.
CHRONIQUE DE LA
QUINZAINE.
DÉPART
DE L'EMPEREUR POUR L'AFRIQUE.
GÈNES, 12 avril.
Voici une grande, une
chrétienne, une mémorable nouvelle.
Je vous le donne pour certain, l'Empereur part
peut-être à cette heure de Barcelonne,
pour aller combattre les corsaires de Barbarie.
Depuis long-temps nous voyions de grands
préparatifs se faire sur tous nos rivages.
On savait d'autre part que François 1er
levait des légions, et travaillait
l'Allemagne. On craignait une nouvelle collision
dans le sein de la chrétienté;
François Sforce ajoutait aux fortifications
d'Alexandrie, de Come et de Pavie; Alexandre de
Médicis se hâtait de parfaire à
Florence un nouveau rempart; les Suisses
étaient au guet, et notre André Doria
veillait par terre et par mer sur les mouvemens du
roi de France. Tout-à-coup voilà le
dessein de l'Empereur qui se révèle.
Il gît en ce qu'il veut exterminer
Barberousse et ses corsaires. Je vous ai
retracé les cruelles
déprédations des Barbaresques
(Chroniqueur, page 23) ; et quel lieu en Europe n'a
pas retenti des plaintes de tant de victimes! Eh
bien, on annonçait que Barberousse se
préparait à des crimes nouveaux,
qu'il rassemblait de toutes parts des corsaires de
la Méditerranée, qu'il ne se
bornerait pas, comme l'année
dernière, à butiner les rivages ;
mais qu'il passerait en Sicile, qu'il s'emparerait
du grenier de l'Italie et que même il osait
songer à la conquête du royaume de
Naples. Il était de la piété
et de la gloire de l'Empereur de penser au salut de
ses peuples et à l'honneur de la
chrétienté; l'entreprise
formée, il était de sa dignité
de ne pas abandonner à un autre la gloire de
la commander. Voyez-vous les peuples bénir
son étendard, l'appeler le champion de la
foi et attendre de lui leur délivrance? Il
va noyer, dans des flots de sang africain l'envie
et la haine, que tant de victoires
remportées contre un roi chrétien ont
attachées à ses pas; cette haine, il
la rejettera sur les princes qui aiment mieux
être spectateurs, qu'aides et compagnons,
dans cette guerre sacrée.
Le Pape a le premier
donné à l'entreprise grand honneur de
paroles, et pour frayer à la guerre il a
octroyé à l'Empereur les
décimes des bénéfices de toute
l'Espagne. Lui-même il a, de son argent, fait
équiper neuf galères à
Gènes, et il les fait commander par Virgile,
de l'illustre maison des Ursins. Toute l'Espagne
s'est éveillée à si pieuse
guerre. André Doria, à qui
l'Empereur, pour son expertise et pour sa foi
éprouvée, a donné la
principale charge de tout le
train naval, a préparé en promptitude
trente galères bien armées. Il en est
une quadrirème pour l'Empereur; celle-ci a
son lambrissement doré, sa poupe
ornée de peintures et couverte de drap d'or
; les rameurs sont fort bien accoutrés de
hoquetons de soie. La jeunesse de Ligurie et les
plus vaillans de la noblesse se sont
enrôlés à l'envi. Les
légions ont été formées
de jeunes et de vieux soldats. Du Guast les
commande. L'Empereur eût une grande envie
d'emmener avec soi de Lève mais le voyant
trop imbécile de corps pour supporter les
mésaises de la mer, avec ce que l'Italie a
besoin d'un capitaine diligent, il a résolu
de l'épargner et de lui laisser la garde de
la Lombardie.
Un édit rigoureux a
défendu aux vieilles bandes espagnoles de
s'écouler vers la mer, par aucun
désir de se trouver à la nouvelle
guerre; car Charles ne veut pas que la province
demeure dégarnie et livrée à
la foi incertaine des Suisses ou des
Français. Un vieux capitaine, Maximilien
d'Eberstein, a amené par les Alpes 8,000
lansquenets, auxquels étaient
mêlés, comme volontaires, plusieurs
gentils-hommes de la race des gros seigneurs
d'Allemagne. On les a libéralement
reçus; Doria les a exhortés à
supporter, le plus patiemment qu'ils pourraient,
les mésaises de la navigation, et il leur a
promis la victoire, que Dieu n'a jamais
refusée aux pieux et aux forts.
Ainsi donc, en souveraine
allégresse, on s'est embarqué sur 38
navires. Les galères du Pape partaient en
même temps de Civita-Vecchia, où sa
Sainteté est accourue pour les bénir;
debout sur une haute tour, elle a entonné
des prières et le choeur des prêtres a
chanté des hymnes; puis les navires ont
été signés et bénis,
l'étendard a été remis
à la main du général et, le
vent étant à gré, la flotte a
cinglé vers Naples, où elle va
rallier les galères du vice-roi. On raconte
que quelques soldats, mécontens de la petite
solde et n'aimant pas la mer, commençaient
à rabaisser malignement les
espérances de victoire qu'on a
conçues, et que le général,
pour détruire le mal à son origine,
les a fait jeter dans des sacs et noyer au profond
de la mer.
