CHRONIQUE DE LA
QUINZAINE.
NOUVELLES DES
CANTONS.
La Diète des Ligues Suisses va de nouveau
se réunir à Baden. Les affaires de
Genève y seront une fois encore mises sous
les yeux des Confédérés.
Messieurs de Genève ont choisi pour leurs
ambassadeurs C. Savoie, Jean Lullin et G. Des
Clefs, qui ont été prendre à
Berne Ami Porral et se présenteront avec lui
devant les députés des Cantons. Les
ambassadeurs du Duc sont partis de leur
côté. On se demande, non sans quelque
anxiété, quelle est l'issue probable
de ce débat. Le fond de la querelle ne
change point.
La position des parties demeure
aussi la même depuis long temps. Nous avons
sous les yeux deux lettres adressées aux
Seigneurs de Berne, l'une par M. de Lullin,
gouverneur de Vaud, l'autre par MM. de
Genève. Les Genevois redisent leur triste
situation.
Leurs ennemis tiennent tous les
passages et font de continuelles approches.
Tantôt on les voit venir par la route de Gex,
tantôt par le chemin de Thonon.
Ils ont avec eux six pièces
de grosse artillerie. Les gentils-hommes de
Faucigny, aux belles casaques blanches, se tiennent
prêts à descendre au premier signal.
Genève supplie très humblement et
très affectueusement leurs Excellences
d'envoyer aide et secours à pauvres gens
perdus, qui s'offrent à elle et tout le
leur, à leur plaisir, pour les satisfaire. -
M. de Lullin s'assure de son côté que
MM. de Berne ne seront point assez
déraisonnables pour avoir à contre
coeur la personne de son redouté prince, ou
ses sujets, leurs bons voisins, pour chose dont ils
ne sont coupables ni consentans. Il les prie de
s'en prendre à l'Évêque seul,
à ses impériaux et à ses
Bourguignons. Que si quelques hostilités ont
été commises; si, par exemple, de la
marchandise appartenant à des Genevois se
trouve avoir été capturée sur
le lac par les gens de Nyon, rien, n'empêche
que les négocians lésés ne
suivent les voies de droit et ne fassent poursuite
selon les lois et coutumes du pays. Il n'a point
entendu dire que la défense de mener des
vivres à Genève ait été
renouvelée.
On le voit la question en est
restée aux mêmes termes. Mais est-il
peut-être survenu quelque changement dans la
situation des Cantons? Entrons à ce sujet
dans quelques détails et essayons de rendre
l'état de la Confédération
à l'intérieur, depuis les jours de la
bataille de Cappel.
Zurich, par le traité de paix
qui suivit cette guerre malheureuse, se soumettait
à laisser les cinq cantons catholiques
« dans la pleine possession de la
véritable foi chrétienne, sans les
troubler par des arguties ou des disputes; et sans
attaquer ce qui est inattaquable. » Elle
avait, le coeur dans le deuil, signé cet
engagement. Il lui restait à payer avec
Berne les frais de la Guerre.
À Berne, la caisse de
l'état était épuisée.
Le crédit de Zurich était
tombé si bas qu'elle ne trouva à
emprunter ni à Bâle ni à
Strasbourg. Les deux villes jetaient de tristes
regards sur leur humiliation et sur leurs portes.
Celle qui avait couru au combat reprochait à
l'autre ses lenteurs et sa conduite
équivoque ; Berne à son tour accusait
de tous ses malheurs la précipitation de
Zurich. Les sujets des deux républiques
faisaient entendre des plaintes amères sur
la conduite des gouvernemens et sur celle des gens
d'Eglise. Tels étaient pour les cantons
réformés les résultats de la
guerre.
Les catholiques au contraire
contemplaient ces résultats en poussant des
cris de victoire. Ils usaient largement du droit du
vainqueur et rétablissaient en tous lieux
leur culte dans les bailliages communs. Moines et
religieuses de rentrer dans les cellules
abandonnées de Rheinau, de Wettingen,
d'Einsidlen et de Mouri. La restauration ne
rencontrait pas de résistance. Un
traité de combourgeoisie unissait les villes
réformées entr'elles ; elles furent
contraintes de le livrer; on nous raconte qu'un
jour les députés des cinq Cantons
parurent en diète portant à leur
ceinture les lambeaux de ce traité et que
les envoyés des villes humiliées
furent réduits à dévorer cet
affront.
Voilà donc la Suisse
brisée en deux camps et dans l'un de ces
camps habite la confiance, dans l'autre
l'inquiétude et la timidité.
Cependant un fait n'a pas tardé à se
faire jour dans les cantons
évangéliques, c'est le
témoignage de l'attachement du peuple
à la réformation. Les populations,
parmi les plaintes qu'elles ont
proférées, ont toujours
réservé l'Évangile. «
Entendez-nous bien, ont dit les paysans zuricois
à leurs Seigneurs, aucun de nous ne songe
à se départir de la Parole de Dieu.
» Les campagnards bernois ont fait la
même profession.
