Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.

LE RETOUR D'ITALIE.

Le retour d'Italie
Pays helvétiques:
Les députés de Genève en Diète et à Berne
Claude Savoie à Neuchâtel
Enrôlemens à Lausanne
Nouvelles du soir. Communication particulière
La profession de foi politique de Maître Jean Calvin

Noms propres de cette page

- « Vois-tu le pied du voyageur presser le cheval et lui faire gravir au trot la montée? C'est lui, c'est mon frère! Béni soit Dieu qui le ramène. »
- « Ma soeur, mon ami, il n'est heure dans le voyage qui vaille l'heure du retour.
- « Comme il est couvert de sueur. »
- « Comme le voilà bruni par le soleil d'Italie!» - Ils ployèrent le genou, bénirent Dieu qui a mis au coeur de l'homme l'amour du foyer et de la patrie, qui l'a créé pour les affections aimantes et qui a attaché ses plus douces joies à l'accomplissement de ses premiers devoirs. Et bientôt ce fut à qui presserait de questions le voyageur.
- « Tu l'as vue cette Italie tant vantée. Surpasse-t-elle, comme on le dit, toutes les terres en beauté? Son sein est-il plus fécond, son air plus doux, son ciel plus azuré, ses lacs offrent-ils un miroir plus pur, entouré de plus de grandeur que les nôtres? Parle, qu'y a-t-il derrière ces Alpes qui vaille la fatigue et les périls qu'il y a à les franchir ? » -
- « L'oranger y fleurit, le myrte y croît en paix et le laurier y porte au ciel avec hardiesse son feuillage toujours vert. Je venais de passer le Pont du Diable couvert d'une poussière humide; j'avais franchi les sommets glacés de ce mont, roi de vingt autres montagnes et sur les flancs arides et déchirés duquel les limites de sept évêchés se rencontrent; une chapelle dédiée à St-Gotthard lui a donné son nom. Au sortir de la Vallée Tremblante je vis l'Italie et la voyais pour la première fois. Non, ceux qui l'ont appelée enchanteresse ne vous ont pas trompé. Représentez-vous un horizon agrandi, le soleil plus près, les couleurs plus vives, l'atmosphère embaumé, la poitrine se dilatant, l'âme agrandie, des sens nouveaux et je ne sais quel mélange de vivacité et de langueur, quelle suave volupté, quel calme, quelle ivresse, quelle poésie; toutes ces impressions je les ai connues le jour que j'ai rencontré et que j'ai salué l'Italie.

J'ai traversé ses riches plaines, je me suis confié à ses beaux fleuves et les flots élargis du Pô m'ont amené à la ville, le but de mon voyage. Ne vous figurez pas Ferrare et les cités de l'Italie semblables à nos villes d'en deçà des Alpes. Le peuple ingénieux qui les habite n'a pas nos goûts grossiers. Sa terre est mère du génie. Les toits s'élèvent sur le marbre. Sous le ciseau de l'artiste les pierres parlent et s'animent; d'innombrables statues rappellent la majesté de ceux qui ne sont plus et les yeux contemplent avec surprise des formes et une beauté qui ne sont pas de la terre. La langue non plus n'est pas inculte comme la nôtre; elle est harmonieuse et flexible. Des poètes la parlent.

Tout près de Ferrare on montre à l'étranger une maison que le goût à embellie; c'est celle qu'habitait encore il y a deux ans le grand poète, la gloire de l'Ausonie; j'ai vu le toit, j'ai vu les arbres sous lesquels l'Arioste a modulé ses chants. Ferrare, la majestueuse Ferrare avec ses poètes, ses théâtres, ses académies, ses bibliothèques, ses étudians nombreux venus d'Angleterre, de France, d'Helvétie ; Ferrare avec ses palais, ses jardins, avec ses princes illustrés et sa spirituelle cour m'a rappelé ces jours où les dieux, pour parler la langue des poètes, visitaient encore la terre et où les hommes rapportaient de leur commerce avec eux des souvenirs d'une grâce et d'une grandeur qu'ils n'ont plus. »

- « Achève, mon ami, car il est un trait qui manque à ton éloge de l'Italie. Dis-nous que l'homme peut s'y reposer sur l'homme et que la terre s'y confie au ciel. Fils des Alpes que nous sommes, nous ne savons nous imaginer le paradis où la charité de Dieu ne règne pas. »
- « Le dire commun, je le sais, représente l'Italie comme une femme perdue, rieuse, indifférente et vénale, enrichie par le trafic des choses saintes et qui, tout occupée d'intrigues et de plaisirs, a renoncé pour une vaine gloire à l'estime des peuples et à la vraie liberté. Écoutez toutefois ce que j'ai vu.

« Il est à la cour de Ferrare une femme de laquelle on ne peut approcher sans amour et sans admiration; c'est Renée, fille du roi Louis XII de France et l'épouse du duc Hercule. Je ne vanterai pas à cette heure ses manières élégantes et affables; je ne louerai point son esprit aimable, son grand amour des lettres, sa parfaite connaissance des classiques grecs et romains, ni ses libéralités répandues sur les savans.
Que vous importe de savoir qu'elle est versée dans les sciences abstraites; et pourtant elle s'est élevée jusqu'à l'astrologie, sur laquelle elle discourt hautement et aussi bien que le plus grave philosophe du monde.

Mais je ne vous parlerai que de sa religion et de ses vertus. Avant de quitter la France, la bonne duchesse Renée avait appris à connaître les saines doctrines dans la conversation de ces savans qui fréquentaient la cour de Marguerite, reine de Navarre. Arrivée à Ferrare, elle n'a pas tardé de se trouver dans le cas de leur prouver la sincérité de ses sympathies. Elle a accueilli à sa cour ceux d'entr'eux que la persécution exilait de France, et elle leur a donné hospitalité et protection.

