Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.

EMPIRE D'ALLEMAGNE.

Empire d'Allemagne - Le Anabaptistes
Pays Romand - Neuchâtel
Noms propres de cette page

FEUILLETON DU CHRONIQUEUR.
Genève, ses enceintes successives et ses faubourgs

Les Anabaptistes.

Ce n'est pas d'aujourd'hui, lecteur curieux et bénévole, que nous vous devons le récit de la tragédie à laquelle assiste présentement l'Allemagne. Si nous avons tardé de le faire, ce n'est pas que, comme certain écrivain, nous rougissions d'inscrire sur nos pages le nom des Anabaptistes, «de cette sale poussière du genre humain, à laisser balayer par les vents.» Non, tout fait d'homme a sa place en la chronique et bien particulièrement cette grande catastrophe, l'une des plus abondantes en instructions que renferment les annales de l'humanité. Mais long-temps les nouvelles qui se rapportaient à ce sujet sont demeurées confuses, incomplètes, les unes empreintes d'exaltation, les autres dictées par la colère et le mépris; nous avons donc jugé prudent d'attendre, pour parler, d'avoir acquis des notions moins vagues et de pouvoir asseoir nos jugemens sur des faits mieux constatés.

La parole d'un homme arrive rarement à un autre homme avec la signification qu'elle avait en sortant de sa bouche; autant d'intelligences, autant de sens; et ce mot de réforme évangélique, une fois échappé de la bouche de Luther, a pris en peu de temps des acceptions bien diverses. Luther l'avait dit du coeur, dans un sens tout scripturaire. Les princes et les hommes d'état y ont mêlé une signification politique. Érasme, les universitaires et le tiers-parti l'ont châtié, l'ont adouci et l'ont transformé en philosophie.

Entr'eux et Luther s'est placé Mélanchthon. Au dire de tous ces hommes, il y a chez Luther trop de roideur, trop d'impétuosité, trop d'action; moins d'intelligence que de coeur; plus de chaleur que de lumière. Ils le voudraient tenir en bride, et Luther ne cesse de rompre, d'un élan, les lacets dont leur sagesse voudrait pouvoir l'envelopper. Ainsi les choses se passent à la droite du réformateur; à sa gauche il en est, tout autrement. En faisant son chemin des classes oisives et pensantes vers les classes livrées aux travaux matériels, l'idée prend quelque chose de plus en plus actif, de plus irréfléchi, de plus prompt, et elle se presse vers des résultats. Dans les mains populaires, comme dans celles des gouvernemens, les théories deviennent des faits et elles courent à l'application. Ainsi les révolutions s'achèvent sur la terre.

À Luther non plus il n'a pas manqué d'hommes qui ont trouvé sa marche trop embarrassée, trop servile et trop lente. Il avait attaqué le célibat des prêtres et il y eut des prêtres qui, bravant le scandale, donnèrent l'exemple de se marier. Il avait condamné le culte des saints, et il y eut des zélateurs qui coururent renverser les images. Il avait appelé la messe une idolâtrie, et Zwingli osa proférer la signification la plus simple du sacrement de la cène.

Luther ne fut pas peu surpris de se voir dépassé; il s'irrita et, ne sachant où le mouvement s'arrêterait, il conçut de la frayeur. Le mouvement, en effet, ne s'arrêta pas à Zwingli, il ne s'arrêta pas à Carlostadt. Quelques hommes obscurs, sans lettres, réputés pour leur piété et pour leur douceur, proférèrent une parole bien peu faite en apparence pour émouvoir la société : « Le baptême, dirent-ils, ne doit pas être donné à l'enfant, qui ne peut le comprendre ; ce sceau de la nouvelle naissance n'appartient qu'aux régénérés. »

Mais toute simple qu'était cette maxime, elle créait dans la société chrétienne une nouvelle société ; elle attaquait l'alliance que les églises nationales réformées avaient faite avec la société civile, telle qu'elles l'avaient trouvée constituée, et elle brisait l'unité de ces églises. La réforme nouvelle appelait ses élus sur le terrain d'une liberté, d'une égalité et d'une fraternité absolues ; et elle devait finir par les conduire, le bandeau sur les yeux, par la voie de la république à la monarchie théocratique la plus extraordinaire, la plus étrangère aux moeurs de l'Europe et, je crois aussi, la plus éphémère qui ait jamais existé.

Les premières assertions des Anabaptistes se rapportaient toutes à la religion. Ils allaient, répandant sous des formes empruntées à la Bible et dans un langage mystique, les idées d'une société sainte; ils criaient malheur sur les églises nationales, sur cette Babylone nouvelle, et ils se constituaient eux-mêmes en congrégations pures, fidèles et fraternelles. Pauvres, ils se recrutaient parmi les pauvres. Ils proclamaient la vanité de la science humaine, l'égalité des disciples de Jésus-Christ et la communauté des biens entr'eux.

Un chrétien, à leurs yeux, ne pouvait être magistrat dans la société telle qu'elle existait; le jour approchait même où toute magistrature allait être inutile, où l'État entrerait dans l'Église, et où la famille de Dieu ne serait gouvernée que par l'Esprit de Dieu seul. Plus alors de distinctions sociales, plus de noblesse, plus de tyrannie. Prêchant ainsi, les Anabaptistes marchaient couverts de bure, les cheveux pendants, la barbe longue et en désordre.

Où qu'ils portassent leurs pas, ils annonçaient le prochain avènement du règne de Dieu. Ils disaient dans les commencemens n'attendre la venue de ce règne que de la puissance de la parole et de l'action de Dieu sur les coeurs ; ils se montraient alors si loin de croire que la force dût y concourir, qu'ils avaient parmi leurs principes celui qu'un chrétien ne peut porter les armes et que toute violence lui est interdite. Mais ce précepte ne tarda pas à s'obscurcir. On ne peut se faire en Helvétie qu'une idée bien imparfaite de la servitude qui pèse sur les paysans de l'Allemagne. Prêché à ces populations malheureuses, l'Anabaptisme s'allia à tout ce que les coeurs cachaient de voeux pour la liberté et à tout ce qu'ils recelaient de ressentiment et de soif de vengeance. Alors il se divisa.

