Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE

LA VICTOIRE DE L'EMPEREUR ET LA PRISE DE TUNIS.

Le livre de l'institution chrétienne de maître Jean Calvin
Pays Romand
Nouvelles du pays-de-Vaud

Noms propres de cette page
 
FEUILLETON DU CHRONIQUEUR.
Comment on se lamentait au couvent de Sainte-Claire

Un cri de victoire retentit de rivage en rivage. On se félicite, on s'embrasse, on se redit la nouvelle, cause d'une si grande joie. On crie : « Vive Jésus-Christ! vivent les chrétiens ! vive la liberté! » Tant de familles qui vont retrouver, l'une un frère, l'autre un père, l'autre un époux, délivrés des fers, font éclater leurs transports. Voici le récit de l'événement tel que le retrace le journal d'un des hommes d'armes qui y ont pris part.

Le 11 juin, départ d'Utique. Nous traversâmes les lieux où fut Carthage. À l'endroit où l'on pense qu'étaient les éléphans lorsque Carthage était en fleur, nous rencontrâmes une tour avec une fontaine; les murs nous prêtèrent leur ombre et l'eau étancha notre soif. Sur la roche qui fut Birsa se trouvait Barberousse lorsque nous débarquâmes de nos 500 vaisseaux.
Quelques esclaves mécréans, que nous avions lâchés, allèrent lui dire que nous étions en tel nombre, qu'il semblait que nul pouvant porter les armes n'avait été laissé en Espagne ni en Italie, et que l'Empereur y était. Lui ne parut s'effrayer. « Venez, dit-il à ses chevetains de marine, venez, mes vaillans et mes fortiaux, avec lesquels je n'ai jamais douté de la victoire. Contemplez avec moi cette tourbe, venue pour nous combattre en la plus chaude saison, sur ces sables très menus, et en ce pays souffreteux d'eau. Voyez ces nouvelets chargés de pesantes armes, chanceler en marchant à mi-jambe dans cette arène. Ils sont à vous, mes puissans fantassins Turcs; à vous, mes impétueux cavaliers Arabes. Coéfut, Haidin chasse-diable, Giaffar et toi Tabach de Laodicée, je vous promets riche butin. Gardez seulement qu'ils s'emparent de la Goulette, le rempart de notre flotte et notre bastion très assuré. »

La Goulette n'est qu'une tour de briques avec un bastion ; mais 500 canons y étaient en batterie et défendaient l'entrée du canal qui fait communiquer Tunis avec la mer. On la tenait pour imprenable. L'Empereur n'a pas laissé de nous y mener et de retranchement en retranchement, de bataille en bataille, de pousser en avant les approches. Enfin le 11 juillet à midi, la trompette a donné le signal de l'assaut, et le soir la Goulette était à nous.
Alors on a marché sur Tunis. Nous en approchions quand tout-à-coup se déploie dans la plaine toute la puissance de Barberousse, infanterie africaine, légers escadrons maures; ils pouvaient être au nombre de 70,000.
Ils avancent, reculent, pressent et disparaissent tour-à-tour. Vingt fois nous crûmes les tenir à la bataille et vingt fois ils nous échappèrent, aussi légers que les vents. Notre cavalerie espagnole y perdait son sang et sa peine. « Que n'ai-je ici, » disait l'Empereur, « des arbalétiers à cheval! » Enfin l'infanterie réussit à venir à l'ennemi, et pour lors commença un vrai combat. Elle se rua sur Turcs et Maures, en tua la grande partie et en rejeta le reste dans Tunis, où Barberousse s'enfuit avec eux après avoir cherché trois fois à les rallier sans succès.

Cependant les chrétiens esclaves à Tunis, qui savaient que Barberousse avait songé à les faire tous périr, s'étaient mis au hasard de tout gagner ou de tout perdre. Ils rompirent leurs chaînes, furent assez heureux pour s'emparer de la forteresse, et allumant aussitôt des feux en croix, ils donnèrent par ce signe avis de leur succès à l'Empereur. Alors Barberousse, jugeant sa position sans remède, s'enfuit en maudissant son destin.

Les Tunisiens sont venus apporter les clefs de leur ville, faisant grand'souplesses de corps et remerciant l'Empereur de les avoir délivrés de la pesante tyrannie des Turcs. L'Empereur eut bien voulu les garantir de pillage ; mais il l'avait promis à ses soldats. Et déjà nos gens couraient de toutes parts faire butin. Il fallut leur tout abandonner.

Bientôt le massacre se joignit à la pillerie. Les Italiens et les Espagnols montraient plus d'avarice, les lansquenets étaient plus avides d'étancher leur soif dans le sang des infidèles. Les pavés ont été en peu de temps jonchés de corps morts. Le trésor de Barberousse, retiré d'une citerne, a été la récompense de Guasto. Aux yeux de l'Empereur la plus belle part du butin consiste en 20,000 esclaves chrétiens que sa victoire rend à la liberté. Nous avons vu Charles serrer dans ses bras plusieurs des plus âgés de ces captifs; Guasto voulait l'en empêcher à cause de l'odeur infecte qu'ils exhalaient : « Laissez, lui répondit sa Majesté, la charité désinfecte l'air, comme elle purifie toute chose (1). »

LE LIVRE DE L'INSTITUTION CHRÉTIENNE DE MAÎTRE JEAN CALVIN.

Le livre que nous promettait notre correspondant de Bâle, et duquel il nous disait de si grandes choses, nous est parvenu. C'est le 4e de ce mois d'août qu'est sorti de presse le volume de l'Institution. L'esprit incessamment occupé de cette France qu'il vient de quitter, de son état, de ses besoins, Calvin se tourne vers elle.
Les réformés sont épars, dépourvus de centre et d'appui. Ils ne possèdent encore que peu d'exemplaires des Écritures. Les doctrines évangéliques leur parviennent sous forme de traités, isolément. Les discordes, les divergences, les folies de l'esprit humain, les désordres de tout genre sont à redouter. Or voici que Calvin leur présente un résumé tracé d'une main ferme des doctrines de la réformation.

