Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE

EMPIRE D'ALLEMAGNE.

Empire d'Allemagne
Pays Romand
La revue du passé: La réforme à Orbe
Noms propres de cette page

On se fait assez généralement à l'étranger une idée peu juste de l'Anabaptisme, de la variété des sectes qu'il renferme, de son étendue, de sa nature et de son mouvement. On le croit retranché avec Jean de Leyde, et tout ce qui s'étend des Alpes à la Mer du Nord palpite encore de frayeur à son seul nom. (1)

En Allemagne, en Suisse et dans les Pays-Bas, tous les États demeurent en lutte avec lui. La chute de l'empire de Munster a, je le crois, ôté grandement à sa gravité comme fait politique. Bien des consciences, bien des intérêts se sont détachés de lui. Les classes moyennes se sont alliées à la noblesse pour lui porter une haine mortelle ; mais il continue de se recruter dans la classe inférieure et de faire son chemin dans les villes et dans les campagnes. C'est un feu qui s'avance sous la cendre; qui sait s'il ne se trahira pas par de nouvelles explosions?

Il ne manque pas, en Hollande surtout, d'hommes qui se disent appelés à rétablir le royaume de Jean de Leyde. D'autres ne permettent pas qu'on les confonde avec les fanatiques qui ont voulu par la violence fonder le règne de Jésus-Christ; ils se forment en petites congrégations de frères, sans autre ambition, disent-ils, que d'amener le monde au véritable Évangile, en faisant briller aux regards une lumière plus pure que celle des églises de la réforme.
D'entr'eux il en est qui se montrent attachés servilement à la lettre des Écritures. D'autres parlent du Verbe intérieur, qui doit donner l'intelligence du Verbe écrit. À leur tour, ils se divisent en deux classes; l'une plus attentive à rechercher l'action morale de l'Esprit-Saint sur les coeurs, l'autre qui parle de visions, de révélations et de miracles.

Franck appartient à la fois à la tendance morale et à la tendance mystique. Il vient de publier un écrit renfermant ce qu'il appelle les deux cent quatre-vingts paradoxes de l'Évangile ; ce sont autant de propositions, qui paraissent folie à la raison humaine et sont sagesse à la foi. L'idée du livre pouvait être heureuse, si le penchant de son auteur à l'extraordinaire et au bizarre ne s'y trahissait à chaque page.

Schwenkfeld, gentil-homme silésien, prêche à Strasbourg sur le malheur des temps; et il le fait consister surtout en ce que les réformateurs parlent beaucoup de la foi et ne l'entendent guère. « Leur évangile, dit-il, consiste à maudire le pape et à se tenir pour bien affranchis du tribut qu'ils payaient aux prêtres. Ils se font du dogme de la justification par la foi de nouvelles indulgences acquises à bon marché, du rejet du libre arbitre un motif de négliger le bien, du non-mérite des oeuvres et de la satisfaction de Jésus-Christ une source de fausses consolations; et tandis qu'ils roulent en tous lieux leurs eaux bruyantes, ils ne laissent point parvenir jusqu'aux âmes le doux murmure des ruisseaux de Jésus-Christ.
Il est donc temps, poursuit-il, de quitter ces hommes qui n'ont su que nous sortir d'Égypte et nous laissent perdus dans le désert.

Mort pour mort, faux Christ pour faux Christ, mieux vaudrait retourner à l'ancienne tyrannie, que demeurer asservis à tous ces papes nouveaux, à leurs dogmes sans efficace, à leurs disputes sur la cène, le baptême, les cérémonies, en un mot, à l'extérieur de la religion. »

Schwenkfeld n'est point entré dans les rangs des Anabaptistes. Il ne veut être de leur secte non plus que d'aucune autre; c'est à Jésus-Christ seul qu'il veut appartenir; du reste les Anabaptistes parlent à peu près tous comme lui. Tous ont le doigt dans les plaies de la réforme. Ils ne voient que tyrannie dans la société, que dérèglement dans l'Eglise, et de piété parfaitement franche que dans ces petits troupeaux, la balayure du monde. Ils se glorifient entr'autres, dans les états protestans, d'être les seuls persécutés, et dans les pays catholiques, de l'être bien plus ardemment que ne le sont les sectateurs de la réforme (2).

À vrai dire, la rigueur des ordonnances dirigées contre eux se mesure presque en tous lieux à la crainte qu'ils ont inspirée. Philippe de Hesse est, je crois, le seul prince qui ait proclamé libres les consciences, qui ait distingué dans l'Anabaptisme les congrégations paisibles des sectes ambitieuses et turbulentes, et qui ait exprimé la détermination de ne punir que les faits par lesquels celles-ci attenteraient à l'ordre social. En Saxe, les sectaires sont punis de mort, et les règlemens y sont exécutés avec une telle rigueur qu'ils viennent de frapper jusqu'à des Zwingliens, dont tout le crime était de comprendre autrement que Luther le sens de l'institution de la cène. Les évêques sur les bords du Rhin voudraient et n'osent sévir.
Dans les Pays-Bas, les édits les plus sanglans viennent d'être publiés au nom de l'Empereur.
En Angleterre, plusieurs Anabaptistes ont été récemment mis à mort.

Chez les Suisses, la cordialité des peuples et les moeurs républicaines repoussent les lois de sang, et les ordonnances contre les sectaires sont mêlées de raison, de ménagemens et de douceur ; elles vont pourtant aussi jusqu'à la peine de mort.

Partout la rigueur des peines, et le nombre des Anabaptistes n'en va pas moins s'accroissant. Et dans tous les lieux où ils pénètrent s'arrêtent les progrès de la réforme. Nous vous avons dit le parti que tire l'Église romaine des armes que l'Anabaptisme lui met en main, l'étonnement et la stupeur des soutiens de la réforme et le découragement de Luther. Déjà cependant un fait remarquable se manifeste à la suite de ces jours d'ébranlement et de deuil.
L'humiliation enseigne le croyant; elle le conduit à des pensées de paix et nous voyons aujourd'hui se répandre dans tout le corps de la réforme un esprit tout nouveau de douceur, de tolérance et de modération.

