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CHRONIQUE
DE LA
QUINZAINE.
EMPIRE
D'ALLEMAGNE.
Les Anabaptistes.
Ce n'est pas d'aujourd'hui,
lecteur
curieux et bénévole, que nous vous
devons le récit de la tragédie
à laquelle assiste présentement
l'Allemagne. Si nous avons tardé de le
faire, ce n'est pas que, comme certain
écrivain, nous rougissions d'inscrire sur
nos pages le nom des Anabaptistes, «de cette
sale poussière du genre humain, à
laisser balayer par les vents.» Non, tout fait
d'homme a sa place en la chronique et bien
particulièrement cette grande catastrophe,
l'une des plus abondantes en instructions que
renferment les annales de l'humanité. Mais
long-temps les nouvelles qui se rapportaient
à ce sujet sont demeurées confuses,
incomplètes, les unes empreintes
d'exaltation, les autres dictées par la
colère et le mépris; nous avons donc
jugé prudent d'attendre, pour parler,
d'avoir acquis des notions moins vagues et de
pouvoir asseoir nos jugemens sur des faits mieux
constatés.
La parole d'un homme arrive
rarement
à un autre homme avec la signification
qu'elle avait en sortant de sa bouche; autant
d'intelligences, autant de sens; et ce mot de
réforme évangélique, une fois
échappé de la bouche de Luther, a
pris en peu de temps des acceptions bien diverses.
Luther l'avait dit du coeur, dans un sens tout
scripturaire. Les princes et les hommes
d'état y ont mêlé une
signification politique. Érasme, les
universitaires et le tiers-parti l'ont
châtié, l'ont adouci et l'ont
transformé en philosophie.
Entr'eux et Luther s'est
placé Mélanchthon. Au dire de tous
ces hommes, il y a chez Luther trop de roideur,
trop d'impétuosité, trop d'action;
moins d'intelligence que de coeur; plus de chaleur
que de lumière. Ils le voudraient tenir en
bride, et Luther ne cesse de rompre, d'un
élan, les lacets dont leur sagesse voudrait
pouvoir l'envelopper. Ainsi les choses se passent
à la droite du réformateur; à
sa gauche il en est, tout autrement. En faisant son
chemin des classes oisives et pensantes vers les
classes livrées aux travaux
matériels, l'idée prend quelque chose
de plus en plus actif, de plus
irréfléchi, de plus prompt, et elle
se presse vers des résultats. Dans les mains
populaires, comme dans celles des gouvernemens, les
théories deviennent des faits et elles
courent à l'application. Ainsi les
révolutions s'achèvent sur la terre.
À Luther non plus il n'a pas
manqué d'hommes qui ont trouvé sa
marche trop embarrassée, trop servile et
trop lente. Il avait
attaqué le célibat des prêtres
et il y eut des prêtres qui, bravant le
scandale, donnèrent l'exemple de se marier.
Il avait condamné le culte des saints, et il
y eut des zélateurs qui coururent renverser
les images. Il avait appelé la messe une
idolâtrie, et Zwingli osa proférer la
signification la plus simple du sacrement de la
cène.
Luther ne fut pas peu surpris de
se
voir dépassé; il s'irrita et, ne
sachant où le mouvement s'arrêterait,
il conçut de la frayeur. Le mouvement, en
effet, ne s'arrêta pas à Zwingli, il
ne s'arrêta pas à Carlostadt. Quelques
hommes obscurs, sans lettres, réputés
pour leur piété et pour leur douceur,
proférèrent une parole bien peu faite
en apparence pour émouvoir la
société : « Le baptême,
dirent-ils, ne doit pas être donné
à l'enfant, qui ne peut le comprendre ; ce
sceau de la nouvelle naissance n'appartient qu'aux
régénérés. »
Mais toute simple qu'était
cette maxime, elle créait dans la
société chrétienne une
nouvelle société ; elle attaquait
l'alliance que les églises nationales
réformées avaient faite avec la
société civile, telle qu'elles
l'avaient trouvée constituée, et elle
brisait l'unité de ces églises. La
réforme nouvelle appelait ses élus
sur le terrain d'une liberté, d'une
égalité et d'une fraternité
absolues ; et elle devait finir par les conduire,
le bandeau sur les yeux, par la voie de la
république à la monarchie
théocratique la plus extraordinaire, la plus
étrangère aux moeurs de l'Europe et,
je crois aussi, la plus
éphémère qui ait jamais
existé.
Les premières assertions des
Anabaptistes se rapportaient toutes à la
religion. Ils allaient, répandant sous des
formes empruntées à la Bible et dans
un langage mystique, les idées d'une
société sainte; ils criaient malheur
sur les églises nationales, sur cette
Babylone nouvelle, et ils se constituaient
eux-mêmes en congrégations pures,
fidèles et fraternelles. Pauvres, ils se
recrutaient parmi les pauvres. Ils proclamaient la
vanité de la science humaine,
l'égalité des disciples de
Jésus-Christ et la communauté des
biens entr'eux.
Un chrétien, à leurs
yeux, ne pouvait être magistrat dans la
société telle qu'elle existait; le
jour approchait même où toute
magistrature allait être inutile, où
l'État entrerait dans l'Église, et
où la famille de Dieu ne serait
gouvernée que par l'Esprit de Dieu seul.
Plus alors de distinctions sociales, plus de
noblesse, plus de tyrannie. Prêchant ainsi,
les Anabaptistes marchaient couverts de bure, les
cheveux pendants, la barbe longue et en
désordre.
Où qu'ils portassent leurs
pas, ils annonçaient le prochain
avènement du règne de Dieu. Ils
disaient dans les commencemens n'attendre la venue
de ce règne que de la puissance de la parole
et de l'action de Dieu sur les coeurs ; ils se
montraient alors si loin de croire que la force
dût y concourir, qu'ils avaient parmi leurs
principes celui qu'un chrétien ne peut
porter les armes et que toute violence lui est
interdite. Mais ce précepte ne tarda pas
à s'obscurcir. On ne peut se faire en
Helvétie qu'une idée bien imparfaite
de la servitude qui pèse sur les paysans de
l'Allemagne. Prêché à ces
populations malheureuses, l'Anabaptisme s'allia
à tout ce que les coeurs cachaient de voeux
pour la liberté et à tout ce qu'ils
recelaient de ressentiment et de soif de vengeance.
