esprits. Après avoir dit: «Vous n'êtes pas tous purs» (11); ce qui ne signifiait pas nécessairement qu'un d'entre eux était un monstre d'ingratitude et de fausseté, il ajoute: «Je ne parle pas de vous tous, je sais ceux que j'ai élus» (18). Puis, voici quelque chose de plus précis, mais qui demeure enveloppé dans le langage symbolique de la prophétie: «Celui qui mange le pain avec moi a levé le talon contre moi» (19; Ps. 41: 9). Cela dit, il s'arrête pour expliquer les motifs qui le forcent à rompre le silence sur ce pénible sujet, et, comme s'il eût voulu en détourner sa propre pensée, il reproduit une de ses paroles d'autrefois, parole importante sans doute, mais dont la relation avec ce qui précède ne paraît pas facile à établir (20; Matth. 10: 40).

3398. (21, 22.) Cependant, le malheureux Judas demeurait impassible, sous les yeux de son Maître. Celui-ci, plein d'affection et de douleur, sentit son âme sainte et charitable se troubler au dedans de lui. Il fallait, quel que fût le résultat, qu'il rendît témoignage à la vérité; mais jamais ce devoir ne lui avait coûté si cher: «Amen, amen, je vous disque l'un de vous me livrera...» Quel coup pour les disciples! Ils se regardent avec anxiété. Il y a un traître parmi eux et ils ne s'en doutaient pas! Il y a un traître! et ils se fiaient tellement les uns aux autres qu'ils ne savent sur qui diriger leurs soupçons! Judas n'était donc pas, comme on se le représente quelquefois, un de ces hommes dont la noirceur se peint sur la physionomie; qui sait même s'il n'était pas de tous, celui qu'on aurait le moins suspecté!

3399. (23-27.) L'apôtre Pierre cependant, vif et impétueux comme nous le connaissons, n'était pas homme à rester longtemps dans l'incertitude. Placé à une certaine distance du Seigneur, il fait signe à Jean de lui demander de qui donc il voulait parler. Jean, assis, ou plutôt couché à la droite de Jésus, ne pouvait se pencher en arrière sans que sa tête se trouvât comme posée sur la poitrine de son Maître Il lui fut donc facile de s'acquitter à voix basse de sa commission. «C'est celui à qui je vais donner un morceau trempé,» répond le Seigneur. En ce moment, Jésus tendait à Judas un morceau de pain, et alors aussi Satan prit l'entière possession du cœur de ce malheureux disciple.

3400. Admirons ici, bien qu'en sens divers, l'amour infini de Celui dont les saintes affections se voyaient ainsi trahies, et les effets lamentables de la passion et de l'endurcissement chez le malheureux qui le trahissait. C'était par charité, par pitié même pour Judas, que Jésus avait levé un coin du voile qui couvrait encore la turpitude de ses desseins; et vous avez vu combien son cœur y répugnait. Maintenant, contraint en quelque sorte par la question du bien-aimé disciple à jeter un nouveau jour sur ce sombre mystère, il y met tous les ménagements imaginables; et ce Judas à qui le Seigneur fournissait une si belle occasion de reconnaître, de confesser, de réparer sa faute, s'obstine au contraire dans sa coupable volonté. La pensée qu'il est découvert, que tout est perdu pour lui du côté de Dieu, le précipite toujours plus dans le crime: Satan se saisit avec une nouvelle force de son mauvais cœur. Il est vrai que le Seigneur lui dit, comme à Balaam: «Ce que tu fais, fais-le promptement» [973]; mais quel affreux malheur pour une âme, lorsque Dieu la livre à ses propres voies!

3401. Une observation d'une grande importance se présente naturellement ici. Après nous avoir dit tout à l'heure que Satan avait mis au cœur de Judas son horrible trahison, l'Évangile nous le montre, pour ainsi dire, entrant en lui avec le morceau trempé. Nous apprenons de là que Satan n'habite pas dans le cœur des méchants, comme le Saint-Esprit habite dans celui des fidèles. Satan entre et sort, puis il peut revenir, et quand il a fait une âme telle qu'il la veut, il la laisse aller son train de mort, sans plus se mettre en peine d'elle. Profond mystère que cette puissance malfaisante du calomniateur; toujours est-il qu'il ne maîtrise que ceux qui demeurent sourds aux invitations de la grâce de Dieu!

3402. (27-30.) Remarquez enfin ce que je pourrais appeler l'innocente candeur des disciples. Quand Jésus eut dit à Judas: «Ce que tu fais, fais-le promptement,» ils crurent qu'il s'agissait de porter quelque aumône à des pauvres ou de se procurer ce qu'il fallait pour la fête. Ils semblent n'avoir pas compris la nature du crime que Jésus vient d'imputer à Judas; surtout, ils ne se doutent pas que ce forfait soit en pleine exécution; peut-être même ont-ils peine à se persuader que Judas soit capable d'une indignité quelconque. En tout ceci, nous ne pouvons qu'admirer l'affection qui unissait les disciples et la simplicité de leurs sentiments. Il se peut, au reste, et je crois que la chose fut ainsi, il se peut qu'ils n'eussent entendu ni la question de Jean, ni la réponse de Jésus; car ces quelques mots s'étaient échangés entre eux, au moment où la confusion produite par la première déclaration de Jésus était générale. Ils n'avaient donc ouï que cette parole adressée de loin à Judas: «Fais promptement ce que tu as à faire.» De là l'incertitude et le vague dans lequel, comme nous le verrons, ils demeurèrent jusqu'au lendemain à pareille heure.

3403. (31-33.) Il était nuit quand Judas prit le morceau de pain de la main de son bon Maître et qu'il sortit, pour attendre sans doute, sous les arbres du mont des Oliviers, que le jour lui permît d'exécuter sa trahison. Or, chose admirable! ce fut le moment même du départ de Judas, que le Seigneur choisit pour déclarer sa gloire, en tant que Fils de l'homme. La trahison de Judas, qui semblait propre à l'obscurcir, ne devait que la rendre plus éclatante; car la gloire de Dieu allait sortir, sainte et majestueuse, des souffrances et de la mort du Rédempteur. Bientôt, dans peu de moments, le Seigneur serait là où lui seul, parmi les hommes, pouvait être; d'abord sur une croix infâme pour l'expiation de nos péchés, puis dans la gloire éternelle comme prix de ses souffrances. Mais, auparavant, il a un mot important à dire à ses disciples.

3404. (34, 30.) Ce mot, on s'étonne qu'il ne l'ait pas articulé plus tôt, car c'est le fond même de sa morale; ce mot, il ressortait de tout ce que Jésus avait dit et fait jusque-là, mais il l'avait réservé pour le moment suprême. Jamais les disciples ne durent être mieux préparés à le comprendre; car le Seigneur leur avait multiplié, ce jour même, les témoignages de son affection, et, dans son expansive tendresse, il venait de leur donner un titre bien doux, en les appelant «ses petits enfants» (33). Maintenant, il ajoute: «Aimez-vous les uns les autres, aimez-vous comme je vous ai aimés,» savoir d'une sainte et constante affection, d'un amour réel et pratique, pour la gloire de Dieu. C'est «un commandement» que je vous donne, dit Jésus (car le Seigneur n'est pas uniquement venu pour accomplir et multiplier les promesses); et, bien qu'il se trouve déjà contenu dans la loi de Moïse (Lévit. 19: 18), c'est un commandement «nouveau;» parce que, au cœur du croyant, toutes choses sont faites nouvelles, et nul ne sait vraiment ce que c'est qu'aimer, s'il ne l'a appris de Jésus. Aussi telle est la marque à laquelle on reconnaît infailliblement ses disciples, c'est l'amour qu'ils ont les uns pour les autres. On peut avoir été baptisé, avoir pris souvent la Cène du Seigneur, posséder à fond sa doctrine et n'être pas réellement à lui. Ceux, au contraire, qui ont appris de sa grâce à aimer leurs frères comme il nous aime lui-même, portent tous son image.

3405. (36-38.) Simon Pierre, caractère impétueux, vif dans ses affections, prompt dans ses discours, avait à peine écouté ce grave enseignement. Il était resté sous l'impression des paroles qui l'avaient précédé, et il y revint comme si Jésus n'y eût rien ajouté. Que signifie donc ceci: «Là où je vais, vous ne pouvez venir; non, pas plus vous que les Juifs?» «Où vas-tu, Seigneur? lui fit Pierre. — Là où je vais (sur la croix et dans la gloire), tu ne peux me suivre maintenant, mais tu me suivras dans la suite.» — Cette prophétie aurait dû remplir de joie l'âme du disciple; mais à peine si, dans sa promptitude, il se donne le temps de la comprendre. D'ailleurs, ce n'est pas d'un avenir éloigné qu'il se soucie. Commençant à entrevoir ce dont il avait toujours repoussé la pensée (Matth. 16: 22), il déclare qu'aucun danger ne saurait le faire reculer et que, pour suivre son Maître partout, il était prêt à donner sa vie! Mais la vie! elle est chère à l'homme! Pour la quitter volontairement, il faut être animé d'une grande passion ou d'une grande foi, et Pierre, qui se croyait capable d'exposer ses jours dans la défense de son Maître, ne l'était pas de souffrir même des menaces pour la foi qu'il avait en lui. C'est la triste vérité que le Seigneur lui annonça d'une manière fort solennelle: une nuit approchait, durant laquelle Pierre renierait trois fois son Maître bien-aimé! 


CCLVIII. — Le jeudi. La trahison de Judas. Préparation de la Pâque; consolations et exhortations.


3406. (L. 22: 3-6; M. 26: 14-16; Mc. 14: 10,11.) Pendant que Jésus parlait aux onze de sa prochaine gloire, qu'il leur recommandait de s'aimer les uns les autres et qu'il annonçait à l'un d'eux une grande chute, que faisait le malheureux Iscariote? Hélas! il portait ses pas errants du côté de Jérusalem; il cherchait toujours plus à se dissimuler l'énormité de son crime; qui sait même s'il ne se persuadait pas qu'il faisait une bonne œuvre en facilitant l'accomplissement des prophéties de Jésus au sujet de sa mort,... le cœur de l'homme est si rusé! Il arrive enfin où Satan le conduit; il voit quelques-uns des sacrificateurs et des chefs militaires; il leur offre ce qu'ils n'auraient jamais osé lui demander, et ceux-ci, tout joyeux, acceptent avec empressement. Trente pièces d'argent, l'estimation juridique d'un esclave (Exode 21: 32); tel est le vil prix de la trahison, et Judas se retire, mais sans qu'il y ait encore rien d'arrêté sur le jour, ni sur l'heure, non plus que sur la manière dont se consommera l'iniquité. Tout dépendra des circonstances. En attendant, et pour mieux cacher sa trame, le malheureux Judas va rejoindre les autres apôtres; car nous le verrons tout à l'heure au milieu d'eux.

3407. (L. 22: 7-13; M. 26: 17-19; Mc. 14: 12-17.) C'était le 13e ou le 14e jour du mois de Nisan: dans tous les cas, le jour correspondant à notre jeudi. Le Seigneur, voulant faire la Pâque avec ses disciples avant de leur être enlevé, disposa, dans ce but, de la maison d'un habitant de Jérusalem qu'il comptait probablement au nombre de ses disciples. Il lui députa deux de ses apôtres, Pierre et Jean, en leur donnant des indications si précises, qu'ils durent admirer de nouveau la toute-science de leur divin Maître [3332]: en même temps, il le fit de telle sorte que Judas, qui était là, ne pût le déceler, s'il en avait eu la tentation. L'homme auquel Pierre et Jean furent adressés avait probablement préparé le local pour sa famille; mais il le céda volontiers à Jésus, comme dès cette époque, tant de chrétiens se sont estimés heureux d'ouvrir leurs demeures à leurs frères, pour rompre le pain en mémoire du Sauveur. Les deux apôtres firent donc les apprêts nécessaires au souper de la Pâque, puis ils rejoignirent leur Maître et leurs collègues à Béthanie ou en quelque lieu de rendez-vous sur la montagne des Oliviers. Ce fut alors que Jésus leur fit entendre les touchantes paroles qui nous sont rapportées par Jean, un des auditeurs les plus attentifs sans doute, mais auquel il fallut bien que le Saint-Esprit remît plus tard en mémoire un discours si long et si difficile à retenir, vu sa profondeur et le trouble même où étaient les disciples.

3408. (Jean 14: 1-4.) Personne ne s'étonnera que les événements des journées précédentes eussent jeté beaucoup d'agitation dans leur âme. Maintenant qu'il s'agit de retourner à Jérusalem, non plus le matin pour en revenir le soir, mais vers le soir pour n'en pas revenir peut-être; maintenant qu'ils ne peuvent plus se faire d'illusion sur le sort qui attend leur docteur bien-aimé et qu'ils ne savent trop quels risques ils auront eux-mêmes à courir; à ce moment où Pierre et Jean reviennent en disant: Tout est prêt pour célébrer la Pâque, ce qui était dire en quelque sorte que tout se préparait aussi pour l'immolation de Jésus, leur cœur dut être près de défaillir, et ce fut alors que le Seigneur leur dit: «Que votre cœur ne soit point troublé!»

3409. Pour les rassurer, il commence par raffermir la foi qu'ils avaient en lui. Bien qu'il aille mourir, il n'en est pas moins Celui en qui l'on doit mettre sa confiance à l'égal de Dieu, celui qui seul peut donner aux âmes le calme et le repos. De plus, bien que, de tous ceux qui ont été hommes, nul autre que lui n'ait, de droit, une demeure dans la maison du Père céleste, il y va, leur dit-il, préparer une place à ceux qui croient en lui. Enfin, s'il quitte ce monde, c'est pour y revenir un jour. Alors, il prendra près de lui ceux en faveur desquels il mourut et qu'il représente dans le ciel jusqu'à cette journée. Voilà des paroles bien consolantes pour qui sait où Jésus est allé et quel est le chemin qui y conduit.

3410. (5-7.) Thomas, dont la foi était, paraît-il, chancelante, fit là-dessus une question que le Seigneur avait sûrement prévue et à laquelle il répondit en des termes que nous ne saurions trop peser. C'est Jésus lui-même qui est le chemin par lequel on va au ciel, comme il est la vérité en personne et la source de toute vie véritable. Ceux qui ne croient pas en lui sont hors du chemin, par cela même qu'ils ne sont pas dans la vérité et qu'ils demeurent étrangers à la vie de Dieu. Si, au contraire, nous le connaissons, si nous le comprenons, si nous le recevons, si nous l'aimons, par lui nous avons en Dieu un Père plein de miséricorde. Or, tout ce que Jésus a dit et a fait, tout ce qu'il a été et tout ce qu'il est, tend à nous donner cette connaissance et cette possession de Dieu. 

3411. (8-14.) Philippe, un des premiers disciples, dans l'ordre de la vocation divine (1: 44), ne comprit point une déclaration qui, pour en convenir, est d'une grande profondeur, «Montre-nous donc le Père,» dit-il à Jésus. Eh! quoi, depuis si longtemps que Philippe était avec le Seigneur, il n'avait pas compris que c'est par lui seul que le Père se fait connaître, que le Père et le Fils sont un, que les paroles sorties de la bouche de Jésus sont les paroles mêmes du Père, et que ses œuvres sont du Père à l'égal de ses discours! Eh bien! s'il leur faut quelque chose de plus pour les convaincre, cela même leur sera donné. Par la foi en Jésus, ils feront des miracles non moins grands que les siens et même de plus importants encore, car c'est à eux qu'appartient la conversion du monde. Ils prieront le Père au nom du Fils, et le Fils leur accordera tout ce qu'ils auront demandé pour la gloire du Père. Alors, sans doute, il leur sera pleinement démontré qu'il est en son Père et que le Père est en lui.

3412. (15-20.) Une autre manière encore de connaître ce qu'est Jésus, c'est de l'aimer et d'observer ses commandements. Il ne s'agit pas de cet amour aveugle qui, procédant du cœur naturel et tout en impressions, se manifeste par des transports passionnés; mais il s'agit d'un amour de dévouement et d'obéissance. Le Seigneur prie pour ceux qui l'aiment de la sorte, et le Père leur donne l'Esprit de la vérité, le consolateur de ceux qui pleurent [2829], ou le défenseur de ceux que Satan attaque et calomnie. Jésus lui-même est notre consolateur et notre protecteur (M. 11: 28-30; J. 10: 28), mais l'Esprit de la vérité est «un autre consolateur,» qu'il donne à ses disciples. Jésus ne devait pas toujours être en personne avec les siens: à sa place, l'Esprit est éternellement présent dans leur âme. Le monde, tout à la matière, n'apprécie que ce qu'il voit et touche: il méconnaît l'Esprit et il ne peut le recevoir. Les fidèles, au contraire, le connaissent, par cela même qu'ils le possèdent. De cette manière, ils ne sont point orphelins, bien que séparés de Jésus; et d'ailleurs cette séparation ne durera qu'un temps. Jésus est toujours vivant; ceux qui croient en lui participent à sa propre vie; en conséquence, ils le verront quand il reviendra dans sa gloire. Ainsi, aimons le Seigneur, soyons-lui obéissants; moyennant cela le Saint-Esprit, l'Esprit de la vérité, nous fera connaître que Jésus est en son Père par essence, que nous sommes en lui par la foi et qu'il est en nous par l'Esprit qui nous le fait aimer.

3413. (21.) Revenons avec le Seigneur lui-même, sur une idée qu'il tint à mettre en saillie dans son discours. La nécessité d'aimer Jésus est sentie par tous ses disciples; mais tous ne se rendent pas également compte de ce qui caractérise l'amour qui lui est dû. Encore une fois, il n'est pas ici question d'extases, ni de sentiments passionnés. L'amour, qui se nourrit, il est vrai, des promesses de Dieu, n'a pas pour unique fruit, ni même pour fruit principal, la paix et la joie que donnent ces promesses; il se montre essentiellement par la soumission à la volonté du Seigneur. Obéir, c'est aimer. Avoir les commandements de Dieu dans le cœur, y penser souvent, les prendre au sérieux, en faire la règle de sa vie, se sentir mal à l'aise chaque fois qu'on s'en écarte, y revenir avec bonheur; telle est la vie de l'amour. Or le Seigneur ne saurait aimer que ceux qui l'aiment de cette manière; car toute autre façon de l'aimer est une offense: c'est précisément ce que l'Écriture appelle le péché.

3414. (22-25.) À ces mots, que les disciples commençaient, paraît-il, à comprendre, l'un d'eux, Judas, surnommé Lebbée et aussi Thadée, propre frère de Jésus [2951], interrompit le Seigneur pour lui demander par quel motif il se ferait connaître h eux et non pas au monde. Grande question que celle-là; comme au reste toutes celles qui se rapportent aux conseils secrets du Très-Haut. Or, soit que notre Seigneur ne jugeât point à propos d'entrer alors en matière sur ce sujet difficile, soit plutôt qu'il voulût montrer encore une fois que le côté pratique de ces questions est ce qu'il y a de plus important pour nous [3211], il se contenta de répéter ce qu'il venait de dire. En effet, tout ce qu'il nous faut savoir, c'est que si nous aimons le Seigneur, nous observerons sa Parole et le Père nous aimera. Et comme notre amour pour le Seigneur se montre par l'obéissance, ou, en d'autres termes, par l'abandon que nous lui faisons de notre volonté propre, son amour et celui du Père se montrent en ce qu'ils se donnent l'un et l'autre à nous, et qu'ils habitent en nous par le Saint-Esprit. Arrive-t-il, au contraire, que nous n'aimions pas le Seigneur Jésus, nous sommes du monde et nous n'avons aucune part, ni avec lui ni avec le Père.

3415. (26.) Si, du reste, notre Seigneur n'entra pas dans plus de détails avec ses apôtres, ce n'était point qu'il voulût leur cacher quelque point de sa doctrine, même en ce qu'elle a de plus profond, pourvu que la connaissance leur en fût nécessaire; mais ces indications suffisaient pour le moment. Plus tard le Saint-Esprit, que le Père leur enverrait en son nom, c'est-à-dire pour l'amour de lui, ce Consolateur dont il parlait tout à l'heure devrait achever leur instruction. Non seulement cela, mais encore il les ferait ressouvenir des paroles qui étaient sorties de la bouche de leur Maître, paroles qu'ils n'avaient point mises par écrit à mesure et que même ils avaient si rarement comprises. Or, il n'est aucun de nous qui n'ait besoin d'une pareille grâce. Il faut non seulement, que le Saint-Esprit nous donne l'intelligence de la Parole de Dieu, mais encore qu'au moment convenable, il rappelle à nos souvenirs ses promesses, ses menaces et ses lois.

