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CHRONIQUE DE LA
QUINZAINE.
NOUVELLES DE
L'EMPEREUR ET DE LA FLOTTE
CHRÉTIENNE.
GÈNES, 26 avril.
Nous ne nous trompions que sur
le moment du départ de l'Empereur. Quinze
jours encore, la grandeur des préparatifs et
d'une autre part la quiétude de la mer l'ont
retenu à Barcelonne. Enfin les vents sont
devenus meilleurs et la flotte a quitté le
rivage, en présence d'un peuple accouru pour
voir ce grand jour. La quadrirème
impériale s'est avancée la
première avec quelques gros navires, donnant
le signal au reste des vaisseaux; aussitôt
tout s'est mis en mouvement. La multitude se
pressait sur le bord de la mer; l'air a retenti du
bruit des cors, des trompettes et des cymbales, des
commandemens des capitaines et des cris de la
foule, qui, en élevant les mains au ciel,
souhaitait victoire à l'armée et
glorieux retour à l'Empereur. Des courriers
partaient à cette heure pour porter avec la
plus grande célérité à
tous les pays de l'Europe la nouvelle, tenue
jusqu'alors secrète, de la volonté de
Charles V. Toutes les côtes de la
Méditerranée sont demeurées
dans l'anxiété. de l'attente.
(1)
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CONFÉDÉRATION
SUISSE.
BERNE, 20 avril.
Un vaste incendie vient de
consumer, dans la rue de l'hôpital,
vingt-quatre maisons, avec des granges et des
greniers. C'était avant-hier, dimanche; le
feu a pris, on ne sait comment, peu après
minuit; il a fallu beaucoup de peine pour s'en
rendre maître. Le peuple était sous
une impression de terreur. De bouche en bouche
courait le nom de Médicis : « C'est
Médicis, se disait-on, à quel autre
qu'à lui attribuer ces incendies
multipliés qui désolent la Suisse
depuis deux ans? À St-Gall, à Zurich,
dans tous les cantons réformés, que
de ravages faits par le feu! Il existe
assurément en Suisse une bande
d'incendiaires; et par qui serait-elle entretenue
et payée que par ce barbare? Elle existe
depuis que les Suisses l'ont
dépossédé de son château
de Musso (1*) .
On dit qu'il est soixante de ces incendiaires dans
le canton de Berne. Pour se reconnaître, ils
s'habillent d'une manière uniforme, culottes
blanches doublées de rouge, le canon gauche
partagé, au-dessous du genou une
découpure à la mode des lansquenets,
à la main un petit bâton blanc. L'un
d'eux, saisi en Thurgovie, a
confessé qu'un Seigneur italien, de grande
taille, qu'il avait rencontré dans le val
d'Aoste, lui avait promis un florin d'or pour
chaque maison qu'il réduirait en cendres.
Demandez au reste à ceux de nos soldats qui
ont fait la campagne de Musso, interrogez notre
brave Franz Naegueli qui les commandait, et ils
vous diront quel homme impitoyable est cet italien.
Tantôt auprès du Duc, tantôt
auprès de l'Empereur, par le fer, par la
flamme, par les mauvais conseils, il nous poursuit
en tous lieux de sa vengeance cruelle. » -
Tout en disant ainsi, on continuait de faire guerre
à l'incendie. Enfin quatre maisons abattues
l'ont arrêté dans son
cours.
Du 28. On
persévère à accuser
Médicis de l'incendie qui a
dévoré nos maisons. Quelques
étrangers arrêtés à
cette occasion, ont déclaré qu'il
leur avait commandé le crime; je ne sais si
la torture a arraché ces aveux. Les
magistrats mettent un grand soin à faire
rebâtir promptement les maisons
ruinées; elles étaient en bois et
couvertes de bardeaux, suivant l'ancien usage;
elles seront rétablies en pierres et
couvertes de tuiles. La ville fournit les
principaux matériaux et une collecte se fait
à Berne et chez nos alliés pour aider
les incendiés à supporter le reste de
la dépense. Zurich donne 50 écus,
Fribourg 100, Bâle 60 muids de blé,
Soleure 100 florins du Rhin, St-Gall et
Genève chacune 50 écus, Mulhausen du
blé, le prince de Neuchâtel 20
écus, la ville 80 testons, Payerne 20
écus. Les maisons seront relevées
avant l'hiver.
(2)
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PAYS
ROMAND.
GENÈVE, 29 avril. Il ne s'est
passé dans cette quinzaine à
Genève qu'un fait digne de votre attention.
Ce n'est pas l'admission de deux nouveaux
bourgeois, reçus l'un pour 6, le second pour
4 écus, plus le sceau de cuir. Ce n'est pas
non plus l'arrestation de M. le chanoine Gonin
d'Orsières, compromis par les
dépositions d'Antoina, et dont les parens,
CI. Richarde, CI. Châteauneuf, Girardin de la
Rive et Michel Varo, de concert avec M. le grand
vicaire, demandent et obtiendront tôt ou tard
l'élargissement. Ce ne sont point les
nouvelles rapines des Peneysans. Le fait dont je
dois vous parler est l'acceptation par les Conseils
d'une Dispute religieuse. Le vendredi, 25 avril,
entre en Sénat le frère Jaques
Bernard, de l'ordre des frères mineurs,
présentant « certaines propositions
chrétiennes, sur lesquelles, disait-il,
plusieurs sont dans l'erreur » et voulait en
conférer publiquement afin que les errans
viennent à vérité. Le
secrétaire ayant lu ces propositions, on a
délibéré long-temps, et l'on a
fini par conclure qu'on ne doit empêcher
frère Jaques de tenir sa dispute, ains la
lui permettre, et afin que les gens d'église
étudient la matière, on l'invite
à signifier son dessein à MM. du
chapitre. Le 30 mai est choisi pour le jour de la
dispute. Et le Conseil, considérant qu'elle
sera très propre à réunir les
esprits et ramener la tranquillité dans
Genève, la prend sous son autorité.
