PAYS
ROMAND.
Nouvelles de
Genève.
Les députés de Berne
étaient partis, nous laissant bien
irrités contr'eux et, ce nous semble, sans
plus d'espoir. Ils avaient renvoyé loin de
nous nos frères de Neuchâtel. Ils nous
avaient proposé une paix qui n'en
était pas une. Ils avaient fini par nous
ôter toute espérance de secours. Puis
ils étaient partis, se montrant fort
offensés et sans prendre congé de
personne. Voici cependant que Berne nous renvoie
son ambassade.
Les députés sont MM.
Louis de Diesbach, Jean Rodolphe de Grafenried et
Michel Augsbourger. Selon la teneur de leurs
ordres, ils se sont arrêtés en chemin
auprès de M. le Gouverneur de Vaud, pour
chercher encore avec lui le moyen de faire
trêve ou accord. Ils ne l'ont quitté
que munis d'un sauf-conduit. Le 21 ils sont
arrivés à Genève.
Ils exposent en Conseil qu'ils sont
envoyés par leurs supérieurs pour
prendre soin de nos affaires et nous proposent de
traiter d'une pacification. Ils nous demandent
aussi de relâcher M. de Wufflens, que les
députés de Berne avaient
amenés avec eux et que nous avons pris en
leur présence. Ils s'expliqueront en grand
Conseil. On le leur accorde pour le lendemain.
Cependant le sénat
délibère sur la réponse
à leur donner, et l'on tombe d'accord de
leur faire savoir ce qui suit :
« 1 ° Que nous ne
voulons pas refuser la paix, si on la peut
avoir ; mais parce que Monsieur le Duc a dit,
il y a quelque temps, qu'il ne voulait pas observer
l'arrêt fait pour lui par le comte de
Challand, nous demandons premièrement qu'il
nous donne des lettres, comme il est prêt
à observer tout ce qui sera
arrêté et accordé, en
réservant toujours la sentence de Payerne et
l'arrêt de St-Julien ; et que nous
ferons le semblable.
2° Sur ce qu'ils demandent
qu'on relâche M. de Wufflens, on
répond que les ennemis ont pris
dernièrement un des nôtres, qui
était avec les dits ambassadeurs, et
refusaient de le rendre si on n'avait pas pris M.
d'Aruffan, pour lequel on échangea le dit de
Genève, et non autrement. Si donc ils nous
rendent ces trois, qui ont été pris
sous ombre de la bonne foi et
d'un sûr accès, nous rendrons le dit
gentil-homme et les autres qui ont
été pris pour ce
sujet. »
Le samedi 23, les ambassadeurs
représentent en grand Conseil les
mêmes choses qu'ils avaient dites en Conseil
ordinaire. Ils ajoutent que MM. de Berne craignent
que s'il arrivait que nous fussions
assiégés (nos assigiari), à
peine pourraient-Ils nous donner secours à
cause de leurs ennemis ; qu'ils nous exhortent
donc à recevoir les trêves
(trenguas).
On fait aux ambassadeurs la
réponse sus-mentionnée et on y ajoute
que, si nous traitons de la paix, nous n'entendons
pas de traiter en aucune façon avec les
traîtres que nous avons
condamnés ; mais que nous voulons
réserver tout notre droit et action contre
eux, et exécuter nos sentences.
Les ambassadeurs n'étant pas
contens de cette réponse, on la leur donne
par écrit,
l'après-dînée, en la même
substance, comme Ils le demandaient. Ils n'en sont
pas satisfaits et demandent le Conseil
général, qu'on leur accorde pour le
lendemain.
Conseil général.
Le dimanche 24, le Conseil est
convoqué selon la manière
accoutumée dans le cloître de
St-Pierre, et tout le peuple étant
réuni, les ambassadeurs se présentent
devant lui et lui parlent de la manière
suivante :
« Très
honorés seigneurs et combourgeois, nous
sommes ici venus de la part de nos seigneurs et
supérieurs de la ville de Berne, lesquels se
recommandent bien à vous. Très
honorés seigneurs, nous avons en votre petit
et en votre grand Conseil parlé de quelque
trêve, et la réponse que nous avons
reçue n'est pas telle que nous l'eussions
pensé. C'est pour cette cause que nous avons
demandé le général.