Alors il se divisa.
Quelques-uns de ses disciples,
en
petit nombre, isolés, presque
inaperçus, continuèrent à
n'attendre de salut que de Dieu et de la puissance
régénératrice de sa Parole; le
reste matérialisa ses croyances, s'associa
à toutes les passions populaires et
descendit dans le champ de l'insurrection
politique. Alors les bords du Rhin, du Necker et du
Danube se couvrirent de bandes de paysans,
rassemblés en tumulte. Partout où ils
se présentaient, les moines étaient
chassés de leurs monastères, les
nobles de leurs châteaux, les magistrats des
cités. Le peuple s'emparait de tous les
pouvoirs. Ivre de joie, cette multitude
s'écriait que l'heure des grands
était venue, l'heure des
rétributions, que l'aurore de la nouvelle
Jérusalem allait paraître et que le
Christ venait affranchir son peuple dès
chaînes de la servitude. Ainsi s'exprimaient
des hommes esclaves de la veille et qui, sortant
à peine d'un long
assoupissement, prenaient leurs fanatiques
transports pour les mouvemens de l'Esprit de Dieu.
(1)
(La suite au numéro prochain).
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PAYS
ROMAND.
GENÈVE 14 mai. Scène toute
changée. Ce n'est plus la Genève de
la quinzaine dernière, gravement
occupée d'une conférence de religion.
La ville a subitement pris une apparence
guerrière; les préparatifs de la
Dispute ont fait place aux bruits de bataille, et
la détonation des arquebutes a imposé
trêve pour quelques jours aux
démêlés avec les
prêcheurs. À le vrai dire et pour vous
le faire court, je ne pense pas que les exploits
dont j'ai à vous entretenir doivent prendre
place parmi les faits héroïques de cet
âge; mais il n'est pas moins certain qu'ils
sont entrés dans l'histoire de la quinzaine
et que, glorieux ou humilians, je vous en dois le
récit.
Il y avait, dit-on, six semaines
que
le Conseil méditait de déchasser les
Peneysans, et qu'il excogitait, comme l'on dit, de
cent tours le meilleur à leur faire. Or un
soir, le 5 mal, après souper, nos
sénateurs s'assemblèrent sans bruit
(14 se trouvèrent présens), et ils se
délibérèrent d'aller tenter si
l'on ne pourrait surprendre ces voleurs. «
Tant que les traîtres seront en ce
château, se disent depuis long-temps MM. du
Conseil, aucun bon citoyen ne pourra sortir
à ses affaires, ni aller recueillir sa
prise; il est même à craindre que
faisant toujours pis, ils ne finissent par tout
enlever. Avisons donc que noble Anthony Bischoff,
le commis de leurs Excellences de Berne, trouve
à propos d'y aller ; prenons l'artillerie
nécessaire et de chaque compagnie de la
ville autant d'hommes qu'on le trouvera bon, et
l'on ira attaquer le château, lequel on
prendra, si l'on peut. »
Et vite, on fit une crie à
tous hommes portant les armes de se trouver
à l'heure même sous leurs capitaines;
ou ordonna aux maîtres d'hôtelleries de
tenir les étrangers enfermés durant
la nuit; on prépara force balles de laine
pour faire des rampaulx d'approche, et l'on
s'assembla plus de mille, avec deux pièces
d'artillerie pour battre en brèche les murs
du château. C'était veille
d'ascension; on espérait bien surprendre
l'ennemi. À onze heures on part. Ni
trompette, ni tambour. Aucune cloche ne sonna;
j'excepte pourtant celles des pauvres soeurs du
couvent de Ste-Claire, qui ne sachant rien de rien,
sonnèrent leurs matines à minuit,
à la grande indignation de Messieurs.
L'armée arriva à trois
heures devant Peney. Le canon fut braqué et
fit l'assaut requis; j'entends qu'il
déchargea son boulet, lequel frappa
au-dedans, jusques à la cuisine et
pensèrent ces Peneysans être pris pour
un coup ; car ils étaient tous
couchés. Aussi c'était fait d'eux, si
ceux qui devaient mettre les échelles
eussent fait promptement leur devoir; mais ils
tardèrent; ceux du château furent
si-tôt prêts, et, sans en faire
semblant, ils se mirent en défense. Ils
sonnèrent aussi le tocsin pour donner le
signal aux paysans; ce que voyant, François
Chamois, un citoyen, tira de son arquebute et
rompit la cloche, si bien qu'elle ne put plus
sonner.
Lors, la principale pièce
étant prête, les assiégeans la
vinrent décharger contre le château,
dont ils étaient dans la joie, et de fait le
croyaient gagné, quand, o malheur! la
pièce se fendit par le milieu et
éclata en blessant plusieurs canonniers.
Pourtant le coup partit et brisa la porte du
château; mais les assiégés
l'eurent aussitôt redressée. Alors on
prit la seconde pièce; mais, nouvelle
douleur! voici que le boulet va frapper une de ces
halles de laine que les assaillans avaient
amenées pour leur servir de rempart. Un
dernier coup ne fut pas plus heureux; la pierre qui
tenait lieu de boulet se rompit et ils furent tout
alentour si épouvantés que, s'il en
fallait croire les papistes, cent de ceux qui
étaient auprès seraient tombés
à la renverse. À ce moment, ceux du
château commencèrent à
décharger leurs arquebutes et
tirèrent tant qu'il en demeura sur la place
et que les autres soudainement tournèrent
bride contre Genève.