3416. (27.) Voici maintenant ce que le Seigneur donne à ceux qu'il aime. C'est la paix. Sa propre paix, par laquelle tous les troubles de l'âme se dissipent. Le monde aussi offre une paix dont il amuse ses adhérents; paix mensongère et funeste, qui ne saurait durer plus que le monde lui-même. Cette paix on la trouve dans l'oubli de Dieu et de l'éternité, dans les illusions du vieil homme et dans les déceptions du péché, tandis que celle de Jésus-Christ est toute fondée sur la vérité. Pour la goûter, le fidèle n'a pas besoin de jeter un voile sur ses transgressions ni sur l'avenir qui l'attend, parce qu'il sait de la part de qui ses iniquités sont couvertes et cachées, et qu'il n'a aucune raison de redouter la présence de son Juge, ce Juge étant son Sauveur lui-même. Ce n'est pas à dire que le pauvre cœur des fidèles soit à l'abri de toute agitation, car ils sont comme un navire que les flots balancent sur ses ancres; mais ils croient en Jésus (1-4).

3417. (28-31.) Tout devient un sujet de joie pour celui qui croit et qui aime. Les disciples avaient à se réjouir du prochain départ de leur Maître; car il rentrait ainsi dans la gloire dont il s'était dépouillé pour revêtir notre nature et, par ce triomphe même, la foi de ceux qui croyaient ne pouvait que s'affermir. Pourtant ce départ devait être accompagné de circonstances bien humiliantes. Jésus, livré aux mains des méchants, allait tomber sous les coups de celui qui est leur prince et leur chef. Le Fils de Dieu, pour un moment à la merci de Satan! Voilà ce qui avait été prédit dès le commencement, mais ce qui n'en est pas moins quelque chose de prodigieux. Et cela d'autant plus que Satan «n'a rien en lui;» rien de commun avec lui, nulle prise naturelle sur lui, ni aucune puissance légitime, ce qui n'est pas le cas de l'homme pécheur. Pourquoi donc Jésus a-t-il voulu descendre dans cet abîme? Pour nous sauver sans doute; mais aussi (et c'est une autre manière de dire la chose), pour montrer au monde qu'il aime le Père et que, par amour, il obéit. Si donc le Seigneur nous demande de l'aimer d'un amour d'obéissance, vous voyez qu'il ne nous demande après tout que ce qu'il rend lui-même à son Père! Quels sublimes enseignements!

3418. Ce discours achevé, Jésus dit: «Levons-nous, partons d'ici.» Or c'était «afin que le monde connût qu'il aimait le Père et qu'il faisait toutes choses selon le commandement de son Père.» Eh! oui, c'est là ce qui lui faisait prendre avec courage le chemin de Jérusalem, de cette ville où il ne devait plus rentrer qu'une fois après celle-ci, et garrotté comme un malfaiteur.


CCLIX. — Célébration de la Pâque. Institution de la Cène.


3419. (L. 22: 14-20; M. 26: 20-29; Mc. 14: 17-25.) Quel cœur que celui de Jésus! Il souffre évidemment de devoir bientôt quitter ses disciples; et que dirons-nous du sort qui l'attendait! C'est évidemment ce qui lui fait éprouver le besoin de se fortifier, en prenant, avec ceux que le Père lui avait donnés, ce repas sacré, ce dernier repas. La Pâque était une grande fêle, soit par les délivrances qu'elle rappelait, soit par les grâces encore plus excellentes qu'elle figurait! Notre Seigneur y fait allusion, je suppose, en parlant d'une Pâque qui devait s'accomplir dans le royaume de Dieu. Sa pensée me paraît avoir été la même au fond lorsque, ayant fait circuler, selon l'usage, la coupe qu'on offrait au commencement du repas, il déclara qu'il ne boirait plus du produit de la vigne que le royaume de Dieu ne fût venu. Quelques personnes entendent par là que Jésus reviendra sur la terre «mangeant et buvant» (Luc 7: 34), comme au temps passé; mais c'est, me paraît-il, méconnaître le langage figuré dont il s'est presque toujours servi en parlant du siècle à venir.

3420. Voici maintenant ce qui devait remplacer, pour les disciples de Jésus, la Pâque ancienne avec ses pains sans levain, son agneau immolé et ses herbes amères; voici ce que le Seigneur avait eu principalement en vue, lorsqu'il les avait réunis autour de lui pour ce dernier souper et ce qui le lui avait fait désirer avec tant d'ardeur. La Pâque finie, il prit du pain; puis, ayant prononcé des actions de grâces et une bénédiction, il le rompit et, le distribuant aux apôtres, il leur dit: Prenez, mangez, ceci est mon corps qui est donné pour vous; faites ceci en mémoire de moi. Prenant ensuite la coupe, il rendit grâces et la leur donna, en disant: Buvez-en tous; car ceci est la nouvelle alliance en mon sang, c'est mon sang qui est répandu pour vous et pour un grand nombre d'âmes, en rémission des péchés. Et ils en burent tous. — Luc fait remarquer, à l'occasion de la coupe, que ce fut après le souper, afin de distinguer cette distribution de celle qui avait eu lieu avant la Pâque et dont les autres évangélistes ne parlent pas.

3421. Tel est le simple récit de cette institution, si simple elle-même et si belle tout à la fois. On ne saurait douter que les apôtres n'aient dû y voir avant tout une prophétie, ainsi que l'avait été l'ancienne Pâque, le jour de son institution. Jésus parle de lui comme s'il eût été déjà mort; mais ses auditeurs, habitués au langage des prophètes, ne durent voir rien d'étrange à ce discours, car ils savaient parfaitement que Dieu parle souvent des choses qui ne sont point comme si elles étaient. Bien que notre Sauveur leur eût plus d'une fois annoncé ses souffrances, et tout récemment encore, nous avons vu qu'ils ne pouvaient accepter cette idée; il importait cependant qu'ils s'en pénétrassent à raison même de ce qui allait suivre, et rien n'était plus propre à produire cet effet, que l'acte symbolique auquel le Seigneur les fit participer.

3422. Comme dans l'ancienne Pâque, il y eut aussi un commandement, et pour le présent et pour l'avenir. «Prenez, mangez, buvez-en tous;» c'est ce que les disciples durent exécuter à l'instant même! «Faites ceci en mémoire de moi:» voilà un ordre qui suppose évidemment que la cérémonie devait se répéter après la mort de Jésus. Nous verrons même plus tard (1 Cor. 11: 26) quelques paroles qui éclaircissent parfaitement la pensée du Seigneur. Les apôtres, dans tous les cas, ne purent avoir aucun doute sur ses intentions. Le pain rompu et mangé, la coupe distribuée, figures de ce qui allait bientôt avoir lieu, devaient être, jusqu'au retour de Jésus, un mémorial des choses accomplies en sa mort.

3423. Figure ou mémorial, ce repas sacré se rapporte donc évidemment à un fait unique: la mort du Seigneur. Il exprime le but et les résultats de ce fait, savoir le pardon des péchés. Il montre à qui ce pardon est offert: c'est à tout homme qui sait pourquoi Jésus-Christ est mort. Il nous dit enfin ce que doivent faire les pécheurs auxquels la mort de Jésus est prêchée, s'ils veulent que cette mort leur profite: il faut que, par une foi véritable, ils se nourrissent spirituellement de sa chair et de son sang [3074], qu'ils les reçoivent dans leur cœur. C'est ce qu'il a voulu marquer en ne se contentant pas de rompre du pain et de répandre du vin, acte qui eût été pourtant fort impressif.  Ce repas sacré est ainsi le sceau de la nouvelle alliance, nouvelle relativement à celle que Dieu daigna traiter avec Israël par le ministère de Moïse, et aucune autre alliance ne remplacera celle-ci. Elle se consommera par le retour de notre Seigneur, la Cène étant le gage précieux de ce retour, en même temps qu'elle est comme les arrhes de la vie éternelle dont Jésus-Christ nous a enrichis au moyen de sa mort.

3424. Il importe peu de savoir si les apôtres se rendirent compte, dès le premier moment, de la vraie signification et de la valeur de cette cérémonie. Plus tard du moins, ils la comprirent telle que je viens de l'exposer, et c'est bien ainsi que le Seigneur l'entendit. De là résultent diverses conséquences pratiques que nous devons indiquer. — D'abord, la Cène suppose chez ceux qui la célèbrent une certaine connaissance de ce qu'est notre Seigneur Jésus-Christ et de ce qu'il a fait pour nous. On ne saurait donc y admettre que ceux qui ont une instruction suffisante, au jugement des personnes à même de prononcer. Ensuite, il est manifeste que, pour la célébrer dignement, il faut plus que cela. Le sentiment de ses péchés, une foi vivante en Jésus-Christ, un amour vrai pour sa personne et un cœur désireux de posséder ses grâces; voilà ce qui, en un degré quelconque, doit caractériser ceux qui participent à ce saint repas. Mais ici, nul homme ne saurait se constituer le juge d'autrui. D'où il suit que chacun doit s'examiner soi-même avant de manger de ce pain et de boire de cette coupe (1 Cor. 11: 28). Toujours est-il que, pour être admis à le faire, il faut qu'on soit au nombre des disciples du Seigneur, comme l'étaient les douze. Ceux qui n'appartiennent en aucune manière à l'Église de Jésus-Christ, ne peuvent, en aucune manière non plus, lui rendre le culte qu'il a établi.

3425. Or, que la Cène du Seigneur soit un des actes du culte chrétien, et le plus solennel, c'est ce qui est de la dernière évidence. Il nous tient lieu de tous les sacrifices de l'ancienne loi, et, s'il a encore quelque signification typique, c'est dans le siècle à venir que le type se réalisera. Rien n'est plus propre à élever et à sanctifier nos pensées; car tout, dans ce repas, nous rappelle l'amour du Seigneur, la grandeur de son salut et la nature céleste de notre vocation. Évidemment, ce n'est pas pour nourrir notre corps que nous nous approchons de cette table; ce ne peut donc être que dans l'intérêt de notre OMC: culte vrai et spirituel par excellence (Jean 4: 24).

3426. Quant à la manière de célébrer cette portion du culte chrétien, plus on y mettra de simplicité, et plus on fera la Cène comme le Seigneur l'institua. Il s'agit donc de ne pas l'envelopper de formes incompatibles avec l'esprit de la nouvelle alliance. Pour ce qui concernait la pâque des juifs et leurs diverses cérémonies, tout était plein de pompe ou du moins chaque chose était réglée dans le plus grand détail par la loi de l'Éternel; ici, au contraire, toutes choses presque demeurent indéterminées. Les chrétiens jouissent d'une entière liberté quant au choix du jour, de l'heure, du local. Prendront-ils la Cène debout, à genoux, ou assis? Faudra-t-il que l'assemblée soit nécessairement nombreuse et publique? Devra-t-elle être présidée d'office par un homme mis à part pour cette charge? Toutes ces questions et d'autres encore qui pourraient se présenter, ne trouvent aucune réponse précise dans le Nouveau Testament. Ce qu'on y voit clairement, c'est que les disciples de Jésus-Christ doivent rompre le pain et le manger, distribuer la coupe et la boire, en souvenir de leur Sauveur et eu signe de son retour; puis, qu'ils sont appelés à le faire aussi souvent que possible: le reste est d'une moindre importance.

3427. Il n'est rien qui ne se gâte dans les mains de l'homme, tant nous sommes des êtres déchus et méchants; on a remarqué même que, plus une chose est excellente, pire elle se fait quand nous nous mettons à la dénaturer. Qui aurait pu croire qu'une institution comme celle qui nous occupe, deviendrait une source de discordes interminables, et, par la manière dont elle se pratique en certains lieux, une véritable abomination? C'est que toute la doctrine du salut et toute la foi de l'Église se concentrent et se peignent dans la Cène du Seigneur, en sorte que l'Église n'a pu dégénérer, sans imprimer à cette cérémonie sublime le sceau de sa propre indignité. Or, si quelques personnes osaient penser que le Seigneur se serait montré plus sage en réglant tout, de telle sorte que l'Église eût été dans une sorte d'impossibilité de communiquer ses souillures au culte institué par lui, nous leur rappellerions que c'est, au contraire, un des traits les plus admirables de sa divine sagesse de ne l'avoir pas fait. Il est de l'essence d'un culte spirituel de tirer sa principale valeur des dispositions qu'y apportent, par la grâce de Dieu, ceux qui y participent. Le Seigneur n'a donc pas voulu que le nouveau culte pût être essentiellement meilleur que ceux qui le célèbrent; parce qu'autrement ils auraient pu se croire dans l'ordre, tandis qu'ils n'y étaient pas. D'ailleurs, il fallait que la Cène pût se célébrer partout et toujours, dans toutes les conditions imaginables et sans aucun obstacle résultant de la chose même. Or, c'est ce qui n'aurait pu avoir lieu, si l'institution avait été surchargée de règlements.

3428. Sans rassembler ici des détails historiques qui doivent faire l'objet d'autres Études, il nous suffira de prendre les choses au point où elles en sont aujourd'hui, et d'opposer brièvement à la pratique générale des Églises actuelles, l'institution primitive du Seigneur. Pour commencer par l'Église romaine, chacun sait qu'elle a voulu faire de la sainte Cène un véritable sacrifice expiatoire qui doit se renouveler et qui, dans son opinion, se renouvelle en effet chaque jour. Parce que Jésus-Christ a dit: «Ceci est mon corps, ceci est mon sang,» les romanistes prétendent que les communiants, convertis ou non, mangent tous le corps même de notre Seigneur, et que, sans cela, il n'y a point de salut. La Cène est pour eux un mystère, le grand mystère de la religion. Or, non seulement ils oublient ce que Jésus avait dit précédemment au sujet de sa chair et de son sang (Jean 6: 63), mais encore ils donnent aux paroles qu'il prononça dans l'institution de la Cène, un sens qu'elles ne pouvaient absolument pas avoir. Jésus est là en personne; il prend du pain, il le rompt, il le distribue par fragments, et, parce qu'il dit prophétiquement: «Ceci est mon corps,» il est de toute impossibilité que les disciples aient pu croire qu'ils mangeaient le corps même du Seigneur, ce corps que leurs yeux voyaient; ni qu’ils buvaient son sang qui n'avait point encore été répandu, et encore moins, qu'ils se nourrissaient matériellement de la personne entière du Sauveur, de son âme aussi bien que de son corps, et de sa divinité aussi bien que de son humanité, ce qui est pourtant le dogme absurde et révoltant des catholiques-romains.

3429. Il y aurait sur cette grave erreur beaucoup de choses à dire qui se présenteront d'elles-mêmes dans la suite de ces Études; je me borne, pour le présent, à montrer, par la seule manière dont l'Église romaine célèbre la messe, qu'elle ne fait pas la Cène du Seigneur. Au lieu de pain rompu, elle se sert d'une sorte de gaufre préparée exprès et portant une empreinte convenue; et cette pâte, elle l'appelle une hostie, c'est-à-dire une victime. Au lieu de remettre le pain dans la main du communiant, comme fit Jésus, et de le lui donner à mâcher, ce qu'elle regarderait comme un sacrilège, le prêtre place l'hostie sur la langue de celui qui communie, pour qu'il l'avale sans la broyer. L'Église romaine veut, en outre, qu'on adore ce pain et ce vin, acte réel d'idolâtrie; elle ne le donne qu'à ceux qui s'y sont préparés par la célébration de deux autres sacrements de son invention: la confession au prêtre et la pénitence; il faut de plus que les communiants soient à jeun, pour que le corps du Seigneur ne se mêle pas avec d'autres aliments, tandis que les disciples avaient soupé quand Jésus leur rompit le pain; et ce qui achève de démontrer l'erreur de cette Église, c'est qu'elle refuse la coupe au peuple, bien que Jésus ait dit positivement: «Buvez-en tous,» et qu'il nous soit raconté d'une façon non moins expresse, que «tous en burent.» Or, malgré ce que j'ai dit, il n'y a qu'un moment, de la latitude que le Seigneur nous a laissée sur la manière de célébrer la Cène, il est facile de comprendre que cela ne peut aller jusqu'à nous permettre de la dénaturer. Nous remarquerons plus tard que cette erreur se lie à tout un système, qui, sous le nom de foi catholique, est diamétralement opposé à l'Évangile.

3430. On n'a pas moins dénaturé la Cène du Seigneur en faisant de ce repas sacré une sorte d'institution civile, telle qu'on la voit encore dans un grand nombre de pays soi-disant chrétiens. Là, on communie, non par motif de conscience, mais par obéissance aux lois de l'état ou par respect pour l'opinion, et souvent par pure politique. Là, des convives à la sainte table se recrutent annuellement, comme on recrute les armées, en donnant la Cène à tous les jeunes gens d'un certain âge, quelles que soient leurs dispositions. C'est peu s'ils ne sont qu'ignorants ou indifférents, et leur répugnance à communier serait extrême, qu'on n'en tiendrait aucun compte. Là, enfin, une multitude d'hommes, scandaleux par l'impiété qu'ils professent ou par les désordres dans lesquels ils vivent, profanent régulièrement le repas sacré, et, si l'on faisait mine de leur en refuser l'accès, ils s'envisageraient comme lésés dans un de leurs droits de citoyens. Il est parfaitement sûr que le Seigneur n'a pu entendre la chose de cette manière.

3431. On voit à côté de cela des Églises qui passent à l'autre extrême. N'admettant dans leur sein que des personnes vraiment converties, autant du moins que l'homme en peut juger, et faisant outre cela de la Cène du Seigneur le principal lien ecclésiastique, elles ne reçoivent naturellement à ce repas sacré que les membres de leur association, ou peu s'en faut; c'est-à-dire donc les personnes seules qui paraissent réellement converties, et qui se soumettent à ce qu'elles nomment «l'ordre de l'Église.» Or, s'il n'est pas douteux que, dans l'étal actuel de la chrétienté, les Églises sont appelées à prendre quelques mesures de précaution pour que la Cène du Seigneur ne soit pas indignement profanée, rien ne saurait justifier un mode de vivre qui peut avoir pour résultat d'exclure de la table sainte des individus • que le Seigneur a pourtant pris à lui, et qui fait d'un acte de culte commun à toute l'Église de Christ, l'acte du culte particulier de certaines congrégations. Mais, après tout, cette erreur est la moins grave de celles que j'ai signalées, et la pratique de ces Églises a du moins pour effet de protester contre l'abus effroyable que tant de gens font de la Cène du Seigneur.


CCLX. — Judas est démasqué. Derniers entretiens de Jésus avec ses disciples.


3432. (L. 22: 21-23; M. 26: 21-25; Mc. 14: 18-21.) Parmi ceux qui, ce soir encore, étaient assis à la table du Seigneur, se trouvait un homme qui n'y fut que pour sa condamnation. Jésus n'avait pu parler de sa mort prochaine sans penser à celui qui allait en être un des principaux instruments, et, comme il avait démasqué avec une sainte hardiesse l'hypocrisie des scribes et des pharisiens, il fallait aussi qu'il achevât de démasquer celle du perfide Judas. La scène de la veille avait d'ailleurs laissé les disciples sous une vague impression d'effroi dont il fallait les tirer en leur désignant le traître. C'est pourquoi, reprenant ce qu'il avait dit là-dessus, mais s'exprimant avec plus de clarté: «L'un de vous, dit-il, un des douze, un de ceux qui mangent avec moi et qui trempent leur pain dans le même plat, c'est lui qui me trahit! Quant au Fils de l'homme, il s'en va selon qu'il est écrit de lui; mais malheur à l'homme par le moyen de qui le Fils de l'homme est livré! il lui eût été bon de n'être pas né, à cet homme-là.» Oh! quel mystère de Dieu! Il a donné la vie à Judas, à celui qui devait livrer Jésus, à un homme qui, par sa faute assurément, mais non contre la prescience de Dieu, s'est plongé dans un malheur éternel!!!

3433. Dès les premiers mots de cette terrible révélation, Jésus s'était vu interrompre par les disciples qui, non contents cette fois de se regarder les uns les autres et de demander: Qui est-ce? s'écrièrent tous, un à un, dit Marc: Est-ce moi? Est-ce moi? Si bien que Judas ne put faire autrement que de dire à son tour: Est-ce moi? Qu'elle est terrible la condition d'un homme qui médite le crime! Ce n'est que de déguisements en déguisements qu'il y parvient, et c'est par l'effronterie qu'il doit suppléer à l'innocence. Mais, en présence de celui qui sonde les cœurs et qui connaît toutes choses, un «Est-ce moi?» dans la bouche du méchant, équivaut « C'est moi». «Tu l'as dit;» telle fut toute la réponse du Seigneur. Après cela, il est probable que Judas s'esquiva de la salle, sans qu'il pût venir à personne l'idée de l'en empêcher. Les Évangiles ne parlent pas de son départ; mais ils nous le montrent, quelques heures après, se rendant en Gethsémané, escorté de sergents et de soldats, comme il en était convenu avec les principaux du peuple.