Le livre est formulé dans le même esprit que les Apologies de Tertullien et d'Origène. Calvin s'adresse à François 1er, au prince persécuteur, comme les Pères adressaient leurs doléances aux Césars. François a fait publier en tous lieux que ces réformateurs que l'on poursuit en France vont bien plus loin que Luther, qu'ils secouent l'autorité, non seulement des papes, mais des conciles et des évêque , et que pareils aux Anabaptistes ils renversent, dans leur fol enthousiasme, toute règle et tout ordre public.

Calvin se place devant cette accusation, et voici comment, dans l'Épître dédicatoire de son livre, il la combat en s'adressant au Roi de France :

« Sire,
Lorsque je commençai de mettre la main à cet ouvrage, je ne pensais à rien moins qu'à écrire des choses qui dussent être présentées à votre Majesté. Mon dessein était simplement d'y donner quelques rudimens de la doctrine chrétienne, afin de former à la vraie piété ceux qui seraient touchés d'aucune bonne affection de Dieu. Et principalement je voulais par ce mien labeur servir à nos Français, parmi lesquels j'en voyais plusieurs avoir faim et soif de Jésus-Christ et bien peu qui en eussent reçu droite connaissance. On pourra aisément juger de mon intention par la forme que j'ai donnée à mon livre, puisque je l'ai composé selon la plus naïve et la plus simple manière d'enseigner que j'ai pu. Mais voyant que la fureur de certains iniques s'est tant élevée en votre royaume, qu'elle n'a laissé lieu aucun à toute saine doctrine, il m'a semblé expédient de faire servir ce présent livre tant de leçon pour ceux que j'avais d'abord résolu d'instruire, que de confession de foi envers votre Majesté : afin qu'elle pût connaître quelle est la doctrine contre laquelle se déchaînent avec tant de rage les insensés et les furieux, qui troublent aujourd'hui par le fer et par le feu votre royaume. Car je n'aurai honte d'avouer, que j'ai ici compris en abrégé cette même doctrine, qu'ils estiment digne d'être punie de la prison, du bannissement, de la proscription et du feu, criant qu'elle doit être déchassée hors de terre et de mer.

» Bien sais-je de quels horribles rapports ils ont rempli vos oreilles et votre coeur, pour vous rendre notre cause odieuse; mais vous avez à réputer, selon votre clémence et mansuétude, qu'il ne resterait innocence aucune, ni dans les paroles, ni dans les actions, s'il suffisait d'accuser. Certainement si, pour émouvoir haine à l'encontre de cette doctrine, de laquelle je me veux efforcer de vous rendre raison, quelqu'un s'avisait d'arguer qu'elle a déjà été condamnée par un commun consentement, il ne dira autre chose si ce n'est que d'un côté elle a été violemment abattue par la puissance et conjuration des adversaires et de l'autre malicieusement opprimée par leurs mensonges, leurs fourberies, leurs calomnies et trahisons. C'est force et violence, que cruelles sentences aient été prononcées contre elle, avant qu'elle ait été défendue. C'est fraude et trahison, qu'elle soit sans cause notée de sédition et maléfice.

» Or, Sire, il est de votre devoir de ne détourner votre oreille ni votre coeur d'une si juste défense, surtout en une si grande chose, c'est à savoir, comment la gloire de Dieu sera maintenue sur terre, comment sa vérité s'y conservera digne et pure, comment le règne de Jésus-Christ y demeurera en son entier : Matière digne des oreilles de votre Majesté, digne de votre connaissance, digne de votre trône royal.

» Il est bien vrai que nos adversaires nous reprochent que c'est à fausses enseignes que nous nous couvrons du prétexte de la Parole de Dieu, de laquelle, disent-ils, sommes indignes corrupteurs. Mais vous-même, selon votre prudence, pourrez juger que ce reproche est l'effet, non seulement d'une malicieuse calomnie, mais encore d'une impudence trop effrontée. Néanmoins il ne sera pas hors de propos de dire ici quelque chose pour vous disposer à cette lecture.

Quand St-Paul a voulu que les doctrines que l'on nous propose fussent conformes à l'analogie de la foi, il a établi une règle générale pour éprouver toute interprétation de l'Écriture. Or si notre doctrine est examinée selon cette règle, nous avons la victoire en main. Car quelle chose convient mieux à la foi, que de nous reconnaître nus de toute vertu, pour être vêtus de Dieu, vides de tout bien, pour être remplis de lui; serfs de péché pour être affranchis par sa grâce ; aveugles, pour être illuminés de sa lumière; boiteux, afin d'être redressés par son aide; faibles, afin d'être soutenus par sa vertu; dépouillés de toute matière de gloire, afin que Dieu seul soit glorifié et nous en lui.

Quand nous tenons semblables discours, nos adversaires s'écrient que nous renversons je ne sais quelle aveugle lumière de nature qu'ils ont forgée, le libre arbitre, les oeuvres méritoires avec leurs surérogations. Ils se plaignent et ne peuvent souffrir, que la gloire entière de tout bien, de toute vertu, justice et sapience réside en Dieu. Cependant qu'y a-t-il de plus conforme à la foi, que de se promettre Dieu comme un père doux et bénin, Christ pour un frère et pour un propiciateur ; que d'attendre tout bien et toute prospérité de Dieu, dont la dilection s'est tant étendue qu'il n'a point épargné son propre Fils, qu'il ne l'ait livré pour nous? que de se reposer en une attente certaine de salut et de vie éternelle?
À ces choses ils répugnent et disent qu'une telle certitude de fiance n'est pas sans arrogance et présomption; mais, leurs dirons-nous, comme il ne faut rien présumer de nous-mêmes, aussi devons-nous présumer toutes choses de Dieu et ne sommes pour autre raison dépouillés de toute vaine gloire, qu'afin d'apprendre à nous glorifier en lui seul.