Dans le même temps Doria
abordait à Barcelonne, où il est
allé quérir l'Empereur avec ses
galions. Les galions sont des vaisseaux construits
pour la guerre, plus petits et plus bas que les
navires de charge, faits pour braver tempête
et soutenir outrance d'artillerie, et
équipés de voiles carrées et
de rames en petit nombre. De ces vaisseaux usent
presque tous les écumeurs de mer. Doria a
trouvé à Barcelonne grand amas de
gens de guerre, piétons, nouvelets pour la
plupart, cavalerie, de Castille, levée selon
le droit qu'a le souverain d'appeler tous gens
d'armes quand il marche contre les Maures, et
beaucoup d'illustres seigneurs ne demandant pour
solde que la bonne grâce de l'Empereur et le
plaisir de bien faire leur devoir.
Entre ceux-ci excelle Ferdinand,
Duc d'Albe, qui a à venger sur les Africains
la mort de son père ; ce jeune homme donne
l'espoir d'être un jouir un grand capitaine.
Louis, beau-frère de l'Empereur, quittant
secrètement Lisbonne, est venu de Portugal,
amenant 23 de ces vaisseaux qu'ils nomment
caravelles, accoutumés aux navigations des
Indes et qui supportent toute mer, tant soit-elle
furieuse. Encore étaient abordés plus
de soixante navires de charge, venant de Flandres.
Sur iceux ont été amenés grand
nombre de condamnés à mort, auxquels
l'ordonnance impériale a accordé la
vie afin de les employer aux galères, pour
renfort de rameurs; car on manque d'hommes pour ce
pénible travail. Finalement l'Empereur est
arrivé, le 2 avril, jour de St-Vincent de
Paule, plus vite qu'on ne l'attendait. Il distribue
les gens d'armes et les munitions dans les
vaisseaux et fait publier que nul n'emmène
valets inutiles ou femmes de mauvaise vie. Plus
d'une fois déjà il est monté
sur sa quadrirème et il est probable qu'il
tient aujourd'hui la mer, faisant voile vers la
Sardaigne et vers le port de Cagliari, qu'il a
fixé pour rendez-vous à toute son
armée marine.
(1)
.
NOUVELLES DE
BERNE.
Espérer contre toute espérance,
est la foi de la réforme, et Dieu n'a pas
trompé son attente. Qu'était, il y a
12 ans, le fait de la Réformation ? Il
n'avait pas même de nom
dans le monde politique; ce fût à
Worms qu'il l'acquit en s'alliant aux
libertés de l'Allemagne. Et dès lors
que de périls il a traversés! Spire,
Augsbourg, comment a-t-il survécu? comment
l'empereur n'a-t-il pas de ses bras de géant
étouffé le faible adversaire encore
à son berceau? La guerre! Ce cri s'est fait
entendre bien des fois, et chaque fois quelque
auxiliaire, auquel ne songeaient pas les
Reformés, s'est montré leur
libérateur.
C'était François,
c'était Soliman, c'était quelque
attaque inattendue. Ces derniers jours encore nous
vivions dans une attente inquiète,
témoins des préparatifs qui se
feraient des deux côtés des Alpes, et
si les dernières nouvelles ne nous trompent,
l'orage ira encore cette fois éclater loin
de nos montagnes et frapper des rivages lointains.
Le 3 avril, Venise nous écrivait, «
qu'elle armait 60 vaisseaux, que l'Empereur avait
amené tant d'or qu'il ne savait bonnement
qu'en faire, et qu'on s'attendait à le voir
arriver en Italie avec grandes braveries. « Et
voici que des lettres plus récentes nous
tiennent un tout autre langage : il part pour la
guerre sainte ; il emmène avec lui Muley -
Hassem, le Bey dépossédé de
Tunis. L'horizon s'est donc éclairci.
Déjà même on
commence à s'occuper de la question qui,
chaque fois que les évangéliques ont
obtenu une trêve, leur a été
jetée de nouveau. Il est rare que de deux
idées qui se combattent l'une triomphe de
l'autre de manière à l'absorber;
d'ordinaire elles rencontrent quelque terre neutre
sur laquelle elles cherchent à transiger;
or, en ce présent cas, le terrain neutre est
celui d'un concile général. C'est le
sol sur lequel le politique appelle la
Réforme, chaque fois que les bruits de
guerre laissent place à la
négociation. Charles et François ont
naguères l'un et l'autre mis en avant cette
idée d'un concile; c'est le Pape, c'est Paul
III qui l'exploite aujourd'hui et joue le
rôle de pacificateur. Il a envoyé en
Allemagne avec cette pensée un homme sage et
d'un esprit conciliant, c'est Verger. Verger est
arrivé à la cour du Roi des Romains;
le Landgrave y était; Ulrich de Wirtemberg
était attendu et l'Électeur de Saxe
devait ne pas tarder d'arriver. Un même
sentiment anime ces chefs de l'Allemagne
protestante, c'est celui de l'indignation contre
François I qui, se disant leur ami, fait en
même temps souffrir à leurs
frères en la foi la persécution la
plus cruelle.
