Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE

NOUVELLES D'ANGLETERRE.

Nouvelles d'Angleterre
Royaume de France
Pays Romand - Le Pays-de-Vaud
Nouvelles du soir
Noms propres de cette page

Les pays les plus éloignés de Rome sont ceux sur lesquels sa puissance s'est exercée de la manière la plus absolue. C'est des rivages du Nord, c'est du Danemarck, de la Suède, de l'Angleterre qu'on venait lui apporter le tribut, le front courbé le plus bas. L'Angleterre entr'autres, humble servante du Souverain Pontife, renouvelait chaque année son acte de soumission : elle ne négligeait pas d'envoyer à Rome l'argent de servitude, le denier de St-Pierre ; le revenu du roi égalait à peine celui que prélevait le siège pontifical; et le pape, chef d'un clergé nombreux, le propriétaire de la très grande part de la richesse nationale, pouvait en réalité se nommer le prince et le souverain du pays.
Cependant dès les temps les plus anciens, un murmure d'opposition se faisait entendre. C'était surtout parmi les Saxons, dans la race que les Normands avaient vaincue. On se souvient de ces saints hommes qui, dans les temps du grand Alfred, se vouaient à l'étude sérieuse des lettres et de l'Évangile, qui convertirent l'Allemagne, qui envoyèrent à l'Helvétie St-Gall et St-Colomban; l'esprit sévère de cette vieille église ne s'est jamais éteint complètement chez le peuple des trois royaumes. Ce peuple n'a pas eu de siècle sans prophètes.

Ces prophètes parlaient-ils trop haut, les bûchers les attendaient. Que de crimes d'hérésie, que d'hommes pieux livrés aux flammes! que de fois se rencontre dans l'histoire de l'Angleterre le nom des Wiclefites, des réformateurs, des Lollards! Leurs doctrines étaient au commencement de ce siècle répandues dans tout le pays. À plus d'un égard ils allaient plus loin que Luther. Ni soumission aux prêtres, ni saints, ni pèlerinages, ni extrême-onction, ni sacrifice pour les morts. La cène, ils l'entendaient comme Zwingli l'a enseignée. Leur nombre était devenu si grand, que les exterminer était regardé comme impossible. On leur imposait pour peine de porter sur leurs vêtemens un signe d'infamie; on les contraignait à suivre ainsi les processions et la peine de mort était réservée pour ceux d'entr'eux qui se montreraient ou dangereux ou incorrigibles. Ces peines, c'était l'Eglise qui les prononçait.

Tel était l'état des choses, quand Henri VIII monta sur le trône d'Angleterre, Henri n'est point sans quelque rapport de visage avec Luther; il en a avec lui dans le caractère : même inflexibilité; mais ce que Luther demande pour Dieu, le monarque le veut pour sa personne. C'est un fait que je vous prie de remarquer que celui d'un roi théologien. Le nôtre a mis son coeur à l'étude de la scholastique et de la science chrétienne. Thomas d'Aquin est son docteur favori et son conseil; il se tient lui-même pour grand clerc, et risqua-t-il de l'oublier, il ne lui manquerait pas de flatteurs pour le lui rappeler chaque jour.
Aucun parmi ces flatteurs n'a su lui donner de lui-même une plus haute idée, que n'a réussi à le faire Volsey, son ami, son ministre, son maître, si vous l'aimez mieux; car c'est Volsey qui, sans s'en donner l'apparence, a bien réellement gouverné long-temps l'Angleterre.

Considérez le cardinal, archevêque de York, légat du souverain pontife, chancelier d'Angleterre, possesseur de bénéfices sans nombre; voyez l'or et la soie composer, je ne dis pas la parure de sa personne, mais les housses de ses chevaux; représentez-vous l'homme d'ambition et de plaisir; puis redescendez à nos Lollards, à la religion sainte et austère, au nombre croissant des hommes qui demandaient une réforme, et vous aurez compris de quelles scènes les premières années du règne de Henri VIII ont dû affliger nos regards.

Deux églises ennemies se rencontraient à la cour, dans les écoles et au foyer domestique. Les nouvelles et les livres qui arrivaient d'Allemagne prêtaient de jour en jour une nouvelle vie à la réforme; d'une autre part on jetait aux flammes qui apprenait à ses enfans à dire en langue anglaise le Notre Père, les Dix Commandemens ou le Symbole des Apôtres. Le roi, entier comme il l'est, ne pouvait souffrir qu'un misérable moine eût soulevé toute l'Europe; il conjurait les princes d'Allemagne de mettre promptement un terme à ce fléau. « Brûlez, brûlez Luther, s'il ne s'amende » leur écrivait-il. Et descendant lui-même dans l'arène, après avoir humblement requis du saint-Père la permission de lire les écrits de Luther pour les combattre, il en réfutait les doctrines par un royal écrit. L'Europe entière sait la récompense qu'il en a reçue de Rome; Henri enviait au roi de France le titre de monarque très-chrétien; le pape le proclama le Défenseur de la foi chrétienne.

Ce titre, Henri ne voulut pas le porter en vain. Il se fit un nouveau devoir d'extirper l'hérésie dans son royaume. En 1525, peu après la bataille de Pavie, il s'allia à la régence de France pour combattre les Turcs et les Protestans, plus perfides que les infidèles. À Oxford et à Cambridge une sévère inquisition fut ordonnée; tout ce qu'on rencontra de livres luthériens fut livré aux flammes, et les personnes chez qui ils furent trouvés reçurent leur châtiment. Ce fut à ce moment que commencèrent de se répandre des fragmens de la Bible, traduite en anglais par Fryth et par Tyndal. Ni le zèle ne s'arrêtait, ni les rigueurs. Jusques en 1527 rien n'avait refroidi la fidélité que Henri portait à Rome, ou brisé l'opiniâtre persévérance avec laquelle il combattait la réformation.
Mais en cette année, le roi d'Angleterre manifesta des doutes sur la légitimité de son mariage avec Catherine, fille de Ferdinand d'Aragon et soeur de Charles V. Avant d'être sa femme, Catherine avait été celle d'Arthur son frère, et à la mort d'Arthur elle avait passé dans ses bras. Elle était vieille, infirme, et ne lui avait donné qu'une fille. Des hommes graves avaient blâmé cette union, il y avait dix-huit ans, à l'heure qu'elle fût conclue. Henri se souvint de leurs scrupules à l'apparition à sa cour d'Anne de Boleyn, jeune et belle fille, riche de grâces et de beauté, qui venait d'arriver de France. Dans un esprit Comme le sien, la passion se couvrit du voile religieux. Il recourut à son savoir en théologie; et il eut bientôt rencontré au Lévitique, Chap. XVIII, la condamnation de son mariage, et lu dans saint Thomas d'Aquin que le pape n'avait pu le dispenser d'une loi divine. Volsey de lui donner raison. Les évêques de l'appuyer. Des motifs politiques achevèrent, si l'on dit vrai, de fixer sa détermination ; Henri devait craindre en effet les dangers dans lesquels une succession contestée pouvait précipiter l'Angleterre. Sa résolution prise, il envoya son secrétaire à Rome demander la rupture d'une union que Dieu avait condamnée.