Cette semence divine n'est donc pas
sans avoir jeté dans les coeurs des racines
plus ou moins profondes. Les villes de Berne, de
Bâle et de Zurich ont à la fois
appelé Bullinger, le plus distingué
des prédicateurs de la foi nouvelle,
à venir remplir la place de leur premier
pasteur; on sait qu'il a choisi Zurich et qu'il y
tient honorablement le lieu qu'occupait Zwingli.
Sur le bruit répandu
qu'Ennius, le légat du St-Siège,
avait offert aux Zuricois d'acheter son retour dans
leurs murs, en leur payant leurs pensions
arriérées, tout le peuple du canton
s'émut, et le Conseil crut devoir dissiper
ces craintes par un mandat qui témoignait de
son attachement inébranlable à la
réforme. La reconnaissance des bourgeois et
des paysans pour la révolution accomplie et
pour les bienfaits qu'elle leur a procurés
pouvait donc être considérée
comme un fait certain, et ce fait, les gouvernemens
s'en sont prévalus. Ils se sont
adressés à leurs sujets avec
fermeté, avec douceur, avec espoir. Ils leur
ont parlé ce langage auquel le peuple est
toujours prompt à croire. Peu à peu
les esprits se sont relevés. La confiance de
la nation fait la force des cités
républicaines.
Les villes ont reconnu à des
signes non équivoques qu'elles avaient
recouvré celle de leurs ressortissans.
Bâle avait été contrainte, en
1525, par les paysans révoltés de la
campagne, à les affranchir de la servitude;
les paysans viennent de lui offrir leur soumission
et de rentrer volontairement sous le joug. Les
villes de Berne et de Bâle ont fait de
nouveau, le 5 novembre 1533, une alliance
particulière. Berne et Zurich ont repris
dans les diètes leur attitude et leur
langage accoutumé. L'équilibre semble
être rétabli entre les deux partis qui
divisent la Confédération.
Néanmoins, il faut le dire, les
réformés ont, dans plus d'une
occasion, laissé voir que des traces de
crainte sont demeurées attachées
à leurs esprits. Leur conduite dans les
affaires de Soleure suffirait à le montrer.
Entrons sur les
révolutions de cette ville dans quelques
détails.
Les catholiques soleurois n'avaient
pas vu sans une vive douleur le contingent du
canton grossir les rangs des réformés
dans les jours de la guerre de Cappel ; mais
jusqu'à la conclusion de la paix, ils
avaient contenu leur ressentiment. Ils
éclatèrent alors en mouvement
tumultueux. La messe fut rétablie dans
l'église de St-Ours, la demeure du pasteur
réformé fut livrée au pillage,
et l'officier qui avait commandé le
contingent soleurois fut, sans l'avoir
mérité, accusé de
sacrilège.
Sur ces entrefaites, les cinq
cantons laissèrent à Soleure le choix
d'acheter la paix 800 couronnes ou d'abolir le
culte réformé. Le dernier de ces deux
partis fut celui vers lequel se porta la multitude
; les citoyens les plus éclairés et
les meilleurs plaidèrent vivement pour le
premier. Pressé d'une et d'autre part le
Conseil fut long-temps à hésiter. Un
homme sage, humain, libre de
préjugés, l'avoyer Wengi,
était à la tête de la
république. Il fut près d'amener les
esprits dans une voie qu'il espérait faire
agréer aux cinq cantons par l'intervention
de l'ambassade française; c'était de
laisser aux réformés la charge des
800 couronnes à payer et de leur
concéder en échange le libre exercice
de leur culte. Mais la violence l'emporta sur ces
nobles intentions.
Les catholiques redoublant de
menaces contraignirent les amis de
l'Évangile à transporter hors des
murs le lieu de leurs assemblées. Dans le
même temps il arriva à Soleure un
moine fribourgeois, fameux par le
débordement de ses moeurs et par son
fanatisme; le père Jérôme
montra à ses auditeurs enflammés le
Sauveur du monde pleurant sur la profanation de ses
autels; il sut si bien accroître leur
exaspération que les réformés,
désespérant de la possibilité
d'un rapprochement, ne songèrent plus
qu'à conquérir par
l'épée la reconnaissance de leur
droit ; ils résolurent de s'emparer le 30
octobre, à midi, des portes et de l'arsenal,
et de ne déposer les armes qu'après
que le libre exercice de leur culte leur aurait
été garanti. Mais l'avoyer, instruit
de leur dessein deux heures avant celle où
ils devaient l'exécuter, se hâta de
faire retarder l'horloge de la ville et d'appeler
à lui quelques-uns des membres du Conseil.
