Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DEPUIS LA RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST JUSQU'À SON ASCENSION.

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CCLXVII. — Résurrection de Jésus; il se montre aux femmes qui l'avaient suivi.


3546. Après tant de souffrances et une telle humiliation, il fallait, selon les prophéties (Es. 53: 11, 12), que le Christ recueillît les fruits de son travail. Pour lui comme pour nous, mais avec des différences essentielles, la carrière se divise en deux parts: celle qui finit à la mort, et celle qui commence à ce moment suprême: suprême, parce qu'il est le dernier ici-bas; suprême aussi, parce qu'il est de tous le plus décisif. Quant à nous en particulier, c'est le moment où cessent toutes nos relations avec la terre. Il n'en fut pas ainsi du Fils de Dieu. Avant de revêtir réellement notre humanité, il s'était, dès les temps anciens, manifesté comme l'Ange et le Médiateur de l'alliance éternelle. Or, après être venu habiter parmi les hommes, souffrir et mourir comme eux et pour eux, il n'était pas possible qu'il les abandonnât sans retour. Il fallait au contraire qu'il demeurât avec ses rachetés, pour les bénir plus et mieux encore que les fidèles d'autrefois. Si, d'ailleurs, en sa qualité de Fils de Dieu, il a de toute éternité joui d'une gloire ineffable dans le sein du Père, il fallait qu'après être descendu au dernier degré de l'ignominie, il reçût, dans son humanité instantanément humiliée, une gloire proportionnée à cette humiliation. Vous l'avez vu, sur la croix, terminant sa vie dans les gémissements et dans la honte; vous avez accompagné son corps au lieu sombre où le déposa la piété de ses amis; maintenant vient le triomphe, ou plutôt une suite non interrompue d'actes de puissance et de miséricorde, avant-coureurs de la gloire actuelle du Rédempteur de nos âmes et de nos corps. En tête de ces faits se place sa résurrection.

3547. Si l'œuvre de Jésus fut achevée par son trépas, en ce qui concerne l'expiation des péchés, il s'en manquait bien qu'elle le fût quant à l'appropriation de ce salut aux âmes que le Père lui a données. Il fallait, dès ce moment et de siècle en siècle, que ces âmes fussent amenées à la foi; pour cela, il fallait encore, comme vous le pressentez, une foule de choses que le Seigneur seul pouvait effectuer. En l'état où il laissa les disciples, lorsqu'il leur fut ravi par la main des méchants, aucun d'eux, est-il besoin de le dire? Aucun, pas même Jean, Pierre encore moins, n'était capable de reprendre l'œuvre commencée, de la poursuivre, de la compléter, d'élever, en un mot, l'édifice indestructible dont Jésus-Christ est le fondement, comme il en est devenu, par sa résurrection, l'architecte. [I avait d'ailleurs annoncé qu'il se relèverait d'entre les morts. Bien plus, il avait dit: «Je suis, moi, le relèvement et la vie (Jean 11: 25). Après la révélation que les Écritures de l'Ancien Testament et des Évangiles nous font de sa personne, rien n'est plus naturel ni moins surprenant que sa résurrection. Ce qui serait, à la lettre, inconcevable et inadmissible, c'est qu'il fût demeuré dans le sépulcre. La vraie merveille est qu'il ait consenti à y descendre; mais nous savons par quel grand amour il l'a fait.

3548. (Mc. 16: 1; M. 28: 1; J. 20: 1.) Ce fut donc le premier jour de la semaine, le troisième jour depuis et y compris celui de sa mort, que Jésus se rendit à lui-même la vie; car il avait le pouvoir de la reprendre, comme il avait celui de la donner (Jean 10: 18). Après avoir été trente-six heures environ dans cet état mystérieux que nous appelons la mort et que l'Écriture appelle fréquemment un sommeil, il se réveilla et se releva de la tombe. Or, voici comment les disciples en furent informés; puis, comment, après beaucoup de doutes, ils finirent par en acquérir la certitude. Le récit se trouve dans les quatre Évangiles; mais toujours avec certaines différences qui, loin d'affaiblir le témoignage, ne font que le fortifier. Il y eut, à ce moment, une sorte de confusion dans les mouvements des disciples, et la marche de la narration semble s'en ressentir.

3549. Les personnes qui figurent au premier plan, dans ce simple et sublime tableau, sont les femmes qui avaient d'habitude suivi le Seigneur, particulièrement Marie de Magdala. Des autres, il n'y a de nommées que Marie, mère de Jacques, le neuvième des apôtres; Jeanne, femme de Chuzas [2986] et Salomé, femme de Zébédée, par conséquent mère de l'autre apôtre Jacques et de Jean son frère. Le vendredi déjà, elles avaient acheté quelques aromates pour embaumer le corps de leur bien-aimé docteur; mais on voit ici que, le sabbat passé, c'est-à-dire le samedi dans la soirée, elles retournèrent à l'emplette; puis, elles durent naturellement attendre que la nuit fût écoulée, pour achever l'œuvre pie qui, la veille, n'avait pu être qu'ébauchée par Joseph d'Arimathée et par Nicodème. Il est facile de supposer que cette nuit leur parut longue; aussi les deux Marie se hâtèrent-elles vers le sépulcre avant même qu'il fût jour, dans le but de avoir,» nous dit Matthieu, la sainte demeure où l'on avait déposé le corps de Jésus et qu'elles n'avaient pu visiter depuis, à cause du sabbat: les autres femmes ne devaient pas tarder à les suivre avec les aromates.

3550. (J. 20: 1, 2; M. 28: 2-4.) Arrivées au sépulcre, les deux Marie virent que la pierre au moyen de laquelle on en avait fermé l'entrée, était roulée de côté; or comme elle était considérable, cela supposait l’emploi d'une certaine force. Elles ne doutèrent donc pas un instant que les ennemis du Seigneur ne fussent venus enlever son corps durant la nuit. C'est pourquoi, sans pousser plus loin leurs perquisitions, d'autant qu'il faisait encore obscur, l'une et l'autre, ou du moins, Marie de Magdala, plus vive que sa compagne, se hâtèrent d'aller raconter à Pierre et à Jean ce qu'elles avaient vu et la crainte qui les préoccupait. Or ce qu'elles ignoraient, parce que cela s'était fait avant leur arrivée, c'est qu'un ange du Très-Haut avait roulé la pierre, qu'un tremblement de terre était survenu et que les soldats romains placés en sentinelle devant le sépulcre, avaient été chassés de leur poste par cette redoutable manifestation du pouvoir divin. Ces guerriers, tant de fois intrépides devant l'ennemi, n'étaient pas faits à de telles scènes et l'on conçoit quelle avait dû être leur épouvante. On conçoit également que notre Seigneur, qui n'est pas venu dans le monde pour effrayer mais pour consoler, ait voulu qu'il y eût entre lui et ces pauvres païens un ministre de sa gloire, plutôt que sa gloire elle-même; car il eût pu, s'il l'avait voulu, se frayer son propre chemin au dehors du sépulcre et chasser devant lui ceux qui le gardaient, comme le soleil levant dissipe la brume du matin.

3551. (J. 20: 3-10; L. 24: 12.) Pierre et Jean qui, s'étant rejoints après que tout fut fini, avaient sans doute passé ces deux nuits chez quelque ami de Jérusalem, le plus près possible du lieu où reposait la dépouille mortelle de leur cher Maître, Pierre et Jean n'ont pas plutôt entendu Marie, qu'ils prennent leur course du côté du jardin. Jean, le plus jeune des deux, arrive le premier; il voit sur la terre les linges qui avaient enveloppé le corps de Jésus, mais il n'entre pas dans la grotte. Pierre, toujours plus impétueux et plus résolu, s'y précipite au contraire; il voit, comme Jean, les linges qui sont sur le sol; mais, de plus, il aperçoit dans un lieu à part, le mouchoir dont on avait couvert la tête de Jésus. Alors Jean s'avance à son tour et, persuadés l’un et l'autre par ces indices qu'il n'y avait pas eu enlèvement du corps de leur Maître, mais qu'en revenant à la vie, il s'était lui-même dépouillé de son vêtement de mort, ils crurent à la réalité de sa résurrection et, pour la première fois, ils comprirent le sens de la prophétie qu'il avait, à plusieurs reprises, prononcée sur ce sujet. Il n'y avait donc plus rien à faire au sépulcre; aussi regagnèrent-ils immédiatement leur domicile.

3552. (L. 24: 1-9; M. 28: 5-8; Mc. 16: 2-8.) Cependant, la nuit avait déposé ses derniers voiles, le jour commençait à luire et même le soleil était levé; car, en ces régions, le crépuscule est de courte durée. Les femmes porteuses des aromates s'avançaient par un autre chemin, fort inquiètes de la manière dont elles s'y prendraient pour rouler la pierre du sépulcre. Elles l'eussent été bien davantage, si elles avaient su qu'on y avait placé des gardes; mais il leur arriva comme à nous, lorsque, non content d'aplanir les difficultés prévues, le Seigneur écarte celles qui nous auraient ôté tout courage, si nous en avions connu l'existence. Non seulement les femmes ne trouvèrent pas au sépulcre les gardes dont le seul aspect les aurait fait reculer, non seulement elles voient que la pierre qui en fermait l'entrée avait été roulée; mais encore, l'ange par qui le Seigneur avait agi et qui était demeuré invisible aux premiers visiteurs, cet ange que les soldats avaient vu assis sur la pierre et dont la présence les avait si fort terrifiés, cet ange était maintenant avec un de ses compagnons de service dans l'intérieur de la grotte, et, au moment où les femmes y entraient, il leur fit entendre ces paroles rassurantes: «Pour vous, ne craignez point» [2606].

3553. Ce furent donc les femmes qui eurent la première nouvelle positive de la résurrection de Jésus et qui l'ouïrent de la bouche d'un ange, comme autrefois les bergers de Bethléhem avaient appris sa naissance. Après avoir calmé leur premier effroi, le messager céleste leur reproche, avec une grande douceur, le tort dont elles se rendaient coupables en cherchant dans le sépulcre Celui qui leur avait prédit si clairement sa résurrection; puis il les invite à porter la connaissance de ce fait aux disciples et de leur rappeler que Jésus les attendait en Galilée (Marc 14: 28). Ce n'était pas qu'il refusât de se montrer à eux auparavant; mais il voulait qu'ils se revissent surtout dans le pays de leur naissance; dans le pays où il les avait pris à lui, où ils l'avaient vu et entendu si souvent exercer sa miséricorde, où ils avaient passé près de lui tant de journées bénies et dont le nom seul devait réveiller en eux de précieux souvenirs. Chargées de cette commission pour les disciples, le cœur plein de saintes émotions, craintives et joyeuses tout à la fois, les femmes s'acheminèrent aussitôt du côté de Jérusalem; mais, dans l'agitation de leur âme, elles se gardèrent bien de dire quoi que ce soit aux gens qu'elles rencontraient. Ennemis de Jésus, pour la plupart, ils n'auraient pas manqué de se rire d'elles et de leur vision.

3554. (J. 20: 11-17; Mc. 16: 9.) Pendant que ces choses se passaient, Marie de Magdala, qui n'avait pu suivre Pierre et Jean dans leur course, avait eu le temps enfin de regagner le jardin. Soit qu'elle y fût déjà lorsque les autres femmes arrivèrent, soit qu'elle les y eût seulement rejointes, il paraît que Marie de Magdala, celle qui fait le sujet principal du récit de saint Jean et dont Marc nous dit qu'elle fut la première personne à qui Jésus se montra, n'entra point dans le sépulcre avec ses compagnes. Celles-ci, en sortant de la grotte, ne prirent pas garde à Marie, ou Marie ne prit pas garde à ce qu'elles purent lui dire. Elle était restée sous cette douloureuse impression: «On a enlevé le corps de notre bon Maître!» Avait-elle revu Pierre et Jean, ou, ce qui est plus probable, était-elle revenue par un chemin différent du leur? On l'ignore. Quoi qu'il en soit, elle persistait dans sa triste pensée. C'est pourquoi, elle se tenait dehors, auprès du sépulcre, et elle pleurait. Tout en pleurant, et comme par un mouvement machinal, elle avance la tête du côté de la grotte; elle y incline ses yeux pleins de larmes et, à son tour, elle voit les deux anges qui lui disent: «Femme, pourquoi pleures-tu?» Et Marie de répéter: «Parce qu'on a enlevé mon Seigneur et que je ne sais où on l'a mis.»

3555. Pour s'étonner que la vue des deux anges et leur question n'aient pas mis Marie sur la voie des consolations, il faudrait n'avoir jamais réfléchi aux effets de la douleur quand elle est extrême. Tout entière à l'objet de son affliction, rame qui désespère ne voit, n'entend, ne sent rien de ce qui pourrait la ramener. D'ailleurs, si ces deux personnages avaient des vêtements blancs, rien ne montrait avec certitude qu'ils fussent autre chose que de simples mortels. Marie demeura donc sous le poids de ses douloureuses préoccupations et, se retirant du sépulcre, elle tourna la tête comme pour s'en aller. À ce moment elle aperçoit quelqu'un de la bouche duquel sort cette même parole: «Femme, pourquoi pleures-tu?» avec cette autre question encore: «Qui cherches-tu?» Or, c'était le Seigneur qui lui parlait.