Déjà précédemment moi,
Louis de Diesbach, et Jean Rodolphe Naegueli, nous
sommes venus par devers vous, en votre petit
Conseil, cherchant à vous amener à
quelque bon appointement ; mais vous nous avez
tout refusé. Nous en avons été
bien marris, nous et nos supérieurs, qui
pensaient que vous dussiez plutôt demander la
paix que la guerre. Car, nous voulons bien vous
avertir, que quand vous auriez mal, Ils en auraient
aussi, et seraient déplaisans de votre mal
comme du leur propre. Que si vous aviez bien ils en
seraient joyeux.
Or ne leur est pas bien à
propos la guerre à ce moment ; car si
vous dussiez être assiégés et
que vous eussiez grosse nécessité de
secours, que feraient-ils ayant par aventure leurs
ennemis à leur porte ? Ils n'oseraient
laisser leurs terres pour vous venir secourir, dont
ils seraient bien marris et leur déplairait
très fort. C'est la cause pour laquelle ils
nous ont ici renvoyés, pour aviser d'entrer
en bon appointement de paix.
Nous avons parlé à M.
le Gouverneur de Vaud et aux autres gentils-hommes,
lesquels ne pouvions faire à cela
accorder ; toutefois, après avoir
beaucoup parlé, ils nous ont dit :
Pourtant allez et voyez vers eux. Nous vous avisons
donc et vous admonestons d'avoir égard
à notre proposition, et si vous n'y voulez
entrer, nous avons charge de nos supérieurs
de vous dire qu'ils y aviseront plus outre. Ils
nous ont aussi donné l'ordre de demander la
liberté du gentil-homme que vous avez
détenu, bien qu'il fût venu ici sous
ma foi. Car vous pouvez penser qu'il nous serait
à grand déplaisir, au seigneur
Naegueli et à moi, de nous rendre
prisonniers aux mains du Gouverneur de Vaud, ce que
nous serions tenus de faire, si vous ne
relâchiez votre captif. Ce nous serait fort
grief ; partant veuillez y avoir bon
regard. »
Ainsi ont parlé les
ambassadeurs. Messieurs leur ont fait
réponse devant tous :
« Magnifiques seigneurs, vous rejetez le
fardeau sur nous, en disant que nous avons
refusé de faire paix et accord, ce qui n'est
pas ainsi. Vos seigneuries nous ont demandé
si nous étions contens que ceux de Peney, de
Jussy et autres se déportent de nous
molester, de nous piller, et de ne plus sortir
contre eux. Nous avons répondu que nous
étions fort
grévés, que ces traîtres
avaient pillé tous nos biens, et qu'il ne
semblait pas que nous dussions être si
restreints que nous ne puissions les combattre,
qu'on n'eût pas dû renvoyer le secours
qui nous venait, puisque MM. de Berne avaient dit
à nos ambassadeurs que nous pouvions prendre
du secours là où nous en
trouverions ; qu'on ne nous avait pas
parlé de faire la paix avec le
Duc. »
À quoi M. de Diesbach
répondit : « Or bien, puisque
vous en parlez tant avant, sachez qu'alors que je
vins, j'avais lettres et sceaux de ceux de Peney,
qu'ils voulaient entrer en appointement et tenir ce
que nos seigneurs de Berne et autres
feraient. »
Alors tout le peuple cria d'une
voix : « Nous ne voulons point
d'appointement avec les traîtres
retirés à Peney ; mais les
tenons tous pour traîtres, larrons et
brigands. »
Sur quoi les ambassadeurs sortirent
pour attendre la réponse dans leur
logis.
On a ordonné qu'on leur fera
la même réponse que ci-devant sans y
rien changer. On leur dira que nous voulons tous la
paix, pourvu qu'elle soit telle qu'elle puisse
durer, et que personne ne parle de consentir
à traiter avec les traîtres ;
mais qu'ils demeurent toujours condamnés
comme ils le sont.
Après avoir reçu cette
réponse les seigneurs ambassadeurs sont
repartis pour Berne.
Notre situation à
l'intérieur.