Les réformés, quelque
peu déconcertés,
s'assemblèrent néanmoins devant
l'arsenal. Les catholiques coururent se ranger
vis-à-vis d'eux. Alors Wengi, passant d'un
rang à l'autre, et ne se lassant point de
faire entendre aux deux partis la voix de la patrie
et de la modération, les conjura de poser
les armes et de remettre au grand Conseil le soin
de leurs intérêts; ils lui promirent
de le faire. Bientôt cependant les
réformés, en proie au repentir et
à la méfiance, se rallièrent,
rompirent le pont de l'Aar, et se jetèrent
dans les faubourgs. Dès ce moment la fureur
de leurs adversaires ne connut plus de bornes ; ils
envahirent l'arsenal, traînèrent
l'artillerie au bord du fleuve, et
déjà ils avaient lancé un
premier boulet à la rive opposée,
quand l'avoyer accourut. Une seconde pièce
allait faire feu ; Wengi se précipita
à la bouche du canon en s'écriant :
« Je serai le premier que vous frapperez.
Regardez à deux fois à ce que vous
faites (1*)
» La multitude recula étonnée;
elle se dissipa et le reste du jour fut tranquille.
Le grand Conseil s'assembla le
lendemain. Il invita ceux de ses membres qui
professaient la religion réformée
à venir prendre part à ses
délibérations ; mais ils se
refusèrent à siéger. On fit ce
qu'il était possible de faire pour
empêcher l'éruption de nouvelles
hostilités. Le soin de travailler à
une pacification fut confié à une
commission, dans laquelle on fit entrer les
habitans de la campagne. La commission entra en
pourparler avec les réformés et avec
les envoyés accourus de
toutes les parties de la
Confédération. Mais tandis qu'elle
poursuivait sa tâche, on eut le temps de
reconnaître l'attachement de la grande partie
du peuple à ses croyances d'habitude ; le
nombre des réformés se
réduisit encore par la défection ; il
ne se composa bientôt plus que d'une
poignée d'hommes fermes et
persévérans. Alors on ne songea plus
à employer envers eux d'autres moyens que
ceux de la sévérité ; on leur
imposa de fortes amendes, et l'on finit par les
contraindre à choisir entre leur patrie et
leur foi. Les suites de cette mesure furent
beaucoup de malheurs domestiques et
l'émigration de plus de soixante et dix
familles. C'est le prix que Soleure a donné
pour rentrer sous le joug, de l'Église
romaine ; quelques communes du bailliage de
Boucheckberg, sur lesquelles Berne avait le droit
de haute justice, demeurèrent seules
attachées à la réforme. Les
efforts des Soleurois pour introduire par la
violence la messe dans ces communes sont
restés vains jusqu'à ce
jour.
« Voilà l'oeuvre de
notre politique, S'est écrié avec
douleur le bon Haller, le digne pasteur de Berne,
à la vue de ces résultats. Nous
recueillons ce que nous avons semé. »
Haller, l'homme de paix et qui s'est montré
tel en toute rencontre, eut voulu voir Berne
soutenir à Soleure la liberté de
conscience et déployer pour l'y maintenir
une vigueur qu'elle n'a pas montrée. Toute
l'intervention de Berne s'est bornée
à l'envoi de fréquentes
députations. Les envoyés ont
semé des paroles conciliatrices, ils ont
fait aux réformés de belles
promesses; ils cherchaient encore à les
rassurer à l'heure où la fuite
était devenue leur seul recours.
Le magistrat de Soleure expulsait
vingt-cinq pasteurs de la campagne, qui avaient
embrassé la réforme; il contraignait
les bourgeois d'ouïr la messe et jetait en
prison les évangéliques ressortissans
des cantons, que Berne continuait à ne
prêter à ses frères en la foi
d'autre appui que celui de faibles et trompeuses
paroles. Enfin n'espérant plus qu'en
eux-mêmes, non moins indignés contre
Berne que contre leurs concitoyens, quelques-uns
des réfugiés soleurois ont pris les
armes. De Buren, le lieu de leur refuge, ils ont
déclaré dans toutes les formes la
guerre à la ville de Soleure et ont
commencé les. voies de fait envers leurs
ennemis (1534). MM. de Soleure en ont fait grand
bruit. Ils venaient de s'allier intimément
avec Fribourg, et les deux villes étaient
entrées dans une étroite union avec
les cinq républiques du centre de la Suisse.
Plus d'une fois déjà
tous ces cantons avaient couru aux armes, sur des
bruits répandus que Berne avait
embrassé la cause des réformés
soleurois. Forts de leurs alliances, MM. de Soleure
demandèrent hautement que les
réfugiés fussent cités
à Baden devant la diète des
Confédérés. - « Nous ne
comparaîtrons point,
déclarèrent-ils, nous nous sommes mis
sous la protection de Berne, c'est à Berne
seule à nous juger ; que si nous sommes
coupables à ses yeux notre vie lui
appartient. »
Les seigneurs de Berne
approuvèrent cette réponse. La
demande de Soleure les avait blessés dans le
sentiment de leurs droits et de leur
souveraineté. Mais en même temps
qu'ils offraient aux réfugiés de leur
faire justice, ils leur faisaient dire de
s'abstenir de toute violence, s'ils ne voulaient
voir Berne renoncer à les protéger.