Il y invitera les savans du pays et de
l'étranger, et il espère que le
résultat de la discussion sera de faire
connaître aux personnes qui ne cherchent que
leur salut de quelle part se trouve la
vérité.
Je n'ai besoin de vous dire la
joie des évangéliques et
particulièrement des prêcheurs
à l'ouïe de cette réponse du
Conseil. « Ainsi, disent-ils, faisaient dans
les anciens temps les rois d'Israël et de
Juda, avant d'annihiler l'idolâtrie de leurs
peuples, et de ruiner les abominations des hauts
lieux. Dès qu'ils avaient reconnu la
tromperie des faux prophètes, qui menaient
le peuple aveuglé après leur Dieu
Baal, ils faisaient comme vous pouvez lire dans
l'histoire d'Ézéchias, de Daniel, et
surtout du prophète Elie; ils convoquaient
l'assemblée, ils s'adressaient au Dieu du
ciel et Dieu prononçant pour eux se
justifiait au coeur du peuple par une divine et
merveilleuse voie. Alors l'honneur et la gloire
étaient donnés au Dieu d'Israël,
la cause était reconnue gagnée par
ses serviteurs et un terrible exemple était
fait de tous les faux
prophètes qui souvent étaient mis
à mort. Ce que ne feront pourtant ceux de
Genève des sacrificateurs de
l'Antéchrist, bien qu'ils en eussent aussi
juste cause; mais usant de douceur, ils se
conduiront comme ne feraient pas leurs adversaires,
s'il leur arrivait de remporter la victoire. Ils
montreront ainsi que leur sainteté surpasse
celle des prêtres. Toutefois les autres
nations seront si patientes nous ne savons si
envers leurs persécuteurs, vu les tyrannies
effroyables qu'ils font à présent sur
la terre. Quand nous voyons tous les jours les
exemples de ceux qui se retirent par
deçà, qui ne sont pas seulement de
petits compagnons, mais des savans et des
seigneurs, penserions-nous que cela puisse ainsi
durer long-temps sans y avoir un éclat?
Nenny, certes; car d'autant plus on en fait mourir,
d'autant plus y en a-t-il, et pour un qu'ils
déchassent, ils en font naître mille.
Ayons donc de l'intelligence et comprenons qu'elle
sera la fin. »
Ainsi disent les prêcheurs
et s'offrent tous à la mort de maintenir par
la sainte Écriture ce qu'ils publient
être véritable. Si voulez maintenant
savoir quel est Jaq. Bernard, sachez qu'il est
gardien dans ce couvent des Cordeliers qui a
reçu Froment, Farel et Viret dans ses murs.
Or ces Cordeliers pour la plupart connaissent bien
les superstitions de leur religion; mais sages et
prudens de ce monde qu'ils sont (car par leur
prudence et sous cape de religion, ils ont beaucoup
accumulé de richesses et fait un grand
couvent dans Genève), ils usent de finesse
avant de mettre bas leurs robes grises. Nous les
voyons se préparer à rentrer dans le
monde en se saisissant ici d'un titre, là
d'un reliquaire, et surtout en se fiançant
en mariage à de jeunes et belles filles; ils
leur composent de belles dots, car autrement ne les
pourraient avoir, combien que soient les plus beaux
pères et verts galants qui soient parmi les
religieux de Genève; et ne le font pas sans
cause, car telle qui ne se fut fait faute de vivre
en relation condamnable avec un prêtre, ne le
voudrait épouser pour la conscience, tant on
trouve étrange que moines, prêtres et
nonnains entrent en légitime mariage.
Les prêcheurs de leur
côté ne cessent de remontrer par les
Écritures que ce ne sont que consciences de
renard qui se confesse d'avoir abattu la
rosée avec la queue en passant parmi les
prés, mais non pas d'avoir pris la poulaille
du pauvre homme. Mais il nous faut revenir à
Jaq. Bernard.