3556. Tels sont donc les premiers mots que prononça notre Seigneur ressuscité. C'est à une femme, à une pauvre pécheresse, de laquelle il avait chassé sept démons (Luc 8: 2); à une âme profondément affligée et affligée à cause de lui, qu'il les fait entendre. Il y a bien un reproche dans sa double question; car si Marie avait eu plus de foi et d'intelligence de la vérité, elle eût été dans la joie et non dans les larmes; elle aurait tout au moins attendu en pleine paix le retour de son Seigneur, au lieu d'aller, dévorée d'inquiétude et de chagrin, là où il ne devait pas demeurer longtemps. «Pourquoi pleures-tu? Qui cherches-tu?» Mais combien il y a de douceur dans ce reproche, et comme, sous ce léger nuage, brillent les compassions éternelles du Rédempteur! C'est qu'après tout Marie croyait et aimait: sa douleur même en est la preuve; car, à ce moment, si quelqu'un se livrait à la joie, c'étaient plutôt les ennemis de Jésus (Jean 16: 20).

3557. Marie était si loin de penser que le Seigneur fût ressuscité, elle avait les yeux tellement inondés de larmes, ses oreilles étaient alors si peu disposées à entendre, qu'elle ne reconnut point celui qui venait de lui parler. Ne jugeant pas qu'à cette heure matinale, il pût y avoir dans le jardin quelqu'un d'autre que celui qui le cultivait: «Seigneur,» dit-elle à l'individu qu'elle prenait pour le jardinier, «Seigneur,» c'est-à-dire Monsieur, «si tu l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis et je l'ôterai...» Pauvre femme! elle croit que chacun doit comprendre de quoi elle parle, sans même qu'elle nomme cet objet si cher à son cœur; dans son affliction, il lui semble que tout le monde est capable de la lui avoir causée, et, oubliant sa faiblesse, elle ne doute pas que, si on lui montre le corps de son Maître, elle ne puisse l'enlever dans ses bras et le porter en lieu sûr! Vous voyez comme sa douleur l'égarait. Le moment était donc venu de la ramener à plus de calme. C'est ce que le Seigneur fit par un seul mot; mais qui dira la puissance de l'accent qu'il sut lui donner: «Marie!... » Elle ne regardait pas même son interlocuteur; mais en s'entendant appeler par son nom et d'une voix que, cette fois, elle ne put méconnaître, l'heureuse femme se retourne et, de sa poitrine oppressée, de la plénitude de son cœur, il ne peut sortir non plus qu'une parole, parole qui nous a été conservée dans le langage même du pays: «Rabbouni,» c'est-à-dire docteur, mais avec un degré de respect plus grand que dans le simple mot Rabbi (Jean 1: 39).

3558. Jésus lui fit alors une défense qui, à raison surtout du motif dont il l'appuie, a de tout temps exercé la sagacité des interprètes de la Bible, sans qu'on ait obtenu des résultats fort satisfaisants. Peut-être Marie allait-elle se livrer aux élans d'une joie aussi exagérée que l'avait été sa détresse; peut-être y avait-il dans les mouvements de son cœur quelque chose non pas de répréhensible assurément, mais de trop humain toutefois; afin donc de la placer dans la disposition d'allégresse sainte et recueillie où il la voulait, afin que tout en elle devînt de plus en plus spirituel et céleste, Jésus lui dit, sous cette forme mystérieuse qui, à elle seule déjà, sait donner à nos pensées le cours qu'elles doivent avoir en présence du Seigneur et des révélations de sa gloire: «Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père.»

3559. À cela le Seigneur ajoute: «Mais va vers mes frères et dis-leur: Je monte vers mon Père et votre Père, et vers mon Dieu et votre Dieu.» Voilà donc Marie chargée, à son tour, d'un message pour les disciples. Personne jusqu'ici ne pourra mieux qu'elle leur attester la résurrection du Seigneur, puisqu'elle l'a vu. Elle devra de plus leur annoncer sa prochaine ascension, événement dont Jésus parle comme d'un événement actuel, soit parce que, en effet, le ciel fut dès lors sa résidence, soit parce que son ascension proprement dite, bien que future, n'avait pas l'incertitude que l'avenir terrestre a toujours pour nous. Mais ce que la parole du Seigneur a de particulièrement remarquable, c'est la déclaration qu'il fait de la communauté d'intérêts qui existait entre ses disciples et lui, et que sa résurrection avait rendue plus étroite, bien loin de l'affaiblir. Non seulement il les appelle, pour la première fois, ses frères; mais encore il dit que son Père est leur Père et que son Dieu est leur Dieu. Il était impossible de s'identifier avec eux d'une manière plus intime. N'était-ce pas leur dire qu'il demeurait porteur de leur humanité; que sa gloire ne les séparait point de lui; que, leurs péchés étant maintenant expiés par son sacrifice, ils devenaient plus que jamais ses frères; que, grâce à lui et à leur commune fraternité, ils étaient sûrs maintenant d'avoir un Père dans le ciel; enfin que si Jésus, en tant que le Christ, le Fils de l'homme, avait un Dieu, le Dieu qu'il avait servi et annoncé, le Dieu qui était en lui, réconciliant le monde avec lui-même, ce grand et bon Dieu était certainement aussi le Dieu de ceux qu'il daignait appeler ses frères. Que ce soit bien le sens admirable des paroles du Seigneur, c'est ce dont nous acquerrons la certitude par la lecture des écrits des apôtres. Or, voyez s'il n'y a pas dans cette pensée: «Jésus est mon frère!» une source inépuisable de saintes consolations pour toute âme qui croit en lui!

3560. (Matth. 28: 9, 10.) Ce que je viens de raconter se fit en infiniment moins de temps que je n'en ai mis à l'écrire et que mes lecteurs n'en ont mis à lire ces pages. C'est pourquoi, avant que les autres femmes eussent pu regagner leur demeure, Jésus, qui ne voulait pas que Marie seule pût dire: «Je l'ai vu,» se présenta sur leur chemin, les saluant de la manière la plus propre à porter la joie dans leur âme; et, après leur avoir dit comme l'ange: «Ne craignez point,» il leur répéta, mais en moins de mots et sous une forme un peu différente, la commission dont le messager céleste les avait chargées auprès de ses disciples. Voilà donc quels furent, par la volonté du Seigneur, les premiers prédicateurs de sa résurrection, tant il se plaît à choisir de faibles instruments pour produire de grands effets. Ces femmes, il est vrai, n'étaient pas envoyées auprès du monde; mais elles l'étaient toutefois auprès d'hommes que des préoccupations charnelles fort invétérées avaient empêchés de comprendre leur Maître, et qui allaient se montrer rebelles à la vérité, autant du moins qu'il était possible à des gens qui, pourtant, n'étaient pas des incrédules: la tâche des messagères du Seigneur n'était donc pas aussi facile qu'on pourrait se l'imaginer au premier abord.

3561. (L. 24: 10,11; Mc. 16: 10, 11; J. 20: 18.) Les femmes étant arrivées et ayant raconté les merveilleux événements de la matinée, elles trouvèrent en effet des cœurs très peu disposés à recevoir leur témoignage. Les disciples aimaient mieux croire sans preuve à l'enlèvement du corps de Jésus, que d'admettre les discours persuasifs de leurs sœurs et de leurs mères, plus affligées maintenant de cette incrédulité qu'elles ne l'avaient été d'abord en trouvant le sépulcre vide. Mais quoi! ces pauvres femmes! elles leur débitaient des contes! elles avaient rêvé ce qu'elles prétendaient avoir vu et entendu! elles prenaient pour une réalité le désir de leur cœur! qui sait même si quelque malveillant ne s'était pas joué de leur simplicité! Hélas! telles sont bien souvent les misérables ressources auxquelles on a recours quand on veut résister à l'évidence.

3562. (Matth. 28: 11-15.) Voici, d'autre part, celles dont l'incrédulité proprement dite dispose contre la vérité. Les gardes ayant fait à ceux qui les avaient placés devant le sépulcre un rapport fidèle de ce qui était arrivé, il fut convenu, à prix d'argent, que les soldats prétendraient s'être endormis, ce qui était bien invraisemblable. Ils déclareraient toutefois que, durant leur sommeil, et naturellement sans l'interrompre, les disciples de Jésus avaient dérobé le corps de leur Maître; circonstance qu'ils ne pouvaient savoir d'aucune manière, s'ils avaient réellement dormi. Ce conte, dont l'absurdité est palpable, circula cependant, comme tant d'autres, au milieu d'un monde qui se repaît volontiers de mensonges. Selon la coutume, les adversaires de la vérité firent tous leurs efforts pour avoir l'air de croire à la fable qu'ils avaient inventée, et la multitude finit par l'accueillir. C'est encore ce que prétendent les Juifs de nos jours, comme si l'enlèvement de ce corps mort pouvait expliquer le changement moral qui se fit chez les apôtres: leur foi, leur courage, leur persévérance, leurs lumières, leur sainteté, sans parler de leurs miracles et des succès de leur prédication! Mais tout ceci reviendra plus tard dans nos Études; continuons, pour le moment, à voir ce qu'étaient les disciples de Jésus le jour de sa résurrection.


CCLXVIII. — Jésus se montre plus d'une fois encore à ses disciples en ce même jour.


3563. (L. 24: 13-32; Mc. 16: 12.) Je ne saurais trop répéter que, s'il y avait tant d'incrédulité dans le cœur des apôtres, on ne saurait toutefois voir en eux des incrédules proprement dits. Aussi le Seigneur fit-il pour eux ce qu'il ne fera jamais pour des hommes qui, aimant mieux les ténèbres que la lumière afin de pouvoir demeurer dans leurs péchés, sont décidés à ne pas croire, quoi qu'il arrive. Prenant pitié de leur faiblesse, Jésus leur multiplia les témoignages de sa résurrection, jusqu'à ce qu'ils fussent obligés de se rendre; mais ce fut avec un sage progrès qu'il voulut porter la conviction dans leur cœur. D'abord, deux d'entre eux avaient pu s'assurer que son corps n'était plus dans le sépulcre et que tout attestait qu'il n'en avait pas été furtivement arraché; puis, les femmes, informées par des anges et ayant vu le Seigneur lui-même à deux reprises, étaient venues raconter l'événement; eh bien! puisque cela ne suffit pas, Jésus va se montrer à leurs yeux, et il commencera par deux disciples qui, malgré ce qu'avaient dit les femmes, avaient quitté Jérusalem, ce matin même, avec l'intention sans doute de n'y pas revenir. Il s'agissait donc, avant tout, de ramener les plus découragés, et c'est ce que fit Jésus.

3564. (Luc 24: 13-32.) L'un des deux s'appelait Cléopas ou Alphée (c'est le même nom), père probablement de l'un des deux apôtres nommés Jacques [2952], et frère, à ce qu'on croit, de Joseph, le père adoptif de Jésus; Marie, celle qui s'était rendue au sépulcre avec Marie de Magdala, était sa femme (Jean 19: 25). Accompagné d'un autre disciple, il marchait vers Emmaüs, bourgade située sur le chemin de la Galilée, à trois lieues de Jérusalem. Comme ils s'entretenaient, dans une profonde tristesse et pourtant avec une certaine vivacité, des événements de la matinée, Jésus les atteignit, et, pour lier conversation, il leur demanda quel était le sujet qui les préoccupait à ce point. Or, par un effet même de leur préoccupation, ils ne reconnurent pas celui qui venait de leur adresser la parole. Quand on dirait que, depuis sa résurrection, le visage de Jésus avait pris quelque chose de céleste qui devait, selon les cas, en dérober les anciens traits aux yeux de la chair, on dirait probablement une chose très fondée; mais il n'en serait pas moins vrai que, si les disciples ne le reconnurent pas, c'est précisément parce qu'ils n'avaient alors, pour le voir, que les yeux de la chair et qu'il leur manquait ceux de la foi. Ainsi en arrive-t-il souvent à ceux qui lisent l'Écriture ou qui écoutent une prédication, l'esprit et le cœur pleins de pensées terrestres: ils ne comprennent pas les vérités les plus simples. Écoutez la réponse des disciples et vous verrez bien que telle était la cause de leur aveuglement.

3565. Après avoir exprimé leur surprise de ce qu'un homme qui paraissait venir de Jérusalem aussi bien qu'eux, ne connût pas les grands événements qui s'y étaient passés, ces jours mêmes, ils racontent comment Jésus le Nazaréen, cet homme, ce prophète puissant en œuvres et en parole, avait été condamné à mort, puis crucifié, et comment cette catastrophe avait renversé toutes les espérances qu'ils fondaient sur lui. Après cela, ils disent, du moins en partie, ce qui était survenu aux femmes et même la visite que Pierre et Jean avaient faite au sépulcre; mais ils font bien remarquer que, si les femmes prétendent avoir été informées par des anges que ce Jésus était vivant, si les deux disciples ont trouvé les lieux dans l'état qu'on leur avait dit, il demeurait certain qu'ils ne l'avaient pas vu lui-même.

