292.
Versets 1 et 2.
Paul, appelé, par la volonté de Dieu,
comme apôtre de Jésus-Christ, et
Sosthène son frère, à
l'Église de Dieu qui est à Corinthe,
à ceux qui... etc.
L'Église de Dieu
qui est à... Expression souvent
employée, dans les premiers siècles
de l'Église, pour désigner les
fidèles d'une ville, l'Église de
cette ville.
Cette expression est
remarquable comme constatant à la fois
l'indépendance des Églises et la
nature de leur union en un seul corps. Chacune est
dite L'Église de Dieu, comme si elle
était seule sur la terre, et elles sont
aussi, toutes ensemble, L'Église de Dieu.
Là, c'est-à-dire en Dieu, est leur
unité, leur centre; il n'existe pas une
Église, mais des Églises qui sont
une, une en Dieu, une, par conséquent,
spirituellement, et sans qu'aucun lien visible
établisse cette unité.
C'est ce que vous
verrez
ressortir de toute l'Épître. Si saint
Paul n'a pas dit aux Romains qu'il fussent le
centre de l'Église, vous ne le verrez pas
davantage dire aux Corinthiens qu'ils aient
à se rattacher aux Romains, à voir
leur chef en l'évêque de Rome.
Quarante ans après Paul,
l'évêque de Rome, Clément,
écrit aussi une épître aux
Corinthiens, 'et ne leur dit non plus, Nous l'avez
vu, rien de semblable.
293. Verset
10. Or, je
vous conjure, mes Frères, par le nom de
notre Seigneur Jésus-Christ, d'avoir tous un
même langage et de n'avoir point de divisions
parmi vous, mais d'être unis dans un
même esprit et dans un même
sentiment.
Même esprit,
même sentiment, dit l'apôtre, mais
toujours dans le sens de l'unité libre et
fraternelle (note
279).
Sacy traduit: « Je vous conjure.... de ne
point souffrir parmi vous de divisions;»
despotique et fausse idée introduite
là où saint Paul n'avait mis, comme
la suite le prouve, que des conseils de support et
de fraternité. Il va les développer,
ces conseils, dans quatre chapitres , et, jusqu'au
bout , aucune mention d'un pouvoir dont les
décisions souveraines eussent à
fonder et à maintenir l'unité.
294.
Versets 12 et 13.
Voici ce que je veux dire. C'est que chacun de vous
dit: Moi, je suis de Paul; et moi, d'Apollos; et
moi, de Céphas; et moi, de Christ. Christ
est-il donc divisé? Paul a-t-il
été crucifié pour vous? Ou
est-ce au nom de Paul que vous avez
été baptisés?
Ainsi, ceux qui
disaient
: « Je suis de Céphas, » de
Pierre, Paul les blâme tout autant que ceux
qui disaient : « Je suis de Paul,» ou:
«Je suis d'Apollos.» Nouveau trait
inconciliable avec la supposition que Pierre fut le
vicaire de Jésus-Christ, car, dans ce cas,
être à Pierre eût
signifié être à
Jésus-Christ; ceux qui le disaient
n'auraient fait que ce que font les
théologiens romains, enseignant que c'est
l'union avec le pape qui fait l'union avec Celui
dont le pape est le représentant.
295.
Remarquez que saint Paul blâme
aussi ceux qui disaient : « Et moi, je suis de
Christ.» Pourquoi ? Évidemment, parce
qu'ils le disaient dans un esprit orgueilleux et
sectaire, affectant de dédaigner les
apôtres, ne se réclamant de
Jésus-Christ que pour se dispenser de
respecter ses plus dignes ministres. Quand donc
nous vous disons que vous devez être à
Jésus-Christ, à lui seul, comprenez
bien que ce n'est pas cet esprit dangereux que nous
voulons vous inspirer. Le vrai chrétien est
doux et humble. Il ne se pose pas orgueilleusement
au-dessus de ceux que leur charge appelle à
l'instruire; il désire de tout son coeur ne
pas avoir à se séparer d'eux,
à choisir entre eux et Jésus-Christ.
Mais, s'il lui devient évident que ce choix
est à faire, alors, dût-il affronter
mille épreuves, il n'hésitera plus;
il voudra être à Jésus-Christ,
et il s'y encouragera par les paroles mêmes
que saint Paul ajoute aux premières. Ce
n'est pas tel ou tel qui est mort pour moi, se
dira-t-il, mais Jésus-Christ ; ce n'est pas
au nom de tel ou tel que j'ai été
baptisé, mais au nom de Jésus-Christ.
En me séparant d'une Église où
je ne le trouve plus, je ne fais que tenir mon
engagement d'être à lui.
Versets 18
et suiv -
La folie de la croix. Saint Paul se glorifie de
n'avoir jamais prêché autre chose, car
tout le dessein de Dieu se résume en
cela.
296. Verset
30. C'est
par lui (Dieu) que vous êtes en
Jésus-Christ, qui a été fait
pour nous, de la part de Dieu, sagesse, justice,
sanctification et
rédemption.
Sagesse, justice,
sanctification et rédemption, voilà
ce que nous avons en Jésus-Christ. Essayez
de comprendre, après cela, comment vous
auriez besoin de quelque autre, et comment, par la
foi en lui, en lui seul, vous n'auriez pas tout ce
qui vous est nécessaire pour cette vie et la
vie à venir.