Tous conviennent qu'ils voient
moins de danger pour leur cause à se
rapprocher de la maison d'Autriche qu'à
s'unir au plus perfide des princes. Vous le voyez,
les circonstances semblent se prêter à
un rapprochement. Luther se tait, il souffre en son
corps; les fureurs qui ont accompagné le
soulèvement des anabaptistes l'ont
navré et l'ont abattu. Les
réformateurs, qui, quoi qu'on en ait dit,
sont des hommes de paix, se laisseront-ils
entraîner sur le terrain glissant qu'on leur
présente? Je l'ignore. Mais il est deux
choses que je sais. L'une est que jamais à
Mantoue, dans le lieu que Verger propose pour la
tenue d'un concile, il ne se réunira une
assemblée où les protestans puissent
se faire entendre librement. L'autre est que le
jour du plus grand péril de la
Réforme sera celui où l'Empereur de
retour d'Afrique avec ses armées
victorieuses, touchera le sol d'Europe, le coeur
exalté, riche des trésors qu'il aura
conquis et applaudi par tous les peuples de la
chrétienté.
Il n'aura point alors à
craindre d'être tombé dans ses
entreprises par de nouvelles attaques du Sultan.
Soliman est embarrassé en Asie dans une
guerre qui paraît devoir être longue et
difficile. Voici ce que nous disent les lettres que
nous recevons d'Italie et de Raguse. Les Perses,
que leur haine envers les Turcs ne laisse jamais
tranquilles, s'ébattaient petit à
petit et ont fini par se jeter sur la
Mésopotamie. Au rapport qui lui en fut fait,
le coeur hautain de Soliman émut, et il se
sentit partagé entre deux haines contraires,
tant il estime chose pieuse de persécuter
les chrétiens, tant il juge chose
très-honnête de détruire la
race d'Ismaël. Enfin il se résolut,
passa l'Euphrate se jeta sur Tauris qu'il trouva
abandonnée et attendit que
l'ennemi vint de ses monts défendre ses
provinces ravagées. Mais au lieu
d'armée se précipita sur lui un orage
comme jamais n'ont souvenance de n'en avoir vu
descendre des montagnes. C'était
équinoxe d'été, et
voilà qu'un soudain hiver amène
glaces, neiges, enlève tentes et pavillons,
éteint les feux, couvre la terre d'une nuit
profonde, et laisse l'armée des Ottomans
persuadée que les mages de la Perse ont par
leurs enchantemens déchaîné
contr'eux les secrètes puissances du
Caucasus, du père redouté des
montagnes. Il a fallu faire retraite. Furieux,
Soliman a cherché auprès de soi sur
qui décharger sa colère et bien des
têtes ont roulé. Puis il s'est
jeté sur Bagdad, où il est
présentement de sa personne, bien
résolu de se venger sur la belle province de
Babylone de l'affront qu'il estime avoir
reçu.
- Encore un mot sur l'Allemagne.
Ulrich de Wirtemberg vient d'accomplir la
réforme de son Duché. On nous le
représente sous les traits d'un nouveau
Manassé et son peuple comme faisant retentir
en tout lieu les hymnes de la piété
et de la reconnaissance. Ils aiment à
chanter : « Le salut nous est venu d'en-haut;
il nous est venu par grâce et par pure
miséricorde. »
À Tubingue, le 21 mars,
la cène a été pour la
première fois distribuée sous les
deux espèces. Il a fallu, il est vrai, que
l'ordre de le faire, arrivât du gouvernement.
Les couvens se transforment en institutions pour de
savantes études. Grynoeus et Phrygio ont
été appelés de Bâle, et
Camerarius de Nuremberg, pour reconstituer
évangéliquement l'Université
de Tubingue. Mélanchton a envoyé ses
avis. Ulrich vient encore d'appeler auprès
de lui Blarer, Schnef et Brenz, qui sont parmi les
plus excellens des réformateurs de
l'Allemagne Il ne se montre plus qu'entouré
d'hommes évangéliques, et le peuple
parait content de son prince et de la
révolution. Il ne me reste qu'à vous
instruire, de ce qui se passe dans les limites de
la Confédération. Un fait suffira
pour vous faire connaître quelle est la
disposition des esprits. Sur un faux bruit
répandu que Berne voulait les surprendre,
les cinq cantons catholiques ont subitement pris
les armes. Berne s'est plainte à la
Diète, assemblée à Baden dans
ces premiers jours d'avril, d'une défiance
qui outrage son honneur; et saisissant cette
occasion, elle a déclaré combien elle
était blessée de la menace, faite par
plusieurs cantons, de l'abandonner dans le cas
où elle se verrait entraînée
dans une guerre juste et nécessaire contre
le Duc de Savoie.
.