3566. Observez, je vous prie, les divers traits de ce discours. Cléopas en est à ce point de découragement qu'il ne donne plus à Jésus d'autre nom que celui par lequel tout le monde, et des ennemis même, le désignaient. C'est bien toujours à ses yeux un homme qui fut un grand prophète; il ne saurait oublier ses étonnants miracles, ni ses discours plus étonnants encore, tous marqués du sceau divin et généralement admirés par le peuple; mais le voilà mort: il a été condamné par les principaux sacrificateurs et par les magistrats, qui l'ont ignominieusement crucifié! Cléopas semble prêt à penser que les organes de la religion et de la loi n'ont fait peut-être que ce qu'ils devaient. Quoi qu'il en soit, Jésus n'est plus. Cléopas, toujours plein de foi en la promesse d'un libérateur pour Israël, ne désespère pas qu'il n'y ait une délivrance; mais, avec bien d'autres, il s'était flatté qu'elle s'accomplirait par le moyen de cet homme, de ce prophète, et maintenant il faut renoncer à cette douce pensée, car voilà le troisième jour depuis et y compris celui où on l'a vu expirer sur la croix. Si Cléopas avait suffisamment pris garde aux prophéties de Jésus-Christ, il n'aurait pu prononcer ces derniers mots sans se les rappeler; surtout il n'aurait pas accueilli avec tant d'indifférence le rapport de sa femme et des compagnes de Marie, puisque Jésus avait dit expressément qu'il ressusciterait le troisième jour.

3567. Mais, dans la manière dont il raconte ce qui était arrivé aux femmes, il y a plus que de l'indifférence; il y a, par incrédulité, beaucoup d'inexactitude. Cléopas ne dit pas tout; et l'on se rend très bien compte de ses réticences. S'il parle des anges que les femmes prétendaient avoir vus, il se tait sur l'apparition même du Seigneur, dont elles avaient aussi rendu témoignage. Et pourquoi cela? Parce que Pierre et Jean sont revenus du sépulcre, sans que Jésus se soit offert à leurs regards! La mention même qu'il fait de cette dernière circonstance prouve que le récit des femmes, en ce qui tenait à l'apparition du Seigneur, n'était pas loin de son souvenir; mais, avec tous les autres, il les avait accusées de rêveries, et il ne comprenait pas que Jésus ne se fût pas montré à deux de ses principaux disciples, s'il avait réellement accordé cette grâce à Marie de Magdala et aux autres après elle. C'est pourquoi il lui plaisait de tenir cette partie de leur relation comme de nulle valeur. Quand on ne veut pas comprendre, on ne comprend pas; et quand on ne veut pas se souvenir, on oublie.

3568. Il ne faut pas s'étonner, après cela, de ce qu'il y eut de sévère dans le reproche qu'adressa Jésus à ses deux disciples. Pour lever le voile qui couvrait leurs yeux, il commence par diriger leurs pensées sur les prophéties de l'Ancien Testament, leur montrant que depuis la première jusqu'à la dernière, elles avaient toutes annoncé les souffrances du Christ comme les préliminaires indispensables de sa gloire. Cette instruction dut être assez longue, et l'on se prend quelquefois à regretter qu'il n'ait pas plu au Saint-Esprit de nous la conserver. S'il ne l'a pas fait, ce n'est pas sans doute par la seule raison qu'elle eût arrêté trop longtemps le cours d'une narration où les faits ont plus d'importance que les paroles; mais c'est essentiellement parce qu'il nous suffit de savoir, par la bouche même de Jésus, que Moïse et tous les prophètes ont parlé de lui. Après cette déclaration, notre devoir est dé chercher Jésus-Christ dans l'Ancien Testament, aussi bien que dans le Nouveau. C'est ce que j'ai fait, grâces à Dieu, en étudiant les livres de la loi et des prophètes, et mes lecteurs ont pu s'assurer, en effet, que presque toutes les pages de l'Ancien Testament ont trait à Jésus-Christ. Les hommes qui, à l'époque de sa venue, attendaient la consolation d'Israël, ce Cléopas en particulier et son collègue, n'ignoraient pas que Moïse et les prophètes avaient tous parlé du Christ, du Messie, du Libérateur d'Israël (Jean 1: 46); mais leur tort était de n'avoir pas voulu saisir le vrai sens de la mission du Rédempteur, le véritable caractère de son œuvre et de son règne. Ils avaient aggravé leur tort en persistant dans leur point de vue charnel et judaïque, après avoir contemplé et entendu Jésus-Christ; voilà ce que le Seigneur leur reproche. Là se trouvait la cause manifeste de leur incrédulité actuelle, comme c'était ce qui les avait empêchés de comprendre précédemment les prophéties de Jésus sur sa mort et sur sa résurrection.

3569. Avec de telles dispositions, ils eussent mérité que le Seigneur les abandonnât à eux-mêmes; aussi, quand ils furent près d'Emmaüs, «il fit comme s'il eût voulu aller plus loin.» Mais tandis qu'il leur avait parlé, sa grâce s'était ouvert un chemin dans leur cœur, et, entraînés par un attrait irrésistible, ils ne consentirent point à ce qu'il les quittât. «Ils le contraignirent,» est-il dit, lui faisant cette sainte violence que nous ne devons pas craindre d'employer lorsqu'il s'agit du salut et de la gloire de Dieu. D'ailleurs, le soleil descendait vers l'horizon, et il ne leur semblait pas qu'il fallût pousser plus loin, ce jour-là. Heureux les disciples qui, luttant avec l'Ange comme Jacob, le retiennent lorsqu'il a l'air de vouloir les abandonner et ne le laissent point aller qu'il ne les ait bénis! Le Seigneur se mit à table avec Cléopas et avec son compagnon; et là, faisant entre les deux la fonction d'un père de famille, il prit le pain, prononça une bénédiction, le rompit et le distribua. C'était le moment qu'il avait choisi pour dessiller les yeux des disciples; ils le reconnurent, mais il disparut aussitôt, avec l'intention de les rejoindre peu après à Jérusalem, comme nous le verrons dans un instant.

3570. Pour expliquer le changement qui s'opéra dans le cœur, dans l'intelligence, dans la faculté de voir des disciples, il faudrait pénétrer les mystères de l'action divine sur les âmes. Cependant, soit l'exposition que Jésus leur avait faite des Écritures, toujours si puissantes auprès des cœurs droits, soit l'acte même par lequel il termina l'entrevue et qui était de nature à leur rappeler tant de repas pris avec lui, pour ne pas parler du dernier, durent écarter insensiblement les obstacles qui les avaient empêchés de reconnaître le Seigneur. Ce qui leur arriva s'est répété dès lors pour bien des âmes, et plaise à Dieu qu'il y ait beaucoup de mes lecteurs qui se reconnaissent ici. Quand on lit avec prières les saintes Écritures, l'erreur et les préjugés tombent peu à peu, si ce n'est même quelquefois tout d'un coup. Puis, il ne faut souvent qu'une conjoncture inattendue pour que le Seigneur se révèle pleinement. Alors on s'écrie comme Siméon: «O Éternel, mes yeux ont vu ton salut.» Alors aussi, en recueillant dans son esprit le souvenir des choses passées, on se rappelle maintes occasions où, sans qu'on pût se rendre compte à soi-même de ce qu'on éprouvait, on se sentait le cœur tout brûlant au dedans de soi, par l'effet de la Parole du Seigneur et de son Esprit agissant en secret. Alors enfin, on se lève à l'heure même, comme les disciples d'Emmaüs, pour joindre l'assemblée de ceux au milieu desquels on peut espérer de trouver le Seigneur.

3571. (33-35; Mc. 16: 13; J. 20: 19; 1 Cor. 15: 5.) Ce fut sans doute d'un cœur léger et d'un pas rapide que les deux disciples refirent le chemin qu'ils avaient suivi si tristement le matin même. Bientôt ils furent à Jérusalem, et, se rendant au lieu où ils savaient que leurs amis se tenaient cachés par crainte des Juifs, ils les trouvèrent assemblés, non seulement les apôtres, nommés ici les onze, bien que Thomas y manquât, mais encore beaucoup de frères et de sœurs avec eux; ils les trouvèrent, dis-je, prolongeant leur repas du soir et tout émus du grand événement de la journée. Comment eût-il pu en être autrement, car depuis le départ de Cléopas, sans qu'on sache à quelle heure ni en quel lieu, Jésus s'était aussi fait voir à Pierre. Il résultait de là que la foi en sa résurrection gagnait du terrain. Qu'on juge donc de l'impression que dut causer sur cette assemblée le récit des disciples d'Emmaüs. Cependant, il y en avait encore qui ne croyaient pas; non seulement Thomas, absent, mais d'autres encore parmi ceux qui étaient là. Peut-être le témoignage de Pierre leur était-il suspect, après son reniement; peut-être leur paraissait-il étrange que Jésus se fut montré aux deux fuyards d'Emmaüs plutôt qu'à eux; quoi qu'il en soit, ils résistaient encore.

3572. (L. 24: 36-43; J. 20: 19, 20; Mc. 16: 14.) L'épreuve que le Seigneur avait voulu qu'ils fissent des misères de leur cœur étant à son terme, il leur montra que sa grâce marchait de pair au moins avec leur incrédulité. Comme Cléopas et l'autre disciple parlaient encore, Jésus parut au milieu d'eux, en prononçant un mot qui devait réveiller chez eux de bien doux souvenirs: «La paix soit avec vous!» (Jean 14:27.) Mais non; ce n'était pas assez pour calmer leur agitation, ou plutôt la subite présence du Seigneur ne servit au premier instant qu'à l'augmenter. Les voilà s'imaginant que peut-être c'est une ombre, une vaine apparence, un esprit qu'ils ont devant les yeux. «Eh! non, leur dit Jésus, dans son infinie bonté, voyez mes mains et mes pieds, touchez mon corps et assurez-vous que c'est bien moi qui vous parle.» S'il est vrai qu'on croit facilement ce qu'on désire, il ne l'est pas moins que, bien souvent, on n'ose croire ce qu'on désire avec une extrême ardeur. Maintenant donc les disciples craignent que leurs mains ne les trompent aussi bien que leurs yeux, tant ils espéraient peu le bonheur inouï qui leur arrive. C'est pourquoi le Seigneur leur demanda quelque peu de la nourriture qui se trouvait là, et il voulut manger devant eux; puis il leur fit, sur la dureté de leur cœur incrédule, les justes reproches que leur devait sa charité.

3573. (L. 24: 44-49; J. 20: 21-23.) Oui, c'est dans son amour que Jésus reprend ses disciples, car tout aussitôt il leur dit pour la seconde fois: «La paix soit avec vous!» Dès ce moment sans doute, paisibles et recueillis, ils purent écouter les paroles qui devaient donner à cette première entrevue une si grande importance. Fort semblables à celles qui avaient porté la lumière et la consolation dans le cœur des disciples d'Emmaüs, elles eurent toutefois quelque chose de plus direct, par la raison que le Seigneur n'était plus obligé de ne parler de lui qu'à la troisième personne. En effet, il leur rappela ce qu'il leur avait dit précédemment sur la manière dont les anciennes prophéties devaient s'accomplir, et il leur montra de nouveau comment, d'après Moïse, et les prophètes et les psaumes, il fallait que le Christ souffrît, qu'il se relevât d'entre les morts le troisième jour, et qu'on prêchât en son nom la conversion et le pardon des péchés parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem [2592. Prophéties messianiques]. Voilà donc ce qu'il s'agissait de faire maintenant, pour l'entier accomplissement des prophéties; voilà ce dont les disciples allaient être les instruments par le simple récit des choses dont ils avaient été témoins. D'un autre côté, il était impossible que leurs prédications ne produisissent pas leur effet, parce qu'ils recevraient du Saint-Esprit les lumières et la force que Jésus leur avait promises au nom du Père (Jean 16: 12-15). C'est pourquoi, ils pourront garantir le pardon des péchés à tous ceux qui recevront leur témoignage, ce témoignage emportant comme conséquence, que celui qui croit possède la vie éternelle; mais à ceux qui ne croiront pas, ils devront au contraire déclarer la certitude de leur condamnation [2772].

3574. (L. 24: 45; J. 20: 22.) À ces paroles, Jésus ajoute un acte sans lequel il aurait encore une fois parlé en vain. Soufflant sur les disciples, il leur dit: «Recevez l'Esprit-Saint,» et «il leur ouvrit l'entendement pour qu'ils comprissent les Écritures.» De ce fait, qui rappelle d'ailleurs l'acte premier de la création de l'homme et la part qu'y prit Celui qui est la Parole éternelle du Père (Gen. 2:7; J. 1: 3), ressortent trois doctrines importantes. L'une, que l'entendement humain est, par lui-même, fermé aux vérités divines; la seconde, que non seulement ces vérités doivent nous être révélées, mais encore qu'elles ne sauraient pénétrer dans notre intelligence sans l'action du Saint-Esprit; la troisième enfin, que Jésus, le grand révélateur de la vérité auprès des hommes, est aussi le Médiateur par qui vient à ses rachetés la grâce de comprendre et de recevoir la Parole de Dieu. Nous pourrions ajouter, en nous appuyant sur quelques faits précédents, faits dont nous verrons bientôt la confirmation, que le Saint-Esprit agit progressivement dans les cœurs. Les disciples de Jésus avaient déjà ressenti ses influences; elles furent, à ce moment, plus sensibles que jamais; cependant, ils devaient en être pénétrés bien davantage par la suite.