On y voit Clément Marot, le poète gracieux et léger, qui aujourd'hui ne chante plus que les gloires du martyre; la princesse l'a fait son secrétaire (1*) Lyon Jamet, l'ami de Marot, n'a pas tardé à le rejoindre. Depuis peu de jours un nouvel exilé s'est présenté; on l'a annoncé sous le nom de Charles Heppeville; c'était maître Jean Calvin. Sa venue a fort réjoui et fort ému la duchesse, qui se plaît à l'interroger sur les choses les plus graves et à prolonger avec lui de doctes et pieux entretiens.
« Fatale curiosité, disent les courtisans, qui peut coûter à la princesse le repos de sa vie; » d'autres la voyant si sereine, si sage et si accomplie se gardent d'ajouter foi à ces prévisions de malheur. Renée cependant voit tous les jours, grâces à son appui, à son exemple et au bon vouloir de Dieu, l'Évangile et les bonnes moeurs faire des progrès dans Ferrare.

Dans les académies plusieurs des savans professent les doctrines réformées. Dans la ville, des prédicateurs les prêchent. Deux frères, allemands d'origine, Kilian et Jean Sinapi, enseignent le grec aux trois filles de la duchesse et gravent dans leurs âmes les notions les plus saines de la religion (1**). Des personnes illustres viennent de jour en jour se ranger à la doctrine protestante, et les nobles italiens qui embrassent la foi réformée, pour ne pas s'exposer au danger que leur ferait courir la libéralité de leurs principes, se retirent volontiers à Ferrare sous la protection de la bonne duchesse Renée.

« Mais peut-être croirez-vous, après ce que je viens de dire, que Ferrare est le refuge de tout ce que l'Italie compte d'hommes éclairés et d'amis d'une réformation. Non, les germes d'un avenir meilleur se rencontrent dans plus d'un lieu. On cite plusieurs habitans de Modène parmi les correspondans de Luther.
Florence a donné le jour à Bruccioli, le traducteur des saintes Écritures en langue italienne. Elle est la patrie de Carneseca et de Pierre Martyr. Plusieurs de leurs concitoyens soupirent comme eux après la réforme et la liberté, et quelques-uns, désespérant d'obtenir jamais ces avantages dans le lieu de leur naissance, ont préféré à la servitude un bannissement volontaire et un exil sans ressource et sans espoir.

Bologne est toujours considérée comme une des premières des grandes écoles européennes. Les droits d'une liberté également ennemie du despotisme politique et des foudres du Vatican y sont hardiment proclamés, aujourd'hui même que ces droits sont tombés en désuétude et que les états d'Italie ne possèdent plus que l'ombre de leur ancienne indépendance.
Mollio est à Bologne le principal instrument de la propagation de l'Évangile; ce jeune professeur a saisi avec une grande clarté la vérité religieuse et ses talens littéraires lui permettent de la proclamer devant un auditoire nombreux.

À Imola un moine observantin encourageait son auditoire à gagner le ciel par ses bonnes oeuvres, lorsqu'il fut interrompu par un jeune homme qui s'écria : « Quel blasphème! la Bible ne nous dit-elle pas que le Christ a conquis le ciel par ses souffrances et par sa mort et qu'il nous le donne librement dans sa miséricorde ?» Alors une longue dispute s'éleva entre le jeune homme et le prédicateur. Poussé à bout par les répliques sensées de son jeune adversaire et par l'adhésion, marquée de l'auditoire, « Retirez-vous, jeune écervelé, s'écria le moine; vous êtes à peine sorti du berceau et déjà vous voulez décider, en matière de religion, ce que les plus instruits ne peuvent résoudre !

- N'avez-vous jamais lu ces paroles : « C'est de la bouche des plus petits enfans que Dieu tire sa gloire, » lui repartit le jeune homme. À ces mots le prédicateur, confus et irrité, descendit de chaire en menaçant son interlocuteur, qui fut en effet jeté en prison et y est encore.

« Sienne a donné le jour au plus éloquent des prédicateurs populaires de l'Italie. L'empereur Charles V a dit à haute voix, après avoir entendu le frère Ochino : « Cet homme ferait pleurer les pierres. »

À Pérouse il a été donné à Ochino d'éteindre les dissentions des habitans et de les amener à terminer leurs différends à l'amiable.

À Naples il a en une fois recueilli par son pouvoir de persuader 5000 écus pour une oeuvre de charité. Qu'il visite les palais des princes ou des évêques, jamais il ne voyage qu'à pied; il conserve en tous lieux la simplicité et l'austérité de son ordre; et cependant où qu'il arrive, le teint pâle et sa grande barbe descendant sur sa poitrine, il est toujours accueilli avec les honneurs dus aux personnages les plus distingués. Eh bien, Ochino prêche de jour en jour avec plus de clarté le simple Évangile de Jésus-Christ.
À Naples, les doctrines des réformés ont été apportées par les soldats allemands, qui, après le sac de Rome, forcèrent le général français Lautrec à lever le siège de cette ville, et y demeurèrent quelque temps en garnison. Elles sont aujourd'hui répandues par Valdès, espagnol, homme d'élan, de science et de politesse, et par le jeune et pieux Galeazzo Caraccioli, fils et héritier du marquis de Vico. Leurs doctrines, reçues avec chaleur dans la capitale, commencent à se répandre dans le royaume et dans la Sicile.

La petite république de Lucques compte peut-être plus de personnes converties à la foi réformée que nulle autre ville d'Italie. Elle le doit particulièrement aux travaux de Pierre Martyr. Ce florentin illustre habitait Naples; une épreuve de plusieurs années l'ayant convaincu que le climat de cette ville lui était contraire, il la quitta avec le consentement de ses supérieurs, les pères des chanoines réguliers de St-Augustin, et il fut nommé visiteur général des Augustiniens en Italie. Bientôt ceux-ci, mécontens d'une surveillance trop sévère et alarmés de la réforme qu'il songeait, avec le secours du cardinal Gonsague, à introduire dans leurs monastères, ne trouvèrent pas d'autre moyen, pour se débarrasser de leur fâcheux visiteur, que de le faire nommer prieur de St-Fridiano à Lucques. Ce poste est honorable et investit Martyr des pouvoirs épiscopaux.
Ses adversaires l'ont fait élire dans l'espoir qu'il serait mal vu dans ce nouveau poste, parce qu'il est florentin et qu'il existe une vieille animosité entre les citoyens de Lucques et ceux de Florence; mais il a su se conduire avec tant de prudence qu'il s'est fait bientôt estimer autant que s'il était Lucquois.
Il s'est occupé surtout de l'éducation des novices du prieuré. Il leur a inspiré l'amour de la littérature sacrée en leur donnant des professeurs dont il connaît la science et le zèle pour la vérité divine. Lui-même il leur lit le Nouveau-Testament et les Psaumes. Tous les savans de Lucques et beaucoup de patriciens assistent à ses leçons.
Il prêche aussi le peuple en public pendant l'Avent et le Carême. Au moyen de ces travaux, il s'est formé dans Lucques une église composée des hommes les plus considérables de la ville et qui font preuve d'une piété véritable et d'un sincère attachement à la foi réformée.