Le secrétaire arriva à Rome que cette ville venait d'être saccagée. Le pape était gardé au château de St-Ange par les troupes de l'Empereur. Placé entre Henri VIII et Charles V, Clément VII n'osa prononcer. La question du divorce était moins pour le St-siège un point litigieux qu'une difficulté d'alliance politique. Le pape s'éloignait ou se rapprochait, suivant qu'il était plus ou moins satisfait de Henri et de son allié le roi de France. Long-temps il sut temporiser. Enfin s'étant allié à Charles V, il n'hésita plus, sur la demande de la reine Catherine, à évoquer à Rome, au sein du sacré conclave, la question de laquelle dépendait tout l'avenir de l'Angleterre.
Alors Henri entra en hostilité avec le St-Siège. Un bill supprima les plus excessifs des droits que prélevait l'Eglise et réprima l'abus de la pluralité des bénéfices. Ces points furent fixés par les pouvoirs laïques, sans intervention du pape ni des conciles. Alors tomba Volsey, pour n'être pas entré assez gaîment dans la route dans laquelle se jetait le roi.

Cranmer lui succéda dans la faveur du prince. «Que pensez-vous de la grande question? » demandèrent un jour à Cranmer, deux seigneurs de la cour. - « Je la trouve simple, répandit-il, le mariage du roi est ou conforme ou contraire au droit divin; s'il y est contraire, le pape n'a pu le rendre légitime par sa dispense; mais c'est ce dont il ne fera jamais l'aveu, que les universités les plus célèbres et les docteurs les plus habiles de l'Europe ne l'aient contraint de bien parler. Je voudrais voir le roi s'attacher à cette voie, claire, facile et régulière qu'elle est. » - On rapporta au roi l'opinion de l'habile docteur; elle lui fût si agréable qu'il le fit aussitôt venir, le nomma son chapelain, lui commanda un mémoire sur le divorce et procéda immédiatement à consulter toutes les universités de l'Europe, sur le sujet de son débat avec le St-Siège. Des ambassadeurs furent envoyés en tout lieu. La corruption fut employée. Le résultat se mit en rapport avec les intérêts politiques.

En Espagne et à Naples la réponse fut défavorable à Henri, parce que le sceptre de Charles V s'étendait sur ces pays. L'université de Paris approuva le divorce. Ainsi firent les réformateurs suisses. Les universités protestantes, soit conviction, soit qu'elles se souvinssent du livre que le royal scolastre avait écrit contre Luther, se prononcèrent en majorité pour la validité du mariage. En résumé l'on convint à la cour d'Angleterre que le résultat était conforme aux résolutions du roi. « Cranmer, s'écria le monarque dans son expression bouffonne, c'est pour le coup que je tiens la truie par l'oreille. » La convocation du clergé du royaume s'inclina docile, reconnut bonne la volonté du prince et proclama Henri le Protecteur et chef suprême de l'Eglise nationale d'Angleterre.

Henri épousa Aune de Boleyn. Il nomma Cranmer à l'archevêché de Cantorbery. Il ne lui restait que de porter la question de suprématie devant ses lords et ses fidèles communes; eh bien, les deux chambres, dans leur session de l'année dernière (janvier 1534), ont effacé de la liturgie le nom du pape, aboli les annates, déféré aux chapitres, sur l'invitation royale, l'élection des évêques et chargé l'archevêque de Cantorbery de tous les actes qui ressortissaient autrefois de la cour de Rome, L'Angleterre était détachée de l'unité romaine.

N'allez pas pour cela nous croire entrés dans les heureuses voies de la réformation. Le roi, nouveau pape, le parlement, nouveau concile, ont déclaré ne se séparer sur aucun article de la foi du Catholicisme. Il est devenu crime de croire au souverain pontife, et l'on est demeuré coupable de croire comme Luther. Une hache, déjà toute sanglante, se promène sur la tête de quiconque n'adore pas les volontés inconstantes d'un monarque capricieux. Elle frappe indistinctement luthériens et papistes.

Deux nobles personnages étaient l'ornement de l'Eglise catholique; c'était Fisher, évêque de Rochester et Morus, naguère chancelier d'Angleterre. Ils se sont refusés à reconnaître la suprématie du roi sur l'Eglise anglicane et leur procès leur a été fait à tous deux. L'un et l'autre ils avaient un grand savoir; l'un et l'autre ils étaient opposés, je ne dis pas à une réforme, mais bien à celle de Luther, qu'ils ont puissamment combattue; ils avaient l'un et l'autre des vertus que Dieu a jugées aujourd'hui.

Fisher a le premier porté ses cheveux blancs sur le billot. Le pape, en le nommant cardinal, avait cru rendre sacrée sa tête; il n'a fait que hâter le jour auquel elle a été tranchée. Il a subi la mort le 16 juin.

Le 6 juillet, Morus a suivi son ami. À quelles oreilles le nom de l'ami d'Érasme n'est-il pas arrivé? De quelle des muses Morus n'avait-il reçu quelque don? Tant de science, tant d'imagination et tant de grâce s'unissaient à tant d'humilité que l'envie en était désarmée, et qu'on ne lui a connu d'ennemis parmi les gens de lettres que l'auteur de l'Antimorus ; encore celui-ci a-t-il été généralement blâmé.