La cherté du blé
s'accroît. On oblige les particuliers qui en
ont, à venir le vendre au marché. -
Les maréchaux se trouvant sans
charbon ; on est réduit, pour en faire,
à couper les arbres qui sont au pré
de Palais. - Les procureurs de l'hôpital
demandent qu'on leur donne les draps des
églises pour vêtir les pauvres, et le
blé des moulins de la ville pour les
nourrir. Ils paieront le blé au prix du
marché. Le Conseil leur accorde tout, et
leur livre le blé à 28 sous. Mais en
même temps, il fait publier que personne
n'ait à mendier, et que « si
quelqu'un prétend qu'il y a pitié en
lui, il se retire à l'hôpital en
Ste-Claire. »
On a jugé équitable
que les citoyens absens de la ville, et qui ne se
sont pas rendus à l'appel de venir la
défendre, supportent leur part de nos
charges. Leurs biens contribueront à la paie
des gens de guerre. - On vient de céder
à un nouvel ordre de Berne de relâcher
le sire de Wufflens. « Nous le faisons,
avons-nous écrit à Berne, bien que
nos pauvres frères chrétiens soient
par là jetés en danger ; mais
nous espérons que vos Excellences prendront
leur affaire à coeur ; qu'il vous
souvienne que nous vous redemanderons leurs
vies. »
.
REVUE DU
PASSÉ
LAUSANNE.
- « Oui, la
foi l'a construit ;
- De tout haut
monument c'est la base éternelle.
- Qui prête
à qui l'embrasse une force
immortelle ;
- C'est le genou. de
Dieu, c'est le divin appui ;
- Le peuple revivra
qui repose sur lui. »
Il n'y avait au lieu où
s'élève aujourd'hui Lausanne ni
temple, ni cité. De sombres forêts
couvraient les trois collines, quand le sage Marius
y transporta son siège épiscopal. Il
laissa Avenches, bien qu'Avenches fût
située au centre de son
diocèse ; il salua d'un adieu ses
ruines glorieuses. Quel motif le conduisit à
porter ses pas vers la contrée au sein de
laquelle Lausanne est venue se
déployer ?
Une carte du pays nous le dirait, si
nous en avions de cette époque
reculée. Nous y verrions deux routes
tracées ; l'une
venant de Bourgogne, courait de colline en colline
par dessus les monts de La Côte et longeait
ainsi les bords du Léman. Il en reste de
nombreuses traces. Les gens du pays l'appellent
encore le chemin des Rémis ou des Romieux,
désignant ainsi la voie que suivaient les
pèlerins en se rendant à Rome. La
seconde route passait par Orbe (apud Tabernas).
À l'endroit où se croisaient ces deux
chemins, se rencontraient les voyageurs,
pèlerins ou marchands. Ce fut le lieu que le
saint évêque choisit pour s'y
asseoir.
Un mont se projetait entre deux
vallées. Ses parois étaient
abruptes ; la nature l'avait fortifié.
Du plateau qui le couronnait, on embrassait tout le
bassin du Léman. Ce fut sur ce plateau que
Marius construisit une chapelle à Notre-Dame
de pitié. Peut-être dans sa
pensée la voyait-il déjà se
convertir en une haute cathédrale ;
peut-être en en posant les fondemens
faisait-il chose plus grande qu'il ne croyait. Il
écrivait en réalité Il y aura
ici un grand concours de peuple ; il se
construira une ville, laquelle sera un centre pour
le pays qui se déploie en
amphithéâtre autour du
Léman ; » en d'autres termes
il y aura un diocèse de Lausanne et il y
aura une patrie de Vaud.
*
Les trois évêques qui
suivirent Marius ne portent plus le titre de
pasteurs d'Avenches, mais des Aventiciens. Le
quatrième se nomme évêque de
Lausanne. La ville en ce peu de temps avait acquis
assez d'importance pour pouvoir donner son nom
à l'évêché.
Nous sortons de l'obscurité
de ces premiers temps, nous entrons dans
l'âge héroïque. Un royaume se
forme sur les deux côtés du Jura, et
Lausanne en occupe le centre. Le petit empire,
fondé par la valeur, se défend par un
intrépide courage. C'est le siècle
des Rodolphe et de la reine Berthe, un temps
d'épreuve, de renaissance et de
piété ; il ne devait point
bâtir la cathédrale, mais
peut-être en eut-il la pensée et la
légua-t-il à l'époque qui
suivit. Ainsi David autrefois légua le
temple à construire à Salomon. Le
dixième siècle avait eu la gloire des
armes, le onzième éleva le monument
le plus beau qui ait jamais couvert et qui
probablement doive jamais embellir notre
sol.