3575. (Luc 24: 46, 47.) Remarquez encore dans le discours de notre Seigneur comment tout le développement de la grâce de Dieu, ayant pour point de départ les souffrances de Jésus-Christ et le pardon des péchés, a pour terme ici-bas la conversion des pécheurs. Remarquez avec quelle miséricorde, avec quelle fidélité, avec quelle sagesse, le Seigneur ordonne que la conversion et le pardon soient d'abord prêchés à Jérusalem; à Jérusalem, cette ville si coupable; à Jérusalem, objet toutefois de tant de promesses, et où il était convenable qu'on prêchât le plus tôt possible la résurrection de Celui qui y avait été crucifié, afin qu'on ne pût pas accuser les apôtres d'avoir craint un démenti! Voyez enfin la simplicité du rôle que le Seigneur destine à ses disciples. Sans doute que le Saint-Esprit les fera devenir des docteurs pour Israël et pour le monde entier, jusqu'à la fin des siècles; mais au fond, ce par quoi ils agiront le plus efficacement sur les âmes, c'est en rendant purement et simplement témoignage de ce qu'ils ont vu et entendu. Et nous aussi, mes chers lecteurs, disons-nous bien que la meilleure manière de prêcher l'Évangile, et celle-ci est à la portée de tout fidèle, c'est de vivre et d'agir de telle sorte que notre personne même rende témoignage à la grâce et à la puissance du Seigneur. Qu'il soit impossible au monde de ne pas reconnaître que Jésus a touché notre cœur, qu'il a changé nos habitudes et qu'il vit avec nous. Par là nous rendrons témoignage à son relèvement d'entre les morts; car il faut bien qu'il soit vivant, Celui qui répand ainsi la vie dans les âmes!

3576. Tel fut le premier dimanche. Jusqu'à cette époque, chaque premier jour de la semaine avait pu rappeler aux fidèles de l'ancien peuple le moment sublime où, par sa Parole puissante, l'Éternel fit sortir la lumière du sein des ténèbres: à partir de l'heure non moins solennelle où Jésus reprit la vie, le premier jour de la semaine fut, pour le nouveau peuple de Dieu, le jour où la Parole faite chair, Celui qui est la lumière du monde, sortit de l'obscurité de la tombe pour reparaître, plein de miséricorde, au milieu des siens. Depuis dix-huit siècles que ce jour est célébré par les disciples de Jésus-Christ, qui dira les bénédictions dont il a été la source pour des millions d'âmes immortelles! Combien de pécheurs à qui le Seigneur s'est manifesté ce jour même pour les faire passer de la mort à la vie; combien qu'il a relevés et consolés comme Marie de Magdala; combien qu'il a ramenés de leurs égarements comme les disciples d'Emmaüs; combien auxquels il a dit, en ce jour-là, comme à l'assemblée de Jérusalem: «C'est moi, ne craignez point; la paix soit avec vous!» — Le Seigneur se montra cinq fois dans le cours de ce premier dimanche. D'abord à Marie, puis aux autres femmes; ensuite à Pierre; peu après, à Cléopas et à son compagnon de route, jusqu'à ce qu'il se fit voir enfin aux disciples réunis. Chaque fois nous le retrouvons tel qu'il fut toujours avec les siens: «plein de grâce et de vérité.»


CCLXIX. — Nouvelles apparitions de Jésus; seconde pêche miraculeuse; réintégration de Pierre; prophétie relative à Pierre et à Jean.


3577. (Jean 20: 24, 25.) Thomas, surnommé le Jumeau, fut, de tous les apôtres, celui qui eut le plus de peine à croire que Jésus eût réellement repris la vie. Il est vrai que ses collègues non plus n'avaient accepté ce fait que vaincus par le témoignage de leurs yeux et de leurs mains. Celui des femmes, bien que confirmé par Pierre et par les disciples d'Emmaüs, les avait laissés pleins de doutes. Thomas, à son tour, résistait au rapport unanime, non seulement de ses collègues, mais encore de toute l'assemblée du dimanche. Pourquoi, d'ailleurs, ne s'était-il pas trouvé dans cette assemblée? L'Évangile ne le dit pas; mais Thomas était un de ces hommes dont le cœur s'ouvre difficilement aux vérités de la foi, et il est probable qu'il avait quitté Jérusalem dès la nuit où Jésus fut livré [3410]. Dans cette supposition, ce serait seulement en Galilée que les dix autres l'auraient retrouvé, qu'ils lui auraient raconté les scènes émouvantes du jour de la résurrection, et qu'il leur aurait manifesté sa résolution de ne pas croire, s'il ne voyait et ne touchait celui qu'ils prétendaient avoir vu et touché eux-mêmes: la distance qui sépare Jérusalem du lac de Tibériade pouvait très bien se franchir en cinq jours. Il se peut aussi que Thomas n'eût quitté que momentanément la cité sainte et avec l'intention d'y rejoindre ses collègues pour retourner avec eux en Galilée. C'est ce qu'il aurait fait dans le courant de la semaine, et, de cette manière, les disciples seraient encore restés huit jours à Jérusalem avant de retourner dans leurs villages.

3578. (26-29.) Huit jours donc après l'assemblée du premier dimanche, les disciples étant de nouveau réunis, ou à Jérusalem, ou en Galilée, et Thomas se trouvant cette fois au milieu d'eux, le Seigneur leur apparut, avec la même salutation que la précédente fois. Mais, pour qui ne croit pas, il n'y a pas de paix possible. Jésus donc, toujours tendre et compatissant, voulut délivrer Thomas de ses doutes et apaiser ainsi le trouble de son âme. Or, non seulement l'apôtre se rendit à l'évidence, mais il lui arriva comme, en général, à ceux qui ne reçoivent le salut qu'après beaucoup de combats, ce fut avec une grande clarté de vue, avec une grande force d'impression qu'il sentit et exprima la vérité que lui révélait enfin la résurrection de son Maître. «Mon Seigneur et mon Dieu!» s'écria-t-il, le cœur plein d'amour et de reconnaissance. Cependant, les disciples des temps à venir devaient apprendre de la bouche même du Sauveur que la foi n'est pas la vue, et que, s'il a voulu joindre ces deux grâces dans la personne de Thomas et de ses collègues, ce fut par exception. Il était absolument nécessaire, sans doute, que les apôtres vissent le Seigneur après sa résurrection, afin qu'ils pussent dire au monde, non pas seulement: Nous le croyons vivant; mais: Nous savons qu'il l'est. Dans tous les cas donc, Jésus devait se montrer à eux. Ce qu'il aurait fallu, toutefois, c'est qu'ils crussent d'abord en sa résurrection selon les prophéties, et qu'après cela ils le vissent. Or, voilà, mes chers lecteurs, à quoi nous sommes appelés. Croyons en Jésus sur la parole de ses apôtres, et, plus tard, nos yeux le contempleront. Qu'il soit, dès à présent, notre Seigneur et notre Dieu; dès à présent aussi, nous serons heureux d'avoir cru sans avoir vu. Hélas! combien d'hommes qui virent le Seigneur et qui ne laissèrent pas de le rejeter! Nous n'avons donc pas à envier le sort de la plupart de ceux qui furent les témoins oculaires de sa puissance, ni même le bonheur de ceux qui, l'ayant vu, finirent par croire en lui.

3579. (30, 31). Croire en Jésus; croire qu'il est le Christ, l'objet et le centre de toutes les promesses, de tous les types, de toutes les histoires de l'Ancien Testament; croire qu'il est le Fils de Dieu, la parfaite image du Père, l'Éternel notre Rédempteur: tel est donc le fondement de notre salut, ou, comme le dit saint Jean, la source de la vie éternelle, la vie même dès ici-bas. Or, le moyen par lequel la foi nous est donnée, dit encore l'apôtre, c'est la Parole de Dieu, en tant qu'elle rend témoignage à Jésus-Christ; c'est tout particulièrement l'Évangile. Les apôtres, envoyés pour annoncer le salut, ont mis par écrit, sous l'inspiration divine, une partie des choses qu'ils avaient vues, entendues et prêchées; et, bien qu'ils n'aient pas dû consigner dans leurs livres tout ce qui fut dit ou fait par le Seigneur bien que Jean surtout ait fort peu parlé des miracles de Jésus-Christ, les Évangiles ne laissent pas de contenir les fondements de la vie éternelle, et celui de Jean plus peut-être qu'aucun des trois autres* Vous donc qui désirez avoir part h ce grand salut, lisez et relisez avec de ferventes prières le volume sacré. Si vous négligez ce devoir, ne dites pas que vous vous souciez réellement du salut de votre âme.

3580. (Jean 21: 1-23.) C'est à l'occasion de Thomas que Jean présente, comme en passant, l'observation générale sur laquelle je viens de m'arrêter un instant, car son récit n'est pas terminé. Après avoir raconté comment Jésus se fit voir pour la seconde fois à ses disciples, huit jours après sa résurrection, dans une assemblée qui s'était certainement formée en mémoire de ce fait, il nous transporte près de la mer de Tibériade, où nous attend un touchant spectacle. Cette mer, ou ce lac, dont les rives et les eaux mêmes avaient vu tant de merveilles, dont les barques avaient servi de chaires à Jésus-Christ, et qui mêla si souvent aux entretiens du Maître et de ses disciples le bruissement de ses ondes, ce lac devait encore une fois parler de la puissance et de l'amour du Seigneur.

3581. En attendant l'accomplissement des promesses, les apôtres étaient retournés dans leurs villages et à leurs premières occupations. Un jour qu'ils étaient réunis au nombre de sept, Pierre parla d'aller pêcher et les six autres le suivirent. C'étaient Thomas, qui ne songeait plus à s'évader; Nathanaël, l'Israélite sans fraude, dont il n'avait plus été fait mention depuis au delà de trois ans, à moins que ce ne soit le même que Barthélemy [2932]; puis l'auteur de notre Évangile et Jacques son frère; deux autres encore dont les noms ne nous sont pas donnés. Comme une précédente fois, mais circonstance fort rare sur un lac si poissonneux, ils passèrent la nuit entière sans rien prendre, et pourtant c'était là tout leur gagne-pain. Était-ce donc que le Père céleste les aurait oubliés? (Matth. 6: 26.) Si cette coupable pensée avait pu leur venir, ils furent bientôt détrompés.

3582. Le jour commençait à poindre, lorsque quelqu'un, criant du rivage, leur demande s'ils n'ont rien à manger. C'était Jésus. Mais soit à cause de l'obscurité qui régnait encore et de la distance qui les séparait, soit parce qu'il plut au Seigneur de n'être pas reconnu tout de suite, les pêcheurs répondirent négativement, sans savoir qui leur parlait. La même voix parvient jusqu'à eux et leur dit de jeter le filet du côté droit de la barque. À tout hasard, ils en font l'essai, et quelle n'est pas leur surprise en le sentant plein d'une telle quantité de poissons, qu'ils ne pouvaient presque le remonter à bord. Jean, l'apôtre à qui Jésus avait toujours témoigné l'affection la plus tendre, Jean, moins préoccupé peut-être que les autres de cette riche capture, parce que son cœur était plus habituellement auprès de son Maître absent, Jean dit à Pierre: «C'est le Seigneur!» Pierre, de son côté, cédant à l'impétuosité de ses mouvements, se précipite dans le lac pour aller à Jésus: il péchait, nu-bras et nu-jambes, ayant sa tunique pour tout vêtement. Un autre eût jeté sa robe avant d'entrer dans l'eau; mais lui, au contraire, il la remet sans y prendre garde, tant il se possède peu, ou tant il est pénétré du respect qu'il doit au Seigneur.

3583. Les disciples, renonçant à amener le filet sur la barque et le traînant après eux, eurent bientôt franchi à la rame les cent vingt pas environ qui les séparaient en ce moment de la rive. Or, afin de leur montrer qu'il disposait de plus d'un moyen pour leur procurer le nécessaire, notre Seigneur avait là du poisson rôti et du pain à leur offrir lui-même. Cependant il voulut qu'ils vissent ce que contenait le filet et qu'ils admirassent le nombre et la grosseur des poissons qui s'y étaient jetés. Ce qui ne dut pas les frapper moins, ce fut de voir qu'aucune des mailles du filet ne s'était rompue. Après cela, ils firent ensemble leur frugal dîner, ou repas du matin, et pendant un certain temps, les disciples, bien que reconnaissant leur Maître, respectèrent le mystère dont il entourait sa personne. Comme tout cela devait leur faire battre le cœur, dans l'attente de ce qu'il avait à leur dire et qu'il préparait avec tant de solennité.

3584. C'était, dit l'évangéliste, la troisième fois que Jésus, réveillé d'entre les morts, apparaissait à ses disciples (11). Cependant, nous l'avons vu se montrer à Marie de Magdala, aux femmes, aux fugitifs d'Emmaüs, à l'assemblée du premier dimanche et à celle du dimanche suivant; nous aurions donc plutôt ici la septième apparition de notre Seigneur. Cela est vrai; mais c'était seulement la troisième fois que Jésus se montrait à ses disciples réunis, et voilà manifestement ce qu'a voulu dire saint Jean. Si d'ailleurs il ne nous raconte pas l'entretien qu'ils eurent avec lui pendant le repas, il me paraît assez facile de suppléer à son silence. Le Seigneur leur parla sans doute dans le sens du prodige qu'il venait de faire éclater à leurs yeux. Non seulement il les assurait par là qu'ils ne manqueraient pas de pain dans son service; mais, en leur rappelant le miracle tout semblable opéré trois ans auparavant, au même lieu et devant les mêmes personnes ou peu s'en faut; en leur rappelant de plus l'importante série de paraboles qui se termina par celle du filet (Matth. 13), ce nouveau et dernier signe leur disait que le moment était définitivement arrivé où ils deviendraient pêcheurs d'hommes vivants; que leur prédication allait étendre un réseau qui recueillerait dans ses nœuds une foule de gens, et que, malgré les efforts qu'on ferait, du dedans comme du dehors, pour déchirer et altérer la parole prêchée et écrite par eux, cette Parole sainte demeurerait ferme et immuable. Il est d'ailleurs à remarquer que si, jusqu'à ce moment, des milliers de pécheurs s'étaient approchés de Jésus, que si plusieurs d'entre eux avaient trouvé la paix auprès de lui, l'Église proprement dite ou l'assemblée des croyants ne s'était pas encore formée et organisée; la foule qui se pressait autour du Seigneur se dispersait bientôt après; elle se rompait, en quelque sorte, comme le filet de la première pêche. Il ne devait pas en être de même à l'avenir, et voilà, je suppose, ce que signifiait aussi la seconde pêche miraculeuse.