Ils envoyaient dans le même temps des
députés dans les diverses parties de
leur canton, avec la mission d'instruire leurs
sujets du véritable état des choses,
de leur faire approuver leur ligne de conduite et
de s'assurer de leur affection. Dès ce
moment, les malheureux réfugiés
soleurois ont perdu pour la plupart l'espoir de
rentrer d'un long temps dans leurs foyers.
Plusieurs d'entr'eux remettant à Dieu
l'avenir, ont cherché une patrie nouvelle
dans les cantons voisins, à Berne, à
Bâle, à Neuchâtel. D'autres
n'ont point ployé leur coeur. On cite les
deux Rockenbach, Henri d'Arx et Jean Houbler. Ils
ont osé, au nombre de neuf qu'ils sont,
renouveler la déclaration de guerre faite en
forme à la ville de Soleure, et ils lui ont,
le 5 août dernier, envoyé un cartel,
signé des neuf pauvres hommes, à qui
justice est refusée
(2*). »
Soleure a porté la chose devant les Cantons.
Et pendant qu'on la négociait les neuf
malheureux, chassés de lieu en lieu,
privés de toute protection, se sont vu
arrêter et jeter dans les prisons de Buren.
On dit aujourd'hui que Soleure, cédant aux
sollicitations de Berne, consent à leur
rendre leurs biens et à mettre par cette
concession un terme à une lutte, qui a
été bien près
d'entraîner dans une nouvelle guerre les
peuples de la Suisse
(1b).
J'ai cru vous devoir ces
détails sur les affaires de Soleure. Elles
m'ont paru de nature à vous faire voir
l'intérieur de la
Confédération et à
caractériser l'état de choses au sein
duquel la diète de Baden vient de s'ouvrir.
.
NOUVELLES
DIVERSES
FRANCE. Leurs Majestés le roi de France
et la reine de Navarre viennent de visiter les
provinces du Midi. La reine voyage volontiers dans
une litière couverte de velours noir, et
chaque mulet de la litière est monté
par un page d'honneur. Elle reçoit à
son lever les femmes d'État (de
qualité) et elles l'accompagnent au sermon
qu'elle fait dire à son chapelain. Le Roi
sème les grâces et impose les charges
tour à tour selon son bon plaisir. D'un mot
il a déclaré tous les
héritages ruraux du Languedoc soumis aux
tailles, qu'ils fussent à gens d'Eglise,
à nobles ou à conseillers. D'un autre
mot il a déclaré la chasse permise
à tous non nobles du Languedoc.
À Lyon, une taxe
extraordinaire de 5 écus par tonneau de vin
a excité une violente sédition. Le
peuple qui souffrait déjà de la
charté des vivres, s'est porté aux
magasins de plusieurs marchands et les a
pillés. Le commandant militaire, et les
magistrats, pour tranquilliser la populace, non
seulement lui ont fait les plus belles promesses,
mais ils ont fait ouvrir de force les magasins des
plus riches commerçans et vendre leurs
denrées à vil prix. Cependant le
sieur de Boutières s'approchait avec des
troupes, et une fois entré dans la ville, il
a envoyé au supplice ceux qui lui avaient
été dénoncés comme les
chefs des séditieux.
La faculté de
théologie de Paris fait ses efforts pour
rendre vaine la résolution du Roi, de faire
venir Mélanchton en France. Elle a fait
paraître un traité destiné
à prouver « qu'on ne doit point
disputer avec les hérétiques. »
En même temps elle a écrit à Sa
Majesté pour la prier d'engager les
protestans d'Allemagne à donner par
écrit les articles de leur doctrine. Le Roi
leur a fait remettre les douze articles
envoyés par Mélanchton, qu'ils sont
fort occupés à réfuter. Les
yeux de Messieurs de la Faculté sont devenus
si exercés à découvrir
l'hérésie, qu'ils viennent de la
surprendre chez le Pape; un livre de prières
que l'on attribue à sa Sainteté, et
un Bréviaire approuvé par elle, et
duquel ont été retranchées
plusieurs histoires qui paraissaient mal
fondées, sont aujourd'hui soumis au
sérieux examen de l'Université.
(2b)
ALLEMAGNE. Mélantchon
ira-t-il en France ? - Luther le souhaite et presse
l'Électeur de le laisser partir.
L'Électeur croit avoir de bonnes raisons
pour ne pas permettre ce voyage. On dit en France
que le Roi n'y songe déjà
plus.
Ses envoyés continuent
cependant de travailler l'Allemagne ; Henri
VIII de son côté s'offre pour chef aux
protestans, et Verger propose un concile à
la chrétienté. Luther, invité
par l'Électeur à lui dire sa
pensée sur cette dernière
proposition, a répondu en peu de mots.
