CHRONIQUE DE LA
QUINZAINE.
PAYS
ROMAND.
Nouvelles
de Genève.
Conseil des Deux-Cents, du mardi 2
novembre.
(Extrait du Registre des
Conseils.)
Sont présens en Conseil MM.
Louis de Diesbach et Nicolas Augsbourger,
accompagnés de noble Antony Bischoff,
ambassadeur de Berne. Ils exposent que retournant
à Berne, comme ils étaient à
Morat, ont reçu des lettres de leurs
supérieurs, leur enjoignant de revenir vers
nous, pour nous en faire savoir le contenu.
MM. de Berne n'eussent pas cru
possible que notre Conseil général
leur donnât une réponse ennemie de la
paix comme celle qu'ils en ont reçue.
Cependant que Genève se conduisait ainsi, le
Duc envoyait à Berne ses ambassadeurs et
annonçait aux seigneurs de la
république qu'à leur
considération, il voulait observer le
dernier arrêt qu'ils lui avaient
envoyé ; qu'il allait donc
relâcher les vivres, tenir les Genevois en
sécurité dans ses pays, faire retirer
ses gens de guerre et mettre à Peney un
gentil-homme qui veillât à la
sûreté des chemins. « Avisez
donc, ainsi poursuivent les députés
de Berne, et veillez à ne rien innover,
à renvoyer vos gens de guerre et à ne
faire aucune fâcherie aux Savoyards.
En allant acheter et vendre par les
pays de Savoie, soumettez-vous à ne point
prêcher l'Évangile. Cependant nos
seigneurs espèrent faire une bonne paix, et
pour ce sujet, ils ont choisi le lieu d'Aoste,
où ils traiteront avec le Duc en personne et
non plus avec ses envoyés. Vivez donc en
paix, n'offensez personne et attendez
tranquillement l'issue de cette journée,
assignée au 21 novembre. Que si vous
agissiez autrement, Messeigneurs vous remettraient
votre bourgeoisie, ennuyés qu'ils sont de
vos affaires. »
À ce discours les Deux-Cents
ont répondu : « Nous avons
toujours voulu nous conformer à la
volonté de nos très honorés
seigneurs et combourgeois de Berne, et encore
à présent nous le voulons, et
souhaitons une bonne et durable paix, suivant
l'arrêt de St-Julien et la sentence de
Payerne. Toutefois nous croyons que leurs
Excellences doivent prendre garde qu'aucun
gentil-homme ne soit mis par l'illustrissime
seigneur de Savoie au château de Peney, qui
est de nos terres et nous appartient ; mais
plutôt qu'il y soit mis un commis de leurs
Excellences, qui le garde en neutralité. Et
qu'il leur plaise aussi qu'il y ait un de nos gens,
de notre art, en la journée d'Aoste, pour
mieux les raviser de nos droits, libertés et
franchises. »
On a le soir même écrit
à Berne en ce sens, comme aussi à CI.
Savoie notre ambassadeur, afin qu'il appuie ce que
nous écrivons. Sur ce MM. les
députés de Berne se sont
tournés vers le maréchal de Savoie,
M. le comte de Challand.
Propositions des
députés à M. le
maréchal de Savoie.
Conformément à la
convention faite entre MM. de Berne et les sires
d'Estavayer, Paul Vagnon et secrétaire
Fontanel, les ambassadeurs adressent les demandes
suivantes à M. le Maréchal de Savoie.
- « 1° De faire vider et
enarmer le château de Pency.
2° De donner ordre pour que
ceux de Genève puissent aller, venir,
séjourner et trafiquer sur les pays sans
qu'il soit innové en leurs biens ou en
leurs personnes.
3° De donner congé
aux gens de guerre. »
Sur quoi il leur a été
répondu par M. le Maréchal ce qui
suit :
« Et d'abord pour le
premier, qu'il enverra un gentil-homme faire vider
Peney, du mieux que se pourra besogner.
Quant au second, que le
Maréchal fera crier les lettres de
Monseigneur sur ce qu'il ne soit rien
innové, pourvu que ceux de Genève ne
fassent point de pratiques par le pays, tant contre
la foi que contre l'autorité du
prince ; auquel cas ils seront punis selon
l'exigence du cas, comme le seraient les sujets du
Duc.
Quant au troisième article et
à congédier les gens de guerre, M. le
Maréchal dit n'avoir point de charge et ne
pouvoir rien faire sans commandement. Aussi ne le
peut-il faire, attendu le peu de fiance qu'il a en
ceux de Genève, qui promettent et ne
tiennent rien. Au reste il avertira en toute
diligence son seigneur, pour en avoir
réponse, qu'il adressera incontinent aux
seigneurs de Berne. »
Qu'en sera-t-il de
Genève ?
Le samedi 6 la nouvelle parvient
dans Genève que les Savoyards ne veulent
point faire retirer les gens de guerre, mais
toujours camper contre nous.