1. SOURCE : L'écrit
intitulé «Du vray ministère de
la vraye Église de Jésus-Christ, par
Pierre Viret », adressé aux honorables
Messieurs de Payerne.
.
PAYS
ROMAND.
GENÈVE. Extraits du registre du
Conseil.
Le vendredi, 2 avril. M. le lieutenant
déclare que plusieurs prêtres,
recherchés par plusieurs créanciers,
refusent de donner des cautions, prétextant
qu'ils n'ont rien.
On lui donne ordre d'exiger des
cautions ou de leur prendre leurs vêtemens
(aut cis amoveat vestes).
Farel et Viret,
prédicateurs de l'Évangile. On parle
de leur donner une demeure, et parce qu'on ne
trouve point de lieu plus commode que le couvent de
Rive, on résout que MM. les syndics leur y
donneront un logement honnête.
Observation de M. Roset.
Le Conseil n'avait pas jusques à ce jour,
voulu maintenir ouvertement les prêcheurs;
mais depuis que la vénéfique a
déclaré qu'elle a été
induite par les bonnets ronds à empoisonner
maître Viret, la renommée des
prêtres s'est fort amoindrie dans
Genève, et les prédicateurs se sont
accrus d'autant. Puis il vient à
Genève beaucoup de Français,
persécutés pour l'Évangile
(car le Roi en fait beaucoup brûler) ; et la
cause de la réforme s'embellit
plaidée par ces réfugiés. Le
Conseil a donc fait chose agréable aux
Genevois, en ordonnant que les prêcheurs
fussent logés convenablement.
- Du 6. Toujours nouveaux
ennuis faits à ceux de la ville par les
traîtres de Peney, qui innovent en prenant
les biens des citoyens et leurs personnes,
emmènent ceux qu'ils peuvent
appréhender, leur font leur procès et
les exécutent comme rebelles à leur
prince. Et parce que plusieurs des traîtres
ont encore leurs femmes et leurs familles en cette
ville, qui leur rapportent tout
ce qui s'y fait, il est ordonné qu'on
fermera les maisons des dits fugitifs, qu'on
inventorisera leurs biens et qu'on bannira de la
ville leurs femmes et leurs familles, qui en
sortiront dans six heures.
- Le 9. Confirmation de
cet arrêt, nonobstant les requêtes de
plusieurs femmes des dits fugitifs; on rejette
entr'autres celle de la femme de Philibert
Berthelier, qui s'est remariée à l'un
d'eux; on ne veut pourtant chasser de la ville les
enfans du dit Berthelier, ains les aider en tout ce
qu'on pourra.
Le même jour
ordonné de faire bonne garde et de fermer la
porte de St-Gervais, sur l'avis que des gens de
guerre sont arrivés à Peney. Le
prêtre Potu se refusant de faire le guet, M.
le lieutenant le fera mettre en
prison.
Les religieux de Rive exposent
qu'ils ont dessein de vendre certains meubles pour
avoir de quoi vivre, mais qu'on dit que nous
voulons les en empêcher; c'est pourquoi ils
prient qu'on y pourvoie. On leur répond que
ces biens sont vêtemens et draps
d'église, faits pour le service du couvent
et que s'ils veulent s'en servir, il faut qu'ils
donnent caution de les rendre.
Le bruit court que les chanoines
de St-Pierre songent à transporter leur
chapitre à Annecy. Si le fait se confirme,
on ira leur demander les droits et les objets
divers qui doivent demeurer pour l'usage des
successeurs.
Enfin on parle d'Antoina la
détenue et parce que, d'après ses
dernières paroles, on soupçonne
qu'elle n'a pas dit toute la vérité,
on arrête qu'elle sera de nouveau mise
à la torture.
- Le 13. Tout
examiné, l'empoisonneuse Antoina est
condamnée à mort.
Ce dit jour sont
défendues les danses du virolet (rondes
dansées en public), vu qu'il y a eu
déjà querelle en un ou deux endroits
et que des servantes. qui dansaient ont
offensé M. le Lieutenant et Guillaume Farel.
Cries à ce sujet seront faites au son de
trompe.
- Ce 14, le Conseil vient
d'ordonner l'arrestation de M. le chanoine Gonin
(ou Hugonin) d'Orsières, compromis par les
révélations d'Antoina.
- Les pauvres soeurs de
Sainte-Claire sont fort en deuil de tout ce qui se
passe. Elles ont eu surtout grand chagrin à
voir qu'on logeât les prêcheurs chez
les pères de St-François, tout
près de leur couvent, où ils leur
font bien de l'ennui; disant qu'elles sont pauvres
aveugles, errantes en la foi, et que pour leur
sauvement on les devrait mettre hors de prison, ne
les plus laisser nourrir ces cafards de cordeliers
à bonnes perdrix et chapons gras, mais les
sortir, et les toutes marier selon le commandement
de Dieu. D'autres fois « disent que la ville
ne sera unie de foi qu'elles n'en soient dehors. Et
font tant, nous dit la soeur Jeanne, que les
hérétiques commencent fort à
persécuter les soeurs ; car les mauvais
garçons se tiennent sur les galeries de la
ville, droit du jardin du couvent et toute la
journée tiennent le jeu d'arquebuse, et
chantent des chansons injurieuses, et pour ce les
soeurs n'osent entrer au jardin sinon
voilées et plusieurs ensemble; et ont fini
par jeter des pierres, et si Dieu n'y eût mis
la main, ils en eussent écervelé
quelqu'une; et sont contraintes de n'y plus aller,
ni pour cueillir herbes, ni pour autre chose
nécessaire, dont elles ont pourtant grand
faute.