J'ai lieu de croire toutefois que de toutes les villes d'Italie Venise est celle qui favorise le plus la propagation des opinions nouvelles, et qui offre l'asile le plus sûr aux hommes que leur foi expose à la persécution. Venise est devenue opulente par le commerce, et pour attirer les étrangers dans ses Ports et à ses marchés, elle a cru devoir leur laisser plus qu'ailleurs la liberté du culte et de la parole.

Jalouse de son autorité, elle résiste aux empiétemens de la cour de Rome et a soin d'examiner toujours les édits du Vatican avant de les laisser publier ou mettre à exécution dans son territoire. Elle se distingue par le nombre de ses imprimeries, et pendant que partout ailleurs on cultive les lettres pour elles-mêmes ou pour flatter la vanité de ceux qui les protègent, elles sont encouragées à Venise comme une branche importante et féconde d'industrie et de trafic.

C'est à Venise que s'est imprimée la traduction de la Bible en langue vulgaire. Les livres protestans, allemands et suisses, sont confiés aux marchands vénitiens, qui les répandent dans toute l'Italie.

Les écrits de Luther se lisent dans Venise peu après leur publication. De cette ville ces écrits et ceux de Mélanchton, de Bucer, de Zwingli arrivent sous des noms supposés jusques au Vatican. Un jour le cardinal Séraphin racontait à ce sujet une plaisante histoire. Les Lieux communs de Philippe Mélanchton avaient été imprimés à Venise sous ce titre : Par Messer Ippofilo de Terra Negra. L'ouvrage ayant été approuvé à Rome, s'y est vendu librement pendant une année, et on l'a lu avec tant d'ardeur que, les exemplaires se trouvant épuisés, il a fallu en faire arriver de Venise une nouvelle provision. Dans le même temps un religieux franciscain, qui possédait une copie de l'édition originale, a découvert là ruse et dénoncé le livre comme une production luthérienne.
On a proposé de brûler le pauvre imprimeur, qui probablement n'avait pas lu un seul mot de l'ouvrage; mais à la fin on s'est contenté d'en brûler les exemplaires et l'affaire a été assoupie.

Les oeuvres de Zwingli circulent sous le nom de Coricius Cogelius. Le commentaire de Bucer sur les Psaumes se vend sous celui d'Aretius Felinus. Ainsi se répandent dans toute l'Italie les principes de la réformation.

Et je ne vous ai parlé ni de Paléario, qui enseigne à Sienne les doctrines nouvelles, ni de Fontana, le zélé serviteur de Christ à Locarno, ni d'Egidius à Côme, ni de beaucoup d'hommes distingués qui répandent l'Évangile à Padoue, à Trévise, à Bergame, à Brescia. Un allemand, nommé Sigismond, prêchait dans le diocèse de Vicence; le doge, voulant donner au pape une preuve de complaisance, vient de le livrer au vicaire-général de l'évêché.

Dans le Milanais, deux causes ont contribué à propager la réforme. La première est le voisinage du Piémont, où les restes des Vaudois persécutés ont trouvé un asile. La seconde est la situation incertaine du duché, durant les longues guerres de François 1er et de Charles V. Ces circonstances ont fait perdre de vue les efforts des protestans. Mais le pape, dans ces dernières années, s'est plaint à réitérées fois de ce que « des doctrines impies sont semées par des novateurs dans les religieux états de Milan, et de ce que, dans des assemblées formées de personnes distinguées des deux sexes, on s'entretient d'hérésies condamnées depuis long-temps par l'Eglise. » Dans le nombre de ces personnes distinguées il est un homme dont je ne puis taire le nom. Curione, né à Turin en 1505, a reçu dans l'université de cette ville l'éducation libérale à laquelle sa naissance lui donnait droit. Il est le plus jeune de vingt-trois enfans. À l'âge de neuf ans il est resté orphelin. Son père, en mourant, lui a légué une Bible écrite en beaux caractères, qu'il a lue avidement et à l'âge de 20 ans il s'était procuré les ouvrages des réformateurs. Ces livres ont allumé en lui un désir ardent de visiter l'Allemagne. Il est parti, et s'étant laissé aller dans son voyage à disputer sur les points controversés de religion, il a été arrêté par le cardinal évêque d'Ivrée. Cependant le cardinal ayant discerné son mérite a cherché à se l'attacher et l'a placé dans le prieuré de St-Benigno. Dans cette situation, Curion s'est occupé d'éclairer les religieux et de délivrer leurs esprits du joug de la superstition. Ayant un jour ouvert une châsse, placée sur l'autel de la chapelle, il en retira les reliques et y substitua une Bible avec l'inscription suivante : « Ceci est l'arche d'alliance, qui contient les oracles de Dieu et les vraies reliques des saints. » Cette action ne fut connue que dans une solennité où l'on découvrit la châsse, et le soupçon tomba sur Curion, qui fat obligé de s'enfuir et s'est retiré à Milan. Il y a épousé une dame de là famille des Isacio et s'y est fait un nom célèbre dans l'enseignement des belles-lettres (2*).

» Vous l'entendez, l'Italie n'est point morte à la foi et à la vertu. Elle porte dans son sein les germes, espérance d'un meilleur avenir. L'orage, il est vrai, gronde sur ces commencemens. Le pape devient attentif. L'Empereur à peine arrivé d'Afrique menace déjà de la voix la réforme et les libertés européennes. Le jour qui suit celui d'une victoire éclatante est d'ordinaire un jour de tyrannie. Le vainqueur se montre enflé de sa gloire, et ce moment est celui où les flatteurs l'entourent, plus nombreux, plus souples, plus perfides que jamais.