Qu'ont su faire alors Messieurs que
de se tourner de nouveau vers les seigneurs de
Berne. « Vous le voyez, leur ont-ils dit,
vous le voyez maintenant ce que l'on prétend
contre nous. Les Savoyards n'ont fait pis que
depuis qu'on traite de la paix. Ils nous avaient
pris le vin et le blé ; ils nous
prennent aujourd'hui la fuste et la fermente ;
ils ne laissent venir à nous, bois, chair,
beurre ni fromage. Il ne sort pas un pauvre
garçon, ni la plus pauvre chambrière,
qu'ils ne soient aussitôt pris et
traînés par les prisons. C'est la plus
grosse pitié qui fut oncques. De
grâce, quel recours nous reste-t-il qu'en vos
Excellences de Berne, que nous avons toujours tenus
pour nos bons pères. »
Tout en tenant ce langage, MM. ont
été d'avis de retenir les gens de
guerre de Berne et de Morat, que nous avons, de ne
faire aucune sortie pour quelque cause que ce soit,
et d'ordonner que, sous peine du gibet chacun, au
son du tocsin, se trouve en armes au lieu qui lui
est ordonné.
Le dimanche, 7 dernier, les
députés bernois sont retournés
chez eux. En chemin faisant, ils n'ont pas
été peu surpris de voir tout à
l'entour de Genève les Savoyards ravager les
maisons, et des troupes échelonnées
à Versoix, à Coppet et à Nyon.
Aussi s'en sont-ils allés bien
indignés de la perfidie de nos
ennemis.
La cause des pauvres devant le
peuple de Genève.
Une ville chrétienne n'oublie
pas les pauvres ; aussi l'un des premiers
soins de Genève convertie à
l'Évangile a-t-il été d'aller
au-devant de ses indigens, vieillards, malades ou
orphelins. Au milieu de beaucoup d'autres soins, de
grands périls et de grandes
nécessités, Messieurs ont
trouvé le loisir de s'occuper de cet objet.
Ils s'en sont même occupés avant
toutes choses. Comme nous l'avons dit, ils ont
formé le dessein de faire un grand
hôpital du couvent de Sainte-Claire et
d'appliquer ce qui reste des biens des paroisses
à l'entretien des indigens. Ces biens,
voués par la piété,
appartenaient à un pieux ouvrage, et en les
consacrant aux pauvres, Genève les donnera
à Jésus-Christ, Christo in pauperibus
(*).
Cependant des difficultés se
sont présentées dans
l'exécution. Les procureurs des paroisses se
refusent de consigner au procureur de
l'hôpital les titres et les biens des
églises. Les prêtres les encouragent
dans leur désobéissance. On en voit
toujours aller et venir dans la ville,
séduisant les citoyens, chantant la messe,
baptisant les enfans dans les maisons et semant des
discours propres à entretenir la discorde
parmi les bourgeois. Pour rompre leur opposition,
Messieurs viennent de prendre le parti de convoquer
les Deux-Cents. Et les Deux-Cents qu'ont-ils
ordonné ?
« D'abord et avant tout,
que pour nourrir la concorde et obtenir la paix de
Dieu, il fallait premièrement prendre soin
des pauvres et leur consacrer les biens des
paroisses, églises, chapelles,
monastères, couvens et
confréries.
« En second lieu, pour que
cette maudite discorde ne puisse croître
parmi les citoyens, MM. les syndics appelleront les
prêtres et leur demanderont une seconde fois
s'ils veulent vivre selon la Parole de Dieu. Que
s'ils veulent soutenir toujours que les sermons de
nos prédicateurs sont injustes, ils aient
à se pourvoir de doctes personnages qui le
prouvent et nous les écouterons. Et s'ils se
refusent à soutenir leurs factions en
disputant par la Sainte-Écriture, qu'ils
sortent de la ville, ou du moins qu'ils quittent
leurs cérémonies, subornations et
séductions. »
On parle en troisième lieu
d'élire un hôpitalier, et Claude
Salomon, dit Pasta, se présente pour faire
ce service. Il offre encore d'y employer tous ses
biens, et même il a dessein de les
léguer à l'hospice
érigé à Ste-Claire. CI. Pasta,
nos lecteurs s'en souviennent, est un de ces hommes
qui les premiers ont reçu avidement la
parole prêchée dans Genève.
Chacun s'est mis à dire son
zèle envers les pauvres, et que même
il a déjà commencé de les
servir. Et d'une commune voix on a résolu
qu'il serait accepté comme hôpitalier
avec sa femme et qu'on le proposerait en Conseil
général.
Le lendemain (c'est ce dimanche 14)
le peuple assemblé, après avoir fait
la prière dominicale, a décidé
unanimement que l'hôpital avait
été saintement érigé,
que les biens appliqués par nos
prédécesseurs à des usages
pieux devaient être appliqués à
l'usage très pieux des pauvres, que deux
commissaires seraient élus pour rechercher
de ces biens, et que Cl. Salomon et sa femme
gouverneraient les pauvres du grand
hôpital.
Messieurs feront faire des cries
pour que personne n'ait à mendier, et que
tous les pauvres se retirent à Ste-Claire.
Un homme chargé de les y contraindre recevra
50 sous de gage par an.
On a commencé hier
déjà à vendre la
dépouille du couvent de Palais, que tous
larrons s'accordaient à venir piller. On l'a
vendue au plus offrant, à l'extinction de la
chandelle. La dépouille entière,
à savoir les tuiles, le fer, le bois, les
briques, les porteaux, les fenêtres, les
virets et les degrés ont procuré 250
écus d'or.
Ce que nous écrit M. Froment
au sujet du grand Hôpital.