Louis, Claude et Jaques Bernard
sont trois frères d'une des familles les
plus apparentes de Genève. Les deux premiers
nous sont déjà connus. Louis est ce
prêtre de la cathédrale qui jeta son
vêtement d'homme d'église, dans le
temple même, après avoir entendu
prêcher l'Évangile. Viret a dès
lors béni son mariage avec la soeur d'Ami
Perrin. Claude donnait il y a peu dans sa maison
l'hospitalité aux prêcheurs. Il est
père d'une petite fille de huit ans, d'une
intelligence bien extraordinaire et qui montre de
merveilleuses connaissances; elle fait de temps en
temps aux prêtres, sur divers articles de
l'Écriture, des questions qui les
confondent, et les bonnes gens, pour couvrir leur
honte, publient honnêtement qu'elle est
possédée. Jaques, le dernier des
trois frères, était demeuré
jusqu'à ce jour ferme dans la religion
papistique; il l'a défendue contre Farel en
plus d'une rencontre ; mais, tout en
conférant avec les ministres, il a fini par
se laisser vaincre et par se ranger à la
réformation. Toutefois il ne s'est pas
déclaré ouvertement et ne veut le
faire qu'après qu'il aura soutenu
publiquement une dispute de religion. Il a dans
cette intention composé des thèses
sur les points contestés, et, ayant
reçu les encouragemens de Farel et de Viret,
il s'est, comme je vous l'ai dit,
présenté devant le Conseil avec eux.
Le conseil leur a fait accueil. Aussitôt
Bernard de publier son dessein. Il l'a
signifié à l'Évêque, qui
n'en tient compte, ains continue à faire
prendre ses brebis partout où il les peut
happer, à les dépouiller et à
faire bon marché de ce qui n'est pas sien.
Le frère Jaques a aussi envoyé ses
articles au chapitre de son ordre, qui se tient
présentement à
Grenoble. Enfin il invite tous
clercs et savans, tous ecclésiastiques et
laïques, à venir disputer, en pleine
liberté et sécurité toute, sur
les cinq articles qu'il me reste à mettre
sous vos yeux.
Jaques Bernard maintient et
s'offre à défendre par les
Écritures :
- 1°. Qu'il ne faut chercher d'être
justifié de ses péchés
qu'en Jésus-Christ;
- 2°. Qu'il ne faut adorer que Dieu;
- 3°. Que le gouvernement de
l'Église ne doit être
réglé que par la Parole de Dieu ;
- 4°. Qu'il a été
suffisamment satisfait pour nos
péchés par la seule oblation faite
par Jésus-Christ;
- 5°. Que Jésus-Christ est le seul
moyenneur entre Dieu et les hommes.
De ces doctrines il tire les cinq conclusions
suivantes :
- 1°. Que ceux-là errent qui
attribuent à leurs oeuvres la vertu de
les justifier;
- 2°. Que c'est idolâtrie d'adorer
des saints et des images;
- 3°. Que les traditions humaines et les
constitutions dites de et qu'on devrait
plutôt appeler papales, sont vaines et
pernicieuses;
- 4°. Que la messe, les prières
pour les morts, et celles qu'on leur adresse, ne
servent pour le salut;
- 5°. Que les saints ne sont nos avocats
(3).
- SOURCES :
- .
- 1. Paolo Jovio. Schardii,
rerum German. scriptores Il. Robertson. -
- .
- 2. Stettler. Savion. Ruchat.
-
- .
- 3. Registres du Conseil.
Froment. Roset. Ruchat.
.
REVUE DU
PASSÉ.
LA
RÉFORME A NEUCHÂTEL.
Le clergé. Les
pèlerinages. Les mystères.
St-Guillaume. Première venue de
Farel.
«
Qu'ai-je à faire, dit l'Éternel, de
la multitude de vos sacrifices ?
»
Dix-sept années durant,
Jeanne de Hochberg avait été à
réclamer la restitution de Neuchâtel
et à invoquer tantôt la justice et
tantôt la pitié des
Cantons.
Elle avait beau prier, elle
avait beau faire ressouvenir les
Confédérés qu'ils
s'étaient toujours montrés «
gardiens et défenseurs des biens des femmes
veuves avaient trouvé bon le baillage, leurs
baillis en prenaient possession avec plaisir et ils
ne pouvaient se résoudre à s'en
déprendre. Ils finirent pourtant par se
laisser vaincre.
Berne et François 1er
parlèrent si bien pour Jeanne que la
diète consentit, en 1529, à lui
rendre sa terre. La remise se fit les premiers
jours du mois d'août, à Messire
Olivier de Hochberg, prévôt de
Neuchâtel et seigneur de Ste-Croix, et
à Jean de Moranville, envoyé de la
princesse. Les députés de Berne
étaient présens et ses droits furent
réservés.
Jeanne nomma gouverneur un
gentil-homme du Pays-de-Vaud, George de Rive,
seigneur de Prangins et de Grandcour. Comme le
gouverneur faisait son entrée, Farel de son
côté pénétrait à
Neuchâtel, d'un pas inaperçu. La
restauration, la république et la
réforme y arrivaient donc à la
fois.
Nous avons déjà
touché à l'état religieux du
pays. C'était au reste ici comme ailleurs.
Au haut clergé l'orgueil et la luxure; aux
vicaires la peine, l'ignorance et la
pauvreté. Rendons pourtant aux chanoines de
Neuchâtel la gloire qui leur est due; ils
n'étaient ni sans science, ni sans
habileté. Ils gouvernaient les États
par l'influence que donne le savoir-faire uni
à la richesse. De douze qu'ils
étaient, six devaient appartenir à la
noblesse, et six devaient être docteurs. Or,
parmi ces derniers se trouva toujours quelque homme
doué de la faculté de bien dire et
qui sut écrire bellement et savamment la
chronique du pays. Que ne joignaient-ils ces vertus
terrestres à l'amour du peuple et à
la piété, aux vertus qui font le
pasteur. Mais de celles-ci nous ne trouvons pas de
traces. Je me trompe ; il en était d'entre
les chanoines (je citerai Jean de Livron et
Étienne Bezancenet, curé du Locle)
qui s'étaient fait une grande
réputation de sainteté, car ils
avaient été jusques à
Jérusalem en pèlerinage.