» Que dirai-je davantage? Parcourez, sire, toutes les parties de notre cause. Voyez-nous, pour cette espérance que nous avons au Dieu vivant, bannis, chargés de fers, affligés cruellement. D'autre côté contemplez nos adversaires (je parle de l'ordre des prêtres); entendez-les n'estimer chose importante quelle créance l'on ait, moyennant que par une foi implicite et enveloppée, comme ils parlent, chacun soumette son sens au jugement de l'Eglise. Voyez-les ne se mettre pas en peine, s'il arrive que la gloire de Dieu soit déchirée, pourvu que personne ne s'élève contre la primauté et l'autorité de l'Eglise, c'est-à-dire, du saint-Siège romain.
Pourquoi donc combattent-ils d'une telle rigueur pour la messe, le purgatoire, les pèlerinages et tel fatras? pourquoi, sinon parce que leur ventre leur est pour Dieu, la cuisine pour religion; lesquels ôtés, non seulement ils ne pensent pas qu'ils puissent être chrétiens; mais s'imaginent n'être pas hommes; car combien que les uns se traitent délicatement en abondance, que les autres ne fassent que vivoter en rongeant de chétives croûtes, tous néanmoins vivent d'un même pot, lequel sans tels aides, non seulement se refroidirait, mais gèlerait du tout.

» Et néanmoins ils ne cessent de calomnier notre doctrine et de la diffamer par tout moyen. Ils l'appellent nouvelle et forgée puis naguère; ils nous reprochent qu'elle est douteuse et incertaine. Ils demandent par quels miracles elle a été confirmée. Ils s'enquièrent si c'est raison de la faire prévaloir sur le consentement de tant de Pères anciens et sur coutume si longue. Ils nous pressent et prétendent nous mettre dans la nécessité, ou d'avouer qu'elle est schismatique, puisqu'elle fait la guerre à l'Eglise, ou de reconnaître que l'Eglise est demeurée plusieurs siècles comme morte, ce qui pourtant ne s'est vu.
Enfin ils nous mettent en avant, qu'il n'est métier d'employer beaucoup de raisons, vu qu'on peut aisément juger par les fruits qu'elle a, c'est à savoir qu'elle engendre une grande multitude de sectes, force troubles et séditions et une licence débordée de mal faire. Certes il leur est bien aisé de prendre leurs avantages et d'insulter à une cause abandonnée de toute la terre, surtout lorsqu'il s'agit d'imposer au populaire, ignorant et crédule. Mais s'il nous était permis de parler à notre tour, j'estime que toute cette ardeur, qui les fait écumer de rage contre nous, serait un peu refroidie.

» Premièrement ils ne sauraient appeler ce que nous prêchons une doctrine nouvelle, sans faire grande injure à Dieu, dont la sacrée Parole ne méritait pas d'être accusée de nouveauté. Et que disent-ils, qu'elle est douteuse et incertaine ? Vraiment c'est ce dont notre Seigneur se complaint par son prophète, « que le boeuf a connu son possesseur et l'âne l'étable de ses maîtres; mais que lui, son peuple, le méconnaît. » Après tout de quelque manière qu'ils se moquent de l'incertitude prétendue de notre doctrine ; s'ils avaient à signer la leur de leur propre sang et aux dépens de leur vie, on verrait combien ils la prisent. Notre fiance est bien autre, laquelle ne craint ni les terreurs de la mort, ni le jugement de Dieu.

» En ce qu'ils nous demandent miracles, ils sont déraisonnables. Car nous ne forgeons point quelque évangile nouveau. Nous retenons celui que tous les miracles que jamais Jésus et ses apôtres ont faits servent à confirmer. J'avoue qu'ils ont cela de particulier dessus nous, qu'ils peuvent confirmer leur doctrine par de continuels miracles qui se font jusques à aujourd'hui. Mais ces miracles qu'ils allèguent pourraient ébranler et faire douter un esprit, lequel serait bien en repos : tant sont mensongers et frivoles.

» C'est encore bien injustement qu'ils nous objectent les anciens Pères, par l'autorité desquels, si la noise était à démêler entre nous, la meilleure partie de la victoire viendrait à notre part. Mais comme ces anciens docteurs oui écrit plusieurs choses excellentes, il leur est aussi arrivé ce qui advient à tous hommes, c'est de faillir et d'errer. Or ces sages et obéissans fils selon leur droiture d'esprit et de volonté n'adorent que les erreurs et que les fautes de leurs pères. Et pour les choses que ces saints personnages ont solidement traitées, ou ils ne les aperçoivent pas, ou ils les dissimulent, ou ils les corrompent; tellement qu'il semble qu'ils n'aient soin, sinon de recueillir des ordures parmi de l'or, et nonobstant cela, ils ne laissent pas de nous poursuivre et de nous étourdir par leurs clameurs, comme si nous étions les ennemis des Pères et que nous ne fissions nul état de ce qu'ils nous ont laissé. Mais tant s'en faut que nous les méprisions que, si nous étions présentement dans dessein de nous justifier de ce blâme, il me serait très facile de prouver par leur suffrage presque tout ce que nous enseignons aujourd'hui.

» Que s'ils veulent que les limites que les Pères nous ont prescrites soient religieusement gardées, pourquoi quand il leur vient en fantaisie, les passent-ils eux-mêmes avec tant de licence et de témérité ? Ceux-ci étaient du nombre des Pères, dont l'un a dit que les sacremens des Chrétiens ne demandent pas qu'on les pare avec de l'or ou de l'argent. Celui-ci en était qui disait qu'il osait sans scrupule manger de la viande en carême. Ceux-ci étaient aussi des Pères, dont l'un a dit qu'un moine qui ne travaille pas de ses mains doit être regardé comme un brigand. C'était encore un des plus anciens Pères qui a dit que c'était une horrible abomination de voir une image ou de Christ ou de quelque saint dans les temples des chrétiens. C'est un Père qui a soutenu que le mariage ne doit être défendu aux ministres de l'Eglise et a déclaré la compagnie de femme légitime chasteté. Celui qui a écrit que l'on doit écouter un seul Christ, celui dont le Père céleste a dit : Écoutez-le et qu'il ne faut avoir égard à ce qu'auront fait ou dit les autres; mais seulement à ce qu'aura commandé Christ, celui-là dis-je, était des plus anciens Pères. En conscience se sont-ils tenus en ces limites, quand, outre Jésus-Christ, ils ont établi et sur eux et sur les autres, tant de maîtres nouveaux?