« Je suis Thomas l'incrédule, et ne
croirai à un concile chrétien que
quand je le toucherai de mon doigt. Que si l'on
songe sérieusement à une convocation,
le lieu ne m'importe; tout ce que je sais c'est que
j'ai dès long-temps mérité d'y
être brûlé par les saints qui
s'y rassembleront. »
- Vous souvient-il de Jean de Leyde,
du prophète de l'anabaptisme? Sa
fierté s'était quelque temps
conservée dans les fers. À la
question de l'évêque de Munster :
« de quelle autorité as-tu agi ? - et
toi, a-t-il répondu, interrogeant
l'évêque a son tour, des quelles
autorité prétends-tu que cette ville
t'appartient ? - Le chapitre m'avait élu, le
peuple m'a accepté. - Et moi, dit Jean de
Leyde, Dieu m'a destiné à commander
à la terre et les vrais fidèles m'ont
reconnu comme son envoyé. » - Peu de
jours après il offrait à
l'évêque, s'il daignait lui faire
grâce, de s'employer à ramener
à l'obéissance les anabaptistes de
l'Allemagne et de la Hollande. Il descendait
même plus bas : « Faites-moi enfermer
dans une cage et qu'on me promène en tout
lieu en me faisant voir pour un liard seulement ;
par ce moyen vous amasserez plus d'argent que je ne
vous ai fait de dommage. » - 0 coeur de
l'homme! Tant de bassesses se cache-t-elle sous
tant d'orgueil?
(3)
CANTONS SUISSES. - Bâle.
Calvin a quitté Bâle. Il se rend en
Italie auprès de la duchesse de Ferrare.
Chose à remarquer, on ne sait pas à
Bâle qu'il soit l'auteur du livre qui
commence à faire tant de bruit. Il part,
j'ai lieu de le croire, pour fuir sa
renommée. « Je suis tout ébahi,
disait-il à un intime ami, que ceux qui ont
quelque désir de la pure doctrine se rangent
à moi pour apprendre, combien que je ne
fasse quasi que commencer moi-même. Et voyez
un peu ce qui m'arrive; moi qui, étant d'un
naturel sauvage et honteux, aime requoy et
tranquillité, je vais toujours cherchant
quelque cachette où me retirer des gens;
mais tant s'en faut que je vienne à bout de
mon désir, que toutes retraites et lieux
à l'écart me deviennent écoles
publiques. Et cependant que tout mon but est de
vivre privé sans être connu, Dieu me
promène et me fait tournoyer et,
maugré mon naturel, il me produit cri
lumière et me l'ait venir en jeu, comme l'on
dit. (4)
»
Zurich. On nous fait part d'une
fête qui vient de réunir de nombreux
officiers Bernois et Zuricois. Deux des plus
généreux amis de la cause
évangélique, les baillis Haller de
Lenzbourg et Lavater de Kybourg, voyaient avec
peine les deux premiers cantons
réformés divisés par la
méfiance ; ils ont provoqué cette
réunion. Des officiers bernois, la plupart
d'Argovie, se sont rendus en grand nombre à
Zurich; ils y ont trouvé vin d'honneur,
hospitalité et réception cordiale.
Lavater les a accueillis ensuite dans son
château de Kybourg, - Ils ne sont
retournés à leurs foyers, que pour y
aller raconter ce qu'ils y ont trouvé de
fraternité chez leurs frères et bons
voisins les confédérés de
Zurich.
(5)
Fribourg. Il faut savoir que
l'auberge de la Sauge (à l'embouchure de la
Broye) a été vendue le 30 mars 1534,
avec le droit de pêche, pour le prix de 1300
couronnes. Or le nouveau propriétaire est de
la religion réformée. Et comme
relativement à la justice cette auberge,
bien que sur terre de Morat, est du ressort du duc
de Savoie, le bailli de Cudrefin contraint
l'aubergiste à assister à la messe,
avec ses domestiques et sa servante. C'est ce dont
plainte vient d'être faite au conseil de
Morat. Le Conseil, ne voulant pas s'adresser
à l'avoyer de Morat, Jacob Scheuwli, qui est
de Fribourg, a demandé des directions
à Berne.
Les moines de Payerne se montrent
très-souvent à Fribourg. Monseigneur
l'évêque y est aussi venu plusieurs
fois cette année. Il supplie qu'on ne laisse
pas chômer ses affaires et que les mutins du
clergé soient forcés d'assister aux
convocations. Il craint que ses sujets ne suivent
l'exemple de ceux de Genève. Il prie le
conseil de punir avec soin « les mauvais
garnemens qui mangent de la
viande. » Sur ses observations, on n'a pas
encore renouvelé l'alliance avec la ville
d'Avenches qui souffre l'hérésie dans
ses murs. On ne permet point de propos
irrévérens contre la sainte Vierge;
un Fribourgeois qui s'était rendu coupable
de ce délit a été
invité à choisir entre la prison, une
amende de 20 florins ou 14 jours d'exil.
Les Valaisans nous promettent bon
secours. On leur a envoyé en don de la
poudre à canon.