Étienne Bezancenet s'était senti
volonté et dévotion
d'aller visiter le St-Sépulcre ; il vendit,
pour se défrayer, 60 émines d'orge
pour 6 écus, et partit le 5 mai 1519 avec
l'aide de Dieu et, comme il le dit, de la
bénite Vierge. Il fut à la compagnie
de Pierre Faucon, des donzels Pierre et Guillaume
Archer et de Messire Paillasseau, chevaliers, tous
de Fribourg, et de Messire Nicolas Gachet de
Payerne, curé d'Yvonan. Les bonnes gens du
Locle furent fort en peine de leur pasteur tant que
dura son voyage; aussi quand, le 30 d'octobre, ils
virent de nouveau son visage, lui firent-ils grand'
venue et plusieurs aussi beaucoup de bien; et
dès lors fut Étienne Bezancenet fait
chanoine et demeura en grande estime et en grande
vénération dans tout le
pays.
Du reste, voulez-vous savoir
comment Messieurs du chapitre prêchaient la
religion ? Ils veillaient à ce qu'aucune
magnificence n'égalât celle de
l'église, ni aucune pompe celle de son
culte. - Le temple, assis en son haut lieu,
rayonnait d'éclat et de Gloire. On comptait
20 autels et 50 chapelles dans son enceinte et dans
ses alentours. Les saints les plus
révérés y avaient leur
demeure. Pas de sermons, pas de catéchismes,
rien qui demandât de l'effort aux
intelligences; toute l'instruction était en
spectacles et consistait dans la
représentation, qui se faisait en public, de
quelqu'une des paraboles de l'Évangile et
surtout du mystère de la passion. Le drame
se jouait de rue en rue, en présence du
peuple accouru de tout le pays. C'était, au
dire de plusieurs, jours de péchés
plus que de dévotion; aussi s'en suivait-il
grand déploiement et grand débit
d'indulgences. Il se faisait aussi presque chaque
fois quelques miracles en ces temps, et surtout par
le bon Guillaume, le saint patron de
Neuchâtel. La tradition raconte de Guillaume,
qu'anglais de naissance et se trouvant à
Paris, livré aux études de la
théologie, il avait gagné le coeur de
deux jeunes princes, seigneurs de Neuchâtel,
qui l'emmenèrent dans leur pays (vers l'an
1200). Ils le firent nommer chanoine, se
l'attachèrent comme confesseur et le
nourrirent de leur table. À sa mort, le
respect du peuple le béatifia sans attendre
une plus haute canonisation; la piété
lui érigea des chapelles; les fontaines, les
maisons, l'hospice entr'autres, et la ville
entière furent placés sous son
invocation. Le magistrat prit l'habitude de
recourir à lui dans les mauvais jours. Il
avait, disait-on, fait des miracles durant sa vie;
on ne doutait pas qu'il n'en fit encore. Grande
était donc sa gloire, quand un nouveau
Guillaume vint faire oublier
l'ancien.
Petit, de pauvre apparence, la
figure commune, le front étroit, le teint
pâle et brûlé du soleil, au
menton deux ou trois touffes d'une barbe rousse et
mal peignée, l'oeil de feu, la bouche
parlante, tel était l'homme qui venait
à son tour, prendre possession des rues et
des places publiques de Neuchâtel. Il le faut
reconnaître, il ne marchait pas seul. Tous
les vices de l'ordre de choses qu'il venait
combattre avaient été ses
précurseurs et prêchaient avec lui. La
vie des chanoines, traînée au grand
jour, n'était pas faite pour en supporter la
lumière. Celle des moines n'était pas
moins haïssable. Il est près de
Neuchâtel une abbaie de
Prémontrés, fondée en 1143 par
un religieux du lac de Joux; elle tire de la source
près de laquelle elle est située, et
du nom d'un saint évêque de Lausanne,
la dénomination de Fontaine-André.
Cette maison possédait beaucoup de
dîmes; les moines nommaient aux cures de
Meiri, de Cressier, de Fontaine ; leurs grandes
richesses avaient allumé haine entr'eux et
les chanoines de Neuchâtel et, dans leur soif
de se nuire, il n'était noires turpitudes
qu'ils ne racontassent les uns des autres. Je ne
sais s'il y avait mieux à dire des religieux
de Bevaix, de Motiers et de Corcelles. Ce dernier
prieuré servait de demeure à
l'abbé fugitif de St-Jean de Cerlier, dont
Berne avait sécularisé le
monastère; personne ne portait plus que lui
de haine à la
réformation.
D'une autre part, la
réforme était recommandée par
des faits puissants. Berne l'avait reçue, et
c'était Berne qui venait de rendre
Neuchâtel à son prince. Dans le
comté, non plus qu'ailleurs, il
n'était bruit que des doctrines nouvelles.
Wittembach, qui les avait fait aimer à
Zwingli, les prêchait encore à Bienne.