La fuite fut d'autant plus
prompte
que les paysans, réveillés avec
l'aube, accouraient de tous côtés et
se rangeaient contre nos gens. Et disaient ceux de
Genève en s'en retournant : « Il y a eu
trahison ; n'avez-vous pas observé comment
Bischoff, le commis de Berne, bien connu de ceux du
château, passait et repassait sans qu'ils
tirassent contre lui? » D'autres eussent voulu
pour beaucoup n'avoir été à
cette affaire, car ils se doutaient bien que l'on
se moquerait d'eux, ce qui ne manqua d'arriver,
quand on les vit revenir à 10 heures,
plusieurs grièvement blessés. Et ce
qui les fâchait davantage, c'est qu'on disait
qu'il n'y avait que seize hommes dans le
château. Pour les prêcheurs, ils
élevèrent la voix pour dire: «
Si Dieu n'a voulu nous délivrer par ce
moyen, il en saura trouver quelque autre que nous
n'entendons pas, et ce sera pour que l'honneur lui
soit du tout baillé et non aux hommes
»
Après la retraite de nos
soldats, les Peneysans sortirent,
s'emparèrent de quelques munitions de guerre
que les nôtres avaient laissées, et
ayant relevé les morts, ils les pendirent
aux arbres du chemin.
Cependant qu'ils triomphaient
ainsi,
nos gens à Genève, citoyens et
bourgeois, étaient grandement
stupéfaits. Ils ne savaient de quel
côté tourner les regards, tant ils
étaient tourmentés par leurs ennemis
et délaissés de toute aide humaine.
Et n'ont su que recourir de nouveau à nos
bons alliés et combourgeois MM. de Berne,
par grande importunité, avec prières
et supplications. Mais voici comment MM. de Berne
ont pris le cas, et ce qu'ils écrivent
à ce jour à ceux de Genève
:
« Nous sommes été
par notre commis Anthony Bischoff
littéralement avertis de l'assaut qu'avez
fait à ceux de Peney, lequel nous
déplaît grandement et nous merveillons
fort qu'ayez osé entreprendre tel
cas. Tandis que nos alliés
et nous prenons grand-peine à mettre quelque
bon ordre en votre affaire, vous faites telle
émotion et incitez toujours vos ennemis,
dont ne saurait venir bien, sinon tout mal.
Pourquoi vous admonestons de vous déporter
de telles invasions et de vivre en paix. Et si ne
voulez en ceci nous croire, nous retirerons nos
mains d'avecque vous et ce qu'aurez entrepris sans
nous le finirez sans nous aussi. Partant avisez
à votre profit. Quant à Bischoff,
notre commis, nous voulons qu'il s'en vienne, et
vous en avons aujourd'hui ordonné un autre
en son lieu; par quoi ne le veuillez retenir.
»
Berne écrit en même
temps au duc de Savoie :
« Nous sommes fort
déplaisans de la sortie de nos combourgeois
de Genève sur ceux de Peney et voudrions
bien qu'elle eût été
laissée, quoiqu'aux dits nos combourgeois
soit chose fort intolérable d'être
continuellement affligés et molestés
par leurs propres sujets. Néanmoins ils
n'ont agi par notre su ni faveur; ains les
blâmons et croyons qu'ils se
déporteront ci-après de telles
invasions, comme le leur avons
très-acertement mandé. Et si, par
aventure, de ceci vous était fait mention,
vous prions de le prendre tout pour l'amour de nous
à la bonne part. »
Une troisième lettre,
à peu près dans les mêmes
termes, est adressée par les Seigneurs de
Berne au gouverneur du Pays-de-Vaud.
Voilà ce que nous avons
obtenu. À nos prières les
envoyés Bernois n'ont jamais eu qu'une
réponse: « La chemise nous est plus
près que la robe, et nous ne pouvons pour
vous perdre notre pays. » Il est vrai qu'ils
sont grandement haïs de leurs
confédérés même, pour
leur religion, et que le duc se montre plus
enflambé qu'il n'a jamais été
contre Genève.
Nous avons sous les yeux deux
pièces qui nous montrent combien ont
été vives ses instances auprès
de la dernière Diète,
assemblée à Baden le mois dernier.
Ses ambassadeurs ont sollicité les Cantons
de leur dire, s'il ne devait y avoir aucun terme au
débat, si les précédentes
résolutions des
Confédérés devaient demeurer
vaines, et s'ils ne feraient pas enfin tarir la
source de leurs dissensions intérieures et
cesser la cause de vieilles inimitiés.
À Berne, ils n'ont plus voulu entendre
parler des arrêts de Payerne et de St.
Julien; c'est à celui de Lucerne qu'ils se
sont référés et ils en
pressent l'exécution. Que fera Genève
ainsi serrée, ainsi délaissée,
sans conseil et sans secours. Les prêcheurs
l'adressent à Dieu, comme à son
unique refuge. » Cependant que vous aurez
votre assurance aux hommes et aux chevaux
d'Égypte, nous disent-ils, vous ne serez pas
délivrés; mais qu'on vous voie mettre
votre espoir en Dieu, et Dieu vous sauvera. »
Aux sermons ils joignent chaque jour prières
au Seigneur de défendre sa cause et de
bailler aux Genevois les moyens par lesquels il les
veut délivrer. À ces accens, les
soudarts se renforcent. Ceux d'entr'eux qu'on
envoie aux alarmes se montrent toujours prêts
à marcher. Pour être plus prompts, ils
ont leurs armes dans le temple, où ils se
montrent diligens à venir entendre
prêcher, et quand vient une alarme (hommes et
femmes y sont accoutumés) personne ne se
meut qu'eux seuls, qui sortent tout armés
sans nul trouble. Et lorsqu'ils vont aux remparts,
d'une main ils tiennent les armes et de l'autre les
instrumens propres à édifier les
murailles et à élever des terreaux.
À ce travail hommes, femmes, filles et
jeunes enfans, un chacun fait son devoir.
Ainsi s'exécute la
résolution de démolir les faubourgs
et d'en employer les matériaux à
fermer la ville de toutes parts. Cette
résolution, prise l'année
dernière, rencontrait des oppositions et des
difficultés sans nombre. Il a fallu la
malheureuse expédition de Peney pour
réveiller la prudence et l'énergie
des Conseils et pour faire triompher
l'intérêt commun des murmures des
particuliers.