Charles s'avancera sous les arcs de triomphe et au milieu des fêtes que l'Italie lui prépare. Tout se courbera. Tout travaillera à lui dire que l'heure est venue d'asseoir sa toute puissance. Soliman est occupé au loin. il est à croire que le roi de France ne choisira pas, pour attaquer l'Empereur, l'heure à laquelle il reparaît avec toute sa force. Qui sait ? les deux princes portent une égale haine à tout ce qui met une limite à leur autorité ; ne les verra-t-on point s'allier pour mettre un frein à la réforme, pour combattre les droits des peuples et pour anéantir leurs libertés ? Le fait suivant est de nature à le faire craindre. Les premiers regards de l'Empereur après sa victoire se sont portés sur ses provinces héréditaires des Pays-Bas, où l'hérésie fait des progrès rapides et s'unit à un vif amour des libertés publiques ; sur l'Allemagne, qu'il menace de sa foudre ; sur Genève et sur les Cantons Suisses, auxquels il vient de signifier par lettres ses volontés. Qu'adviendra-t-il en ces circonstances de la réforme et de l'Italie ? Qu'espérer, que craindre ? Dieu sait toutes choses ......

- » Dieu sait et peut toutes choses. Ses noms sont vérité, justice, amour, et ces noms ne mourront point. Il a créé l'oeil, ne verrait-il pas ? Il a créé l'oreille, serait-il sourd au cri de nos détresses ? Que seulement les fils des hommes ne rendent pas vains les desseins de sa bienveillance à leur égard et le salut de Dieu se fera voir. Que Dieu te regarde en pitié, qu'il te couvre et qu'il te protège, noble et belle Italie. » (1)

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PAYS HELVÉTIQUES.

Les députés de Genève en Diète et à Berne.

Je ne sais broussailles où ne se laisse arrêter l'hydre aux treize têtes ; en d'autres termes je ne sais pas d'affaire si petite qu'elle ne puisse devenir de nature à occuper des années durant la Diète des Confédérés. Divisés comme le sont les Cantons par les intérêts, par la religion, par des haines que le sang versé dans une guerre civile n'a pas apaisées, tout ce qui touche aux passions qui les animent prend à leurs yeux un aspect de gravité et devient pour eux matière à différend. Combien, en cet état de choses, la querelle de Genève avec le duc de Savoie, dans laquelle de puissans intérêts se trouvent engagés, ne devait-elle pas paraître importante ! Combien ce différend paraissait propre à nourrir la longue inimitié des partis ! Il était à craindre, ainsi du moins jugeaient les hommes prévoyans et timides, que ce sujet ne devint pour la Suisse l'occasion de nouvelles hostilités ; et voici que la discussion qui s'y rapporte vient de se terminer en diète, et comme Genève et Berne eussent à peine osé l'espérer.

Les cantons catholiques les premiers se sont avoués vaincus de lassitude. « Ce débat durera-t-il toujours ? Cette question demeurera-t-elle toujours au recès, et chaque fois que nous nous réunirons en aurons-nous les oreilles fatiguées ? En parlant ainsi, les députés de Lucerne, Uri, Schwytz, Unterwalden, Zoug et Soleure ont fait un dernier effort pour obtenir de Berne et de Genève qu'elles se soumissent au décret de la diète de Lucerne ; et les voyant résolues à n'en rien faire : « Eh bien, se sont écriés les députés, nous sommes, nous, résolus à ne plus nous mêler de cette affaire. » Les cantons qui jaloux de la puissance de Berne, frémissent à la pensée de la voir songer à s'agrandir encore, se sont vus entraînés par cette détermination ; Ils ont consenti à ce que le silence fût gardé sur ce sujet, jusqu'à ce qu'ils aient reçu de nouveaux ordres de leurs seigneurs ; et d'une commune voix le grave différend a été rayé de l'ordre des objets qui doivent occuper, dans leurs assemblées, les députés des Cantons confédérés.

Cette résolution a porté la joie dans le coeur des députés de Berne et de Genève, qui se sont hâtés d'en faire part à leurs seigneurs. Les circonstances paraissaient de nature à amener un résultat bien différent.
Le Duc vient de s'épuiser en efforts. On savait que Charles V approche et que son beau-frère compte sur son appui. Une lettre de l'Empereur, en donnant avis aux Confédérés de son triomphe sur l'Afrique, les somme en même temps de pacifier les affaires de Savoie et de contraindre Genève à s'acquitter, comme elle le faisait anciennement, de ses devoirs envers la Majesté Impériale, le Saint Empire romain, le duc de Savoie et la personne de l'Évêque. Et cependant les Cantons se retirent et semblent renoncer à s'immiscer dans la querelle.

Que pouvaient attendre de plus heureux les députés des deux villes ? Aussi ceux de Genève se sont-ils, à leur retour à Berne, présentés pleins de confiance et d'espoir. Les seigneurs de Berne se sont montrés plus favorables que naguères. Ils ont parlé aux ambassadeurs de Savoie (Milliet, Piochet et Fontanel) sur un ton plus ferme qu'ils ne l'avaient fait dès long-temps. Ils les ont invités, pour bien de paix, à écrire incessamment à leur maître « de vider le château de Peney, d'accorder la liberté de commerce aux Genevois et de les laisser en repos. Que s'il ne le fait pas, la ville de Berne renoncera à son alliance et verra la conduite qu'elle a à tenir. »
Après s'être adressée en ces termes aux ambassadeurs de Charles III, Berne n'a pas eu le coeur d'aller plus loin. Pressée par les nouvelles instances de Genève de venir à son aide : « Nous ne le pouvons en ce temps, lui a-t-elle répondu.

Nous n'irons pas avec notre puissance. Mais si nos combourgeois de Genève lèvent pour leur défense des troupes auxiliaires, soit en Suisse, soit ailleurs, nous le verrons sans déplaisir. Que seulement ils ne fassent pas leurs levées dans notre canton. » C'est le genre de secours que l'on accorde à de faibles alliés lorsqu'on ne veut pas se compromettre avec de puissans voisins. N'ayant pu rien obtenir de plus, les envoyés de Genève sont rentrés dans leurs foyers. Un seul d'entr'eux, Claude Savoie, a cru devoir demeurer à Berne pour y veiller aux intérêts de ses concitoyens. Il reste, à l'entendre, un dernier moyen, duquel il puisse espérer le salut de sa patrie ; et ce il est résolu à le tenter.