L'expérience est
d'accord avec ces Paroles de Saint Paul. Interrogez
ceux qui ont été instruits à
voir tout le christianisme en Jésus-Christ,
se passant des saints, de la Vierge, de la
confession, des indulgences, de tous les moyens de
salut sous lesquels le catholicisme a
enterré le grand moyen, et voyez s'il leur
manque quelque chose, s'ils ne se sentent pas en
possession de tout ce qui est nécessaire
à leur paix et à leur salut.
Saint Paul déclare avoir rejeté, en prêchant l'Évangile. les secours de l'éloquence et de la sagesse humaine; il a voulu que la vérité se prêchât elle-même, pénétrant d'elle-même dans les coeurs ouverts par l'Esprit Saint.
297. Verset
15. Et
nous les annonçons ( les dons de Dieu ), non
avec les discours qu'enseigne la sagesse humaine,
mais avec ceux que le Saint-Esprit enseigne,
traitant spirituellement les choses
spirituelles.
On petit traduire
aussi :
« Enseignant les choses spirituelles comme il
convient de les enseigner à des hommes
spirituels. »
Dans les deux cas,
en
condamnant une prédication mondainement
éloquente et habile des
vérités du christianisme, saint Paul
condamne, à plus forte raison, ce qui serait
encore plus mondain et encore moins spirituel, la
prédication par les formes, par les
cérémonies, par l'empire des sens. Le
culte public, il est vrai, ne peut se passer de
quelques formes, et il serait impossible de dire,
en thèse générale, où
commencera la surabondance ; mais l'Église
romaine nous dispense de déterminer le point
précis, car elle est trop évidemment
au delà. Ses grands temples sont des
théâtres où on peut être
ému sans que la piété y soit
pour rien, y gagne rien ; encore l'émotion
n'est-elle guère que pour les gens moins
habitués à ces pompes, et c'est ce
qu'on peut voir, en particulier, à Rome,
où les gens du pays s'étonnent de
l'impression qu'elles font sur les
étrangers.
Une fois hors de la
voie
spirituelle, on est forcé de s'en
éloigner toujours plus. Il faut de nouvelles
pompes pour réveiller des spectateurs
blasés, et l'empire de la matière
fait progrès sur progrès. Restons-en
au mot de saint Paul : traitons spirituellement les
choses spirituelles, et demandons qu'on ne les
traite jamais autrement, pas plus dans le culte que
dans la prédication.
Versets 14
et suiv.-
L'homme naturel ne comprend pas les choses de
l'Esprit de Dieu.
298. Verset
15. Mais
l'homme spirituel juge de tout, et n'est
jugé lui-même par
personne.
Le chrétien
spirituel a donc le droit d'aborder directement
l'Évangile, et de prendre, avec le secours
de Dieu, la responsabilité de ses croyances.
L'homme naturel en a bien le droit aussi, en ce
sens qu'aucun homme ne peut légitimement
l'en empêcher ; mais saint Paul entend le
droit réel, le droit moral, celui qui
naît de la spiritualité même. De
là un devoir sérieux : c'est,
lorsqu'on veut se mettre à étudier la
religion, d'en acquérir le droit en devenant
un homme spirituel, en écartant tout ce qui
est de la chair, orgueil, passions, et en
demandant, surtout, le secours de l'Esprit de Dieu.
Alors, votre droit est certain.
Vous pouvez, selon
la
parole de l'apôtre, juger de tout, ce qui
veut dire que vous êtes en état de
comprendre tout ce qui importe à votre paix
et à votre salut. De plus, ajoute saint
Paul, vous n'êtes «jugé par
personne. » Est-ce à dire que personne
ne vous jugera? Non, sans doute; vous aurez
toujours contre vous, dans cette affaire, soit les
gens qui trouvent singulier qu'on s'occupe de
religion, soit cette Église qui veut qu'on
ne s'en occupe que pour accepter ce qu'elle
enseigne. Mais saint Paul parle encore là
d'un droit; il veut dire que l'homme spirituel a
celui de n'être jugé par personne, de
récuser tout jugement humain. L'affaire est
entre Dieu et lui.
Mais si le devoir de
tout
chrétien est de créer en lui, avec le
secours de Dieu, cet homme spirituel dont parle
saint Paul, il est clair que toute Église
chrétienne devrait se considérer
comme appelée, avant tout, à l'aider
dans ce saint travail. Est-ce ce que fait
l'Église romaine? En donnant une si grande
place aux formes et aux pratiques, ne
développe-t-elle pas plutôt l'homme
charnel, l'homme qui ne comprend pas, dit saint
Paul, les choses qui sont de l'Esprit de Dieu ? En
défendant l'étude individuelle et
libre de la révélation
chrétienne, n'achève-t-elle pas de
renverser l'idéal que traçait saint
Paul, celui de l'homme spirituel jugeant de tout et
n'étant jugé par personne?
Les Corinthiens ne sont pas encore des hommes spirituels.
299. Verset
4. En
effet, quand l'un dit: je suis de Paul, et l'autre:
Je suis d'Apollos, n'êtes-vous pas
charnels?
C'est donc être
charnel que de voir l'Église dans un homme,
fût-il un saint Paul ou un saint Pierre, car,
quoique ce ,dernier nom ne soit pas
répété ici, il est clair que
l'auteur a l'intention de reproduire ce qu'il a dit
(voir 294)
au commencement de l'épître. Le
chrétien spirituel voit donc l'Église
en Christ, l'unité en Christ; il ne se
donnera à aucun homme; il est pour qui lui
parlera le mieux de Christ et de l'amour de
Christ.
L'histoire n'est que
trop
d'accord avec ce que nous dit là saint Paul.