Bucer, qui hier n'était rien, trouve aujourd'hui toute l'Allemagne attentive à sa voix. Vous savez quel est Bucer. Il représente en Allemagne la pensée conciliatrice. La Providence, en le plaçant à Strasbourg, dans une ville l'alliée des Suisses et l'amie des princes allemands, lui assigna le rôle de pacificateur, qui est le sien. - Que de lettres écrites, que de voyages entrepris dans le but de réconcilier Luther avec Zwingli, la réforme avec elle même ! Que de peines prises sans succès jusqu'à ce jour, qu'un vent nouveau est venu prêter aux paroles de Bucer une force inattendue.
Le croirez-vous? tout semble s'acheminer à un rapprochement; tout parait tendre à faire cesser le schisme de la réforme. Que si vous en doutez, lisez ce qu'écrit Luther. Voici la réponse qu'il vient de donner aux magistrats et au clergé d'Augsbourg, qui lui avait témoigné le vif désir de voir le terme des divisions soulevées par la question sacramentaire :

« Sages et honorables Messieurs, mes gracieux et chers amis, leur écrit-il, ce ne sont point les lettres mortes, qui se pressent sous ma plume, qui vous diront ma joie du message de paix que vous m'avez adressé. Dieu en soit loué, j'ai reconnu la sincérité de votre langage. Vous dites bien. Plus de ces misères. Les coeurs tout à la paix. Chose meilleure ne peut m'advenir. Vos lettres ont si bien guéri le soupçon qui faisait ma blessure, qu'il ne m'en reste cicatrice. Faites donc et persévérez, je vous en supplie au nom de Christ. Poursuivez ce que vous avez commencé par son Esprit. Ne croyez pas que, pour ma part, il y ait rien que je ne sois disposé à faire ou à souffrir pour arriver à cette sainte concorde que recherche votre charité. Donnez, donnez-moi cette joie et je m'en irai, chantant avec larmes : Tu laisses maintenant aller ton serviteur en paix; car mes yeux auront vu cette Église réconciliée, la gloire de Dieu, le tourment du diable et le désespoir des méchans. Qu'après tant de tentations et de croix, cette joie me soit accordée, et qu'il soit donné à mes yeux de s'en rassasier, avant que je meure. Amen ! Croyez que je prie pour vous. Ce 20 juillet. Du docteur M. Luther. » (3)

Dieu est parmi nous, nous sommes-nous écriés en entendant ce langage de Luther, et nos coeurs émus se sont rouverts à la joie. Les voilà donc ces hommes de franche volonté près de se donner la main. Mais au moment où ils vont le faire, voici que des propositions leur arrivent du dehors et que des paroles de paix leur parviennent de plus d'un côté. Ajouteront-ils à ces paroles la même foi qu'à celles de leurs frères? François 1er les veut pour amis; il écrit à Mélanchthon; il invite les théologiens allemands à venir conférer avec les siens. Le pape, de son côté, leur adresse Vergerio et les appelle à un concile. Henri VIII enfin, après s'être détaché de Rome, leur offre l'amitié de l'Angleterre. Mais c'est à une prochaine feuille que je confierai ce que j'aurai appris de l'état de ces nouvelles négociations.

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PAYS ROMAND.

Genève, 14 juillet. Que vous dire de ces quinze jours, que nos nouvelles douleurs, et les nouvelles injures que nous avons reçues des traîtres et brigands de Peney? Je vous racontais le réveil de nos amis de Berne, le renouvellement de leur intervention et les espérances que nous en avions conçues. Le Duc, disait-on, avait été touché du sérieux des avertissemens qu'il avait reçus; il s'était engagé à mettre un terme à nos désolations et nous apprenions qu'un ordre, émané de sa cour, avait été porté en Savoie et dans le Pays-de-Vaud, pour arrêter le cours de ces brigandages. Un édit fut en effet publié, conforme au désir des seigneurs de Berne; le Duc écrivit à Berne qu'il avait été partout proclamé et affiché aux portes des temples.

Le 3, l'ordonnance fut promulguée à Gex et à Ternier. Nos citoyens crurent respirer. Les plus pressés de sortir et d'aller aux champs pensèrent pouvoir le faire en sûreté. Or voici quelle est cette sûreté à nos alliés si acertement promise.

Le 4, lendemain du jour de la publication de l'édit, ils ont commencé à prendre dans le pays de Gex les vaches de nos bourgeois.

Le 5, ils ont dépouillé un jeune compagnon français, lui ont pris trois écus d'or, et l'eussent tué n'eût été la miséricorde de Dieu.

Tous les jours suivans, ils ont fait quelque acte nouveau de violence. Le 8, ils ont pris Robin Guillet avec son bateau. Le 11, ils se sont jetés sur Jean Métral et sur Louis Boulon, pâtissiers de Genève. Le 13, Monsieur d'Espérier, fils de M. Piccaraisin, a rompu deux maisons à notre secrétaire Claude Roset et lui a robé tout le sien. On nous apprend aujourd'hui que Claude Farel, frère de notre réformateur, Jean Saulnier et quelques autres français, qui, après quelque séjour à Genève, se retiraient dans leurs pays et traversaient la Savoie sur la fiance d'icelle crie, ont été à Faverges, près d'Annecy, arrêtés, maltraités et emprisonnés par les gens du lieu.

Et depuis les dites cries, n'est pas venu à Genève un sac de blé au marché, ni une charrée de bois, où deux fois la semaine il en venait plus de 500. Et n'est venu bestiage que soit, sinon une vache qu'amena un jour un homme de Ternier et la vendit 8 florins; et quand il eut repassé le pont d'Arve, le châtelain de Ternier le prit et le composa à 20 florins. Des oeufs, du beurre, du fromage et du lait, il n'en vient point, si ce n'est des granges qui sont en la franchise ; encore ceux qui en apportent ont-ils soin de ne venir que de nuit.
Dont apparaît assez clairement si les cries sont observées. Parquoi sommes en grand pauvreté et notre peuple en une perplexité lamentable. Et bonnement ne savons que devenir. Pourtant je n'ai dit le plus cruel encore.

C'était hier, mardi, 15 du mois; le Conseil était assemblé, quand on apporta un cartel adressé à la ville par ces brigands. Le cartel proposait l'échange de huit prisonniers qu'ils ont contre quelques-uns de leurs complices que nous retenons dans les prisons de Genève.
Louis Chabot et certains parens de ceux qui sont prisonniers à Peney exposaient que, si l'on faisait justice des captifs, les Peneysans maltraiteraient les leurs. À ce langage, à cet affront, qui n'a frémi dans le Conseil?

Quoi, trente à quarante bandits oser traiter d'égal à égal avec Genève! Les traîtres oser parler comme s'ils faisaient une légitime guerre! Messieurs ont rejeté le cartel avec indignation. À ceux qui sollicitaient pour les prisonniers ils ont répondu en les priant de considérer que leurs parens détenus à Peney sont gens de bien, tandis que nos captifs sont des traîtres, ensorte qu'un pareil échange ne peut se faire avec honneur. Et le même jour, convoquant les Deux-Cents, ils leur ont soumis une proposition, la mieux faite pour dire aux brigands que nul traité n'est à faire avec eux.