Quelques-uns de ses disciples, en petit nombre, isolés, presque inaperçus, continuèrent à n'attendre de salut que de Dieu et de la puissance régénératrice de sa Parole; le reste matérialisa ses croyances, s'associa à toutes les passions populaires et descendit dans le champ de l'insurrection politique. Alors les bords du Rhin, du Necker et du Danube se couvrirent de bandes de paysans, rassemblés en tumulte. Partout où ils se présentaient, les moines étaient chassés de leurs monastères, les nobles de leurs châteaux, les magistrats des cités. Le peuple s'emparait de tous les pouvoirs. Ivre de joie, cette multitude s'écriait que l'heure des grands était venue, l'heure des rétributions, que l'aurore de la nouvelle Jérusalem allait paraître et que le Christ venait affranchir son peuple dès chaînes de la servitude. Ainsi s'exprimaient des hommes esclaves de la veille et qui, sortant à peine d'un long assoupissement, prenaient leurs fanatiques transports pour les mouvemens de l'Esprit de Dieu. (1)

(La suite au numéro prochain).

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PAYS ROMAND.

 

GENÈVE 14 mai. Scène toute changée. Ce n'est plus la Genève de la quinzaine dernière, gravement occupée d'une conférence de religion. La ville a subitement pris une apparence guerrière; les préparatifs de la Dispute ont fait place aux bruits de bataille, et la détonation des arquebutes a imposé trêve pour quelques jours aux démêlés avec les prêcheurs. À le vrai dire et pour vous le faire court, je ne pense pas que les exploits dont j'ai à vous entretenir doivent prendre place parmi les faits héroïques de cet âge; mais il n'est pas moins certain qu'ils sont entrés dans l'histoire de la quinzaine et que, glorieux ou humilians, je vous en dois le récit.

Il y avait, dit-on, six semaines que le Conseil méditait de déchasser les Peneysans, et qu'il excogitait, comme l'on dit, de cent tours le meilleur à leur faire. Or un soir, le 5 mal, après souper, nos sénateurs s'assemblèrent sans bruit (14 se trouvèrent présens), et ils se délibérèrent d'aller tenter si l'on ne pourrait surprendre ces voleurs. « Tant que les traîtres seront en ce château, se disent depuis long-temps MM. du Conseil, aucun bon citoyen ne pourra sortir à ses affaires, ni aller recueillir sa prise; il est même à craindre que faisant toujours pis, ils ne finissent par tout enlever. Avisons donc que noble Anthony Bischoff, le commis de leurs Excellences de Berne, trouve à propos d'y aller ; prenons l'artillerie nécessaire et de chaque compagnie de la ville autant d'hommes qu'on le trouvera bon, et l'on ira attaquer le château, lequel on prendra, si l'on peut. »

Et vite, on fit une crie à tous hommes portant les armes de se trouver à l'heure même sous leurs capitaines; ou ordonna aux maîtres d'hôtelleries de tenir les étrangers enfermés durant la nuit; on prépara force balles de laine pour faire des rampaulx d'approche, et l'on s'assembla plus de mille, avec deux pièces d'artillerie pour battre en brèche les murs du château. C'était veille d'ascension; on espérait bien surprendre l'ennemi. À onze heures on part. Ni trompette, ni tambour. Aucune cloche ne sonna; j'excepte pourtant celles des pauvres soeurs du couvent de Ste-Claire, qui ne sachant rien de rien, sonnèrent leurs matines à minuit, à la grande indignation de Messieurs.

L'armée arriva à trois heures devant Peney. Le canon fut braqué et fit l'assaut requis; j'entends qu'il déchargea son boulet, lequel frappa au-dedans, jusques à la cuisine et pensèrent ces Peneysans être pris pour un coup ; car ils étaient tous couchés. Aussi c'était fait d'eux, si ceux qui devaient mettre les échelles eussent fait promptement leur devoir; mais ils tardèrent; ceux du château furent si-tôt prêts, et, sans en faire semblant, ils se mirent en défense. Ils sonnèrent aussi le tocsin pour donner le signal aux paysans; ce que voyant, François Chamois, un citoyen, tira de son arquebute et rompit la cloche, si bien qu'elle ne put plus sonner.

Lors, la principale pièce étant prête, les assiégeans la vinrent décharger contre le château, dont ils étaient dans la joie, et de fait le croyaient gagné, quand, o malheur! la pièce se fendit par le milieu et éclata en blessant plusieurs canonniers. Pourtant le coup partit et brisa la porte du château; mais les assiégés l'eurent aussitôt redressée. Alors on prit la seconde pièce; mais, nouvelle douleur! voici que le boulet va frapper une de ces halles de laine que les assaillans avaient amenées pour leur servir de rempart. Un dernier coup ne fut pas plus heureux; la pierre qui tenait lieu de boulet se rompit et ils furent tout alentour si épouvantés que, s'il en fallait croire les papistes, cent de ceux qui étaient auprès seraient tombés à la renverse. À ce moment, ceux du château commencèrent à décharger leurs arquebutes et tirèrent tant qu'il en demeura sur la place et que les autres soudainement tournèrent bride contre Genève.