Si l'Église romaine a été
charnelle, si lés choses de la terre et les
passions de la terre ont joué chez elle un
si grand rôle, ça été,
en grande partie, à cause de sa forme
monarchique. Cette même forme a encore
aidé puissamment au charnalisme dans le
culte.
Un pontife-roi ne
pouvait
pas ne pas s'entourer de magnificences ; les
évêques, ses représentants ,
l'ont imité tout est devenu
cérémonie , et le formalisme a
passé de Rome aux derniers villages. La
monarchie, en un mot , n'a pas seulement eu le tort
d'incarner le christianisme dans un homme; elle a
favorisé la matérialisation de chaque
idée, de chaque dogme , car il est de
l'essence d'un état monarchique que le
principe central se reproduise en tout.
Transsubstantiation et papauté sont, en ce
sens, deux erreurs de même nature. C'est de
l'homme charnel qu'elles ont l'une et l'autre
procédé.
Versets 5
et suiv. -
Les apôtres ne sont que des ouvriers; c'est
Dieu qui, par eux, bâtit l'édifice.
Paul, à Corinthe, a posé les
fondements; d'autres bâtissent et
bâtiront par dessus, mais le fondement est
immuable.
300. Verset
11. Car
personne ne peut poser d'autre fondement que celui
qui a été posé, savoir
Jésus-Christ.
A.
Quand
saint Paul écrivait ceci, il y avait bien
des années que Jésus-Christ
n'était plus sur la terre. Si saint Paul lui
avait connu un successeur, un vicaire,
admettrez-vous qu'il eût pu n'en rien dire en
cet endroit? Admettrez-vous qu'il eût pu
développer longuement (versets 9 à
17) cette image d'un édifice à
bâtir, et ne rien dire de l'homme que
Jésus aurait désigné pour en
être, après lui, le fondement, homme,
nous le répétons, qui eût
été alors depuis au moins vingt ans
en possession de cette charge? Au lieu d'arriver
à ce grand fait que chaque verset, que
chaque mot aurait appelé sous sa plume, il
ne développe son idée qu'en la
spiritualisant de plus en plus, et il termine
(verset 16) par cette autre belle image que c'est
le chrétien lui-même qui est le temple
de Dieu, le sanctuaire de l'Esprit-Saint. Ce n'est
donc pas seulement l'omission du nom de Pierre qui
est significative en cet endroit. L'ensemble du
morceau , l'éclat tout spirituel dont il
entoure la grande notion d'Église, sont en
complète opposition avec la notion romaine
et la forme romaine.
B.
Remarquez, en particulier, comme les paroles de
saint Paul sont loin de supposer l'existence d'une
autorité visible prononçant
infailliblement, dès ce monde, sur les
doctrines prêchées ait nom de
Jésus-Christ. Jésus-Christ, a-t-il
dit, est le fondement unique immuable; mais, sur ce
fondement, les uns vont bâtir avec « de
l'or, de l'argent, des pierres précieuses,
» les autres avec « du bois, du foin, du
chaume. » Qui prononcera sur la valeur de ces
constructions si diverses? « Le temps, »
dit l'apôtre; et sa pensée se
résume tout naturellement en l'image d'un
feu, lequel consumera ou respectera
l'édifice, selon que les matériaux en
auront été mauvais ou bons. Mais,
ajoute-t-il, pourvu que le fondement n'ait pas
été changé, la destruction des
matériaux n'entraînera pas la perte de
l'homme qui aura cru pouvoir les employer. Il sera
sauvé ; seulement, il aura perdu le fruit de
son travail , et il n'échappera que «
comme au travers du feu (01)
, comme un homme qui a
réussi à fuir à travers sa
maison incendiée.
Vous le voyez :
l'apôtre nous renvoie au jugement
définitif, celui de Dieu; sur cette terre,
aucune autorité qui ait mission de prononcer
souverainement sur la valeur des matériaux
employés. Bâtissez sur le fondement
véritable, Jésus-Christ, et vous
pouvez toujours être
sauvé.
C.
Voilà pourquoi , tout en condamnant les
doctrines de l'Église romaine, jamais nous
ne formulons de ces arrêts de damnation dont
elle a été si prodigue contre tous
ceux qu'elle accusait d'errer. Nous ne voyons en
ses membres que des gens qui ont le malheur de
bâtir « avec du bois, du foin, du chaume
; » nous croyons fermement que si,
malgré cela, ils ont bâti sur le vrai
fondement, sur Jésus-Christ, ils sont
sauvés. Ce bois, ce chaume, ce sont toutes
les pratiques auxquelles ils demandent le salut, et
qui; au dernier jour, ne leur serviront de rien.
Ils peuvent être sauvés; seulement,
s'ils le sont, ce n'est point à cause de ces
choses, mais parce qu'ils seront restés unis
à Jésus-Christ par la confiance et
par l'amour. Le grand danger, c'est que ces choses
ne leur soient pas inutiles seulement, et que,
devenant le fondement de leur confiance, elles leur
fassent oublier le seul fondement véritable.
Voilà pourquoi nous ne pouvons les
considérer comme indifférentes;
voilà pourquoi il n'en est aucune que notre
conscience nous permette de ne pas attaquer.
301.
Versets 21-23.
Que nul donc ne mette sa gloire dans les hommes,
car toutes choses sont à vous, soit Paul,
soit Apollos, soit Céphas... Et vous
êtes à Christ, et Christ est à
Dieu.
Forme nouvelle et
encore
plus frappante de l'opposition déjà
signalée entre la doctrine de saint Paul et
la doctrine romaine sur
l'Église.
L'Église, selon
Rome, a été donnée au pape.