« C'est chose remarquable
en ces commencemens de l'Évangile que la
manière dont un chacun fidèle se
conduit honnêtement et fort
chrétiennement dans Genève. La
charité de Dieu est grande, je dis telle que
nul fidèle n'est indigent ni laissé
en son besoin. Chacun donne selon sa
dévotion, les uns argents, les autres
accoutremens, d'autres un lieu en leur maison et le
nécessaire. Il y a comme des diacres, hommes
et femmes, pour s'enquérir et distribuer
où il faut, et aussi pour subvenir aux
nécessités de ceux qui annoncent la
Parole. Car pour ceux-ci, il n'y a eu jusques ici
nulles prébendes, sinon les
bénéfices et censes quotidiennes des
apôtres, c'est à savoir injures, coups
et privations. Desquelles
censés fort peu en veulent être
receveurs. Outre cela quand aucun dans
Genève fait chose non décente
à l'Évangile, on va en sa maison
familièrement et on l'admoneste comme
frère, en douceur, un chacun se
parforçant de le gagner, et ainsi
l'Évangile va son chemin. Et tous ne sont
pas de ceux qui pensent avoir assez fait, quand ils
ont débaqué contre le pape, mis bas
les prêtres, rompu le nez aux idoles et pris
avec cela quelque apparence de justice par dehors.
« Certes, nous disent avec raison les
prêcheurs, ce n'est pas avoir satisfait
à Dieu. »
Bien autrement comprend le service
du chrétien ce Salomon Pasta, l'un des
premiers dans Genève qui ait tout
laissé pour l'Évangile, lequel
incontinent que les dames de Ste-Claire ont
été sorties de leur couvent, n'a
cessé après le Conseil que cette
maison n'ait été convertie en
hôpital. Et au lieu de ces dames y sont mis
à force pauvres. Et pour commencer cette
oeuvre, le pieux Salomon y a mis tout son bien,
à savoir son or, son argent, ses meubles et
lui-même avec sa femme, qui y sont à
servir les pauvres, se donnant à eux
journellement. À leur imitation, plusieurs
autres gens de bien et fidèles donnent aussi
beaucoup. Et la seigneurie a appliqué
à cette maison les biens d'Eglise et les
bans des offenses faites contre la
réformation. Ainsi se fait comme je le
disais, qu'au milieu de la disette à
laquelle Genève est en proie, il ne s'y
trouve pas d'indigens, ni de gens qui soient
abandonnés dans le besoin. »
.
REVUE DU
PASSÉ
LA RÉFORME
TENTE DE PÉNÉTRER À
LAUSANNE.
- « Du
sommeil de la liberté
- Les rêves
sont lourds et pénibles ;
- Pour ne mourir
à la gaîté
- Faudrait devenir
insensibles. »
-
- « Mieux
vaut avoir en Dieu fiance
- Qu'en l'homme, qui
moins est que rien
- Mieux vaut avoir en
Dieu fiance
- Qu'aux princes et
grands terriens. »
Les débats entre l'Évêque et
les Lausannois n'avaient pas de trêve. D'une
part l'Évêque, jeune, altier,
irascible, ne se mettait pas en peine de savoir
jusqu'où s'étendaient les
privilèges de la ville ; les citoyens,
de leur côté, allaient à la
conquête de droits toujours nouveaux. La
police de la ville appartenait au Conseil durant le
jour ; il s'arrogea celle de la nuit. Il ne
voulait plus permettre la falsification des
monnaies. Il mettait de jour en jour des limites
plus étroites à la jurisdiction des
officiers du prince. Je dirai pas tous les sujets
sur lesquels ils étaient en
différend. Témoins de cette lutte
prolongée, les villes libres filles de
l'évêché interposèrent
leur médiation ; Berne, Soleure et
Fribourg se réunirent pour offrir aux deux
partis une journée d'accommodement. Elle eut
lieu à Fribourg, le 8 novembre de
l'année 1525. Les députés
s'assirent ; l'Évêque en personne
était présent, accompagné de
son vicaire et de nombreux seigneurs ; le
Gouverneur Étienne Grand et les banderets
Jean Boverat, Jean de Leyra et Claude Fontanne
représentaient la ville de Lausanne ;
plusieurs autres nobles conseillers et bourgeois et
quantité de gens, comme il en est toujours
à Lausanne qui se trouvent du loisir,
étaient aussi accourus en cette grande
occasion.
Les députés des villes
prirent la parole : « Nous sommes
ici. dirent-ils, pour entendre et ordonner des
choses survenues entre révérend
père en Dieu, Monseigneur de Lausanne et les
citoyens du dit Lausanne, ses sujets,
désirant pacifier les parties. »
La cause fut plaidée, puis les
députés prononcèrent. Ils
déclarèrent :
« 1° Qu'au
révérend seigneur Évêque
il appartenait de détenir et faire prendre
par ses officiers les personnes suspectes de crime,
sans contradiction des nobles et des bourgeois de
Lausanne. que toutefois les accusés ne
seraient interrogés, mis à la torture
et jugés qu'en présence de quatre
délégués de MM. du Conseil de
Lausanne, réunis, aux commis du
révérend seigneur.
2° Que les dites personnes
suspectes et défiancées ne se
devaient prendre dans les maisons des Lausannois,
n'entendant cependant pas les meurtriers de bois,
détrousseurs de chemin, sorciers
(**),
fausseurs de lettres et larrons publics, auxquels
asile ne pourrait être donné dans les
susdites maisons.