Cette proposition était celle d'ajouter 37 noms aux noms de ceux qui, le 16 juin, ont été condamnés à mort et à être écartelés, et de condamner tous les Peneysans au même supplice au cas qu'on les puisse saisir. Les Deux-Cents, pleins de la même indignation que Messieurs, ont accepté le décret, et ils n'ont pas hésité à prononcer la sentence de Michel Guillet, de Prato, de Roi, de Claude Baudet et de tous ces Mamelus abhorrés. Leurs noms ont été récités et leur sentence a été prononcée solennellement par le syndic, Hudriod du Molard, monté au lieu ordinaire du tribunal, avec grand bruit de trompettes. Le même jour a été ordonné le supplice d'Antoina, la vénéfique, qui était demeurée jusques à cette heure en prison.
Enfin, de deux frères du nom de Malbuisson, tous deux grands partisans de Savoie, l'un se trouve dans les prisons de Genève, l'autre est parmi les Peneysans; celui-ci avait à diverses fois demandé l'échange de son frère contre les prisonniers faits par les gens du château; on vient de lui répondre en le condamnant à la mort prononcée contre tous les fugitifs.

Demain le syndic Chicand proclamera la sentence, laquelle ordonne que la tête du traître soit fichée à un clou sur la porte du Molard, où il faisait sa trahison, et que ses quartiers soient pendus au gibet avec des chaînes de fer. Les catholiques frappés de terreur quittent la ville en grand nombre. La rage et la douleur se sont emparées du Conseil et des citoyens. N'oubliant point toutefois leur péril dans leur colère, Messieurs envoient un ambassadeur retracer à Berne nos nouvelles afflictions et s'adressent en ces termes à nos alliés très chers, mais bien difficiles à émouvoir :
« Sus tant d'afflictions qu'avons souffertes depuis qu'avons laissé l'Évangile franc en notre ville par votre bon conseil, avons par l'espace quasi d'un an prié et supplié vos Excellences de nous avoir pour recommandés, de nous donner quelque réconfort et de faire que nous puissions servir Dieu et satisfaire à vos Seigneuries, en ce que leur sommes tenus et obligés. Et voici, nous ne saurions donner meilleure déclaration de notre supplication, sinon que de toujours vous prier, comme l'enfant, bien appris, qui, quand son père lui demande : Comme le veux-tu . répond: Ainsi qu'il vous plaira; à savoir nous être bénignement en aide selon votre bon plaisir et discrétion, comme ceux qui mieux savent ce qui est au patient nécessaire que le patient même.
De quoi de rechef affectueusement vous supplions pour l'honneur de Dieu et par charité, afin que ne soyons totalement détruits et contraints d'abandonner le lieu. Néanmoins soit faite la volonté de Dieu notre Père. Nous le prions de nous donner bonne patience aux afflictions qui d'heure en heure nous croissent, et à vos Excellences pouvoir et vouloir d'assister les pauvres affligés pour l'Évangile en leur bon droit et tandis qu'il en est temps.
Il vous plaira ouïr notre ambassadeur, auquel avons donné charge de vous dire les pilleries et les maux qui nous ont été faits dès huit jours en çà. Du 14 juillet. Les Syndics, Petit et Grand Conseil de Genève. »

SOURCES.
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1 D'où vient que tous nos historiens s'arrêtent et ne disent plus mot de l'Anabaptisme, après avoir raconté la prise de Munster? N'est-ce pas laisser dans les esprits une idée fausse d'un mouvement dont ils paraissent méconnaître la gravité et l'étendue?
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2 Il s'est développé dans le Protestantisme peu de sectes dont les germes ne se soient montrés dès ces premiers jours d'affranchissement. Nous en trouvons la preuve dans l'histoire des hérésies d'Arnold, dans Schroeck, tomes III, IV, V, et dans les divers écrits sur l'Anabaptisme que nous avons déjà cités.
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3 Schroeck. Tome III, page 538. Lettres de Luther, recueillies par De Wette, Tome IV.

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REVUE DU PASSÉ. LA RÉFORME A ORBE.

Les voyez-vous tout meurtris par l'orage
Et fatigués de son courroux?
Le jour viendra, qu'assis sur le rivage,
Ils béniront le Ciel plus doux. -

Un rideau de noires montagnes et de sombres forêts de sapins sépare le Pays-de-Vaud des deux Bourgognes. Trois gorges y forment trois entrées ; celle du nord traverse la Sainte Croix, celle du sud le village de St-Cergues (Santi Cyriri); entre ces deux cols s'ouvre un troisième passage et une route très fréquentée, qui, dès les temps les plus anciens, sert aux communications de l'Italie avec la Lorraine, le comté de Bourgogne et les Pays-Bas.
Cette route arrive au village de Ballaigue, passe sous le château des Clées et traverse la ville d'orbe, dont elle explique le nom et l'importance durant les derniers siècles (*1).

Les Clées (Clé ou clées, claies, fermeture), ville forte, située à l'étroit du passage, a joué un assez grand rôle durant ces âges. Tous les nobles des alentours y avaient leur maison; au temps de l'anarchie féodale, ils en avaient fait un repaire de brigandage. Ils firent tant qu'un orage éclata sur eux, que leur ville fut prise et que ses murs furent renversés.

Dans l'intérêt de la paix, du négoce et des nombreux pèlerins qui se rendaient en Italie, le pape Innocent Il ordonna que jamais la ville ne fût relevée. Elle n'en fut pas moins rétablie au bout de peu de temps. À la noblesse qui y faisait séjour appartenait, sous les ducs de Savoie, de protéger le transit, de prêter main forte aux gens du péage et de garder le défilé (2*). Elle remplissait cet office quand une main sage et ferme régissait la patrie ; cette main venait-elle à faiblir, la noblesse retournait à ses habitudes et elle à infester les chemins. Les Clées redevenaient où s'amassaient ses rapines. Telle était encore cette ville, il y a aujourd'hui cinquante ans.

À cette époque, des gentils-hommes qui y formaient garnison firent main basse sur des ambassadeurs, conseillers de Berne et de Fribourg; et une seconde fois, l'orage gronda sur les murs des Clées. L'armée suisse s'en approcha. Pierre de Cossonay, qui commandait dans la ville, se voyant dans l'impossibilité de la défendre, la réduisit en cendres et se retira dans le château. Il avait avec lui 70 hommes. Les Suisses ouvrirent la brèche ; la place allait être pris d'assaut lorsque Cossonay se rendit, ne demandant que de pouvoir se confesser avant mourir. Sainte Croix, son lieutenant, et les quatre hommes qui avaient massacré les ambassadeurs des Cantons périrent avec lui sur l'échafaud ; on fit grâce au reste de la garnison.
À ce jour a fini le grand rôle que les Clées ont joue dans 'histoire du Pays-de-Vaud.