3434. (Luc 22: 24-30.) Quelle douleur et quel soulagement tout à la fois pour les onze autres disciples. Misérable Judas! durent-ils se dire; mais enfin c'était lui et non pas eux. Cette dernière pensée fut, paraît-il, celle qui domina dans leur âme en cet instant, et même elle y prit un caractère prodigieusement charnel. Heureux de savoir qu'aucun d'eux ne tomberait dans un pareil crime, fiers de la fidélité dont leur cœur battait pour leur divin Maître, ils en revinrent, comme jadis, à rêver de grandeur et de prééminence à la manière du monde. Or, remarquez ce que le Seigneur leur dit à cette occasion. Tout en les rappelant à l'humilité, par la considération même de la position qu'il avait prise la veille, au milieu d'eux, il ne laisse pas de leur annoncer la gloire qui les attendait, effet même du privilège qu'ils avaient de partager ses épreuves. Après avoir souffert avec lui, ils régneront avec lui: c'est en ces deux mots qu'on peut traduire le langage de notre Sauveur, et nous verrons plus tard qu'une semblable promesse est faite à tous ceux qui croient en lui; mais, dans aucun cas, leur gloire ne consistera, comme celle des rois de la terre, à dominer sur les peuples, ni à recueillir les louanges de la flatterie. Cependant, combien d'hommes, hélas! qui se sont donnés pour les successeurs des apôtres et dont toute l'ambition fut de gouverner les nations et les rois, en plaçant leur nom au-dessus de tous les noms de la terre!

3435. (31-34.) Mais, encore que magnifiques et immuables, les promesses de Dieu ne nous mettent pas absolument à l'abri du danger et ne nous dispensent pas de la vigilance. Si nous sommes dans la foi, Jésus a prié pour nous et notre foi ne saurait absolument défaillir; mais, d'un autre côté, si nous sommes dans la foi, nous écouterons les avertissements que sa charité nous donne, nous craindrons les entreprises de Satan sur nos âmes, et nous comprendrons que, par nous-mêmes, nous sommes sans force contre ses séductions. Jésus ayant dit aux apôtres la gloire certaine qui leur était réservée, voulut leur faire entendre qu'ils n'y parviendraient pas toutefois sans de rudes combats. D'abord, contre Satan lui-même, qui avait déjà «criblé» Judas et qui ne ménagerait pas les autres disciples, s'ils lui donnaient la moindre prise. Pierre surtout, Pierre, que Jésus appelle ici par son ancien nom, Pierre, si zélé mais si inconsidéré, si jeune de caractère et par conséquent si facilement présomptueux, Pierre avait besoin d'avertissements plus que les autres. Il pouvait avoir oublié ceux de la veille. Jésus donc les lui réitère, et cette fois il lui déclare que le moment de sa chute est proche: «Aujourd'hui même tu nieras trois fois de me connaître.» En effet, on était alors au jeudi soir, après le coucher du soleil; par conséquent, selon la manière de compter des Juifs, le vendredi avait commencé. Mais voyez combien le Seigneur est bon envers son disciple! Il ne lui annonce pas sa chute, sans lui annoncer auparavant qu'il en serait relevé et qu'il n'en aurait que plus de zèle à affermir ses frères dans le bon chemin (32).

3436. (35-38.) Un autre genre de lutte à laquelle les disciples allaient être appelés désormais, c'était la lutte avec le monde, lutte dans laquelle le Seigneur les avait précédés; mais tandis que, pour lui, elle était à son terme (37), c'était seulement alors qu'elle allait commencer pour eux. Dans leur première mission [3035] ils avaient rencontré partout des gens qui ne demandaient pas mieux que d'entendre parler du Messie; maintenant ils devront annoncer comme le Christ un homme «mis au rang des malfaiteurs,» et porter à toutes les nations sa doctrine pure et sainte. Que de privations et de dangers n'avaient-ils pas en perspective! A quelle rude guerre ne devaient-ils pas se préparer! C'est ce que Jésus leur fit entendre en des termes figures qu'ils prirent au pied de la lettre, selon leur coutume, et, selon sa coutume aussi, le Seigneur voulut laisser aux événements le soin d'expliquer sa pensée. Au bout d'assez peu d'instants, les apôtres virent bien que deux épées étaient plus que suffisantes pour une lutte qui ne comporte pas l'emploi de telles armes.

3437. (M. 26: 30. Mc. 14: 26.) Les Juifs avaient coutume, à la fête de Pâques, de chanter quelqu'un des psaumes de David: le 113e, le 115e, le 118e ou le 136e, psaumes d'actions de grâces tous les quatre, et l'un d'eux psaume messianique par excellence. Or, rien n'était plus convenable que de se conformer à l'usage, au moment où le Christ lui-même venait d'instituer la Cène, nouvelle Pâque qui publie avec tant de force les délivrances du Très-Haut, et à laquelle on a donné par cette raison le nom d'Eucharistie ou d'Actions de grâces. Jésus donc et ses disciples chantèrent le cantique, ils le chantèrent à un moment d'ailleurs bien lugubre, nous enseignant ainsi que, quelles que soient les circonstances extérieures d'une Église, la louange et les bénédictions ne doivent pas cesser de sortir de la bouche et du cœur des fidèles. Puis, nous disent Matthieu et Marc, ils partirent pour la montagne des Oliviers; mais ce ne fut pas sans que le Seigneur leur adressât auparavant de nouvelles exhortations et de nouveaux encouragements.

3438. (Jean 15.) Comme il avait insisté le matin même, avec beaucoup de force, sur l'obéissance qu'il réclame de ses disciples, il veut maintenant leur rappeler quelle est la source de cette obéissance. Dans ce but, il se désigne lui-même sous l'image d'un cep (1), arbuste précieux, mais de pauvre apparence. À ce cep appartiennent des sarments de deux sortes (2); les uns, semblables aux vierges folles, au serviteur inutile de la parabole des marcs et de celle des talents, ne portent pas de fruits: ils doivent être retranchés; les autres, plus ou moins chargés de fruits, sont les objets particuliers des soins du cultivateur: il les nettoie et les émonde, afin que les grappes en acquièrent d'autant plus de vigueur (3). «Vous, mes vrais disciples, dit Jésus, vous êtes purs à cause de la parole que je vous ai annoncée,» et que vous avez reçue, ce qui se sous-entend de soi-même. Croire en Jésus selon sa parole, voilà donc ce qui purifie le cœur. Après cela, il s'agit que nous demeurions en lui par la foi, et qu'il demeure en nous par son Esprit; car nous ne pouvons qu'à cette condition produire quelque œuvre vraiment bonne (3-6). Au contraire, nous séparer de lui, c'est aller au-devant du feu destiné au sarment sec, dont on ne peut faire aucun autre usage. Si d'ailleurs nous demeurons en Christ par la foi et que sa parole demeure en nous par l'Esprit, les prières que, dans l'intérêt de notre sanctification, nous adresserons à Dieu, doivent nécessairement être exaucées (7, 8), quelle qu'en puisse être l'ambition apparente. C'est par l'abondance de nos bonnes œuvres que le Père est glorifié, c'est par elles aussi que nous nous montrons de vrais disciples de Jésus; or, quelle est la volonté de Dieu, si ce n'est que nous appartenions véritablement à Jésus-Christ, pour la gloire de Celui qui l'a envoyé!

3439. (9). Demeurer dans l'amour de Jésus, c'est tout à la fois être aimé de lui et l'aimer sans cesse. Voyez quel est son amour pour les siens! C'est un amour saint et éternel comme l'amour du Père pour le Fils. Puis, voyez de nouveau combien il est vrai qu'aimer le Seigneur et lui obéir sont une même chose (10), puisque c'est aussi par son obéissance aux commandements du Père que le Fils lui-même demeure dans son amour. Or, cette grande doctrine, le Seigneur la proclame, afin que, l'Esprit demeurant en nous par l'amour et par l'obéissance de la foi, sa joie, une entière joie, y demeure également (11). — Oh! vous qui lisez ces lignes, quelles sont les impressions que produit sur vous la pensée du devoir, de l'obéissance, du commandement? L'écartez-vous, cette pensée? Vous attriste-t-elle? Êtes-vous de ceux qui ne veulent entendre parler que des promesses de l'Évangile et non de ses préceptes? Ah! s'il en est ainsi, je crains fort que vous n'ayez une grande ressemblance avec le sarment improductif. Vous paraissez attachés à Christ, mais non pour tirer à vous la sève fécondante qui sort de lui. Son discours tout entier nous rappelle que l'Évangile a des commandements et non pas seulement des promesses. Ce n'est pas, il est vrai, notre obéissance aux commandements qui nous sauve, c'est la foi en Jésus-Christ; toujours est-il que si notre foi ne produit pas l'obéissance, elle n'est pas la véritable et nous ne sommes pas sauvés. Il est dans l'essence même des promesses de Dieu de nous procurer la joie; mais pour que cette joie soit sûre et parfaite, il faut qu'elle puisse subsister en présence du commandement. Or, celui-ci étant l'expression même de ce qu'est le Seigneur (car il ne peut vouloir que ce qui est conforme à sa nature), il est clair que si nous aimons le Seigneur, nous nous réjouirons de ses commandements et non pas seulement de ses grâces.

3440. (12-15.) Que le commandement soit l'expression même de ce que Dieu est, nous le voyons clairement ici. Le Seigneur est amour: il nous a aimés, jusqu'à donner sa vie en notre faveur; il nous traite non en esclaves, mais en amis; c'est à ce titre qu'il nous a révélé ses propres pensées et celles de notre Père céleste, nous ayant ouvert son cœur sans réserve. Mais sommes-nous ses amis, si nous négligeons volontairement une partie quelconque de ses ordres? Le sommes-nous surtout si nous ne savons pas nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés?

3441. (16, 17.) À ces considérations, notre Seigneur en ajoute une de très grande portée. Les onze étaient devenus ses disciples en vertu du choix qu'il avait fait de leurs personnes, lorsque eux-mêmes n'y songeaient en aucune manière, et ceci est vrai de tous les fidèles aussi bien que des apôtres. Or, dans quel but le Seigneur appelle-t-il à lui ses élus, si ce n'est pour qu'ils le servent? Par cela même qu'il les a élus, ils peuvent compter sur le secours de sa grâce et leurs prières seront certainement exaucées; mais, s'ils prient, il leur sera donné d'obéir au commandement du Seigneur, lequel est, comme le répète Jésus-Christ, de nous aimer les uns les autres.

3442. (18-20.) Les disciples doivent d'autant plus s'aimer qu'ils n'ont aucune affection à attendre de la part du monde. Celui-ci les hait, à raison de ce qu'autrefois ils lui appartenaient, et que, par l'effet de l'élection du Seigneur, ils ne lui appartiennent plus. Le monde les hait par les mêmes motifs qui ont fait et font encore de Jésus l'objet de son aversion, et parce qu'il voit en eux des serviteurs de Jésus; or, comme le Seigneur l'avait dit la veille à ses disciples, en leur lavant les pieds: «L'esclave n'est pas plus grand que son maître.» Ceux qui ont écouté le Maître écouteront sans doute les serviteurs; mais ceux qui l'ont persécuté ne les ménageront pas à leur tour.

3443. (21). C'est un beau nom que celui de Jésus, puisqu'il veut dire Sauveur! Toutefois c'est un nom que les mondains n'aiment pas, quand ils comprennent ce qu'il signifie; parce que ce nom même les fait souvenir de leurs péchés et de la condamnation qu'ils méritent. Si donc quelqu'un, se montrant réellement disciple de Jésus au milieu du monde, invoque le nom que le monde hait, il ne saurait manquer d'attirer sur soi l'animadversion générale. Tout cela vient, dit le Seigneur, de ce que le monde ne connaît pas Dieu, non pas le Dieu abstrait et imaginaire qu'il se plaît à inventer; mais ce qu'il hait, parce qu'il ne le connaît pas, c'est le Dieu et le Père de notre Seigneur Jésus-Christ.

3444. (22-25.) D'ailleurs, semblables aux Juifs d'autrefois, les hommes auxquels parvient l'Évangile commettent, en le rejetant, un péché qui aggrave tous les péchés et par conséquent leur condamnation. Or ils le sentent en leur conscience, et c'est pour cela qu'ils haïssent celui qui leur paraît n'être venu que pour leur malheur; en le haïssant, ils haïssent de plus en plus le Père qui l'a envoyé. Toujours est-il que leur haine est sans excuse. (Ps. 35: 19); car le Seigneur n'est pas venu pour condamner le monde, mais pour le sauver.

3445. (26, 27.) C'est auprès de ce monde et malgré ses violences, que les apôtres devaient être des témoins de la vérité de Dieu en Jésus-Christ, et cela de deux manières. D'abord par le don qui leur serait fait du Saint-Esprit, lequel leur parlerait de Jésus et au moyen duquel ils parleraient de Jésus au monde; puis, par le fait même qu'ils avaient été avec lui durant tout le cours de son ministère. Quand nous en serons à l'histoire des apôtres, nous verrons effectivement que l'autorité de leur parole repose à la fois sur l'inspiration divine dont ils furent revêtus, et sur le privilège qu'ils avaient eu de voir et d'entendre si longtemps notre Sauveur.

3446. (16: 1-4.) On ne saurait trop admirer la bonté et la sagesse des avertissements que le Seigneur donne à ses apôtres, et, dans leur personne, aux fidèles de tous les temps. S'il ne leur avait pas prédit la haine du monde, leur foi aurait été bien ébranlée quand cette haine se manifesta; tandis qu'elle dut, au contraire, s'affermir et s'épurer en passant par le creuset de la persécution. L'Évangile n'a pas de plus forte preuve de sa vérité que l'aversion dont le monde l'honore. Cette aversion même confirme tout ce que nous dit la Bible sur la chute de l'homme et sur la profonde dépravation du cœur humain. Puis, quand on voit la parole de l'Écriture s'accomplir dans les crimes mêmes de ses détracteurs et faire son œuvre malgré leur hostilité persévérante, on est de plus en plus assuré que cette parole est de Dieu! Du reste, si Jésus n'avait pas, dès le commencement, prévenu ses apôtres de l'opposition qui les attendait; si du moins, jusqu'à ce jour, il ne le leur avait jamais dit en termes aussi explicites, c'est qu'il était avec eux; c'est que, pour le présent, la haine du monde se portait tout entière sur sa personne; mais, désormais, ses ennemis ne pouvant plus l'atteindre, ne manqueraient pas de décharger leur fureur sur ceux qu'il avait pris à son service.

3447. (5-11.) Jésus, en effet, allait rentrer dans la gloire de son Père. Il l'annonce à ses disciples; et, tandis que ceux-ci auraient dû n'éprouver que de la joie à cette nouvelle, ils ne pouvaient au contraire dissimuler leur douleur. C'est pourquoi Jésus se met à leur dire tout ce que cet événement aurait d'avantageux pour leurs âmes. En expiant leurs péchés par ses souffrances, il va leur acquérir les grâces de l'Esprit-Saint et, du ciel où il retourne, il les leur enverra. Ils ne seront donc pas seuls au milieu du monde méchant; mais le Saint-Esprit sera avec eux. Par lui, ils convaincront le monde «de péché,», car son incrédulité même l'en accusera; «de justice,», car si Jésus monte au ciel, c'est pour en revenir comme Juge des vivants et des morts; «de jugement» enfin, car Satan est déjà condamné, et ceux qui suivent ses traces ne sauraient échapper au tribunal de Dieu.

3448. (12-15.) Ces dernières paroles du Sauveur étant difficiles à comprendre, je ne m'assure pas d'en avoir parfaitement rendu le sens. Mais les heures de la nuit s'écoulaient et Jésus avait hâte d'achever son discours. Il resserre donc sa pensée, et celle-ci devient de plus en plus profonde. C'est pour cela qu'il finit par renvoyer les disciples aux futurs enseignements du Saint-Esprit. Nous verrons, en effet, dans les Actes des apôtres, dans leurs épîtres surtout, avec quelle clarté et quelle abondance il leur fut donné de prêcher Jésus-Christ, bien qu'ils le connussent encore si mal, lors de son départ.

3449. Quant à cet Esprit de vérité, le Défenseur, ou comme nos versions ordinaires traduisent, le Consolateur, qui devait communiquer aux apôtres la connaissance du Christ dans sa plénitude, et les mettre en état de proclamer sa gloire et celle du Père, il est facile de voir, par le passage qui est sous nos yeux, qu'il ne s'agit pas ici simplement d'une influence divine ou d'une pure action de Dieu sur les âmes. Le Saint-Esprit, c'est évidemment quelqu'un et non pas quelque chose. C'est quelqu'un qui servira de guide aux apôtres; quelqu'un qui, non plus que le Fils, ne parlera pas de par lui-même; quelqu'un dont l'office est de glorifier le Christ, en empruntant tout de lui ou du Père. C'est dire la même chose de deux manières différentes, parce que tout ce que possède le Père est également au Fils, et que le Saint-Esprit est, avec le Père et le Fils, un seul Dieu béni au siècle des siècles.

3450. (16-22.) Il est sûr que, pour ce qui concernait les choses divines, l'intelligence des apôtres était bien peu développée; car ils ne comprirent rien à une prophétie que nous avons ici et qui nous paraît maintenant fort simple. Il est vrai qu'elle s'est accomplie par la mort et par la résurrection de Jésus; or, une prédiction non accomplie, quelle qu'elle soit, ne saurait avoir la clarté de l'histoire. Fidèle à sa méthode d'enseignement, notre Seigneur saisit cette occasion pour annoncer aux disciples les grandes émotions par lesquelles ils allaient passer. À sa mort, le monde des impies éprouvera une vive joie, tandis que les disciples seront dans la douleur; mais à cette douleur succédera une allégresse que personne ne pourra leur ravir; en sorte qu'il leur arrivera comme à une femme qui devient mère, après les terribles souffrances de l'enfantement. C'est une bien vraie image des travaux et des angoisses de l'Église au milieu du monde; c'est aussi l'histoire de tout pécheur qui se convertit: la tristesse avant la joie. 

3451. (23-28.) Mais, pour la tristesse comme pour la joie, il faut que l'Esprit de Dieu agisse au dedans de nous. En d'autres termes, la tristesse du pécheur qui est sollicité à se convertir et la joie du fidèle qui s'est tourné vers Jésus, sont des grâces de Dieu que nous devons lui demander avec instances au nom de son Fils. À cette occasion, le Seigneur reproduit les magnifiques promesses qui sont faites à la prière de la foi (15: 7), et, afin que ses disciples comprissent avec quelle assurance ils devaient invoquer le Père céleste, il leur rappelle l'amour que ce tendre Père a pour eux. Il est vrai que, si nous sommes de ceux qui aiment Jésus et qui croient en lui, il intercède en notre faveur; mais s'il ose prier pour des créatures telles que nous, c'est que le Père lui-même nous aime, vérité largement démontrée par le don qu'il nous a fait de son Fils. Quant à ce bon et miséricordieux Sauveur qui, étant sorti du Père, est venu de sa part dans le monde à diverses époques, il a de nouveau quitté le monde (3: 13); et, après avoir terminé son œuvre, il est retourné à son. Père: ce sont là des articles élémentaires de la foi.

3452. (29-33.) Ces paroles étaient si claires, que les disciples n'eurent pas de peine à les comprendre, celles-ci du moins: «Je suis sorti de Dieu.» Aussi s'écrièrent-ils: «Nous croyons cela, Seigneur!» «Vous croyez!» leur dit Jésus avec une sorte de douleur, non pas comme s'il eût douté de la sincérité de leur foi, mais parce qu'il connaissait leur faiblesse, «vous croyez maintenant! Voici, l'heure vient, et elle est là tout près, que vous serez dispersés, chacun de son côté, et que vous me laisserez seul!» Seul! non pas entièrement, car le Père ne pouvait cesser d'être avec lui A le voir dans son ensemble, le discours que le Seigneur venait de prononcer était de nature à répandre une grande paix dans le cœur agité de ses pauvres disciples. Maintenant, ils savent où il va; ils savent ce qu'il veut leur donner après son départ; ils savent qu'ils l'auront toujours avec eux, bien que d'une autre manière. Il est vrai qu'ils essuieront des tribulations ici-bas; mais encore était-il bon de ne pas l'ignorer. Puis, quel encouragement n'y a-t-il pas dans ces derniers mots de leur bon Maître: «J'ai vaincu le monde!» Oui, il est beau et consolant de voir notre Seigneur, au moment où le chef de ce monde va comme l'écraser sous ses coups, déclarer que c'est le monde et non pas lui qui sera vaincu! Nous donc, si nous croyons, apprenons dans quel esprit nous devons soutenir la lutte avec Satan, le monde et le péché. Notre Chef a remporté la victoire, et, par la foi, il nous est permis de nous envisager, dès à présent, comme victorieux en lui.


CCLXI. — La prière sacerdotale.


3453. (Jean 17: 1-26.) Notre Seigneur termina ses admirables discours par une prière plus admirable encore. Nous savons qu'il se retirait fréquemment à l'écart pour prier et même qu'il y passait des nuits; ici, nous apprenons ce que pouvaient être ses prières. Jésus, souverain Sacrificateur de la nouvelle alliance, établi pour glorifier Dieu auprès des hommes et pour réconcilier les hommes avec Dieu, s'est acquitté de cet office par la mort qu'il a soufferte, mais aussi par les prières qu'il a présentées au Père. Ses prières se rattachent à son sacerdoce comme sa mort même, et c'est ainsi que l'Église l'a de tout temps entendu.