3585. Le repas terminé, et le Seigneur s'étant fait connaître au moment peut-être où il avait, comme à Emmaüs, rompu le pain pour le distribuer, il demanda par trois fois à Pierre s'il l'aimait. Ce fut en le désignant par son vieux nom de Simon, fils de Jonas, et non par celui de Céphas ou de Pierre qu'il l'interpella de la sorte, reportant ainsi la pensée de l'apôtre vers les temps antérieurs à sa vocation. Puis, s'il lui dit: «M'aimes-tu plus que ceux-ci?» ce fut avec l'intention marquée de lui rappeler sa promesse présomptueuse: «Quand tu serais pour tous les autres une occasion de chute, tu ne le serais pas pour moi.» Il est à observer en outre que, dans ses premières interrogations, Jésus paraît s'être servi d'une expression que Pierre n'osa pas répéter, tant il avait appris à douter de lui-même depuis la chute où l'avait amené sa présomption. C'est une nuance que nos anciennes versions n'ont pas conservée; mais qui, difficile à rendre, ne laisse pas d'offrir un grand intérêt, «M'aimes-tu?» dit Jésus à Pierre. Encore une fois, «m'aimes-tu? — Si je t'aime, semble répondre le pauvre disciple, je n'ose trop l'affirmer; cependant, oui, Seigneur! je me sens dans le cœur de l'affection pour toi. — Est-il bien sûr seulement, reprend Jésus, que tu aies quelque affection pour moi, quelque amitié, quelque attachement, à défaut de l'amour entier qui m'est dû?» Là-dessus, que fera Pierre, si ce n'est d'en appeler à la toute-science de Celui qui l'avait si bien averti de son triple reniement: «Seigneur, tu sais toutes choses, tu sais que j'ai de l'affection pour toi.»

3586. Quant au motif qui engagea le Seigneur à placer son disciple sous ce douloureux interrogatoire, on le découvre sans peine. C'était pour dire à ses serviteurs de tous les temps que l'amour doit être le mobile essentiel de leur activité; mais il y avait là quelque chose de plus encore. Notre Seigneur n'ignorait pas ce qui se passait dans le cœur de Simon: ni l'amour qu'il y avait fait naître lui-même dès le commencement, ni la repentance que son regard de miséricorde y avait excitée dans la cour de Caïphe, ni enfin la joie avec laquelle Pierre avait, un des premiers, accueilli sa résurrection. Pour nous, nous avons besoin qu'on nous dise si l'on nous aime, et encore pouvons-nous craindre d'être trompés par de vaines protestations d'attachement; le Seigneur, au contraire, lui, dont l'Esprit même produit en nous toute sainte disposition, le Seigneur sait parfaitement ce qu'il y a de bon dans notre âme. Mais Pierre avait renié par trois fois, après avoir déclaré qu'il mourrait plutôt que de commettre une telle indignité; il s'était rendu coupable d'un péché qui semblait l'exposer à une condamnation inévitable (Luc 12: 9); il avait été particulièrement en scandale à ses collègues; plusieurs, peut-être, parmi les simples fidèles, se demandaient si Pierre, même repentant, pouvait encore être compté au nombre des apôtres. Par toutes ces raisons, Jésus lui demanda, trois fois de suite, s'il l'aimait plus que ne l'aimaient les autres, ce qui ne voulait pas dire que ceux-ci ne l'aimassent pas; et, à trois reprises aussi, il lui donna charge de paître ou de conduire ses agneaux et ses brebis, agneaux et brebis qui appartiennent à Jésus et non à Pierre, remarquez-le bien. Puis observez que si le Seigneur remet à Pierre ses chères brebis, ce n'est pas qu'il entende lui conférer une prééminence quelconque sur ses collègues: c'est simplement pour lui rendre au milieu d'eux la place dont son reniement aurait dû le priver.

3587. Pierre comprit la pensée du Seigneur. On le voit dans son humilité, dans sa tristesse, dans la douceur et la persévérance de ses réponses, notamment dans la forme qu'il leur donne: «Tu sais que j'ai de l'affection pour toi; tu connais toutes choses.» Il est manifeste que Pierre se rappelle la double prédiction par laquelle le Seigneur avait annoncé qu'il le renierait. Ah! si je t'avais cru, semble-t-il dire, si je m'étais défié de moi-même, si j'avais veillé et prié comme tu m'y invitais!... Voilà, mes chers lecteurs, les humiliations qui attendent les cœurs présomptueux. Pierre en essuya de deux sortes: celles qui lui arrachèrent tant de larmes dans la cour de Caïphe et celles qui le couvrirent de confusion devant ses frères. Les unes et les autres furent de véritables bienfaits pour son âme. Les secondes, en particulier, tout en mettant le sceau à son relèvement, nous disent de réfléchir avec sérieux sur les voies du Seigneur envers les siens. Lorsque ceux-ci commettent quelque faute, ils doivent regarder comme une grâce de Dieu les humiliations qui en sont la suite; et si, même après s'être repentis, ils sont humiliés de nouveau pour des péchés qu'ils savent cependant leur avoir été pardonnés par le Père céleste, ils recevront avec douceur cette nouvelle marque de son amour; car, après tout, il est bon de se souvenir qu'on est pécheur: nous devons donc bénir la voix qui nous le rappelle et la main qui nous le fait sentir.

3588. Non content de l'avoir réintégré dans son apostolat, Jésus voulut annoncer à Simon de quelle mort il glorifierait Dieu, après l'avoir, tout le reste de sa vie, glorifié par son repentir et par son zèle. Il mourra d'une mort violente, dit le Seigneur; car on le liera par le milieu du corps pour le traîner au supplice. Bien plus, il mourra les bras étendus, c'est-à-dire cloués sur une croix. Et pour marquer encore mieux la chose, Jésus lui dit: «Suis-moi,» ou, en d'autres termes: Ta mort sera semblable à la mienne. Or, si l'on accepte une tradition qui paraît respectable, Pierre aurait effectivement terminé ses jours sur une croix, à l'époque d'une terrible persécution. Il ne renia donc plus son Maître; mais, après avoir affermi bon nombre de ses frères, il donna réellement sa vie pour lui. Il paraît d'ailleurs que la prédiction relative à la mort de Pierre n'était pas encore accomplie à l'époque où Jean écrivait son Évangile; car le texte porte: «de quelle mort il glorifiera Dieu,» et non pas «il devait glorifier Dieu.»

3589. Il est facile de voir par ce qui précède que, sous l'influence du Saint-Esprit, Pierre devenait de plus en plus un homme nouveau. Toutefois, les premiers traits du caractère ne s'effacent jamais complètement, et le Seigneur n'entend pas que ses disciples soient tous jetés dans le même moule. Ne vous étonnez donc pas si cet esprit vif et curieux, si ce cœur aimant et pourtant mobile se détourne promptement des pensées qui auraient semblé devoir l'absorber, pour se diriger sur Jean, le plus jeune des disciples, auquel Pierre, le plus âgé de tous, pense-t-on, portait un intérêt particulier. Jean marchait derrière Jésus avec Pierre, quand celui-ci manifesta le désir de savoir aussi le sort qui était réservé à son jeune collègue. «Que t'importe?» lui répond le Seigneur; et ces mots, avec ceux qui suivent, signifiaient: «Ne te distrais pas si vite de ce qui te concerne personnellement. Quant à lui, il deviendra fort âgé, plusieurs même croiront qu'il ne mourra point; dans tous les cas, il sera encore de ce monde lorsque je viendrai pour détruire Jérusalem; et toi, Pierre, tu seras mort à cette époque.» Tel était, dis-je, le sens de la prophétie, comme l'événement l'a démontré. Jean, qui écrivit son Évangile avant la mort de Pierre, c'est-à-dire donc avant la ruine de Jérusalem, vécut encore une trentaine d'années depuis cette redoutable catastrophe. De plus, il nous dit que les frères, ayant mal saisi la prophétie, croyaient généralement qu'il ne mourrait point. Pour lui, ce n'est pas ainsi qu'il la comprenait. Est-ce à dire qu'il en eût une claire intelligence? Il serait permis d'en douter, quand on voit qu'il se borne à la répéter textuellement, au lieu de l'expliquer. Mais peut-être fut-il conduit par le Saint-Esprit à donner ainsi l'exemple de la prudence ou, dirai-je, de la discrétion qu'il faut apporter dans l'interprétation des prophéties non accomplies. Souvent nous en sommes réduits à réfuter les faux sens qu'on leur assigne, sans que nous puissions dire avec assurance quel est le véritable. Toujours est-il qu'on ne sait ici ce qui est le plus digne d'admiration: la révélation que le Seigneur fait à ses deux disciples de leur avenir, ou la simplicité avec laquelle le Saint-Esprit raconte, par leur bouche, une circonstance sur laquelle il aurait été si naturel de les voir s'extasier!


CCLXX. — Dernière apparition du Seigneur; ses derniers ordres et ses dernières promesses; son ascension.


3590. (M. 28: 16-20; Mc. 16: 15-18; 1 Cor. 15: 6.) Il y eut, après ces choses, une nouvelle apparition de notre Seigneur. Ce fut, comme la précédente fois, en Galilée, non plus au bord du lac, mais sur la montagne qu'il avait désignée à ses disciples et où il leur fut facile de se rendre en grand nombre. Était-ce celle qui avait entendu le discours célèbre rapporté par saint Matthieu (5-7), ou la montagne sur laquelle Pierre, Jacques et Jean avaient vu leur maître transfiguré, ou bien enfin quelque autre, c'est ce qu'on ignore. En tout cas il est probable que cette occasion fut celle où il se fit voir à plus de cinq cents frères, parmi lesquels bon nombre étaient encore vivants lorsque Paul écrivait sa première lettre aux fidèles de Corinthe. Il y en eut d'abord quelques-uns qui doutèrent, nous dit l'évangéliste; mais tous, bientôt, se joignirent dans un même acte d'adoration devant Celui qu'ils n'hésitaient plus à appeler, comme Thomas, leur Seigneur et leur Dieu.

3591. Alors, Jésus s'étant placé au milieu d'eux et s'adressant particulièrement aux onze, commença par déclarer solennellement que toute autorité lui était donnée dans le ciel et sur la terre. C'est en sa qualité de Christ qu'il parlait ainsi; car, en tant que Fils de Dieu, la puissance divine lui appartient, dès l'éternité, par un effet de son union d'essence avec le Père et avec le Saint-Esprit. Mais, devenu homme, il a pu et il a dû recevoir; or, ce qu'il a reçu, c'est ce qui lui avait été promis par le Père (Ps. 2:8), et ce qui nous est représenté comme le juste dédommagement de ses souffrances et de son ignominie. Voici maintenant l'usage qu'il va faire de l'autorité suprême qu'il exerce dans le ciel et sur la terre, c'est de donner le monde aux dépositaires de sa Parole. «Allez, leur dit-il, allez donc dans tout le monde; prêchez la bonne nouvelle à toute la création; faites de toutes les nations des disciples, les baptisant pour le nom (ou dans le nom) du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, leur enseignant à observer toutes les choses que je vous ai commandées. Celui qui aura cru et qui aura été baptisé sera sauvé; mais celui qui n'aura pas cru sera condamné. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à l'achèvement du siècle. Or, tels seront les signes qui accompagneront ceux qui auront cru. En mon nom, ils chasseront des démons, ils parleront de nouvelles langues, ils saisiront des serpents, et quand ils auront bu quelque breuvage mortel il ne leur fera point de mal; ils poseront les mains sur les malades et ceux-ci seront guéris.» Telle fut, en réunissant Matthieu et Marc, la substance de cet important discours.

3592. Le sens de ces paroles n'est pas difficile à saisir, bien que les apôtres, ainsi que nous le verrons, n'en aient reçu que plus tard la vraie intelligence: je parle ici particulièrement de l'ordre d'évangéliser le monde. En s'exprimant comme il le fit, notre Seigneur voulait dire, non pas que ses premiers disciples amèneraient tous les hommes à la possession du salut, mais du moins qu'ils ne borneraient pas au pays de leurs pères le champ de leurs prédications. C'est le propre du royaume des cieux, ou de ce qu'on appelle le christianisme, d'aspirer à la conquête du globe entier. Si le judaïsme, économie de préparation, avait dû être le lot particulier d'un peuple, en sorte qu'on ne pouvait l'embrasser sans entrer, par le fait même, dans la nationalité juive, il ne devait pas en être ainsi de la nouvelle économie. Tout en laissant chaque fidèle, citoyen de son pays natal et sans vouloir fondre toutes les nations en une seule, la prédication de l'Évangile devait former un peuple nouveau, un peuple de disciples, pris parmi toutes les tribus de la terre.