Un arrêt du 10 mai ordonne de
nouveau le renversement des églises,
monastères et faubourgs de St. Victor, de
Notre-Dame de Grâce, des Jacobins ou
Dominicains de Palais, de St. Léger et des
frères Mineurs dans la ville. Ces
édifices réunis présentent une
longueur de 6,200 pas. Les matériaux de leur
démolition serviront à construire un
boulevard à la porte de Rive et à
fermer de murailles St. Gervais, qui n'était
enclos que de haies jusques à ce jour.
(2)
(Voyez au
Feuilleton
quelques détails
sur ce sujet)
SOURCES.
1.
Sleidan,
Livre IV à X. Beaucaire, L. XXI. -
Meshovius. Hist. anabaptistarum. - Gnodalius,
bellum anabaptisticum. Tumultuum anabaptistarum
liber à Lamberto Hortensio Montfortio, dans
Schard, script. Germait. Il. - Ottii historia
anabaptistica. - Heresbachii hist. anabaptistarum.
monasteriensium 1650. - Florimundi Remondi, hist.
de heresi. - Varillas, histoire des
hérésies. - Histoire du fanatisme
dans la religion protestante par le Père
Catrou. - Lettres de Luther. Ses écrits
Contra scelestos prophetas seu fanaticos; contra
latrones et sicarios rusticos. - Histoire des
Anabaptistes, sans nom d'auteur, Amsterdam 1700. -
Biographie universelle, articles Muncer et Jean de
Leyde. - Capefigue, hist. de la Réforme. -
Grégoire, histoire des sectes religieuses,
V.
2.
Nos auteurs
accoutumés, entr'autres Froment, les
Registres et la soeur Jeanne. Correspondance de
Berne, dans les Archives de cette ville.
Recès des Diètes Suisses,
ibidem.
.
REVUE
DU
PASSÉ.
LA
RÉFORME DANS LE PAYS DE
NEUCHÂTEL.
- «Ils
avaient
mis leur espérance aux Cieux,
- Et
balayaient
l'oeuvre de leurs aïeux;
- Hardis
enfans de
cet âge d'attente,
- Ils
grandissaient
sur le seuil de la tente. »
Derniers efforts des catholiques. La
Réforme à Serrières, à
Corcelles, à Bevaix, à Valangin,
à Boudry (Christophore Fabry), dans tout le
vignoble, dans le Val-de-Travers, dans les
Montagnes.
La lettre du Gouverneur à la
Comtesse renfermait le récit assez
fidèle de la manière dont
Neuchâtel avait accepté la
réforme. M. de Prangins joignit à sa
lettre la transaction faite en présence des
députés de Berne, laquelle portait
réserve des droits du prince et de ceux des
bourgeois, abolition de la messe à
Neuchâtel, liberté
pour le pays de suivre ou non l'exemple de sa
capitale, et promesses de paix, d'oubli du
passé, d'obéissance et d'union. Les
députés bernois quittèrent la
ville après avoir bien fait entendre au
Gouverneur que la réforme ayant
été librement acceptée, leurs
Seigneurs châtieraient
sévèrement toute tentative qui serait
faite pour la renverser. Des chanoines, trois
embrassèrent la réforme. Ce furent
Chambrier, Pury et le chroniqueur Jean Baillod; les
autres se réfugièrent au
Val-de-Travers. Ce qui restait de reliques et
d'ornemens d'église avait été,
par les soins du Gouverneur, transporté dans
le château. Il y avait aussi retiré
les orgues, que la réforme enveloppait dans
sa réaction contre les pompes de l'ancien
culte. Deux tables de marbre remplacèrent le
maître-autel; une chaire sans ornemens fut
appuyée à l'une des colonnes du
temple, et Farel y monta pour dire au peuple
ému : « C'est ici le service que votre
Père demande; c'est que vous l'adoriez en
esprit et en vérité; c'est le culte
que votre Père demande de
vous.»
Voilà donc la nouvelle
conquête de la réforme accomplie. La
noblesse et le pauvre peuple demeuraient, il est
vrai, secrètement attachés à
la cause vaincue. Le Gouverneur cherchait à
rallier à cette cause les gens des villages
et à renverser l'oeuvre de la bourgeoisie.
Un plan fut formé d'entrer dans le temple
à main armée le jour de Noël,
tandis que les évangéliques y
seraient assemblés, et de relever par la
force les pouvoirs et le culte détruits.
Mais Berne, avisée à temps de la
conjuration, envoya la veille de Noël des
députés à Neuchâtel, et
tous les efforts des catholiques vinrent
échouer contre son inébranlable
vouloir de maintenir l'oeuvre de la
réformation. Il ne resta dès lors
d'espoir aux catholiques que celui qu'ils mettaient
encore dans leurs princes.
Louis d'Orléans en mourant
avait laissé trois fils à Jeanne de
Hochberg; Claude, qui était
l'aîné, est mort au siège de
Pavie , Louis héritera de Neuchâtel,
et François, le troisième, porte le
nom de marquis de Rothelin. Ce fut ce dernier que
Jeanne envoya, dans les premiers jours d'avril 153,
recevoir le serment de ses sujets de
Neuchâtel. François s'occupa de bien
des choses; il confirma les franchises du pays,
entérina plus d'une lettre de grâce,
termina, dans l'intérêt de la
couronne, beaucoup d'affaires litigieuses; pour la
religion, il parut l'avoir bien moins à
coeur que le soin de faire valoir les droits du
prince sur les biens abandonnés de
l'église; et il quitta Neuchâtel,
après avoir trompé l'attente du parti
qui espérait de lui sa délivrance et
après avoir juré de laisser
liberté de conscience à tous les
habitans du pays. Il était dans le
comté, que Farel y prêchait en paix
l'Évangile. La réforme demeura donc
inattaquée et Farel, considérant
comme achevée la conquête de la ville
de Neuchâtel, songea à porter en des
lieux nouveaux les germes de la réformation.