C'est la doctrine que le général des
Jésuites soutint au concile de Trente, et
qui, combattue alors par beaucoup
d'évêques, est aujourd'hui celle de
tout le clergé, ou peu s'en faut. Le pape
est donc la source unique de tous les pouvoirs, de
toutes les grâces ; le pape est l'arbitre
suprême de la foi et de la morale.
L'Église n'a, devant lui, aucun droit, sauf
ceux qu'il veut bien lui donner ;
l'évêque même, si puissant,
n'est rien, si ce n'est par lui.
Jamais roi n'a
été mieux propriétaire de ses
peuples que ne l'est, dans la théorie
ultramontaine, le successeur de saint
Pierre.
Selon saint Paul, au
contraire , c'est à l'Église, que
« toutes choses » appartiennent, y
compris Paul, et Apollos, et Pierre. Elle n'est pas
leur souveraine, sans doute, car ils n'ont, comme
elle, d'autre souverain que Jésus-Christ;
mais si elle n'est pas leur souveraine, elle est
encore moins leur esclave, leur
propriété. Le troupeau est au
maître commun.
L'idée même
de troupeau serait complètement fausse si on
voulait l'entendre à la rigueur, car un
berger, propriétaire ou non, est toujours un
maître absolu pour les vils animaux
réunis sous son autorité Jésus
et les apôtres n'ont jamais eut en vue que le
côté relevé de cette image, le
berger considéré dans ses soins, son
affection, sa vigilance. C'est dans ce point de vue
qu'on peut dire que le berger appartient au
troupeau, n'existe que par et pour le troupeau.
Ainsi l'entendait saint Paul; ainsi l'entendait
également (nous le verrons plus loin) ce
même saint Pierre an nom de qui le despotisme
romain s'est établi.
.
302. Verset
1. Que
chacun nous regarde comme des ministres de Christ,
et des dispensateurs des mystères de
Dieu.
En isolant ces mots
de ce
qui précède, on est arrivé
à y voir tout le contraire de ce qu'ils
disent. Des hommes ont réclamé, comme
ministres de Christ, un pouvoir sans bornes; comme
dispensateurs des mystères de Dieu, ils se
sont arrogé le droit de les dispenser en
effet, c'est-à-dire de distribuer les
grâces et de régler souverainement la
foi.
Rien de tout cela
dans ce
verset, qui n'est que le résumé du
raisonnement de saint Paul. Il vient de dire qu'on
ne doit pas se donner à des hommes , que
l'Église n'appartient ni à Paul, ni
à Pierre, mais à Christ. Comment donc
faut-il considérer Paul et Pierre? Il
répond : « Comme des ministres de
Christ, comme des dispensateurs des mystères
de Dieu.»
L'idée est donc
toute d'humilité ; elle revient à :
« Nous ne sommes que des ministres, que des
dispensateurs.» C'est ce que disent, outre le
sens général, les mots mêmes
employés ici par saint Paul. Celui que nous
traduisons par ministre veut dire proprement
rameur, serviteur d'ordre inférieur; celui
que nous traduisons par dispensateur veut dire
administrateur, économe, et
l'économe, chez les anciens, n'était
qu'un serviteur un peu au-dessus des autres,
souvent même qu'un esclave.
Ainsi, cette
déclaration dont l'orgueil sacerdotal a
tiré un si grand parti, c'est encore une de
celles qui le condamnent le plus
formellement.
303. Verset
2. Or, ce
qu'on demande à des dispensateurs (à
des économes), c'est qu'ils soient
trouvés fidèles.
L'apôtre poursuit
son idée, mais dans le sens que nous venons
d'indiquer. L'autorité du ministre de
Jésus-Christ est liée à sa
fidélité ; tout ce que saint Paul
demande dans les versets suivants, c'est qu'on ne
se hâte pas de prononcer sur la question de
fidélité, condamnant orgueilleusement
tel ou tel pour se livrer servilement à
quelque autre. Dans tout cela, par
conséquent, aucune trace d'une
autorité souveraine que les ministres de
Jésus-Christ aient à exercer sur
l'Église; aucune trace, non plus,
d'inégalité entre eux; aucune trace,
enfin, d'une autorité centrale
prononçant infailliblement sur leur
fidélité.
Versets 9
et suiv. -
Dévouement de Paul. Ses épreuves de
tous les jours. Envoi de Timothée aux
Corinthiens. Paul ira lui-même les
voir.
Scandales dans l'Église de Corinthe. Paul s'est déjà transporté en esprit au milieu des chrétiens de cette ville, pour prononcer avec, eux la sentence du coupable.
304.
Versets 4 et 5.
Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, vous
et mon esprit étant assemblés, avec
la puissance de notre Seigneur Jésus-Christ,
j'ai prononcé de livrer cet homme à
Satan pour la destruction de la chair, afin que son
âme soit sauvée au jour du Seigneur
Jésus.
L'excommunication
romaine
a trouvé là des armes effrayantes.
Rétablissons les faits.
D'abord, de quoi
s'agit-il? D'un inceste; d'un crime que les
païens eux-mêmes avaient toujours
flétri comme monstrueux. Impossible donc,
logiquement, d'aller chercher dans ce qui fut fait
alors la justification de ce que l'Église
aura fait contre des délits quelconques,
légers peut-être, ou même
n'existant, ce qui a été souvent le
cas, qu'aux yeux de ses lois à elle ou de
ses prétentions à elle.