» Pour ce qui regarde la coutume, à laquelle ils nous renvoient, ils n'avancent rien; car ce serait une grande iniquité si nous étions contraints de céder à la coutume. Certes si les jugemens des hommes étaient droits, la coutume se devrait prendre des gens de bien; mais combien souventes fois il en est advenu autrement! Ce qu'on voit être fait de plusieurs a obtenu droit de coutume. Or la vie des hommes n'a jamais été si bien réglée que les meilleures choses plussent à la plus grand' part. De sorte que des vices particuliers de plusieurs est provenue une erreur publique, ou plutôt une commune conspiration, laquelle ces bons prud' hommes nous veulent maintenant donner pour loi. Certes il n'y a que la vérité de Dieu contre laquelle ni prescription de temps, ni antiquité de coutume, ni uniformité ne puisse jamais prévaloir.

» Le raisonnement dont ils se servent ensuite ne nous presse pas si fort, qu'il doive nous obliger à dite ou que l'Eglise ait été morte pendant quelque temps ou que maintenant nous soyons en combat contr'elle. Certainement l'Eglise a vécu et vivra tant que Jésus régnera à la droite de son Père. Car sans doute il accomplira ce que sa bouche a promis, c'est qu'il assistera les siens jusques à la consommation des siècles. Mais ils sont bien loin de la vérité, lorsqu'ils ne veulent point reconnaître l'Eglise, s'ils ne la voient de leurs yeux et s'ils ne lui prescrivent certaines bornes, où elle n'est nullement renfermée.
À cet égard toute notre controverse roule sur deux points : premièrement, en ce qu'ils veulent que l'Eglise ait toujours une forme apparente et visible, et secondement en ce qu'ils attachent cette visibilité au siège de l'Eglise romaine.

Nous au contraire affirmons que l'Eglise peut subsister sans apparence visible, que cette apparence même ne consiste pas dans cet éclat extérieur, lequel follement ils ont en admiration; mais elle a bien une autre marque, savoir la pure prédication de la Parole de Dieu et la légitime administration des sacremens. Ils ne sont pas contens si l'Eglise ne se peut toujours montrer au doigt. Mais combien de fois est-il advenu qu'elle a été tellement défigurée parmi les Juifs, qu'il ne lui restait nulle apparence. Quelle forme pensons-nous avoir relui en l'Eglise lorsqu'Elie se complaignait d'avoir été réservé seul ? Combien de fois depuis l'avènement de Christ n'a-t-elle pas été cachée sans apparence; combien souvent les guerres, les séditions, les hérésies ne l'ont-elles pas tellement opprimée qu'elle ne se montrait nulle part. Si ces gens-ci eussent vécu en ces temps calamiteux, eussent-ils cru qu'il fût resté quelque Église sur la terre? Mais il fut dit à Elie qu'il y avait encore sept mille hommes de réserve, qui n'avaient point fléchi le genou devant Baal. Et nous ne devons point douter que Jésus-Christ n'ait toujours régné sur terre depuis qu'il est monté au ciel ; mais, si entre telle désolation les fidèles eussent voulu avoir une forme d'Eglise apparente, n'eussent-ils pas entièrement été découragés.

» Enfin c'est perversement fait à eux de nous reprocher les émeutes, les troubles et contentions dont la prédication de notre doctrine a été accompagnée. Quelle injustice et quelle impiété n'est-ce point de charger ainsi la Parole de Dieu ou de la haine et des séditions que les rebelles émeuvent contr'elle, ou des sectes que forment des imposteurs.
L'exemple pourtant n'en est pas nouveau. On demandait à Elie s'il n'était pas celui qui troublait Israël. Christ était estimé séditieux par les Juifs. On accusait les Apôtres d'émouvoir le populaire à tumulte. Que font aujourd'hui autre chose ceux qui nous imputent les troubles, tumultes et contentions qui s'élèvent à l'encontre de nous ? Or Elie nous a enseigné la réponse, c'est que ce n'est pas nous qui semons les erreurs ou émouvons les séditions ; mais ceux qui veulent résister à la vertu de Dieu.
Et comme cette seule raison suffit pour abattre leur témérité, il faut d'autre part obvier à l'infirmité d'aucuns, qui sont étonnés par tel scandale et vacillent en leur étonnement.

» Afin donc qu'ils n'aient matière de se déconforter, doivent penser que les mêmes choses que nous voyons sont arrivées aux Apôtres. Il y avait dans l'église des premiers temps des profanes qui, lorsqu'ils entendaient que le péché avait abondé afin que la grâce surabondât, répliquaient tout incontinent: Il faut donc que nous demeurions dans le péché, pour donner lieu à cette surabondance de grâce. Quand on leur disait, que les fidèles n'étaient point sous la loi, ils répondaient nous pécherons, puisque nous ne sommes point sous la loi, mais sous la grâce.
Il y avait gens qui disaient de Paul, qu'il portait les hommes au vice. Quelques-uns prêchaient avec un esprit de contention. En quelques lieux l'Évangile ne faisait pas de grands progrès. là plupart prenaient la liberté de l'Esprit pour une licence charnelle. Diverses contestations s'excitaient entre les frères. Que faisaient cependant les Apôtres en ces tristes occasions ? Ils se ressouvenaient que Jésus-Christ est une pierre de scandale, mis pour la ruine et le relèvement de plusieurs et pour un signe auquel on contredirait. Armés de cette fiance, ils passaient, sans être étonnés, et marchaient sans craindre tumultes ni scandales. Et c'est de cette même pensée que nous devons nous comporter aujourd'hui.