Plusieurs générations
y travaillèrent ; il suffit pour s'en
assurer de considérer l'architecture de
l'édifice. Le choeur s'appuie sur une petite
chapelle en plein cintre, qui peut-être fut
celle de Marius, et qui appartient
évidemment à une époque
reculée. Tout est ogives sous la nef ;
mais si je ne me trompe, la partie
supérieure témoigne d'un âge
où déjà l'on s'écartait
de la beauté des formes les plus simples, et
où l'art, en cherchant la
variété, tournait à
l'affectation.
La cathédrale fut donc
l'oeuvre d'un peuple, plusieurs
générations durant. Ce fut leur luxe
et leur industrie. Ce que d'autres
générations ont mis à
construire des routes ou à ériger des
palais, ce que nous faisons servir à rendre
agréables les maisons des particuliers,
elles l'ont employé à embellir la
maison de Dieu. Siècle de foi, âge
où les hommes n'agissaient que par un
mouvement, n'obéissaient qu'à une
pensée, on n'y faisait pas consister le
bonheur dans une richesse qui périt ;
on le mettait à demeurer pauvre,
après avoir versé ses
économies dans le trésor de
l'Éternel.
Tous travaillaient, bien que par
dés mobiles divers. Les uns, comme
anciennement les constructeurs de Babel, croyaient
par leurs sacrifices atteindre jusques au ciel et
mériter la vie éternelle pour prix de
leur piété ; d'autres donnaient
dans le sentiment de cette femme qui crut ne
pouvoir assez faire pour témoigner son amour
à Jésus-Christ, et qui
répandit sur ses pieds son parfum le plus
précieux. Chacun apportait à l'oeuvre
la pensée bonne ou mauvaise de
son coeur, et Dieu du haut du
ciel en a fait la différence et a
jugé la foi de chacun.
Ainsi s'est élevée la
cathédrale, sur son magnifique
piédestal. Les grandes roches, sur
lesquelles elle repose, baignaient leurs pieds dans
des marais ; une partie de ces marais furent
comblés et du lieu qu'ils occupaient une
rampe large et rapide conduisit à la maison
de Dieu. On commence à monter à
peine, que déjà le vaste
édifice se présente tout entier aux
regards
** : le
grand portail, la tour gigantesque avec ses cinq
étages
*** ses
jours, ses colonnes nombreuses, sa grâce et
sa hardiesse, puis le corps du temple avec son beau
portail des douze apôtres, avec ses auvens,
ses arabesques, ses aiguilles, ses dentelures, sa
riche broderie, ses détails variés
à l'infini et tous ralliés à
l'ensemble ; le choeur enfin avec sa
flèche élancée, qui semble
chercher le ciel.
Aucune construction
étrangère à l'édifice
n'en voile la majesté. L'antique
évêché se tient à
distance et le cloître, demeure des
chanoines, se cache derrière le choeur. En
approchant on arrive au gazon, aux fleurs et aux
croix du cimetière. La voie qui circule dans
la pelouse est celle que suivent les processions.
Nous sommes arrivés assez près pour
reconnaître la forme du temple ; c'est
la croix. La base en est au couchant et se termine
à la grande porte. Le haut de la croix forme
le choeur ; la rose est à l'un des
bras, tournée au soleil à son midi,
et l'extrémité supérieure
s'arrondit en tête qui se couronne tous les
matins des rayons du soleil levant. L'idée,
je dis mieux, le fait de la rédemption, a
donné le plan de la cathédrale
chrétienne, et il se reproduit à
l'infini dans tous les détails de ce
monument.
Entrons par le grand portail.
Passons auprès de la statue de
Saint-Sébastien. Franchissons le
vestibule ; voilà l'intérieur du
temple qui se révèle à nous
dans son entier. La nef est haute de cent
pieds ; elle s'appuie sur des chapiteaux que
soutiennent vingt faisceaux de colonnes diversement
assemblées.