La fuite fut d'autant plus prompte que les paysans, réveillés avec l'aube, accouraient de tous côtés et se rangeaient contre nos gens. Et disaient ceux de Genève en s'en retournant : « Il y a eu trahison ; n'avez-vous pas observé comment Bischoff, le commis de Berne, bien connu de ceux du château, passait et repassait sans qu'ils tirassent contre lui? » D'autres eussent voulu pour beaucoup n'avoir été à cette affaire, car ils se doutaient bien que l'on se moquerait d'eux, ce qui ne manqua d'arriver, quand on les vit revenir à 10 heures, plusieurs grièvement blessés. Et ce qui les fâchait davantage, c'est qu'on disait qu'il n'y avait que seize hommes dans le château. Pour les prêcheurs, ils élevèrent la voix pour dire: « Si Dieu n'a voulu nous délivrer par ce moyen, il en saura trouver quelque autre que nous n'entendons pas, et ce sera pour que l'honneur lui soit du tout baillé et non aux hommes »

Après la retraite de nos soldats, les Peneysans sortirent, s'emparèrent de quelques munitions de guerre que les nôtres avaient laissées, et ayant relevé les morts, ils les pendirent aux arbres du chemin.

Cependant qu'ils triomphaient ainsi, nos gens à Genève, citoyens et bourgeois, étaient grandement stupéfaits. Ils ne savaient de quel côté tourner les regards, tant ils étaient tourmentés par leurs ennemis et délaissés de toute aide humaine. Et n'ont su que recourir de nouveau à nos bons alliés et combourgeois MM. de Berne, par grande importunité, avec prières et supplications. Mais voici comment MM. de Berne ont pris le cas, et ce qu'ils écrivent à ce jour à ceux de Genève :
« Nous sommes été par notre commis Anthony Bischoff littéralement avertis de l'assaut qu'avez fait à ceux de Peney, lequel nous déplaît grandement et nous merveillons fort qu'ayez osé entreprendre tel cas. Tandis que nos alliés et nous prenons grand-peine à mettre quelque bon ordre en votre affaire, vous faites telle émotion et incitez toujours vos ennemis, dont ne saurait venir bien, sinon tout mal. Pourquoi vous admonestons de vous déporter de telles invasions et de vivre en paix. Et si ne voulez en ceci nous croire, nous retirerons nos mains d'avecque vous et ce qu'aurez entrepris sans nous le finirez sans nous aussi. Partant avisez à votre profit. Quant à Bischoff, notre commis, nous voulons qu'il s'en vienne, et vous en avons aujourd'hui ordonné un autre en son lieu; par quoi ne le veuillez retenir. »

Berne écrit en même temps au duc de Savoie :
« Nous sommes fort déplaisans de la sortie de nos combourgeois de Genève sur ceux de Peney et voudrions bien qu'elle eût été laissée, quoiqu'aux dits nos combourgeois soit chose fort intolérable d'être continuellement affligés et molestés par leurs propres sujets. Néanmoins ils n'ont agi par notre su ni faveur; ains les blâmons et croyons qu'ils se déporteront ci-après de telles invasions, comme le leur avons très-acertement mandé. Et si, par aventure, de ceci vous était fait mention, vous prions de le prendre tout pour l'amour de nous à la bonne part. »

Une troisième lettre, à peu près dans les mêmes termes, est adressée par les Seigneurs de Berne au gouverneur du Pays-de-Vaud.

Voilà ce que nous avons obtenu. À nos prières les envoyés Bernois n'ont jamais eu qu'une réponse: « La chemise nous est plus près que la robe, et nous ne pouvons pour vous perdre notre pays. » Il est vrai qu'ils sont grandement haïs de leurs confédérés même, pour leur religion, et que le duc se montre plus enflambé qu'il n'a jamais été contre Genève.

Nous avons sous les yeux deux pièces qui nous montrent combien ont été vives ses instances auprès de la dernière Diète, assemblée à Baden le mois dernier. Ses ambassadeurs ont sollicité les Cantons de leur dire, s'il ne devait y avoir aucun terme au débat, si les précédentes résolutions des Confédérés devaient demeurer vaines, et s'ils ne feraient pas enfin tarir la source de leurs dissensions intérieures et cesser la cause de vieilles inimitiés. À Berne, ils n'ont plus voulu entendre parler des arrêts de Payerne et de St. Julien; c'est à celui de Lucerne qu'ils se sont référés et ils en pressent l'exécution. Que fera Genève ainsi serrée, ainsi délaissée, sans conseil et sans secours. Les prêcheurs l'adressent à Dieu, comme à son unique refuge. » Cependant que vous aurez votre assurance aux hommes et aux chevaux d'Égypte, nous disent-ils, vous ne serez pas délivrés; mais qu'on vous voie mettre votre espoir en Dieu, et Dieu vous sauvera. » Aux sermons ils joignent chaque jour prières au Seigneur de défendre sa cause et de bailler aux Genevois les moyens par lesquels il les veut délivrer. À ces accens, les soudarts se renforcent. Ceux d'entr'eux qu'on envoie aux alarmes se montrent toujours prêts à marcher. Pour être plus prompts, ils ont leurs armes dans le temple, où ils se montrent diligens à venir entendre prêcher, et quand vient une alarme (hommes et femmes y sont accoutumés) personne ne se meut qu'eux seuls, qui sortent tout armés sans nul trouble. Et lorsqu'ils vont aux remparts, d'une main ils tiennent les armes et de l'autre les instrumens propres à édifier les murailles et à élever des terreaux. À ce travail hommes, femmes, filles et jeunes enfans, un chacun fait son devoir.

Ainsi s'exécute la résolution de démolir les faubourgs et d'en employer les matériaux à fermer la ville de toutes parts. Cette résolution, prise l'année dernière, rencontrait des oppositions et des difficultés sans nombre. Il a fallu la malheureuse expédition de Peney pour réveiller la prudence et l'énergie des Conseils et pour faire triompher l'intérêt commun des murmures des particuliers.

Un arrêt du 10 mai ordonne de nouveau le renversement des églises, monastères et faubourgs de St. Victor, de Notre-Dame de Grâce, des Jacobins ou Dominicains de Palais, de St. Léger et des frères Mineurs dans la ville. Ces édifices réunis présentent une longueur de 6,200 pas. Les matériaux de leur démolition serviront à construire un boulevard à la porte de Rive et à fermer de murailles St. Gervais, qui n'était enclos que de haies jusques à ce jour. (2)

(Voyez au Feuilleton quelques détails sur ce sujet)

SOURCES.