3454. (1-5.) La prière que nous avons devant les yeux porte sur trois objets principaux. D'abord, le Seigneur se montre tout occupé de la gloire de Dieu. L'heure est venue où il faut que le Fils soit glorifié, afin que le Père le soit aussi par lui. Or, la gloire du Fils consiste en ce que le Père lui a donné autorité et puissance sur toute chair, en ce qu'il use de cette autorité pour donner la vie éternelle à ceux que le Père lui a donnés, et en ce que cette vie éternelle se trouve dans la connaissance du Père par le Fils. Tout dans le ministère de Jésus-Christ: ses discours, ses œuvres, sa manière de vivre, tout, dis-je, avait eu pour but de manifester la gloire de Dieu, c'est-à-dire sa puissance, sa sagesse et surtout son infinie miséricorde. Maintenant, le Seigneur s'envisage déjà sur la croix; l'œuvre est consommée, et ce qu'il demande pour prix de son travail, c'est d'être réintégré dans la gloire dont il avait joui de tout temps auprès du Père.

3455. (3.) Reprenons, avant d'aller plus loin, l'espèce de parenthèse dans laquelle notre Seigneur déclare où se trouve le bonheur éternel. Pour posséder ce bonheur, il ne suffit pas sans doute de savoir qu'il y a un seul Dieu et que Jésus-Christ est son envoyé. Connaître Dieu et Jésus-Christ, c'est autre chose que cela. Connaître, dans le langage de l'Écriture, c'est sentir, c'est aimer, c'est posséder; connaître Dieu, c'est se nourrir de lui et participer à sa vie [1305]. Aussi, notre Seigneur ne dit pas seulement que cette connaissance est le chemin de la vie éternelle, il dit qu'elle est la vie éternelle même. Celui qui possède et le Père et le Fils, est passé de la mort à la vie; il est vivant au siècle des siècles, comme le Seigneur auquel il croit. 

3456. (6-19.) La prière de notre souverain Sacrificateur a pour second objet les disciples avec lesquels il venait d'avoir son dernier entretien. Avant d'être à lui, ils étaient du monde; mais alors déjà, ils appartenaient au Père par un effet de son bon plaisir. C'est pourquoi, lorsque Jésus leur eut appris à connaître Dieu comme Père, et qu'il leur eut parlé de sa part, ses instructions, peu comprises il est vrai, trouvèrent cependant le chemin de leur cœur, et maintenant ils n'hésitaient plus à voir en lui le propre Fils du Père et le parfait organe de son amour. C'est donc pour eux qu'il prie; parce que le Père les aime, qu'il les lui a donnés et qu'ils auront pour office de le glorifier. Ce qu'il demande, c'est que le Père les garde, qu'il les préserve du mal, qu'il les sanctifie, grâces qui sont les grâces mêmes dont a besoin toute âme qui appartient à Jésus-Christ par la foi.

3457. Ici se présentent quelques observations de détail. Toute connaissance du Père nous est donnée par le Fils, et nul ne va au Fils que par la grâce du Père; puis, le signe auquel on reconnaît les personnes que le Père donne à son Fils, c'est qu'elles observent sa parole (6).

3458. Ceux qui sont du monde et qui veulent demeurer dans le péché ne se soucient pas des prières de Jésus; aussi est-il vrai qu'il ne prie point pour eux (9). Ce n'est pas à dire que le pécheur, même le plus abandonné en apparence, ne doive pas se réclamer de l'intercession du Sauveur. S'il le fait, il y a tout lieu de penser qu'il est une de ces âmes que le Père a données à son Fils et qui, bientôt, seront entièrement à lui.

3459. En vivant pour le Seigneur, les siens le glorifient, et en le glorifiant ils glorifient le Père; car tout ce qui est au Fils appartient au Père et tout ce qui est au Père appartient au Fils (10.) Ces dernières paroles sont une preuve bien forte de la divinité de Jésus-Christ.

3460. Quand on pense que le chef de l'Église romaine se laisse donner par ses adhérents le titre même de SAINT-PÈRE (11), — se mettant ainsi à la place de Dieu, l'on ne peut retenir un sentiment d'horreur et d'indignation!

3461. Que penser ensuite des hommes dont toute la religion est une affaire du présent siècle et qui sont mondains jusque dans leur culte? Ah! certes ils ne se montrent pas les successeurs des apôtres, ni les héritiers de leur foi. Hélas! les plus fidèles même et les plus éclairés d'entre les chrétiens, ont beaucoup à s'humilier de mériter encore si peu l'honneur insigne que Jésus leur fait, en disant qu'ils ne sont pas du monde, comme lui-même n'est pas du monde (16); car ce qu'il déclare ici est vrai de tous ses disciples réels aussi bien que des apôtres. Ceux-ci étaient alors fort indignes du rapprochement que le Seigneur établit entre eux et lui: voyons-y au moins l'excellence de la vocation qui leur était adressée et qui nous l'est comme à eux.

3462. L'erreur et le mensonge ne sauraient porter aucun fruit de sainteté. Rien n'est donc plus important que la connaissance et la profession de la saine doctrine. Celle-ci ne se trouve nulle part ailleurs que dans la Parole de Dieu. Si donc nous voulons être sanctifiés, cherchons auprès du Sauveur la sanctification, non moins que les autres grâces, et n'oublions pas qu'il la communique par sa Parole (17).

3463. Il n'y a que lui qui ait pu se sanctifier lui-même, et encore se sanctifier pour autrui (19). Il n'a pas eu à se dépouiller du péché, mais il a dû lutter contre les tentations. Sa vie tout entière fut une vie de sainte obéissance à son Père. C'est ainsi qu'il se consacra ou se sanctifia lui-même, et que sa sainteté toute divine est la source où nous devons puiser notre propre sanctification.

3464. (20-26.) Enfin, la prière du Seigneur a pour objet les fidèles de tous les temps et de tous les lieux. Ses œuvres lui sont connues dès l'éternité; vous pouvez donc, vous qui lisez ces lignes en regardant du cœur à Jésus-Christ, vous dont la foi est son œuvre, vous pouvez vous dire qu'il a prié pour vous personnellement il y a dix-huit siècles, d'une prière éternelle comme lui et dont l'efficace est infaillible. Ce qu'il a demandé en faveur de ceux qui croiraient en lui par la prédication et par les écrits des apôtres, c'est tout ce qu'il venait de demander pour les apôtres eux-mêmes; notamment, qu'il y eût entre eux une unité parfaite et qu'ils fussent admis à partager la gloire qui lui appartient de toute éternité. Puis il termine en promettant de leur faire de plus en plus connaître Dieu comme leur Père, afin qu'ils soient animés de l'amour même dont le Père l'a aimé et que sa vie à lui devienne leur propre vie.

3465. O mon âme! arrête-toi quelques instants ici, car on y respire à ciel ouvert les doux parfums de la grâce de Dieu! As-tu quelqu'un qui t'aime plus et mieux que le Seigneur ne t'aime? Connais-tu quelque bien plus grand que ceux dont il veut t'enrichir? Est-il quelque crainte dont le souvenir de cette prière ne doive te dépouiller? Où porteras-tu tes regards et tes pensées pour trouver rien de plus magnifique en consolations et en semences de sainteté? Et si, rachetée par Jésus, ta foi t'autorise à penser que tu fus un des heureux objets de sa miséricorde dans la prière de son cœur, n'est-il pas sûr que cette terre est pour toi le chemin du ciel ou plutôt le ciel même?

3466. Quant à l'unité qui doit exister et qui existe effectivement entre tous ceux qu'anime l'Esprit de Christ (21-23), c'est manifestement l'unité de la foi et de l'amour, unité spirituelle et non matérielle ou extérieure, puisqu'elle est semblable à celle qui lie le Père et le Fils. Toutefois elle se manifeste par des faits; car il faut qu'elle soit connue du monde, pour la gloire de Dieu.

3467. Voyez aussi ce qu'il faut entendre par la gloire promise aux fidèles (22-24). C'est la gloire même de Jésus. Les âmes qu'il a rachetées sont sa couronne; mais c'est une couronne qui tire tout son éclat de celui qui la porte. Aussi voyons-nous que Jésus mêle exprès ces trois idées: l'unité des fidèles, leur unité avec lui, la gloire qui leur est réservée. Que ces grandes pensées remplissent donc aussi nos âmes, dans une sainte et sublime confusion!

3468. Je ne saurais me séparer de ce sujet sans l'accompagner de quelques réflexions générales. — D'abord, vous aurez du remarquer la simplicité de cette prière. Rien de plus profond dans la pensée; rien de plus uni dans l'expression. Apprenons du Seigneur à prier. Quand nous parlons à Dieu, ce n'est pas le moment des grandes et belles phrases. La foi et le cœur vont haut et loin sans beaucoup d'apprêts. La simplicité toutefois n'exclut pas l'ordre. Celui qui prie doit savoir ce qu'il veut demander et, s'il ne le sait pas, le Saint-Esprit le lui enseigne. C'est ainsi que les prières des fidèles, tout l'opposé des vaines redites, seront abondantes et non pas surchargées: elles passeront aisément d'un objet à un autre, en donnant à chacun sa place et son importance.

3469. Après cela, voyez, dans la prière de notre Seigneur, comment sa divine pensée et ses saints désirs se développent et s'expriment chacun de la manière qui lui est propre; toutefois, en faisant reparaître fréquemment les mêmes expressions. Ces expressions méritent d'être comptées et pesées. Elles composent, pour ainsi dire, tout le vocabulaire du chrétien, en résumant d'une manière admirable les doctrines de la foi.

3470. C'est pour la gloire de Dieu que toutes choses existent et que le Christ a tout accompli. Connaître le Seigneur, c'est la vie éternelle, et les grâces de la vie éternelle sont, sans exception, un don de Dieu. Dieu a donné son Fils, il lui donne ceux qu'il veut sauver, et il leur donne la foi qui les sauve. Par cette foi ils sont à Dieu, et le genre humain tout entier ne se compose que de deux classes de personnes: le monde et ceux qui, étant à Dieu, ne sont pas du monde. Ce qui caractérise ces derniers, c'est qu'ils aiment comme ils ont été aimés; qu'ils sont un comme le Père et le Fils sont un; qu'ils sont sanctifiés, consacrés, mis à part et purifiés. Enfin l'organe par lequel cette œuvre tout entière se produit, c'est la Vérité. — Voilà tout un ensemble d'idées que la prière de notre Seigneur livre à nos méditations. Je ne puis que les indiquer, mais je me repose sur l'Esprit de Dieu pour les approprier aux besoins spirituels de mes lecteurs.


CCLXII. — Jésus en Gethsémané.


3471. Nous arrivons enfin au terme de la carrière terrestre de notre Sauveur, à cet instant solennel où la postérité du serpent brisa le talon de celui qui est né d'une femme [102]; où le Père céleste mit sur le bûcher son Fils, son unique, celui qu'il aime, son Isaac [353, 363]; où le représentant des pécheurs fut élevé sur une croix comme le serpent d'airain au haut d'une perche (Jean 3:14); où le Saint et le Juste fut frappé pour l'iniquité de nous tous et mis au rang des malfaiteurs [2246, 2247]; où le Christ se vit retranché de la terre des vivants mais non pas pour lui [2457], et où l'Agneau de Dieu s'offrit en sacrifice d'expiation pour les péchés du monde (Jean 1: 36). Quatre lieux principaux devinrent successivement le théâtre de cette longue mort du Seigneur: Gethsémané, le palais de Caïphe, le Prétoire et le Calvaire. C'est là que nous devons le suivre avec un redoublement d'attention.

3472. (L. 22: 39; M. 26: 30-36; Mc. 14: 26-32; J. 18: 1.) En rapprochant les quatre Évangiles, on voit que Jésus ayant traversé le torrent de Cédron, qui coule entre Jérusalem et le mont des Oliviers, entra avec ses disciples dans un jardin où il s'était plus d'une fois retiré et que Judas connaissait parfaitement. Ce lieu s'appelait Gethsémané ou le Pressoir à huile: c'est là que Jésus va se trouver seul à fouler au pressoir (Es. 63: 3). Chemin faisant, ou peu après être arrivé à sa destination, le Seigneur, toujours plein de sollicitude pour ses disciples, veut les avertir encore une fois des dangers dont cette nuit terrible les menace. Il leur rappelle une prophétie messianique à laquelle ils n'avaient peut-être jamais pris garde (Zacharie 13: 7-9) et, pour relever en même temps leur courage, il leur parle de sa résurrection, leur donnant un prochain rendez-vous dans la Galilée, ce pays dont le souvenir devait leur être cher à tant de titres. Mais voyez quels péchés la présomption peut produire. Pierre et les dix autres avec lui, n'osèrent-ils pas donner à leur maître une sorte de démenti! Et quand Jésus, de plus en plus explicite, eut dit à celui d'entre eux qui se vantait le plus: «Aujourd'hui, en cette même nuit, avant que le coq ait chanté deux fois, tu me renieras trois fois,» le malheureux Pierre ne se mit-il pas à répéter encore plus fortement: «Lors même qu'il me faudrait mourir avec toi, je ne te renierai pas!» Cette réponse aurait rempli de joie tout autre que Jésus; mais il savait ce qui est dans l'homme, et des protestations où il y avait tant d'orgueil, bien que mêlées de tant d'amour et de zèle, ne purent que l'affliger profondément.

3473. (L. 22: 40-46; M. 26: 37-46; Mc. 14: 33-42.) Cependant le Seigneur, qui, après cette longue journée, avait pitié de la fatigue de ses disciples, fatigue qu'il ressentait plus que la sienne propre, leur dit de s'asseoir sous les arbres du jardin pendant qu'il se mettrait en prière à l'écart, les invitant à prier de leur côté, pour ne pas succomber aux tentations qui approchaient. Il prit toutefois avec lui ses trois témoins particuliers, Pierre, Jacques et Jean [3094], et, se sentant saisi d'une profonde angoisse: «Mon âme, leur dit-il, mon âme est enveloppée d'une tristesse de mort; demeurez ici et veillez avec moi.» Alors il se détourna d'environ un jet de pierre; se mit à genoux; se prosterna même le visage dans la poudre, priant le Père d'éloigner de lui la coupe des souffrances si la chose était possible, et se montrant néanmoins tout résolu à faire la sainte volonté de son Dieu. Après cette prière, il rejoint les trois disciples, qui, accablés eux-mêmes de douleur, mais d'une douleur tout autre, s'étaient laissé surmonter par le sommeil, comme des enfants. «Eh! quoi, vous dormez!» dit Jésus, en s'adressant particulièrement à Pierre: Levez-vous, veillez, priez. Où sont vos résolutions? Ah! je vous l'avais dit: «L'esprit est prompt, mais la chair est faible!»

3474. Le Seigneur ayant témoigné de la sorte aux disciples que ses angoisses ne l'empêchaient pas de s'occuper d'eux, retourne à sa prière, et, après l'avoir répétée comme la première fois, il revient à Pierre et à ses collègues, toujours si assoupis qu'ils ne savaient que lui répondre. Enfin, il se prosterne de nouveau contre terre, et, cette fois, son agonie est telle que des grumeaux de sang se mêlent à sa sueur et découlent sur le sol; en sorte qu'il fallut un ange du ciel pour le fortifier. Combien de temps dura cette lutte, mystérieuse autant que terrible, c'est ce qui ne nous est point dit et ce qui n'importe guère. Courte ou longue, il est évident que Jésus y souffrit au-delà de ce qu'on peut exprimer. Mais, relevé par la main même du Père, il rejoignit aussitôt ses disciples. À présent, leur dit-il, dormez, si cela vous est possible: «Voici, celui qui me trahit approche.»

3475. (J. 18: 2, 3; L. 22: 47, 48; M. 26: 47-50; Mc. 14: 43-46.) Judas, en effet, Judas, qui n'avait pas dormi, arrivait accompagné d'un gros de soldats, avec des officiers de justice envoyés par les sacrificateurs et les chefs du peuple. Bien que ce fût au milieu de la nuit, une foule de gens grossissait le cortège. Ne se fiant pas à l'incertaine clarté de la lune, ils portaient des lanternes et des flambeaux, et, comme s'ils eussent pu craindre quelque résistance, ils étaient armés d'épées et de bâtons. C'était une espèce d'émeute nocturne, bien plus qu'une exécution judiciaire. Judas, audacieux et calme en apparence, s'approche de Jésus; puis, selon la coutume des disciples, coutume où l'on voit l'affectueuse intimité qui régnait entre eux, il l'embrasse et le salue du nom de docteur ou de maître. C'était ainsi qu'il avait convenu de le désigner aux chaînes qui l'attendaient, et s'il avait ajouté: «Emmenez-le sûrement,» peut-être cela signifiait-il que, dès lors, il ne répondait plus de lui. Cette indignité n'arracha d'autre parole à Jésus que celle-ci: «Toi, mon compagnon (et non pas mon ami, comme on a traduit généralement), que fais-tu ici? [3358.] Trahis-tu le Fils de l'homme par un baiser?»

3476. J. 18: 4-9; 10,11; L. 22: 49-51; M. 26: 51-54; Mc. 14: 47.) À cet instant, le Seigneur va au-devant des soldats, et quand, à sa demande, ils lui disent qu'ils ont ordre de saisir Jésus de Nazareth, il leur répond: «C'est moi,» tant il entrait peu dans sa pensée de songer à leur échapper. Pour montrer, cependant, qu'il en aurait eu le pouvoir, cette simple parole: «C'est moi,» produisit sur les soldats l'effet que la présence de Jésus doit produire, un jour, sur le monde des impies. Ils reculent et tombent à la renverse. Puis, quand ils sont relevés, Jésus leur demande de l'emmener seul, car il paraît qu'ils faisaient mine de saisir aussi les apôtres, et la chose était assez naturelle; mais l'événement se passa selon la parole du Seigneur et non pas selon leur volonté. Ce fut donc de Jésus seul qu'ils s'emparèrent. Les disciples, voyant cela, lui demandèrent s'ils devaient frapper de l'épée, et, sans attendre la réponse, Pierre, toujours impétueux  et irréfléchi, Pierre, plein de courage en présence de cette multitude armée, mais d'un courage tout charnel, Pierre frappe du glaive et emporte l'oreille d'un nommé Malchus, esclave du souverain sacrificateur. Défendre Jésus avec l'épée! Croire qu'il a besoin d'une telle protection! Méconnaître à ce point le sens profond de ce qui se passait en ce moment! Ah! pauvres disciples, comme ils auraient mieux fait de veiller et de prier selon les avertissements de leur bon Maître!

3477. (L. 22: 52-54; M. 26: 55-57; Mc. 14: 48-50.) Cependant, Jésus avait guéri miraculeusement le blessé, nouvelle preuve qu'il n'avait rien perdu de sa puissance et qu'il se livrait volontairement. Puis, au moment de partir, il voulut que ces gens sentissent pourtant l'indignité de leur conduite. Il y avait là, mêlés avec la foule, des sacrificateurs et des magistrats, qui avaient tenu, paraît-il, à s'assurer que tout irait comme Judas s'y était engagé. Or, n'était-il pas bien extraordinaire qu'ils s'y prissent de la sorte pour s'emparer d'un homme qu'ils avaient vu plusieurs jours de suite dans le temple, enseignant publiquement au milieu d'eux! Il est vrai qu'ils avaient eu peur du peuple; mais pourquoi le peuple, jusque-là, s'était-il déclaré en faveur de Jésus? Pourquoi, si Jésus était criminel, n'avait-on pas commencé par en convaincre le peuple? Mais non; il fallait d'abord le lier, le condamner, lui donner l'air d'un coupable, le saisir en secret et de nuit: la nuit était le temps particulièrement convenable pour cette œuvre du prince des ténèbres! Après cela, quel admirable accomplissement des prophéties (Es. 53: 12). On prenait Jésus en Gethsémané, comme on aurait pris un brigand dans sa caverne; et ce fut à la manière des voleurs de grand chemin qu'on emmena Jésus, les mains garrottées et traîné par une corde. À ce moment terrible, il faut en convenir, tous ses disciples l'abandonnèrent et s'enfuirent, d'autant plus effrayés qu'ils s'étaient d'abord montrés plus téméraires; et voilà Jésus seul, comme il l'avait annoncé quelques instants auparavant.

3478. Dans cette portion de l'histoire du Seigneur, de même, au reste, que dans toutes les autres, il est intéressant de noter la ressemblance qu'ont entre eux les quatre Évangiles, malgré d'assez notables différences. Ainsi, Matthieu ne raconte pas ce qu'il y eut de principal dans l'agonie de Jésus, savoir la sueur de sang et le secours de l'ange, traits qui sont rapportés seulement par Luc. Mais Matthieu enregistre cette parole importante du Sauveur, importante au même point de vue: «Mon âme est de toutes parts saisie de tristesse jusqu'à la mort,» tandis que Luc la supprime. Ni Matthieu, ni Marc ne disent la chute des soldats, non plus que la guérison de Malchus; c'est Jean qui, seul, a mis au jour le premier de ces miracles, et Luc, seul avec lui, qui ait parlé du second. Sur quoi il est à observer que Pierre et Malchus ne sont nommés que par l'évangéliste qui écrivit le plus tard, vu qu'alors, pense-t-on, il n'y avait aucun inconvénient à mettre en scène ces deux hommes. — Mais, après ces observations, nous en avons de plus importantes.