3° Le droit de battre monnaie
fut reconnu à l'Évêque, mais
à la condition que quand il en voudrait
frapper de nouvelle, il
consulterait les états de
Lausanne et par leur conseil ferait monnaie
à lui honorable et profitable pour le
commun. - Quant à tout le reste, les parties
étaient laissées à la teneur
des titres et des documens. - Celle qui
contreviendrait était condamnée
à payer 500 écus sol, savoir, 50
à l'église de Notre-Dame de Lausanne
50 à la fabrique de St-Nicolas de Fribourg
et les 200 restant aux arbitres, soit à
l'ordonnance des magnifiques seigneurs des trois
villes. » - Suivent l'acceptation et
ratification des parties et la signature du
secrétaire A. Krumenstoll, de
Fribourg.
Cette sentence remplissait le but de
la conférence, mais elle était loin
de satisfaire aux voeux des Lausannois. Ils
souhaitaient de parvenir à la liberté
des villes suisses ; une alliance avec ces
villes leur paraissait le moyen le plus sûr
d'y arriver ; ils sollicitèrent donc
auprès des trois cités la conclusion
d'un traité d'amitié, d'alliance et
de combourgeoisie. Soleure était
éloignée ; peut-être
était-elle des filles de
l'évêché la plus craintive
d'offenser son conducteur spirituel ; elle
n'accéda pas à la demande des
Lausannois ; mais Berne et Fribourg
répondirent selon leur voeu. On n'eut aucun
égard à l'opposition de
l'Évêque. Le traité fut conclu
à Berne le 27 décembre 1523. Les
trois villes se promirent amitié et mutuel
secours ; elles s'allièrent pour 25
ans, et convinrent que de cinq en cinq ans la
combourgeoisie serait renouvelée. En cas de
différend, Payerne était choisie,
comme lien de marche et de conférence. On
réservait les droits du St-Empire, ceux du
Duc et ceux de l'Évêque. Une condition
était imposée à la ville de
Lausanne. Il était bruit qu'à cause
de ses privilèges, un grand nombre de
malfaiteurs et de scélérats s'y
rendaient comme en un lieu d'asile ; or les
nouveaux alliés la voulant franche de ce
reproche, posaient que de leur propre
autorité, les Lausannois saisiraient les
malfaiteurs, les remettraient au baillif du
seigneur Évêque et pourvoiraient
à ce que la ville fût blanchie en sa
réputation. Lausanne demandait à ses
nouveaux amis d'intercéder pour que ses
soldats pussent entrer aux services
étrangers aux mêmes conditions que les
leurs. Tel était le premier acte par lequel
Lausanne s'unissait aux
Confédérés.
Ce traité ne fut pas
plutôt conclu que le coeur des Lausannois
s'enfla et s'ouvrît à de nouvelles
espérances. Le Conseil se compose de 24
membres, dont trois sont élus par ceux de
Bourg dans la bannière de la Cité,
huit par ceux de la Cité dans la
bannière de la Palud, trois par ceux de la
Palud dans la bannière de St-Laurent, cinq
par ceux de St-Laurent dans la bannière du
Pont, et cinq par ceux du Pont dans la
bannière de Bourg. Les conseillers
élus jurent le dimanche après
St-François, d'être bons et
fidèles à la commune, de tenir secret
ce qui aura été
délibéré et de
comparaître aussi souvent qu'ils seront
appelés par les gouverneurs.
Les présidens du Conseil
étaient deux syndics ; ils furent
à cette époque remplacés par
un bourgmaître
(***).
Discret Étienne Du Flon (De Fluvio) fut
élu bourgmaître le premier et le fut
pour le terme de trois ans. Le Conseil avait
jusques ici été convoqué par
des cries ; on voulut qu'à l'avenir il
le fût par 24 coups de cloches de la
cathédrale
(****). Le
langage des bourgeois envers l'Évêque
s'éloigna de plus en plus de celui du
respect et de la soumission. Les sujets de
débats n'avaient pas tardé à
renaître et à se multiplier. On en
était à ces termes quand la
Réforme se montra et fit sa première
entrée dans la ville chef-lieu de
l'évêché.
Suivons l'ordre des faits. En 1328
Berne se réforme. La même année
elle a à combattre les Oberlandais
révoltés et Lausanne catholique lui
envoie en secours 66 couleuvriniers. Les Bernois
sont victorieux et ne songent plus qu'à
faire triompher avec eux la réformation. Le
changement du langage qu'ils tiennent à
l'Évêque est remarquable
(*1) : ils
signaient naguère : « Les
plus soumis de vos fils ; » ils
accusent aujourd'hui leur pasteur de n'avoir su que
tondre ses brebis et de ne leur avoir pas
donné la pâture. Ils lui font voir que
le pape diffère autant de l'apôtre
Pierre qu'un moucheron ressemble peu à un
éléphant, et ils le
somment de justifier ses droits
et ceux de Rome, sinon plus d'appel à son
siège. Les couleuvriniers auxiliaires
rentrent dans Lausanne. Les Bernois ont
été surpris de leur bonne mine et de
leur air martial. Ils leur ont fait le meilleur
accueil. Tout autre est celui que
l'Évêque leur fait à leur
retour. Il veut les punir d'être partis
malgré sa défense et donne l'ordre de
les jeter en prison.