1. Sleidan, Livre IV à X. Beaucaire, L. XXI. - Meshovius. Hist. anabaptistarum. - Gnodalius, bellum anabaptisticum. Tumultuum anabaptistarum liber à Lamberto Hortensio Montfortio, dans Schard, script. Germait. Il. - Ottii historia anabaptistica. - Heresbachii hist. anabaptistarum. monasteriensium 1650. - Florimundi Remondi, hist. de heresi. - Varillas, histoire des hérésies. - Histoire du fanatisme dans la religion protestante par le Père Catrou. - Lettres de Luther. Ses écrits Contra scelestos prophetas seu fanaticos; contra latrones et sicarios rusticos. - Histoire des Anabaptistes, sans nom d'auteur, Amsterdam 1700. - Biographie universelle, articles Muncer et Jean de Leyde. - Capefigue, hist. de la Réforme. - Grégoire, histoire des sectes religieuses, V.

2. Nos auteurs accoutumés, entr'autres Froment, les Registres et la soeur Jeanne. Correspondance de Berne, dans les Archives de cette ville. Recès des Diètes Suisses, ibidem.

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REVUE DU PASSÉ.

LA RÉFORME DANS LE PAYS DE NEUCHÂTEL.
«Ils avaient mis leur espérance aux Cieux,
Et balayaient l'oeuvre de leurs aïeux;
Hardis enfans de cet âge d'attente,
Ils grandissaient sur le seuil de la tente. »

Derniers efforts des catholiques. La Réforme à Serrières, à Corcelles, à Bevaix, à Valangin, à Boudry (Christophore Fabry), dans tout le vignoble, dans le Val-de-Travers, dans les Montagnes.

La lettre du Gouverneur à la Comtesse renfermait le récit assez fidèle de la manière dont Neuchâtel avait accepté la réforme. M. de Prangins joignit à sa lettre la transaction faite en présence des députés de Berne, laquelle portait réserve des droits du prince et de ceux des bourgeois, abolition de la messe à Neuchâtel, liberté pour le pays de suivre ou non l'exemple de sa capitale, et promesses de paix, d'oubli du passé, d'obéissance et d'union. Les députés bernois quittèrent la ville après avoir bien fait entendre au Gouverneur que la réforme ayant été librement acceptée, leurs Seigneurs châtieraient sévèrement toute tentative qui serait faite pour la renverser. Des chanoines, trois embrassèrent la réforme. Ce furent Chambrier, Pury et le chroniqueur Jean Baillod; les autres se réfugièrent au Val-de-Travers. Ce qui restait de reliques et d'ornemens d'église avait été, par les soins du Gouverneur, transporté dans le château. Il y avait aussi retiré les orgues, que la réforme enveloppait dans sa réaction contre les pompes de l'ancien culte. Deux tables de marbre remplacèrent le maître-autel; une chaire sans ornemens fut appuyée à l'une des colonnes du temple, et Farel y monta pour dire au peuple ému : « C'est ici le service que votre Père demande; c'est que vous l'adoriez en esprit et en vérité; c'est le culte que votre Père demande de vous.»

Voilà donc la nouvelle conquête de la réforme accomplie. La noblesse et le pauvre peuple demeuraient, il est vrai, secrètement attachés à la cause vaincue. Le Gouverneur cherchait à rallier à cette cause les gens des villages et à renverser l'oeuvre de la bourgeoisie. Un plan fut formé d'entrer dans le temple à main armée le jour de Noël, tandis que les évangéliques y seraient assemblés, et de relever par la force les pouvoirs et le culte détruits. Mais Berne, avisée à temps de la conjuration, envoya la veille de Noël des députés à Neuchâtel, et tous les efforts des catholiques vinrent échouer contre son inébranlable vouloir de maintenir l'oeuvre de la réformation. Il ne resta dès lors d'espoir aux catholiques que celui qu'ils mettaient encore dans leurs princes.

Louis d'Orléans en mourant avait laissé trois fils à Jeanne de Hochberg; Claude, qui était l'aîné, est mort au siège de Pavie , Louis héritera de Neuchâtel, et François, le troisième, porte le nom de marquis de Rothelin. Ce fut ce dernier que Jeanne envoya, dans les premiers jours d'avril 153, recevoir le serment de ses sujets de Neuchâtel. François s'occupa de bien des choses; il confirma les franchises du pays, entérina plus d'une lettre de grâce, termina, dans l'intérêt de la couronne, beaucoup d'affaires litigieuses; pour la religion, il parut l'avoir bien moins à coeur que le soin de faire valoir les droits du prince sur les biens abandonnés de l'église; et il quitta Neuchâtel, après avoir trompé l'attente du parti qui espérait de lui sa délivrance et après avoir juré de laisser liberté de conscience à tous les habitans du pays. Il était dans le comté, que Farel y prêchait en paix l'Évangile. La réforme demeura donc inattaquée et Farel, considérant comme achevée la conquête de la ville de Neuchâtel, songea à porter en des lieux nouveaux les germes de la réformation. Les Neuchâtelois lui donnèrent la bourgeoisie; il ne demandait pas même cette récompense. Ils eussent voulu le retenir pour leur pasteur; mais ses engagemens envers les seigneurs de Berne et son besoin d'aller à de nouveaux combats ne lui permirent pas d'accepter cet office. Il laissa donc la charge de l'église qu'il avait fondée à son compatriote Antoine Marcourt, qui est encore aujourd'hui pasteur à Neuchâtel, et il reprit lui-même le chemin de Morat. J'oubliais de dire qu'il ne quitta point la ville sans lui laisser un bon maître d'école; son ami Wolfhard lui adressa de Strasbourg le jeune Louis, que recommandaient son innocence, sa piété et son amour pour les bonnes et les saintes études. Toute la jeunesse studieuse de Neuchâtel fut confiée à ses soins.