Sur les côtés, entre la
colonnade et les chapelles latérales, se
prélassent les religieux et cheminent les
processions. Au dessus court une haute et
frêle galerie de colonnettes fines et
légères. Sous le ciel de la
voûte, les abscisses des ogives se cherchent,
se croisent, se rencontrent dans leur vol, se
fuient de nouveau et se jouent avec harmonie dans
tous les sens divers.
À travers les prismes des
vitraux, à travers la rose surtout,
rayonnent dans le choeur, sur les colonnes, sur les
voûtes, dans toutes les parties du temple,
titille et mille reflets, apparitions brillantes,
et comme des messagers d'un monde meilleur et des
appels à une vie plus rapprochée de
Dieu, plus glorieuse et plus pure.
Partout la pensée rencontre
l'infini. Il semble même que le temple
à son extrémité se perd dans
les profondeurs d'un ciel sans horizon ;
l'architecte a atteint cet effet en
s'écartant de la symétrie et en
cachant à demi, derrière les colonnes
du choeur, les croisées par lesquelles il se
termine ; les yeux ne rencontrant point le
fini, l'âme se tourne vers le mystère,
elle se recueille, elle cherche, elle
reconnaît le symbole ; cette inclinaison
du choeur lui rappelle la tête penchée
du Christ, alors qu'il mourait sur la croix pour le
salut du genre humain.
Avançons.
Pénétrons dans le sanctuaire. Ici
dort sous la pierre le saint évêque
Henri, dont la main posa les fondemens de la
cathédrale. La tradition lui attribue la
fondation de tous les temples de Lausanne ;
ainsi jadis les Romains rattachèrent toutes
leurs institutions saintes au nom pieux de Numa.
Non loin de la tombe de l'évêque,
reconnaissez celle du chevalier ; l'histoire
d'Othon de Grandson est présente à
votre mémoire. Voyez à gauche la
porte qui du cloître mène dans le
choeur ; elle est celle par laquelle les
chanoines entrent et sortent. Au milieu du choeur
est le grand autel ;
observez comme devant sa base le pied de ceux qui
viennent adorer a creusé profondément
la pierre.
Vous cherchez peut-être le nom
de l'architecte qui a conçu le plan du saint
édifice ; vous ne le rencontrerez nulle
part ; ces hommes de foi, de génie et
de long labeur n'ont gravé sur la pierre que
le nom de Jésus-Christ ; vous n'en
trouverez pas d'autre ici qui n'ait
été récemment écrit et
depuis la corruption de l'Eglise. Ces chiffres sont
ceux des derniers évêques, ces
devises, ces armoiries sont celles des Montfaucon.
Ces ciselures, ces griffons, ces images satiriques,
ces figures où s'est jouée
l'imagination de l'artiste, sont d'un âge
où l'inspiration avait changé de
nature.
Vous avez en entrant remarqué
que des deux tours qui devaient s'élever aux
deux côtés du portail, une seule est
achevée ; la foi n'a pas duré
assez pour amener la seconde à sa
perfection. Les jours d'enthousiasme
passèrent. On avait couru à la
croisade ; on en revint avec la
réflexion.
Valdo, Bernard, Abailard, ces noms
expriment les tendances diverses qui se
manifestèrent alors dans la
chrétienté. La foi se sépara
de l'Évangile. L'Eglise se tourna vers la
vente des indulgences. Elle recourut aux
dévotions nouvelles.
Ce fut à qui
achèterait pour son temple quelque goutte du
sang de Jésus-Christ et quelque fragment du
bois de la vraie croix. L'évêque
à l'approche de la foire de Lausanne envoya
quérir à Genève ou dans l'un
des évêchés voisins quelque
relique nouvelle, qui ranimât le zèle
et la superstition. Dès lors Dieu s'est
retiré de la cathédrale. Les noms
d'hommes y ont remplacé la majesté du
sien. L'église profanée et
changée en un lieu de marché appelle
une réformation.
Cette réformation, au reste,
non plus qu'aucune de ce siècle, ne
s'accomplira probablement sans révolution.