Claude Savoie à Neuchâtel
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Un orage ne s'apaise pas en un instant, ni une révolution, comme celle qui a établi la réforme à Neuchâtel, dans l'année qui l'a vu naître. Tout bruit encore dans la principauté, sur les bords du petit lac et dans les Franches-Montagnes. Nous avons retracé les violences qui ont accompagné la réforme à Neuchâtel ; les premiers qui l'accueillirent étaient de jeunes hommes qui venaient de faire avec leurs combourgeois de Berne la campagne de 1530, pour la délivrance de Genève et la dispersion des chevaliers de la Cuiller. Ils avaient la générosité et l'emportement de leur âge. Qu'il s'agit de renverser des images, ou d'aller les armes en main prêter appui à la cause réformée, on les trouvait toujours prêts. Mais ils montraient plus d'ardeur à combattre le papisme et les erreurs de l'Eglise, qu'à s'enquérir des lois saintes et douces de l'Évangile pour en faire la règle de leurs coeurs. Il semble que l'oeuvre de la réforme ait, dans ces contrées, emprunté le caractère de l'homme qui la leur avait apportée. Si ces bons Jurassiens n'ont ni pas toute la foi et tout le désintéressement de Farel, ils ont au moins de son ardeur. Farel s'afflige le premier de ne pas trouver en eux l'humble et sage caractère du disciple de Jésus-Christ. La divine semence est tombée sur un sol âpre, rocailleux et couvert d'épines et les fruits les meilleurs ont de la peine à y mûrir. Tant plus se montre-t-il de ces fruits qui accompagnent. la conversion nouvelle : les courages sont prompts, les peuples ont de l'entraînement et il n'est rien qu'ils ne soient prêts à entreprendre au nom de Farel, de la réforme et des nouvelles libertés.

À Moutiers Grandval le peuple, après avoir embrassé tout entier la religion réformée, s'est emparée de l'église paroissiale par la force et a contraint les chanoines à se réfugier à Délémont. Berne a beaucoup de peine à obtenir des paroissiens qu'ils continuent de payer les dîmes aux chanoines, et des chanoines qu'ils pourvoient à la pension des ministres de la religion réformée.

Une ordonnance faite le 30 juin par les villes de Berne et de Soleure règle les droits des parties : elle ouvre au peuple le temple et le choeur et réserve la sacristie aux religieux ; relativement aux biens des pauvres, elle ordonne que comme du passé ils soient employés aux aumônes annuelles et ne puissent être détournés de cet usage.

Une amende de 10 livres bernoises serait la peine de celle des parties qui violerait la première cet arrêt. Les deux villes ont cru, par cette mesure, réussir à calmer la fougue des Jurassiens ; mais elles sont loin d'avoir atteint leur but et d'avoir apaisé les troubles qui agitent tout ce pays.

À Bienne, à la Neuville, à Morat, dans toutes les villes du petit lac l'agitation est moins vive ; la lutte y est terminée; mais tout s'émeut encore au nom de la réforme et des principes qui viennent de soulever puissamment les populations.
Il en est de même dans le Valangin. La pauvre comtesse Guillemette, affligée, confuse, s'est retirée à Gézard, dans un de ses domaines. Le lieu est solitaire; elle n'y a point à supporter un spectacle qui lui brisait le coeur. Jamais elle n'eût douleur plus grande, ni le jour qu'elle a vu descendre dans la tombe CI. de Valangin son époux (3*), ni celui où elle a perdu Louise, femme du duc de Chaland, sa fille unique et bien aimée. Comme elle vivait ainsi retirée et privée de consolation, on vint lui apprendre un grand sujet de joie : René son petit-fils, le prince héréditaire de Valangin, arrivait auprès d'elle ; il apportait à son aïeule l'appui et la consolation qu'elle cherchait. L'illustre jeune homme est doué de jugement et de qualités brillantes. L'empereur l'a pris en amitié. Le duc de Savoie l'a déjà employé à plus d'une ambassade. Le coup d'oeil de René n'a pas tardé à lui apprendre la conduite la plus habile à tenir dans les circonstances du comté. Il s'est approché du peuple, a cherché à le connaître et à s'en faire aimer. Les Valanginois souffrent de voir leur prince faire hommage à celui de Neuchâtel ; et René s'est conduit de manière à flatter leur orgueil jaloux ne pouvant éviter de faire mention d'hommage, il l'a offert à des conditions qui ne pouvaient être acceptées.
Un beau gibet à quatre piliers, la gloire du Valangin, puisqu'il est le signe de la souveraineté de son prince, s'élève auprès du château à la confusion des Neuchâtelois. Quant à la réforme, René a reconnu bientôt qu'elle a fait trop de progrès dans les consciences et les affections de ses sujets, pour qu'il fût sage de la combattre ; il a jugé d'une politique meilleure de ne songer qu'à en recueillir les fruits.

Le prince de Neuchâtel s'est enrichi des dépouilles du clergé, celui de Valangin a imité son exemple. Son droit pour le faire ne paraît pas sans fondement : les biens assez considérables du clergé de Valangin se composent presque en entier des donations des princes du pays. Le défunt comte a surtout contribué à les accroître. Claude était bon et pieux comme la religion catholique enseigne à l'être. Il n'eut pas plus tôt reçu le serment de fidélité de ses sujets et juré de garder leurs franchises, qu'il mit son bonheur à les augmenter. Il leur remit pour quelque argent le rude bâton (3**) et les trop-faits (3***). Il concéda le droit de bourgeoisie à plusieurs familles des montagnes. Il donna aux bourgeois de Valangin la maison située au sortir du bourg, dans laquelle s'assemblent les magistrats. Quand arriva le jubilé (l'an 1500), le bon prince ne voulut pas négliger d'aller quérir, pour ses sujets et pour lui, une part des riches indulgences qui devaient être prodiguées à Rome au peuple chrétien. Il partit, s'embarqua à Gènes, fut assailli par l'orage et, près de périr, voua, s'il échappait à la mort, une église à la mère de Dieu. Cette église il l'a construite à son retour. Il y a plus, en ayant obtenu le droit du pape Alexandre VI, il en a fait une collégiale avec six chanoines et un prévôt. Le petit torrent de la Sauge se jette dans le Seyon au sortir de Valangin ; Claude l'a couvert d'un pont, il a élevé sur ce pont les fondemens du temple et il a construit auprès les demeures des religieux, à l'entretien desquels il a pourvu libéralement. Le 1er octobre 1506 l'église nouvelle a été dédiée et le culte a cessé dans la chapelle du château.