» Mais je retourne à vous, Sire. Vous ne devez vous émouvoir des faux rapports par lesquels nos adversaires s'efforcent de vous jeter en crainte, c'est à savoir, que ce nouvel évangile, ainsi l'appellent-ils, ne cherche que séditions et qu'impunité de mal faire. Le Dieu que nous adorons n'est pas Dieu de division, mais de paix. Le fils de Dieu n'est point ministre de péché, puisqu'il est venu détruire les oeuvres du diable.
Et pour nous, c'est bien injustement que nous sommes accusés de semblables entreprises dont nous ne donnâmes jamais le moindre soupçon. Car enfin, Sire , y a-t-il de l'apparence que nous pensions à renverser les royaumes, nous de la bouche desquels on n'ouït jamais une parole séditieuse ? Nous dont la vie a toujours été regardée, lorsque nous vivions sous la domination de votre Majesté, comme simple, douce et paisible ? Nous enfin qui tout déchassés que nous sommes de nos maisons, ne laissons pas de prier Dieu pour votre prospérité et celle de votre Reine ? Est-il bien à croire que nous pourchassions un congé de commettre impunément tout mal, vu que dans nos moeurs, bien qu'elles soient répréhensibles en beaucoup de choses, il n'y a rien qui soit digne d'un si grand reproche. Outre que, grâces à Dieu, nous n'avons pas si mal profité à l'école de l'Évangile, que notre vie ne puisse être proposée à nos calomniateurs comme un exemple de chasteté, de bonté, de miséricorde, de tempérance, de patience, de modestie et de toutes les autres vertus.
Certes la vérité témoigne en notre faveur, que nous craignons et honorons Dieu d'une manière pure et sincère. Que s'il y en a qui sous couleur de l'Évangile émeuvent troubles, tumultes ou séditions, ce qu'on n'a point vu jusqu'ici dans votre royaume, il y a des lois pour les corriger selon leurs délits. Mais que cependant l'Évangile de Dieu ne soit point blasphémé à cause des péchés des hommes.

» J'ai, Sire, assez clairement exposé à vos yeux la venimeuse injustice de nos calomniateurs, et il me semble que les paroles dont je me suis servi sont assez fortes pour vous empêcher de prêter l'oreille à leurs rapport. Et même je doute que je n'aie été trop long, vu que cette préface a quasi la grandeur d'une défense entière. Je n'avais pourtant prétendu composer une défense, mais simplement adoucir votre coeur, afin qu'il donnât audience à notre cause. Car quoiqu'il soit à présent aliéné de nous, j'ajoute même enflambé, toutefois j'espère que nous pourrons regagner sa grâce, s'il vous plaît, une fois hors de courroux, lire cette notre confession.

» Mais si au contraire les sourdes calomnies des méchans, assiègent tellement vos oreilles que les accusés ne puissent se faire entendre et que d'autre part nos adversaires, ces impétueuses furies, continuent leurs cruautés, certes comme brebis dévouées à la boucherie serons réduits à toute extrémité. Nous posséderons cependant nos âmes par la patience et nous attendrons la main forte du Seigneur. Elle se montrera en sa saison et apparaîtra armée, tant pour délivrer les pauvres de leur affliction, que pour punir les comtempteurs qui s'égaient si hardiment à cette heure. Le Seigneur, Roi des rois, veuille établir votre trône en justice et votre siège en équité. -

De Bâle, le 1er jour d'août, 1535. »

PAYS ROMAND.

Genève, 14 août. Le Conseil ne pouvait se résoudre à proclamer la réformation accomplie. Il venait d'inviter sérieusement Farel à ne prêcher qu'aux Cordeliers et à St-Germain et lui avait refusé de se faire entendre en grand Conseil. Farel de son côté, depuis que la rédaction des Actes de la dispute était achevée, ne se croyait plus tenu d'obéir aux magistrats, s'ils ne proclamaient ouvertement la vérité que Genève a connue. Tel était l'état des choses quand le dimanche, 8 de ce mois, une grande multitude de peuple s'assembla dans la cathédrale de St-Pierre, y fit sonner les cloches et appela les prédicans à y venir. Farel monta la chaire et prêcha. Le Conseil s'assemble aussitôt, Farel y paraît. On lui demande pourquoi il a fait le Sermon en St-Pierre, puisqu'il lui a été défendu de le faire ailleurs que dans les lieux accoutumés. Il répond : « Je suis ébahi que vous me demandiez cela, puisque c'est une chose sainte que celle que j'ai faite, selon Dieu et selon son Évangile. Vous m'avez refusé les Deux-Cents, auxquels j'eusse obéi ; eh bien, j'ai été au peuple où je l'ai trouvé rassemblé. Je demande de nouveau les Deux-Cents qu'on n'a coutume de refuser à personne. » - On lui dit qu'on l'entendrait le lendemain en conseil ordinaire, après quoi l'on aviserait touchant les Deux-Cents.

Mais tandis que ces choses se passaient en Conseil, une vingtaine de petits enfans renversaient, contre tout l'entendement des hommes, l'oeuvre de prudence des magistrats. Les prêtres chantaient leurs vêpres et disaient le psaume 114 : In exitu Israël, quand ces enfans, sans que personne y pensât rien, se mirent à crier, à hurler, à braire, imitant les prêtres. Et quelqu'un dit : « C'est à qui maudira par des chansons ceux qui ont fait les images, et mettent leur confiance en icelles, et encore les laissent-ils là ! » Alors ces petits enfans de poursuivre avec grand bruit, remuant les sièges du choeur, qu'on appelle les formes, les baissant et les relevant en dérision des prêtres, tellement que tous furent étonnés oyant le bruit qu'ils faisaient.
Alors le magnifique Mégret dit à Baudichon, qui était dans l'église avec les autres, n'y pensant autre chose : « Certes ceci passe notre compréhension ; Dieu veut faire quelque chose que nous n'entendons pas. » Et soudainement voici venir Ami Perrin, Jean Golle et certains autres, qui souventes fois auparavant avaient prié et requêté le Conseil de mettre bas les idoles lesquels, voyant ces petits enfans faire tel bruit contre les prêtres et se jouer de leurs marmousets, entrèrent dans le choeur et en présence des prêtres jetèrent par terre leurs idoles et se mirent à les rompre et à les briser. Et mes petits enfans de courir et de sauter après ces petits dieux et criaient à haute voix joyeuse au peuple qui s'était arrêté dehors l'église : « Nous avons les dieux des prêtres, en voulez-vous? » Et les jetaient après les passans. Et les prêtres de fuir hors du temple, pensant être perdus, et de courir aux syndics, et de courir après leurs dieux. Et les folles femmes de la ville de pleurer et gémir, maudissant les cagnes qui ont détruits leurs bons saints.
Or voici venir aucuns des syndics fort échauffés, Chicand et Bandière, qui crient et menacent ; mais à la fin ne surent qu'y faire, sinon que l'un des deux se mit à dire : « S'ils sont vrais dieux qu'ils se défendent. » Et furent trouvées environ cinquante hosties, que Mégret donna à manger à son chien barbet, disant : « Si ce sont vrais dieux, ne se laisseront manger par un chien. » Mais les dévora d'un coup et ainsi les dieux bancs et les idoles des prêtres furent brisés ou mangés du chien barbet.