C'est le résultat du double rôle que
remplissent de nos jours les conducteurs des
troupeaux. L'on ne peut contredire à
l'évêque sans attaquer le prince
temporel. Il était bien à
Grégoire de repousser la main
séculière de l'administration des
choses saintes ; mais il eût
été pareillement de son devoir de
père vigilant des fidèles de ne pas
laisser l'homme d'Eglise régner en
gouverneur de l'État. Tout s'est
altéré, tout s'est corrompu, dans
l'État et dans l'Eglise, depuis que la
même main a cru pouvoir tenir le sceptre et
l'encensoir. Les soins du prince ont d'ordinaire
absorbé ceux de l'évêque, les
intérêts matériels ont
prévalu sur ceux des âmes, et le
prêtre, que l'on a rencontré
mêlé à tous les débats
du monde, a perdu l'autorité dont il
eût dû faire preuve comme serviteur de
Jésus-Christ.
Que renferme depuis trois
siècles l'histoire de
l'évêché de Lausanne, sinon le
narré des querelles du prince avec le duc et
avec ses sujets ?
Dès l'an 1240 nous voyons la
maison de Savoie aspirer au siège
épiscopal, et dès lors à
chaque élection a recommencé le
débat entre le candidat des comtes et
l'élu de la noblesse du pays. Le palais de
l'évêque s'est changé en ce
château que vous voyez flanqué de
tours de terre cuite et entouré de
fossés profonds. La montagne de
l'Éternel a été
environnée de murailles et changée en
une place forte. La guerre n'a cessé de
renaître avec les barons de Vaud, avec les
Gruyère, avec les Villarzel, avec tout le
parti de la maison de Savoie. La lutte après
trois cents ans n'est pas encore terminée et
le Chroniqueur (à sa page 9) a
commencé ses récits par raconter le
dernier effort tenté par le duc Charles,
pour enlever à Sébastien de
Montfaucon les droits temporels de
l'évêché. Cette tentative a
été vaine. La puissance de Savoie se
replie. Mais il est un autre ennemi qui menace le
prince-évêque de périls qui
peuvent être davantage à
redouter.
Abaissez vos regards sur les toits
nombreux qui se pressent au pied de la
cathédrale. Là s'agite un peuple
enorgueilli de sa richesse, de sa force, de ce
qu'il a et de ce qu'il espère de
liberté. C'est ce peuple dont les
insurrections assaillent journellement
l'évêque et menacent son pouvoir.
Naguère il ne formait pas un corps ; il
n'avait pas, comme aujourd'hui, ses lois, son
organisation, son conseil ; Lausanne formait
autrefois plusieurs communautés distinctes
et de différente origine. Sur le dos de
cette colline qui se courbe
entre le lac et la Cité,
s'élevèrent les premières
demeures. À la vue de Notre-Dame et sur une
forte assiette, des hommes libres construisirent
des maisons qu'ils eurent soin de bien fortifier.
Ils se rangèrent autour de
l'évêque-roi et formèrent son
bourg, sa forteresse, la gloire et l'appui de sa
cité. Barons ou libres, ils
possédaient les droits des hommes
libres ; ils avaient leurs foires et leurs
marchés, levaient péage, rendaient
haute justice et étaient les
exécuteurs des sentences épiscopales.
Du reste, ils dépendaient de
l'évêque. « Le Bourg et la
Cité, disait-on dans ces anciens temps, sont
l'apanage de Marie. Civitas et Bargum allodium
Mariae. »
Bientôt la ville s'agrandit.
Le marais (ou la Palud) situé au pied du
mont de la cathédrale, ayant
été comblé, des maisons
s'élevèrent sur la place qu'il
occupait ; un pont ne tarda pas à se
construire sur le torrent marécageux du
Flon ; et deux rues descendirent l'une du
Bourg, l'autre de la Palud pour se réunir
à ce pont. C'était une ville nouvelle
qui se fondait, à tous égards bien
différente du Bourg et de la Cité.
A la Cité,
l'évêque et le clergé
siégeaient en leur haut lieu ; la
noblesse s'était fortifiée sur la
colline ; ici, dans le bas,
s'établissait le peuple des artisans, des
marchands, des serfs affranchis ou fugitifs ;
gens esclaves de hier, sans droits, sans lois,
honnis, foulés, d'une origine incertaine. Un
reste des captifs qui, sous Rome, cultivaient les
terres, les esclaves que fit la conquête
bourguignonne, les débris des hordes
germaines, tartares ou même sarrasines,
voilà ce dont s'est composé le peuple
de nos villes et de nos campagnes. Ce sont les
hommes dont nous avons emprunté les traits.