Cinq ans plus tard Claude assistait à la dédicace d'un nouveau temple, qu'il avait fait bâtir aux Brenets, et il assurait l'existence du pasteur qui devait le desservir. Voulant encore après sa mort se montrer le bienfaiteur de l'église, il a fait par son testament un revenu à chacun des pasteurs des douze paroisses du pays ; il a par le même acte ordonné la fondation d'une chapelle à la Chaux-de-Fonds, en l'honneur de St-Hubert, le patron des chasseurs de la contrée ; et il n'a point oublié de faire une donation à cette chapelle, afin que l'office y pût être célébré. Ainsi se sont accrus les biens du clergé valanginois. Son trésor s'est formé des libéralités de son prince. Aussi ne parait-il pas que René, en s'emparant des dépouilles de l'Eglise, ait provoqué des plaintes pareilles à celles qu'on a fait entendre à Neuchâtel. Il a su se prévaloir des concessions qu'il a faites à la réforme. Puis il met en toutes choses tant d'amabilité, de grâces et de bonnes manières, que son bon peuple ne sait ouvrir la bouche que pour ajouter à sa louange. Il est reparti, après avoir acquis de la richesse et avoir réjoui son aïeule par sa présence. Un aumônier est demeuré à desservir la chapelle du château, selon le rite catholique ; mais il n'y assiste guères que la maison de la comtesse. Le peuple de Valangin se montre plein d'attachement et de zèle pour sa foi nouvelle.

Tel est l'état des esprits sur la rive des trois lacs et dans les versans du Jura. Les populations y sont encore émues. Le grand intérêt y est celui de la réformation. Tout ce qui s'y rapporte enflamme ces jeunes hommes, que nous avons déjà vus déployer leur ardeur en plus d'une occasion. Leurs sympathies se sont montrées à l'arrivée de plusieurs familles qui, fugitives de Fribourg et de Soleure pour la cause de la foi, sont venues se fixer à Neuchâtel. Nommons les Dupasquier de Fribourg, les Rougemont et les Maison d'Or de Soleure (4*). Mais il est pour les Neuchâtelois, pour le Seeland et pour nos Jurassiens un objet de sympathie plus vive et plus profonde encore; c'est Genève. C'est la ville où Farel est pasteur et dont il leur raconte dans ses lettres le courage et les grands périls. À ce nom de Genève quel coeur ne s'est ému, si peu généreux soit-il ? quel courage n'a tressailli ? quel zélateur n'a frémi d'impatience ? Genève, les dangers de Genève, voilà quel est à Neuchâtel le grand objet d'intérêt. Que si le moyen s'offrait de témoigner cet intérêt d'une manière efficace, ne le saisirait-on point ? C'est ce que Claude Savoie vient essayer.

CI. Savoie a quitté Berne et vient d'arriver à Neuchâtel. On dit qu'à Berne il a réussi à emprunter 600 écus. À Neuchâtel il fait toutes ses doléances sur la pauvre Genève ; il fait voir sa désolation, la famine qui la presse, les armées qui l'environnent, sa ruine imminente, et il conjure, au nom de Dieu, les Neuchâtelois de bailler aide et secours à leurs frères chrétiens, qui tiennent même loi qu'eux et qui, pour défendre l'Évangile, leurs franchises et leurs libertés, se voient pressés de si près par les ennemis de la foi. Il leur a rapporté ce qui s'est passé à Berne et que MM. de Berne lui ont baillé licence d'amasser gens partout où il pourrait, et de les passer par leur pays, pourvu que ce ne fût pas de leurs sujets. On dit que les Neuchâtelois se montrent touchés de ces paroles et qu'ils font paraître beaucoup de pitié pour leurs frères en la foi. Nous attendons avec impatience de savoir quelle sera leur résolution.

Enrôlemens à Lausanne
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Plusieurs officiers enrôlent pour Genève à Lausanne et dans le Pays-de-Vaud. De l'agitation se manifeste à ce sujet. Le clergé, la ville de Lausanne et les quatre paroisses de La-Vaux se sont opposées aux levées. Le Conseil de Lausanne a résolu de demeurer neutre et vient de défendre à ses gens de prendre les armes pour aucun des deux partis (20 septembre). Que font cependant MM. les chanoines ? Nous les entendons dire qu'il ne faut tenir compte de cette défense ; que Genève est une ville hérétique. Ils font plus, ils rassemblent des soldats à La-Vaux. Le chanoine et doyen de Pré, curé de St-Paul de Lausanne, se prépare à les commander. Cette troupe selon toute apparence, ne tardera pas à se mettre en marche pour se réunir aux ennemis des Genevois.

La chronique de Genève durant la quinzaine.
Le 20 septembre, on se demandait : « Quelles nouvelles de Berne, de Baden ? N'avez-vous rien appris de nos députés ? » Mais on ne savait rien encore. On s'affligeait des excès de plusieurs qui continuaient d'aller détruisant les images ; et le Conseil priait Baudichon et les siens de n'entrer plus à St-Pierre. Les religieux de leur côté achevaient de dépouiller les couvens.

Le 24 au matin, alarme à Plainpalais. Les Peneysans y ont dérobé un cheval et un chariot, et se sont ensuite retranchés au Pont d'Arve, se cachant avec des tonneaux, des balles de laine, dans les fossés, derrière les haies et dans la grange de Jaques de Pesme. Ils déplatelaient le pont et faisaient jouer l'artillerie, quand nos Genevois sont arrivés, et les ont contraints d'abandonner le pont et la place. Nos gens sont rentrés en ville, amenant les laines et les autres objets dont les ennemis s'étaient fortifiés.