Placez dans votre bibliothèque l'Utopie (1*) auprès de l'Éloge de la Folie. Comme controversiste on dit que Morus a été moins solide et moins profond que Fisher; c'est à qui les a lus à en juger. Il a écrit une histoire du roi Richard III, des Épigrammes, quelques traductions de Lucien. Dans sa prison, c'est de plus graves pensées que se nourrissait son coeur : il écrivait des réflexions sur la passion de Jésus-Christ; mais parvenu au lieu où il est dit, que les Juifs mirent la main sur Jésus, on ne lui permit pas d'en dire davantage.

Morus était autrefois venu à la cour malgré lui. « J'y viens, dit-il, comme un homme qui, ne sachant monter à cheval, peut à peine se tenir en selle. Je prévois le sort qui sera le mien. » Il était le premier laïque qui remplit la place éminente de chancelier d'Angleterre ; le premier je crois aussi qui l'ait remplie avec autant d'intégrité, de désintéressement et de zèle. Il ne craignait pas de dire : « La justice me parait si belle, que si mon père plaidait contre le diable et qu'il eut tort, je le condamnerais sans hésiter. » Ses enfans se plaignant quelquefois de ce qu'il ne profitait pas de son élévation pour leur avancement : « Laissez-moi, leur dit-il, remplir d'abord mon devoir; le meilleur partage que je puisse vous laisser, c'est la bénédiction de Dieu et des hommes. - Morus se dépouilla de sa charge avec la joie que d'ordinaire on met à l'accepter. Sa fortune, quand il parvint au poste élevé qu'il occupait, lui donnait un revenu de 100 livres sterling; il descendit de ce poste sans posséder davantage.

L'illustre prisonnier a passé un an à la Tour avant d'être jugé. Offres, insinuations, tous les efforts ont été tentés pour abattre sa constance. Sa femme l'a conjuré d'avoir pitié d'elle et de ses enfans. - « Eh! que vous semble-t-il, ma Louise, lui a-t-il demandé, que je puisse vivre encore? - Vous vivrez vingt ans, tout au moins, s'il plaît à la volonté de Dieu. - Et pour vingt ans, vous me demandez de donner une éternité! » - Le roi lui fit ôter ses livres, le seul contentement qui lui restait. Morus fit alors fermer l'entrée au jour et s'enveloppa dans la prière. Enfin le roi désespérant de vaincre sa volonté, le fit mener au palais pour y être accusé.

Redoutable exemple de la vanité des grandeurs et de l'instabilité des choses humaines! Morus comparaît devant le tribunal sur lequel il rendait, il y a peu d'années, une justice impartiale à l'Angleterre. Cette place est occupée par un juge corrompu, et lui-même il est assis au banc des criminels. On lit l'acte d'accusation ; il est coupable de s'être opposé aux décrets du royaume et d'avoir nié la puissance du roi. Il paraît sans autre avocat que son innocence et que des vertus, dont ses accusateurs et ses juges ont tous été les témoins. Il crut devoir plaider sa cause, et le fit avec calme et d'un visage assuré. Quand il eut achevé, « Guilty, Guilty, s'écrièrent ses juges, il est digne de mort; » et son successeur prit la parole pour prononcer sa sentence en ces termes :
« Nous ordonnons que Thomas Morus soit reconduit de ce lieu à la Tour, et de là traîné par le milieu de la ville jusques aux fourches de Tibourne, auxquelles il sera pendu. Et non encore mort, il sera mis à bas, éventré, ses entrailles jetées au feu, sa tête tranchée, son corps divisé en quatre quartiers, et la tête et les quatre quartiers exposés à la vue du peuple aux lieux qui seront désignés. »

Morus se leva après avoir entendu prononcer cette sentence, et regardant ses juges avec un air serein : « Sept ans, leur dit-il, voulant éclairer ma conscience, j'ai étudié la matière de l'Eglise, les plus graves auteurs à la main, et je n'ai pas trouvé un seul docteur qui fût d'avis qu'un laïque pût être le chef de l'Église. Aussi me suis-je fortifié en ma croyance, en laquelle, avec la grâce de Dieu, je prétends mourir. Vous en reconnaîtrez un jour la vérité, au moins prié-je Dieu de vous en faire la grâce, comme de conserver le roi en prospérité et de lui donner un meilleur conseil.
Ces paroles achevées, il fût ramené à la Tour.

Chemin faisant, il rencontra sa fille Marguerite qu'il chérissait tendrement et à qui il apprenait le grec et le latin ; il ne put que mêler ses larmes à celles de son enfant et lui demander qu'elle priât pour son âme. Le soir il lui écrivit avec du charbon sur du papier qu'il avait surpris, et il lui exprima la confiance qu'il avait d'aller à Dieu. On vint lui dire que le roi voulait user de clémence à son égard et qu'il n'aurait que la tête tranchée : « Je prie Dieu, répondit-il en souriant, de préserver mes amis d'une semblable clémence. » Il employa en prières le temps qui lui restait. Enfin, le mardi 6 juillet, il est monté sur l'échafaud. Faible, comme il avait de la peine à en franchir les degrés, il prit la main d'un spectateur : « Aidez-moi, lui dit-il, à monter, je n'incommoderai personne à la descente. » Il fléchit le genou, récita à haute voix le psaume : Miséricorde et grâce, ô Dieu du ciel.

Voyant ensuite le bourreau lui adresser ses excuses, il l'embrassa, lui mit en la main un angelot d'or et lui dit : « Tu me feras aujourd'hui plus grand service qu'aucun ne m'ait rendu jusques à cette heure. Je suis marri toutefois d'une chose, qui est qu'ayant à couper un col si court que le mien, je crains que tu n'aies de la peine à t'acquitter de la charge à ton honneur. » Il se couvrit le visage d'un linge qu'il avait apporté, ajusta sa tête sur le bloc , dégagea sa barbe qui s'était engagée sous son menton : « Celle-ci, dit-il, ne doit pas être tranchée, elle n'a pas offensé le roi. » Ce furent ses dernières paroles; la hache tomba à cet instant et trancha la vie d'un homme qui à la cour a vécu sans orgueil, et a paru sur l'échafaud sans faiblesse. Plusieurs ont blâmé ce goût de la plaisanterie, qui le suivit jusqu'en ce grave moment. Ses amis répondent, que sa gaîté provenait de la sérénité d'une âme pure, que l'habitude de réfléchir sur la mort lui avait appris à en contempler les approches sans frayeur et qu'ainsi la vue de son supplice n'a pu produire aucune altération dans son caractère naturellement gai.