Quittons les Clées et suivons le cours de l'Orbe.
Descendue du lac Quinsonnet (3*), cette rivière commence par couler entre deux parois du Jura; elle forme le lac de Joux, celui des Brenets, se perd une demi lieue durant dans les fentes, de rochers calcaires, renaît au pied du mont, en des lieux qui n'ont à envier à Vaucluse que d'avoir été chantés par Pétrarque; elle continue son cours à travers un pays toujours enchanté, tantôt roulant paisiblement ses eaux froides et azurées, tantôt les précipitant, toutes blanchies, de cascatelle en cascatelle ; enfin, arrivée au moment de s'épancher dans le grand marais, elle fait un contour et baigne en l'embrassant le pied d'une noble colline ; c'est sur cette colline que s'élève la ville d'Orbe.

Le nom d'Orbe rappelle une vieille illustration. Que de fois, se rendant en Italie, des rois et des empereurs ont arrêté leurs pieds sur ces coteaux, à la première vue des Alpes !
Théodelane faisait sa résidence dans ces murs, quand Brunehaut, la terrible, vint lui demander asile, ne put l'obtenir de la colère des grands et fut par eux livrée aux vengeances de Clotaire II, qui la fit déchirer par des chevaux emportés.
Deux siècles plus tard s'accomplit à Orbe un grand événement historique, le démembrement de l'empire de Charlemagne. Le Pays-de-Vaud est placé entre l'Allemagne, la France et l'Italie, et Orbe était au neuvième siècle la ville la plus importante du Pays de Vaud : elle fat le lieu où les fils de Louis-le-Débonnaire se réunirent pour partager ses états (en 855).

Le neuvième siècle n'avait pas fini que se firent de nouveaux démembremens. Rodolphe fonda sur les deux flancs du Jura le royaume de la Haute-Bourgogne (en 888). Alors la ville, située en un lieu fort, au passage des montagnes, et au centre du royaume nouveau, devint la fréquente résidence des princes héroïques et de leur cour

C'est près d'Orbe que Berthe rencontra une jeune fille qui filait attentive, en même temps qu'elle gardait ses brebis. Elle lui envoya, dit le vieux récit, un cadeau pour encourager sa diligence. Le lendemain, ajoute la chronique (4*), de nobles dames, qui avaient appris la chose, parurent à la cour avec un fuseau à la main; mais la reine ne leur fit aucun présent et se contenta de leur dire : « La paysanne est venue la première, et comme Jacob elle a emporté ma bénédiction. » Depuis la chute de la maison de Bourgogne, Orbe a vu sa gloire déchoir (5*). Comme Grandson, elle appartenait au sire de Château-Guyon, quand les Suisses s'en approchèrent, vainqueurs du duc de Bourgogne. La ville leur envoya ses clefs; mais le capitaine de Joux, qui commandait dans la citadelle et y avait une garnison de 400 hommes, résolut de s'y défendre jusqu'à la dernière extrémité. Enfin le bourreau de Berne trouva le moyen de pénétrer dans la place et d'en ouvrir le chemin aux Confédérés; il y réussit en donnant sa vie. L'on se battit sur les escaliers, dans les allées, dans la grand'salle, dans les greniers et jusque sur les crénaux. La garnison finit par se réfugier dans la principale tour, où les Suisses la suivirent et où s'engagea, au milieu des flammes et de la fumée, le combat le plus acharné. Déjà plus de 120 hommes avaient mordu la poussière et un plus grand nombre encore avaient été jetés par les fenêtres. Il y avait une heure que de Joux se défendait à la grand'garde, lorsque les Suisses y pénétrèrent par une porte dérobée. Le brave succomba sous leurs coups et tous ses soldats furent précipités du haut des rochers. Il ne reste aujourd'hui que deux tours du château, théâtre de cette défense intrépide. Orbe était tombée au pouvoir des villes de Berne et de Fribourg. Son petit territoire fut réuni pour former un seul bailliage avec le territoire plus étendu que les deux cantons acquéraient autour d'Echallens. C'est dès lors à Echallens qu'a résidé le bailli; à Orbe leurs Excellences ont un châtelain.

II

Le jour vint les deux cantons se divisèrent sur le sujet de la religion. Nous nous rappelons le traité que Berne sut faire signer par Fribourg. Le culte catholique devait être abolit partout où la réforme obtiendrait la pluralité des voix. Que si la messe l'emportait, les évangéliques n'en devaient pas moins conserver le libre exercice de leur religion et leurs ministres la liberté de prêcher. Cette convention ne fut pas plus tôt conclue que l'on vit se montrer à Orbe des commencemens de réformation.

On dit que ce fut en 1530, sur la place, et un jour de marché que Farel prêcha pour la première fois à Orbe contre Rome et sa tyrannie. Un marchand vendait des indulgences et il en avait pour tous les crimes. « En avez-vous, lui demanda-t-il, pour qui tuerait père ou mère ? » La réponse du marchand fut telle, que Farel, plein de colère, monta sur le bord de la fontaine et, s'en faisant une chaire, en appela aux consciences des hommes, de la religion corrompue de laquelle ils étaient les jouets. J'ai entendu dire que de ce jour, il y eut à Orbe quelques personnes qui, ayant compris Farel, se montrèrent inclinées vers les doctrines de la réformation.

Ce ne fut toutefois que l'année suivante (1531), qu'il leur fut donné de se manifester. Il y avait à Orbe un frère mineur de l'ordre de St-François, nomme Michel Juliani, confesseur et administrateur des religieuses de Ste-Claire, qui passait pour savant. Il fut choisi pour prêcher pendant le carême et les réformés furent des premiers à l'aller écouter. L'occasion était belle de déclamer contre la nouvelle religion, et Juliani s'emporta à dire contre les évangéliques des choses bien dures et bien fortes. Ceux d'Orbe en furent si offensés qu'ils écrivirent ce qu'il avait dit et le firent savoir à Berne. Jost de Diesbach, alors bailli d'Orbe, exhorta le prêtre à se modérer. Le conseil et les bourgeois, bons catholiques qu'ils étaient pour la plupart, l'en prièrent aussi, lui remontrant qu'on relevait tout ce qu'il disait et qu'il ferait mieux de prêcher tout simplement, sans invectiver contre personne. Mais il continua, sans vouloir rien écouter.

Un jour donc déclamant contre les moines et les religieuses qui quittaient le couvent pour se marier : « Pensez-vous, dit-il, que ces moines et ces moinesses, qui ne veulent endurer la peine, ni la castigation, et qui renoncent à leurs voeux pour accomplir leurs voluptés charnelles, pensez-vous qu'en eux soit accompli et fait mariage légitime? Ah! nenny; mais ils sont paillards, infâmes et déshonnêtes, apostats abominables devant Dieu et devant les hommes. - « Vous en avez menti, » lui cria un réformé d'entre les bourgeois, Christophe Holard, qui crut que le moine en voulait à son frère, naguère chanoine de Fribourg et qui s'était marié depuis qu'il avait embrassé la réformation. Cette parole excita un vacarme effroyable dans l'église. Les hommes voulaient aller assommer Holard; mais on leur ferma les portes des chapelles où ils étaient. Là dessus les femmes se jetèrent sur lui, comme des furies déchaînées, le prirent par la barbe, la lui arrachèrent, le dévisagèrent à coups d'ongles et de poings; elles l'auraient assommé, si le châtelain, Antoine Agasse, ne fut survenu, qui eût bien de la peine à le leur ôter d'entre les mains, pour le faire conduire au fond d'un cachot.