SOURCES. Paul Jove.
Struvii rerum German. Script. III, p. 417.
Schardii, hist. Germ. Il, p. 1341.
Lettres, de Venise, de Raguse,
etc. dans les Arch. de Berne. Paul Jove. Steidan.
Schnurer, Wurtemb. Kirchen reform. Satlers Gesch.
dies Herzogthums. Crusius Schwaebische Chronik.-
Ruchat.
.
REVUE.
NEUCHÂTEL.
« Ce fut un jour
de fête; toutes les cloches saluèrent
son lever, le peuple s'assembla à la face du
ciel, et les mains levées, il jura
fidélité au prince qui faisait le
serment de respecter ses libertés.
»
Encore une ville assise au pied des monts, et se
baignant dans l'azur des eaux. Sur une colline
s'élève un château et un
temple. Le château était
naguères la demeure des comtes, au temps de
l'illustre maison de Neuchâtel; il est la
résidence du gouverneur aujourd'hui qu'un
prince éloigné, le duc
d'Orléans Longueville est devenu par mariage
l'héritier des anciens seigneurs.
Descendons, passons devant les maisons des
chanoines; une pente rapide nous conduit au milieu
des rues étroites, demeure des bourgeois.
Çà et là se
laissent apercevoir des traces d'une richesse
naissante; voilà où l'on travaille la
laine, et où l'on fait de bon, si ce n'est
de beau drap; d'autres branches d'industrie ont
commencé à fleurir; cependant les
citoyens sont encore pour la plupart vignerons et
agriculteurs. La ville, serrée entre ses
remparts, se dessine en carré entre le lac
et la colline; au sud elle touche au vignoble, au
nord s'étendent les jardins des bourgeois et
les pâturages du Chaumont, à dos
s'élèvent les petites rapides du
Jura.
Jadis le comté dont
Neuchâtel est la capitale occupait autour
d'elle une assez grande étendue; il
comprenait l'Erguel, Cerlier, Arberg, Nidau, la
montagne de Diesse. Des partages l'ont affaibli.
Les conquêtes de Berne l'ont refoulé
derrière la Thièle. Tel qu'il est
aujourd'hui il occupe une terre de dix lieues de
long sur une largeur de cinq lieues.
Cette terre, dans son peu
d'étendue, renferme trois plateaux et trois
zones différentes. Le long du lac
d'étend le vignoble. La population y est
pressée, les villes et les villages s'y
succèdent sans interruption, les vignes et
les vergers y occupent tour à tour le sol,
ici lentement incliné, là
découpé en terrasses qui descendent
brusquement au rivage. On y
rencontre les châteaux de Thièle, de
Colombier, de Boudry et ceux des grands vassaux de
Gorgier et de Vaumarcus.
La seconde région se
prolonge derrière la montagne. Elle comprend
deux grandes vallées élevées
l'une et l'autre d'environ 4,000 pieds au dessus du
niveau du lac. L'une part du mont Chasseral, court
derrière les pentes du Chaumont et se
réunit au vignoble à Rochefort, au
pied du mont de la Tourne. C'est le val de Ruz,
avec ses vingt villages et son château de
Valangin. Dans le fond de la vallée, le
Seyon s'est creusé un lit rocailleux,
profond, inégal; un jour vous le prendriez
pour un faible ruisseau, le lendemain il
élargira son flot, creusera les flancs du
Chaumont, se fera jour à travers les
rochers, et précipitera avec fracas contre
les murs de Neuchâtel ses eaux enflées
et limoneuses.
L'autre des vallées de la
région moyenne va s'allongeant
derrière les pointes du Chasseron et
derrière la montagne de Boudry aux
crêtes ardues et aux flancs couverts de noirs
sapins. Elle s'étend jusques au
Grand-Taureau et aux limites de France. C'est le
val de Travers, riante prairie entre deux parois de
rochers qui tantôt s'éloignent et
laissent entrevoir la vallée, tantôt
se resserrent et de si près qu'elles
semblent au moment de se réunir et de fermer
le bassin.