Le roi, à ce que l'on raconte, jouait aux dés, lorsqu'on lui a appris la nouvelle de l'exécution. « C'en est fait! cela est-il possible? » s'est-il écrié, et il s'est retiré pour cacher ses larmes dans une chambre voisine. (1)

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ROYAUME DE FRANCE.

Un beau jour que le roi Henri d'Angleterre devisait avec François de France : « Mon bon frère, lui dit-il, pourquoi ne vous faites-vous pas comme moi libre de l'esclavage de Rome? » À quoi répondit, avec la permission de sa Majesté, le Nonce qui se trouvait là : « Franchement, sire, c'est que le Roi en serait le premier marri : une nouvelle religion mise parmi un peuple ne demandant que le changement du prince. »
Et François, comme il l'a bien montré, ajouta plus de foi à la fine parole de l'italien qu'au fier langage de son allié. Il a dès long-temps pour son ministre et son conseil un de ces hommes (il vient de mourir ce 9 juillet) qui ne saurait être de ceux que le souverain estime mais qui sont presque toujours de ceux qu'il emploie et qu'il préfère.

Vingt années durant, le chancelier Duprat, sans être aimé du roi, a tout pu, tout osé et n'a jamais vu diminuer la faveur dont il a joui. Il n'a eu d'autre mobile que l'intérêt actuel du prince. Aucun sentiment d'honneur ou de justice aucune vue de bien public, aucun désir personnel de gloire ne l'a jamais détourné de ce chemin. Il n'a jamais songé à servir l'État, mais seulement son maître et sa propre fortune. En se chargeant de la haine publique, il a empêché qu'elle ne parvint jusqu'au roi. On imputait au chancelier les mesures violentes et illégales, et le monarque qui en recueillait le fruit n'en demeurait pas moins aimé du peuple.

C'est Duprat qui a ôté l'élection aux églises pour les donner au roi. C'est lui qui a rendu vénales les charges de judicature. C'est lui enfin qui a montré comment l'on pouvait, sans pudeur et avec impunité, tirer de l'argent du peuple par les moyens les plus contraires aux lois et aux coutumes de France.
Son insatiable avidité le portait à fatiguer souvent le roi de ses demandes. La dernière qu'il lui ait faite vous surprendra peut-être. À la mort de Clément VII, plusieurs circonstances pouvaient faire croire qu'il serait facile au roi de faire tomber le choix du conclave sur un de ses sujets; or on rapporte que Duprat vint le supplier de jeter les yeux sur lui, l'assurant qu'il ne serait entraîné à aucun sacrifice d'argent, puisque le postulant avait 1400,000 écus tout prêts pour acheter les voix. Le roi, étonné de l'aveu, lui demanda où il avait pris tant d'argent et lui tourna le dos, sans faire autre réponse. Ne croyez au reste qu'il ait oublié la chose; son chancelier respirait encore qu'il a fait saisir ses meubles et tout l'or et l'argent qu'il possédait, ne permettant à ses enfans d'hériter que de ses terres, qui sont considérables. Duprat avait fondé à l'Hôtel-Dieu de Paris une salle destinée à recevoir un grand nombre de pauvres malades. François disait que la salle lui paraissait bien petite pour loger le grand nombre de pauvres qu'il avait faits.

Long-temps le ministre s'était montré indifférent aux affaires de religion ; mais, depuis qu'en 1550 il eût été nommé cardinal et légat, il n'a cessé de provoquer les mesures les plus rigoureuses contre les croyances nouvelles. Nous avons vu le roi, conseillé par son ministre et par sa propre colère, se porter aux dernières rigueurs contre les réformés, assister à leur supplice et défendre à toute personne, sous peine d'être brûlée vive, de donner asile aux persécutés. Il courait dans cette voie, lorsque la nouvelle de l'indignation des Allemands est venue l'arrêter.
Il n'avait pas songé à quel degré il offensait les princes de la ligue de Smalkalden, dans le moment où il avait le plus besoin d'eux. Son amertume contre l'Empereur allait croissant, et plus que jamais il est résolu de lui faire la guerre. Or comment la faire au moment où il vient de se priver de ses alliés les meilleurs. J'ai mis sous vos yeux les lettres qu'il a écrites à tous les princes d'Allemagne pour se justifier (Chroniqueur, page 34). Il affirmait entr'autres que, s'il avait fait punir des hérétiques, selon les lois antiques de son royaume, c'étaient des hommes audacieux et méchans, qui, sous le voile de religion, travaillaient au renversement de l'État; qu'heureusement il ne s'était trouvé aucun allemand parmi ces hommes impies; qu'ils étaient de ces calomniateurs du mystère du saint sacrement, dont Luther connaissait la criminelle hardiesse. François disait n'être lui-même pas loin d'envisager l'eucharistie comme les Luthériens le faisaient dans la confession d'Augsbourg. Que si le sage, le modéré, le conciliant Mélanchthon voulait venir en France, discuter la question avec ses docteurs, il ne serait point impossible de réunir l'Eglise de France à celle d'Allemagne. Cette dernière pensée doit avoir été inspirée au roi par sa soeur, la noble amie des lettres et du beau caractère des réformateurs, la belle et spirituelle Marguerite, reine de Navarre. Les Du Bellay lui ont prêté tout le secours de leur éloquence.

Mélanchton avait le premier écrit à Jean Du Bellay, évêque de Paris, pour le supplier au nom de l'humanité et de la raison de faire cesser les supplices des hérétiques. De son côté le frère de l'Évêque, Guillaume de Langey, avait dès le 1er août de l'année dernière demandé à Mélanchthon un mémoire conciliatif, qu'il pût communiquer aux théologiens français. Il n'était pas alors question d'attirer Mélanchton en France, moins encore de l'y fixer, comme on en parle aujourd'hui, on ne lui demandait qu'un écrit, il l'envoya.