Le 26, retour des députés. Messieurs ont grand regret du résultat de la diète.

Le 29, on apprend qu'on ne doit attendre aucun secours de Berne. La réponse de nos alliés est absolue. « La chemise, disent-ils, nous est plus près que le manteau. » Partant ils ne savent faire autre chose que nous recommander à Dieu. Grande agitation à cette nouvelle. Elle abat le coeur de plusieurs, qui perdent tout courage. Aucuns tombent dans le désespoir. » Ils sont nos alliés, s'écrie-t-on, ils nous ont promis de nous secourir contre nos ennemis, à nos dépens, et ils nous délaissent dans le besoin. » Plusieurs, comme Balthésard, Bandière et le capitaine général Jean Philippe, disent Certes, ils n'attendent autre chose sinon que nous nous rendions à eux ; mais nous n'en ferons rien. » D'autres disent pour bailler courage : « Il n'est pas ainsi, car ils tiennent une même religion que nous et ne rompront leurs promesses ; soyez assurés qu'ils ne permettront point que nous mourions ici de faim. » Car faut entendre qu'il n'y a déjà plus de vivres et qu'il faut jeter hors la ville ceux qui ne peuvent servir à la défendre. Mais il y en a d'autres qui, ayant ouï la réponse de Berne, ont été plus fortifiés qu'auparavant, et disent se consolant les uns les autres : « Certes, MM. de Berne nous ont remis à un grand et fort maître. - Et à qui ? - À Dieu, répondent-ils. Aussi faut-il qu'il ait tout l'honneur de notre délivrance, et non les hommes. Ah, ah ! disent-ils, si nous avons foi, il nous délivrera de nos ennemis. Il en a délivré d'autres et fait de plus grandes choses que celle-ci. Nous sommes assurés qu'il fera contre toute espérance. Il aime à montrer sa puissance dans les choses désespérées, et quand il semble que tout est perdu, c'est alors que tout est gagné. »

Cependant qu'on s'entretient ainsi dans la ville, le Conseil délibère. La ville est travaillée par les inimitiés et par les factions. Pour faire obéir les rebelles on élit un prévôt, c'est Domaine d'Arlod. Le capitaine général, Jean Philippe, refuse de servir, prétextant maladie. Il souffre avec impatience qu'on lui ait donné Michel Balthesard pour lieutenant. Il faut savoir que le fils aîné du capitaine, ayant un jour été pris par les Peneysans, ils demandèrent pour sa rançon tous ceux d'entr'eux qui se trouvaient prisonniers dans Genève ; à quoi résista Balthesard, disant : « Si nous rendons les traîtres, nous avouons avoir mal fait en exécutant leurs compagnons comme criminels envers la cité. Rachetons plutôt le prisonnier, et moi Balthesard, pour le premier, je donne 500 écus pour sa rançon ; et si mon fils y était, mon conseil ne serait autre. » Ces paroles ne plurent point au père Philippe, qui voulait qu'on rendît les prisonniers pour avoir son fils; ce qui pourtant ne fut fait. De là la grande inimitié de ces deux principaux Geneveysiens, laquelle ainsi que naguères des deux principaux romains, César et Pompéius, trouble toute la république.

Il est pourtant, un autre motif encore qui porte Philippe à ne vouloir plus être capitaine. Les zélateurs souhaitent de voir Baudichon le remplacer ; c'est en lui qu'ils espèrent et se confient. Le Conseil résistait depuis long-temps à leurs voeux ; il a fini par se rendre. La situation de Genève est devenue telle qu'il faut songer aux derniers moyens et à la plus vigoureuse défense. Baudichon, l'homme du peuple, des soldats et des zélateurs, vient donc d'être nommé capitaine. Messieurs ont reçu son serment, lui ont recommandé de faire bonne garde, et lui ont ordonné de ne faire aucune sortie, sinon par la résolution du Conseil. Aussitôt Baudichon a ordonné de faire un drapeau, sur lequel il a fait peindre des larmes de feu. Il a fait appel à tous les braves qui veulent avec lui aller chercher l'ennemi, et 400 volontaires se sont enrôlés sous son étendard. Ils les passera en revue au premier jour sur la plaine de Palais.

Nouvelles du soir. Communication particulière
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Nous en sommes à chercher de toutes parts du secours. CI. Savoie agit à Neuchâtel ; nous tentons à Genève d'obtenir l'aide du roi de France. Il est dans nos murs un homme, nommé Laurent Mégret, dit le Magnifique, qui s'est retiré de France pour vivre selon l'Évangile et qui a grandes relations et amitiés à la cour du roi. Il s'est adressé à un sien ami, M. de Verey, lequel s'en est venu parlementer avec lui, huit jours après que les messes ont été abolies dans Genève. Ensemble ils ont entrepris de secourir ceux de Genève par le moyen du roi. Ils ont parlé à Balthesard et à Bandière, qui, bien sagement et bien secrètement, ont porté cette affaire en Conseil, et principalement devant ceux de ses membres à qui l'on peut se fier. Et depuis qu'est arrivée la réponse de MM. de Berne, ont été commis secrètement Balthesard, Bandière et Richardet pour traiter avec les deux Français. Ils ont été bientôt d'accord. Le pays que l'on pourra prendre sera divisé en trois parts dont l'une appartiendra à Genève, la seconde à Verey, la tierce au Magnifique. À ces conditions Verey se fait fort d'amener bon secours et gens d'armes, sans déroguer ni rien coûter aux Genevois. Et s'ils ne peuvent rien conquêter du bien de Savoie, les capitaines français ne demandent que la faveur des beaux Messieurs de Genève. Les choses ainsi arrêtées, avec la réserve que le corps français n'entrera pas dans la ville, Verey s'en est allé chercher des compagnons. La correspondance se fait entre Mégret et lui sous les noms supposés de Pierre et de Louis Croquet, s'envoyant comme marchands lettres d'affaires l'un à l'autre. (2)

 

SOURCES.
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1 Schellhorn. Gerdes, et surtout Maccrie Histoire de la réforme en Italie, à qui sont empruntés la plupart des traits de ce récit. Les historiens de Charles V.
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2 Ruchat. Châteaux suisses II, article Valangin. Annales de Boive. Notes empruntées aux manuscrits de la Bibi. de MM. les pasteurs de Neuchâtel. Froment. Archives de Berne. Registres du Conseil de Genève.