Mais ils se réunissent, se
promettent une mutuelle assistance et jurent qu'ils
se soutiendront les uns les autres jusqu'à
la mort. L'Évêque se voit contraint de
les laisser en repos. Cependant il fait assembler
la bourgeoisie. Lui-même ne parait point. Il
craindrait de compromettre sa grandeur en se
montrant à un peuple dont il sait
l'inimitié. Les officiers exhortent les
citoyens à persévérer dans
l'ancienne religion et à rejeter
l'hérésie de Luther. -
« Nous sommes tous bons chrétiens,
répondent sèchement les
bourgeois ; que si quelqu'un tombe en faute,
il soit puni par voie de droit. » Leur
haine envers le prélat dictait aux
Lausannois la brièveté de cette
réponse ; à vrai dire ils
étaient loin d'être portés vers
la réformation. Ils étaient
catholiques de coeur, d'habitude et
d'intérêt. Ils mettaient pour la
plupart différence entre l'homme altier qui
occupait le siégé épiscopal et
la dignité de la charge qu'ils entouraient
d'un vieux respect. Ils calculaient ce que la
réforme ôterait à Lausanne en
gloire et en revenus. Le concours des peuples
cesserait ; plus de pèlerins, plus de
plaideurs serrés autour des tribunaux de
l'Eglise. Et comment se représenter Lausanne
sans l'Évêque, sans sa cour, sans le
cortège de dignitaires et d'employés
qui se pressent sur les pas du prince d'Empire et
du prélat régnant sur un
diocèse étendu ? Aussi quand les
soldats revenus de Berne voulurent faire au nom des
seigneurs de cette ville, quelque ouverture sur la
religion, furent-ils écoutés plus
défavorablement encore que
l'Évêque ne l'avait été.
« Nous voulons, leur répondit-on,
vivre bien et honnêtement comme nos
prédécesseurs, en bons
chrétiens et selon Dieu. »
-
On s'abstint pourtant de formuler
cette réponse et de la rédiger en
statut. Quelques conseillers se rendirent
auprès des chanoines pour prier ces bons
ecclésiastiques de chasser de leurs maisons
les femmes de mauvaise vie et de se conduire
honnêtement selon Dieu. Ce fut tout ce que
les Lausannois voulurent entendre sous le nom de
réformation.
Cependant on ne tarda pas à
apprendre à Berne et à Fribourg ce
qui se passait à Lausanne. À Fribourg
on en fut instruit par les chanoines, qui
accusèrent les citoyens, sous
prétexte de réformer les moeurs du
clergé de méditer le changement de la
religion. Ou prit la chose fort à coeur, et
Fribourg écrivit à ses combourgeois,
les pressant de demeurer attachés à
la sainte foi. Les Bernois
considérèrent les choses sous un
autre aspect. Un pauvre moine dont le crime
était d'avoir assisté à la
dispute de Berne et de n'en avoir pas mal dit,
ayant été arrêté
à Fribourg et mené garrotté
à l'Évêque, Berne menaça
de représailles s'il n'était
relâché. Elle écrivit encore
pour faire élargir Farel, qui avait
été fait prisonnier et était
détenu à Chillon.
« Appelleriez-vous malfaiteur,
disait-elle, ceux qui sont bons et vrais
chrétiens selon la Parole de Dieu ? et
si Farel était un malfaiteur l'eussions-nous
reçu pour coadjuteur en la
prédication de Christ ? »
Bientôt il arriva à
Lausanne une nouvelle lettre de Berne
adressée à ses combourgeois :
« On dit chez vous que les Allemands
seuls ont pris part à notre dispute et que
seuls ils ont pu s'y faire entendre
librement ; Farel qui y était ira vous
en instruire et vous dira la
vérité. » - Farel entra
dans Lausanne accompagné d'un Bernois ;
c'était, je crois, le chancelier Cyro. Je ne
sais s'il entreprit de prêcher
publiquement ; mais comme il parlait à
tout venant de religion, il ne tarda pas à
être maltraité par le clergé et
par l'Évêque. Berne s'adressa à
l'Évêque : « Nous ne
pouvons témoigner assez notre surprise et
notre douleur de ce que nous venons d'apprendre.
C'est donc ainsi que dans une ville libre, telle
que Lausanne, votre Paternité et sa sainte
cohorte se conduisent envers des hommes sans crime
et qui s'offraient à se justifier. Nous
voulons parler de Farel, notre sujet et serviteur,
et d'Étienne, son hôte et notre
bourgeois. Nous vous exhortons à permettre
qu'on prêche la Parole de Dieu, à
recevoir honorablement ceux qui la prêchent,
et particulièrement Farel, que nous vous
renvoyons pour défendre sa cause et la
nôtre des calomnies par lesquelles on nous
noircit. Que s'il recevait le moindre mauvais
traitement ou la moindre injure, nous le
ressentirions comme fait à nos personnes et
à nos corps. Rom. XII, 19. Prenez donc garde
qu'il ne soit touché à un cheveu de
leurs têtes et souvenez-vous que nous ne vous
avons point fermé l'accès à
notre dispute de religion. La grâce de Dieu
soit avec vous tous, qui aboyez à nos talons
(oblatrantibus). Marc VI, 11. Ainsi
soit-il. »
Farel rentra à Lausanne,
conformément au vouloir des seigneurs de
Berne. Il se présenta en Conseil le 31
octobre (1529), et déposa une lettre qui
priait les Lausannois de l'admettre à
prêcher. Berne dans cette lettre se montrait
offensée d'une conduite qui touchait
à son honneur ; elle voulait que les
bonnes gens pussent avoir leur liberté et
que leurs combourgeois ne fussent plus
traités avec tyrannie. L'affaire parut fort
grave aux Vingt-Quatre ; ils
convoquèrent les Soixante. Les Soixante
s'excusèrent, disant que ce n'était
point à eux à admettre un
prédicateur dans les chaires de la ville,
mais au chapitre et à l'Évêque.