Les Neuchâtelois lui donnèrent la
bourgeoisie; il ne demandait pas même cette
récompense. Ils eussent voulu le retenir
pour leur pasteur; mais ses engagemens envers les
seigneurs de Berne et son besoin d'aller à
de nouveaux combats ne lui permirent pas d'accepter
cet office. Il laissa donc la charge de
l'église qu'il avait fondée à
son compatriote Antoine Marcourt, qui est encore
aujourd'hui pasteur à Neuchâtel, et il
reprit lui-même le chemin de Morat.
J'oubliais de dire qu'il ne quitta point la ville
sans lui laisser un bon maître
d'école; son ami Wolfhard lui adressa de
Strasbourg le jeune Louis, que recommandaient son
innocence, sa piété et son amour pour
les bonnes et les saintes études. Toute la
jeunesse studieuse de Neuchâtel fut
confiée à ses soins.
Bientôt Farel se sentit
rappelé dans le comté. La ville de
Neuchâtel avait reçu
l'Évangile, mais la plupart des villages ne
l'avaient pas entendu prêcher, et toute une
guerre nouvelle se préparait pour l'homme de
Dieu. Le village qui le premier avait reçu
la réforme avait été
Serrières, aux portes de la ville. « Si
vous m'avez appelé bon prêtre, dit
Emer-Beynon à ses paroissiens, vous me
trouverez meilleur pasteur.» Une circonstance
avait favorisé la réforme à
Serrières, c'est que MM. de Bienne sont les
collateurs de la paroisse. De Serrières,
Farel se rendit à Corcelles; sa
présence y souleva une émeute.
À Bevaix on l'écouta avidement; mais
le prieur, Jean de Livron, et ses moines, ayant
appelé de Boudry et des alentours tous leurs
partisans, cernèrent l'église pendant
qu'il prêchait, le descendirent de chaire et
le chassèrent après l'avoir
accablé de coups et de mauvais traitemens.
Instruits de ce fait, MM. de Berne
écrivirent : « Que chose pareille
n'arrive pas de nouveau, car nous la
considérerions comme faite à
nous-mêmes ; « Dès lors l'abbaie
de Bevaix et le prieuré de Corcelles ont
été sécularisés, et le
curé de la paroisse de Corcelles, Jean Droz,
en est devenu le premier pasteur.
Montons avec Farel au château
de Valangin. La veuve de Claude d'Arberg,
Wilhelmine de Vergy, fait sa résidence. Je
ne sais si personne la surpasse en haine pour la
réforme, si ce n'est peut-être Claude
de Bellegarde, son maître d'hôtel et
son conseiller. Farel avait déjà fait
l'épreuve de leur animosité, un jour
qu'il avait tenté de pénétrer
jusque dans le Val-de-Ruz. C'avait
été le 15, jour de Notre-Dame
d'août de l'an 1530. Accompagné
d'Antoine Boive, jeune dauphinois, depuis quelque
mois le compagnon de tous ses périls, il
s'était rendu dans un village situé
près de Valangin et que je crois être
Boudevilliers. Ce village, bien que dans le
Val-de-Ruz, dépend de Neuchâtel. Ils
entrèrent dans le temple, comme le
prêtre y chantait la messe; Farel se mit
à prêcher de son côté. -
Bientôt son jeune compagnon, voyant le peuple
donner plus d'attention à l'acte du
prêtre qui élevait l'hostie, qu'au
discours du prédicateur, ne sut pas se
contenir; ému de zèle, il arracha
l'hostie des mains du prêtre et se tournant
vers le peuple : « Ce n'est pas ici le Lieu
qu'il vous faut adorer, dit-il, il est là
sus au ciel, en la majesté du Père,
et non dans les mains du prêtre, comme
vous le cuidez et comme ils
vous
le donnent à entendre »
De cette action, les prêtres
et plusieurs autres, furent grandement
irrités; ils sonnèrent les cloches
pour empêcher d'ouïr Farel et pour
assembler le peuple; toutefois Dieu délivra
pour ce coup les deux évangélistes.
Mais comme ils s'en retournaient ce même jour
à Neuchâtel, passant par le bourg de
Valangin, dans la gorge où se trouve le
château, ils furent assaillis par une
vingtaine de personnes, hommes, femmes,
prêtres, qui les blessèrent rudement
de coups de pierres et de bâtons. Peu s'en
fallut qu'ils n'y laissassent leur vie. Enfin ils
les menèrent prisonniers au château de
la dame Guillemette de Vergy, laquelle était
consentante du fait. Et les menant, ils firent
entrer Farel dans une chapelle, où ils le
voulurent contraindre de se prosterner devant une
image de la Vierge, ce qu'il ne voulut faire, ains
les admonestait d'adorer le seul Dieu en esprit et
en vérité, et non des images muettes,
sans âme et sans pouvoir. Mais eux le
frappaient d'autant plus qu'ils étaient
fâchés de ses propos et de sa
constance; ensorte qu'il y eut grande effusion de
sang, dont on voit encore aujourd'hui les marques
en la chapelle. Ils les conduisirent ensuite, en
les frappant toujours à la prison du
château. On dit que les voyant venir, la dame
leur criait d'une fenêtre : « Noyez,
noyez au Seyon, ces chiens de luthériens,
qui ont méprisé le bon Dieu. »
Et ils l'eussent fait sans quelques bonnes
personnes qui leur firent trouver mieux de se
contenter de les lui mettre en sûreté.
Ils se bornèrent donc à les
dévaler en un croton, où ceux de
Neuchâtel, informés de l'outrage, ne
les laissèrent pas languir long-temps, ains
les allèrent quérir à main
forte et les mirent en liberté. Des
coupables nulle punition ne fut faite; on dit
même que le prêtre qui avait le mieux
battu Farel mangeait tous les jours à la
table de la princesse qui le récompensait
ainsi. Tous les ennemis de l'Évangile
trouvaient auprès de la dame Guillemette
encouragement et grand faveur
(1*).