Le Conseil vient de faire cadeau
à la chapelle de Notre-Dame-des-Hermites,
d'un chandelier de cuivre, aux armes de
l'État, qui a coûté 21 florins
4 batzen. C'est un ex-voto à l'occasion de
la réforme, dont la ville et le pays ont
été préservés par
l'intercession de la glorieuse vierge Marie. Les
députés de Fribourg en informeront
ceux de Schwytz à la Diète de
Baden.
La fréquence des querelles,
qui deviennent souvent sanglantes, a conduit
à porter la loi (du 2 septembre) qui punit
la provocation au duel, d'un exil d'un mois et
d'une amende de 10 livres.
Des gens d'Yvonand viennent se
plaindre d'avoir été punis pour avoir
assisté à la messe dans un village
voisin. On les appuiera.
Plusieurs citoyens de cette ville
partent pour aller en pèlerinage à
St-Jaques-de-Compostelle.
Ainsi, l'on chemine à
Fribourg (6).
- SOURCES.
- .
- 1b Recès des
diètes. - Registres du Conseil de
Genève. Archiv. de Berne, Welsche-Missiv.
Bucher. - Meyer's, Schw. Geschichte. Tom. I. -
Gloutz-Blotzheim, essai sur la tentative
d'introduire la réforme à Soleure.
- Bottinger, Continuation de Muller. Tom. Il. -
Kirchoffer, vie de Haller. - Stettler, Tom. II -
Ruchat.
- .
- 2b Ferronii Ann. VIII. Ann.
d'Aquitaine, V. page 140. Fleury contin. XXVII,
page 525 et suivantes.
- .
- 3 Lettres de Luther. Fleury.
Ott, hist. anab. Sleidan.
- .
- 4 Préface au
commentaire de Calvin sur les psaumes.
- .
- 5 Stettler II page
74.
- .
- 6 Archives de Fribourg, de
Morat et d'Estavayer.
.
UN EXTRAIT DU
LIVRE DE L'INSTITUTION
CHRÉTIENNE.
Le livre de Calvin est, comme nous l'avons dit
un large résumé de la doctrine
évangélique. Si nous jugeons bien, il
va devenir pour les réformés ce
qu'est le Maître des sentences pour les
catholiques romains, le canon de leur doctrine et
de leur discipline. La jeunesse en fera son
étude, les générations qui
viendront y chercheront leur aliment, et la
postérité sera tentée de
répéter ce qu'un homme de lettres
vient d'écrire :
« Oncques on n'a mieux dit,
dès les grandes années où
saint Paul écrivit ses pages
inspirées. »
L'ordre suivi par Calvin est celui du symbole
des Apôtres. Dans six chapitres il traite de
la loi, de la foi, de la prière, des
sacremens, des sacremens des papistes, et de la
liberté chrétienne. Je ne sais ce qui
frappera le plus les lecteurs, de la hauteur
spéculative à laquelle
s'élève Calvin, de la clarté
de la déduction logique ou du
caractère pratique empreint à toute
son oeuvre. Le dernier trait surtout m'a paru digne
d'être remarqué. Les dogmes dans
l'Institution sont toujours
considérés comme principes. Leurs
applications ne sont point adressées d'une
manière vague à l'Eglise
chrétienne en général, mais
elles sont toutes rendues personnelles.
Aucune branche qui ne porte son
fruit. Des profondeurs de l'argumentation
jaillissent chaque fois une série de
leçons utiles. L'article qui roule sur la
prédestination n'est pas moins fécond
que celui dans lequel se déroulent les lois
morales du décalogue. Jamais de doctrine
quiescente, jamais de prise laissée au
sommeil, jamais de vérité
posée par l'intelligence qu'un long
enchaînement de conséquences n'en
sorte à la gloire de Dieu et pour la paix
des fils des hommes. C'est ce que les quelques
extraits suivans ne serviront que bien
imparfaitement à faire comprendre. Comment
caractériser par des extraits ce dont le
premier mérite est dans l'ordre,
l'enchaînement et la force argumentative des
déductions logiques.
La justification de la foi opposée
à celle des oeuvres.
« Comme la plupart des hommes
imaginent je ne sais quelle justice composée
de foi et d'oeuvres, je veux montrer que la justice
de la foi diffère si fort de la justice des
oeuvres que si l'une est établie, il faut
nécessairement que l'autre soit
renversée. Paul dit aux Philippiens, «
que tout lui semble une perte au prix de
l'excellence et de la connaissance de
Jésus-christ son Seigneur, pour l'amour
duquel il s'est privé de toutes choses et
les regarde comme des ordures afin qu'il gagne
Christ et qu'il soit trouvé en lui n'ayant
point une justice qui lui fût propre et qui
fût venue de la loi; mais celle qui
naît de la foi en Jésus-Christ et qui
vient de Dieu par la foi. »
Nous voyons ici qu'il les oppose
comme des choses contraires, et montre qu'il faut
que celui qui veut obtenir la justice de
Jésus-Christ abandonne de
nécessité la sienne propre.