Farel insista, pour que la proposition de Berne
fût portée devant les Deux-Cents, et
il l'obtint. Le dimanche 14 novembre les Deux-Cents
furent assemblés « pour
délibérer sur le prédicateur
luthérien ; » mais ils se
bornèrent à donner au Petit Conseil
plein pouvoir dans cette
affaire, et à admettre
qu'aucun prédicateur ne serait reçu
à prêcher que par la permission du
Conseil.
Vainement Berne demanda de nouveau
« audience pour la Parole du
Seigneur. » Elle se plaignit vainement
d'une résolution dictée par la
tyrannie de quelques-uns, qui ne voulaient,
disait-elle, que péculer et détruire.
Ses efforts pour encourager ses combourgeois
à laisser, malgré
l'Évêque et le clergé,
« aller l'affaire de Celui qui est plus
fort qu'eux tous »
n'ébranlèrent point les Lausannois.
Ils demeurèrent à la décision
qu'ils avaient prise.
À l'année suivante
(1530) , je ne rencontre que ce fait. Des
gentils-hommes du Pays-de-Vaud se trouvant à
Lausanne avec le comte de Gruyère, se
promirent de saisir tout ce qu'ils pourraient de
Luthériens, de leur donner trois fois
l'estrapade, et s'ils persévéraient
dans l'hérésie de les faire
périr par le feu. - « Et nous,
leur écrivirent MM. de Berne, que ferez-vous
de nous ? Donnerez-vous aussi l'estrapade
à nos sujets s'ils voyagent sur vos terres
et s'ils y parlent religion ; seront-ils aussi
jetés au feu ? Nous vous prions d'y
penser sérieusement. »
-
En 1551 éclata la guerre de
Cappel. Les Confédérés
coururent aux armes, protestans contre catholiques
et Berne, selon son droit, demanda le secours des
Lausannois. Leur contingent alla cette fois encore
grossir les rangs des
réformés.
Alors un prêtre monta en
chaire : « Puissent, dit-il, ces
soldats destinés à soutenir la cause
de l'hérésie rencontrer tous la mort
dans ses rangs ! Puisse-t-il n'en revenir pas
un s'asseoir à nos foyers ! Que la
verge soit sur leur dos... la verge, oui, elle les
frappera, car le temps approche, je le sais, j'en
ai la certitude, je l'ai lu dans la
prophétie de
Ste-Brigite. »
Ces paroles, on le croira,
irritèrent plus d'un auditeur. Le Conseil
fit appeler le prêtre pour rendre raison de
son discours. Il s'humilia, reconnut sa faute, se
soumit à la peine qu'on voudrait lui
imposer ; mais les chanoines, qui virent dans
son humiliation la leur, s'opposèrent
à la soumission qu'il avait faite, et lui
reprochèrent amèrement son peu de
courage. Ils irritèrent par leur conduite la
bourgeoisie, qui continua long-temps à
s'occuper de cette affaire, et les soldats
auxiliaires qui, comme nous le verrons,
gardèrent plusieurs années sur le
coeur l'injure qu'ils avaient
reçue.
Cependant le contingent revint de
Cappel. Zwingli avait été tué.
Les réformés avaient eu le dessous.
L'Évêque crut le moment venu de
travailler à affermir la religion catholique
et d'imposer à la bourgeoisie un nouveau
serment contre la réformation. Tout prince
et souverain qu'il est, il ne peut porter aucune
loi sans la participation des trois états de
la ville et des terres de
l'évêché. Il fit donc assembler
son peuple dans l'église de Notre-Dame,
selon la teneur du plaid, et il proposa d'ordonner
qu'il fut défendu de parler de Dieu et de
l'Évangile en bien ni en mal, sous peine de
l'estrapade. Mais le peuple ne voulut point
accepter ce règlement. - « Que ne
songez-vous plutôt, répondirent les
Lausannois à l'Évêque, à
faire battre une monnaie qui ne soit plus d'un
titre et d'un poids trop bas, et ne nous expose
plus à des pertes toujours nouvelles !
Que n'établissez-vous votre tribunal de
justice sur un meilleur pied, en y
établissant douze jurés au lieu des
deux ou trois assesseurs qui le
composent ! »
Nous aurions pour long-temps
à dire, SI nous voulions entrer dans
l'énumération de tous leurs sujets de
plainte.
Berne, cette même
année, demanda encore à Lausanne de
joindre son contingent aux troupes qu'elle envoyait
sur les bords du lac de Come, combattre le tyran de
Musso. Les citoyens se cotisèrent pour
avancer les frais de l'expédition ;
mais trouvant raisonnable que les
ecclésiastiques contribuassent aussi bien
qu'eux, ils demandèrent 500 écus au
chapitre et 200 au reste du clergé. Le
clergé séculier se prêta de bon
coeur à ce qu'on demandait de lui ;
mais les chanoines s'y refusèrent ; le
Conseil dut leur retenir les châteaux de
St-Pré, de Dommartin et d'Essertines, qui
leur appartenaient et il ne les leur rendit
qu'après qu'ils se furent engagés
à livrer 950 écus d'or.