C'était la Confession d'Augsbourg adoucie, interprétée, rapprochée des doctrines de l'Eglise romaine et résumée en douze articles, qui n'ont pas encore été communiqués an public. Tout-à-coup, au printemps, la voie des écrits ayant paru au roi longue et défectueuse, il a envoyé en Allemagne Vorée de la Fosse, proposer une conférence entre Mélanchthon et des docteurs choisis de l'Université de Paris. Le sieur de La Fosse devait faire les plus grands efforts pour engager Mélanchton à venir en France, et lui offrir non seulement des passeports, mais des otages, s'il le désirait. Mélanchthon n'ayant pas paru éloigné de se rendre au désir du roi, François lui a écrit de sa main, le 28 juin dernier, la lettre la plus flatteuse.
« Il attend tout de sa modération et de sa douceur et croira voir arriver la paix avec lui dans son royaume. Il le supplie de ne se point laisser détourner par de mauvais conseils d'une oeuvre aussi sainte, et de venir éprouver combien le roi de France a à coeur la dignité de l'Allemagne et la conservation du repos public. »

En même temps sa majesté chargeait son confesseur, Guillaume Petit, de préparer la faculté de théologie à cette conférence, et de lui faire choisir douze docteurs pour disputer avec Mélanchthon. Ce n'est pas tout. Le roi vient de rendre à Coucy, le 16 juillet, une ordonnance dont le but est bien évidemment de calmer l'irritation des Luthériens allemands et de les amener à un accord. « Il a reconnu, dit-il, d'après plusieurs conversions, que l'ire du Seigneur est apaisée et qu'il lut plaît dans sa bonté de délivrer le peuple de tribulations. Ce considérant, son vouloir est que tant ceux qui sont, chargés et accusés d'erreurs, que les suspects ne soient poursuivis pour raison d'icelles; ains, ils sont détenus et leurs biens saisis, ils doivent être délivrés et leurs biens restitués. Et aux fugitifs est permis le retour. Ils seront tenus toutefois d'abdiquer canoniquement leurs erreurs pour vivre en bons vrais chrétiens catholiques. Et n'entendons les sacramentaires (pour lesquels on ne supposait pas aux Allemands de la sympathie) être compris en ces présentes.
Et en outre est prohibé à tous, sous peine de la hart, de lire, dogmatiser, translater, composer, ni imprimer aucune doctrine contraire à la foi chrétienne »

Le jour même où a paru l'Édit de tolérance que nous venons de retracer, ont été accordées lettres de provision de l'office de chancelier (de la charge qu'occupait Duprat) à Antoine Du Bourg, un des présidens du parlement de Paris, qui pourrait bien avoir dicté au roi les termes de l'Édit. (2)

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PAYS ROMAND.

Genève, 31 juillet. Nous avions écrit aux gracieux seigneurs de Berne, les suppliant, comme l'enfant son père, de nous venir en aide. Notre ambassadeur avait été leur exposer clairement notre perplexité et notre bon droit. Pour produire plus d'effet, le commis de leurs Excellences, Anthony Bischoff, avait appuyé d'une bonne longue lettre notre demande de secours. Le Duc de son côté et Monsieur de Lullin, bailli de Vaud, se vantaient à Berne d'avoir fait afficher à toutes les portes des églises l'édit qu'on leur avait demandé.

Là-dessus MM. de Berne ont résolu d'expérimenter la vérité des faits. Ils ont chargé dans ce but leurs ambassadeurs, le banderet de Graffenried et Jean Rodolphe de Diesbach, de se rendre à Peney, à Genève et dans les villes de la Côte; ce dont les ambassadeurs se sont acquittés.

Le châtelain de Morges leur a montré la bonne volonté de faire observer l'édit. Celui de Nyon leur a fait voir une ordonnance encore plus forte que celle du prince et qu'il dit vouloir mettre en bonne exécution. Le châtelain de Gex leur a dit, que Monsieur le collatéral Milliet avait été vers ceux de Peney et leur avait fait les défenses de son Altesse Ducale. De Gex, les ambassadeurs se sont rendus à Peney. Ils ont dit aux gens du château, que les seigneurs de Berne avaient appris les brigandages, voleries, meurtres et autres méchancetés qu'ils avaient faites, et ne les voulaient plus supporter. Ils leur ont demandé s'ils voulaient ou non obéir à leurs Seigneurs et rendre les prisonniers sans rançon. Que si les Peneysans avaient aussi des plaintes à faire entendre, ils avaient ordre de les écouter, afin que justice impartiale pût être faite. Les Peneysans ont répondu : « Puissans Seigneurs, les objets des traitemens les plus arbitraires, bannis de Genève, forcés de nous retirer en ce château où nous vivons bien pauvrement et où trois fois nous avons été attaqués par ceux de Genève avec grand' puissance, nous serions tous à cette heure morts et déconfits, si Dieu ne nous avait pris en sa garde. Quant au mal que nous leur avons fait, il n'égale pas la moindre part de celui que nous en avons reçu.

Infidèles à leur prince, violateurs des résolutions de Thonon et de Lucerne, ils ont trompé le peuple par leurs mensonges et le tiennent sous rude tyrannie. Ils ont mis nos maisons au pillage, ont chassé de la ville nos enfans et nos femmes et ont traité celles-ci avec tant de barbarie, qu'il en est qui ont accouché prématurément. Il ne nous reste qu'à supplier vos Excellences de nous rétablir en notre bon droit et de prendre sous votre garde cette noble Ville de Genève, qui, si vous ne le faites, sera bientôt ruinée entièrement par des magistrats insensés.
Ainsi vous supplient vos humbles serviteurs, les pauvres déchassés demeurant au château de Peney et demandent au Tout-Puissant de vous avoir en sa dilection. »

N'ayant pas réussi mieux à Peney, les ambassadeurs sont revenus à Genève. Ils ont cherché à adoucir Messieurs et à les porter entr'autres à vouloir l'échange des prisonniers. Messieurs voyant bien qu'en réalité les députés n'avaient rien obtenu, ont pris le parti d'écrire aux Ligues suisses, de leur exposer de nouveau la situation des choses et d'envoyer à Berne un nouveau député pour demander secours (2*). Nous ne savons ce que penseront et feront les Seigneurs des Ligues. Pour MM. de Berne voici ce qu'ils écrivent à ce jour au Duc, à Genève et aux Peneysans.