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LA PROFESSION DE FOI POLITIQUE DE MAÎTRE JEAN CALVIN.

C'est vaine occupation aux hommes privés, lesquels Il ont nulle autorité d'ordonner les choses publiques, de disputer quel est le meilleur état de police et outre, c'est une témérité d'en déterminer simplement, vu que le principal gît en circonstance ; et encore quand on comparerait les polices ensemble, sans leur circonstance, il ne serait pas facile à discerner laquelle serait la plus utile tellement elles sont quasi égales chacune en son prix. On compte trois espèces du régime civil, savoir : monarchie, qui est la domination d'un seul, soit qu'on le nomme roi, ou duc, ou autrement ; aristocratie, qui est une domination gouvernée par les principaux et gens d'apparence ; et démocratie, qui est domination populaire en laquelle chacun a puissance. Il est bien vrai qu'un roi ou autre, à qui appartient la domination, aisément décline à être tyran. Mais il est autant facile, quand les gens d'apparence ont la supériorité, qu'ils conspirent à élever une domination inique. Et encore il est beaucoup plus facile où la populace a autorité qu'il démeuve sédition. Vrai est que si on fait comparaison des trois espèces de gouvernement que j'ai récitées, que la première de ceux qui gouverneront, tenans le peuple en liberté, sera plus à priser. Car cela a toujours été approuvé par expérience. Et Dieu aussi l'a confirmé par son autorité, quand il a ordonné qu'elle eût lieu au peuple d'Israël, du temps qu'il l'a voulu tenir en la meilleure condition qu'il était possible. Et de fait, comme le meilleur état de gouvernement est celui-là où il y a une liberté bien tempérée et pour durer longuement, aussi je confesse que ceux qui peuvent être en telle condition sont bien heureux ; et dès lors ils ne font que leurs devoirs, s'ils s'emploient constamment à s'y maintenir ; de même les gouvernemens d'un peuple libre doivent appliquer toute leur étude à cela, que la franchise du peuple de laquelle ils sont protecteurs, ne s'amoindrisse aucunement entre leurs mains.

Que s'ils sont nonchalans à la conserver, ou souffrent qu'elle s'en aille en décadence, ils sont traîtres et déloyaux. Mais si ceux qui par la volonté de Dieu vivent sous des princes et sont leurs sujets naturels, transfèrent cela à eux pour être tentés de faire révolte ou changemens, ce sera non seulement une folle cogitation et inutile, mais aussi méchante et pernicieuse.


Table des matières

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(1*) . . . . Que plût à l'Éternel,
Pour le grand bien du peuple désolé,
Que leur désir de mon sang fut saoulé,
Et tant d'abus, dont ils se sont munis,
Fussent à clair découverts et punis.
0 quatre fois et cinq fois bienheureuse
La mort, tant soit cruelle est rigoureuse,
Qui ferait seule un million de vies
Sous tels abus n'être plus asservies!
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(1**) L'une d'elles est cette Éléonore dont le Tasse a illustré le nom.
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(2*) Plus tard Curion a dû fuir encore et s'étant réfugié en Suisse, il a été un des premiers professeurs de l'académie de Lausanne.
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(3*) Guillemette ou Wilhelmine, fille de Jean de Vergy, seigneur de Champvent et de Montricher, avait épousé en 1480. CI. de Valangin, et l'avait perdu en 1517.
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(3**) Le droit du seigneur de faire sa propriété du boeuf ou du cheval cultivant le champ, qui lui avait plu ; il lui suffisait de le toucher du bâton, pour qu'il dût être à l'instant dételé et amené au château.
 
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(3***) Le droit du seigneur de punir toute transgression de limites, en s'appropriant la terre entière du colon.
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(4*) En allemand : Von der Waide, Rothberg et Guldimann,


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Afrique - Alexandre - Allemagne - Alpes - Angleterre - Aretius - Arioste - Arlod - Arve - Augustin - Augustiniens - Ausonie -

Baden - Balthésard - Bandière - Baudichon - Benigno - Bergame - Berne - Bible - Boive - Bologne - Brenets - Brescia - Bruccioli - Bucer -

Calvin - Caraccioli - Carême - Carneseca - César - Chaland - Champvent - Charles - Claude - Clément - Cogelius - Côme - Confédérés - Coricius - Croquet -

Délémont - Diète - Dupasquier -

Egidius - Éléonore -

Felinus - Ferrare - Florence - Fontana - Fontanel - France - Franches - François - Fribourg - Fridiano - Froment -

Galeazzo - Gènes - Genève - Geneveysiens - Genevois - Gerdes - Gézard - Gonsague - Gotthard - Grandval - Guillemette - Guldimann -

Helvétie - Heppeville - Hercule - Hubert -

Ippofilo - Isacio - Israël - Italie -

Jamet - Jaques - Jean - Jésus - Jura - Jurassiens -

Kilian -

Laurent - Lausanne - Lautrec - Locarno - Louis - Louise - Lucerne - Lucques - Lucquois - Luther - Lyon -

Maccrie - Magnifique - Marguerite - Marot - Mégret - Mélanchton - Messer - Michel - Milan - Milanais - Milliet - Modène - Mollio - Montricher - Morat - Moutiers -

Naples - Navarre - Negra - Neuchâtel - Neuchâtelois - Neuville -

Ochino -

Padoue - Paul - Peney - Peneysans - Pérouse - Pesme - Philippe - Piémont - Pierre - Piochet - Plainpalais - Pô - Pompéius - Pont -

René - Renée - Richardet - Rome - Rothberg - Rougemont - Ruchat -

Sauge - Schellhorn - Schwytz - Seeland - Séraphin - Seyon - Sicile - Sienne - Sigismond - Sinapi - Soleure - Soliman - Suisse -

Tasse - Terra - Trévise - Turin -

Unterwalden - Uri -

Valangin - Valanginois - Valdès - Vatican - Vaud - Vaudois - Vaux - Venise - Verey - Vergy -

Waide - Wilhelmine -

Zoug - Zwingli - .

 

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