En Second lieu,
comment
va s'exercer, selon saint Paul, la justice de
l'Église? Sa qualité d'apôtre
et l'énormité du crime à punir
lui donnaient certainement le droit de prononcer
seul; fondateur de l'Église de Corinthe, il
pouvait en exclure un homme qui la
déshonorait. Et cependant, il veut que ce
soit l'Église qui prononce, que ce soit
l'assemblée des fidèles qui chasse le
coupable de son sein; dans sa seconde
épître, c'est à l'Église
encore, à l'assemblée des
fidèles, qu'il demandera (chap. 11) la
grâce du coupable puni et repentant. Ainsi,
quand l'Église romaine n'aurait pas
dénaturé le droit d'excommunication
en l'élargissant outre mesure , elle l'a
encore dénaturé en l'attribuant au
clergé seul, investi par là de la
plus dangereuse omnipotence.
La peine, enfin,
qu'était-elle?
L'exclusion ;
uniquement
l'exclusion. L'Église n'ayant, à
cette époque, aucun moyen de châtier
autrement, les expressions de saint Paul, dans la
sentence, ne pouvaient avoir été
employées que dans un sens figuré,
spirituel. L'Église était
considérée comme l'assemblée
des saints; chasser un homme de l'Église,
c'était le livrer à Satan, le
repousser dans l'empire de Satan, ou, pour mieux
dire, le forcer de s'apercevoir que, en devenant
criminel, il était rentré sous cet
empire. Ainsi s'expliquent les mots qui suivent.
Que serait-ce que livrer un homme à Satan,
an prince de la perdition, « afin que son
âme soit sauvée ? » Le sens est
donc évidemment celui-ci : « Cet homme,
se voyant exclu de l'Église, sera
forcé de comprendre qu'il est sous le joug
de Satan. Qu'une sainte terreur détruise en
lui l'empire de la chair, et que son âme
rentre, en conséquence, dans les voies du
salut.»
Voilà
l'excommunication apostolique, chrétienne.
Aucune peine temporelle; aucune malédiction.
Le coupable est séparé de
l'Église jusqu'à ce qu'il se repente
et s'amende ; rien de plus. L'Église ne fait
que constater l'état de perdition où
il s'est mis; elle le considère comme
condamné dans le ciel, mais nullement en
vertu de la sentence prononcée sur la terre.
Au reste, malgré tous les efforts que
l'Église romaine a faits pour qu'on
s'effrayât de ses sentences, le bon sens a
toujours dit assez haut qu'une excommunication
n'est rien si elle n'est juste. Malheureusement, en
attendant de n'être rien dans le ciel, elle
peut commencer par être beaucoup sur la
terre, et par se traduire, dans la main d'une
Église impitoyable, en affreuses
cruautés.
Versets 6
et suiv. -
Que les Corinthiens soient plus
sévères entre eux qu'envers les
païens , car ils ne sauraient prétendre
, dans le monde, à n'être en contact
qu'avec des justes.
305, Verset
10.-.. car
autrement, il vous faudrait sortir du
monde.
Saint Paul n'aborde
donc
pas l'idée qu'il soit bien de quitter le
monde pour en fuir les mauvais exemples. Tous les
conseils que vous lui verrez donner sur la fuite du
monde, sur le renoncement au monde, supposent, au
contraire; le chrétien restant dans le
monde, luttant de près contre le mal,
guidant et encourageant ses frères dans
cette incessante bataille. La fuite du monde par
état, le renoncement au monde par des voeux
prononcés, la vie monastique, enfin, et tout
ce qui s'y rattache, sont des choses absolument
inconnues dans le Nouveau Testament.
Procès portés devant les tribunaux païens.
306. Verset
4. Si donc
vous avez des différends entre vous touchant
les choses de cette vie, prenez plutôt pour
juges ceux mêmes qui sont les moins
considérés dans
l'Église.
Nous avons vu
(note
130)
les abus et les inconvénients que le droit
de juger en affaires temporelles a amenés
dans l'Église romaine.
Au lieu d'être
cité comme établissant ce droit, le
passage ci-dessus aurait dû être
combiné avec celui où nous voyons
Jésus-Christ (Luc XII, 14) refuser
d'être arbitre entre deux frères.
L'ordre donné par saint Paul n'a qu'un
caractère transitoire ; il l'appuie, en
effet, sur ce que les tribunaux étaient
païens. Mais, quand l'empire devint
chrétien, l'habitude était prise; les
empereurs furent obligés de maintenir la
juridiction épiscopale, et d'en
étendre même les droits. De là,
plus tard, d'interminables luttes entre
l'Église et le pouvoir civil.
Si donc nous devons
reconnaître, d'un côté, que ce
sont les circonstances qui ont ouvert la voie et
que c'est un précepte de saint Paul qui y a
poussé l'Église, l'histoire, d'autre
part, ne nous permet pas d'oublier comment le
clergé romain a exploité ce
précepte. Il ne réclamait, disait-il,
que le jugement des affaires se rapportant aux
choses religieuses ; mais il avait fini, de proche
en proche, par considérer tout, ou à
peu près, comme s'y rapportant.
N'oubliez pas non
plus
l'usurpation qui était à la base
même du système. En demandant qu'on
prenne des chrétiens pour juges, Paul
n'ordonne pas qu'on les prenne exclusivement parmi
les chefs; il parle de membres quelconques de
l'Église, même les plus obscurs,
ajoute-t-il. Encore un point, par
conséquent, où le clergé s'est
substitué à
l'Église.
Versets 7
et suiv. -
Les vices des païens devraient être
inconnus chez les chrétiens, de sorte que
leur vie entière fût d'accord avec la
grâce immense dont ils ont été
les objets.