Le lendemain, Pierre Vandel, Baudichon de la Maison-Neuve, Perrin et tous les briseurs d'images de recommencer. Ils se réunissent au son du tambour et vont au couvent de Notre Dame de Grâce. Les syndics y courent avec le sautier ; ils tiennent en main les bâtons de leur office, et font défense de démolir ou gâter aucune chose. Mais bientôt on les voit revenir annonçant que, nonobstant leur défense, toutes les images ont été brisées à l'exception du beau tableau. de la chapelle de Notre Dame, qu'ils ont eu soin de faire apporter dans la maison de ville. Le même jour, Baudichon et les siens vont encore, toujours au son du tambour, à St-Gervais et à St-Dominique de Palais, où ils font pis qu'ils n'avaient fait à la cathédrale.

Le Conseil, continuellement assemblé, fait mettre deux prud'hommes (probos homines) et deux guets en St-Pierre, pour garder le temple, de peur qu'on n'y revienne et qu'on n'y dérobe. Puis il fait citer Vandel, Perrin et Baudichon, et leur demande s'ils ne veulent pas obéir à la justice. - « Nous ne ne croyons pas, répondent-ils, avoir manqué à la justice en ce que nous avons fait, puisque nous avons pris pour guide la Parole de Dieu. On les renvoya aux Deux-Cents, que l'on se décida à convoquer pour le lendemain.

Conseil des Deux-Cents, du mardi 10 août. Farel parait accompagné de Viret, de Jaques Bernard et du frère Jaques, cordelier. Il prend la parole, avec sa force et sa gravité accoutumées. Il rappelle ce qui a été fait, ce qui a été prouvé. Ce que lui et ses compagnons s'étaient offerts de soutenir jusqu'à la mort, ils l'ont montré véritable par les Écritures. Pressé par le motif qui n'a cessé de le faire agir, par le besoin de voir se convertir à Dieu ceux qui sont encore dans l'erreur, il supplie le Conseil de prononcer sur la dispute et de le faire sans plus de délai. Il finit par une belle et vive prière à Dieu d'éclairer les membres du Conseil en cette occasion, où il s'agissait de sa gloire et du salut d'un peuple entier.

Le Conseil délibère. Les sentimens se partagent; le débat dure long-temps. Enfin l'on convient:
1° D'appeler les prêtres en Conseil, pour leur faire part du résultat de la dispute, et de leur offrir de soutenir encore la messe et les images.
2° De ne point consentir au renversement des images, que les prêtres n'aient répondu, et de se montrer prêt à rétablir celles qui ont été abattues, s'ils peuvent montrer qu'elles méritaient la vénération.
3° De suspendre provisoirement la messe.
4° Enfin d'écrire à MM. de Berne, afin de savoir d'eux la conduite la meilleure à tenir.

Et comme le tumulte de la veille a causé telles douleurs aux prêtres, qu'il est vraisemblable qu'ils s'en veulent aller, et que l'on craint qu'ils n'emportent les titres et les joyaux des églises, on ordonne que ces biens et ces titres seront inventoriés.

Le jeudi 12, les religieux des couvens de Palais, de Rive, de Ste-Claire et de Notre Dame de Grâce comparaissent devant le Conseil. On leur fait lecture du sommaire de la dispute. Puis on les assure que, s'ils veulent s'attacher à prouver les dogmes de leur religion, non seulement on les écoutera tranquillement, mais que même on est prêt à rétablir les choses dans l'état où elles étaient naguère. Les religieux répondent tous l'un après l'autre : « Nous ne savons répliquer rien au sommaire de la dispute ; nous sommes simples, ne nous enquérant de semblables choses, et accoutumés à vivre comme nos pères ; c'est pourquoi nous vous supplions de nous laisser servir de la manière dont nous l'avons fait jusqu'à ce jour et nous trouverez fidèles à la ville, comme du passé. »

L'après-dînée, trois syndics et deux conseillers vont en la maison d'Aimé de Gingins, abbé de Bonmont, doyen des chanoines de St-Pierre, où ils trouvent les chanoines et les curés de la ville assemblés. Ils leur témoignent fort civilement la peine qu'ils éprouvent de ce qui se passe et leur douleur de ce qu'aucun d'eux n'ait paru dans la dispute. Ils viennent pour chercher à ramener les choses à l'ordre, et commenceront par faire à Messieurs du clergé lecture du sommaire de la conférence, afin que l'ayant entendu, ils puissent avoir meilleur avis. Mais ils répondent assez fièrement par la bouche de Monsieur de Bonmont, qu'ils n'ont que faire de la dispute, qu'ils n'en veulent ouïr le sommaire non plus que les sermons de Farel et qu'ils prient qu'on les laisse vivre à leur manière (in sua factione ou façone). Sur ce, Messieurs du clergé ont été invités: à cesser de dire la messe. Le Conseil, toujours partagé, a pris le parti d'attendre, pour aller plus avant, d'avoir reçu des nouvelles de Berne.

Cependant il n'est pas de jour que plusieurs prêtres et citoyens, ne se retirent de la ville. Messieurs le voient avec peine, mais ne mettent pourtant obstacle à leur sortie. Ils se sont contentés d'exiger de tous sortans qu'ils viennent écrire en un livre qu'ils renoncent à la bourgeoisie. Plusieurs qui étaient partis sont revenus, en apprenant qu'ils s'exposaient à cette peine. « Nous demeurerons, sont-ils venus dire à Messieurs, pourvu qu'on nous laisse tant seulement trois messes par jour à la Madelaine. » Messieurs ont cru qu'il valait mieux surseoir à dire la messe que de là dire et faire faire du bruit.