Bientôt Farel se sentit rappelé dans le comté. La ville de Neuchâtel avait reçu l'Évangile, mais la plupart des villages ne l'avaient pas entendu prêcher, et toute une guerre nouvelle se préparait pour l'homme de Dieu. Le village qui le premier avait reçu la réforme avait été Serrières, aux portes de la ville. « Si vous m'avez appelé bon prêtre, dit Emer-Beynon à ses paroissiens, vous me trouverez meilleur pasteur.» Une circonstance avait favorisé la réforme à Serrières, c'est que MM. de Bienne sont les collateurs de la paroisse. De Serrières, Farel se rendit à Corcelles; sa présence y souleva une émeute. À Bevaix on l'écouta avidement; mais le prieur, Jean de Livron, et ses moines, ayant appelé de Boudry et des alentours tous leurs partisans, cernèrent l'église pendant qu'il prêchait, le descendirent de chaire et le chassèrent après l'avoir accablé de coups et de mauvais traitemens. Instruits de ce fait, MM. de Berne écrivirent : « Que chose pareille n'arrive pas de nouveau, car nous la considérerions comme faite à nous-mêmes ; « Dès lors l'abbaie de Bevaix et le prieuré de Corcelles ont été sécularisés, et le curé de la paroisse de Corcelles, Jean Droz, en est devenu le premier pasteur.

Montons avec Farel au château de Valangin. La veuve de Claude d'Arberg, Wilhelmine de Vergy, fait sa résidence. Je ne sais si personne la surpasse en haine pour la réforme, si ce n'est peut-être Claude de Bellegarde, son maître d'hôtel et son conseiller. Farel avait déjà fait l'épreuve de leur animosité, un jour qu'il avait tenté de pénétrer jusque dans le Val-de-Ruz. C'avait été le 15, jour de Notre-Dame d'août de l'an 1530. Accompagné d'Antoine Boive, jeune dauphinois, depuis quelque mois le compagnon de tous ses périls, il s'était rendu dans un village situé près de Valangin et que je crois être Boudevilliers. Ce village, bien que dans le Val-de-Ruz, dépend de Neuchâtel. Ils entrèrent dans le temple, comme le prêtre y chantait la messe; Farel se mit à prêcher de son côté. - Bientôt son jeune compagnon, voyant le peuple donner plus d'attention à l'acte du prêtre qui élevait l'hostie, qu'au discours du prédicateur, ne sut pas se contenir; ému de zèle, il arracha l'hostie des mains du prêtre et se tournant vers le peuple : « Ce n'est pas ici le Lieu qu'il vous faut adorer, dit-il, il est là sus au ciel, en la majesté du Père, et non dans les mains du prêtre, comme vous le cuidez et comme ils vous le donnent à entendre »
De cette action, les prêtres et plusieurs autres, furent grandement irrités; ils sonnèrent les cloches pour empêcher d'ouïr Farel et pour assembler le peuple; toutefois Dieu délivra pour ce coup les deux évangélistes. Mais comme ils s'en retournaient ce même jour à Neuchâtel, passant par le bourg de Valangin, dans la gorge où se trouve le château, ils furent assaillis par une vingtaine de personnes, hommes, femmes, prêtres, qui les blessèrent rudement de coups de pierres et de bâtons. Peu s'en fallut qu'ils n'y laissassent leur vie. Enfin ils les menèrent prisonniers au château de la dame Guillemette de Vergy, laquelle était consentante du fait. Et les menant, ils firent entrer Farel dans une chapelle, où ils le voulurent contraindre de se prosterner devant une image de la Vierge, ce qu'il ne voulut faire, ains les admonestait d'adorer le seul Dieu en esprit et en vérité, et non des images muettes, sans âme et sans pouvoir. Mais eux le frappaient d'autant plus qu'ils étaient fâchés de ses propos et de sa constance; ensorte qu'il y eut grande effusion de sang, dont on voit encore aujourd'hui les marques en la chapelle. Ils les conduisirent ensuite, en les frappant toujours à la prison du château. On dit que les voyant venir, la dame leur criait d'une fenêtre : « Noyez, noyez au Seyon, ces chiens de luthériens, qui ont méprisé le bon Dieu. » Et ils l'eussent fait sans quelques bonnes personnes qui leur firent trouver mieux de se contenter de les lui mettre en sûreté. Ils se bornèrent donc à les dévaler en un croton, où ceux de Neuchâtel, informés de l'outrage, ne les laissèrent pas languir long-temps, ains les allèrent quérir à main forte et les mirent en liberté. Des coupables nulle punition ne fut faite; on dit même que le prêtre qui avait le mieux battu Farel mangeait tous les jours à la table de la princesse qui le récompensait ainsi. Tous les ennemis de l'Évangile trouvaient auprès de la dame Guillemette encouragement et grand faveur (1*).

Néanmoins Farel ne se rebuta pas. Il ne retourna pas tout d'abord lui-même au Val-de-Ruz; mais il y envoya maître Jean de Bély, natif de Crès en Dauphiné, qui vint à Fontaine, entra dans le temple, et déjà s'y était mis à prêcher, quand le curé, les femmes et la jeunesse du lieu survinrent avec grand bruit, l'arrachèrent du temple, le battirent et le chassèrent. Il n'y retourna pas moins quelques jours après, croyant obéir à sa vocation. Quelques jeunes hommes de Neuchâtel l'accompagnaient bien armés. Il recommença ses doctes prédications, malgré les menaces de la dame de Valangin et celles, de l'abbé de Fontaine-André, Louis Collomb, patron de la paroisse; il ne se lassa pas et il finit par voir ses auditeurs ouvrir les yeux et recevoir la foi évangélique. Les gens de Fontaine, montrent encore la pierre sur laquelle il s'assit fréquemment pour les prêcher, avant qu'il eût la pleine liberté de le faire dans le temple.