3593. Comme signe d'introduction dans la société qui se grouperait autour de l'Évangile ou de la bonne nouvelle du salut, nous voyons paraître ici le baptême, pratique fort ancienne chez les Juifs et qui, après avoir été suivie par Jean et par les disciples de Jésus, dès le commencement de son ministère, reçut enfin du Seigneur une sanction spéciale, tout en conservant au fond sa signification primitive. Le baptême est, avant tout, le signe du disciple. En recevant la mission de prêcher la bonne nouvelle, les apôtres recevaient celle d'amener des âmes à Jésus-Christ. Or, nous avons vu ailleurs que le nom de disciple était donné à tous ceux qui s'approchaient de lui et qui faisaient profession de croire ses paroles [2747]. En conséquence, les apôtres devraient envisager comme disciple quiconque accepterait leur doctrine ou se soumettrait à leur enseignement, et c'était là ceux qu'ils auraient à baptiser. Cette cérémonie était donc destinée à marquer les premiers pas dans la carrière, et non pas à être renvoyée tout à la fin, ou peu s'en faut, comme cela se fit quelquefois dans l'Église des premiers siècles.

3594. Mais, bien que simple cérémonie d'initiation, le baptême est d'une grande solennité, car la grâce de Dieu nous y est prêchée dans sa plénitude. Pour m'en tenir à ce qui ressort des paroles seules de l'institution et me réservant de compléter ce sujet quand la suite de nos Études m'y conduira, remarquez que si l'on traduit littéralement les paroles du Seigneur: «Les plongeant dans le nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,» rien n'est spirituel et sublime comme le sens du baptême. Ce qui caractérise le vrai disciple, c'est qu'il croit en Dieu: Père, Fils et Saint-Esprit. Il croit au Saint-Esprit par la puissance et la grâce duquel il a été fait une nouvelle créature; il croit au Fils, qui, devenu homme, a répandu son sang en rémission des péchés; il croit au Père, dont l'amour pour nous a été tel qu'il a donné son Fils unique, afin, que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. Voilà déjà ce que proclame la formule du baptême. Puis, comme celui qui était baptisé entrait dans l'eau tel qu'il se trouvait, et en sortait lavé, le baptême dans le nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, nous dit que, par la foi, nous nous plongeons en Dieu, pour ainsi dire, et nous devenons participants de sa sainteté et de sa vie: nous en lui, comme lui en nous. — Que si l'on traduit: «Pour le nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,» au lieu de «dans le nom,» ainsi que cela se peut, le baptême se présente alors comme le signe de notre consécration à Dieu, et cette manière de l'entendre ramène à peu près le même résultat.

3595. La formule du baptême est digne d'une sérieuse attention, en ce qu'elle exprime pour la première fois, avec la plus grande netteté, le mystère de l'essence divine, commune au Père, au Fils et au Saint-Esprit, distincts l'un de l'autre et ne faisant toutefois qu'un seul Nom, ou un seul être. Sans reproduire ce que j'ai dit ailleurs [2690], voyez comme la lumière est allée croissant sur cet important sujet. C'est au baptême de notre Seigneur que la doctrine nous est apparue dans son ensemble, et voici le moment où elle se formule avec précision. Moment qui n'est pas sans analogie avec le précédent, puisqu'il s'agit encore du baptême, et moment non moins solennel, puisque Jésus va bientôt quitter ses apôtres. Ne convenait-il pas qu'il leur révélât auparavant le Nom de Dieu dans sa plénitude, comme il avait autrefois révélé la plénitude de ses perfections à son serviteur Moïse, lorsque celui-ci entrait dans sa mission? (Ex. 3: 13-15). Mais encore, observez, je vous prie, de quelle manière les dogmes de la foi se présentent dans l'Évangile. Ce n'est jamais sous forme de pure théorie; au contraire, c'est toujours à un point de vue pratique. À quoi servirait-il en effet de retenir fermement comme principe théologique le dogme de la sainte Trinité, si nous n'en faisions pas la vie et la substance de nos âmes! Il faut donc, je le répète, que, par une vraie foi, nous nous plongions dans le nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, selon le sens élevé du baptême.

3596. Avant de baptiser, avons-nous vu, les apôtres devaient prêcher. C'est par la qu'ils se feraient des disciples ou, plutôt, qu'ils acquerraient des disciples à Jésus-Christ. Or, dès que les personnes attirées par leur prédication demanderaient à être baptisées, en signe de leur adhésion aux vérités de la foi, ils devraient accéder à leur vœu. Mais, par cela même que le baptême n'est qu'une cérémonie d'initiation, tout n'est pas fini avec le baptême. Le disciple de Jésus-Christ est disciple jusqu'à la blanche vieillesse. Le baptême qui ne serait pas suivi de l'enseignement, ne serait pas le baptême chrétien. Et comme il introduit dans une société toute fondée sur une doctrine, il faut que plus le disciple avance dans la carrière, plus l'enseignement qu'on lui donne prenne d'extension; car le Seigneur a dit: «Les baptisant...., et leur enseignant à observer toutes les choses que je vous ai commandées.» Ces paroles expriment aussi que la vie à laquelle nous sommes appelés, en qualité de disciples, est une vie d'obéissance et non pas seulement d'étude. Plusieurs, hélas! parmi les docteurs surtout, approfondissent beaucoup la doctrine du Seigneur, mais font très peu et très mal sa volonté; il n'est que trop de personnes, d'autre part, qui ne sondent pas assez les Écritures et qui, par suite, demeurent fort au-dessous du patron qu'elles nous tracent. On croit qu'après avoir fait un cours de religion dans sa jeunesse, il n'y a plus qu'à écouter de temps en temps quelque sermon. J'espère que mes lecteurs comprendront mieux leur devoir. Il faut qu'ils soient disciples «vie, et je me serais bien gardé d'écrire ces Études, si j'avais pu supposer que ceux qui les liront, cesseraient après cela d'étudier, par eux-mêmes et plus à fond, la sainte Parole de Dieu. 

3597. Marc ne rapporte pas l'institution du baptême, mais il nous a conservé des paroles qui doivent avoir été prononcées d'abord après. Afin qu'on n'allât pas imaginer que le baptême possède en lui-même une vertu propre à purifier l'âme, à la régénérer, à la sanctifier, en un mot à la sauver, erreur qui n'a été et qui n'est encore que trop commune, le Seigneur distingue nettement ces deux choses: le baptême et la foi; la foi, grâce intérieure de Dieu, principe, en nous, de toutes les autres grâces, et le baptême, signe et sceau de ces mêmes grâces, prédication du salut. En conséquence, il déclare que ceux qui auront été baptisés ne seront pas tous sauvés; car c'est bien à cela que reviennent ses paroles: donc, ceux qui sont baptisés ne sont pas tous régénérés; puisque les régénérés sont tous, par la foi, des enfants de Dieu (Jean 1: 12, 13). En d'autres termes, il ne suffit pas, pour obtenir le salut, de recevoir le baptême: avant tout, il faut croire, et si l'on ne croit pas, on sera condamné. Il semble, d'un autre côté, que, le baptême étant un signe et un sceau de la grâce de Dieu, l'on ne devrait l'administrer qu'aux personnes qui ont été rendues participantes de cette grâce, qui croient aux promesses divines, qui sont vraiment converties. Mais être appelé de Dieu est déjà une grâce; écouter cet appel, se ranger du côté des disciples du Christ, c'est faire un premier pas et un pas important dans la carrière: le baptême vient alors très naturellement. Il faut donc se garder ici de deux extrêmes, plus voisins l'un de l'autre qu'on ne pense. Dire que le baptême régénère, c'est donner à l'homme le pouvoir de régénérer, car l'homme baptise qui il veut et quand il veut; dire, d'autre part, qu'on ne doit baptiser que les régénérés, c'est attribuer à l'homme la connaissance des cœurs; c'est toujours mettre l'homme à la place de Dieu. Quant à ceux qui baptisent les petits enfants, ils justifient leur pratique, en voyant dans le baptême le signe et le sceau de la grâce à laquelle les enfants des chrétiens sont appelés par le fait de leur naissance. Il est vrai que le baptême ne leur est d'aucune utilité pour le salut, s'ils ne sont une fois baptisés du Saint-Esprit; mais il en est de même à quelque âge qu'on soit baptisé. Au surplus, je ne crains pas de laisser indécise une question sur laquelle tant d'excellents chrétiens sont de vues différentes, et qui, dans tous les cas, n'a pas l'importance qu'on cherche quelquefois à lui donner.

3598. Les injonctions et les déclarations précédentes furent adressées surtout aux apôtres, mais non pas uniquement à eux, attendu qu'ils n'étaient pas seuls avec le Seigneur. Aussi verrons-nous qu'ils ne furent pas seuls non plus à enseigner et à baptiser, quand vint le moment de l'action. Bien plus, il est clair que, dans la pensée de Jésus, ceci était destiné à faire règle, même après que les apôtres auraient achevé leur trop courte carrière; car il n'était pas possible qu'ils annonçassent l'Évangile à chaque créature humaine ou seulement qu'ils le portassent à toutes les nations de la terre. Mais ce qu'ils n'ont pu faire personnellement, leurs écrits, traduits et expliqués par d'autres messagers de la bonne nouvelle, ont eu mission de le réaliser. Si l'on pouvait avoir des doutes sur l'intention du Seigneur à cet égard, il suffirait, pour les dissiper, de jeter les yeux sur cette magnifique promesse: «Et voici, je suis avec vous, tous les jours, jusqu'à l'achèvement du siècle,» ou comme on traduit d'ordinaire: «jusqu'à la fin du monde.» Nous avons décidément ici une promesse qui ne concerne pas uniquement les hommes qui l'entendirent, et c'est, en même temps, une promesse qui se lie de la façon la plus étroite aux ordres divins dont elle est le couronnement. Elle revient à dire que la nécessité et l'obligation d'évangéliser le monde dureraient autant que le monde lui-même, et que ceux qui s'emploieraient à cette œuvre, seraient en tout temps des ouvriers dans les mains du Seigneur. C'est par son commandement qu'ils parleront; aux secours de sa grâce qu'ils devront leurs succès.

3599. L'événement toutefois a prouvé qu'il y eut dans les paroles du Seigneur quelque chose qui ne concernait que les apôtres et les hommes de leur siècle ou à peu près. Il fallait que les témoins de Jésus-Christ et leurs successeurs immédiats, montrassent au monde, par des signes incontestables, que si le Seigneur n'était plus sur la terre, sa puissance et sa grâce y demeuraient comme incarnées dans les hommes qui parlaient de lui et en son nom. Lors donc que nous lirons le récit des miracles qui s'opérèrent à la voix, non seulement des apôtres, mais aussi de leurs disciples, nous nous souviendrons de la promesse du Seigneur et nous en admirerons l'accomplissement; puis, en voyant que, de nos jours, ces mêmes signes n'accompagnent plus ceux qui croient, nous nous souviendrons de l'observation que nous venons de faire sur ce que cette promesse avait de spécial, et nous n'en admirerons pas moins la puissance et la grâce du Seigneur, qui continue, sans l'emploi des dons surnaturels, l'œuvre merveilleuse de la conversion du monde.

3600. Cette entrevue de notre Sauveur avec ses disciples fut une des plus solennelles par le nombre des assistants et bien davantage encore par le caractère des paroles qui sortirent de sa bouche. Ce fut la huitième apparition de Jésus depuis son relèvement d'entre les morts, la huitième du moins dont les Évangiles fassent mention; car il est tout à fait probable qu'il y en eut d'autres sur lesquelles ils gardent le silence. C'est le cas, par exemple, de celle qui nous est rapportée incidemment par saint Paul (1 Cor. 15: 7). Ce Jacques, auquel le Seigneur apparut en particulier, n'est, pense-t-on, ni le frère de Jean, ni le fils d'Alphée, mais le frère de Thaddée, appelé aussi Judas et Lebbée [2932]; il était donc frère de Jésus, nom sous lequel nous le verrons désigné plus tard. Jacques était destiné par le Seigneur à diriger, pendant de longues années, l'Église de Jérusalem; c'est pour cela, sans doute, encore plus que parce qu'il était son frère selon la chair, que Jésus le favorisa de cette révélation. Remarquez, du reste, combien peu les évangélistes se montrent soucieux d'accumuler les preuves du grand fait qui servit pourtant de base à leurs prédications et sans lequel leur foi eût été vaine. Non seulement, c'est en réunissant leurs quatre récits qu'on obtient un certain nombre d'apparitions de notre Seigneur, mais encore le mot que Paul dit occasionnellement de l'une d'elles, nous atteste que les évangélistes n'ont pas eu l'intention de les raconter toutes. Il est vrai qu'en chose pareille, la multitude des preuves n'importe guère. N'eussent-ils revu leur Maître qu'une seule fois, les apôtres étaient parfaitement sûrs de sa résurrection. Si donc ils rapportent quelques-unes de ses apparitions, ce n'est pas tant pour rendre tout à fait indubitable son retour à la vie, que pour enregistrer les importantes instructions qu'ils reçurent de lui dans cette dernière portion de son ministère, moitié céleste et moitié terrestre. Il est difficile en effet de prononcer si, à cette époque, le Seigneur était un habitant du ciel ou de la terre. Pour mieux dire, il résulte du récit des Évangiles que, monté vers son Père et vers notre Père peu après son relèvement d'entre les morts, il sortait des demeures célestes pour se manifester aux siens, comme jadis aux patriarches et aux prophètes; puis, quand il leur avait parlé, il disparaissait de nouveau.