De prairie en prairie et de
rocher en rocher, la Reuse coule ses eaux
bruyantes, elle franchit l'étroit passage de
la Clusette, arrive au vignoble non loin de
Rochefort et du pied du Chaumont passe sous les
murs de Boudry, qu'elle mine, insensiblement et va,
une demi-lieue plus loin, verser au lac les eaux de
cette seconde vallée. - Du village de
Rochefort, en suivant le rapide chemin qui gravit
le mont de la Tourne, nous arriverons à la
troisième des régions qui se
partagent le pays de Neuchâtel. Elle est
élevée de 2,000 pieds au-dessus du
niveau du lac. C'est la région des
montagnes, des noires joux et des verts
pâturages. On n'y rencontrait Il y a 200 ans
aucune habitation. C'est au commencement du
quatorzième siècle que J. Droz, de
Corcelles, construisit le Verger, première
maison du Locle, et 6 ans après, une famille
du Pays-de-Vaud jeta sur un sol marécageux
les premiers fondemens du village de la Sagne.
Dès lors la Sagne a donné naissance
aux Ponts, et la population accrue de la plaine du
Locle s'est versée dans les vallées
contigues de la Chaux-de-Fonds et de la
Brévine. Tout ce qui est au-delà de
ces vallées est terre de la Haute-Bourgogne
et pays de l'Empereur.
Ainsi se dessine le pays. Petit,
s'il obéissait à un seul
maître, le voilà encore brisé
entre deux seigneurs, Le Valangin et la
région des montagnes formaient un fief de la
maison de Neuchâtel; le fief était
puissant, le seigneur a conçu des
pensées d'indépendance. Ce sont de
vieilles haines et de vieilles rivalités.
L'hommage a pourtant été
prêté jusques au commencement de ce
siècle; mais durant les seize années
que les Suisses ont régi Neuchâtel, le
Valanginois n'a rien négligé pour
faire oublier son titre de sujet; et c'est
vainement que le duc de Longueville réclame
aujourd'hui de René de Challant le serment
ordinaire du vassal.
Le pays esquissé,
essayons de caractériser la nation.
C'était un bon peuple que les Bourguignons,
nous disent tous les vieux chroniqueurs, facile,
cordial, le moins barbare entre les barbares, et
très susceptible de civilisation. Ajoutons
un peuple ami de ses foyers, qui à la soif
des aventures et à des goûts
très militaires joignait les douces
habitudes de la vie patriarcale. Le pas lent. Du
laisser-aller. Plus de coeur que d'imagination,
plus de sens que de brillante fantaisie. Ils
n'allaient en avant qu'en regardant au passé
et ne s'en détachaient qu'avec peine. Aux
lieux où ils touchaient aux populations
allemandes, ce caractère s'alliait à
quelque chose de tenace et de dur.
Or, parmi les traditions que les
Bourguignons avaient héritées de
leurs pères, se trouvait celle de la
fidélité au prince, le chef et
l'élu de la nation. « Mes
fidèles » (meine treue), c'est de ce
nom que le prince appelait ses braves. Les
malheurs, l'héroïsme et la gloire des
rois Rodolphiens nourrirent ce sentiment chez les
peuples de l'Helvétie romande.
À l'idée de la
royauté se liait dans le moyen-âge
celle d'une haute protection. Le roi c'était
la justice, c'était la miséricorde,
c'était la majesté. La royauté
se brisa en fragmens, le Pays-de-Vaud eut ses
princes et Neuchâtel les siens; mais ceux du
Pays-de-Vaud appartenaient à une famille
étrangère; les comtes de
Neuchâtel étaient indigènes.
Sortis du peuple, ils vécurent près
de lui, et se montrèrent chevaleresques,
héroïques, gracieux; l'attachement de
la nation pour son prince prit un caractère
d'affection. Ce sentiment caractérisait les
Neuchâtelois, lorsqu'ils ont vu le sceptre de
leur souverain passer en des mains
étrangères.
C'est à peine s'ils
connaissent l'époux de Jeanne de Hochberg.
Elle-même vit loin d'eux. Jeanne est une
femme de cour, vaine, prodigue, toujours
endettée, qui ne se souvient de son pays de
Neuchâtel que comme d'une ferme qui doit lui
rapporter son revenu.
Quel changement! Quelle
épreuve pour le dévouement des
Neuchâtelois ! Cette épreuve, leur
fidélité la supportera-t-elle? Nous
ne savons mieux répondre à cette
question qu'en faisant part à nos lecteurs
d'une lettre qui nous est adressée de
Neuchâtel :
« Au
Chroniqueur,
« Vous exprimez, dans le
premier numéro de votre journal (page 6), le
désir de savoir si, à l'époque
de l'occupation de la Principauté par les
Suisses (1512 à 1529), les
Neuchâtelois ne firent aucune tentative pour
s'affranchir, pour se former en république
et pour s'allier aux Cantons. Vous dites que s'ils
le firent vous n'en trouvez aucune trace. Je vais,
en peu de mots, répondre à votre
désir, et mettre sous vos yeux la preuve du
dévouement que notre peuple a montré
envers ses princes dans ce moment difficile.