307. Verset
11. -...
vous avez été lavés., vous
avez été sanctifiés, vous avez
été justifiés au nom du
Seigneur Jésus et par l'esprit de notre
Dieu.
A. Saint
Paul
aime
à semer au milieu de ses discours ces
résumés rapides de l'oeuvre de
Jésus-Christ ; mais, quelque forme qu'il
emploie, toujours cette oeuvre est
représentée comme celle de
Jésus seul, entière et parfaite en
lui seul. L'apôtre, dans ces occasions,
accumule les idées, les mots, et ces
accumulations (voir note
296) ne laissent
ni
place ni prétexte aux moyens dont on
pourrait vouloir entourer le grand moyen, aux
ouvriers de salut qu'on essaierait d'adjoindre au
grand ouvrier. La précaution a
été inutile. Rome a trouvé
cent moyens, pour les hommes, d'être
lavés, sanctifiés, justifiés,
et cent mille ouvriers, les saints, pour aider le
Christ dans sa tâche. Aussi, là
où elle règne, que reste-t-il du
grand moyen et du grand ouvrier?
B.
Remarquez encore comme toutes ces
déclarations sur l'oeuvre de
Jésus-Christ, pleine, parfaite, sont loin de
supposer qu'un chrétien qui meurt dans la
foi en lui puisse avoir à subir,
après la mort, une purification quelconque ;
pas un endroit, au contraire, où cette
oeuvre de réconciliation et de salut ne soit
représentée comme s'opérant
tout entière, dés ce monde, en
quiconque aura regardé à
Jésus-Christ comme à son unique
Sauveur. La doctrine du Purgatoire est donc en
opposition avec tout ce qui nous est dit de
Jésus-Christ expiant nos
péchés, car tout ce qui nous en est
dit l'est dans le sens du verset ci-dessus. Paul ne
dit pas : « Vous serez lavés,»
mais : « Vous avez été
lavés.» Les Corinthiens ont cru;
l'oeuvre expiatoire du Christ est, par cela seul,
accomplie en eux. Croyez, et, par cela seul, elle
s'accomplit en vous.
Versets 19
et suiv. -
La pureté. Le chrétien se rappellera
que son corps est le temple du
Saint-Esprit.
Réponse à diverses questions qu'on avait adressées à l'apôtre sur le mariage et le célibat.
308.Voici
le sens de ce
chapitre.
Saint Paul aurait eu
(il
le dit positivement plus loin, IX, 5) le droit de
se marier. Il ne l'a pas fait, et, prévoyant
les persécutions qui vont assaillir
l'Église, il préférerait
(verset 7) que tous fussent libres, comme lui, de
tout lien terrestre.
Est-ce un ordre
qu'il
donne ?
Évidemment non,
car il parle de tous, et, donné à
tous, cet ordre équivaudrait à
l'abolition du mariage et à la destruction
du genre humain. C'est donc une simple
réflexion sur l'avantage qu'il peut y avoir,
en certains temps, à n'être pas
marié ; c'est le simple conseil de faire
entrer cette considération en compte quand
on voudra ou se marier, ou marier ses enfants.
Saint Paul a tellement peur qu'on n'exagère
la portée de ses paroles, qu'il
déclare (verset 25) n'avoir point
reçu à ce sujet de commandement du
Seigneur; il veut qu'on l'écoute, en ce
moment, non comme un apôtre, mais comme un
simple ami conseillant ce qui lui paraît
préférable. Il répète
jusqu'à six fois (versets 9, 17, 28, 36, 38,
39) que nul ne doit être contraint à
cet égard.
Ainsi, ce chapitre
qui a
été tant exploité, qui a servi
de base à tant de lois, qui a
créé les couvents par milliers,
c'est, de toutes les pages du Nouveau Testament, la
moins impérative. Mais l'Église
romaine cherche, avant tout, ce qui lui convient ;
elle sait ne pas voir, dans les Saints Livres , les
lois les plus formelles, et elle excelle à y
trouver celles qui n'y sont pas. - Voir note
414.
309. Mais
quand saint Paul se
défend si bien de vouloir imposer le
célibat, c'était le moment, ou
jamais, de dire s'il entendait l'imposer au moins
aux pasteurs. Le dit-il ? Pas un mot.
Voilà qui est
grave, d'autant glus grave qu'on aura fait jouer un
plus grand rôle à ce chapitre. Plus
vous donnerez d'importance à ce que saint
Paul dit ou paraît dire en faveur du
célibat, plus il sera impossible d'expliquer
comment il eût pu n'en rien dire relativement
aux prêtres.
N'insistons pas.
L'idée du célibat des prêtres
est tellement insoutenable devant le Nouveau
Testament et l'histoire des premiers
siècles, qu'il est presque puéril
d'accumuler les preuves contraires. Indiquons-les
quand nous les rencontrons, mais tenons-nous-en
à les indiquer.
310.
Remarquez enfin que , dans les
endroits mêmes où saint Paul
paraît conseiller le célibat, il ne le
conseille encore point comme un état plus
pur, plus agréable, en soi, à Dieu,
plus digne, en soi, des enfants de Dieu. S'il le
recommande aux fidèles, c'est, d'abord,
à cause des afflictions qu'il leur
épargnera dans des temps agités et
difficiles; c'est, ensuite, parce que l'absence des
soucis de la famille leur laissera, suppose-t-il,
plus de temps pour méditer, pour prier, pour
s'occuper d'oeuvres pieuses, idéal qui, du
reste, ne s'est pas souvent
réalisé.