3479. Dans la crise qui vient de se dérouler à nos yeux, le Seigneur Jésus se présente sous un aspect qui, au premier abord, peut avoir quelque chose d'étrange. Habitués que nous sommes à le voir pauvre et persécuté, nous ne le sommes pas jusqu'ici à le voir dans un état voisin du désespoir. Avez-vous remarqué comme il sollicite ses faibles disciples à le soutenir par leur présence, comme il se prosterne humblement dans la poussière, comme il supplie le Père de l'épargner? Plus il montre au fond de résignation, plus ses cris accusent l'intensité de ses souffrances. Eussions-nous d'ailleurs quelques doutes à cet égard, le sang qui jaillit de ses pores et l'assistance que dut lui prêter un ange du ciel, suffiraient pour nous en convaincre. Or, rien ne saurait expliquer cette agonie, sinon qu'on n'admette les déclarations des saintes Écritures sur le but essentiel de la manifestation du Fils de Dieu dans notre chair mortelle. Notre Seigneur a mis son âme en oblation pour le péché, suivantes prophéties; l'Éternel a fait venir sur lui nos iniquités à tous; victime sainte, il a traversé le feu de la colère divine. Telle est la cause, telle est aussi la vraie nature de ses souffrances. Si donc nous voulons savoir ce que c'est que le péché et ce qu'il mérite, allons en Gethsémané.

3480. Allons-y pareillement pour apprécier l'amour incompréhensible du Seigneur, qui passa par cette agonie à cause de nous, et qui, après de telles souffrances, se montra si patient envers Judas et ceux qui venaient le saisir, comme envers le téméraire Simon. Considérons la puissance dont il disposait à ce moment encore, et l'usage qu'il en fit pour montrer, je le répète, que son sacrifice était volontaire, comme pour rappeler ses précédents miracles et les droits qu'il avait à la reconnaissance d'un peuple qui allait se tourner contre lui. Remarquez de plus, non seulement avec quelle bonté il mit ses pauvres disciples à l'abri de tout mal, mais encore par quelle intention pleine de sagesse il voulut souffrir seul le supplice qu'on lui destinait. S'il l'eût partagé avec les siens, on n'aurait pas vu aussi nettement en sa personne la victime de propitiation, l'Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde.

3481. Passant de Jésus à ceux qui sont près de lui dans cette histoire, les onze nous apparaissent tels que nous les avons toujours vus: pleins de bonne volonté et d'ignorance; faibles et présomptueux, surtout Simon; croyants, mais mal affermis; aimant leur Maître, mais d'une affection terrestre encore. Ils avaient tous dit qu'ils ne l'abandonneraient point, dussent-ils mourir, et les voilà qui l'abandonnent, lorsqu'au fond il n'y avait plus de danger à le suivre. Mais il fallait, ici comme ailleurs, que les prophéties fussent accomplies. Cela ne signifie pas que les apôtres, non plus que Judas et les chefs du peuple, aient été obligés de faire ce qu'ils ont fait; mais ce qu'ils ont fait, connu de Dieu dès l'éternité, avait été annoncé par les prophètes, et, de cette manière, nous sommes sûrs que les plans de l'Éternel se réalisaient par leurs péchés, non moins que par l'obéissance du Sauveur [611].

3482. Si, des onze nous allons à Judas et à la troupe qu'il conduisait, nous n'avons rien de fort surprenant à signaler. Au point où en étaient les choses, le malheureux Judas ne pouvait agir autrement. Le crime a ses nécessités comme la vertu. Il fut un moment où le traître pouvait confesser son forfait et rebrousser chemin, mais, malheur à ceux qui étouffent la voix de Dieu dans leur conscience, le pied leur manque au bord du précipice, et rien ne les arrêtera qu'ils ne soient au fond de l'abîme. Quant aux pharisiens et à ceux qu'ils tenaient sous leur dépendance, nous avons vu ailleurs l'explication de leur conduite. Depuis longtemps ils avaient, en leur cœur, versé le sang de Jésus [2948]; l'occasion seule leur manquait. Si le Seigneur s'était encore une fois soustrait à leur haine, le crime qu'ils méditaient n'en aurait pas été moins réel devant Dieu. Or, ce crime est celui de toute personne qui, de nos jours même, rejette Jésus et sa doctrine, son salut et sa vie, pour suivre de préférence la voix de ses passions.


CCLXIII. — Le vendredi. Jésus chez Caïphe. Reniement de Pierre.


3483. (J. 18: 12-18; L. 22: 54-58; M. 26: 58, 67-72; Mc. 14: 51-54, 66-69.) Voilà donc notre bien-aimé Sauveur garrotté et traîné, comme un malfaiteur, dans cette ville de Jérusalem, sainte et coupable cité, qui avait tué maints prophètes et où, cinq jours auparavant, il avait fait son entrée royale. C'était au milieu de la nuit. L'escorte de Jésus ne se composait que de gens gagnés par les pharisiens, et sans doute on faisait le moins de bruit possible, afin de ne pas attirer la foule de ses partisans. Plusieurs cependant durent être éveillés sur la route. Marc nous raconte qu'un jeune homme, entre autres, sorti brusquement de son lit et enveloppé de sa couverture, se mit à courir après Jésus. Si l'on en croit la tradition, cet individu aurait été Marc lui-même. En voyant cette espèce de fantôme, quelques-uns de ceux qui étaient là voulurent s'emparer de sa personne; mais il leur abandonna son linceul et s'enfuit.

3484. C'est chez Caïphe, le souverain sacrificateur de cette année-là, qu'on menait le Sacrificateur de l'alliance éternelle. Mais Caïphe avait un beau-père nommé Anne, ou Annas, qui avait aussi été souverain sacrificateur, homme méchant et plein d'influence, chez lequel il paraît qu'une partie du conseil s'était réunie, dès le soir, pour attendre la suite des événements. Sa maison était probablement plus voisine des portes de la ville que celle de Caïphe. Après une courte halte, on arriva chez celui-ci. Pierre, qui n'avait pas tardé à rougir de sa lâcheté, suivait Jésus de loin avec un autre disciple. Celui-ci, connu du souverain sacrificateur et de ses gens, était entré sur les pas de Jésus, tandis que Pierre demeura dehors. Mais bientôt, Jean (car c'était lui, comme on le pense généralement), Jean obtint l'entrée de Simon et la portière lui ouvrit. Or, Pierre avait souvent attiré l'attention sur sa personne par sa vivacité; et, lorsqu'il se fut approché du feu qui était allumé dans la cour à cause de la fraîcheur de la nuit, cette femme lui dit, peut-être sans mauvaise intention: «N'es-tu pas des disciples de cet homme?» Pierre, qui ne s'attendait pas à cette question et qui ne se donnait jamais le temps de réfléchir, y vit comme une menace de mort; ou, craignant simplement qu'on ne le fit sortir, il mentit en disant: «Je n'en suis point.» Peu après, cette même servante et d'autres gens avec elle, regardant Pierre en face, reproduisirent la même observation. Pierre nia de nouveau, et le coq chanta pour la première fois. Il n'était donc pas encore jour. Alors le pauvre disciple, inquiet et mal à son aise, bien que peut-être il n'eût pas pris garde au chant du coq, sortit de la cour avec la conscience chargée de deux grands péchés, et il se glissa dans la foule qui remplissait le vestibule du palais de Caïphe.

3485. (Jean 18: 19-24.) C'était par là que notre Seigneur avait dû passer pour entrer dans la salle où l'on était assemblé en grand nombre, mais fort irrégulièrement, puisque le Sanhédrin avait plutôt pour lieu de ses séances l'un des bâtiments du temple. Le souverain sacrificateur commença par interroger Jésus sur sa doctrine et sur ses disciples. Mais comme ce n'était certainement pas au prévenu de dresser lui-même son acte d'accusation, Jésus répondit qu'il avait enseigné publiquement et qu'on devait interroger ses nombreux auditeurs. Rien de plus simple ni de plus légitime que cette réponse; mais les passions étaient si vivement émues que les seuls accents de cette voix détestée, suffisent pour enflammer la colère des assistants. Un des gardiens de Jésus, fidèle valet de ses maîtres, lui appliqua immédiatement un grand coup sur la joue. Or, Jésus, calme dans l'ignominie comme dans la souffrance, se contenta de lui dire: «Si j'ai mal parlé, rends témoignage de ce mal; et si j'ai bien parlé, pourquoi me déchires-tu?», car il résulte du mot employé dans le texte, que ce sergent l'avait frappé de sa verge et peut-être jusqu'au sang.

3486. (M. 26: 59-63; Mc. 14: 55-61.) On fit alors entrer des témoins. Mais il paraît qu'on ne les avait pas assez exactement instruits; car leurs témoignages étaient insuffisants, soit qu'ils ne portassent que sur des choses de peu de valeur, soit qu'ils ne fussent pas d'accord. Il en vint enfin qui accusèrent Jésus d'avoir menacé de détruire le temple de l'Éternel. Ils dénaturaient ses paroles, tant il est aisé de calomnier sans qu'il y paraisse; car il n'avait pas dit: «J'abattrai,», mais, «abattez ce temple» (Jean 2: 19). D'ailleurs, c'était de son propre corps qu'il avait parlé, et ses adversaires l'avaient mieux compris que les disciples; nous le verrons bientôt. Puis, en comparant les Évangiles, on s'aperçoit que les uns rapportaient la prophétie d'une manière et les autres d'une autre; en sorte que leur témoignage manquait effectivement de la parfaite concordance exigée par la loi ou par la coutume. Or, le conseil, qui voulait avoir l'air de rendre un jugement juste, ne pouvait passer outre, et il s'irritait de ce que Jésus demeurait sans rien dire. Mais s'il ne disait rien, c'est précisément parce que l'accusation n'était pas encore formulée; car, chez les Juifs, il n'y avait et il ne pouvait y avoir d'autres accusateurs que les témoins.

3487. (L. 22: 59-62; M. 26: 73-75; Mc. 14: 70-72; J. 18: 26, 27.) Une heure avait été employée à l'interrogatoire de Jésus et à l'audition des témoins. Du vestibule où il était entré, Pierre avait pu voir et entendre une partie au moins de ce qui s'était passé, et il n'était pas homme à dissimuler ses impressions. Quelques personnes donc l'ayant remarqué, l'avaient inquiété par les observations qu'elles faisaient sur son compte, lorsque vint un parent de ce Malchus qu'il avait frappé de l'épée. En entendant sortir de sa bouche cette terrible interpellation: «Ne t'ai-je pas vu dans le jardin avec lui?» Pierre eut décidément peur et tout autre aurait eu peur à sa place, car il avait répandu le sang. C'est pourquoi, ô quelle chute! il nia, avec serment et avec des imprécations contre lui-même, d'avoir jamais connu le Seigneur. Et le coq chanta pour la seconde fois. Il n'est pas probable que Pierre l'entendit mieux qu'auparavant: il devait avoir l'esprit trop préoccupé. Mais Jésus n'oubliait pas son pauvre disciple; il avait prié pour lui, et qui, mieux que lui, sut joindre l'action à la prière! Au moment où il vient d'être renié d'une manière si outrageuse, il regarde Pierre: les yeux du Maître et ceux du disciple se rencontrent! Ah! qui dira tout ce qu'il y avait de tendres reproches dans ce regard de Jésus, et tout ce qu'il y eut de confusion sur le front de l'apôtre? Touché jusqu'au fond de l'âme, Pierre sortit aussitôt et pleura amèrement.

3488. (L. 22: 63-65; M. 26: 67, 68; Mc. 14: 65.) Ce qui avait momentanément rapproché le Maître et le disciple dans cette scène de commune humiliation, mais d'une humiliation bien différente, ce fut, me semble-t-il, l'incertitude où dut se trouver le conseil, en voyant que Jésus refusait de répondre sur sa doctrine et qu'il ne se présentait d'ailleurs contre lui aucun témoignage suffisant. De là un temps d'arrêt dans la procédure, temps pendant lequel le Seigneur aurait été conduit quelques moments hors de la salle. Ce serait alors qu'il aurait fait tomber sur Pierre son regard de miséricorde, et alors aussi que ceux qui gardaient Jésus se seraient permis à son égard les plus grandes indignités. Le frapper, lui cracher au visage, lui bander les yeux et lui demander de prophétiser ou de deviner qui le frappait, en entremêlant d'ailleurs tout cela de paroles insultantes et de blasphèmes contre le Saint et le Juste: voilà quelle fut l'impie joie de ces méchants! Par la comparaison des Évangiles, on pourrait croire que cette horrible scène se renouvela lorsque le conseil eut déclaré Jésus digne de mort, et la chose n'est point impossible; dans cette supposition, le troisième reniement de Pierre n'aurait eu lieu qu'à ce moment.

3489. (L. 22: 66-71; M. 26: 63-66; Mc. 14: 61-64.) Le jour commençait maintenant à luire, et qui ne serait saisi à la pensée des événements sur lesquels le soleil, notre soleil, allait répandre sa clarté! Abandonnant la manière de procéder qu'il avait d'abord suivie, le conseil demanda formellement à Jésus, par la bouche de son président, s'il persistait à se donner pour le Christ. Mais pourquoi cette question puisqu'ils étaient résolus à ne pas croire? C'est ce que le Seigneur leur fit sentir, tout en disant qu'il aurait aussi de son côté des questions à leur présenter, et que, s'il y renonçait, c'était par la raison qu'il connaissait l'obstination de leur mauvais cœur. Sur cela, le souverain sacrificateur l'interpella, au nom du Dieu vivant, de répondre à l'interrogation qu'on lui avait adressée: «Es-tu le Christ, le Fils de Dieu? — Tu le dis, répond le Seigneur. — Tu es donc le Fils de Dieu! — Tu le dis; je le suis. Bien plus, je vous dis que, dans la suite, vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel!» En sorte que, si Jésus avait d'abord refusé de répondre, c'était afin d'imprimer à sa réponse une plus grande solennité, et il craignait si peu de déclarer ce qu'on voulait, qu'il finit même par dire plus qu'on ne lui avait demandé. Les ennemis de Jésus avaient donc ce qu'ils désiraient. Un misérable Nazaréen qui se dit le Christ! Un homme lié de cordes qui se prétend le Fils de Dieu! Quel blasphème! Ce crime méritait la mort et la sentence fut bientôt proclamée, d'une voix confuse qui parut unanime.

3490. (M. 27: 1; Mc. 15:1.) Cependant il s'agissait d'exécuter l'arrêt qu'on venait de porter contre Jésus; mais, pour conserver certaines formes de justice, il fallait le lapider (Lévit. 24: 10-16) de jour, publiquement, et là se retrouverait le peuple assemblé, ce peuple que les principaux redoutaient. Il en fut d'eux comme il arrive souvent aux méchants: ils marchent, marchent dans le crime, sans penser qu'un moment vient où toute issue échappe. Si seulement le gouverneur romain voulait prendre sur lui cette affaire! Il disposait de moyens d'intimidation qui manquaient à Caïphe et à ses acolytes, et, une fois Jésus entre ses mains, ils étaient sûrs que le peuple ne songerait pas à le lui enlever. Ils résolurent donc de s'adresser à Pilate pour cette exécution; mais ils durent attendre que le jour fût entièrement venu. — Avant de suivre Jésus devant ce second tribunal, nous avons à recueillir quelques instructions des scènes dont nous venons de retracer le souvenir.

3491. Que ne peut la haine de l'impiété et combien d'hypocrisie elle recèle quelquefois! Ils semblent pleins de zèle pour la gloire de l'Éternel, ces sacrificateurs et ces anciens du peuple juif. Ils déchirent leurs vêtements, en entendant les prétendus blasphèmes de Jésus-Christ; tandis qu'au fond ils haïssent Dieu et tout ce qui le leur rappelle. Voilà le vrai fruit du pharisaïsme et du saducéisme de tous les temps. Ni la vie la plus sainte, ni les réponses les plus douces, ni le droit le plus évident, ni la patience la plus inaltérable ne purent, en aucun siècle, réconcilier les formalistes et les impies avec Jésus-Christ et ses vrais disciples. Dans le but d'atténuer ce qu'a d'odieux la persécution, ils ont toujours su la colorer de quelque prétexte religieux; et, pour qu'on soit traité par eux comme de vils criminels, il suffit qu'on rende témoignage à la vérité de Dieu et qu'on s'oppose à leurs tendances immorales.

3492. Ce fut bien en effet comme un criminel qu'ils traitèrent le Seigneur. Il paraît devant eux lié et escorté par des hommes en armes. Interrogé avec l'indignation qu'excitent les grands forfaits, il est condamné au milieu des frémissements de l'horreur, vraie ou feinte, qu'il inspire; mais, ce qu'on n'aurait pas fait peut-être pour un vrai coupable, on l'insulte et on le maltraite à qui mieux mieux. Ce ne sont pas les principaux eux-mêmes qui commettent ces indignités; toutefois ils les tolèrent et, par conséquent, ils en sont responsables. C'est leur haine que servent tous ces subalternes, et les chefs ne se plaignent pas d'être trop bien servis. Pareilles choses sont arrivées plus tard à une foule de disciples du Sauveur, selon la parole qu'il leur avait dite (Jean 13: 16; 15: 20).

3493. Quant à lui, quel spectacle à la fois triste et sublime il nous présente! Parlerons-nous de sa patience et de sa fermeté? Nous les connaissons de longue date et elles n'ont rien qui nous étonne. Remarquerons-nous encore une fois le tendre soin qu'il prend jusqu'à la fin de son pauvre disciple Pierre? Mais nous nous y attendions (Jean 13: 1). Admirerons-nous la majesté de sa personne et de son langage prophétique devant ses juges? Mais nous savons assez que ces derniers avaient beau être assis sur des sièges élevés et lui debout en leur présence, il ne laissait pas d'être Celui qui les jugera au dernier jour. Arrêtons donc plutôt notre pensée sur ce qui constitue, en ce lieu, sa passion proprement dite, et considérons-le comme subissant un jugement à notre place. C'est nous, en effet, qui, par nos péchés, méritons d'être traduits devant un tribunal et de nous y voir condamnés au dernier supplice. C'est nous qui sommes les dignes objets du mépris et de la moquerie. Or, tout ce que nous méritons d'opprobres, est tombé sur Jésus. Il est notre représentant; il a été condamné, afin de nous procurer l'absolution; il a subi l'ignominie.  afin de nous ouvrir le chemin de la gloire! La différence est que, pour le condamner, il a fallu un tribunal composé de juges iniques, et que nous, au contraire, un juge inique pourrait seul nous absoudre.

3494. En ce qui concerne l'apôtre Pierre, son reniement nous offre une grande leçon sur les dangers auxquels on s'expose, avec les meilleures intentions du monde, lorsqu'on est plein de présomption et qu'on n'écoute pas les conseils de la sagesse divine. Je ne partage pas l'opinion de ceux qui trouvent qu'il s'effraya de peu. À la vue des traitements qu'on faisait à son Maître, il lui était permis de croire que, s'il tombait lui-même entre les mains de ces méchants, ils n'auraient garde de l'épargner. Jésus avait prédit à ses disciples de terribles persécutions, et qui pouvait savoir si elles n'allaient pas commencer? Mais, que Pierre eut moins compté sur ses forces, sur ses bonnes intentions, sur l'amour qu'il portait à son Seigneur, et il eût veillé et prié; alors, gardé par l'Esprit de Jésus, il eût évité bien des fautes. Son épée ne serait pas sortie imprudemment du fourreau; il ne se serait pas exposé à la tentation en suivant Jésus chez Caïphe, ou bien il aurait obtenu la grâce de n'y pas succomber. Au lieu de quoi, voilà sa conscience chargée d'un crime énorme (Luc 12: 9); et, si le Seigneur n'avait fait abonder sa miséricorde là où le péché avait été si grand, c'en était fait de Pierre pour toujours. Mais le bon Berger rappela sa brebis égarée. Comme il y avait dans le fond du cœur de l'apôtre une foi véritable, il sentit vivement sa faute et ainsi commença son relèvement; car il n'y a pas de vrai relèvement sans la repentance.

3495. Si nous avions écrit nous-mêmes cette histoire, nous n'aurions pas manqué de dire ce que fit Jean, tandis que Jésus nous sauvait et que Pierre se perdait. Mais, conduits par l'Esprit de Dieu, les historiens sacrés nous parlent du Seigneur plus que d'eux, et, quand ils parlent d'eux, ils nous racontent plutôt leurs péchés que leur obéissance. Jean, qu'on se représente avec un caractère plus doux et plus timide que celui de son collègue, n'était peut-être pas tel qu'on se l'imagine, à en juger du moins par le surnom que Jésus lui avait donné ainsi qu'à son frère (Marc 3: 17), comme par l'intolérance, par les dispositions violentes et par l'ambition qu'il manifesta en trois circonstances dont on peut se souvenir [3109, 3114, 3305]. Mais Jean, particulièrement aimé du Seigneur (Jean 13: 23), fut aussi particulièrement ménagé. Peut-être que, retiré dans un coin, il ne fut remarqué de personne; peut-être, si on le lui demanda, avoua-t-il franchement ses relations avec Jésus, et fut-il préservé par sa sincérité même; peut-être enfin s'était-il mis à prier pendant que Pierre, tout hors de lui, s'aventurait au milieu du monde. Quoi qu'il en soi, et bien qu'il ne s'en vante pas, tout nous atteste que son cœur était plus près de Jésus et qu'il puisait en sa foi la vraie force; car nous allons le retrouver dans un lieu dont les amis de Jésus osèrent bien peu s'approcher.