C'est de cette humiliation que sont sortis ces
bourgeois, qui commencent à se montrer si
fiers et si jaloux de la liberté. Tout
peuple, dans le moyen-âge est né comme
d'une crèche. Acceptons cette origine, et
apprenons à l'école du
chrétien à chercher notre gloire dans
ce qui nous a humiliés.
Les nouveaux habitans de Lausanne
n'y apportèrent pas, comme les nobles, le
droit de juger et de se régir ; mais
ils y vinrent avec la nécessité de
l'industrie et du travail et ils
prospérèrent par la
bénédiction de Dieu.
Quelques coutumes empruntées
aux usages de Bourgogne leur servirent de premier
code ; elles furent écrites en 1568 et
formèrent le plaid général.
La ville, cependant, continua de
s'agrandir. Une rue se forma le long du temple de
St-François et toute une cité
nouvelle autour de celui de St-Laurent. On sait le
rôle que les Juifs jouaient jadis
auprès des princes, le besoin qu'ils avaient
de leur protection et le prix auquel ils la
payaient ; ils s'établirent aussi
à Lausanne et ce fut sous son château
que l'évêque leur assigna leur
demeure. *1
Bientôt du lieu de leurs habitations une rue
descendit vers la Palud. De grands, de
fréquens incendies n'arrêtèrent
pas la ville des bourgeois dans son
développement. Un quartier ne se trouvait
pas plus tôt environné de murailles
que la population accrue en sortait pour former de
nouveaux faubourgs. Ces faubourgs
s'avancèrent de tous côtés,
hors de St-Pierre, hors de St-François, vers
St-Roch **1.
Avec tous ces progrès, avec ces
embellissemens, la ville, comme vous le voyez,
conserve un aspect sévère. Tout est
environné de murs et ceint de larges
fossés.
Le jour viendra peut-être que
la paix et la sécurité viendront
habiter les campagnes ; alors les maisons,
joyeuses, s'éparpilleront hors des
murs ; elles en sortiront comme le peuple dans
les jours de fête ; de belles routes
escaladeront les monts et courront à travers
les prairies ; de riantes demeures couvriront
la magnificence de ces côteaux ; c'est
alors qu'il sera parlé au loin de Lausanne,
de sa gloire et de sa beauté.
Rentrons, pour le moment, dans les
murs et revenons au vieil âge. Ce
n'était pas à l'extérieur
seulement que grandissait la ville des gens du
commun.
Les maisons, à
l'intérieur, commencèrent à
s'étager, les fortunes s'accrurent, les
citoyens égalèrent les gentils-hommes
en culture, en richesse et en fierté.
L'évêque, dans ses
fréquentes guerres, avait souvent besoin des
services des bourgeois ; ils marchèrent
alors rangés sous les cinq bannières
de la Cité, de Bourg, du Pont, de la Palud
et de St-Laurent. Les termes de leur service sont
fixés par le plaid *2.
Dans sa pénurie, l'évêque eut
aussi besoin de leur argent, ils en
profitèrent pour acheter de lui quelques
nouvelles libertés. Les citoyens ayant
commencé à avoir des
propriétés communes, ils choisirent
des syndics pour les administrer. À cette
charge les syndics ne tardèrent pas de
joindre quelques fonctions de police. La ville
était divisée en quartiers :
autant il y en avait, autant il y avait de
communautés ; elles finirent par se
réunir pour former une seule bourgeoisie et
un seul corps de cité. Un hôtel de
ville fut construit.
Les progrès des citoyens
eussent été bien plus sensibles
encore, s'ils n'eussent été
dépendans du clergé pour leur
principale industrie. Le grand commerce de Lausanne
est celui des indulgences. La ville est pleine
d'hôtelleries qui attendent les
pèlerins, et c'est du trésor du
temple que l'or descend chez les bourgeois.
Enrichis par cette voie, les citoyens se sentent
retenus sous la tutelle de l'évêque.
Ils n'osent marcher vers l'affranchissement, de
peur de s'éloigner de la fortune, De cet
état de choses résulte la faiblesse
et la corruption. Les Lausannois
démoralisés n'avancent qu'en
chancelant vers un état meilleur. Ils voient
Fribourg, Berne, Soleure jouir de la
liberté, les villes du Pays-de-Vaud
posséder des franchises étendues, et
ils demeurent eux-mêmes en arrière de
tout ce qui les environne. Pourtant, durant ces
trente dernières années, ils ont fait
quelques pas vers la liberté. Dès
lors leur histoire n'a plus été que
celle des querelles toujours renaissantes des
sujets avec leur prince, de l'évêque
avec les citoyens.
