Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...


 

PROMENADE A NYON ET AU CHAMP DE BATAILLE DE GINGINS.

(Second article.)

Retour par la Savoie,
« Je n'ai point rencontré la richesse sans les bonnes lois, l'économie et le travail. »

Combien ces barques nombreuses, avec leurs grandes voiles, allant, venant, sillonnant le lac en tous sens, ajoutent à tout ce qu'a le Léman de vie et de magnificence ! Ainsi nous disions, en saluant Nyon, Prangins et la rive vaudoise, pour naviguer vers la pointe d'Ivoire et vers Ripaille, la retraite d'Amédée. Nous ajoutâmes : C'est un bienfait pour ces rivages que d'appartenir à un même prince. Les provinces versent librement l'une à l'autre le superflu de leurs produits ; vin, blé, fruits, bétail, elles font sans difficulté l'échange de leurs richesses ; il en serait autrement, si jamais elles venaient à appartenir à des états rivaux, et divisés d'intérêts. Les prohibitions, avec tout le cortège de mesures qui les accompagnent, viendraient se mettre entre les deux pays. Le commerce souffrirait. Les liaisons entre les habitans des deux rives perdraient leur intimité. On ne traverserait plus le lac aussi fréquemment qu'on le fait aujourd'hui pour les affaires ou pour le plaisir ; et le Léman, sur le miroir duquel l'oeil ne verrait plus à toute heure courir ces barques légères, paraîtrait en deuil de jours meilleurs, triste de ne point remplir une destination amie et déshérité de quelque chose de sa beauté.

Un jour a été, selon le récit de nos pères, où la navigation était plus animée encore qu'elle ne l'est aujourd'hui ; c'était, il y a cent ans, lorsque le sage Amédée VIII régnait sur la Savoie. Amédée était nommé le Salomon de son siècle, et je ne sais pourquoi la merveille de sa retraite à Ripaille et de son exaltation au souverain pontificat nous a fait oublier les bienfaits de son gouvernement. Je ne dirai rien ici de la haute estime dont il jouissait, de l'amitié que lui portaient les républiques et les rois, des grandes querelles qu'il sut apaiser, des agrandissemens qu'il fit sans conquêtes, de l'art qu'il eut d'entretenir de puissantes armées, en les mettant au service et à la solde de ses voisins. Je ne veux à cette heure parler de lui que sous un seul rapport, c'est celui de la bonne justice qu'il fit régner dans la Savoie.

Ses lois méritent d'être étudiées. Elles substituaient insensiblement à la loi militaire de la féodalité un ordre de choses plus équitable. Elles posaient des limites aux privilèges du clergé. Elles réglaient l'état des notaires. Elles protégeaient les orphelins. les mineurs ; elles donnaient au pauvre un avocat ; elles voulaient que la cause de l'indigent fût plaidée la première et qu'elle le fût gratuitement. On y rencontre une ébauche de code criminel. Les appels y sont établis avec sagesse. Des juges-mages sont élus pour prononcer sur les différends entre la féodalité et les communes. Il restait à donner vie à cette organisation, en conférant les charges de judicature à des hommes prudens et habiles, et ce fut en ceci que se montra bien particulièrement le tact du prince. Il ne nomma aux places de juges que des hommes qui avaient été licenciés en droit.

Sans avoir égard à la naissance, il choisit ses conseillers parmi les hommes les plus intelligens et les meilleurs. Les provinces, grâces à une administration si sage, connurent les bienfaits de la sécurité, de la paix sous les lois et de la confiance dans le gouvernement. Les fruits de ce nouvel ordre de choses ne tardèrent pas à se montrer. La terre fut cultivée avec plus de soin. La Savoie, chose remarquable, se montra au bout de peu d'années l'un des pays de l'Europe les plus riches et les plus plantureux. Elle versa en abondance le blé, le vin, les châtaignes aux contrées voisines. Le Pays-de-Vaud qui, se faisant un bouclier de ses privilèges, n'avait pas reçu la législation d'Amédée et ne participait qu'indirectement à ses bienfaits, le Pays-de-Vaud se trouva bientôt loin de la prospérité du duché. Mais cette fleur devait être passagère ; cette prospérité était l'ouvrage d'un homme ; elle a disparu en grande partie sous la faiblesse orageuse des princes successeurs d'Amédée.

Nous arrivâmes, en causant ainsi, devant Thonon. la ville principale du Chablais. Voilà le château qu'Amé VlII a agrandi et qu'il habitait une partie de l'année. Son fils, Louis 1er, préférait ce séjour à celui de toutes les autres villes de ses états. Combien la vue de ce château doit être belle sur l'amphithéâtre que forme le Pays-de-Vaud.