Et pour réparer la perte que l'ont fait de nombreux citoyens, en des temps où l'ennemi est aux portes, on a reçu ces derniers mois beaucoup de nouveaux bourgeois. On n'en recevait que fort peu naguère; mais depuis le mois de juin, Messieurs en ont admis, un jour six, dix un autre, un autre quatorze et davantage. Le prix ordinaire est de quatre écus d'or sol et le seau de cuir bouilli (unum seilliotum corei bolocti). Cet argent sert à élever les boulevards de St-Christophe, de Rive, de Longemâlle et les murailles de St-Gervais.

À l'extérieur notre situation n'est point changée. Berne appelait les Peneysans et nous à une journée de droit devant elle. Nous eussions gaîment accepté cette proposition; mais les traîtres se sont donné garde de s'y prêter. Ils n'ont su répondre qu'en nous accablant de nouvelles injures et en suppliant Berne de ne plus laisser gouverner une ville comme Genève par des meurtriers et des larrons rebelles à toute autorité. Et pendant qu'ils écrivaient ainsi, ils faisaient écarteler un pauvre innocent de nos frères, homme pieux, duquel ils ont fait lire la sentence en latin devant le peuple des campagnes, qui n'y entendait rien. Et ce peuple, qui le savait bien honnête, se lamentait de pareil indigne traitement. Dans le même temps ils couraient sus à deux marchands de Nuremberg, qui se sont si bien défendus qu'ils leur ont échappé et ont donné avis à tous commerçans de leur aventure.
Pour nous, nous ne nous lassons pas de supplier nos combourgeois. de nous être en aide et confort, de nous faire avoir sûreté de vivres, et privés de tout comme nous le sommes, de permettre qu'au moins, avec l'aide de Dieu, nous aillions et déchassions nos ennemis de leur château.

Berne nous répond en nous récitant les assurances du gouverneur de Vaud, qui dit se conduire envers nous en tout bon voisin. Mais Moudon, Yverdon, Romont, Vivey ni l'Hault-de-Vaulx ne sont si proches. de nous, qu'ils soient coutumiers de venir à nos marchés. Pourquoi Monsieur le Gouverneur a beau dire, et cependant qu'il dit, les châtelains, nos circonvoisins, vont par nos grangeries hors la ville et défendent à tout grangier de nos pauvres citoyens de nous rien apporter du nôtre, leur faisant mandement, sous grosse peine, de tenir nos biens en séquestre, jusqu'à ce qu'ils aient nouvel ordre de leur seigneur. Ce bon seigneur de Savoie ne saurait s'en excuser, car il est à chacun notoire. Aussi pensons-nous bien que, si MM. de Berne le savaient, si vrai qu'il l'est, ils auraient compassion, nous voyant à l'extrémité, soupirant à Dieu miséricorde, livrés à la famine et aux outrages, et tant affligés pour vouloir vivre selon les commandemens de Dieu (2).

Nouvelles du Pays-de-Vaud.

Ne demandez pas de bonnes nouvelles. De quelque part qu'il nous en vienne, elles ne nous apportent que deuil; et pour moi, je ne sais plus quel nom donner à la terre de ma patrie à moins de la nommer terre de confusion, de folle confiance et de querelles pour néant.

Divisés comme nous le sommes quelle force avons-nous en nous-mêmes? et le faible a-t-il des amis? Je visitais il y a peu de jours, les montagnes; il y est un lieu que les habitans des environs ont appelé le lieu maudit (Io pay de la méchanze, Io pay des trenté dou vents), parce que toutes les tempêtes s'en disputent la possession. J'y ai vu ton image, ô mon pays; car quel est celui des vents soufflant à l'horison qui ne se soit précipité sur toi comme sur une proie?

Berne, Savoie, prêtres, moines, villes ou châteaux, qui ne se joue sur ton sein, qui ne trafique de toi, qui ne partage tes dépouilles? Que si vous doutez encore encore, écoutez le résumé des nouvelles que nous recevons de nos alentours.

Nous savions que la patrie de Vaud se trouvait par le traité de St-Julien donnée en gage aux seigneurs de Berne; mais ce que nous ignorions, c'est qu'elle est déjà en grande partie hypothéquée en détail. Sans se soucier de nos affections ou de nos intérêts, le Prince nous vend pièce à pièce. En voici un nouvel exemple. Les villes de Romont, Rue, Morges et Nyon ont été, dès 1531, données en gage à Henri Meisterli, meunier de Rheinfelden ; elles ignorent peut-être encore aujourd'hui qu'un contrat les a livrées en nantissement. Berne, d'une autre part, prend peu à peu la place du Seigneur dans toutes nos villes. Je n'examine pas si c'est pour y appuyer la raison ou l'injustice; mais je dis qu'elle y commande.
Grâces à elle les évangéliques de Payerne demeurent en possession de leur chapelle. Elle n'a renouvelé son alliance avec cette ville, son ancienne alliée, qu'à la condition que la parole de Dieu pourrait y être librement prêchée et que le ministre de l'Évangile serait protégé. À Avenches, ceux de la religion se sont plaints d'être dépouillés, par haine pour la foi qu'ils suivent, des privilèges des bourgeois. À cette plainte, un exprès n'a pas tardé d'arriver de Berne, portant une lettre dont nous donnons la copie :

« Notre amiable salutation devant mise; Nobles pourvéables, discrets, singuliers amis et bons voisins! Nous vous avons par ci-devant plusieurs fois requis, admonesté et prié, de remplir la promesse que vous nous avez faite, de ne plus persécuter les votres qui suivent la parole de Dieu. Ce qui toutefois n'a tant profité, que toujours la persécution ne soit allée, principalement contre Antoine Bonjour, et son compagnon, auxquels avez défendu les bois, communance, et de ce ne vous contentez, ains leur faites défense du foin. De quoi nous merveillons grandement, et en avons gros regrets. À cette cause voulons, cette fois pour toutes, savoir de vous si voulez satisfaire à vos promesses ou non? et sur ce, votre réponse par le présent porteur, pour y aviser et mettre ordre nécessaire.
Le 14 juin. Signé l'Avoyer et Conseil de Berne.»