Dans le même temps ; la réforme pénétrait dans le Valangin par une autre voie encore. Le Val-de-Ruz touche à son extrémité à celui de St-Imier, dans les quel Bienne avait aboli la messe et les images. MM. de Bienne possèdent à St-Imier haute, basse, et moyenne jurisdiction, le militaire, le droit de collature des églises et l'avouerie sur le chapitre des chanoines; la souveraineté seule appartient à l'Évêque de Bâle.

Or un jour (c'était dans la semaine de Pâque de l'an 1529), ils avaient convoqué tous les curés de la vallée, et les avant trouvés disposés à renoncer à la messe, ils s'étaient emparés des biens d'église, avaient fait des pensions aux chanoines et aux curés et avaient réformé le pays. À Diesse, ils avaient opéré la même révolution (février 1530). La Bonneville avait aussi fini par recevoir l'Évangile ; Bienne n'avait voulu renouer qu'à cette condition le traité d'alliance qui unissait les deux villes.

Dès lors des doctrines nouvelles commencèrent de se répandre à Dombresson et dans les villages les plus prochains du Val-de-Ruz. Il se rencontrait que Bienne possédait la collature de l'église de Dombresson, comme nous avons vu qu'elle avait celle de la paroisse de Serrières; fort de ce patronage, le curé, Pierre Marmoud, se déclara pour la Parole de Dieu, et son exemple ne tarda pas à être suivi par ses paroissiens. Bientôt les germes de la réforme, arrivant à la fois du nord et du midi, se répandirent de village en village dans toute la longueur du Val-de-Ruz.

Mais la crainte empêchait encore les Valanginois de manifester leur foi. Bellegarde procédait contre ceux d'entr'eux qui se déclaraient pour l'Évangile par la prison, par de fortes amendes et même par la confiscation de leurs biens. Il avait fait exemple de quelques prêtres qui s'étaient mariés. Il avait rétabli par la force la même à Dombresson. Boudevilliers, bien que situé dans le Val-de-Ruz, appartient à Neuchâtel ; le Gouverneur et Bellegarde s'étaient réunis pour y étouffer les semences de l'Évangile. Berne jugea dès lors que le moment était venu d'intervenir. Berne était l'alliée de la comtesse; elle avait, dans des momens difficiles, couvert elle et le prince son mari de sa puissante protection; elle se croyait le droit de parler avec fermeté. Ses députés se rendirent à Valangin pour exprimer sa volonté : « Nos Seigneurs, dirent-ils, vous assurent de leur constante amitié et de leur ferme intention de ne pas vous abandonner; mais ils ne veulent pas que vous laissiez votre maître d'hôtel persécuter les bonnes gens qui montrent de l'affection pour l'Évangile; car non seulement la combourgeoisie qui nous unit aux gens de franche condition de cette vallée, mais le droit commun et la charité fraternelle nous font un devoir de les défendre et de les protéger. Et certainement nous le ferons. »

Ce langage assura quelques repos aux réformés, et, en jetant la crainte dans le château, il rendit possible à Farel de reprendre le chemin du Val-de-Ruz. Il y monta les derniers jours de l'an 1530. Il était muni de lettres de Berne. Un certain nombre d'hommes l'accompagnaient. Il prêcha de telle manière que, malgré l'opposition de la Dame et les fureurs de son maître d'hôtel, les Valanginois embrassèrent pour la plupart l'Évangile de la réformation. Bellegarde, n'y pouvant tenir, prit le parti de se rendre à Berne, de s'y présenter en Conseil et de déposer par écrit ses sujets de plainte contre les réformés (11 février 1531).

« Nous vous conseillons, lui répondirent MM. de Berne, de ne point vous opposer à la Parole de Dieu, mais plutôt de la recevoir. Si vous ne le faites, gardez-vous au moins de mal parler des réformés et de la ville de Berne; car vous ne tiendriez pas vainement une conduite aussi contraire à l'alliance qui nous unit. Croyez-nous; plutôt que de troubler l'eau, laissez-lui son libre cours. » Jaques De Wattewille et Jacob Tribolet se rendirent à Valangin, pour faire entendre le même langage à Wilhelmine de Vergy.

Cependant Farel était redescendu dans la plaine, et ce moment était celui où il prêchait l'Évangile à Avenches et dans le bailliage d'Orbe. Les premiers jours de mai le ramenèrent à Neuchâtel. À une lieue de la ville et près d'une des extrémités du lac est le village de St-Blaise; il y alla prêcher. Mais voici le curé, l'appelant hérétique, et le lieutenant du lieu, criant qu'on le devait pendre, qui ameutèrent le peuple, le réunirent en armes et le lancèrent sur Farel, qui fut bien près d'être massacré. Farel rentra à Neuchâtel épuisé, défait, crachant le sang, presque méconnaissable. Berne se hâta d'envoyer ses députés. Ils demandèrent la punition du lieutenant et exigèrent que le curé, qui avait accusé Farel d'hérésie, prouvât son assertion. Ils étaient aussi chargés d'inviter les Neuchâtelois à défrayer Farel de la dépense qu'il avait faite tandis qu'il leur prêchait l'Évangile, et à faire une pension à leur ministre Marcourt. Tandis qu'ils s'acquittaient de leur charge, une troupe armée partit de la ville, alla à St-Blaise abattre les autels, détruire les images et venger l'injure faite à Farel. De St-Blaise ils allèrent à Fontaine-André, renverser aussi l'idolâtrie. C'est par ces actes de violence que se montrait leur zèle.