Dans l'année 1532, le duc
Charles de Savoie visita son Pays-de-Vaud. Le 5
juin, il coucha à Chillon, où il
n'avait jamais été encore. À
Vevey il fut reçu par 450 soldats et jeunes
gens tous habillés de blanc, et
criant : « Vive Savoie. »
De Vevey, il alla avec une grande noblesse tenir
les états à Morges. Il y fut
parlé de réparer les places fortes du
pays. Les députés s'y plaignirent
beaucoup de l'Évêque et des chanoines,
qui refusaient de comparaître devant les
tribunaux séculiers pour les affaires
civiles. L'Évêque qui était
présent défendit le privilège
du clergé Le Duc remit l'affaire à un
autre temps et partit. Il s'avança
jusqu'à Cudrefin. À son retour, il
vint à Lausanne, où les Soixante
avaient arrêté de ne lui faire aucune
réception ; mais à la
sollicitation de l'Évêque 200
arquebusiers allèrent à sa rencontre,
et à son départ plus de 9000 hommes,
tant de Lausanne que de La Vaux
l'accompagnèrent jusqu'à Vidy. On ne
doutait pas que le prince n'eut fait ce voyage avec
quelque dessein important, et l'attente de ce qu'il
en adviendrait maintint durant les mois qui
suivirent le calme dans la cité.
Mais vers la fin de l'année
l'agitation reparut. Il est à Lausanne,
l'avenir le montrera, des âmes
altérées d'une vraie paix. Il s'y
trouve aussi, comme ailleurs des hommes plus ardens
à déployer leur haine contre les
prêtres que leur amour pour l'Évangile
de Jésus-Christ. Un jour, ce fut celui du
mardi-gras, quelques-uns de ces derniers se
rassemblèrent, le visage masqué, Il
vous souvient de ce prédicateur qui, lors de
là guerre de Cappel, avait
prophétisé la mort des auxiliaires
que Lausanne y avait envoyés ; eh bien,
nos jeunes hommes vont le saisir ; Ils le
mettent sur un traîneau, le promènent
en le fouettant publiquement, et après avoir
donné ce spectacle à toute la ville,
ils laissent le traîneau. et le prêtre
devant la maison du bourreau. Le même jour
deux antiques images se trouvèrent
détachées de l'église de
St-Laurent et jetées à la fontaine.
On commençait à refuser de payer les
dîmes aux prêtres. La nuit, on rompait
les portes de leurs maisons. Ce n'est pas
tout ; arrive à Lausanne maître
Michel, le prédicant d'Ormont-dessus ;
avait-il été appelé ?
venait-il de son propre mouvement ? MM. de
Berne lui avaient-ils écrit ? nous
l'ignorons ; il vient ; mais à
peine est-il arrivé que le zèle du
clergé s'effraie à la vue d'un
ministre de l'Évangile. Les chanoines
remuent vigoureusement, et ils le contraignent
à se retirer. Ils ne lui avaient pas
même laissé le temps d'ouvrir la
bouche.
Un mois plus tard, maître
Michel fit encore une tentative par l'ordre des
seigneurs de Berne ; mais
MM. de Lausanne
l'éconduisirent doucement et firent savoir
à Berne leur résolution de ne point
l'écouter.
Ces événemens
portés à Fribourg, y firent une forte
sensation. Des seigneurs de cette ville en grand
nombre, membres du petit et du grand Conseil, se
rendirent à Lausanne, et ils
haranguèrent fortement les Deux-Cents pour
les détourner de la réformation. Ils
les menacèrent, s'ils l'embrassaient, de
renoncer à leur alliance. Jean de
Saint-Cierge avait succédé à
Étienne Du Flon dans la charge de
bourgmaître ; il répondit
civilement à leurs remontrances et protesta
contre leurs menaces. Après l'avoir entendu,
les Fribourgeois assignèrent Lausanne
à une journée de marche, qui se
tiendrait à Payerne, le dimanche 20 d'avril.
Lausanne invita Berne à y envoyer des
députés.
L'usage dans les journées de
marche est de prendre pour juge des
différens qui s'élèvent entre
les villes alliées, des conseillers de ces
villes mêmes, qu'on délie
momentanément du serment qu'ils ont
prêté à leur bourgeoisie, pour
qu'ils puissent prononcer avec toute
liberté. Suivant cet usage, deux
députés de Fribourg et deux de
Lausanne furent établis juges en cette
occasion, et les députés des deux
villes plaidèrent leur cause devant eux.
L'animosité était grande ; les
plaintes parurent graves de part et d'autre
(*2) ; les
juges renvoyèrent leur décision
à une seconde journée, qui s'ouvrit
à Payerne le 18 mai ; mais le jour
où cette nouvelle conférence
commençait, il arriva à Lausanne une
sédition qui l'empêcha de pouvoir
porter aucun fruit.
Ce dimanche 18 mai (1533) ;
plusieurs personnes jouaient à la paume, et
comme on fit un coup qui fut disputé, on
demanda sur ce coup l'avis des
assistans.
Un des banderets, qui se trouvait
présent, dit sa pensée, laquelle ne
plut pas au sire De Pré, seigneur de Corsier
sur Lutry et chanoine de la cathédrale. Le
chanoine, brutal et emporté qu'il est et
plus prompt à manier les armes que le
bréviaire, donna un démenti au
banderet et le couvrit de paroles injurieuses.
L'offensé se plaignit en Conseil et conta ce
qui avait eu lieu au capitaine de la
société de la jeunesse,
c'était, je crois Fernand de Loys.