Au Duc:
« Illustrissime prince, nous avons été avisés de ce que avez fait auprès des forensis de Peney, et néanmoins iceux forensis sont toujours en leur château, molestant nos combourgeois. Davantage depuis la publication de vos mandemens, ont été pris dans les environs d'Annecy certains Français venant de Genève. Pareillement ont été sur vos terres outragés plusieurs Genevois. Ce qui sont choses dissonantes a votre mandement. À cette cause sommes occasionnés de vous supplier d'y mettre si bon ordre, que ci-après n'y ait à répliquer. Bien que le château de Peney soit à l'évêque de Genève, par cela ne vous pouvez excuser, vu que le dit château est en votre supériorité et que les outrages se sont faits sur vos pays. Veuillez mettre fin à tout, et ce en contemplation de l'ancienne amitié laquelle est entre vous et nous. Sur ce votre bénigne réponse, signé l'Avoyer, Petit et Grand Conseil de Berne. »

Aux Genevois.
« Nobles amis! Sur la réponse qu'avez donnée à nos ambassadeurs, pareillement sur celle qu'ils ont reçue des forensis, avons avisé d'écrire à vous et à eux pour ce qu'il en est d'entr'eux qui se sont vantés d'être en droit par devant nous et de s'être soumis à notre connaissance. Ce que croyons ne refuserez de voire coté. Votre réponse reçue et la leur, nous établirons journée par devant nous, pour ouïr les allégations des parties et connaître de tout selon l'équité. »

Aux forensis de Genève demeurant au château de Peney, la même lettre mutatis mutandis.

Au milieu de ces négociations et de ces débats extérieurs, que deviennent cependant les affaires de la religion ? que font les Conseils ? que font Farel et les prêcheurs? La réformation s'accomplit-elle ? - Voici ce que j'ai à répondre à ces questions.

La dispute achevée, le rapport des auditeurs fait à la seigneurie et après que le public eut été mis en pouvoir de juger qui avait droit ou tort, les prêtres ce néanmoins continuent de poursuivre doucement leur train. Les prédicans de leur côté prêchent contr'eux et leur manière de faire, remontrant par les Écritures que, selon Dieu, les images, qu'ils appellent idoles, doivent être abattues aussi bien que la messe et toute la papauté.
« Les disputes, disent-ils, l'ont assez prouvé et clarifié, comme un chacun l'a bien entendu. » Ils ajoutent que la prudence humaine et la crainte des hommes ne doit empêcher le magistrat puisqu'il est ordonné de Dieu, de faire ce qu'il doit, et d'abattre tout ce qui a été élevé contre l'honneur et la gloire de Dieu, s'il veut prospérer en bien.

Mais nonobstant les remontrances qu'ils ont su faire, les Syndics et le Conseil se défendent toujours qu'elles ne soient abattues. Quelques-uns assurent que les prêtres et le docteur Caroli leur persuadent secrètement tout à l'opposite : « Que la chose ne doit se faire que par le consentement de l'universe chrétienté ; qu'en agissant comme on les pousse, ils se mettront en grand danger; que pour un ennemi, ils en auront cent, et leur vieil adversaire le Duc de Savoie, et le Roi de France, qui est son neveu, et l'Empereur, qui est son beau-frère; lesquels, à la suasion des évêques et gens d'Eglise, pourront grandement nuire à la cité. Et ne peuvent sortir sans être sur leurs pays. Par quoi n'est besoin, leur disent-ils, que vous abattiez les images, la messe et les autres choses ; ains faites comme avez coutume, car autrement seront tous comme loups après la brebis. »

Ainsi parlent ces rusés conseillers. Mais Dieu ne regarde à la force ni à la crainte, et ses prédicateurs n'ont telle prudence humaine. Ils attendaient pourtant encore, ne voulant rien faire sans le magistrat et se contentant de pouvoir prêcher dans l'auditoire des Cordeliers de Rive et à l'église de St-Germain, lorsque (ce fut le 29 dernier) ils furent conduits à faire un nouveau pas. Farel, (c'est toujours son nom qu'il faut dire quand il s'agit de sainte hardiesse) Farel allait prêcher à Rive; la cloche du couvent avait sonné comme à l'ordinaire, quand des réformés en grand nombre se portèrent à la Madelaine. Ils s'assemblèrent devant l'église paroissiale de ce nom, qui célébrait dans ce jour la fête de sa Sainte. Puis, allant quérir Farel : « Venez, lui dirent-ils, c'est là-haut qu'il vous faut prêcher. » Et l'ayant mis à leur tête, ils le conduisirent au temple, où les catholiques étaient assemblés.

Le prêtre avait commencé de dire la messe, il s'enfuit épouvanté. Les femmes, les hommes voulurent fuir aussi; on ferma les portes et on les contraignit d'écouter le prédicateur. La chose s'acheva ainsi au grand scandale du curé et à l'indignation des catholiques, qui en ont murmuré beaucoup. Le lendemain, ordre à Farel de ne plus prêcher à la Madelaine que le Conseil n'eût résolu autrement. Farel a obéi jusques au 27, que s'est fait le rapport de la dispute. De ce moment il n'a plus cru devoir se contenir.

Le mercredi 28, ses collègues et lui ont été conquérir l'église de St-Gervais. Cité devant le Conseil, il s'est présenté, a écouté respectueusement les avis de Messieurs; puis prenant la parole, il leur a longuement remontré par les Écritures, qu'il ne pouvait agir autrement qu'il n'avait fait, persuadé qu'il était que la ville étant éclairée, comme elle l'avait été par la dispute, l'on ne pouvait éloigner la consommation de la réforme sans s'opposer à la volonté de Dieu.
« Messieurs, a-t-il dit en terminant, je vous prie de me commander des choses justes, auxquelles je puisse obéir, de peur que je ne sois contraint de dire ce qui est vrai, qu'il faut plutôt obéir à Dieu qu'aux hommes. Vous avez reconnu que ce qui ne peut se prouver par la Sainte Écriture doit être retranché de la religion. Eh bien, magistrats chrétiens, donnez, donnez enfin gloire à Dieu. Que si vous croyez avoir besoin de l'approbation des Soixante et de celle des Deux-Cents, convoquez-les incessamment, je vous prie, et me permettez d'y paraître, j'y ferai la même demande que je vous fais présentement et que ce qu'ils auront résolu soit et demeure ferme. »

Messieurs se sont contentés d'inviter Farel et ses compagnons à vouloir pour le présent se borner à prêcher au couvent de Rive et à St-Germain. Ils ont, disent-Ils, de grandes raisons pour le demander ainsi, et ils attendent de la sagesse des prêcheurs qu'ils déféreront à ce qui leur est demandé. Ils n'ont point jugé devoir porter l'affaire devant le Grand Conseil (3).