Néanmoins Farel ne se rebuta
pas. Il ne retourna pas tout d'abord lui-même
au Val-de-Ruz; mais il y envoya maître Jean
de Bély, natif de Crès en
Dauphiné, qui vint à Fontaine, entra
dans le temple, et déjà s'y
était mis à prêcher, quand le
curé, les femmes et la jeunesse du lieu
survinrent avec grand bruit, l'arrachèrent
du temple, le battirent et le chassèrent. Il
n'y retourna pas moins quelques jours après,
croyant obéir à sa vocation. Quelques
jeunes hommes de Neuchâtel l'accompagnaient
bien armés. Il recommença ses doctes
prédications, malgré les menaces de
la dame de Valangin et celles, de l'abbé de
Fontaine-André, Louis Collomb, patron de la
paroisse; il ne se lassa pas et il finit par voir
ses auditeurs ouvrir les yeux et recevoir la foi
évangélique. Les gens de Fontaine,
montrent encore la pierre sur laquelle il s'assit
fréquemment pour les prêcher, avant
qu'il eût la pleine liberté de le
faire dans le temple.
Dans le même temps ; la
réforme pénétrait dans le
Valangin par une autre voie encore. Le Val-de-Ruz
touche à son extrémité
à celui de St-Imier, dans les quel Bienne
avait aboli la messe et les images. MM. de Bienne
possèdent à St-Imier haute, basse, et
moyenne jurisdiction, le militaire, le droit de
collature des églises et l'avouerie sur le
chapitre des chanoines; la souveraineté
seule appartient à l'Évêque de
Bâle.
Or un jour (c'était dans la
semaine de Pâque de l'an 1529), ils avaient
convoqué tous les curés de la
vallée, et les avant trouvés
disposés à renoncer à la
messe, ils s'étaient emparés des
biens d'église, avaient fait des pensions
aux chanoines et aux curés et avaient
réformé le pays. À Diesse, ils
avaient opéré la même
révolution (février 1530). La
Bonneville avait aussi fini par recevoir
l'Évangile ; Bienne n'avait voulu renouer
qu'à cette condition le traité
d'alliance qui unissait les deux villes.
Dès lors des doctrines
nouvelles commencèrent de se répandre
à Dombresson et dans les villages les plus
prochains du Val-de-Ruz. Il se rencontrait que
Bienne possédait la collature de
l'église de Dombresson, comme nous avons vu
qu'elle avait celle de la paroisse de
Serrières; fort de ce patronage, le
curé, Pierre Marmoud, se déclara pour
la Parole de Dieu, et son exemple ne tarda pas
à être suivi par ses paroissiens.
Bientôt les germes de la réforme,
arrivant à la fois du nord et du midi, se
répandirent de village en village dans toute
la longueur du Val-de-Ruz.
Mais la crainte empêchait
encore les Valanginois de manifester leur foi.
Bellegarde procédait contre ceux d'entr'eux
qui se déclaraient pour l'Évangile
par la prison, par de fortes amendes et même
par la confiscation de leurs biens. Il avait fait
exemple de quelques prêtres qui
s'étaient mariés. Il avait
rétabli par la force la même à
Dombresson. Boudevilliers, bien que situé
dans le Val-de-Ruz, appartient à
Neuchâtel ; le Gouverneur et Bellegarde
s'étaient réunis pour y
étouffer les semences de l'Évangile.
Berne jugea dès lors que le moment
était venu d'intervenir. Berne était
l'alliée de la comtesse; elle avait, dans
des momens difficiles, couvert elle et le prince
son mari de sa puissante protection; elle se
croyait le droit de parler avec fermeté. Ses
députés se rendirent à
Valangin pour exprimer sa volonté : «
Nos Seigneurs, dirent-ils, vous assurent de leur
constante amitié et de leur ferme intention
de ne pas vous abandonner; mais ils ne veulent pas
que vous laissiez votre maître d'hôtel
persécuter les bonnes gens qui montrent de
l'affection pour l'Évangile; car non
seulement la combourgeoisie qui nous unit aux gens
de franche condition de cette vallée, mais
le droit commun et la charité fraternelle
nous font un devoir de les défendre et de
les protéger. Et certainement nous le
ferons. »
Ce langage assura quelques repos
aux
réformés, et, en
jetant la crainte dans le château, il rendit
possible à Farel de reprendre le chemin du
Val-de-Ruz. Il y monta les derniers jours de l'an
1530. Il était muni de lettres de Berne. Un
certain nombre d'hommes l'accompagnaient. Il
prêcha de telle manière que,
malgré l'opposition de la Dame et les
fureurs de son maître d'hôtel, les
Valanginois embrassèrent pour la plupart
l'Évangile de la réformation.
Bellegarde, n'y pouvant tenir, prit le parti de se
rendre à Berne, de s'y présenter en
Conseil et de déposer par écrit ses
sujets de plainte contre les réformés
(11 février 1531).
« Nous vous conseillons, lui
répondirent MM. de Berne, de ne point vous
opposer à la Parole de Dieu, mais
plutôt de la recevoir. Si vous ne le faites,
gardez-vous au moins de mal parler des
réformés et de la ville de Berne; car
vous ne tiendriez pas vainement une conduite aussi
contraire à l'alliance qui nous unit.
Croyez-nous; plutôt que de troubler l'eau,
laissez-lui son libre cours. » Jaques De
Wattewille et Jacob Tribolet se rendirent à
Valangin, pour faire entendre le même langage
à Wilhelmine de Vergy.
Cependant Farel était
redescendu dans la plaine, et ce moment
était celui où il prêchait
l'Évangile à Avenches et dans le
bailliage d'Orbe. Les premiers jours de mai le
ramenèrent à Neuchâtel.