Le bailli ayant appris ce tumulte par Marc Romain, le maître d'école. accourut à Orbe, où il fit Juliani prisonnier et tira Holard de sa prison. Le peuple en fut si irrité, qu'il se jeta sur le maître d'école, le fit fuir jusque dans l'église, où les femmes qui s'y trouvaient, écoutant le salve regina, se jetèrent sur lui, le prirent par les cheveux, le jetèrent à terre et l'auraient tué s'il n'eut été secouru par un honnête bourgeois qui était de la religion. Il n'osa depuis ce jour se montrer dans les rues qu'accompagné de deux sergens, qu'on lui donna pour sa garde. Les deux villes finirent par être obligées de le prendre formellement sous leur protection.

Cependant le peuple s'attroupa autour du château où était le bailli, avec Holard et Juliani. Quand ils le virent sortir, tous se mirent à crier : « Pourquoi avez-vous arrêté notre beau-père et avez-vous relâché Holard ? » Il leur répondit : « J'ai pris le moine par ordre des seigneurs de Berne, et relâché Holard sur la caution qu'il a donnée. » Mais ils ne furent pas contens de cette réponse et voulurent le presser davantage. Lors il se contenta de leur dire, que s'ils le voulaient prendre à leurs risques, ils le pouvaient faire; que quand à lui il ne le leur conseillait pas. Arrivé sur la grand'place, il rencontra les dames et les femmes de la ville qui, se jetant à genoux, les larmes aux yeux, se mirent à crier : « Miséricorde pour notre beau-père Juliani. » - « J'ai des ordres, répondit le bailli, j'ai des ordres et ne puis me dispenser de les exécuter. »

Le lendemain, les bourgeois envoyèrent deux députés à Fribourg se plaindre de ce qui était arrivé. Ces députés étaient François Verney et le banderet Pierre de Pierre-Fleur, auquel nous devons le récit circonstancié des faits que nous retraçons. Les seigneurs de Fribourg firent partir deux conseillers pour Berne, et les deux villes envoyèrent de concert des députés à Orbe, pour le dimanche suivant, 2 avril, jour de Pâques fleuries, afin de terminer l'affaire.

III

Les Bernois en passant à Avenches y trouvèrent G. Farel et ils l'amenèrent avec eux, dans le dessein de le faire prêcher à Orbe. En effet lorsque les vêpres furent dites, Farel monta promptement en chaire dans le dessein de parler. Ce que voyant le peuple, hommes, femmes, enfans, le suivirent et se mirent tous à siffler, à crier, à l'appeler chien, hérétique, diable, avec un bruit si terrible qu'on n'aurait pas ouï tonner. Farel se conduisit comme accoutumé à de semblables réceptions. Mais sa fermeté les irrita tellement, qu'ils en vinrent à une sédition, le saisirent et le maltraitèrent si fort que le bailli, craignant un plus grand mal, le prit par le bras, le conduisit hors de l'église et l'escorta jusques en son logis. Farel ne se rebuta point. Le lendemain à six heures du matin, il voulut prêcher sur la place; mais il ne put obtenir qu'on l'écoutât. Sur le soir, on assembla le conseil de la ville et les députés de Berne et de Fribourg s'y rendirent avec maître Guillaume. À l'issue du conseil, les femmes qui s'étaient attroupées pour attendre le prêcheur, allèrent le saisir, le jetèrent à terre et se mettaient à le battre, quand un gentil-homme accrédité, nommé Pierre de Gleyresse, le leur ôta d'entre les mains, leur disant: « Mesdames, pardonnez-moi pour cette heure, je l'ai pris à ma charge; » sur quoi elles le laissèrent. La principale de ces dames, qui commandait toute la troupe, était une noble fribourgeoise, Elisabeth Reiff, qui avait épousé un gentil-homme d'Orbe, nommé Hugonin d'Arnay. Bientôt après Dieu lui toucha le coeur, comme autrefois à Lydie. Elle et son mari embrassèrent la réformation, et ils y persévèrent aujourd'hui.

Le mardi, on assembla la justice, et le moine Juliani ayant été tiré de prison, les députés de Berne proposèrent contre lui vingt-trois articles recueillis de ses sermons. « Ces articles, dirent-ils, sont contre Dieu et contre notre autorité, » et ils intentèrent une action criminelle contre lui. De cette accusation pourtant il ne sortit heureux résultat. Juliani reconnut avoir prêché ce que renfermaient quelques-uns des articles et ce qu'il croyait être conforme à la doctrine de l'Eglise; le reste, il nia l'avoir proféré, de la manière au moins dont on lui prêtait d'avoir dit. L'audition des témoins prit le jour tout entier et la décision devant être remise au lendemain, Juliani fut donné en garde à D'Arnay, qui voulut bien le cautionner corps pour corps. Le lendemain, mercredi de grand matin, la justice étant rassemblée, les députés de Berne demandèrent que le moine, coupable de lèse-majesté divine et humaine, fût puni en corps et biens. Juliani soutint de son côté qu'il n'avait été si présomptueux que de prêcher quoi que ce soit de lui-même sans l'avoir puisé dans les Écritures. Les juges décidèrent qu'il serait absous, s'il prouvait par les Écritures tout ce qu'il avait dit. Là dessus il fit son apologie et dès qu'il l'eut achevée, ils le déclarèrent innocent et le mirent en liberté.

Mais il y eut des gens que ce jugement ne satisfit guères, et de ce nombre furent les députés de Berne. À peine une heure était écoulée, qu'ils envoyèrent des sergens arrêter le beau père; mais on ne le trouva pas. Prévoyant bien ce qui arriverait, il était incessamment sorti de la ville et s'était retiré en Bourgogne, au grand regret des bonnes religieuses dont il était confesseur.

Nous ne devons pas oublier que Farel, avant la décision du procès auquel il fut présent, pria les juges de faire lire la patente qu'il avait reçue des seigneurs de Berne, portant ordre à tous leurs sujets de le favoriser et de le soutenir dans ses prédications. Mais à peine la patente fut elle lue que le peuple, sans attendre la décision du Conseil, se mit à crier tout d'une voix qu'il s'en allât, qu'on n'avait que faire de lui ni de ses prêches. Les moines étaient derrière le peuple occupés à l'exciter.