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Le Pays-de-Vaud.

La liberté a de tout temps aimé le séjour des montagnes. Quand les grands vents balaient la plaine, elle se retire volontiers dans ces vallons enserrés, où l'horizon se rapproche, où se retrouve quelque chose des vieilles moeurs et de la vieille simplicité. Elle s'y adosse. Elle en fait son Sempach et ses Thermopyles. Avec elle s'y cachent des vertus, du bonheur et, d'ordinaire aussi, d'opiniâtres préjugés.

Habitant d'un de ces bassins enclos par les montagnes, j'en ai dès l'enfance préféré le séjour à tout autre. L'air n'y court pas comme sur les grandes terres et n'en renouvelle pas la face aussi souvent. Il y pénètre pourtant et assez pour qu'aux anciennes moeurs s'allient d'âge en âge des idées et des moeurs nouvelles.
Du reste le bassin forme un monde à soi. Le peuple y est une famille. Les citoyens se connaissent tous. Tous ont leur part à la chose publique, presque tous à la magistrature. La souveraineté y est si bien menuisée qu'une part en demeure à chacun. Vous n'y rencontrerez pas ces formes rudes et impératives, ces grands déploiemens de forces nécessaires pour contenir les ambitions, ni ces pesantes charges destinées à acheter à grand prix l'ordre et l'obéissance. Le gouvernement se laisse à peine apercevoir. « Où donc se cache le pouvoir ? » me demandait un étranger.

Le pouvoir, il est partout ; et c'est pour cette raison que nous avons une patrie. J'ai entendu des Français, des Allemands, des Italiens parler de leur pays, de leur patrie jamais. Serait-ce que ce mot n'ait sa signification vraie et profonde que dans ces vallons heureux qu'un peu de ciel recouvre et que l'oeil embrasse d'un regard ?

Chez les grandes nations, l'amour du pays se noie et se perd dans des idées de gloire. Il ne réveille point ces sensations vives et tendres qu'il soulève chez nos fils des Alpes. Je n'ai vu que l'Helvétien verser des larmes en en prononçant le nom. La patrie pour lui c'est ce petit coin du monde que les pas peuvent parcourir d'une journée. C'est ce lac, ce sont ces rivages, ces coteaux, ces champs aimés des cieux; c'est ce vallon d'autant plus cher que les limites en sont plus rapprochées. C'est une terre où il y a peu pour l'orgueil et beaucoup pour le bonheur.

Aucun rôle ne lui est réservé dans l'histoire du monde... aucun rôle ! que viens-je de dire ? Pardonne, ô noble Grèce! Pardonnez, Confédérés des hautes Alpes! Monts sacrés, comment oubliais-je que de vos retraites, où la liberté, la justice, la sainte humanité avaient trouvé un asile, elles firent entendre le cri de réveil et qu'elles descendirent dans la plaine avec la victoire. C'est dans vos vallées qu'un homme en a combattu cent, et que cent ont triomphé de mille. C'étaient des frères combattant comme on le fait pour le foyer domestique. Le peu d'étendue de la république, avec l'aide de Dieu, faisait sa vertu. Ne veuillez pas l'agrandir. Ne veuillez pas la ployer à la régularité des monarchies. La force de la Grèce en ses beaux jours, fut d'être républicaine et morcelée. Ainsi de l'Italie au moyen âge. Ainsi des Cantons des hautes Alpes.

Viennent toujours trop tôt les jours où la foi se retire, où les pensées ambitieuses entrent en fermentation, où la vie abandonne le coeur et les membres pour se porter à la tête. Réservez pour ces jours la dictature. Et dites-vous bien, qu'à l'heure où vous l'aurez proclamée, la république aura cessé d'étonner le monde par sa vertu.

Il est des temps, reconnaissons-le, où nos vallées ne sauraient échapper aux tempêtes qui bouleversent les grands empires ; c'est lors de ces grandes crises qui renouvellent la face de la terre. À ces rares époques de dissolution et de réformation sociale, les flots, comme ceux d'un déluge, recouvrent jusques aux hautes vallées et jusques à la cime des monts. Il n'est pas alors de lieu si petit et si retiré où ne se livre le combat entre les idées anciennes et les doctrines nouvelles.
Heureuses en ces jours orageux les cités à qui il est donné de comprendre leur temps. Heureuses au jour où nous vivons ces villes de Bâle, de Zurich, de Berne, de Genève, qui ont ouvert leurs portes à la vérité et aux progrès, et ont accueilli la réforme dans leurs murs. Bien moins heureuses ces villes de Lucerne, de Fribourg, ces républiques des Waldstetten, qui sont demeurées à leurs coutumes, à leur ignorance et à leurs préjugés. Mais la plus malheureuse encore ne sera-t-elle point la patrie de Vaud ?

Un trait caractérise le pays qui se déploie autour du Léman; c'est le grand nombre de ses petites villes. Comparez son aspect avec celui qu'offrent les Cantons; voyez par exemple, dans celui de Berne les cités clairsemées et les habitations partout éparses sur le sol; la sociabilité n'y a point, comme chez nos populations françaises, rapproché le toit du toit et le foyer du foyer.

Rentrez dans le Pays-de-Vaud et vous rencontrerez de deux en deux lieues une ville. À le bien voir, ce pays, privé de Lausanne comme de son centre, vous présente une confédération de petites cités et de châteaux. Il communique avec l'étranger par les relations qu'entretient la noblesse. Les petites cités sont agricoles. Le négoce ne les a point mises en communication avec le dehors, comme il a fait de Genève, de Bâle, de Zurich. Elles n'ont pas, comme Berne, des relations politiques étendues. L'air n'y est que peu et que rarement renouvelé. Pas d'idées générales, pas de vues étendues, pas d'intelligence de ce que demandent les temps. Avec tout ce qu'il y a chez elles d'amour pour l'indépendance, avec tout ce qu'il y a de religion dans leurs habitudes elles appartiennent à cette portion de l'Helvétie qui s'est alliée aux préjugés et repousse le progrès.