À une lieue de la ville et près d'une
des extrémités du lac est le village
de St-Blaise; il y alla prêcher. Mais voici
le curé, l'appelant hérétique,
et le lieutenant du lieu, criant qu'on le devait
pendre, qui ameutèrent le peuple, le
réunirent en armes et le lancèrent
sur Farel, qui fut bien près d'être
massacré. Farel rentra à
Neuchâtel épuisé,
défait, crachant le sang, presque
méconnaissable. Berne se hâta
d'envoyer ses députés. Ils
demandèrent la punition du lieutenant et
exigèrent que le curé, qui avait
accusé Farel d'hérésie,
prouvât son assertion. Ils étaient
aussi chargés d'inviter les
Neuchâtelois à défrayer Farel
de la dépense qu'il avait faite tandis qu'il
leur prêchait l'Évangile, et à
faire une pension à leur ministre Marcourt.
Tandis qu'ils s'acquittaient de leur charge, une
troupe armée partit de la ville, alla
à St-Blaise abattre les autels,
détruire les images et venger l'injure faite
à Farel. De St-Blaise ils allèrent
à Fontaine-André, renverser aussi
l'idolâtrie. C'est par ces actes de violence
que se montrait leur zèle.
Ils eurent un mois plus tard une
occasion nouvelle de faire voir leur ardeur. Le 14
juin était un dimanche; c'était, si
je ne me trompe, le jour de la dédicace du
temple de Valangin. Farel y alla, accompagné
de quelques bourgeois de Neuchâtel et de
quelques Valanginois. Ne pouvant
pénétrer dans le temple, il se
plaça dans la rue et y commença
à prêcher. Alors une cavale
amenée par le cocher de la comtesse ......
mais le voile doit être tiré sur cette
scène. Le peuple saisi d'indignation entra
comme un flot dans le temple et y renversa tout,
croix, autels, images; il mit en pièces les
armoiries de ses princes; reliques, livres,
vitrages, il ne laissa rien entier de ce qui avait
appartenu à l'ancien culte; se jetant
ensuite dans les maisons des chanoines, il les
ravagea pareillement; et il eut à la fin la
hardiesse d'aller jusqu'au château demander
à sa Dame justice de l'outrage fait à
la décence, à la religion et à
son pasteur. Craintive, la comtesse fit mettre en
prison le cocher, qui pourtant n'avait agi que par
son ordre, et elle envoya en hâte aviser
Berne du vitupère et du grand dommage qui
venait de lui être fait. Berne fut lente
à prononcer : l'affaire traîna une
année entière; afin arriva la
sentence qui assurait aux réformés le
libre exercice de leur culte et les condamnait
à payer les dommages résultant de
leur irruption dans le temple et chez les
chanoines. La chapelle du château sera dans
peu de temps le seul refuge du culte catholique
dans le pays de Valangin.
Mais ce n'était pas dans le
Val-de-Ruz seulement que la réforme
était en progrès. Le jour que Farel
retournait à Morat, tout meurtri des coups
dont l'avaient frappé les gens de St-Blaise,
il y arrivait aussi un jeune homme de beaucoup de
piété, de douceur, et de
connaissances étendues; c'était
Christophore Fabry ou Libertet. Né à
Vienne en Dauphiné, il avait
étudié à Montpellier la
médecine. Obligé de quitter cette
ville que la peste ravageait, il devait, selon la
volonté de ses pareils, aller continuer ses
études à Paris; mais passant à
Lyon, il y entendit parler de ce que Dieu avait
fait d'extraordinaire par le moyen de Farel, tant
à Aigle, qu'à Morat et
Neuchâtel. Il avait déjà
quelque affection pour l'Évangile et fut
ému profondément à ce
récit.
Tout-à-coup il se sent saisi
d'un désir ardent de se consacrer à
Dieu dans l'oeuvre du ministère, et dans ce
désir, au lieu de continuer son voyage pour
Paris, il prend sa route par la Savoie et se rend
auprès de Farel. Farel ne l'eut pas plus
tôt vu qu'il reconnut en lui les dons qui
font le serviteur de Dieu. Il acheva de le gagner
à l'Évangile, le fortifia dans son
dessein et ne tarda pas à se sentir pour lui
le tendre attachement d'un père. Fabry le
seconda d'abord dans son ministère à
Morat. Il fut ensuite élu pasteur à
Neuchâtel.
De Neuchâtel il se rendit
à Boudevilliers où il passa huit mois
à cultiver dans le Val-de-Ruz les germes de
l'Évangile. Puis voyant croître et
prospérer les églises de cette
vallée il en laissa le soin à Jean
Bretoncourt et redescendit à
Neuchâtel. Comme il arrivait, il fut
abordé par des gens de Bole et des Grattes;
ces deux villages dépendent de la paroisse
de Boudry, nommée aussi la paroisse de
Pontareuse, du lieu où se trouve le temple
fréquenté par les gens de Boudry, de
Bole, des Grattes et de Rochefort. Les bonnes gens
de ces villages avaient pour la plupart
embrassé la réformation : mais,
persécutés par le curé et par
le châtelain Vouga de Boudry, ils demandaient
un pasteur qui pût les prêcher et les
défendre. On leur accorda Fabry (octobre
1532).
Il ne tarda pas à se trouver
en présence du curé. Ce curé
était un honnête pharisien, qui tout
d'abord avait paru approuver le zèle des
réformateurs. Il ne déclamait pas
moins qu'eux contre les vices de l'Église,
qu'il eût aimé voir belle, sainte,
honorée. Mais quand il avait vu les
ministres de la réforme contracter mariage,
quand il leur avait entendu prêcher
l'impuissance de l'homme à faire le bien par
lui-même, et publier le salut qui vient de la
foi et non des oeuvres; quand il eut pu se
convaincre qu'ils combattaient la confession,
qu'ils condamnaient les fêtes et les
jeûnes et qu'il les eut vus ruiner la gloire
des temples en renversant les autels, le vertueux
curé s'était ému. Il
s'était senti pris d'une indignation
d'autant plus profonde contre les
réformateurs qu'il avait été
plus près de paraître d'accord avec
eux; et s'alliant au châtelain et aux
principaux de Boudry, il avait
déclaré guerre à mort à
tout ce qui faisait profession d'attachement pour
les doctrines nouvelles.