Il est à Orbe deux couvens, l'un de cordeliers, l'autre des soeurs de Ste-Claire ; la grande église les sépare et une voie souterraine les réunit. Sept églises sont les témoins de l'ancienne grandeur de la cité et de là dévotion de ses habitans. C'était à qui dans le nombreux clergé qui habitait ces murs opposerait la plus vive résistance à la réformation.

Le lendemain de Pâque, MM. d'Orbe envoyèrent cinq députés à Berne faire leurs excuses de ce qui s'était passé. Ces excuses ne furent reçues qu'en partie. La ville d'Orbe fat condamnée à une amende de 200 écus d'or, pour les émeutes séditieuses dont nous venons de parler. Du reste, on lui témoignait le désir de voir ses habitans fréquenter les sermons de Farel.

IV

Les députés étant revenus avec cette réponse, Farel monta en chaire le samedi après Quasimodo; mais il n'eut qu'un très-petit nombre d'auditeurs ; encore fut-il interrompu par les petits enfans, qui, au milieu de son sermon, remplirent l'air de leurs cris et de leurs hurlemens.

Le lendemain, il monta de nouveau en chaire, encouragé par la présence d'un seigneur député de Berne, qui vint à Orbe avec le bailli. Il prit le temps que le peuple allait solennellement en procession à l'église de St-Germain qui se trouve hors de la ville; mais avant qu'il eût fini la procession revint et entra dans l'église où il prêchait. Les enfans les rentiers se mirent à siffler, à crier, à pousser des hurlemens. Ils furent suivis des prêtres qui entrèrent dans l'église en chantant. Farel ne put faire mieux que de descendre de chaire et de se retirer. L'après-dîné il prêcha de nouveau en présence du député de Berne et du bailli et n'eut, comme auparavant, qu'une dixaine d'auditeurs.

Le député de Berne avait été envoyé à Orbe, pour remédier à divers désordres. Les prêtres faisaient tous leurs efforts pour détourner le peuple d'aller au prêche, et l'un d'eux entr'autres conduisit un jour le châtelain dans l'église pour lui faire prendre la note des étrangers qui écoutaient la Parole de Dieu. Un autre se tenait sous la porte de l'église, et criait de toute sa force dès qu'on prêchait, pour ne laisser ouïr le prédicateur. Le Conseil déposait de leurs emplois les magistrats qui montraient du penchant pour la réforme. Les seigneurs de Berne avaient aussi reçu avis que les religieuses de Ste-Claire faisaient transporter leurs joyaux à Noseroy, au-delà des monts. Enfin c'était à qui dirait parmi les prêtres que Farel n'avait pu renverser le moindre des articles que défendait Juliani et que toute sa force lui était venue des Bernois, lesquels voulaient ruiner la religion. À l'ouïe de ce dernier propos, le député de Berne fit assembler le Conseil. « Il paraît bien, dit-il, qu'après avoir écouté le moine avec attention, on a fermé l'oreille à notre prédicateur. Or nous voulons que la réfutation de Farel soit entendue, et pour cette cause nous ordonnons que chaque père de famille aille au prêche, sous peine de notre indignation. »

Pour donner satisfaction aux députés de Berne cet ordre fut publié dans la ville. Farel prêcha six jours de suite et chaque jour deux fois. Le peuple obéit les deux premiers jours, mais dès le troisième il n'en voulut pas d'avantage et Farel n'eut plus que ses auditeurs ordinaires. Ces prémices de la réformation dans Orbe étaient Pierre Viret, les deux frères Holard, Marc Romain le maître d'école, Antoine Secrestain, Claude Darbonnier et quelques autres encore. Bientôt se joignirent à eux Hugonin d'Arnay, Jean Cordey et sa femme, et George fils de Claude Grivat. Ce petit troupeau prit pour la première fois la Cène ensemble le 28 mai, jour de la Pentecôte. Tous la reçurent à genoux de la main de Farel. « Vous pardonnez-vous les uns aux autres vos offenses comme Dieu vous a pardonné ? » leur demanda-t-il entr'autres choses ; et tous ayant répondu qu'oui, il leur distribua le pain et le vin, gages du grand amour du Sauveur.

Le plus distingué de ceux qui prirent part à cette première Cène, Pierre Viret, est déjà bien connu de nos lecteurs. Il arrivait de Paris, où il avait vécu trois ans, tout à la science, qu'il aimait. Farel, dès qu'il l'eût vu, le conjura de se vouer au ministère de l'Évangile. Timide, hésitant encore, considérant la grandeur et les difficultés du ministère, Viret résista quelque temps, se rendit enfin, reçut la consécration et pour la première fois prêcha dans sa ville natale, le 6 mai 1531. Le bonheur de voir son père et sa mère gagnés à l'Évangile fut une des premières bénédictions données à ses travaux.

Farel n'eut-il fait à Orbe que d'amener Viret au ministère évangélique, encore y aurait-il fait une oeuvre dont l'église aura longtemps à se souvenir.
Des deux frères Holard, Jean avait dès son enfance été destiné par son père à devenir homme d'église. Il apprit d'abord la musique ; c'était par là que son éducation devait commencer; il s'en dégoûta, alla à la guerre, revint à sa première profession et fut fait chantre de la chapelle du duc de Savoie à Chambéry. Il devint ensuite chanoine de l'église collégiale de St. Nicolas à Fribourg. Le chapitre le nomma doyen, il y vivait en grande estime. Cependant ayant ouvert les yeux à l'Évangile, il lia avec les ministres de Berne un commerce de lettres qui fut découvert. Holard fut mis en prison.

À la considération des seigneurs de Berne qui demandèrent sa liberté, on le relâcha; mais ce fut pour le bannir de Fribourg. De retour dans sa ville natale, il y a puissamment secondé Farel dans la prédication de la réforme. Le voeu de Holard était de servir Dieu comme ministre de son Évangile; il fut admis à exercer ces fonctions saintes, et après avoir prêché quelquefois à Orbe, il a suivi la vocation de pasteur à la Bonneville, que MM. de Berne lui ont adressée.

Farel consacra aussi dans le même temps au ministère un troisième bourgeois d'Orbe, George Grivat, surnommé Caleis. Grivat avait été premièrement enfant de choeur à Lausanne. Étant revenu dans la maison de son père, le clergé d'Orbe le retint pour son maître de musique et il exerça cet emploi environ deux ans, au bout desquels il embrassa la réforme. Les fidèles d'Avenches le possèdent aujourd'hui comme. leur pasteur.