CCLXIV. — Jésus devant Pilate et devant Hérode.


3496. (L. 23 M; M. 27: 2; Mc. 15: 1; J. 18: 28.) Pontius Pilatus, chevalier romain, gouverneur de la Judée à cette époque, occupait l'ancien palais d'Hérode, lorsqu'il venait à Jérusalem aux jours des grandes fêtes. La foule d'Israélites qui s'y rassemblait alors faisait toujours redouter quelque révolte, et le représentant de l'empereur s'y rendait avec une forte troupe. Or, quoique Pilate ne se mêlât pas du culte des Juifs ni de leurs débats religieux, il avait sûrement entendu parler de Jésus, et il n'ignorait pas la haine que son nom seul inspirait aux principaux de la nation.

3497. (Jean 18: 28-32.) Ceux-ci, toujours très scrupuleux en ce qui touchait aux formes, et cela d'autant plus que leur conscience était peu scrupuleuse sur les grands points de la morale, ne voulurent pas entrer dans un palais occupé par des idolâtres, de peur de se souiller. C'était de grand matin. Ce jour était la préparation de la Pâque, la veille d'un grand sabbat; ou parce que, cette année, le sabbat de la Pâque, c'est-à-dire la Pâque elle-même, tombait sur le septième jour de la semaine; ou, comme on le pense généralement, parce que ce sabbat acquérait une importance particulière de ce qu'il était le lendemain de la Pâque. Ainsi la préparation de ce sabbat serait tombée sur le jour de Pâques, et cette préparation aurait eu par là une double solennité. Pilate sortit donc et ils lui présentèrent Jésus comme un malfaiteur qu'il devait, sans autre information, envoyer au supplice. Mais, trop fier pour se constituer leur humble instrument, Pilate exigea qu'ils lui dissent de quel crime on l'accusait. Eux, à leur tour, refusaient de s'expliquer, soit qu'ils y missent aussi une certaine fierté, soit plutôt parce qu'ils avaient qualifié Jésus du nom de malfaiteur, ce qui, devant Pilate, ne pouvait signifier ni un blasphémateur, ni un faux prophète; en sorte qu'il s'agissait d'imputer à leur victime quelque forfait contre les lois humaines, et, sur ce point pourtant, ils hésitaient, se bornant à répéter que Jésus était un malfaiteur et que, sans cela, ils ne l'auraient pas livré. Pilate comprit tout de suite de quelle espèce de crime l'homme qu'il avait sous les yeux pouvait être accusé par ces gens-là. «Prenez-le vous-mêmes, leur dit-il, et jugez-le selon votre loi.» Ce n'était pas là ce que voulait le conseil [3490]. Aussi les anciens des Juifs rappelèrent-ils au gouverneur qu'il ne leur était pas permis de faire mourir personne; et il est vrai en effet que, sous la domination romaine, le droit de vie et de mort n'appartenait plus à leurs tribunaux en matière civile. Il n'est pas aussi sûr qu'ils l'eussent perdu en matière religieuse, et c'est pour cela que Pilate leur dit: «Jugez-le selon votre loi.» Mais il leur importait de présenter Jésus comme un malfaiteur, dans le sens ordinaire de ce mot, et par là il est clair que toute l'affaire devait revenir aux mains du chef de la province. Ainsi s'accomplit ce que notre Seigneur avait dit sur la nature de son supplice et sur ceux qui le lui infligeraient (Matth. 20: 18,19). Exécuté par les Juifs, il eût été lapidé, la peine du crucifiement n'étant usitée que chez les Romains.

3498. Or, de quoi les principaux du peuple accuseront-ils Jésus? Encore une fois, il n'y avait nulle apparence que Pilate s'empressât de faire mourir un homme pour avoir blasphémé un Dieu et une religion que, en sa qualité de Romain et de philosophe, il ne pouvait que mépriser. Mais si l'on parvient à lui persuader que cet homme excite le peuple à la révolte, ils connaissent Pilate et ils ne doutent pas de ce qu'il fera [3207]. C'est pourquoi, cessant leurs hésitations et rejetant toute pudeur, ils le lui dénoncent comme un séditieux qui soulevait la nation et empêchait de payer les impôts à César; comme un usurpateur qui se disait le Christ, le Roi (Luc 23: 2). Mes lecteurs remarqueront d'eux-mêmes ce qu'il y avait de vrai et de faux dans cette accusation, et comment le faux dont elle était mêlée lui ôtait toute vérité. Ils remarqueront surtout avec quelle adresse ces hommes surent intéresser la politique dans une question toute religieuse, tactique qui n'a que trop souvent été suivie dès lors par les adversaires de l'Évangile.

3499. (J. 18: 33-38; L. 23: 3, 4; M. 27: 11; Mc. 15: 2.) Pilate étant rentré dans le prétoire afin d'interroger Jésus en particulier, lui demanda s'il prétendait effectivement à la qualité de roi des Juifs. Pour éviter toute méprise, le Seigneur voulut que Pilate dît s'il entendait la chose au sens romain ou au sens juif; c'est-à-dire, s'il avait en vue une royauté dans le genre de celle que possédait l'empereur, ou la royauté spirituelle qu'avaient annoncée les prophètes. Naturellement, Pilate lui fit observer qu'il n'était pas Juif, et que si on l'avait déféré à son tribunal, il fallait bien que ce fût pour avoir aspiré à la royauté, dans le sens ordinaire du mot. Cela expliqué, Jésus déclare à son juge qu'il est réellement roi, mais que son royaume n'est pas à la manière des royaumes de ce monde. Pour preuve, il lui fait remarquer qu'il aurait pu armer ses nombreux adhérents, de la main desquels il avait jadis refusé la couronne [3065]; mais le règne qu'il est venu inaugurer est d'une nature toute spirituelle: il a pour base la vérité et non la force; c'est de la vérité qu'il tire toute sa puissance.

3500. (Marc 15: 2.) Pilate, évidemment intéressé par ce qu'il venait d'entendre, fit à Jésus une question fort sérieuse, mais qui n'était plus celle d'un juge à un prévenu, tant il y avait d'autorité dans la parole du Seigneur. Il lui demanda ce que c'était que la vérité. Beaucoup de philosophes avaient épuisé leur génie à la recherche du vrai; en sorte que, au temps de Pilate, un doute universel s'était emparé des esprits, et le chevalier romain, élevé dans les écoles du siècle, eut un moment l'idée que l'homme simple et grave qu'il avait devant lui saurait peut-être lui dire enfin où se trouve la vérité. Mais quelle apparence qu'un misérable Juif eût dépassé les Socrate et les Aristote et les Zénon et tant d'autres! Emporté donc par la légèreté d'un homme du monde, pressé d'ailleurs d'en finir au sujet d'une affaire dont il aperçut tout de suite l'odieux, Pilate sortit pour déclarer qu'il ne trouvait en Jésus aucun sujet de condamnation.

3501. (J. 18: 38; L. 23: 1, 5; M. 27: 12-14; Mc. 15: 3-5.) Cependant, une foule considérable s'était assemblée devant le prétoire. Jusqu'à ce moment, on avait fait le moins d'éclat possible; et même, à cette heure matinale, il s'en fallait bien que toute la population de Jérusalem pût savoir ce qui se passait. Pourtant il est facile de comprendre que, dans cette grande ville, regorgeant de Juifs étrangers à l'époque de fêtes, le rassemblement pouvait être alors déjà fort nombreux. Ce fut devant tout ce monde que Pilate proclama l'innocence de Jésus. Contrariés et exaspérés, comme on le conçoit, les principaux du peuple insistèrent en disant que, depuis la Galilée jusqu'à Jérusalem, cet homme n'avait cessé de soulever le peuple. Ils ajoutaient à cela plusieurs autres griefs, disant tout ce que la passion la plus aveugle pouvait leur inspirer. C'est pourquoi le Seigneur ne fit nulle réponse, au grand étonnement de Pilate. Mais Jésus avait dit tout ce qu'il avait à dire; ce qu'il aurait ajouté n'eût fait qu'enflammer toujours plus la haine de ses adversaires.

3502. (Luc 23: 6-16.) Le gouverneur éprouvait un embarras manifeste. Il voyait bien que Jésus était accusé injustement; mais plus on se montrait passionné contre l'innocent, moins il osait rompre en visière aux chefs de la nation. Il était leur maître, sans doute; d'ordinaire, ces misérables tremblaient devant lui; mais il faut dire aussi que Pilate s'était rendu coupable dans son gouvernement de malversations si énormes, qu'il avait besoin de ménager des gens qui, à l'occasion, pouvaient le perdre auprès de l'empereur. Il aurait voulu, comme tant de magistrats faibles, protéger l'innocence, toutefois sans se compromettre, ou, pour me servir d'une expression bien connue, sans se faire des ennemis. Il cherchait donc quelque moyen de se tirer de là, lorsque, ayant entendu prononcer le mot de Galilée, il se souvint fort à propos qu'Hérode, avec lequel d'ailleurs il était en de très mauvais termes, y exerçait une sorte de juridiction, et que cet Hérode était maintenant à Jérusalem pour la fête: aussitôt donc il lui envoya Jésus.

3503. C'était le même Hérode qui avait fait décapiter Jean-Baptiste; Hérode Antipas, fils de celui qui avait tenté d'étouffer le Christ dans son berceau. Vous vous souvenez que notre Seigneur s'était toujours tenu éloigné de ce prince, comme au reste des grands de ce monde; aussi, quand Hérode apprit qu'on le lui amenait, il ressentit une grande joie. Mais ce n'était pas la joie d'un pécheur qui soupire après des paroles de salut; c'était la joie de l'homme léger qui cherche partout du plaisir, afin d'amuser sa conscience agitée. Il espérait que Jésus lui donnerait le spectacle de quelque merveille. Il avait sous les yeux la plus grande de toutes; mais son cœur était trop enveloppé de ténèbres pour y prendre garde. Il fit donc à Jésus diverses questions, la plupart sans doute fort oiseuses, et le Seigneur demeura devant lui bouche close, parce qu'il savait bien à quoi tout cela devait aboutir. Les chefs du peuple, de leur côté, qui n'avaient eu garde de perdre de vue leur victime, durent être fort surpris de ce qu'Hérode, au lieu de faire droit à leurs accusations de plus en plus excessives, finit par se moquer de Jésus avec son entourage et par le renvoyer purement et simplement à Pilate. Toutefois, les égards que le gouverneur semblait avoir montrés à Hérode dans cette affaire, rapprochèrent celui-ci du représentant de l'autorité romaine, et ces deux hommes devinrent amis: comme on voit encore les gens les plus opposés de caractère et de convictions se donner la main dans une haine commune contre l'Évangile.

3504. (L. 23: 17-22; M. 27: 15-23; Mc. 15: 6-14; J. 18: 39, 40). Quand Jésus eut été reconduit au prétoire, Pilate fit venir les principaux Juifs et leur exprima l’impossibilité où il se voyait de condamner un homme que ni Hérode ni lui ne trouvaient criminel. Mais, pour leur donner quelque satisfaction, il annonça qu'il allait lui infliger la peine du fouet. C'était une lâcheté de la part de Pilate, et de plus, une véritable iniquité; mais on y voit du moins que sa conviction sur l'innocence du Seigneur et sur l'injustice de la haine de ses accusateurs était pleine et entière. À ce moment, le peuple, poussé peut-être par quelques amis secrets de notre Sauveur, fit ressouvenir à Pilate que, selon la coutume de la fête, il devait leur relâcher un prisonnier, et Pilate saisit avec empressement le nouveau moyen qui s'offrait à lui pour sortir d'embarras. Les prisons renfermaient un voleur fameux qui avait excité une sédition et trempé dans un meurtre commis à Jérusalem. Cet homme, peu intéressant à coup sûr, pouvait bien compter quelques partisans au sein de la populace; mais Pilate ne doutait pas que, s'il fallait choisir, le peuple ne se prononçât pourtant en faveur de Jésus, comme s'il n'arrivait pas sans cesse, dans le monde, qu'on préfère à un homme pieux le méchant le plus déterminé. Pilate tenait d'autant plus à la réussite de son plan, qu'il venait de recevoir un avis auquel, superstitieux à la manière des païens, même philosophes, il attachait une grande importance. Sa femme avait eu un songe fort pénible au sujet de ce Jésus dont elle avait aussi ouï parler, et elle suppliait son mari de prendre garde à ce qu'il allait faire de cet homme.

3505. Cependant les sacrificateurs et les scribes s'acharnant sur leur sainte victime, travaillèrent tellement la multitude, qu'ils parvinrent à lui faire demander la libération de l'indigne Barrabas. Oh! comme ils se vengeaient des censures que Jésus leur avait adressées, et comme, en même temps, ils les justifiaient! «Que voulez.vous donc que je fasse de ce Jésus, appelé le Christ et qui se dit votre roi? — Fais-le mourir! Crucifie-le!» tel fut le cri de la foule qui, à l'instigation de ses chefs, ne se montrait pas moins cruelle, ni moins impie qu'eux. «Impossible!» répond Pilate, car il n'a rien fait qui mérite la mort. C'est pourquoi, j'en reviens à ma première idée: il sera battu de verges, après quoi je le relâcherai.» Battu de verges! c'est-à-dire, remis aux mains de la troupe, afin que chaque soldat fasse tomber, à son tour, sa baguette sur le dos du patient, ou que, attaché à une colonne, ses épaules mises à nu reçoivent les coups multipliés de lanières de cuir, armées d'éperons en fer aiguisé. Battu de verges! c'est-à-dire, livré à la colère d'hommes impitoyables, auxquels il sera permis de le déchirer jusqu'au sang et d'ajouter à la souffrance physique les outrages les plus grossiers!

3506. (J. 19: 1-3; M. 27: 27-30; Mc. 15: 16-19.) La chose se passa de cette manière. Le Seigneur fut mis à la merci de la cohorte romaine qui formait la garnison de Jérusalem, et ces fiers soldats, jaloux de la gloire et de la puissance de leur empereur, dont on leur disait que Jésus avait songé follement à renverser le trône, le couvrirent d'insultes, après l'avoir flagellé. Ils lui affublèrent, par dérision, les insignes du pouvoir royal et, reprenant de sa main le jonc qu'ils y avaient mis en guise de sceptre, ils frappaient sur sa tête, où ils enfonçaient ainsi les épines de sa couronne! Au milieu de tout cela, le Seigneur n'ouvrit pas la bouche; son sang coulait, mais ses douleurs ne lui arrachaient ni murmures, ni menaces.

3507. (J. 19: 4-15; L. 23: 23.) Ce fut dans ce triste état que Jésus, conduit par Pilate lui-même, reparut devant la multitude. Le Romain, tout païen qu'il était, pensait qu'un tel spectacle amollirait les Juifs et éteindrait leur haine. Mais il ne connaissait pas le cœur de l'homme. Il ne savait pas que, plus on accorde aux passions, plus elles deviennent exigeantes. Les chefs et leurs adhérents, excités par la vue du sang, continuaient à demander avec violence la mort de Jésus. Ils le tenaient maintenant, et ils n'étaient pas gens à laisser échapper leur proie. Comme Pilate répétait encore qu'il ne trouvait aucun crime en lui, ils articulèrent enfin l'accusation qu'ils avaient tue jusqu'à cette heure. «Il ne s'agit pas de savoir ce que tu en penses. Nous avons une loi, et, d'après cette loi, il doit mourir, parce qu'il prétend être le Fils de Dieu.» C'était le moment, pour Pilate, de leur redire: «Eh! bien, jugez-le vous-mêmes.» Mais, après ce qui venait de se passer dans la cour du prétoire, il ne pouvait guère se récuser; puis, il faut dire que les dernières paroles des dénonciateurs de Jésus lui avaient causé une émotion qui imprima un nouveau cours à ses pensées.

3508. Les païens, dans leurs fables, racontaient que les dieux étaient souvent descendus sur la terre et que plusieurs hommes illustres avaient été leurs fils. Il paraît que Pilate se demanda si Jésus n'était pas un de ces demi-dieux, ou de ces héros issus de quelque divinité. C'est pour cela qu'il voulut savoir précisément d'où il était, ou, en d'autres termes, quelle était son extraction. Le Seigneur désirait d'en finir; Pilate devait être suffisamment éclairé; sa question partait d'idées absurdes que ce n'était pas le moment de réfuter: Jésus garde donc le silence, et, Pilate s'en étonnant, le Seigneur lui fait ouïr une parole où brille de nouveau toute sa charité, en même temps qu'elle aurait dû, semble-t-il, réveiller la conscience du gouverneur romain. Comme celui-ci parlait de son pouvoir, Jésus lui rappelle un pouvoir supérieur au sien; et, tout en lui reprochant indirectement de méconnaître l'autorité d'en haut, il lui dit pourtant, par un ménagement bien admirable, qu'il y avait des hommes plus coupables que lui: on comprend de qui il voulait parler.

3509. (J. 19: 16; L. 23: 24, 25; M. 27: 24-26; Mc. 15: 15.) Enfin Pilate se présente pour la dernière fois sur son tribunal, érigé au milieu de la place publique, selon la coutume des Romains; il essaye encore de délivrer Jésus; on le menace indirectement de le dénoncer à César; le tumulte croît autour de lui; il hésite un instant: il succombe. Puis, il fait apporter de l'eau et s'en lave les mains, comme pour les nettoyer de ce crime. Le peuple crie: «Que son sang soit sur nous et sur nos enfants!» et Pilate leur livre Jésus pour le crucifier. Quant à Barrabas, il est élargi.

3510. Quel tableau que celui qui vient de se dérouler à nos yeux: l'histoire n'en offre point de pareil. Au premier plan, nous avons le Seigneur Jésus-Christ, placé au-dessous d'un malfaiteur et néanmoins toujours grand, toujours vrai et plein de charité, toujours admirable par sa douceur et sa patience; victime sainte dont le sang coule dans la cour du prétoire, comme il avait coulé en Gethsémané. Près de lui, successivement, deux grands de ce monde, Pilate et Hérode, l'un païen, l'autre Juif; celui-ci plus dégradé que celui-là: léger, moqueur, profane, tandis que Pilate se montre plutôt faible, parce qu'il ne connaît pas Dieu, parce qu'il n'a pas la conscience nette, parce que sa moralité n'est pas assez élevée pour dominer les passions de la multitude. Autour de son tribunal, qu'ils assiégent, sont les sacrificateurs et les anciens d'Israël, hypocrites, rusés, si ardents à satisfaire leur haine, qu'en vue de leur but, ils vont jusqu'à feindre un grand zèle pour les intérêts de l'empereur, bien qu'ils détestent son autorité; et cet empereur était l'odieux Tibère. Enfin, sur la place Pavée, où se dresse le tribunal de Pilate, nous voyons un peuple immense que les intrigues des chefs poussent, agitent, fanatisent et qui appelle hardiment sur lui-même et sur sa postérité les jugements de Dieu, pour prix du sang dont il réclame l'effusion.

3511. Et si vous me demandiez comment il s'est fait que la mort de Jésus ait été sollicitée avec tant d'instances par ce même peuple qui, cinq jours auparavant, l'avait introduit en triomphateur dans Jérusalem, je vous répondrais que ce ne fut pas, les deux fois, la même portion du peuple. Là était essentiellement la foule joyeuse des Israélites venus des provinces pour la fête, la multitude des disciples (J. 12: 12; L. 19: 37); ici, nous avons plutôt les Juifs de la ville et probablement la lie de son immense population. Qu'il y ait eu parmi eux quelques hommes qui, après avoir crié: Hosanna! hosanna! crient maintenant: «Crucifie-le!» ou comme on dirait de nos jours: À bas! à bas! c'est ce qui est très possible. Toujours est-il que là où les hommes se comptent par centaines de milliers, il y a foule pour toutes choses et pour tous les partis.

3512. Si vous me demandiez encore ce qu'étaient devenus, au milieu de cela, les disciples et les partisans du Seigneur, je vous répondrais que beaucoup d'entre eux devaient ignorer ce qui se passait dans cette lugubre matinée. Plusieurs sans doute étaient montés au temple et y attendaient Jésus. Quant à ceux qui se trouvaient mêlés avec la foule du prétoire, la tristesse, la crainte, que sais-je? le doute même devaient leur fermer la bouche; et qu'est-ce que les plus sages d'entre eux avaient de mieux à faire, si ce n'est de prier dans leur cœur, en regardant à Jésus?