Farel était à Morat. Les
envoyés Bernois faisaient volontiers de la
réforme, le sujet de leurs entretiens. Deux
des hommes qui avaient le plus contribué
à la faire accepter à Berne
habitaient le voisinage de Neuchâtel ; l'un
Nicolas Manuel, venait d'être nommé
bailli de Cerlier, et l'autre, Jaques de
Wattewille, était devenu seigneur de
Collombier, et avait pris rang par son fief dans
les États du pays. Les soldats du contingent
neuchâtelois, qui avaient fait avec
l'armée bernoise la guerre d'Interlaken et
la campagne de 1529, revenaient pour la plupart
avec la foi de leurs alliés dans le coeur.
Il est donc vrai de dire que Neuchâtel
était ouvert à la réforme et
que Farel en y arrivant dut y trouver plus d'un
appui et plus d'un secret ami de sa
cause.
C'est au nombre de ces amis
secrets de l'Évangile qu'était Emer
Beynon, curé de Serrière. Farel
descendit chez lui. Beynon ne s'étant point
senti le coeur de lui confier sa
chaire, ce fut devant l'église qu'il
prêcha. Beaucoup de Neuchâtelois
étaient accourus pour l'entendre; ils
l'emmenèrent en ville et le conduisirent
à la Croix-du-Marché de dessus la
plateforme; ce fut de cette place qu'il fît
son premier sermon. C'était un des premiers
jours de décembre.
Les jours suivans, il continua
de prêcher sur les places, aux portes de la
ville et dans les maisons. Ces mystères
d'amour de l'Évangile, profanés dans
les spectacles offerts à la multitude, Farel
les présenta aux coeurs dans leur simple
vérité.
Il y eut du bruit, comme
d'ordinaire. « A l'eau, à l'eau, »
crièrent quelques-uns, « et le jetons
à la fontaine; » mais d'autres
empêchèrent qu'il ne lui fût
fait du mal et avouèrent hautement qu'ils
goûtaient sa prédication. Farel,
surpris et tout ému de ce succès, ne
put renfermer sa joie dans son coeur; il se
hâta d'en faire part à Guillaume Du
Moulin, qu'il avait laissé à Noville,
et à ses frères, les pasteurs des
quatre Mandemens. Il leur écrivit :
« Salut, grâce et
paix vous soit. Je ne veux pas vous laisser
ignorer, mes frères bien chers, ce que
Christ a opéré dans les siens; car,
contre toute espérance, il a touché
ici les coeurs de plusieurs, qui, malgré des
ordres tyranniques et l'opposition des gens
à tête rase, sont accourus à la
parole que nous leur avons annoncée, aux
portes des villes, dans les rues, dans les granges,
dans les maisons. Ils l'ont écoutée
avec avidité, et, ce qui est merveilleux
à dire, presque tous ont cru ce qu'ils ont
entendu, sans excepter même les choses les
plus opposées aux erreurs qui étaient
en eux les plus enracinées. Rendez donc avec
moi grâces au Père des
miséricordes, de ce qu'il a daigné se
montrer propice à ceux sur qui pesait le
joug, de la tyrannie, et veuillez en même
temps, mes frères, ne point mal juger de
notre absence. Le Seigneur m'est témoin que
je ne suis pas absent de vous pour ne pas porter la
croix avec vous, avec qui je souhaiterais de vivre
et de mourir. Mais la gloire de Christ et la soif
qu'ont ses brebis de sa Parole me contraignent
d'aller au devant de souffrances que la langue se
refuse à exprimer. Christ, il est vrai, me
rend toutes choses légères; que sa
cause, ô mes amis, vous soit chère, et
chère par dessus toutes choses. Et veuille
le Seigneur être avec vous en tout ce que
vous faites, et vous, conserver pour sa gloire la
santé de l'âme en celle du corps.
Adieu, mes frères, et bien vous soit. Je
suis votre serviteur au Seigneur. »
Guillaume FAREL.
De Neufchâtel, 15 décembre 1529.
.
Voyage et
retour.
« Marche, marche
homme de Dieu; et vous peuples, apprenez la
justice. »
Peu de jours après qu'il
eût écrit ces lignes, Farel se rendit
à Morat et de Morat à Aigle. Il y
était à peine arrivé que des
envoyés de Berne vinrent l'y quérir.
Morat venait d'embrasser la réforme à
la pluralité des voix. Ce fait attirait les
regards de tous les alentours; le levain de
l'Évangile gagnait de proche en proche;
c'était un moment à ne pas
négliger. Farel partit donc avec les
envoyés. Ils traversèrent la
Gruyère; à St-Martin de Vaud,
où il passa la nuit, il fut
grossièrement attaqué par le
curé et par d'autres prêtres. Les
Gruyériens le haïssaient cordialement,
et leur comte disait à qui voulait
l'entendre qu'on devrait brûler le Luther
français. La crainte que Berne inspirait
sauva seule, en cette occasion, les jours de
l'homme de Dieu.
Il consolida la réforme
à Morat et dans le Vully. Plus loin, Bienne
était réformée et travaillait
à amener le Val St-Imier à sa foi.
Au-delà de Bienne s'étendent, dans
les gorges du Jura, les vallées de la
Prévôté. Une ancienne
église collégiale, dont le
supérieur porte le titre de
prévôt, a donné le nom au pays.