Bientôt on entendit sonner le tocsin. Le
chanoine, averti d'un complot, mit garnison dans sa
demeure et prépara une vigoureuse
résistance; prêtres et laïques
s'y défendirent avec lui, mais enfin il leur
fallut céder au nombre, et la maison fut
prise et emportée. Quelques personnes furent
blessées dans le conflit. Cette affaire
rendit vaine la journée de Payerne et donna
matière à de nouveaux
griefs.
Des députés de Berne
et de Soleure se hâtèrent d'accourir
(*3). Ils
trouvèrent les esprits aigris au dernier
point. Tout ce qu'ils tentèrent pour les
rapprocher fut inutile ; Ils ne purent que
régler un accommodement entre
l'Évêque et la ville, dans lequel ils
décidèrent entr'autres :
1° Que les Lausannois conserveraient leur
bourgmaître.
2° Qu'ils demeureraient les maîtres
de leurs portes et de leurs murailles.
3° Que pour donner à
l'Évêque quelque satisfaction, le
bourgmaître irait le prier de leur pardonner
ce qu'ils avaient pu faire contre son
autorité. Enfin, que la
société de la jeunesse serait
cassée pour les désordres qu'elle
avait commis. » Nous eussions
désiré trouver dans notre feuilleton
la place de donner à nos lecteurs cette
prononciation tout entière. Elle leur
eût fait connaître dans le
détail la position des partis et ce que
Lausanne à cette heure se trouve avoir
acquis de libertés. Peut-être
trouvera-t-elle sa place ailleurs.
Cependant les Lausannois ne se
trouvèrent réconciliés ni avec
Fribourg, ni avec l'Évêque. Fribourg
les avait blessés, comme elle venait,
à peu près dans le même temps,
d'éloigner d'elle les coeurs des Genevois.
Pour l'Évêque, il ne songeait plus
qu'à se rendre maître de la ville de
vive force. Le sieur de Boëge, son neveu,
assembla du monde en Savoie et dans la
Gruyère pour la surprendre. Le Conseil en
fut averti et donna des ordres nécessaires
pour la défense des murailles et pour se
garder de surprise (juillet 1534). Berne promit bon
secours à ses combourgeois.
Tel était l'état des
choses et des esprits quand l'année 1535 a
commencé. Tout ennemie qu'est Lausanne de
son clergé, elle s'est montrée
jusqu'ici moins amie encore de la
réformation de l'Eglise. Si elle y a
songé, ç'a été pour
inviter les chanoines a une vie moins scandaleuse,
pour défendre de manger de la viande, du
fromage et du beurre en carême et pour faire
baiser la terre au malheureux surpris à
blasphémer. Du reste elle s'oppose de tous
ses efforts et avec tout le Pays-de-Vaud à
l'établissement de la religion
réformée. Nous l'avons vue cette
année sacrifier à son
éloignement pour l'Évangile
l'amitié qu'elle portait à
Genève. La crainte qu'elle a des doctrines
nouvelles l'a réconciliée avec
Fribourg. Elle s'est même dans ces derniers
temps quelque peu rapprochée de
l'Évêque. Les jeunes hommes qui
avaient commencé à faire
paraître leur zèle en renversant des
images sont aujourd'hui rentrés dans le
silence. Et les hommes droits, et les esprits
éclairés, et les âmes
sincères, pieuses et altérées
d'une vraie consolation, sont réduits
à prier en secret. Ils soupirent dans
l'attente. Ils se demandent si le Seigneur Dieu ne
se montrera point, s'il ne lèvera point le
bras et si l'heure n'est peut-être pas venue
où il le déploiera pour la
délivrance de son peuple.
- SOURCES.
Ruchat. - Leu. -
Levade, dictionnaire du canton de Vaud. Le
Conservateur suisse. Pièces servant
à l'histoire de la ville impériale
de Lausanne. - Manuscrit de Ruchat appartenant
à la bibliothèque de M. le doyen
Bridel. - Un volume, intitulé Documens
sur Lausanne, appartenant à la
bibliothèque de M. le colonel Monod. -
Anciens dessins de la ville de Lausanne. -
Archives de Berne. - Miscellanea Helvetica et
Bernensia, à la bibliothèque de la
ville de Berne. - Sinner's Bern. Regiments und
Regionen-Buch, ibidem. - Gruner's Collectanea,
ibidem. - Herman, antiquités du
Pays-de-Vaud, ibid. - Archives de Lausanne. -
Archives de la Cathédrale. -
Privilèges du Pays-de-Vaud, Tome II,
volume de la bibliothèque de M. Gottfried
de Mulinen.
-
- Pour une étude plus
approfondie du sujet sont à consulter
encore: - Acta Conciliorum. - La légende
des Saints. - Duchesne Scriptor. Franc. -
Mémoires de Loys de Bochat. - Posographia
virorum illustrium Pantaleonis. - Stumpf. -
Guilliman. - Goldast. - Chronica Raurac.
Wurstisii. - Bacelini
topo-chrono-stemmotegraphica Germaniae -
Philiberti Angonis arbor gentilitia principum
Sabaudiae. - Paradin. - Champier. - Guichenon. -
Dunod. - Chiffelii Vesontio. - Stettler, le
grand manuscrit, duquel la chronique
imprimée est l'extrait. - Les Actes des
visites diocésaines. J'ai vu et parcouru
celles des années 1413, 1416. - Chronique
de Vaud. - Le Cartulaire.
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