Arrivent les messagers des gens
de
Bole et des Grattes, amenant Fabry de
Neuchâtel ; alors l'irritation du curé
fut à son comble. Fabry ne passait pas
devant son presbytère qu'il ne
l'accablât de sa malédiction; le
prêcheur s'arrêtait, invitait son
adversaire à descendre, à apporter sa
Bible, à la faire lire au peuple par un
clerc qui sût le faire, et à laisser
les paroissiens décider lequel des deux
était faussaire d'Écritures. Mais le
curé ne voulait point venir à raison.
Quelle ne fut pas sa colère
quand arriva un ordre du Gouverneur de partager le
temple entre les deux cultes. « plutôt
tout perdre que de consentir à pareille
abomination,» dirent MM. de Boudry. Et le
dimanche suivant, quand le ministre commença
de prêcher, ils arrivèrent tous,
l'épée à la main,
renversèrent la porte du temple, que les
réformés avaient fermée dans
leur effroi, et chassèrent hors de
l'église la foule surprise et
désarmée. Ainsi firent-ils le
dimanche; le lendemain ce fut leur tour de
trembler. Les gens des villages voulaient prendre
les armes et ce ne fut pas sans peine que Fabry
réussit à les arrêter.
Tout le jour on s'attendait à
Boudry à voir les Neuchâtelois venir
à main armée. Enfin il arriva un
message; c'était un ordre à MM. de
Boudry de paraître avec leur curé
devant le Conseil d'État. Ils furent
châtiés de paroles, et le temple de
Pontareuse fut donné aux
évangéliques. On laissait aux
catholiques la chapelle qui était à
Boudry.
Mais ce ne fut pas long-temps
que
les réformés demeurèrent les
maîtres du temple de Pontareuse. Le
curé vint le jour de Noël y dire la
grand'messe avec longues chansons ; si longues que
les évangéliques crurent qu'elles
n'auraient pas de fin. Le prédicant voulut
s'avancer; mais tandis que les uns le poussaient
d'un côté, les autres de l'autre, sans
qu'il réussit à fendre la presse, on
vit arriver une multitude de ceux de Boudry, jouant
des poings et quelques-uns même du couteau.
Alors commença une grande batterie; les
vignes fournirent les armes aux combattans; les
femmes y allaient quérir les échallas
pour armer leurs maris, et tous se mirent à
attaquer ou à se défendre, à
se barricader ou à frapper de leur mieux. On
remarquait entre tous le curé en pourpoint,
la tête nue, tenant un grand épieu
dans la main, excitant les siens et plus
enflammé qu'aucun d'eux. Ce fut merveille de
Dieu qu'un si grand tumulte s'apaisât, sans
qu'il y eût de morts et sans effusion de
sang.
Le lendemain les gens des
villages
firent leurs doléances à leurs bons
amis, alliés et frères de
Neuchâtel, pour en avoir aide et consolation.
J'aime à croire qu'ils trouvèrent
appui, mais ce qui servit surtout leur cause, ce
furent les excès auxquels leurs adversaires
s'étaient livrés. Plus ceux-ci
avaient montré de fureur dans leurs
emportemens, plus les évangéliques
employèrent de sagesse et de douceur, plus
aussi se développèrent les
progrès de la réformation.
MM. de Boudry et leur curé se
virent peu à peu abandonnés par la
plupart de leurs artisans. Les émeutes
prirent fin. Voulant essayer de désarmer ses
adversaires, Fabry conçut le projet de
chercher un appartement à Boudry et de venir
vivre au milieu d'eux; mais ils ont fait si bien
que toutes les portes lui sont demeurées
fermées. - Néanmoins leur haine est
devenue sourde, grondeuse, impuissante, et le jour
approche où la paroisse entière aura
accepté le bienfait de la
réformation. Déjà tous les
villages des alentours l'ont embrassée.
Auvernier et Collombier ont pour pasteur Jean
Fatton, le compère et le bon ami de Farel.
Cortailloud a pour ministre, et pour maître
d'école à la fois, un jeune
français du nom de Hugues
Gravier.
Les sujets de la terre de
Gorgier se
sont réformés sans se mettre en peine
de la résistance de l'abbé de
St.-Maurice, collateur de l'Eglise de St.-Aubin;
leur seigneur, Lancelot de Neuchâtel, leur a
accordé Claude Clerc pour leur premier
pasteur. À l'exception des paroisses du
Landeron et de Cressier, voilà bientôt
toute la plaine réformée. Reste le
Val-de-Travers et les Montagnes. Olivier de
Hochberg est toujours à Motiers avec ses
chanoines; leurs efforts prolongeront
peut-être un an, peut-être deux une
révolution imminente dans le Val-de-Travers.
À Battes et à St-Sulpice, le
curé Thomas Petitpierre, travaille à
amener insensiblement une heureuse
réformation.
Dans les Montagnes la grande
réputation d'Étienne Bezancenet, du
sage curé du Locle, son
honnêteté et sa douceur ont long-temps
retenu les esprits. Déjà cependant
les Brenets ont échangé les images de
leur temple contre deux boeufs que leur ont offerts
de pieux catholiques d'un village de la
Franche-Comté; chaque parti a cru beaucoup
gagner à cet échange. Jaques Droz, de
curé qu'il était, est devenu le
premier pasteur de la Chaux-de-Fonds; la Sagne a
reçu Pierre Besson pour son prêcheur,
et le jour ne tardera pas d'arriver, que
l'honnête Bezancenet aura dit la
dernière messe a sa paroisse aussi
régénérée.
- SOURCES. Celles de
l'article
précédent. Et de plus : Lettres de
Fabry, conservées dans la
Bibliothèque de MM. les Pasteurs de
Neuchâtel. Andrié, le jubilé
de la Réformation. Perrot,
l'Église et la Réformation. T.
Il.
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