Ainsi, même sur le
terrain de l'idéal, ce n'est encore pas
comme plus saint que le célibat est
conseillé, mais seulement comme pouvant
faciliter la sanctification ; aucune des paroles de
l'apôtre ne justifie les
développements mystiques qu'on a
donnés, dans l'Église romaine,
à l'idée d'une sainteté
intrinsèque appartenant au célibat.
Cette idée est en désaccord avec
l'esprit d'une religion qui voit tout dans le
coeur, dans la pureté ou l'impureté
du coeur. Le célibat, comme le mariage, est
pur ou impur, saint ou non, selon les sentiments et
les pensées qu'il amène ou qu'il
développe.
Manger des viandes immolées aux idoles n'est pas, en soi, un péché, puisque les idoles ne sont rien.
311. Verset
8. Un
aliment n'est pas ce qui nous rend agréables
à Dieu.
Que de fois revient
cette
idée! Que de précautions prises
contre ceux qui conserveraient l'idée juive
de la distinction des aliments!
Mais, dira-t-on,
l'Église romaine n'entend pas que les
abstinences aient, en soi, la vertu de plaire
à Dieu; il ne s'agit que des sentiments dont
elles sont l'expression ou dont elles seront la
source.
Nous avons
déjà dit plus d'une fois qu'il ne
peut pas être permis , dans les choses de
pratique, de se réfugier dans la
théorie. L'abstinence, une fois devenue
affaire de règle et d'habitude, non
seulement n'exprime plus et ne provoque plus les
sentiments de pénitence qu'elle était
supposée exprimer ou provoquer , mais ne
peut que contribuer à les fausser, à
les détruire.
Si vous les avez
dans le
coeur, c'est un grand mal que de vous apprendre
à les incarner dans un acte qui va devenir
habituel, machinal ; si vous ne les avez pas, c'est
un plus grand mal encore, car on ne fait que vous
procurer un moyen de vous en passer. La scrupuleuse
observation des jours maigres est une des choses
par lesquelles on se tranquillise le mieux, dans
certains pays, sur l'absence de la
piété réelle et sur la
violation de lois tout autrement
saintes.
Verset. 9
et suiv. -
Quoique libre de manger des viandes immolées
aux idoles , le chrétien s'en abstiendra
s'il craint de scandaliser ses
frères.
Désintéressement de l'apôtre. il aurait eu le droit d'être nourri par les Corinthiens, et non pas lui seulement, mais sa femme, s'il eût été marié.
312. Verset
5.
N'avons-nous pas le droit de mener avec nous une
femme d'entre nos soeurs, comme font les autres
apôtres, et les frères du Seigneur, et
Céphas?
On a tenté
d'obscurcir ce verset. Cette femme soeur, comme dit
le texte grec, on a voulu que ce ne fût pas
une épouse, appelée soeur dans le
sens de chrétienne, mais une espèce
de servante chrétienne, une femme
accompagnant chaque apôtre pour le servir et
le soigner. Cette interprétation ,
adoptée par la Vulgate (mulierem au lieu de
uxorem) , n'est pas seulement bizarre ; elle est
contraire à la mention trois fois faite
(Matth. VIII, Marc I, et Luc IV) de la
belle-mère de Céphas. Céphas
donc, saint Pierre, était marié ;
d'autres apôtres, sinon tous,
l'étaient; saint Paul déclare qu'il
aurait le droit de l'être. Essayez de croire,
après cela, que le célibat des
prêtres a été ordonné
par les apôtres.
Versets 6
et suiv. -
Quoique n'usant pas du droit d'être entretenu
par les fidèles, l'apôtre tient
à constater ce droit. L'ancienne loi le
proclamait.
313. Verset
14. De
même aussi, le Seigneur a ordonné que
ceux qui annoncent l'Évangile vivent de
l'Évangile.
Quand nous parlons
contre
le rôle de l'argent dans l'Église
romaine, on nous répond que beaucoup de
prêtres n'ont cependant que le strict
nécessaire.
Nous répondrons,
d'abord, que cela n'infirme en rien nos remarques
sur ceux d'entre eux qui se sont enrichis ou
s'enrichissent, et il y en a beaucoup, à
trafiquer de messes, d'indulgences, de dispenses,
de cérémonies, etc.
Qu'on se rappelle,
en
second lieu, que nous attaquons le système,
non les hommes. Quand ce système aurait
laissé tous les prêtres, tous les
couvents, toutes les églises, dans la plus
humble pauvreté, nous n'en dirions pas moins
qu'il est mauvais, mauvais parce qu'il avilit les
choses saintes, mauvais parce qu'il avilit le
prêtre, mauvais parce qu'il aboutit
infailliblement à faire croire que le salut
est chose à acheter.
Versets 15
et suiv. -
Dévouement de saint Paul.
314. Verset
22. Avec
les faibles, j'ai été comme faible,
afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout
à tous, afin d'en sauver au moins
quelques-uns.
Tout à tous. C'est
avec ce mot que l'Église romaine est
arrivée à accommoder le christianisme
aux idées, aux habitudes, aux superstitions
de tant de peuples. On vous dira que les papes ont
condamné ce que leurs missionnaires avaient
fait, à cet égard, dans quelques
contrées reculées ,
particulièrement en Chine; mais n'allez pas
conclure de là que ces choses ne se font
plus, car tous les voyageurs vous diront ce qui en
est, aujourd'hui même, et en Chine, et dans
l'Inde, et dans plusieurs pays de
l'Amérique. Vous pouvez, au reste, aller
moins loin ; l'Italie et l'Espagne vous offriront
assez d'exemples d'accommodations du christianisme
aux superstitions de l'antiquité, du moyen
âge, des temps modernes. Vous pouvez aller
encore moins loin, et, dans les pays mêmes
où le catholicisme vous paraîtra plus
sage , vous n'aurez pas à l'examiner
longtemps pour y apercevoir beaucoup de choses
dignes de l'Italie , de l'Espagne , de
l'Amérique , de la Chine peut-être.