Ils eurent un mois plus tard une occasion nouvelle de faire voir leur ardeur. Le 14 juin était un dimanche; c'était, si je ne me trompe, le jour de la dédicace du temple de Valangin. Farel y alla, accompagné de quelques bourgeois de Neuchâtel et de quelques Valanginois. Ne pouvant pénétrer dans le temple, il se plaça dans la rue et y commença à prêcher. Alors une cavale amenée par le cocher de la comtesse ...... mais le voile doit être tiré sur cette scène. Le peuple saisi d'indignation entra comme un flot dans le temple et y renversa tout, croix, autels, images; il mit en pièces les armoiries de ses princes; reliques, livres, vitrages, il ne laissa rien entier de ce qui avait appartenu à l'ancien culte; se jetant ensuite dans les maisons des chanoines, il les ravagea pareillement; et il eut à la fin la hardiesse d'aller jusqu'au château demander à sa Dame justice de l'outrage fait à la décence, à la religion et à son pasteur. Craintive, la comtesse fit mettre en prison le cocher, qui pourtant n'avait agi que par son ordre, et elle envoya en hâte aviser Berne du vitupère et du grand dommage qui venait de lui être fait. Berne fut lente à prononcer : l'affaire traîna une année entière; afin arriva la sentence qui assurait aux réformés le libre exercice de leur culte et les condamnait à payer les dommages résultant de leur irruption dans le temple et chez les chanoines. La chapelle du château sera dans peu de temps le seul refuge du culte catholique dans le pays de Valangin.

Mais ce n'était pas dans le Val-de-Ruz seulement que la réforme était en progrès. Le jour que Farel retournait à Morat, tout meurtri des coups dont l'avaient frappé les gens de St-Blaise, il y arrivait aussi un jeune homme de beaucoup de piété, de douceur, et de connaissances étendues; c'était Christophore Fabry ou Libertet. Né à Vienne en Dauphiné, il avait étudié à Montpellier la médecine. Obligé de quitter cette ville que la peste ravageait, il devait, selon la volonté de ses pareils, aller continuer ses études à Paris; mais passant à Lyon, il y entendit parler de ce que Dieu avait fait d'extraordinaire par le moyen de Farel, tant à Aigle, qu'à Morat et Neuchâtel. Il avait déjà quelque affection pour l'Évangile et fut ému profondément à ce récit.

Tout-à-coup il se sent saisi d'un désir ardent de se consacrer à Dieu dans l'oeuvre du ministère, et dans ce désir, au lieu de continuer son voyage pour Paris, il prend sa route par la Savoie et se rend auprès de Farel. Farel ne l'eut pas plus tôt vu qu'il reconnut en lui les dons qui font le serviteur de Dieu. Il acheva de le gagner à l'Évangile, le fortifia dans son dessein et ne tarda pas à se sentir pour lui le tendre attachement d'un père. Fabry le seconda d'abord dans son ministère à Morat. Il fut ensuite élu pasteur à Neuchâtel.

De Neuchâtel il se rendit à Boudevilliers où il passa huit mois à cultiver dans le Val-de-Ruz les germes de l'Évangile. Puis voyant croître et prospérer les églises de cette vallée il en laissa le soin à Jean Bretoncourt et redescendit à Neuchâtel. Comme il arrivait, il fut abordé par des gens de Bole et des Grattes; ces deux villages dépendent de la paroisse de Boudry, nommée aussi la paroisse de Pontareuse, du lieu où se trouve le temple fréquenté par les gens de Boudry, de Bole, des Grattes et de Rochefort. Les bonnes gens de ces villages avaient pour la plupart embrassé la réformation : mais, persécutés par le curé et par le châtelain Vouga de Boudry, ils demandaient un pasteur qui pût les prêcher et les défendre. On leur accorda Fabry (octobre 1532).

Il ne tarda pas à se trouver en présence du curé. Ce curé était un honnête pharisien, qui tout d'abord avait paru approuver le zèle des réformateurs. Il ne déclamait pas moins qu'eux contre les vices de l'Église, qu'il eût aimé voir belle, sainte, honorée. Mais quand il avait vu les ministres de la réforme contracter mariage, quand il leur avait entendu prêcher l'impuissance de l'homme à faire le bien par lui-même, et publier le salut qui vient de la foi et non des oeuvres; quand il eut pu se convaincre qu'ils combattaient la confession, qu'ils condamnaient les fêtes et les jeûnes et qu'il les eut vus ruiner la gloire des temples en renversant les autels, le vertueux curé s'était ému. Il s'était senti pris d'une indignation d'autant plus profonde contre les réformateurs qu'il avait été plus près de paraître d'accord avec eux; et s'alliant au châtelain et aux principaux de Boudry, il avait déclaré guerre à mort à tout ce qui faisait profession d'attachement pour les doctrines nouvelles.

Arrivent les messagers des gens de Bole et des Grattes, amenant Fabry de Neuchâtel ; alors l'irritation du curé fut à son comble. Fabry ne passait pas devant son presbytère qu'il ne l'accablât de sa malédiction; le prêcheur s'arrêtait, invitait son adversaire à descendre, à apporter sa Bible, à la faire lire au peuple par un clerc qui sût le faire, et à laisser les paroissiens décider lequel des deux était faussaire d'Écritures. Mais le curé ne voulait point venir à raison.

Quelle ne fut pas sa colère quand arriva un ordre du Gouverneur de partager le temple entre les deux cultes. « plutôt tout perdre que de consentir à pareille abomination,» dirent MM. de Boudry. Et le dimanche suivant, quand le ministre commença de prêcher, ils arrivèrent tous, l'épée à la main, renversèrent la porte du temple, que les réformés avaient fermée dans leur effroi, et chassèrent hors de l'église la foule surprise et désarmée. Ainsi firent-ils le dimanche; le lendemain ce fut leur tour de trembler. Les gens des villages voulaient prendre les armes et ce ne fut pas sans peine que Fabry réussit à les arrêter.

Tout le jour on s'attendait à Boudry à voir les Neuchâtelois venir à main armée. Enfin il arriva un message; c'était un ordre à MM. de Boudry de paraître avec leur curé devant le Conseil d'État. Ils furent châtiés de paroles, et le temple de Pontareuse fut donné aux évangéliques. On laissait aux catholiques la chapelle qui était à Boudry.