Voici le couvent des Bénédictins. Voici l'église de la Ste-Vierge. Cette maison est celle de Monseigneur Aymon de Genève, baron de Lullin, gouverneur du Pays-de-Vaud. Sa famille, qui descend de celle des anciens comtes du Genevois, est la plus ancienne, la plus illustre et la plus riche du Chablais. Notre gouverneur Aymon, chose rare parmi nos gentils-hommes, honore son rang par son savoir dans les langues, dans l'histoire et dans les mathématiques. Le Duc l'a créé, en 1526, chevalier de l'annonciade. Il lui a commis la charge aujourd'hui difficile de bailli du Pays-de-Vaud. Son dessein, si nous sommes bien informés, est de lui confier bientôt l'éducation de son fils le jeune prince Emmanuel Philibert.

Prenons terre à Ripaille et courons chercher les traces d'Amédée. Ripaille était un couvent d'Augustins. Auprès du monastère, Amé a fait construire un château, composé de sept appartemens et de sept tours, ayant chacune leurs dépendances et un jardin. Les jardins communiquent à un grand parc planté de chênes dont les sept allées, distribuées en étoiles ont chacune pour perspective la vue d'une des villes ou d'un des bourgs du Pays-de-Vaud. Ici notre sage a vécu cinq ans, la barbe longue, sous la robe grise et le capuche des hermites,

Il n'avait renoncé ni à la dignité des formes, ni aux délices de la table, ni à une société choisie. Jamais il n'avait eu en main les fils de plus d'affaires que depuis qu'il avait fait ses adieux au monde ; jamais il n'avait été plus nécessaire. Un beau jour il se réveilla pour être salué le père de la chrétienté. Thonon, Ripaille ne purent contenir le nombre des ambassadeurs et des prélats, qui de toutes parts venaient lui prêter obédience, Le duc Louis son fils et trois cents gentils-hommes piémontais, Savoisiens, vaudois se trouvèrent bientôt réunis, et suivi de ce brillant cortège, il alla à Bâle recevoir les ordres saints et les habits pontificaux. Il était nommé pape pour la réforme de l'Eglise. Les bulles qu'il a publiées ont été rassemblées à Genève en huit volumes in-folio ; (*) il serait curieux d'y chercher ce que, il y a un siècle, ou appelait du nom de réformation. Amé, raconte-t-on, versa un torrent de larmes en laissant poser la tiare sur sa tête, et quand il la déposa neuf ans après, il dit le faire avec une grande joie. L'acte de sa renonciation se fit à Lausanne, dans la grande cathédrale, devant les Pères assemblés. Amé rentra dans Ripaille, et ce fut dans la chrétienté à qui lui donnerait le plus d'éloges. Pour dire jusqu'à quel point ces louanges étaient méritées, il faudrait avoir étudié ses actes et son caractère avec plus de soin qu'on ne l'a fait jusqu'à ce jour. N'est-il personne à qui sa biographie parût un sujet intéressant d'étude ?

Derrière Ripaille s'élèvent entre les montagnes les pastorales vallées de St-Jean d'Aulps et d'Abondance ; celle d'Abondance où, selon la tradition, Colomban fonda le monastère le plus ancien du pays ; celle d'Aulps, qui conserve fidèlement le corps de St-Guérin. La Dranse apporte au Léman les eaux de ces deux vallées. On passe la rivière sur un pont de vingt-quatre arches, construit dans le siècle dernier ; puis on se trouve dans le pays de Gavot. Évian en est le chef-lieu. Elle s'élève en face de Lausanne, couronnée d'un vert amphithéâtre sous le château que Pierre de Savoie fit bâtir en même temps qu'il déclara Évian cité franche et libre, comme toutes les villes murées de ses pays. Les habitans de la petite ville sont en possession de naviguer sans payer aucun droit dans tous les ports du Pays-de-Vaud et du Chablais. Ils jouissent, pour leurs foires et leurs marchés, de privilèges étendus. On les dit industrieux. Les soeurs de Ste-Claire fugitives de la ville d'Orbe depuis l'an 1528, viennent de trouver un asile dans leurs murs et de fonder un couvent nouveau.