On le voit, ce n'est point au petit nombre des hommes qui jusques ici se sont réunis autour de Farel, qu'il faut mesurer l'importance de la mission qu'il a remplie à Orbe. La semence qu'il y a jetée s'est trouvée répandue en terre féconde. Il n'est pas douteux que dans Orbe même le petit troupeau ne se fut promptement accru s'il ne s'était dès l'abord laissé entraîner à des excès qui y retarderont probablement pour bien du temps encore le triomphe de la réformation,

V

Jean Holard a un frère, nommé Christophe, qui bien qu'il se fût rangé à l'Évangile, lui donnait grand'douleur et tristesse à cause de ses violences et de la pauvre vie qu'il menait. De ce que Jean avait fait pour lui naguère, se dépouillant de son bien pour l'en enrichir, Christophe n'avait souvenance, ni de venir à l'aide de ce frère qu'il voyait déchassé, pauvre et sans secours. Mais il aimait à signaler son zèle avec éclat, en bravant publiquement les prêtres et en s'attaquant aux images, objet de l'adoration des citoyens.
Vainement le peuple, dans son indignation, portait-il ses plaintes à Fribourg ; vainement Berne menaçait-elle de châtier le zélateur ; Holard, le front audacieux, continuait d'aller de temple en temple, brisant les unes après les autres toutes les statues des saints. Quand il les eut abattues, il crut devoir s'en prendre aux autels. Il y en avait vingt-six dans les sept églises d'Orbe ; accompagné de quelques zélateurs comme lui, il les renversa presque tous.

Bientôt, ce fut le 6 juillet, il fit naître un nouveau tumulte. Il se présenta avec Antoine Tavel chez Sécrestain, qui avait remplacé Agasse comme châtelain, et ils accusèrent les prêtres d'être meurtriers, demandant de se rendre prisonniers avec eux. Holard et Tavel furent envoyés en prison et l'ordre fut donné aux sergens d'y conduire aussi les prêtres.
Le premier qu'ils voulurent saisir, Pierre Bovay, vigoureux qu'il était, les repoussa et les battit si bien qu'il les contraignit à se retirer. Blaise Floret se laissa arrêter.
Quant au reste des prêtres, le peuple, instruit de ce qui se passait, se mit en armes pour les défendre et tirant six jours il fit bonne garde pour s'opposer à qui aurait voulu les saisir.

Le dimanche 9 juillet, le banderet de Pierre-Fleur fit assembler la' communauté. « Voulez-vous tous persister dans la foi de vos pères ? leur demanda-t-il. Je prie ceux qui sont dans ce sentiment de lever le doigt. » - Tous firent entendre qu'ils étaient résolus de garder la foi et d'imiter la vie de leurs pères. Après cette déclaration, il fut décidé de poursuivre l'affaire des prêtres au nom de la bourgeoisie, et l'on recourut à Fribourg.

Les seigneurs de Fribourg firent relâcher les prisonniers. Mais au bout de peu de jours, Holard et Tavel furent ramenés en prison, avec douze ou treize hommes de leur parti, pour avoir abattu les autels ; ils furent tenus étroitement pendant trois jours au pain et à l'eau.

VI

Pendant tous ces troubles, les pauvres soeurs de Ste. Claire avaient bonne envie de se retirer en Bourgogne avec tous les biens de leur couvent. Un ordre de MM. de Berne les contraignait à écouter tous les jours le sermon, et leurs efforts pour faire révoquer cet ordre avaient été tous inutiles. Leurs tourmens étaient grands à toute heure. Aussi n'avons-nous pas lieu d'être surpris qu'elles entretinssent avec Madame Philiberte de Luxembourg, princesse d'Orange, de secrètes négociations. Toutes les semaines la princesse leur envoyait un messager, par lequel les soeurs lui donnaient de leurs nouvelles et envoyaient en Bourgogne un jour les ornemens de l'église, un autre jour leurs meubles les plus précieux. Enfin le 28 juillet, dix-sept d'entr'elles sortirent de nuit de leur couvent, escortées de deux religieux et du banderet de Pierre-Fleur, lequel fondait en larmes à la vue de ce triste spectacle. Elles montèrent hors de la ville sur des chariots que la princesse leur avait envoyés et elles allèrent à Noseroy, où cette grande dame les attendait avec sa noblesse, et leur avait préparé une demeure dans la maison du seigneur de Wufflens.

Cependant le bruit de leur évasion s'étant répandu dans la ville, le bailli se rendit auprès de l'abbesse et lui demanda pourquoi ses filles s'étaient retirées. - « La faim et la disette les ont chassées, et la crainte des mauvais traitemens. Et nous qui restons, nous vous demandons de pouvoir nous retirer aussi. » - Le bailli leur refusa cette permission et mit à la porte de leur couvent une garde d'une douzaine de jeunes hommes, tous réformés, pour les empêcher de sortir. Mais à cette action du bailli, le peuple se mit en fureur. C'était la fête de St-Germain, patron de la ville.

Le banderet de Pierre-Fleur à leur tête, tous allèrent demander que la garde fût ôtée et que la liberté fût rendue aux pauvres soeurs. Le bailli, craignant plus grand mal, fut réduit à faire ce qu'on lui demandait et le peuple se précipita dans le couvent. Cependant, l'émeute étant d'un mauvais exemple, il ne tarda pas à faire mettre en prison les plus apparens de ceux qui en avaient été les auteurs.
Aussitôt MM. d'Orbe envoyèrent deux députés à Berne et à Fribourg pour solliciter leur élargissement. Ils l'obtinrent, mais à condition que les prisonniers seraient mulctés à 100 écus d'amende. L'on finit par les gracier sans qu'ils eussent rempli cette condition.

Les pauvres soeurs n'en furent cependant pas plus tranquilles. Ce n'est pas en brisant tumultueusement ses idoles qu'on ramène un peuple de l'idolâtrie ; on ne fait que l'irriter; mais c'est ce que le zèle des réformateurs d'Orbe ne comprenait point. Ils allèrent enfoncer les portes de l'église de Ste-Claire et dépouiller cette église de ce qui lui restait d'ornemens. Tremblantes les religieuses réitérèrent leur demande de pouvoir suivre leurs compagnes en Bourgogne.
La bonne princesse d'Orange leur faisait savoir qu'elles seraient bien reçues ; qu'elles vinssent dès qu'elles auraient fait quarantaine, parce que la peste régnait alors dans une partie du Pays-de-Vaud.
Le dévot banderet de Pierre-Fleur leur offrait de leur prêter la maison qu'il avait à Beaume, au pied de la montagne. Berne leur accorda cette fois leur demande ; mais les Fribourgeois ne les voulurent pas laisser partir. Ils donnèrent des ordres sévères pour qu'à l'avenir elles pussent vivre en paix dans leur couvent.