Le chapitre résidait à Moutiers, en
un gros bourg. Les habitans sont sujets de
l'évêque de Bâle, mais une
ancienne alliance de combourgeoisie les unit aux
Bernois, et Berne n'avait pas eu plutôt
embrassé la réforme, qu'ils
s'étaient tournés vers elle, et lui
avaient fait part des griefs qu'ils avaient contre
leur prévôt. « Tant pour la cire
, tant pour la sépulture, tant pour le
convoi; il n'était pas de fin, disaient-ils,
à ce qu'on exigeait d'eux. Une fois
entr'autres dans l'année, le
prévôt les assemblait dans
l'église et leur ordonnait de lui
déclarer s'ils étaient paillards,
adultères, ou coupables d'autre
péché secret, et quand un d'eux lui
avait confessé son péché, ou
qu'il avait été décelé,
il le condamnait incessamment à racheter sa
faute pour le prix de trois livres de la monnaie de
Bâle. » Berne était
suppliée de protéger le pauvre
peuple. Elle y envoya Farel.
Ce fut à Tavannes que
Farel se montra d'abord; il entra dans le temple
que le prêtre disait la messe, et prenant la
parole, il prêcha d'une telle
véhémence et d'une si grande
efficace, qu'incontinent qu'il eut achevé,
tout le peuple d'un accord mit bas les images et
les autels; le pauvre prêtre qui chantait la
messe ne la put parachever; ains tout
étonné s'enfuit en sa maison, encore
tout revêtu de ses habits pontificaux, et
cuidait être perdu, car jamais n'avait vu
faire tel ménage. Ceux des lieux
circonvoisins ayant appris ces choses vinrent
chercher Farel, désirant fort de
l'ouïr, et bientôt ceux de Sornetan et
de Moutiers reçurent l'Évangile ainsi
qu'avaient fait ceux de Tavannes.
L'Évêque eut beau se plaindre; Farel
et ses deux compagnons d'oeuvre, Claude de
Glautinis et Henri Pourceletti faisaient chaque
jour quelque nouveau progrès; ils allaient
de lieu en lieu brisant les croix, convoquant les
communautés, recueillant les suffrages et
réformant le pays, avec une merveilleuse
audace. Berne crut devoir recommander à
Farel la modération : « Vous
dépassez les bornes, lui
écrivit-elle; contentez-vous de remplir la
tâche de prédicateur de
l'Évangile et mettez surtout votre soin
à inculquer au peuple quelle est la nature
de la liberté que
l'Evangile donne; car, vous le
voyez, il est des gens qui s'imaginent, en se
joignant à nous, d'être affranchis de
toute dîme. Faites que la Réforme ne
soit cause de scandale, et qu'on ne puisse dire
qu'elle ait fourni l'occasion de faire tort
à personne. Nous vous le disons par
affection. »
Quand cette lettre arriva
à Moutiers, Farel n'y était
déjà plus (août 1530). Il
était descendu à la Bonneville, et y
était entré en dispute avec le
curé. La Bonneville est située sur
les limites de l'évêché de
Lausanne; mais elle en fait encore partie. Le
Conseil du lieu résolut de renvoyer à
l'Évêque la décision du
différend. Farel, heureux à la
pensée de prêcher l'Évangile au
coeur du diocèse et sous les yeux de
l'Évêque, partit pour Lausanne le
coeur léger. Berne envoya des
députés prier les Conseils de
l'accueillir avec faveur. Mais Messieurs de
Lausanne ne se montrèrent pas moins prudens
que les Conseils de la Bonneville : « Ce n'est
point à nous, répondirent-ils,
à admettre un prédicateur dans les
chaires de nos temples ; la chose concerne
l'Évêque et son chapitre. » Et
Farel, quelle que fût sa bonne
volonté, vit bien qu'il ne lui restait
qu'à revenir sur ses pas. Ce fut alors qu'il
se rendit une seconde fois à
Neuchâtel. (Juin 1530).
.
Les idoles
renversées.
« Ils se
prosternent devant l'ouvrage de leurs mains, devant
ce que leurs doigts ont fait!
»
Farel à son retour
à Neuchâtel, trouva la ville toute
divisée. D'une part étaient le
Gouverneur, les prêtres et leurs gens; de
l'autre, les bourgeois, tant les principaux que le
peuple. Les zélateurs de la réforme
se montraient d'autant plus hardis, qu'ils savaient
bien que Berne ne les abandonnerait pas. Quant au
nombre, il s'en fallait peu qu'ils
n'égalassent leurs adversaires. Farel les
réunit, et il commença de nouveau
à prêcher dans les rues et dans les
maisons.