Que si en établissant notre
justice, nous rejetons la justice de Dieu, il faut
nécessairement pour obtenir celle-ci que
l'autre soit abolie. C'est aussi ce qu'il entend,
quand il déclare que « le sujet de nous
glorifier n'est pas exclus par la loi des oeuvres,
mais par la loi de la foi. » D'où il
suit que tandis que quelque portion de justice
demeure en nos oeuvres, il nous reste quelque
prétexte de nous glorifier. De sorte que si
la foi exclut toute matière de gloire, la
justice de la foi ne saurait aucunement subsister
avec la justice des oeuvres. Il fait voir cela dans
le quatrième chapitre de
l'épître aux Romains de manière
à ne laisser lieu à aucune
cavillation. « Si Abraham, dit-il, avait
été justifié par ses oeuvres,
il aurait eu de quoi se justifier. » Or
ajoutant incontinent qu'il n'a pas eu de quoi se
justifier, il s'en suit qu'il n'a point
été justifié par ses oeuvres.
Il use ensuite d'un autre argument pris des
contraires, disant, que «
quand la récompense se donne à
quelqu'un pour ses oeuvres, elle ne lui est pas
imputée comme une grâce, mais comme
une dette. » Or la justice est donnée
à la foi comme une grâce ; il s'en
suit donc que cela ne vient nullement du
mérite des oeuvres. C'est donc une pure et
vaine imagination de se figurer une justice
composée de foi et d'oeuvres tout ensemble.
»
Le prix des
oeuvres.
« Il suit que les oeuvres, pour
être mises à leur juste prix, doivent
tirer leur estime plutôt de l'approbation de
Dieu que de leur propre mérite. Car qui
osera se vanter de quelque justice avec Dieu,
à moins qu'il ne l'accepte ? Qui osera lui
demander une récompense à moins qu'il
ne l'ait promise ? C'est donc par la
bénignité de Dieu que les oeuvres
sont dignes et du titre de justice qu'on leur
attribue, et de la récompense qui leur est
donnée; comme en effet toute la valeur des
oeuvres est fondée sur ce point que l'homme
se propose en les pratiquant de donner à
Dieu des témoignages de son
obéissance.
» C'est vainement qu'on
allégue, recourant à une
subtilité, que nous sommes justifiés
par la seule foi qui opère par la
charité, voulant signifier par là que
la charité sert d'appui à la justice.
Nous confessons bien avec St-Paul (Galates 5, 6)
que nulle autre foi ne justifie que celle qui est
unie à la charité. Mais elle
n'emprunte point de la charité la force
qu'elle a de justifier; et elle ne justifie
même par autre raison, que parce qu'elle nous
introduit dans la communion de Jésus-Christ,
pour nous faire participans de sa justice.
Autrement ce serait renverser le raisonnement de
l'apôtre, qu'il presse avec tant de
véhémence dans le 4e aux Romains,
quand il dit, « que la récompense n'est
pas donnée à celui qui fait quelque
oeuvre, comme une grâce, mais comme une chose
due; mais que pour celui qui n'opère point,
et qui croit simplement en celui qui justifie le
pécheur, sa foi lui est imputée
à justice. » Pourrait-il s'exprimer
avec plus d'évidence qu'en parlant de la
sorte ? C'est qu'il n'y a nulle justice par la foi,
si ce n'est lorsqu'il n'y a point d'oeuvres, et que
la fin n'est imputée à justice que
lorsque la justice nous est donnée comme une
grâce et non pas comme une chose due.
»
L'origine de la fausse
confiance.
« C'est au ciel qu'il faut
lever les yeux pour apprendre plutôt à
trembler qu'à concevoir une vaine confiance
de nous-mêmes. À la
vérité lorsque chacun de nous
s'arrête à se comparer avec ses
prochains, il est aisé de nous figurer que
nous avons quelque chose que les autres ne doivent
pas mépriser. Mais lorsque nous venons
à nous élever à Dieu, cette
confiance disparaît et s'évanouit en
un moment. En effet, il arrive
précisément à notre âme
par rapport à Dieu ce qui arrive à
nos yeux par rapport au ciel. Car, pendant que
l'homme s'arrête à contempler les
choses qui sont autour de lui, il conçoit
une bonne opinion de la bonté et de la force
de sa vue; mais s'il tourne les yeux du
côté du ciel, et qu'il veuille
regarder le soleil, il sera si fort ébloui,
et tellement accablé de la lumière de
ce grand astre, qu'il reconnaîtra plus de
faiblesse dans sa vue, qu'elle ne semblait avoir de
force lorsqu'elle s'arrêtait aux choses
d'ici-bas.
Certainement la chose est telle.