Ce n'est pas que ce peuple ait moins d'énergie ou qu'il soit moins jaloux de la liberté que celui des Cantons. Ce n'est pas qu'il n'ait plus de culture qu'on n'en rencontre chez les peuplades alpestres. Il n'est peut-être pas dans l'Europe entière de contrée qui possède de plus belles franchises et qui ait de ses droits plus de reconnaissances et de chartes. Il en est peu qui aient mis plus de sollicitude à les maintenir et à les défendre. Le soin qu'elle y a apporté à gardé la patrie de Vaud d'être confondue avec la Savoie et de voir ses privilèges se perdre par son agglomération aux autres provinces du duché. Le pays a conservé ses coutumes, ses tribunaux, son droit de se régir par ses lois, sa franchise de toute imposition qu'il n'aurait pas librement consentie. Nulle part en Europe il ne se rencontre aussi peu de serfs. Nulle part la noblesse ne vit plus rapprochée de la bourgeoisie. Nulle part la personne, la propriété et le domicile des citoyens ne sont protégés plus efficacement par le droit coutumier.

Tous les jours encore le peuple montre son énergie et fait preuve de son amour pour la liberté par des faits de détail. Mais ces combats se livrent isolément et ce sont des traits perdus de courage. Jamais les confédérations de petites villes ne furent heureuses; un meilleur sort ne paraît pas réservé aux villes du Pays-de-Vaud. Que leur servira, dans les circonstances où nous sommes, une résistance brisée et devenue inutile? Je vois des individus, des cités, je ne vois pas de peuple autour de moi. Pas de centre. Pas de foi commune. Des demi-lumières; pas d'idées premières et conductrices. Que feront contre Berne ces courages que rien ne rallie? Je crois voir un athlète robuste près d'entrer en lutte avec un essaim d'enfans indisciplinés. Une voie, une voie unique restait. La réforme eût pu rallier le peuple et le sauver. Elle eût désarmé l'évêque et le clergé; elle eût créé un lien entre Lausanne et les petites villes; elle eût tout soulevé, tout raffermi, tout retrempé. Elle eût mis Dieu du côté de la nation, mais celle-ci n'a pas connu son jour. C'est ici, selon le terme des Écritures, un peuple qui n'a pas voulu se laisser rassembler. Et moi qui vois mon peuple choisir son malheur, qui sais qu'en ces circonstances la victoire lui serait plus funeste que la défaite, moi qui vois venir la désolation et ne saurais la détourner, quand déjà j'entends se mouvoir les bataillons commandés dans une langue étrangère, que me reste-t-il, après avoir fait entendre ma prophétie de malheur, que de me voiler le visage? que de me cacher dans le sein de Dieu, qui peut-être en sa pitié nous réserve dans l'avenir des jours meilleurs?

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NOUVELLE DU SOIR.

Les États de Vaud viennent de faire réponse négative aux députés de Berne qui les sollicitaient d'accorder aux ministres du nouveau culte la permission de prêcher au Pays-de-Vaud. Nous renvoyons le détail à un prochain numéro.

 

SOURCES.
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1 Biographie Universelle, aux articles : Henri VIII, Fisher et more. - Schroeck, II. - Sleidan. - Burnet. - Lingard. - Sanderus et Antisanderus. - Stappleton, les Trois Thomas. - Épîtres d'Érasme, Liv. X, XIII, XV. - Brulart, Académie des sciences, article More.
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2 Hainault, abrégé chronologique. - Sismondi, Tome XVI. - Biographie Univ., Duprat, - Gaillard, histoire de François il,. - Histoire de Paris. - Sleidan, liv. IX. - Litterae Franc. I. apud Freher. Tom. III. Rer. Germ. - Feronii, liv. VIII - Épîtres de Mélanchthon.
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3 Nos sources accoutumées.

Table des matières

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1* L'Utopie est le rêve d'une monarchie républicaine, avec l'égalité des biens et les lois en petit nombre. Les attributs du prince sont, non le sceptre ou la couronne, mais la gerbe de blé. Jean Jaques Rousseau a beaucoup emprunté à Morus et notre siècle à Jean Jaques.

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2* Lettre du 21. Le Duc écrit de son côté le 25, pour assurer les Cantons que rien ne se fait contre Genève en son nom, et les prier de continuer d'apporter leurs soins à son affaire.


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Noms propres de cette page:
Alfred - Allemagne - Allemands - Alpes - Anne - Annecy - Anthony - Antimorus - Antisanderus - Antoine - Aquin - Aragon - Arthur - Augsbourg - Aune -

Bâle - Bellay - Berne - Bischoff - Brulart - Burnet -

Cambridge - Cantorbery - Caroli - Catherine - Charles - Clément - Colomban - Cordeliers -

Danemarck - Diesbach - Dieu - Ducale - Duprat -

Érasme - Espagne - Europe -

Ferdinand - Fisher - Fosse - Freher - Fribourg - Fryth -

Gaillard - Genève - Genevois - Germ - Germain - Gervais - Gex - Graffenried - Guillaume - Guilty -

Hainault - Helvétie -

Jaques - Jean - Jésus -

Langey - Lausanne - Léman - Lévitique - Ligues - Lingard - Lollards - Lucerne - Lucien - Lullin - Luther -

Madelaine - Marguerite - Mélanchthon - Mélanchton - Milliet - Morges - Morus -

Naples - Navarre - Normands - Nyon -

Oxford -

Pavie - Peney - Peneysans - Pierre - Protestans -

Rochester - Rodolphe - Romand - Rome - Rousseau - Sanderus - Savoie - Schroeck - Sempach - Sismondi - Sleidan - Smalkalden - Stappleton - Suède -

Thermopyles - Thomas - Thonon - Tibourne - Tour - Turcs - Tyndal - Vaud - Volsey - Vorée -

Waldstetten - Wiclefites -

Zurich -

Zwingli -

 

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