Un jour il se trouva quelques
personnes qui demandèrent pourquoi la Parole
de Dieu n'était pas annoncée dans un
temple, et le peuple l'entendant mena Farel,
malgré les prêtres, dans
l'église de l'hôpital. « Jadis,
leur dit le prêcheur, Christ est né
dans une étable pauvrement; eh bien, il
paraît qu'à Neuchâtel aussi,
l'Évangile doit naître parmi les
infirmes et les pauvres. » Les murs du temple
étaient parés d'images et de
tableaux; il y porta le premier la main et tout fut
bientôt enlevé. Alors le Gouverneur
s'émut; il avait exigé des
Neuchâtelois l'engagement de ne point innover
en religion jusqu'à la prochaine
arrivée de la comtesse; il se plaignit
à elle de ce qu'ils violaient leur serment
et pria en même temps les Bernois de le
délivrer de la présence de Farel. Les
bourgeois de leur côté
envoyèrent à Berne, rappeler qu'ils
avaient combattu sous les drapeaux de la
république, dans la guerre de la
réformation, qu'ils avaient
été compris dans le traité de
paix qui régissait la Suisse, et qu'en vertu
de cette paix ils avaient le droit d'abolir la
messe dans leurs murs, si la réforme y avait
conquis la pluralité des suffrages. Berne ne
put croire que le nombre des réformés
surpassât celui des sectateurs de l'ancienne
foi; elle ne fit donc que recommander à tous
de laisser libres les consciences, et à
Farel de se borner à prêcher, à
instruire, à faire comprendre à ses
auditeurs la vraie nature de la liberté
chrétienne et à ne pas faire passer,
de son autorité, des changemens en
religion.
Farel continua donc ses
prédications tant à Neuchâtel
que dans les alentours. À Neuchâtel
c'était dans le temple de l'hôpital.
Mais un jour, ce fut le 23 octobre, il lui
échappa de dire à ses auditeurs,
qu'ils ne devaient faire moins d'honneur à
l'Évangile que les papistes à la
messe, et que, puisqu'on la disait dans la grande
église, l'Évangile aussi devait y
être annoncé. Il dit, et les
voilà qui le mènent à
l'église en grand tumulte, qui s'en emparent
par la force et qui le font monter en chaire,
où il fit bien l'un des plus forts et des
plus entraînans sermons qu'il ait jamais
faits.
Ce fut si
véhémentement qu'il reprit les abus
de l'Église romaine, ce fut avec tant de
clarté qu'il montra la conformité de
la doctrine qu'il prêchait avec celle des
saintes Écritures, que le peuple, ouvrant
les yeux et touché subitement d'un grand
zèle, se prit à crier à haute
voix :
« Nous voulons suivre la
religion évangélique, nous voulons
nous et nos enfans vivre et mourir en icelle.
» Et se tournant ils se jetèrent sur
les images, qu'ils renversèrent, qu'ils
mutilèrent et dont ils ne laissèrent
que des débris. Ils
n'épargnèrent pas même la
Notre-Dame de Pitié que feue Madame de
Hochberg, mère de la comtesse, avait fait
faire. Les plus ardens à l'oeuvre
étaient les soldats qui avaient fait avec
les Bernois la campagne de Genève contre le
duc de Savoie, et qui étaient depuis peu de
jours de retour dans leurs foyers.
Déjà les jours
précédens, ils invitaient leurs
compagnons d'armes des villages à venir avec
eux attaquer les chanoines en leur château.
Ils ne laissèrent pas un autel debout. Les
patères furent jetées du haut du
cimetière en bas, et les hosties, ils se les
donnèrent les uns aux autres, pour bien
montrer que ce n'était que pain ordinaire.
Toute opposition fut inutile. Le Gouverneur ne
réussit point à faire entendre sa
voix. Les quatre ministraux, si l'on dit vrai,
s'étaient rangés du côté
du peuple et s'attachaient, sans se montrer,
à régulariser ses mouvemens. On lit
aujourd'hui sur les murailles de l'église de
Neuchâtel, ces mots gravés pour faire
vivre à jamais la mémoire de cette
journée :
.
L'AN MDXXX, LE
XXIII D'OCTOBRE
FUT
OSTÉE ET ABOLIE L'IDOLÂTRIE DE
CÉANS
PAR LES
BOURGEOIS.
Le Gouverneur
à la comtesse de Neuchâtel.
Monsieur de Prangins paraît n'avoir rendu
à la princesse de Neuchâtel qu'un mois
plus tard le compte des faits
accomplis ce jour du 23e octobre. Après lui
en avoir fait le narré, après lui
avoir montré l'inutilité de ses
efforts pour apaiser gens qui lui disaient, «
que pour le fait de Dieu et de leur âme, il
n'avait rien à leur commander, » il
poursuivait de la manière suivante le
récit des événemens
:
« Après tout ce
bruit, fus-je avisé que rien n'était
plus nécessaire que d'envoyer à MM.
de Berne pour pourvoir à cette affaire. Il
ne me semblait licite d'appeler MM. de Fribourg,
Soleure et Lucerne, pour aucuns grands
différends qu'ils ont ensemble, craignant
qu'il ne vous vînt à dommage; ne fut
donc appelé que le canton de Berne pour
avoir quelque sûreté. Or les seigneurs
de Berne envoyèrent trois ambassadeurs
(2*), qui me
tinrent assez gros et rudes propos, disant qu'ils
s'émerveillaient de ce que j'empêchais
la pure et vraie Parole de Dieu et que j'eusse
à m'en désister, car autrement votre
état et seigneurie en pourraient pis valoir.
Et pour ce que je leur fis remontrance, qu'il
serait licite d'appeler les trois autres cantons,
desquels êtes bourgeoise, ils se
dressèrent contre moi en me disant, que si
je le faisais, mal vous en adviendrait, car ils
avaient assez de grabuge par ensemble. À la
fin ils prirent la matière en leurs mains
et, après plusieurs peines et labeurs ils
conclurent par un accord qu'avec ce pli vous
envoie.