VII

C'était le tour des catholiques de se montrer intolérans. Souvent ils avaient reproché à leurs adversaires de dormir, comme des pourceaux, à ces heures de la nuit où l'église célèbre ses fêtes saintes. Voulant se laver de ce reproche, les réformés résolurent de célébrer la vigile de Noël. La clé de l'église leur ayant été refusée, ils entrèrent par force. Leur assemblée fut d'autant plus nombreuse qu'il y vint plusieurs personnes qui n'osaient y paraître en plein jour.

Passant et repassant par la porte, les catholiques disaient : « Le diable y en a bien tant mis. » Enfin perdant patience, ils allèrent à neuf heures du soir sonner matines, ce qui contraignit les réformés de se retirer. Un bruit courut à ce moment : « Les évangéliques, dit-on, vont à l'église de Ste-Claire, achever à y tout renverser. » C'en fut assez pour les attaquer, pour frapper sur eux à main armée et si fort que plusieurs furent blessés, et que quelques-uns eurent la tête fendue. Dix d'entr'eux allèrent à Berne, Pierre Viret à leur tête, se plaindre de si cruelle violence.

Les seigneurs de Berne comprirent qu'il était temps de s'accorder avec ceux de Fribourg pour arrêter, par de bons règlemens, le cours de tant de désordres. Les deux états eurent une conférence (le 30 janvier 1532), et ils convinrent de régir, d'après les bases suivantes, les sujets de leurs bailliages communs.
« Nos sujets des deux religions vivront ensemble en paix. Pleine liberté sera laissée aux consciences. Les réformés auront un temple pour y prêcher la Parole de Dieu. La messe demeure abolie dans les lieux où elle l'a été à la pluralité des voix; elle subsistera dans les lieux où on a gardée; permis cependant aux réformés d'y avoir leur prêche. Plus de noms injurieux. Plus de ravages dans les temples. Toute injure sera punie de trois jours et de trois nuits de prison et d'une amende d'un écu d'or. Pour les femmes, la peine et l'amende ne seront que de la moitié. »

Le 3 mars, cette ordonnance fut publiée à Orbe, en présence des chefs de famille. Une pension fut en même temps donnée au ministre évangélique ; on la préleva sur les prébendes qui se donnaient aux bénéficiaires absens. De ce jour, si la ville d'Orbe n'a été tranquille, elle a du moins été troublée moins souvent par les insurrections des partis.

Une affaire assez vive a cependant eu lieu encore, il y a deux ans. Le dimanche, 4 mars 1533, des jeunes gens de la vieille foi s'assemblèrent ayant à tête trois gentils-hommes. Ils prirent le drapeau de la ville, l'ornèrent de branches de pin, et parés eux-mêmes de ce signe de ralliement du parti catholique chez les Confédérés, ils se promenèrent ainsi, faisant grandes insolences à ceux du parti de l'Évangile.
Berne, informée par son bailli, s'est tenue pour gravement insultée. Elle a écrit à Fribourg : « Joignez-vous à nous pour châtier les rebelles, ou donnez-nous le pouvoir de les punir ; car nous sommes bien résolus de les frapper dans leurs corps et dans leurs biens. » Des députés des deux villes s'étant rendus à Orbe, ont assemblé la bourgeoisie.

Les excuses, les supplications des coupables, leurs sermens de fidélité n'ont pas empêché trente et un d'entr'eux d'être jetés en prison. Ils n'en sont sortis que pour être condamnés à payer les uns 100, d'autres 50, d'autres 4 écus d'amende. Fribourg leur a cédé la part d'amende qui lui revenait ; Berne a exigé rigoureusement la sienne, jugeant que la conduite des gens d'Orbe avait blessé gravement l'honneur de sa religion.

SOURCES :
Ebel. Leu. Chronique des Chanoines de Neufchâtel. Schilling. Guerres de Bourgogne. Archives de Berne. Quelques détails dans Choupard, entr'autres deux lettres de Jean Holard. Essentiellement Ruchat. Je n'ai pu tracer la plus grande partie de ce récit que de seconde main. Qu'est devenu le manuscrit de Pierre-Fleur sur la réformation d'Orbe? Que sont devenus tant d'autres manuscrits cités par Ruchat, et dont on ne trouve plus de traces ? J'ai fait de multiples efforts pour le savoir. Si ces manuscrits existent encore, de quel prix ne seraient-ils pas pour le pays de les voir réunis dans la partie vaudoise de la Bibliothèque de l'Académie de Lausanne.

Table des matières

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1* Tabernae, hôtelleries, était le nom d'Orbe renaissante au moyen-âge.
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2* Les chevaliers des Clées avaient aussi la charge de protéger le couvent de Romainmotiers. Ils en étaient les avoués pour le duc de Savoie. Les moines payaient cette protection au prince par une cense annuelle de 200 fl. À ce prix ils pensaient être francs de toute participation aux charges du pays. Ils s'appuyaient sur une charte (authentique?) de Frédéric Il. Ce fut matière à longs différends.
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3* Nom du lac des Rousses au moyen-âge.
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4* Le journal de St-Romuald.
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5* Le Conservateur Suisse, Tome V, p. 305, renferme sur Orbe au moyen-âge des détails d'un grand intérêt.


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Noms propres de cette page:
 
Afrique - Agasse - Alpes - Anabaptisme - Angleterre - Annecy - Antoina - Antoine - Arnay - Arnold - Arve - Augsbourg - Avenches -

Baudet - Beaume - Berne - Bernois - Berthe - Blaise - Bonneville - Bourgogne - Bourgognes - Bovay - Brenets - Brunehaut - Bucer -

Caleis - Cergues - Chambéry - Charlemagne - Choupard - Christ - Christophe - Claude - Clées - Clotaire - Cordey - Cossonay - Cyriri -

Diesbach - Dieu -

Ebel - Égypte - Elisabeth -

Farel - Faverges - France - Franck - François - Frédéric - Fribourg -

Genève - George - Germain - germes - Gex - Gleyresse - Grandson - Granson - Guillaume - Guillet - Guyon -

Henri - Hesse - Holard - Hollande - Hudriod - Hugonin -

Jacob - Jean - Jésus - Jost - Juliani - Jura -

Lausanne - Lorraine - Luxembourg - Lydie -

Malbuisson - Mamelus - Marc - Mélanchthon - Métral - Michel - Molard - Munster -

Neufchâtel - Noël - Noseroy -

Orange -

Paris - Peney - Peneysans - Philiberte - Philippe - Piccaraisin - Pierre - Prato -

Quasimodo - Quinsonnet -

Reiff - Robin - Rodolphe - Romain - Romainmotiers - Romand - Rome - Romuald - Roset - Ruchat -

Saxe - Schroeck - Schwenkfeld - Strasbourg - Suisses -

Tavel - Ternier - Théodelane -

Vaucluse - Vaud - Vergerio - véritable - Verney -

Wette - Wufflens -

Zwingli - Zwingliens -

 

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