3601. (Mc. 16: 19; L. 24: 50-53; Actes 1:2 -11.) Cependant la Fête des semaines, la Pentecôte, approchant [910], et les disciples étant retournés à Jérusalem, le Seigneur voulut que, nouveaux Manoahs, ils le vissent définitivement passer de ce monde dans l'autre, à la manière d'Enoch et d'Élie ses glorieux types. Il voulut de plus que son entrée triomphale dans le ciel eût pour théâtre les lieux mêmes qui avaient été témoins de son agonie, notamment ce mont des Oliviers sur lequel avaient découlé les premières gouttes du sang de l'expiation. Lors donc qu'il les eut conduits à Béthanie, sur le revers oriental de la sainte montagne, il eut avec eux un dernier entretien, dont nous pèserons tous les termes quand nous commencerons l'étude du livre des Actes des apôtres; «puis, élevant ses mains, il les bénit; et, pendant qu'il les bénissait, il se sépara d'avec eux et il fut enlevé dans le ciel.» Quel moment solennel pour les disciples! de quelle sainte émotion ne durent-ils pas être pénétrés, les Élisées de cet Élie et quelle grande scène pour nous pareillement, si, partageant leur foi, nous nous souvenons de ce que Jésus avait dit quarante jours auparavant: «Je vais vous préparer une place, et quand je serai allé et que je vous aurai préparé une place, je reviens et je vous prendrai auprès de moi, afin que là où je suis vous y soyez aussi!» (Jean 14: 3.) Quant aux apôtres et à leurs alentours, le premier moment de stupeur passé, ils s'en retournèrent à Jérusalem avec une grande joie. Ce fut là qu'ils demeurèrent dix jours en attendant la Pentecôte. On pouvait les voir dans les cours et les parvis du temple, continuellement groupés entre eux, et ceux qui les approchaient n'entendaient sortir de leur bouche que des actions de grâces, bien qu'ils ne pussent pas dire encore tout ouvertement ce qui remplissait leur cœur de tant de joie. Quel bel exemple, mes chers lecteurs! Si Jésus est mort, s'il est ressuscité, s'il est monté au ciel, s'il doit en revenir, ce n'est pas moins pour nous que pour les disciples d'autrefois. Nous avons donc à nous réjouir comme eux et, comme eux, à passer notre vie en la présence du Seigneur et dans son service.


CCLXXI. — Conclusion des Évangiles et coup d'oeil en arrière.


3602. Nous venons «le voir comment Luc termine son Évangile. C'est en racontant brièvement l'ascension de Jésus-Christ. Il se borne à retracer le fait, couronnement de l'œuvre personnelle du Seigneur sur la terre, et à décrire les premières impressions qu'il produisit sur ceux qui en furent les heureux témoins. L'évangéliste passe entièrement sous silence les paroles que Jésus prononça dans cette occasion, et il ne fait aucune allusion aux événements subséquents. C'est qu'il devait ajouter à son Évangile un autre livre où il reprendrait le récit avec de plus amples détails. Ce livre a été intitulé les Actes Des Apôtres, et il fera, s'il plaît à Dieu, le sujet de nos prochaines Études. Mais avant de le lire à son tour, disons quelques mots de la manière dont se terminent les trois autres Évangiles.

3603. (M. 28: 20; Mc. 16: 20.) Il y a une grande ressemblance entre les dernières paroles de Matthieu et celles de Marc. L'un conclut en transcrivant la promesse que Jésus fit à ses disciples d'être tous les jours avec eux jusqu'à la fin du monde, promesse qui, nous l'avons vu, supposait nécessairement que l'Évangile serait prêché et ses prédicateurs assistés miraculeusement; l'autre, toujours concis et toujours détaillé néanmoins, nous montre les disciples dans leur activité missionnaire et la promesse du Seigneur s'accomplissant de point en point à leur égard. Le livre des Actes des apôtres, bien qu'il ait été écrit par un autre évangéliste, n'est que le développement du dernier verset de Marc et le récit circonstancié de la manière dont se réalisa la prédiction contenue dans le dernier verset de Matthieu.

3604. (Jean 21: 24, 25.) L'apôtre saint Jean, qui eut pour mission spéciale de compléter les trois autres Évangiles et qui, de cette manière, leur appose indirectement le sceau de son autorité apostolique, de sa plus grande intimité avec le Seigneur et de sa longue expérience des grâces de Dieu, Jean finit en attestant la fidélité de sa relation, et il le fait de ce ton calme et ferme qui n'appartient qu'à la vérité. Bien plus, parlant de soi au nom de l'Église entière, il ajoute ces mots remarquables: «Et nous savons que son témoignage est vrai.» En cette forme aussi, c'est un appel qu'il adresse à vos consciences, mes chers lecteurs.

3605. Avouez effectivement que, si l'on étudie avec soin les Évangiles, il est impossible de ne pas être frappé du caractère de parfaite sincérité qu'ils présentent. C'est avec une naïveté sans égale que les auteurs de ces livres, pleins des plus délicats ménagements de la charité envers tous, confessent leurs nombreuses fautes et celles de leurs collègues: leur ignorance, leurs préjugés, leur incrédulité, leur orgueil, leur ingratitude, leur lâcheté, le reniement de l'un d'eux et la trahison d'un autre. Et ce n'est pas avec l'intention de relever d'autant ce que, dans un livre humain, l'on appellerait leur héros; car je ne me souviens pas qu'il leur arrive une seule fois d'établir un parallèle quelconque entre eux et lui. Ce n'est pas non plus uniquement parce qu'ils étaient des hommes véridiques, car l'homme le plus vrai n'est pas obligé de tout dire; mais c'est qu'ils ont raconté ce que le Saint-Esprit a voulu qu'ils racontassent, les choses mêmes qu'ils auraient eu, semble-t-il, le plus d'intérêt à cacher pour l'honneur de Celui qui les avait choisis, comme pour le succès de leur prédication devant le monde.

3606. L'inspiration divine des Évangiles brille surtout dans le compte qu'ils nous rendent des nombreux discours de notre Seigneur. Quand on pense que, non seulement aucun de ces discours ne fut écrit à l'instant même; que plusieurs furent prononcés alors que les disciples, agités par toutes sortes de craintes, devaient avoir une peine extrême à prêter attention; qu'il n'y en a qu'un très petit nombre enfin qu'ils aient compris au moment où ils sortirent de la bouche du Seigneur, il est manifeste que, pour avoir pu les répéter devant leurs propres auditeurs, plusieurs années ou du moins plusieurs semaines après les avoir entendus; pour avoir pu les écrire ensuite tels que nous les lisons dans les Évangiles, si admirables, si évidemment originaux, il faut de toute nécessité que le Seigneur ait accompli la promesse qu'il leur avait faite en ces termes: «Le Saint-Esprit vous remettra en mémoire les choses que je vous ai dites.» Oui, c'est le Saint-Esprit, l'Esprit que Christ envoie, c'est lui qui, répétant, traduisant, abrégeant peut-être, modifiant et groupant les paroles de Jésus, a parlé par la bouche des évangélistes.

3607. L'inspiration des Évangiles ne paraît pas moins dans le simple exposé des faits. Il en est plusieurs dont les apôtres ne furent nullement témoins, quelques-uns même qui n'étaient à la connaissance d'aucun homme, et que les évangélistes nous racontent toutefois du ton de la plus entière certitude. Je mentionnerai seulement la tentation de notre Seigneur, son agonie en Gethsémané, la manière dont il sortit du sépulcre, événements d'une grande importance; j'y ajoute, ce qui me paraît encore plus frappant, l'assurance avec laquelle ils décrivent les émotions les plus secrètes de Jésus et nous révèlent ses pensées les plus intimes. Après cela, n'avez-vous pas remarqué l'accord vraiment merveilleux des quatre Évangiles, malgré tant de dissemblances? C'est une harmonie comme celle qu'on admire dans toutes les œuvres de Dieu, œuvres si diverses au sein de la plus parfaite unité. Ou, si l'on veut, c'est comme une grande composition musicale, où l'on voit, par moments, une partie des musiciens poser leurs instruments ou les tenir immobiles sous leurs doigts, pour les reprendre à une note donnée, dans un grand morceau d'ensemble. Mais cet ensemble, comme chaque détail du concert, est l'œuvre d'un compositeur unique, dont l'esprit, on peut dire, préside encore à l'exécution. Matthieu, Marc, Luc et Jean ont eu, chacun, la tâche qui lui fut assignée par le maître; nul d'entre eux, à lui seul, n'est complet; mais leurs pensées et leur plume furent conduites par le Saint-Esprit, de manière que le quadruple récit s'harmonisât finalement et présentât aux siècles futurs tout ce qui doit produire et alimenter la foi des élus de Dieu. L'un d'eux, il est vrai (Matthieu), semble rompre cette harmonie en ce qu'il s'écarte fréquemment de l'ordre chronologique; mais, dans la manière même dont il groupe les faits, il y a une intention de Dieu souvent manifeste; et, quand on remet ces faits à leur place, on n'en est que plus frappé de la conformité de sa relation avec celle des trois autres. On dirait quelquefois que ses pages sont extraites littéralement, mais çà et là, d'un écrit préexistant; mais non, il n'y a pas eu d'autre histoire de notre Seigneur que celle qui, d'abord prêchée ou racontée de vive voix par les apôtres sous l'inspiration divine, fut plus tard écrite par les quatre évangélistes également inspirés. L'unité qui existe entre eux vient de ce qu'il n'y a eu dans le fond qu'un historien: le Saint-Esprit.

3608. Enfin, je dirai que l'inspiration des Évangiles se voit encore dans les choses mêmes sur lesquelles ils ont gardé le silence. Après avoir complété ses prédécesseurs, Jean déclare qu'il est loin d'avoir tout dit (25); non qu'il y eût rien à cacher, mais parce qu'il eût été impossible d'épuiser le sujet sans multiplier les volumes, au point d'en rendre la possession et l'étude inaccessibles à la généralité des hommes. Représentez-vous en effet ces trois années et demie du ministère de notre Seigneur, durant lesquelles il ne cessa pas un instant de faire les œuvres de son Père. Si toutes ses actions et toutes ses paroles nous avaient été rapportées en détail, il n'y aurait pas eu de fin aux livres qu'on en aurait écrits. L'apôtre exprime cette pensée en des termes qui ont paru exagérés; mais il ne faut pas oublier que son Évangile proclame plus que les autres l'éternelle divinité du Sauveur. Or, à ce point de vue, il est clair que le monde ne saurait contenir les livres où seraient écrites ses œuvres une à une. Après quoi, il est à remarquer que le mot traduit ici par «contenir,» signifie aussi «comprendre,» et certainement, le monde entier feraît effort pour comprendre et retenir de tels livres, s'ils existaient, qu'il ne saurait y  parvenir; car Dieu et ses œuvres, c'est la hauteur des cieux et la profondeur des abîmes.

3609. Parmi les choses que les Évangiles ont passées sous silence, il en est surtout qui auraient singulièrement satisfait notre curiosité naturelle et sur lesquelles les auteurs sacrés n'eussent pas manqué de dire ce qu'ils savaient ou présumaient, s'ils avaient été abandonnés à leurs propres pensées. Ce n'est pas qu'on puisse voir en eux des hommes qui dissimulent leur ignorance des faits sous le vague des expressions, car rien n'est plus explicite ni plus détaillé que leur récit, quand Dieu l'a jugé convenable; mais là où bien souvent nous aurions désiré qu'ils parlassent, ils se taisent absolument. Puis, quand on se demande quelle a pu être la cause de ce silence, on reconnaît que ce qui est omis n'était pas nécessaire, et même, la plupart du temps, qu'il valait beaucoup mieux que nous ne le connussions pas. Or, qui donc, si ce n'est l'Esprit de Dieu, a pu donner à ces quatre hommes le discernement de ce qu'il fallait taire et de ce qu'il fallait dire? D'où a pu leur venir cet accord dans le silence, accord qui ne saurait être prémédité, tant le témoignage de chacun d'eux est indépendant de celui des autres?

3610. L'harmonie des Évangiles est particulièrement admirable en ce qui concerne la personne du Sauveur. Aucun d'eux ne nous en trace le portrait, et néanmoins si l'on passe de l'un à l'autre, on y reconnaît partout le même Jésus, et, partout, un Être tel qu'il ne s'en trouve pas un de pareil dans aucune histoire, ni dans aucune fiction. C'est qu'en effet personne, sur la terre, n'a réuni en soi, comme Jésus, l'idéal et le réel. Jésus est la perfection humaine jointe aux perfections divines; tellement homme que plusieurs ont nié sa divinité, et tellement Dieu que, dans les premiers temps de l'Église, plusieurs nièrent son humanité. Tout en lui forme un ensemble, parfait de vérité et pourtant indescriptible; en sorte que si les hommes qui parlèrent les premiers de Jésus, l'avaient fait selon leur propre esprit, ils n'eussent pas manqué de défigurer leur modèle dans la prétention de le reproduire. Et nous, maintenant, essayerons-nous d'esquisser tout au moins le caractère, à la fois humain et divin, du Seigneur Jésus? II faudrait la plume d'un ange pour y réussir; aussi je ne sache pas qu'on l'ait souvent tenté. C'est comme les essais que la peinture et la sculpture se sont permis pour offrir aux yeux l'image de Celui en qui il n'y eut «ni beauté, ni éclat pour attirer les regards, ni apparence pour exciter les désirs» (Ésaïe 53: 2), et qui toutefois «surpassait en beauté les enfants des hommes» (Ps. 45: 3). À défaut de portrait original et même de tout renseignement certain sur l'extérieur de Jésus, sur cet extérieur qui ne présentait quoi que ce fût de saillant et qui pourtant devait avoir quelque chose d'inexprimable, il a fallu inventer; mais, malgré l'habileté des artistes, le chrétien préférera toujours aux plus belles images de Jésus-Christ, la simple idée que la foi et l'amour en ont gravée dans son cœur. C'est ce qui arriverait, et plus encore, à la description que nous voudrions faire de sa figure morale. Sans l'avoir proprement cherché, les évangélistes ont dit là-dessus tout ce qu'il fallait et comme il le fallait.