Ce langage est bien celui d'un maître et non d'un allié. Mais on croit peut-être que Berne ne l'emploie que dans des villes situées à ses portes; écoutez donc ce qui s'est passé à Romainmotier à la fin de l'année dernière et dans les premiers jours de celle-ci.
Vous n'ignorez pas combien est riche le couvent de Romainmotier. Tous les villages qui l'entourent lui appartiennent. Forêts dans les monts et dans la plaine, vignes à la Côte, terres en tout lieu, il forme par tout ce qu'il possède un petit empire dans le petit pays de Vaud. Aussi ne vous dirai-je pas combien de fois déjà le bailli bernois de la ville voisine d'Orbe a jeté sur sa richesse un oeil d'envie.

À la fin de l'année dernière Claude d'Estavayer, Évêque de Bellegarde, était prieur du couvent. Ses gens eurent une querelle avec les bourgeois d'Orbe; le bailli exigea 1000 écus de satisfaction. Le 21 décembre le prieur mourut; il avait gros équipage, tenait grand train, faisait de bons régals, particulièrement aux Dames, et aimait le jeu avec passion; on l'ensevelit avec un jeu de cartes. Sa dépouille était à peine refroidie qu'arrivèrent, presque à la fois, aux portes du couvent, le Gouverneur de Vaud le premier, avec quelques soldats, et quelques momens après Adrien de Boubenberg, lieutenant du bailli d'Orbe. Boubenberg avait avec lui la troupe la plus forte; il fit sortir les gens du Gouverneur. C'est par son ordre et devant ses yeux que le peuple et le clergé de Romainmotier s'est ensuite assemblé et qu'il a choisi pour son nouveau prieur le vicaire du couvent, Théodule de Rida.

Partout le même désordre. La foi et la loi sont mises en question. À Orbe, à Grandson le différend continue entre Berne et Fribourg. Nulle part l'Évangile n'a éprouvé plus de résistance que dans ces deux villes, le berceau de Viret et de maint réformateur. Nulle part les prêcheurs n'ont eu plus à endurer. Aussi l'un d'entr'eux a-t-il laissé tomber sur elles une prophétie de malheur, les appelant des noms de Chorazin et de Bethsaïde. - Yverdon et Moudon ont été bien près de se faire la guerre, enseignes déployées; et déjà Payerne avait offert à Moudon de l'assister, corps et biens. Le Duc a fait intervenir son autorité.
Ailleurs les provinces se font une guerre de prohibitions. Vevey et les Valaisans ont convenu de ne point laisser sortir les blés pour le Pays-de-Vaud; et les Vaudois indignés ont résolu de confisquer « tous blés, avoines ou autre chose qui se mèneraient vendre à Vevey. » Le pays est tout entier un théâtre d'insolences et de violences. En cette confusion quelle conduite tiennent les États?

Les États s'occupent de rassembler les statuts et d'en faire une bonne collection. Ils maintiennent l'ordonnance, faite l'an dernier, pour obvier aux violences qui se commettent. Ils se sont particulièrement occupés d'une grave question que leur ont adressé des députés Bernois présens à l'assemblée. Ces députés demandent pour les ministres du nouveau culte la permission de prêcher dans le Pays-de-Vaud et ils se sont efforcés d'engager le pays à ne pas secourir son prince au cas qui il fit la guerre aux Genevois. Les États n'ont voulu répondre qu'après avoir demandé les ordres du Duc et lui ont envoyé un messager. Le messager n'a pas trouvé le prince. Que faire? Les États ont été fort troublés. « D'un côté, nous mande-t-on, ils eussent bien voulu satisfaire à toute honnête réponse à Messieurs de Berne; de l'autre ils ne voudraient de leur autorité faire chose qui ne fut selon le vouloir de leur Seigneur. Tant il y a qu'en ce qui touche le point de la foi, ils ont délibéré de vivre et mourir en a foi ancienne; et ne veulent prêcheurs de la loi nouvelle, ains suivre qu'ils ont faits entr'eux et que leur Seigneur a confirmés.
Quant à la déclaration d'aide, ce n'est à eux de s'en pouvoir résoudre, sans savoir le bon plaisir de leur seigneur, à qui il appartient d'user de leur force qui est la sienne. Ce pourquoi ils enverront de nouveau à Chambéry pour entendre son bon plaisir, suivant lequel ils sauront mieux la réponse qu'ils auront à faire à Messieurs de Berne. » C'est là tout ce qu'ont pu ou ce qu'ont su faire les États (3).

 

SOURCES.
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1 Jove. Exped. Tunet.-Leti.
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2 Nos sources accoutumées.
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3 Ruchat V, 158, 161, 345, 347. Documens sur le Pays-de-Vaud. Recherches sur les États de Al. de Mullinen, page 29. Deux erreurs me paraissent se trouver ici dans le narré de M. de Mullinen. C'est en 1534, et non en 1535, que les États, selon Ruchat, refusèrent de marcher contre Genève. En 1535, il me paraît bien douteux que les États aient été assemblés à Morges par le duc Charles en personne.

Table des matières

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Noms propres de cette page:
 
Adrien - Aimé - Anabaptistes - Angleterre - Antoine - Arabes - Avenches -

Baal - Bâle - Bandière - Barberousse - Baudichon - Bellegarde - Bernard - Berne - Bethsaïde - Bonjour - Bonmont - Boubenberg -

Calvin - Carthage - Césars - Chambéry - Chicand - Christ - Christophe - Claire - Coéfut - Cordeliers -

Dominique -

Espagne - Espagnols - Estavayer -

Farel - Français - France - François - Fribourg -

Genève - Genevois - Germain - Gervais - Giaffar - Gingins - Golle - Goulette - Grandson - Guasto -

Haidin - Henri -

Israël - Italie - Italiens -

Jaques - Jean - Jésus - Jove - Julien -

Laodicée - Longemâlle -

Madelaine - Mégret - Meisterli - Morges - Moudon - Mullinen -

Neuve - Nuremberg - Nyon -

Origène -

Paul - Payerne - Peneysans - Perrin -

Rheinfelden - Rida - Rive - Romainmotier - Romand - Romont - Ruchat -

Savoie -

Tabach - Tertullien - Théodule - Tunet - Tunis - Tunisiens - Turcs -

Utique - Valaisans - Vandel - Vaud - Vaudois - Vaulx - Vevey - Vivey -

Yverdon -

 

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