CCLXV. — Désespoir de Judas. Jésus à Golgotha.


3513. (Matth. 27: 3-10.) Judas, qu'une terrible fièvre devait consumer, attendait avec des angoisses faciles à concevoir la fin de ce procès sans exemple. Il se persuadait que Jésus échapperait de quelque manière à la haine des Juifs. La chose est évidente; car en apprenant la condamnation de son bon Maître, il se repentit et reporta les trente pièces d'argent aux principaux sacrificateurs et aux anciens. «J'ai péché, leur dit-il, j'ai péché, en livrant un sang innocent.» Si nous ne savions déjà qu'il y a plus d'une sorte de repentance, ce récit nous l'apprendrait de reste [1386, 1954]. Judas se repentit à la manière de Saül ou d'Achab, ou plutôt encore à la manière d'Ahitophel [1572]. Il s'approche plus qu'eux, je l'admets, de la vraie repentance, puisqu'il restitue le fruit de son crime et qu'il répare ses torts autant qu'il lui était possible, en déclarant publiquement l'innocence de celui qu'il avait livré; il dit même comme l'enfant prodigue: J'ai péché; néanmoins cela ne suffit pas pour donner à sa douleur le caractère de celle d'un enfant de Dieu. Ce furent des regrets, des remords, une certaine repentance, si l'on veut, mais une repentance toute charnelle, une repentance morte comme l'était sa foi. Ce qui le prouve, c'est la suite.

3514. «Que nous importe, lui dirent ceux qui avaient profité de sa trahison, tu y pourvoiras. Arrange-toi comme tu le voudras; c'est ton affaire, cela ne nous regarde pas....» Ainsi parle le monde aux âmes qu'il a perdues. O vous qui vous laissez entraîner par les séductions des méchants, ne pensez pas qu'ils s'inquiéteront beaucoup de vos angoisses quand le remords viendra. Pour qu'ils pussent vous débarrasser de l'aiguillon du péché, il faudrait qu'ils n'eussent pas eux-mêmes à soutenir les assauts de la conscience; et plaise à Dieu que votre fin ne soit pas alors comme celle de Judas. Au lieu d'aller vers Jésus, qui seul pouvait lui parler de paix et lui faire trouver grâce, vers ce Jésus qui avait dit autrefois devant Judas: B Je ne mettrai point dehors ceux qui viendront à moi,» et encore: «Tout blasphème contre le Fils de l'homme peut être pardonné» (J. 6: 37; M. 12: 31, 32), le malheureux Judas, jusqu'au bout victime de Satan, qu'il avait écouté plus que le Seigneur, s'échappe du temple et va s'étrangler. Ah! pour le répéter, voilà donc où peut conduire une passion, une seule, la plus commune, lorsqu'on en fait sa vie et qu'on se laisse dominer par elle.

3515. De cet argent, que Judas jeta dans le temple aux pieds des sacrificateurs et des anciens, ils achetèrent le champ d'un potier pour servir de sépulture aux étrangers. Ces hypocrites! Habitués à avaler le chameau et à filtrer le moucheron (Matth. 23: 24), ils ne s'étaient fait aucun scrupule de payer une trahison, et maintenant ils tiennent pour profane la somme qui en avait été le prix. Toutefois, dans cet acte même, ils accomplirent, sans y songer, une prophétie bien frappante de l'Ancien Testament (Zach. 11: 12,13). Cette prophétie est attribuée à Jérémie, soit par une très ancienne faute de copiste, soit peut-être parce qu'on désignait l'ensemble des derniers prophètes sous le nom du principal d'entre eux, comme nous disons les Psaumes de David, bien qu'ils ne soient pas tous de lui, ou comme Jésus-Christ lui-même a dit «la loi» pour désigner l'Ancien Testament (Jean 10: 34).  Quoi qu'il en soit, la prophétie existait, obscure, il est vrai, mais suffisamment précise, et l'accomplissement, opéré par le concours de tels hommes, est des plus remarquables. — Tout ceci est raconté par Matthieu d'abord après le reniement de Pierre, dans une intention de rapprochement facile à discerner; car, quel contraste entre la repentance du présomptueux et celle du traître! Ces événements, toutefois, ne durent se passer que plus tard dans la matinée, puisqu'il se trouvait déjà au temple des sacrificateurs et des anciens. On comprend d'ailleurs qu'il devait rester à Judas quelque espérance, aussi longtemps que Pilate n'avait pas prononcé. Mais que sont, hélas! les espérances qui ne reposent pas sur une vraie foi!

3516. (L. 23: 26-46; M. 27: 31-50; Mc. 15: 20-37; J. 19: 17-30.) Les Juifs avaient conduit Jésus devant Pilate à la naissance du jour; mais, dans ces climats, les crépuscules sont de courte durée, en sorte que le soleil était sûrement levé quand le gouverneur parut. Ce pouvait être donc environ six heures du matin. Le débat fut long, pénible, orageux; l'incident du renvoi de Jésus à Hérode dut prendre assez de temps; aussi l'arrêt définitif ne fut-il prononcé que dans la seconde moitié de la matinée, assez tard. En disant que c'était la troisième heure, Marc nous apprend en effet que ce fut dans la seconde moitié de la matinée; car on désignait quelquefois de la sorte, l'intervalle de neuf heures du matin à midi, parce que cette portion de la journée commençait à la troisième heure, l'heure sainte du sacrifice. Jean, de son côté, fait connaître que ce fut assez tard dans cette portion du jour, en disant que c'était environ la sixième heure ou midi. On peut donc estimer que le crucifiement eut lieu entre neuf heures et midi, mais plus près de midi que de neuf heures; et si Marc, pour indiquer le moment, se sert d'une détermination assez vague, c'est probablement par l'avantage qu'elle offrait de rappeler qu'en ce temps même on venait d'offrir, dans le temple, l'holocauste perpétuel du matin, un des beaux types du sacrifice de Jésus-Christ [822].

3517. Il n'est pas de supplice à la fois plus infamant ni plus douloureux que celui de la croix. La loi de Moïse y avait attaché une flétrissure particulière (Deut. 21: 22,23). Les Romains, chez lesquels il était en usage, ne l'infligeaient qu'aux esclaves et aux plus grands criminels; encore fallait-il que ceux-ci ne fussent pas citoyens de Rome. L'opprobre de ce supplice consistait surtout en ce que le malheureux qui le subissait, demeurait exposé pendant un temps fort long à la vue et aux insultes du public. Cette souffrance morale pouvait n'être que peu de chose pour des hommes endurcis à toute honte: il s'y ajoutait, quoi qu'il en fût, des souffrances physiques qui devaient être vraiment atroces. Suspendu par les mains et les pieds; cloué de cette manière à deux pièces de charpente, l'une verticale et l'autre horizontale, le patient mourait bien moins par la perte du sang qui coulait de ses plaies, que par les déchirements et les convulsions horribles qui, dans cet état d'immobilité forcée, devaient finir par briser sa vie. Mais la lutte était longue quelquefois, et l'on a vu des crucifiés supporter cette torture pendant cinq ou six jours.

3518. Tel fut le genre de mort auquel notre Seigneur se dévoua pour l'amour de nous et dont il avait fait lui-même le choix, comme le prouvent maintes prophéties et les paroles sorties plus d'une fois de sa bouche (M. 20: 19; 26: 9; J. 3: 14; 8: 28; 12: 32, 34). Cependant, si les Juifs, je le répète, avaient eux-mêmes exécuté leur arrêt, Jésus eût été lapidé et non crucifié. Mais, par là, sa mort eût été moins cruelle et moins ignominieuse tout à la fois; ses os eussent été brisés (Ex. 12: 46); son corps, recouvert d'un monceau de pierres, n'aurait pu être enseveli, et il eût été bien plus difficile de constater sa résurrection: surtout, son sang n'aurait pas coulé à la vue de tout le peuple, et Jésus n'aurait pu, au moment de sa mort, prononcer les belles paroles que nous allons étudier, paroles qui achèveront de nous montrer ce qu'il est et ce qu'il a fait pour nous. Or, remarquez par quelle suite admirable d'événements les prophéties relatives à ce point de détail se sont accomplies. Pour que le Christ fût crucifié, il fallait, entre autres grandes choses, que les Romains se rendissent maîtres de la Judée. Lors donc que la quatrième monarchie prédite par Daniel prit pied dans l'Orient [2573, 2585], celui qui aurait compris les prophéties comme nous les comprenons, maintenant qu'elles sont réalisées, aurait pu voir, dans ce fait inattendu, le moyen par lequel Dieu préparait l'œuvre de notre rédemption, œuvre plus grande que la conquête de l'Asie par la république romaine. Et quelle merveille vraiment, que d'aveugles païens, amenés de si loin dans le pays de la promesse, aient planté cette croix même qui est devenue l'arbre de vie pour tant de pécheurs!

3519. (J. 19: 17; L. 23: 26; M. 27: 31, 32; Mc. 15: 20, 21.) Le lieu dans lequel notre Seigneur dut être crucifié se trouvait hors de la ville, et ainsi s'accomplit le type du bouc émissaire [887]. Cet endroit s'appelait en hébreu Golgotha ou la place du Crâne, le Calvaire. Après que les soldats eurent dépouillé Jésus du manteau d'écarlate,  ils l'emmenèrent, chargé de sa croix, selon la coutume. C'était un lourd fardeau pour le Seigneur, qui ne fit jamais de miracle dans le but d'alléger sa peine. Il n'avait pris aucune nourriture depuis la veille; or, si vous repassez dans votre souvenir ses fatigues et ses douleurs de la nuit et de la matinée, vous comprendrez qu'il dût succomber sous le faix. Aussi eut-on pitié de ses genoux fléchissants; et, afin de le soulager, on contraignit le premier homme venu à porter sa croix et à marcher derrière lui. Cette tâche, ignominieuse aux yeux de la chair, mais honorable pour la foi, fut imposée à un nommé Simon, Juif, de Cyrène [2567], qui, logé à la campagne, rentrait seulement alors dans la ville, ignorant sans doute ce qui s'y était passé. Il résista d'abord, et cela se conçoit; mais, si cet homme était un disciple de Jésus, il ne dut pas tarder à sentir son bonheur. Et nous, quand nous nous verrons exposés à quelque opprobre pour le nom de Christ, souvenons-nous du bienheureux Simon de Cyrène.

3520. (Luc 23: 27-31.) Vous pouvez bien croire que la foule amoncelée devant le prétoire n'avait pas diminué, et qu'elle se grossit encore pendant la marche. Des femmes, souvent plus courageuses et moins menacées en de telles conjonctures, plus désireuses aussi de fortes émotions, cheminaient assez près de Jésus, dont elles n'étaient probablement séparées que par les soldats. En contemplant cette victime de l'iniquité, elles ne pouvaient retenir leurs larmes. Jésus se tourna de leur côté, et il leur adressa des avertissements qui attestent que, dans ce moment suprême, il était moins occupé de son propre sort que de celui des autres. Les paroles du Seigneur ont d'ailleurs un rapport trop étroit avec les cris horribles de la multitude (Matth. 27: 25) et avec ses propres prédictions sur la ruine de Jérusalem pour que j'aie besoin de le faire observer. Mais elles ont une plus grande portée encore. Jésus est le bois vert, plein de sève et de bons fruits, qui, naturellement, n'était pas destiné au feu; mais nous, hélas! nous sommes tout le contraire. Or, s'il a souffert de tels maux quand il s'est donné pour nous, que nous arrivera-t-il, pensez-vous, si nous rejetons son salut, ou si nous n'y croyons que d'une foi morte?

3521. (32; J. 19: 18; M. 27: 38; Mc. 15: 27, 28.) Il y avait deux criminels qu'on menait au supplice en même temps que Jésus. Ce n'était point fait à dessein d'augmenter sa honte; car on avait sans doute la coutume, qui ne s'est que trop conservée, de procéder aux exécutions criminelles les jours où il y avait le plus de peuple rassemblé. Il semble toutefois qu'on prît à tâche d'accomplir de point en point toutes les prophéties (Es. 53: 12); or il est sûr qu'on n'y songeait guère, et l'accomplissement n'en est que plus remarquable.

3522. (M. 27: 33, 34; Mc. 15. 22, 23.) Quand vint le moment de crucifier Jésus, on lui offrit une boisson qui devait avoir pour effet de l'étourdir, sinon de l'enivrer, afin qu'il sentît moins vivement la douleur. On fit probablement la même chose aux deux criminels. Notre Seigneur ayant approché la coupe de ses lèvres, afin qu'on vit qu'il savait bien ce qu'on lui présentait, refusa positivement d'en boire. Non seulement il ne convenait pas qu'il atténuât d'une manière quelconque les souffrances qu'il avait à endurer pour l'expiation de nos péchés, mais en outre il était impossible qu'il se plaçât dans une situation où il n'aurait plus eu l'entier usage de ses facultés. C'est ainsi que nous devons éviter nous-mêmes, dans nos maladies, l'emploi de remèdes qui ne peuvent, sans troubler l'âme, endormir les souffrances du corps.

3523. (Luc 23: 33, 34.) Ce fut donc alors qu'on crucifia notre Seigneur. Après l'avoir dépouillé de ses vêtements, on le coucha sur une poutre, les bras étendus sur une autre poutre transversale et, à grands coups de marteau, ô horreur! on enfonça des clous dans ses mains et dans ses pieds. Cela fait, on éleva la croix, on la ficha en terre, et notre Seigneur demeura suspendu, porté tout entier par les clous qui déchiraient ses mains et ses pieds, parties du corps où les moindres blessures causent quelquefois d'affreuses douleurs. Or, pendant qu'on le martyrisait ainsi, Jésus avait prononcé cette sublime prière: «Père! pardonne-leur; car ils ne savent ce qu'ils font.» En parlant de la sorte, notre Seigneur ne disait pas que ces hommes fussent sans péché; car s'ils avaient été tels, il n'y aurait pas eu besoin d'implorer leur pardon. Puis, il est permis de penser que ce n'était pas en faveur de Caïphe et de ses pareils que Jésus venait d'intercéder. Ces hypocrites, sans doute, n'avaient pas mesuré toute l'étendue du mal dont ils se rendaient coupables, et, dans un autre sens, ils ne pressentaient pas l'immensité du bien qu'ils faisaient involontairement; toujours est-il qu'il y avait chez eux plus d'iniquité que d'ignorance. Restaient les soldats et beaucoup de gens entraînés et séduits; or nous verrons bientôt comment la prière du Sauveur fut exaucée pour plusieurs d'entre eux. Il est sûr, en tout cas, que sa mort a expié premièrement nos péchés d'ignorance; mais ces péchés mêmes ne sont pardonnés qu'à ceux qui croient en lui. 

3524. (38; M. 27: 37; Mc. 15: 26; J. 19: 19-22.) C'était la coutume de marquer, au-dessus de la croix, en aussi peu de mots que possible, la cause de la condamnation des suppliciés. Pilate fit donc écrire sur celle de Jésus: «Celui-ci est Jésus de Nazareth, le roi des Juifs, o ce qui, dans sa pensée, revenait à dire: «Voilà comment les Romains traitent un homme qui se prétend roi des Juifs.» Mais les sacrificateurs, effrayés de l'impression que pouvait produire sur le peuple une inscription conçue en ces termes, coururent au prétoire, sollicitant de Pilate la correction de l'écriteau. Le gouverneur, ennuyé de leurs instances et jaloux de se montrer ferme en quelque chose, déclara que ce qui était écrit demeurerait écrit. Il résulta de là que, sans trop y songer, Pilate rendit jusqu'à la fin un éclatant témoignage à Jésus-Christ; et, comme s'il eût voulu le proclamer roi devant tous les peuples de la terre, il avait fait rédiger l'inscription, non seulement dans l'idiome du pays, mais encore dans les deux langues qui, à cette époque, se partageaient la plus grande partie du monde connu.

3525. (L. 23: 34; M. 27: 35, 36; Mc. 15: 24; J. 19: 23, 24.) Les soldats païens rendirent à Jésus un témoignage plus éclatant encore et d'une manière bien plus involontaire. La dépouille des suppliciés leur appartenait. Ils se mirent donc à partager les vêtements de Jésus: tout ce qu'il possédait. Ils étaient quatre qui l'avaient cloué sur la croix. Il paraît qu'ils décousirent son manteau pour en faire des lots; mais comme sa tunique était d'une espèce de tricot ou de feutre sans couture, ils la laissèrent intacte et la tirèrent au sort. Par là, ils accomplirent une prophétie dont ils ne pouvaient avoir aucune connaissance, Dieu voulant que les bourreaux mêmes du Seigneur le signalassent comme le Christ annoncé par David et par les prophètes (Ps. 22: 18).

3526. (L. 23: 35-37; M. 27: 39-43; Mc. 15: 29-32.) D'autres prédictions s'accomplirent aussi d'une façon bien inattendue. La foule qui entourait le bois maudit, de plus en plus excitée par les chefs, insultait Jésus, se moquait de lui et le défiait de descendre de cette croix, offrant, par dérision, de croire en lui s'il opérait ce nouveau miracle. Or, habitués qu'ils étaient au langage de la Bible, et l'employant sans trop y prendre garde, comme le font beaucoup d'incrédules de nos jours, ils insultaient et provoquaient Jésus dans les termes mêmes que le Saint-Esprit avait dictés à David, lorsqu'il dut prédire ces mystérieuses scènes de la croix (Ps. 22: 7,8). Ainsi tous s'accordaient pour le glorifier au sein de l'ignominie (Jean 12: 28; 17: 1).

3527. (L. 23: 39-43; M. 27: 44; Mc. 15: 32.) Entraînés par les cris de la multitude, exaspérés par leurs souffrances, irrités probablement par la patience de Jésus si différente de leurs blasphèmes, échauffés aussi par la liqueur enivrante qu'on leur avait fait boire, les criminels crucifiés avec lui, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche, se mirent également à l'insulter, car aucun opprobre ne devait lui faire défaut. L'injure était grave, en ce qu'ils traitaient Jésus de pair à compagnon, et cette injure est dans le cœur de quiconque voudrait être sauvé par lui, tout en vivant de la vie du péché. D'abord, les deux malfaiteurs tinrent le même langage; mais pour l'un d'eux ce ne fut que l'erreur d'un instant, et voilà sans doute pourquoi Luc ne fait pas mention de la première circonstance. Touché par la grâce du Seigneur, celui qu'on appelle «le bon brigand,» ne tarda pas à montrer les dispositions d'un cœur vraiment renouvelé. Il reprit d'un ton grave le complice de ses crimes, et, reconnaissant la justice de leur jugement, il proclama l'innocence de Jésus. Non seulement cela, mais, éclairé par une lumière divine, il vit en lui le Messie dont il avait ouï parler dès son enfance; puis, avec une foi qui ne laisse rien à désirer, il lui dit: «Seigneur, souviens-toi de moi, quand tu seras dans ton règne.» Ce fut là-dessus que Jésus lui fit une promesse qui est comme le complément des paroles de grâces qu'il avait prononcées en de semblables occasions (Luc 5: 20; 7: 48): «En vérité, je te dis que tu seras aujourd'hui avec moi dans le paradis,» c'est-à-dire dans le véritable Éden. Il voulut ainsi que ses souffrances et sa mort prochaine eussent pour premier fruit la conversion et le salut d'un homme envisagé avec justice comme un très grand pécheur; il voulut par un fait si frappant confirmer la vérité qui résume tout l'Évangile (J. 1: 29; L. 19: 10; J. 5: 24; 11: 25); et pourtant, il n'y a rien là qui puisse endormir notre conscience à nous, car enfin le brigand se convertit aussitôt qu'il y fut appelé par la grâce de Dieu [3302],

3528. (Jean 19: 25-27.) Cependant, si le Seigneur avait autour de lui tant d'ennemis déclarés, son cœur pouvait y discerner aussi quelques amis; mais, cachés dans la foule, la plupart observaient de loin et la bouche fermée. Il s'en trouva pourtant quelques-uns qui eurent le courage de se glisser fort près de la croix; entre autres, l'apôtre Jean, le disciple que Jésus aimait, et plusieurs femmes, parmi lesquelles la mère du Sauveur. L'Évangile ne nous avait pas reparlé de celle-ci depuis fort longtemps, et elle n'était, semble-t-il, venue à Jérusalem que pour accomplir la prophétie de Siméon (Luc 2: 33). Marie devait avoir au moins cinquante-cinq ans. Le Seigneur, toujours plein de tendresse pour les siens et oubliant en leur faveur les souffrances croissantes qu'il endurait, voulut que Jean prît Marie chez lui et qu'il devînt l'appui de ses vieux jours, nouvelle preuve que Joseph était mort probablement depuis longtemps [2726]. C'est pourquoi, désignant sa mère comme il l'avait fait lors de son premier miracle (Jean 2: 4): «Femme, lui dit-il, femme, voilà ton fils;» puis il dit à Jean: «Voilà ta mère,» et dès ce moment elle demeura près de lui. 