« C'était à
la fatale époque des guerres d'Italie. Les
Suisses s'étaient opposés à
Louis XII. Ils voyaient avec colère le grand
zèle avec lequel Louis d'Orléans
servait dans l'armée de France. Il
était partout à la tête des
Français. Les quatre cantons alliés
de Neuchâtel étaient surtout fort
irrités de ce qu'un prince qui avait
instamment recherché la qualité de
Suisse et avait souhaité d'être admis
à leur alliance la plus intime, se conduisit
avec si peu de ménagement. Enfin Berne et
Soleure envoyèrent des députés
à Neuchâtel avec charge de confirmer
le peuple dans son attachement aux Cantons. Les
députés allèrent plus loin.
Convaincus qu'il n'y avait dans la ville qu'un
sentiment, ils proposèrent aux ministraux et
aux Conseils de s'emparer du château, et,
pour éviter pis, de prendre les rênes
de l'état. Ils requirent en même temps
les magistrats de sévir contre plusieurs
bourgeois qui avaient suivi d'Orléans en
Italie : ils nommèrent Blaise Hory et
Nicolas Jaquemet, seigneur d'Orsens, les
fidèles écuyers du prince. Le Conseil
réunit les citoyens. Les
députés assistèrent à
l'assemblée en leur qualité de
bourgeois. Pierre Pury, banneret, fit
connaître le sujet pour lequel la bourgeoisie
était convoquée. Il ajouta que si le
Conseil avait suivi son propre mouvement, il se
serait borné à prier les seigneurs
ambassadeurs d'aviser par eux-mêmes à
la tranquillité de l'État, sans
engager la bourgeoisie dans des démarches
qui pouvaient blesser les devoirs qui lient de
fidèles sujets à leur souverain.
Les chanoines appelés
à opiner les premiers embrassèrent
cette idée, qui fixa les suffrages de
l'assemblée. Vainement Albert de Stein, l'un
des députés, sollicita les ministraux
à se saisir du gouvernement, vainement il
les assura que si Neuchâtel n'y pourvoyait
les Confédérés seraient
conduits à s'emparer du comté. Les
magistrats résistèrent à la
tentation de jouer du souverain. Ils
repoussèrent l'idée d'une
révolution qui, bien
qu'irrégulière dans sa forme, pouvait
paraître commandée par les
circonstances, et légitimée, quant au
fond, par des raisons de bien public. Les principes
de prudence, de sagesse et de
fidélité l'emportèrent. On
écrivit à Jeanne de Hochberg pour
l'instruire de ce qui venait de se passer; on la
pria d'employer tout son crédit sur l'esprit
du prince son mari, pour l'engager à
regagner promptement l'amitié des Cantons,
et on la supplia de prévenir des malheurs
qui désoleraient l'amour et la
fidélité des Neuchâtelois.
»
Ce fut bientôt
après que les Suisses s'emparèrent de
la principauté. Ai-je besoin de conclure et
de dire que l'attachement pour la personne de ses
princes caractérise le peuple de
Neuchâtel?
Et pourtant, il est
également vrai de le dire, Neuchâtel
est affectionné à la Suisse,
Neuchâtel aime la liberté. Comment
serait-elle depuis les vieux âges
l'alliée des Cantons; comment aurait-elle
combattu tant de fois dans les batailles des
Confédérés, sans avoir
aimé la vie républicaine? Des Alpes
au Jura, la république est dans la nature du
sol : elle est dans les institutions, dans les
moeurs, et dans les souvenirs; elle est dans l'air
que le peuple respire. Les peuples, il est vrai, y
sont parvenus par diverses voies. Dans
l'Helvétie bourguignonne et entr'autres dans
les villes du Pays-de-Vaud, la Commune a
conservé mainte tradition du municipe
romain; dans les Cantons les libertés sont
de conquête récente et datent du
moyen-âge; Neuchâtel me parait avoir
reçu des deux parts. Ses coutumes les plus
anciennes lui viennent de Bourgogne, et c'est sous
l'abri de son alliance de combourgeoisie avec Berne
que ses libertés ont pris leur
développement. La Commune s'est lentement
affranchie. Sa première charte est de l'an
1188 ; elle changeait la servitude en servage.
J'ignore à quelle
époque la bourgeoisie a commencé
d'avoir ses députés aux États
du pays ; mais je sais que ces
députés y conservèrent
long-temps un rôle subordonné à
celui du clergé et de la noblesse. Aux
chanoines appartenait le premier rang dans les
audiences des États; ils y exerçaient
la principale influence ; or les chanoines avaient
en haine la démocratie; ils l'avaient vue
avec douleur prévaloir chez les
Confédérés, et c'est avec plus
de peine encore qu'ils la voyaient prendre son
essor dans les limites de leur obédience. La
Commune était donc entravée dans son
progrès. Au commencement du seizième
siècle, les pouvoirs des quatre ministraux,
exécuteurs des ordonnances de la
pluralité des citoyens, n'allaient
guère au-delà de la fonction de
simples chargés de police et de percepteurs
des giètes, des droits de consommation et
des revenus très-peu considérables de
la cité. Ils se donnaient le nom de
serviteurs de la communauté (ministri,
ministrales, mestrales); on les nomme aujourd'hui
Messieurs les Maîtres-bourgeois.