Mais ce ne fut pas long-temps que les réformés demeurèrent les maîtres du temple de Pontareuse. Le curé vint le jour de Noël y dire la grand'messe avec longues chansons ; si longues que les évangéliques crurent qu'elles n'auraient pas de fin. Le prédicant voulut s'avancer; mais tandis que les uns le poussaient d'un côté, les autres de l'autre, sans qu'il réussit à fendre la presse, on vit arriver une multitude de ceux de Boudry, jouant des poings et quelques-uns même du couteau. Alors commença une grande batterie; les vignes fournirent les armes aux combattans; les femmes y allaient quérir les échallas pour armer leurs maris, et tous se mirent à attaquer ou à se défendre, à se barricader ou à frapper de leur mieux. On remarquait entre tous le curé en pourpoint, la tête nue, tenant un grand épieu dans la main, excitant les siens et plus enflammé qu'aucun d'eux. Ce fut merveille de Dieu qu'un si grand tumulte s'apaisât, sans qu'il y eût de morts et sans effusion de sang.

Le lendemain les gens des villages firent leurs doléances à leurs bons amis, alliés et frères de Neuchâtel, pour en avoir aide et consolation. J'aime à croire qu'ils trouvèrent appui, mais ce qui servit surtout leur cause, ce furent les excès auxquels leurs adversaires s'étaient livrés. Plus ceux-ci avaient montré de fureur dans leurs emportemens, plus les évangéliques employèrent de sagesse et de douceur, plus aussi se développèrent les progrès de la réformation.

MM. de Boudry et leur curé se virent peu à peu abandonnés par la plupart de leurs artisans. Les émeutes prirent fin. Voulant essayer de désarmer ses adversaires, Fabry conçut le projet de chercher un appartement à Boudry et de venir vivre au milieu d'eux; mais ils ont fait si bien que toutes les portes lui sont demeurées fermées. - Néanmoins leur haine est devenue sourde, grondeuse, impuissante, et le jour approche où la paroisse entière aura accepté le bienfait de la réformation. Déjà tous les villages des alentours l'ont embrassée. Auvernier et Collombier ont pour pasteur Jean Fatton, le compère et le bon ami de Farel. Cortailloud a pour ministre, et pour maître d'école à la fois, un jeune français du nom de Hugues Gravier.

Les sujets de la terre de Gorgier se sont réformés sans se mettre en peine de la résistance de l'abbé de St.-Maurice, collateur de l'Eglise de St.-Aubin; leur seigneur, Lancelot de Neuchâtel, leur a accordé Claude Clerc pour leur premier pasteur. À l'exception des paroisses du Landeron et de Cressier, voilà bientôt toute la plaine réformée. Reste le Val-de-Travers et les Montagnes. Olivier de Hochberg est toujours à Motiers avec ses chanoines; leurs efforts prolongeront peut-être un an, peut-être deux une révolution imminente dans le Val-de-Travers. À Battes et à St-Sulpice, le curé Thomas Petitpierre, travaille à amener insensiblement une heureuse réformation.

Dans les Montagnes la grande réputation d'Étienne Bezancenet, du sage curé du Locle, son honnêteté et sa douceur ont long-temps retenu les esprits. Déjà cependant les Brenets ont échangé les images de leur temple contre deux boeufs que leur ont offerts de pieux catholiques d'un village de la Franche-Comté; chaque parti a cru beaucoup gagner à cet échange. Jaques Droz, de curé qu'il était, est devenu le premier pasteur de la Chaux-de-Fonds; la Sagne a reçu Pierre Besson pour son prêcheur, et le jour ne tardera pas d'arriver, que l'honnête Bezancenet aura dit la dernière messe a sa paroisse aussi régénérée.

SOURCES. Celles de l'article précédent. Et de plus : Lettres de Fabry, conservées dans la Bibliothèque de MM. les Pasteurs de Neuchâtel. Andrié, le jubilé de la Réformation. Perrot, l'Église et la Réformation. T. Il.

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1* Ruchat suit une autre version , suivant lequelle l'événement se serait passé tout entier à Valangin, à commencer ai, l'enlèvement de l'hostie d'entre les mains du prêtre j'ai suivi le récit qui m'a parti le plus probable.


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Noms propres de cette page:
 
Aigle - Amsterdam - Anabaptisme - Anabaptistes - André - Andrié - Anthony - Antoine - Arberg - Aubin - Auvernier - Avenches -

Babylone - Baden - Baillod - Bâle - Battes - Beaucaire - Bellegarde - Bély - Berne - Bernois - Besson - Bevaix - Beynon - Bezancenet - Bible - Bienne - Bischoff - Blaise - Boive - Bole - Bonneville - Boudevilliers - Boudry - Brenets - Bretoncourt -

Capefigue - Chambrier - Chamois - Chaux - Christ - Christophore - Collomb - Confédération - Corcelles - Cortailloud - Cressier -

Danube - Dauphiné - Diesse - Dombresson - Dominicains - Droz -

Égypte - Érasme - Étienne - Europe -

Fabry - Farel - Fatton - Florimundi - Fontaine - Froment -

Genève - Gervais - Gnodalius - Gorgier - Guillemette -

Helvétie - Heresbachii - Hochberg - Hortensio - Hugues -

Jacob - Jacobins - Jaques - Jean - Jeanne - Jérusalem - Jésus -

Lamberto - Lancelot - Landeron - Léger - Libertet - Louis - LRochefort - Lucerne - Lyon -

Marcourt - Marmoud - Meshovius - Montfortio - Montpellier - Motiers - Muncer -

Necker - Neuchâtel - Neuchâtelois - Noël -

Olivier - Orbe - Orléans -

Pavie - Payerne - Peney - Peneysans - Perrot - Petitpierre - Pontareuse - Pury -

Romand - Rothelin - Ruchat - Ruz -

Sagne - Seyon - Sleidan - Strasbourg - Sulpice -

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Valangin - Valanginois - Varillas - Vaud - Vergy - Vierge - Vouga -

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