3611. Une entreprise moins difficile, c'est de grouper, dans leur ordre chronologique, les principaux traits de la vie de notre Sauveur et de signaler le caractère spécial de chacune des dix périodes qui embrassent sa carrière terrestre. Déjà dans la première, nous le voyons, dès l'âge de douze ans, occupé aux affaires de son Père; mais c'est à la seconde proprement qu'il se met à l'œuvre. Baptisé du Saint-Esprit, il est tenté par Satan; il appelle à lui trois ou quatre disciples et fait son premier miracle aux noces de Cana. Cela se passait dans l'hiver avant la première des quatre Pâques dont la supputation forme la chronologie de son ministère. Jusqu'ici, ce que Jésus est, et ce qu'il fera, n'est encore qu'indiqué.

3612. La troisième période renferme un an tout entier, et, bien que longue, ce n'est pas celle qui offre le plus d'événements importants. Ici, néanmoins, nous avons la première prophétie de Jésus sur sa résurrection, ses sérieux entretiens avec Nicodème et avec la Samaritaine, le sermon de la montagne, de nombreux miracles et la vocation des premiers apôtres. Ce fut au commencement de cette année que se termina le ministère préparatoire de Jean-Baptiste. À ce moment, Jésus avait peu de rapports avec Jérusalem et avec les hommes qui y dominaient: la Galilée était le principal théâtre de ses miséricordes et il ne se présentait pas encore à tous comme le Christ. Mais s'il ne disait pas ouvertement ce qu'il était, assez de choses lui rendaient témoignage auprès des Israélites pieux qui attendaient la consolation promise à leurs pères.

3613. Avec la quatrième période (intervalle de six mois environ), commencent les grandes luttes de notre Seigneur. Des pharisiens, venus de Jérusalem, l'attaquent au milieu de ses amis de Galilée, et, confondus par la force de ses discours, ils forment, à cette époque même, des projets homicides contre sa personne. Ceci est un temps de grandes choses: l'élection définitive des douze apôtres, la prison de Jean-Baptiste, les paraboles du royaume des cieux, sans parler de divers miracles, entre lesquels il faut pourtant signaler la résurrection du fils de la veuve de Naïn et celle de la fille de Jaïrus, gages, en quelque sorte, de la propre résurrection de Jésus.

3614. D'une durée à peu près égale, la cinquième période, plus courte dans le récit des Évangiles, est d'une importance non moins grande. Cette fois, Jésus se rend à Jérusalem; il y fait un miracle dont toutes les circonstances étaient de nature à attirer fortement l'attention sur sa personne, et il part des attaques mêmes de ses ennemis pour proclamer hautement son éternelle divinité. Ici, nous avons la première mission des apôtres; à cette occasion, des prophéties dont l'accomplissement est de tous les jours; puis la mort de Jean-Baptiste, et, comme conséquence du miracle des pains, de solennelles instructions sur la foi.

3615. La sixième période est aussi d'à peu près six mois. Jésus étant retourné en Galilée, y est poursuivi par ses ennemis de Jérusalem. Pour se soustraire à leurs menaces, il porte ses pas dans la Phénicie, d'où il revient en Galilée, après un séjour à Césarée de Philippe. Ces voyages se firent pendant l'été de la dernière année de notre Seigneur. Le moment de sa mort approchait, c'est-à-dire le moment extrême de son humiliation; aussi fut-ce alors qu'il voulut donner à trois de ses disciples une idée de la gloire céleste qui lui était réservée ainsi qu'à eux. On comprend que je parle de sa transfiguration.

3616. Plus courte que les précédentes, la septième période ne compte que dix semaines; mais elle ne laisse pas d'être une des plus considérables par les enseignements qui sortirent de la bouche du Seigneur, et par les lieux où il les prononça. Ce fut essentiellement Jérusalem et la contrée voisine. À cette époque appartiennent de nouveaux discours de Jésus sur sa divinité et sur les fruits de sa mort prochaine; la mission de soixante-dix disciples; de nombreuses discussions avec les pharisiens; une première prophétie contre Jérusalem; enfin d'abondantes exhortations à la repentance, tantôt sous forme de paraboles, tantôt par enseignement direct. Je ne saurais entrer dans plus de détails sans m'allonger outre mesure. Il me suffira de rappeler qu'à ceci se rattachent à peu près quatre chapitres de saint Jean (7-9 , huit à neuf de Luc (10-18), et les endroits correspondants de Marc et de Matthieu, y compris le chapitre 18 de ce dernier Évangile.

3617. Voici maintenant le dernier hiver; c'est notre huitième période: trois mois au plus. Elle s'ouvre à Jérusalem comme la précédente, et se ferme dans la ville obscure d'Ephraïm, après nous avoir montré Jésus presque exclusivement dans la Pérée, de l'autre côté du Jourdain. Ce qui forme le trait le plus saillant de cette période, c'est le miracle particulièrement solennel de la résurrection de Lazare. Ce temps fut d'ailleurs à Jésus lui-même comme un temps d'arrêt, pendant lequel la sainte victime se préparait pour le sacrifice. Ce n'est pas que ses actes et ses discours y soient insignifiants; car c'est ici que nous avons l'histoire des petits enfants auxquels Jésus imposa les mains, celle du jeune magistrat, honnête mais plein de propre justice, celle enfin de Zachée; puis, les paraboles des ouvriers et des marcs, de grandes promesses faites aux fidèles, et une nouvelle prédiction fort explicite sur la catastrophe dont Jérusalem allait être le lugubre théâtre.

3618. C'est donc en cette ville que Jésus se rend pour la dernière fois, environ trois ans et demi après être entré dans son ministère. Cette période-ci, plus courte que toutes les autres, ne compte que sept jours; mais quelle semaine! Vous en avez le souvenir trop présent pour que j'y revienne. Quatre jours en font la principale importance: le dimanche, jour de l'entrée triomphale de Jésus dans la ville sainte; le mardi, jour des grandes paraboles et des grandes prophéties; le jeudi, jour de l'institution de la Cène, et le vendredi, jour des jours, puisqu'il entendit sonner l'heure pour laquelle Jésus est venu dans le monde.

3619. Ce fut, en somme, une vie fort simple que celle de Jésus-Christ. On y chercherait vainement ces incidents inattendus, ou cette complication d'événements qui répandent tant d'intérêt sur les histoires inventées par les hommes et qui se retrouvent même dans quelques récits véritables. Tout se développe comme il était facile de le prévoir, et les faits, bien que divers, y ont une grande uniformité. C'est toujours Jésus allant de lieu en lieu, faisant du bien, excitant une vive admiration parmi le peuple et une opposition non moins vive chez les chefs et chez les docteurs, saisissant toutes les occasions de répandre à grands flots la lumière, consolant, avertissant, censurant tour à tour, se préparant enfin lui-même et préparant les autres à l'inévitable issue vers laquelle il aspire sans cesse, bien qu'en la redoutant. Cette histoire toutefois a son merveilleux dans les nombreux prodiges dont Jésus-Christ fut l'auteur; mais on aurait tort de les envisager comme la partie essentielle de l'Évangile. J'en excepte ceux dont il fut lui-même l'objet; par où j'entends notamment son incarnation, l'effusion du Saint-Esprit sur sa personne lors de son baptême, sa transfiguration, surtout son relèvement d'entre les morts et son élévation dans la gloire. Avec sa résurrection commença pour lui une nouvelle période de quarante jours, mais une période qui, se rattachant d'ailleurs à sa carrière terrestre, s'en distingue néanmoins d'une manière fort tranchée. C'est le Christ préparant son triomphe, donnant là-dessus des directions à ses disciples et leur distribuant ses grâces; c'est le Rédempteur des hommes s'occupant d'eux toujours, mais ne vivant plus au milieu d'eux; c'est le Seigneur annonçant et commençant l'œuvre que le Saint-Esprit, le Consolateur allait accomplir à la gloire de l'Éternel Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit.

3620. Pour en revenir aux miracles de Jésus-Christ, ses contemporains eux-mêmes comprirent bien qu'ils avaient moins d'importance que sa doctrine. Amis et ennemis s'accordèrent à lui donner le nom de Rabbi, ou de docteur, ou de maître, en entendant par ce dernier mot un homme qui enseigne. De nos jours encore, ce que le monde se plaît surtout à voir dans l'Évangile, c'est une doctrine, et dans cette doctrine, une morale qu'on ne se lasse pas d'admirer. A le bien prendre cependant, le Seigneur n'est pas plus venu sur la terre dans le but essentiel d'y prêcher, que dans celui d'y faire des miracles. Il y est venu pour mourir et pour expier nos péchés par sa mort. Mais on peut dire aussi que ses paroles et ses actes, que son incarnation même et sa vie entière ici-bas, ont eu pour objet essentiel la révélation de sa personne, et, par elle, la pleine révélation du Père et du Saint-Esprit. Voilà ce qui me paraît constituer le fond de l'Évangile: tout le reste ne fait que s'y rattacher, et c'est ainsi que le Nouveau Testament complète l'Ancien. De cette révélation de Jésus-Christ sortent les dogmes de la foi et les principes de la morale; mais Jésus-Christ lui-même, et sa vie, et sa mort, et sa résurrection, sont des faits avant d'être une doctrine.

3621. Que si je voulais présenter un sommaire des dogmes qui résultent de ces grands faits et que Jésus lui-même a proclamés, je risquerais d'affaiblir ce qui a tant de force dans sa bouche et de ternir la lumière qui jaillit de ses moindres paroles. Pour m'en tenir aux impressions qu'ont dû nous laisser nos dernières Études, comment pourrions-nous maintenant douter de l'amour de Dieu, du besoin que nous avons de sa grâce et de la certitude du salut que Jésus s'est chargé de nous acquérir? Comment ne sentirions-nous pas la valeur infinie de nos âmes, la suprême importance de l'éternité et la nécessité de nous convertir pendant qu'il en est temps? Comment encore, si nous croyons ces choses, ne comprendrons-nous pas l'obligation de glorifier le Dieu de notre délivrance, en lui rendant le culte spirituel qui lui appartient, en nous humiliant et nous réjouissant tout à la fois sous sa main puissante et pleine de pardon? Comment, enfin, le grand amour de Dieu répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit, ne nous enseignerait-il pas à aimer notre prochain comme nous-mêmes, et nos frères comme le Seigneur nous a aimés?

3622. Retracez à votre souvenir les enseignements et les miracles de Jésus; rappelez-vous ce qu'il fut lui-même, soit en sa vie, soit en sa mort; vous reconnaîtrez que tout revient à cela, et que cela même se réduit à croire en lui. D'un autre côté, si vous vous rendez bien compte de l'œuvre entière de notre Sauveur, vous verrez que, parfaite à un certain point de vue, elle avait pourtant besoin d'être complétée. Non seulement, en la prenant à l'heure où Jésus mourut, il fallait que sa résurrection vînt sanctionner, consommer et couronner ses enseignements, ses souffrances et sa victoire sur Satan; mais encore il fallait qu'il fût prêché au monde et que, sur le fondement de ses humiliations et de son triomphe, ses disciples élevassent un nouveau temple à la gloire de Dieu, j'entends par ce temple l'assemblée des rachetés ou autrement l'Église. Mais cela, ils n'ont pu le faire sans dire et sans développer à fond ce que le Seigneur ne fit souvent qu'indiquer durant son ministère. Rien n'est plus évident, par exemple, que sa mort est le point central de toute son œuvre. Or, par la force même des choses, le Seigneur n'avait pu y faire que des allusions, non plus qu'à sa sortie de la tombe. Il était réservé aux témoins de ce double événement d'en exposer au monde toute la signification, et c'est pour cela même qu'ils devaient recevoir le Saint-Esprit.

3623. Voilà donc, mes chers lecteurs, ce qu'il nous reste à étudier de la bonne Parole de Dieu. C'est, j'ose le dire, l'essentiel; car Dieu lui-même a dit que «la fin d'une chose vaut mieux que son commencement» (Ecclés. 7:8). Dans la Loi et dans les Prophètes, nous avons vu le Sauveur annoncé; dans les Évangiles, nous le voyons s'abaissant et se dévouant pour nous, méprisé et maudit, succombant en quelque sorte sous les coups de l'Adversaire. Après avoir assisté à sa résurrection et à son ascension, nous allons contempler le merveilleux accomplissement de ses promesses, et nous admirerons comment la révélation qu'il nous a faite de sa personne et de son œuvre par l'organe des apôtres, a pu réellement surpasser à plusieurs égards celle qu'il en avait faite lui-même.
Que le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ daigne nous accorder, par son Saint-Esprit, de poursuivre notre travail sous son regard, avec bénédiction pour nos âmes et à la gloire de sa miséricorde!


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