Avant de traverser le lac, jetons encore un coup-d'oeil sur la Savoie. Pourquoi n'offre-t-elle plus le spectacle de prospérité qu'elle déployait aux jours d'Amé VIII ? Pourquoi, non moins fertile que le Pays-de-Vaud, lui cède-t-elle en richesse, en culture, en activité ? Parmi les faits qui l'expliquent il en est un qui me paraît se présenter en premier lieu. Comparez quant à l'étendue les propriétés situées sur l'une et l'autre rives ; comme elles sont dans le Pays-de-Vaud divisées, morcelées et renfermées dans des limites étroites, et combien il est en Savoie de grandes propriétés. Dans les deux pays le clergé possède de vastes domaines. Mais les seigneurs ... ils sont pour la plupart grands propriétaires en Savoie, petits propriétaires dans le Pays-de-Vaud. J'ai lieu de croire que cette différence n'existait pas anciennement et qu'il n'en est ainsi que depuis que, sur l'une des deux rives, on a reçu de France l'usage des majorats, qui n'a point prévalu sur l'autre bord. L'usage a commencé par la famille du prince ; le principe de la succession par l'âge et de mâle en mâle l'emporta à la cour sur l'ancien système des partages ; puis les grands propriétaires de fiefs, voulant assurer la gloire de leur maison, léguèrent pareillement leur fortune à leurs aînés, laissant aux puînés des familles la ressource de l'Eglise ou de médiocres apanages. Ce principe cependant ne passa pas le lac et n'envahit pas le Pays-de-Vaud. Je ne sais quelle jalousie républicaine et quel besoin d'égalité se trouvent parmi les traits caractéristiques du peuple de notre pays. J'y ai vu des fils héritiers de terres sises en trente lieux divers, et les partager encore en trente parts nouvelles. Je ne sais s'il est aucune terre qui soit plus fractionnée ; elle l'est assurément trop en plus d'un lieu. Mais ou ne saurait méconnaître qu'en général et partout où le principe n'a pas été porté jusqu'à la déraison, il a été favorable à la meilleure culture du sol.

Nous n'en saurions douter lorsque nous portons tour à tour nos regards sur le Pays-de-Vaud, avec sa noblesse plus nombreuse et plus rapprochée de la bourgeoisie que nulle part ailleurs, avec ses petites propriétés en grand nombre, avec son aisance ; puis sur la Savoie, sur ses grands domaines, sur leur culture négligée. Nous ne voulons pas généraliser au-delà du fait. Il est, nous voulons le croire, des conditions dans lesquelles la grande culture porte de meilleurs fruits ; il en est dans lesquelles elle est la plus favorable à la production de la richesse ; mais dans les conditions données où se trouvent les deux provinces, elle n'a pas produit ces effets. Il est entr'autres une circonstance qui n'a pu de moins que d'être malheureuse pour la Savoie. Les comtes y faisaient jadis leur séjour ; ils avaient à Chambéry leur résidence la plus ordinaire ; et c'est à Turin que se trouve aujourd'hui la cour. Les états des Ducs en Italie sont aujourd'hui la partie la plus riche et la plus importante de leur domination ; c'est en Italie qu'ils cherchent à s'agrandir encore ; c'est en Italie aussi que les nobles savoisiens vont chercher la cour, dépenser le meilleur de leurs revenus, et que quelques-uns ont été fixer leur demeure auprès du prince. Les Savoisiens propriétaires de fiefs ont dès lors habité moins leurs châteaux, donné moins de soins à leurs domaines, et leur or, ils le prêtent plutôt aux marchands de Lombardie, qui savent le faire valoir et en paient le 20, le 30 et jusqu'au 40 pour cent d'intérêt, qu'aux Savoyards agricoles, pauvres, ignorans du commerce, qui ne leur offriraient que le cinq pour cent du capital. Ainsi s'enrichit le Piémont et va s'appauvrissant la Savoie.

SOURCES.
Grillet, Dictionnaire historique de Savoie. - Costa de Beauregard, Histoire de Savoie. - Les Statuta Sabauditoe de l'an 1430 ; je ne sais s'ils se trouvent sans interpolations. - Quelques mots d'Olivier de la Marche sur la fécondité de la Savoie sous Amé VIII. - L'Amedoeus Pacificus du Père Monod. - Guichelion, Tom. IV. - Nos observations sont les déductions les plus naturelles d'un petit nombre de faits cités par tous les anciens historiens de la Savoie et reproduits par MM. Grillet, Dal Pozzo et de Costa. - Sur le taux élevé de l'intérêt en Lombardie, voyez Muratori en plus d'un lieu ; et sur le taux de l'argent, la gène du commerce et la mauvaise justice en Savoie, consultez les plaintes formulées dans les États de 1429 et 1528.

 





Table des matières

. * Genève a fait présent de ces volumes en 1754 au duc Charles Emmanuel III.

 

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