Toutes les consciences bien exercées en la
piété trouvent que les
miséricordes de Dieu sont le seul et unique
asile du salut où l'on puisse sûrement
aspirer, quand il s'agit d'entrer en compte avec
Dieu. Car si les étoiles qui semblent si
claires et si lumineuses durant les
ténèbres de la nuit, perdent toute
leur lumière à la venue du soleil,
que devons-nous penser de la plus parfaite
innocence que l'on puisse imaginer en l'homme,
lorsqu'elle sera comparée avec la
pureté infinie qui est en Dieu ? Ce sera
alors un examen merveilleusement
sévère, qui pénétrera
jusqu'aux plus secrètes pensées ;
qui, comme dit St-Paul, produira dans la
lumière ce qui est caché dans les
ténèbres, qui découvrira les
plus profondes pensées des coeurs, et qui
forcera la conscience, quoique dissimulée ou
réfractaire, à mettre en plein jour
les choses mêmes qui lui sont maintenant
échappées de la mémoire.
Là toute la pompe et toute l'apparence
extérieure des bonnes oeuvres, dont on fait
maintenant un si grand cas, se montrera vaine et
inutile. Il sera seulement question de la seule
sincérité du coeur. Ainsi toute
hypocrisie quelle qu'elle puisse être, non
seulement celle par laquelle ceux qui se
reconnaissant méchans dans le secret de leur
âme, se contrefont devant les hommes, mais
aussi celle par laquelle chacun se flatte devant
Dieu, toutes ces espèces d'hypocrisie,
dis-je, tomberont couvertes de honte et de
confusion, quoique maintenant elles soient
enflées d'orgueil et comme enivrées
d'arrogance.
» Ceux qui
n'élèvent point leurs pensées
à un pareil spectacle, peuvent bien
s'applaudir pour un moment et établir leur
propre justice d'une manière douce et
agréable, mais leur fantôme
s'évanouira tout incontinent devant le
jugement de Dieu. Ils se trouveront en cela
semblables à un homme qui, ayant fait en
songeant un grand amas de richesses, se trouve les
mains vides à son réveil.
Que bien plus heureuse est l'Eglise,
qui, selon l'expression d'un père
(St-Bernard), a des mérites sans
présomption et peut hardiment
présumer sans mérites. Elle peut
présumer d'autant plus hardiment qu'en le
faisant elle ne présume point, parce qu'elle
a une ample matière de se glorifier dans la
grandeur des miséricordes de Dieu.
La gloire rendue à
Dieu.
Il faut en ce sujet
considérer principalement deux choses, l'une
que la gloire de Dieu soit conservée et
maintenue en son entier, et l'autre que nos
consciences puissent jouir de repos et de
tranquillité, sans craindre son jugement.
Nous voyons combien de fois, et avec
quel soin, l'Écriture nous exhorte à
rendre à Dieu seul la louange et la gloire
lorsqu'il est question de la justice.
L'apôtre témoigne même que la
fin que Dieu s'est proposée en nous
conférant la justice en Jésus-Christ,
a été de faire paraître la
sienne propre. Puis il ajoute incontinent quelle
est cette manifestation, savoir qu'il soit lui seul
reconnu juste et justifiant celui qui a la foi en
Jésus-Christ. Par là ne voyons nous
pas clairement que la justice de Dieu n'est pas
mise dans tout son jour, s'il n'est seul
estimé juste et s'il ne communique le don de
la justice à ceux qui ne l'ont point
mérité ? Pour cette raison il
veut que toute bouche soit fermée et que
tout le monde se trouve condamnable devant lui,
parce que pendant que l'homme a de quoi se
défendre, la gloire de Dieu en est
diminuée à proportion.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . .
Certes la chose est telle. Jamais nous ne nous
glorifions véritablement en Dieu, à
moins que nous ne nous dépouillions de notre
propre gloire. Au contraire il faut poser cette
maxime comme constante et générale,
que quiconque se glorifie en soi-même se
glorifie contre Dieu. Car St-Paul dit, que les
hommes ne sont assujettis à Dieu, que
lorsque toute matière de gloire leur est
ôtée.
Et il ne faut pas que quelqu'un nous
réplique, que l'homme ne se glorifie point
lorsque sans orgueil il fait un aveu sincère
de sa propre justice. Car il n'est pas possible
qu'un semblable aveu n'engendre la confiance, et
que la confiance n'engendre la vaine gloire. Il
faut donc en parlant de la justice nous
ressouvenir, que nous devons toujours avoir cette
fin devant les yeux, que la louange en demeure tout
entière à Dieu, puisque pour faire
paraître sa justice, comme dit
l'Apôtre, il a répandu sa grâce
sur nous afin de montrer tout ensemble qu'il est
juste et qu'il justifie celui qui a la foi en
Jésus-Christ (Rom, III, 25). « C'est
par grâce, dit-il encore,
répétant la même chose, que
vous êtes sauvés, par le moyen de la
foi; et cela ne vient pas de vous, c'est un don de
Dieu. Cela ne vient pas de vos oeuvres, afin que
nul ne se glorifie. » (Ephes. II, 8).
Il faut conclure que l'homme ne peut
sans sacrilège s'attribuer la moindre
portion de justice, puisqu'il ne saurait le faire
sans rabaisser, ou sans amoindrir la gloire de la
justice de Dieu. »
(1c).
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