3529. (L. 23: 44, 45; M. 27: 45; Mc. 15: 33.) Le soleil, cependant, avait atteint la moitié de sa course, et ses ardeurs venaient augmenter la fièvre qui, selon les paroles du Psaume (Ps. 22: 15), dévorait le pauvre crucifié. Il se fit alors des ténèbres qui couvrirent tout le pays durant trois heures; ténèbres surnaturelles, car, la lune étant en son plein, ce ne pouvait être une éclipse. Cette obscurité était d'ailleurs en parfaite harmonie avec l'incrédulité du peuple et avec l'œuvre de ses coupables conducteurs. Mais, à la fin, il y eut quelque chose de plus extraordinaire encore. Tout à coup on entendit Jésus prononcer à haute voix les premiers mots du psaume 22 (M. 27: 46, 47; Mc. 15: 34, 35), de ce même psaume dont tant de traits venaient de s'accomplir en ce même temps. Nous n'essayerons pas d'expliquer ce qui se passait alors dans l'âme du Seigneur; la chose serait impossible. Disons seulement avec un apôtre, qu'il a été maudit pour nous (Galat. 3: 13), et que ce fut en cet instant même que se consomma l'œuvre intérieure d'expiation commencée, la nuit précédente, en Gethsémané.

3530. (J. 19: 28, 29; M. 27: 48-50; Mc. 15: 36, 37; L. 23: 46.) En entendant les premiers mots du texte cité par Jésus, quelques-uns se persuadèrent, ou feignirent de croire qu'il invoquait le secours du prophète Élie et ils dirent, les uns par ironie, les autres peut-être avec sincérité: «Voyons si Élie viendra le délivrer!» Rien de pareil ne devait avoir lieu, car il fallait que le sacrifice s'achevât jusqu'au bout; mais afin qu'il y eût encore une prophétie accomplie à la lettre (Ps. 69: 21), Jésus, consumé par la souffrance, dit ces deux mots: «J’ai soif,» et quand il eut aspiré le vinaigre qu'on lui tendit avec une éponge, il prononça cette parole solennelle: «Tout est accompli» (Jean 19: 30). Oui, tout ce qu'il fallait pour l'expiation de nos péchés; tout ce qu'il fallait pour montrer que Jésus était réellement le Messie souffrant annoncé par les prophètes; tout ce qu'il fallait pour glorifier l'infinie miséricorde de l'Éternel: tout le plan conçu par lui avant la création du monde et en prévision de la chute de l'homme; tout cela était accompli. Aussi Jésus, puisant en son âme une force surhumaine, après tant de souffrances et un tel épuisement, poussa un grand cri: «Mon Père, je remets mon esprit entre tes mains,» et, baissant la tête, il expira. Jésus, fils d'Adam selon la chair, mourut comme lui-même et comme toute sa postérité, sauf Enoch et Élie; il mourut, aussi bien qu'eux, parce qu'il est devenu homme; mais il mourut d'une mort bien plus terrible que celle des fidèles, même que celle d'Abel, parce que «l'Éternel avait fait venir sur lui l'iniquité de nous tous (Ésaïe 53: 6).


CCLXVI. — Les sept paroles; merveilles qui accompagnèrent la mort de Jésus; honneurs rendus à sa dépouille mortelle. — Le samedi.


3531. C'est avec raison qu'on aime à repasser dans sa pensée les dernières paroles d'un mourant, surtout si elles ont cette beauté et cette sainteté que la grâce de Dieu peut seule leur communiquer. On comprend donc que l'Église ait mis, dans tous les temps, un intérêt tout particulier et tout religieux à se souvenir de celles que notre Seigneur prononça sur la croix et même à les compter. Elles sont au nombre de sept, nombre sacré depuis la création du monde; mais si ce rapprochement est, selon toute apparence, conforme à la pensée du Seigneur, il n'est pas indiqué par les évangélistes, car aucun d'eux ne donne les sept paroles. Pour les avoir il faut les prendre dans les quatre Évangiles, dans trois au moins.

3532. Des sept paroles, il en est trois qui ont pour objet immédiat quelques-uns de ceux qui entouraient Jésus; les quatre autres le concernaient personnellement, lui et son œuvre. Dans leur ensemble, elles achèvent le sublime portrait que les Évangiles nous tracent de Celui qui, Fils de l'homme et Fils de Dieu tout à la fois, est venu chercher et sauver ce qui était perdu. En les étudiant, on admire par quelle sagesse il a plu au Père que sa Parole éternelle fit entendre sa voix dans le monde, jusqu'au dernier instant de sa souffrante incarnation. Ici, à la vérité, il ne pouvait plus s'agir de longs discours; mais quelques mots, en de telles conjonctures et sortant d'une telle bouche, disent plus que des volumes.

3533. Après le sérieux avertissement donné par le Seigneur aux femmes qui le suivaient en pleurant, avertissement que leur devait d'ailleurs sa charité, il n'y eut plus, sur les lèvres du crucifié, que des paroles de grâce et de compassion pour les pécheurs et pour les affligés. Il ne censure, ni ne menace, ni ne condamne personne; au contraire, vous l'entendez prier pour ses bourreaux, promettre le ciel au brigand converti, consoler Jean son disciple et Marie sa mère. Il fait briller aux yeux des méchants les attraits de sa miséricorde; il accueille les pécheurs qui se repentent et tournent leur cœur vers lui; il prend soin de ceux qui, par la foi, l'aiment et se confient en son amour. Là, nous le voyons médiateur entre Dieu et les hommes: «Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font;» ici, disposant du royaume céleste en faveur de ses rachetés, parce qu'il est le Fils de Dieu: «Je te dis, en vérité, que tu seras aujourd'hui avec moi dans le paradis;» ailleurs, manifestant la bienveillance de son cœur envers ceux que le Père lui a donnés: «Femme, voilà ton fils; Jean, voilà ta mère.» Si la première et la troisième de ces paroles ne suffisaient pas pour achever de nous convaincre que Jésus est l'Homme de Dieu par excellence, il n'y aurait qu'à méditer attentivement la seconde. Qui est celui qui, avec tant de calme et d'assurance, promet le ciel au brigand converti? Vraiment, à ne supposer en Jésus qu'une moralité tout ordinaire, on doit reconnaître qu'il est le Christ; car il n'y a que l'impie le plus endurci qui puisse se jouer du ciel et de l'enfer, à l'article de la mort. Quant au fait lui-même, ah! s'il n'avait pas été vrai, croyez bien que Luc n'aurait eu garde de l'inventer; car c'était dire au monde que Jésus-Christ, mourant sur un bois infâme, n'avait pas eu honte de prendre un brigand pour son compagnon de voyage vers le royaume éternel!

3534. On fera des réflexions analogues sur les quatre dernières paroles de notre Sauveur. S'il crie: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?» c'est que la chose était vraie bien que profondément mystérieuse, et peu lui importaient les inférences qu'on pouvait tirer d'une exclamation si voisine des cris du désespoir. S’il demande à boire, afin d'attirer l'attention sur les prophéties, c'était une nouvelle manière de se déclarer le Christ, déclaration qu'il confirme en disant: «Tout est accompli.» Or voyez comme c'est bien en la présence de Dieu qu'il fait ces actes solennels; car tout se termine par cette parole d'une âme pieuse et sûre de son avenir: «Père, je remets mon esprit entre tes mains.» Jésus-Christ est donc certainement le Fils de Dieu, son unique; mais il est tout aussi véritablement homme, l'homme de douleur, le représentant de l'humanité pécheresse, la sainte victime substituée par l'amour de Dieu aux pécheurs que sa grâce a voulu sauver.

3535. (M. 27: 51-53; Mc. 15: 38; L. 23: 45.) À l'instant où Jésus expira, diverses merveilles durent avertir le monde que ce n'était pas simplement un homme, celui qui venait de mourir sur la croix; tout comme on l'avait vu, dans l'humiliation de sa naissance, entouré d'une gloire éclatante, pour montrer que ce n'était pas un simple fils d'Adam qui naissait. Afin de marquer que, par cette mort, le ciel était désormais ouvert aux pécheurs et que les fidèles de la nouvelle économie posséderaient une connaissance des choses spirituelles fort supérieure à celle qu'en avait eue l'ancien peuple, le voile qui séparait le lieu saint du lieu très saint fut déchiré du haut en bas, ce qui figurait aussi l'entrée dans le ciel de notre souverain Sacrificateur. Puis, la terre trembla et des rochers se fendirent, en signe tout à la fois des jugements de Dieu, prêchés avec tant de force par les souffrances expiatoires de Jésus, et de l'effet que la foi en son sacrifice devait produire sur les cœurs les plus endurcis. Enfin, comme c'est par sa mort que nous avons la vie, plusieurs des trépassés ressuscitèrent au moment où il rendait le dernier soupir, et ils furent vus le surlendemain par beaucoup de personnes à Jérusalem. Ils s'étaient endormis dans la foi aux promesses de Dieu, et, en les réveillant avant le temps, le Seigneur voulut montrer que les saints, c'est-à-dire les fidèles de l'Ancienne Alliance comme ceux de la nouvelle, sont sauvés par son sang. 

3536. (L. 23: 47-49; M. 27: 54-56; Mc. 15: 39-41.) Le spectacle de ces merveilles ne fut pas perdu pour tous ceux qui en furent les témoins. Le capitaine romain et ses soldats montrèrent un grand effroi; ils donnèrent gloire à Dieu; le capitaine en particulier prononça cette parole remarquable: «Certainement cet homme était juste; il était véritablement le Fils de Dieu.» Cet étranger, ce païen, avait vu et entendu tout ce qui s'était passé au prétoire; or, sans pouvoir déterminer le sens précis qu'il attachait à ses exclamations, on ne saurait douter qu'il n'y eût dans son âme et dans celle des soldats, quelque chose qui venait de l'Esprit de Dieu, en vertu même de la prière que Jésus avait prononcée quand on le crucifiait et par laquelle il avait voulu montrer qu'il ne mourait pas pour des Juifs seulement, mais aussi pour des Gentils (Jean 17: 20). Ce n'est pas tout, le peuple, jusque-là si échauffé contre Jésus, s'éloignait de Golgotha en se frappant la poitrine; et, certes, ils avaient bien de quoi s'affliger et s'effrayer! Pendant ce temps, les amis du Seigneur, surtout  les saintes femmes qui l'accompagnaient d'ordinaire, calmes comme on l'est quand une catastrophe longtemps et anxieusement attendue est parvenue à son terme, laissaient la foule s'écouler et demeuraient en Golgotha pour ne rien perdre du spectacle solennel qu'ils avaient sous les yeux.

3537. (Jean 19: 31-37.) Or quelques-uns des Juifs, désireux de mettre fin à une scène qui, dans tous les cas, devait leur être à charge, s'étaient rendus auprès de Pilate avant que Jésus eût expiré, et, par la raison que le sabbat allait commencer, ils demandèrent qu'on achevât les suppliciés et qu'on enlevât leurs corps. C'était en effet un grand sabbat que celui qui devait s'ouvrir au coucher du soleil, soit que, cette année, le sabbat ordinaire coïncidât avec celui qui se célébrait le premier jour de la fête de Pâques, soit, comme je l'ai dit plus haut, qu'il tombât sur le lendemain même de la fête [3497]. Des soldats furent donc envoyés et, comme ils s'apprêtaient à rompre les os de Jésus, ainsi qu'ils le faisaient aux deux malfaiteurs, ils furent très surpris de le trouver déjà mort. Ils ne comprenaient pas qu'il avait donné lui-même sa vie et choisi l'heure du sacrifice (Jean 10: 15, 18; 13: 1). Toutefois, l'un d'eux lui porta un coup de lance dans le côté et, de la plaie, il sortit, par une nouvelle merveille, du sang et de l'eau, le moyen et le signe de la purification des pécheurs. L'apôtre Jean était là; il le vit de ses propres yeux et c'est lui qui nous le raconte, rappelant à cette occasion deux prophéties fort remarquables, et dont l'accomplissement est d'autant plus frappant qu'il eut pour auteurs des hommes qui ignoraient, de la manière la plus complète, les oracles déposés dans les saintes Écritures (Ex. 12: 46; Zach. 12: 101.

3538. (L. 23: 50-54; M. 27: 57-60; Mc. 15: 42-46; J. 19: 38-42.) Un Israélite, nommé Joseph, natif d'Arimathée, l'ancienne Rama de Samuel, se transporta de son côté chez Pilate dès que notre Seigneur eut rendu le dernier soupir, et il demanda qu'il lui fût permis de disposer du corps de Jésus. Joseph était un homme considéré qui n'avait point trempé dans le complot et qui était, en secret, disciple du Seigneur. Pilate n'avait rien à lui refuser. Quand il eut appris du centenier, alors de retour, que tout était fini et bien plus promptement qu'on ne pouvait s'y attendre, il ordonna qu'on livrât à Joseph la dépouille mortelle du crucifié.

3539. Le temps pressait, car Jésus était mort à trois heures, l'heure même de l'holocauste de chaque soir, l'heure aussi en laquelle commençait l'immolation générale des agneaux pascals. C'est pourquoi Joseph acheta promptement un linceul blanc et courut au Calvaire pour ensevelir ce précieux corps, qu'il lui tardait de soustraire aux insultes des impies. Il était accompagné d'un homme que nous avons perdu de vue depuis quelque temps, mais que nous ne saurions avoir oublié [3127]. Nicodème, dont la foi s'était peu à peu développée, se rangea formellement au nombre des disciples, dans le moment où il y avait peut-être quelque danger a le faire, ou, tout au moins, plus d'ignominie que de gloire à recueillir. Ces deux serviteurs de Dieu, aidés sans doute du petit nombre d'hommes fidèles qui étaient présents, déplantèrent la croix, déclouèrent les mains et les pieds de Jésus, l'enveloppèrent d'un linceul et d'un suaire, lui firent un premier embaumement et le transportèrent dans un jardin qui appartenait à Joseph. Ce jardin n'était pas loin de Golgotha, et là se trouvaient quelques roches où l'on avait creusé les sépulcres de la famille. Or il arriva, par une direction d'en haut, que, depuis peu, l'on avait taillé une nouvelle grotte dans laquelle nul encore n'avait été déposé, et, sans songer probablement à la prophétie qui s'accomplissait par leurs mains (Es. 53: 9), ce fut là qu'ils placèrent le corps de leur Maître bien-aimé. Ils roulèrent une grosse pierre vers l'entrée et, cela fait, ils se retirèrent; car le sabbat allait décidément commencer.

3540. (L. 23: 55, 56; M. 27: 61; Mc. 15: 47.) Les femmes, qui avaient vu tout ce qui s'était passé, remarquèrent avec d'autant plus de soin le lieu où l'on mit Jésus, que leur intention était d'y revenir, pour achever de l'embaumer. Mais cette œuvre, sainte et pieuse s'il en fût, pouvait sans inconvénient se renvoyer au surlendemain; c'est pourquoi elles se reposèrent le jour du sabbat, selon la loi. Quelle journée ce dut être pour elles et pour tous les disciples! Ils avaient certes besoin de repos après les émotions et les fatigues du vendredi; mais, dans l'état de leur foi, surent-ils jouir pleinement du calme que la circonstance leur ménageait? Ne furent-ils pas au contraire comme un lac dont les eaux demeurent émues et limoneuses près des bords, lors même que le vent a cessé de souffler?

3541. (Matth. 27: 62-66.) Quant aux ennemis de Jésus, il est bien sûr que leurs passions ne se reposèrent pas. La haine qui les animait ne se montra jamais plus active, ni plus prévoyante; mais ce ne fut que pour accomplir encore une fois, sans le vouloir, les desseins de la sagesse de Dieu. Il nous est raconté que le jour qui suivit la mort  de Jésus (par où l'on peut entendre le soir même du vendredi), depuis six heures (2795), les principaux sacrificateurs et les pharisiens allèrent ensemble vers Pilate et lui représentèrent que, «ce séducteur» ayant prédit sa résurrection pour le troisième jour, il importait de prendre des précautions, de peur que ses disciples n'enlevassent son corps et ne prétendissent qu'il était revenu à la vie; imposture, pensaient-ils, qui serait plus dangereuse que la première. Mais rien de plus absurde; car c'était supposer chez les disciples un courage et une résolution, bien plus, une mauvaise foi qui n'étaient point dans leur caractère. Après quoi, pour qu'ils fissent plus de mal que Jésus (je me place au point de vue des pharisiens), il fallait qu'ils parvinssent à parler comme il avait parlé lui-même, si ce n'est mieux, et à faire des miracles semblables aux siens, sinon de plus éclatants. Mais suffisait-il pour cela qu'ils enlevassent furtivement le corps de Jésus? De deux choses l'une: ou les apôtres croyaient à la prochaine résurrection de leur Maître, ou ils n'y croyaient pas, faute de l'avoir compris. S'ils y croyaient, qu'avaient-ils d'autre à faire que d'attendre, et, en attendant, de laisser son corps où il était? Et s'ils ne croyaient pas, que pouvaient-ils raisonnablement espérer de l'enlèvement d'un cadavre? Cette tromperie les tromperait-elle eux-mêmes et leur procurerait-elle les dons du Saint-Esprit? Quoi qu'il en soit, Pilate donna des gardes aux Juifs, et ceux-ci les placèrent devant le sépulcre, après avoir scellé la pierre par laquelle on en avait fermé l'entrée. Ils ne pouvaient pas mieux s'y prendre pour que, Jésus venant à ressusciter, il fût bien constaté que personne n'avait fait disparaître son corps.

3542. Voilà donc, ô mes chers lecteurs, voilà le Seigneur Jésus dans le mystère de la tombe! Voilà cette bouche divine momentanément fermée, ces mains puissantes privées de toute force, et ce cœur aimant qui a cessé de battre! Le voilà, lui, le Prince de la vie, réduit à l'état des morts! Voilà un autre Abel qui tombe sous les coups d'hommes plus méchants que Caïn! Mais répétons que si Jésus mourut, ce n'est pas uniquement parce qu'il avait revêtu notre nature: Enoch et Élie nous attestent qu'on peut avoir été fils d'Adam et ne pas mourir. Ce n'est pas non plus qu'il y ait eu du péché en lui, est-il besoin de le dire? Ce n'est pas davantage à raison seulement de sa parfaite sainteté et de la haine que les impies et les hypocrites conçurent par là contre lui. Non, Jésus n'est pas un simple martyr: il mourut comme représentant de l'humanité et au bénéfice des élus de Dieu. Ce sont nos propres péchés qui l'ont cloué sur la croix, et c'est par nos péchés qu'il a été tué.

3543. Reconnaissons en conséquence, à la louange de la grâce de Dieu, que Jésus-Christ a fait, par sa mort, l'expiation de nos offenses; en sorte que ni nos souffrances, ni notre repentir, ni notre foi, ni nos bonnes œuvres, ni notre mort ne sauraient y ajouter quoi que ce soit. Cette victime est d'un prix infini, et ce serait insulter à son excellence que de vouloir la compléter d'une manière quelconque, comme si l'œuvre du Rocher n'était pas parfaite (Deut. 32: 4). Tel est donc le privilège de celui qui est véritablement uni à Jésus par une foi vivante. Il sait que ses nombreuses transgressions ont été effacées sur la croix; qu'en Jésus, il fut maudit; qu'avec lui il descendit au sépulcre, comme, en Adam, il pécha et devint mortel; qu'il ne saurait donc être condamné au jour du jugement, puisque ce serait dire qu'un débiteur est tenu d'acquitter sa dette après qu'un ami compatissant l'a payée, ou plutôt qu'on peut être puni deux fois pour le même crime.

3544. Un autre privilège du fidèle, c'est de pouvoir désormais regarder la mort d'un œil calme, sans s'effrayer de ce qu'elle a de plus terrible. La chair frissonne à la pensée qu'on deviendra un cadavre, froid et roide comme le marbre, mais non pas incorruptible tel que lui, et que ce cadavre, enfermé dans un cercueil, sera déposé sous terre. Regardons à Jésus, et toute cette horreur s'évanouira. Pourrions-nous craindre d'éprouver la mort après lui et de passer partout où il passa lui-même? (Jean 12: 24.) Mort pour nous et avant nous, il sera certainement en la mort et au sépulcre avec nous? Si d'ailleurs nous demeurons en lui par la foi et qu'il demeure en nous par sa grâce (Jean 15: 4, 5), ne voyez-vous pas avec quelle douce assurance nous pourrons, au moment du départ, dire avec notre puissant Rédempteur: «Père, je remets mon esprit entre tes mains!»

3545. Il n'y a rien peut-être dont la Bible nous parle plus que de la mort. Elle semblerait quelquefois ne nous avoir été donnée que pour nous révéler les mystères de cette grande catastrophe. Dès ses premières lignes elle nous dit pourquoi l'homme meurt; et nous verrons ses dernières pages concentrer toutes nos pensées sur ce même sujet (Apoc. 20,21). C'est qu'en effet vous ne sauriez concevoir rien de plus grand ni de plus solennel. La mort n'est pas la fin de toutes choses, il s'en faut de beaucoup; c'est au contraire le vrai commencement de la vie, d'une vie éternellement heureuse ou misérable. Mais si la mort est notre tout, on peut dire qu'il en a été de même pour Jésus, envisagé comme Fils de l'homme, comme le Christ, le Sauveur. Son activité se résume à ce point suprême. Il est né pour mourir, et, en mourant, il a consommé ce qui fut l'objet de son existence humaine. Ici donc se termine l'œuvre expiatoire de Jésus-Christ. Ce qui suit, bien que s'y rattachant de la manière la plus étroite, est pourtant d'une tout autre nature.


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