Or, Madame, devez entendre que
la plupart de cette ville, hommes et femmes,
tiennent fermement à l'ancienne foi et n'ont
jamais voulu consentir aux outrages qui ont
été faits; ains comme bons sujets ont
obéi à mes commandemens. Les autres
sont jeunes gens de guerre, forts de leurs
personnes, ayant le feu à la tête,
remplis de la nouvelle doctrine, ayant part et
faveur des dits seigneurs de Berne, qui n'ont
jamais voulu attendre que le peuple fut bien
ensemble pour voir de quel côté il y
aurait le plus de voix. Ainsi du jour que les
ambassadeurs de Berne furent arrivés, fumes
contraints de laisser tenter le plus, autrement il
fût demeuré des gens morts, car ils
étaient délibérés les
contraindre l'épée à la main,
et ne pûmes seulement avoir jour ni heure de
relâche. Ajoutez qu'il fut dit par un des
ambassadeurs : « Tournez-vous de quel
côté que vous voudrez, si
passerez-vous par là, car nos seigneurs
supérieurs jamais ne les veulent abandonner.
»
Lors me fut fait requête
par ceux qui tenaient le parti du saint sacrement
qu'ils voulaient mourir martyrs pour la sainte foi,
ce que je ne voulus souffrir, craignant que ce ne
fût entreprise pour vous faire perdre votre
état, et consentis à ce qu'on
allât aux voix, en réservant
néanmoins vos droitures et
seigneuries.
Alors les catholiques dirent en
pleurant «que les noms et surnoms des bons et
des pervers allaient être écrits en
perpétuelle mémoire, et qu'ils
protestaient de vous être bons et pauvres
bourgeois, à vous faire service jusques
à la mort. » Les autres dirent le
semblable en toute autre chose où il vous
plaira les commander sauf est
réservée icelle foi
évangélique, dans laquelle ils
veulent vivre et mourir. Après quoi le plus
étant passé, le 4 de ce mois de
novembre, furent trouvés dix-huit hommes
surpassant le nombre de ceux qui tenaient la foi
catholique.
Et quand le plus fut
trouvé du côté de la foi
évangélique, les ambassadeurs de
Berne voulurent que chacun dût vivre selon le
contenu de leur réformation, qu'on ne
dût point dire de messe dans votre maison et
que ceux qui voudraient ouïr messe fussent
punis de 10 livres d'amende, ce que jamais je ne
voulus consentir et fis mes réserves. Et
depuis j'ai toujours fait chanter messe dans votre
château.
Étant ensuite averti
qu'ils étaient nuit et jour à
travailler les villages, j'ai appelé par
devant moi les gouverneurs de toutes les justices
et paroisses de votre comté, lesquels en
présence l'un de l'autre se sont
déclarés de vouloir vivre et mourir
sous votre protection et vous obéir comme
bons sujets doivent faire, sans changer l'ancienne
foi, jusqu'à ce que par vous en soit
ordonné. Et pource que par les ambassadeurs
leur a été dit, que n'était
nullement possible que vinssiez par
deçà, en sont demeurés fort
dolents; et néanmoins verront volontiers
Monsieur le Marquis, et, puisque autrement ne peut
être, ils feront ce qu'il vous plaira leur
commander par le dit Seigneur, espérant que,
quand serez de loisir, viendrez pour
réhabiliter toutes choses.
Néanmoins, comme il sera
nécessaire de faire plusieurs constitutions
nouvelles, il est nécessaire que Monseigneur
vienne pourvu de bons conseils et de totale
puissance, car, Madame, voilà que MM. de
votre chapitre sont ruinés en cette ville.
Ils m'ont prié de leur donner place pour
faire le service divin, et j'ai avisé qu'ils
se pourront retirer au prieuré de
Vau-Travers qui leur compète, jusques
à la venue de Monseigneur. ils jouiront
pendant ce temps de leurs prébendes comme du
passé. S'ils le préfèrent ils
peuvent se retirer chacun dans sa maison
paternelle, ou en son bénéfice. J'ai
aussi envoyé au Val-de-Travers les enfans de
choeur pour vaquer au divin office. Quant aux
reliques, ornemens et titres de votre
église, j'ai serré et retiré
ce que j'ai pu dans votre maison, et de ceux de
l'abbaie de Fontaine-André l'ai fait aussi.
Je fais recouvrer les censés et revenus sous
votre main pour qu'opprobre et
qu'inconvénient n'en arrive, jusqu'à
ce que par vous, Madame et Messieurs nos princes,
en soit plus amplement ordonné. À la
date du 20 novembre 1532.
Signé : Georges DE PRANGINS.
- SOURCES.
Choupard.
Kirchhofer, vie de Farel. Vie de Farel par
Perrot. Extrait de l'Inventaire de M. Olivier
Perrot. Vie de Farel par Rosselet. Chronique des
Chanoines. Annales de Fontaine-André,
ouvrage manuscrit de M. Matile. Annales de
Boive. Mémoire sur l'Église
collégiale et le Chapitre de
Neuchâtel, dans le Schw.
Geschichtsforscher. VI.
Ruchat.
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