(La suite au numéro prochain.)
.
NOS
DERNIÈRES NOUVELLES.
BERNE. Du 29 octobre. Messire Paolo Vagniono,
s'est présenté à Berne, comme
ambassadeur de l'illustrissime duc de Savoie et en
présence de M. d'Estavayer et du
secrétaire Fontanel, il s'est adressé
à MM. du petit et du grand Conseil en ces
termes : « Je viens, a-t-il dit,
touchant la vuidance des querelles advenues entre
mon prince et vos seigneuries à cause de la
ville de Genève. Selon la dernière
postulation faite par vos ambassadeurs, vous nous
demandez d'expulser les forensis de Peney, ils
doivent être déchassés à
ce jour ; de donner sûreté
à ceux de Genève, d'aller et de
venir, de hanter et trafiquer par les pays de
Savoie ; Mon seigneur y a mis ordre et leur
donne pleine permission, pourvu que sur ses pays
ils ne fassent ni ne pratiquent chose contre son
autorité et touchant l'affaire de la foi.
Que s'il reste quelque fâcherie pendante en
ces affaires de Genève, mon prince vous
propose par sa grâce de s'approcher jusques
à Aoste et de prendre journée
d'amitié entre lui et
vous. »
À ces discours Messeigneurs
ont exprimé un grand contentement.
L'idée d'une journée en la val
d'Aoste leur a plu, et ils sont convenus avec les
ambassadeurs qu'elle se tiendrait le 21 novembre
prochain. Ils y enverront leurs commis trouver
illec Monseigneur de Savoie, s'il est de son bon
plaisir de s'y rencontrer, et ils espèrent
que bien par sa grâce achèvera bonne
paix de tous côtés.
Cependant ils prient l'excellence de
Monsieur de Savoie de retirer tous ses gens d'armes
des alentours de Genève et de mettre bonne
pacification partout. Et touchant les personnes qui
sont détenues à Chillon et à
Pignerolles, Messieurs le prient, pour commencement
du dit amiable accord, de les mettre en
liberté. Ce que les ambassadeurs
espèrent qu'il fera. Et Messieurs de leur
côté se font fort de faire mettre en
liberté les captifs qui, d'aventure,
seraient détenus par leurs combourgeois de
Genève.
Les choses ainsi arrangées,
Messeigneurs se sont hâtés
d'écrire aux Genevois de n'entreprendre
aucune hostilité, ni par parole, ni par voie
de fait contre le Duc et ses sujets ; mais
d'attendre tranquillement le succès de
l'entrevue, sous peine de perdre leur
alliance.
Ils exhortent aussi fortement le
bailli et les villes du Pays-de-Vaud à
remplir l'engagement contracté par le
prince.
GENÈVE, 30 octobre. Les
Savoyards continuent à faire des prises sur
nous et par représailles nous en faisons sur
les Savoyards.
Une vive escarmouche a en lieu le 27
du côté de Gaillard. Aujourd'hui nous
venons d'intercepter une lettre du Duc au capitaine
de ses troupes, datée du 29 octobre, et dans
laquelle il le presse, l'aiguillonne et
« lui recommande fort ses
affaires. »
À l'intérieur, le
peuple est toujours fort après les images.
On vient de brûler, au sortir du Conseil, et
dans la salle même du Conseil, la belle image
de N. Dame de grâce, à la vue de
tous.
Nous apprenons la mort du duc de
Milan. Le duché échoit à
l'empire. L'empereur est attendu.
SOURCES.
Cluvier II, 4 Leu.
Levade. Nos propres observations. Notes
empruntées aux archives de Nyon. Les
topographies et la Collection des privilèges
de Vaud, dans la Bibi. de la ville de Berne.
Cibrario, documenti. Pièces sur St-Cergues.
tirées des archives de St-Claude. J'ai
cherché à mettre quelque
clarté dans un sujet obscur. Je ne sais si
mes autorités ont toujours été
pour moi des guides sûrs.
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