Enfin , ce qui n'a jamais été
nié ni même dissimulé , ce sont
les emprunts nombreux faits au paganisme romain en
matière de cérémonies , de
pratiques, etc. L'Église , vous dit-on , a
sanctifié tout cela en l'adoptant. Reste
à savoir si elle a pu l'adopter sans que
cette condescendance entamât les bases de
l'Évangile.
Saint Paul était
tout à tous, mais dans les limites que sa
vie entière nous indique. Sur le terrain de
la charité et des sacrifices, tout
-,à tous; sur le terrain des principes,
inflexible. S'il a cédé
çà et là quelque peu à
des Juifs qui ne pouvaient s'élever , du
premier coup , au culte esprit et vie, jamais ce
n'a été sans leur dire nettement
qu'il leur cédait pour un temps, que ce
christianisme inférieur n'était pas
le véritable, qu'ils auraient à s'en
dégager au plus tôt. Est-ce là
ce que fait l'Église romaine? Quand elle
pourrait, dans le passé, justifier ce
grossier christianisme qu'elle a donné aux
peuples, comment se justifiera-t-elle de n'avoir
rien fait et de ne rien faire pour les mener
ensuite à une religion plus
pure?
Se borne-t-elle, au
moins, à ne rien faire? Son bagage de
superstitieuses pratiques ne va-t-il pas
s'accroissant tous les jours partout où elle
est la maîtresse?
315. Une
autre forme de ce
déplorable tout à tous, c'est
l'extrême souplesse avec laquelle cette
Église sait abandonner, dans l'occasion, ce
qu'elle aura le plus ardemment prêché
en d'autres cas et auprès d'autres gens. On
en a eu, de nos jours, maint exemple. Le mariage
civil a été représenté,
dans quelques pays, comme une impiété
scandaleuse, abominable, et le clergé, dans
d'autres pays, le subissait sans mot
dire.
Qu'un protestant
soit
enterré parmi des catholiques, et ce sera,
suivant le pays, suivant la ville, ou un
sacrilège énorme, ou un fait qu'on
laissera s'accomplir sans un mot de
réclamation. Un mariage mixte sera, ici, un
crime, là, une chose toute simple, que le
clergé encouragera même, pour peu
qu'elle ait l'air de pouvoir tourner à
l'avantage de l'Église.
Dans une même
ville, dans une même église, il pourra
arriver que vous entendiez deux sermons qui vous
jetteront dans deux mondes totalement divers. Il y
a un catholicisme pour les hommes, un pour les
femmes, un pour les gens instruits, un pour le
peuple. Ce qui aura été
prêché aux uns comme l'essence
même du christianisme, vous n'en retrouverez
rien dans une instruction adressée à
d'autres.
La confession, par
exemple, sera représentée
tantôt comme absolument indispensable et
absolument ordonnée, tantôt comme un
simple secours offert, comme un simple entretien
avec un ami pieux; l'absolution sera tantôt
une sentence souveraine, enregistrée dans le
ciel au moment ou le prêtre la prononce,
tantôt une sentence purement conditionnelle,
dont la valeur dépend des dispositions du
pénitent, et, entre ces deux
systèmes, il y a un abîme. Le premier
sera pour les simples, le second pour les
raisonnables, et, l'un comme l'autre, on les
prêchera comme la doctrine unique d'une
Église une et immuable.
Le même
prêtre sera, suivant les cas, ou le plus
terrible, ou le plus indulgent des hommes,
aujourd'hui tout fiel, demain tout miel,
élargissant ou rétrécissant la
voie, raisonnant ou s'indignant qu'on raisonne,
invoquant ou cachant la Bible, apôtre, en
politique, ou des idées despotiques, ou des
idées libérales,
anathématisant ou bénissant hommes et
choses, selon que le vent tourne ici ou là.
Il n'est tout à tous, en définitive,
que parce qu'il est tout à son
Église, parce qu'elle l'a absous d'avance de
toutes les variations où le jettera son
zèle, et parce que ces moyens-là sont
réputés toujours justifiés par
la fin.
316. Verset
27. Je
traite durement mon corps et je le tiens assujetti,
de peur qu'après avoir prêché
aux autres, je ne sois moi-même
rejeté.
Le corps asservi à
l'esprit, voilà le christianisme. Mais cet
asservissement même est tout spirituel; il ne
faut pas que l'esprit, pour dompter la
matière, appelle la matière à
son secours, et c'est ce qu'il fait quand il
emploie les macérations, les violences.
Aussi ne trouverez-vous, dans le Nouveau Testament,
ni préceptes ni faits se rapportant à
rien de semblable. Saint Paul traite durement son
corps, nous dit-il; mais comment?
En se flagellant? En
s'imposant les bizarres tortures de la
piété monastique?
Point du tout.
Traiter
durement le corps, c'est maintenir l'empire de
l'esprit, résister aux tentations du
bien-être, refuser à la chair tout ce
qui serait funeste à l'âme. La lutte
peut être pénible, cruelle ; mais le
chrétien spirituel n'en luttera pas moins
avec les seules armes de l'esprit, et, là ou
le Maître a dit : « Veillez, priez,
» il ne dira pas: «
Flagellez-vous. »
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