Ce sont les dernières
années qui ont ajouté
singulièrement à leur pouvoir.
Diverses causes y ont contribué. En premier
lieu, l'accroissement de l'industrie, de la
richesse et de la population. Puis les embarras du
prince. Jeanne de Hochberg, toujours prodigue,
toujours pauvre, s'est trouvée aussi
toujours prête à échanger de
nouvelles franchises contre de nouvelles sommes
d'argent. Elle a de plus fait, lors de l'occupation
des Suisses, plus d'une largesse à ses
Neuchâtelois, dans le but d'entretenir ou de
récompenser leur dévouement. Mais
c'est surtout dans les seize années pendant
lesquelles les Confédérés ont
été les maîtres du pays que se
sont consolidées les franchises des
bourgeois. Messieurs les chanoines vous le
raconteront. Ils vous diront en garnissant combien
les baillis furent prodigues de concessions et
combien à leur départ le peuple
était devenu difficile à gouverner,
Ce nom Suisse éveillait partout des
pensées de démocratie. À
Neuchâtel aussi le peuple, qui jusqu'alors
n'avait pas eu d'existence, se sentit et se leva.
Il ne connaissait pas la justice ; il la trouva
auprès des baillis. Étrangers,
indépendans, ils la firent souvent
impartiale. Ils ne permettaient
pas que les citoyens fussent excommuniés
pour des intérêts terrestres. Ils
protégeaient les pauvres censitaires contre
l'avarice des possesseurs de fief. Les nobles et le
clergé cessèrent d'être exempts
des charges communes. Les chanoines vendaient et
changeaient leurs bénéfices; sur
leurs vieux jours, Ils en disposaient en faveur de
leurs amis; tandis qu'ils nageaient dans une oisive
opulence, les chapelains, à qui ils
abandonnaient les charges de leurs offices,
étaient si mal rétribués
qu'ils ne pouvaient vivre ; les
Confédérés y mirent meilleur
ordre. Un vicaire à lui seul était
chargé des fonctions pastorales dans la
ville de Neuchâtel, encore ne
prêchait-il pas; un prédicateur fut
nommé. Le curé s'adjugeait les
aumônes qui se faisaient pour les pauvres de
l'hôpital ; il fut mis un terme à ce
désordre. Les baillis ne laissèrent
pas non plus de mettre à profit le temps
trop court de leur pouvoir et de vendre aux
citoyens plusieurs privilèges.
À la fin de leur
règne, les Conseils se trouvèrent
organisés, à plus d'un égard,
comme ceux des villes de la
Confédération., Celui des
Vingt-Quatre s'enhardit jusqu'à songer
à contracter de sa propre autorité
une alliance avec Bienne. Il nomme aujourd'hui aux
châtellenies, aux mairies, aux offices de
judicature. Le Conseil des Quarante se
réunit quand il est question d'achats, de
ventes, de la réception de nouveaux
bourgeois, de la reddition des comptes annuels.
Ce n'est pas tout. Les villes
suisses refoulent de nos jours la
démocratie; à Neuchâtel nous
voyons les Conseils tracer pareillement un cercle
autour d'eux et se constituer peu à peu en
aristocratie bourgeoise. Le peuple n'est pas sans
en gémir. Chaque année se
renouvellent les plaintes des bourgeois externes
contre les envahissemens de ceux de la cité,
les plaintes du commun des citoyens contre
l'omnipotence des Conseils et la concentration du
pouvoir dans les mains des ministraux et des
jurés; plaintes toujours renaissantes et
toujours éludées. Le peuple est
timide, incertain, et sa voix n'a pas
d'écho. Depuis la restauration de la maison
d'Orléans, et surtout depuis les jours de la
réforme, Berne est demeurée dans le
comté en possession de la meilleure part du
pouvoir, et Berne est l'alliée de la haute
bourgeoisie. La liberté paraît donc
devoir demeurer pour le présent dans les
limites de l'aristocratie et dans les formes
qu'elle vient de se tracer.
Résumons maintenant et
rapprochons les traits dont se compose, dans ces
premières années du seizième
siècle, la vie neuchâteloise; il en
résultera un tableau plein de contrastes et
d'originalité. On dirait ce mélange
vague, incertain, de pourpre, d'azur et des
couleurs les plus sombres répandu certains
soirs d'été sur les flancs
veloutés du Jura, brillant reflet des Alpes
sur les noires forêts des montagnes
franc-comtoises. la monarchie s'allie à la
république, la vivacité
française à la ténacité
du Germain, la finesse de l'habitant des montagnes
à la franchise vigneronne et militaire. Les
coutumes de Bourgogne se marient aux
libertés des villes de là,
Confédération. Le Pays-de-Vaud touche
bien, comme Neuchâtel, aux populations
françaises et aux populations allemandes;
mais ce n'est pas de si près.
Il y a 10 lieues de Lausanne aux
limites de Bourgogne, il y en a 10 jusques aux
frontières allemandes, et ce
théâtre a suffi au
développement de l'individualité et
des moeurs indigènes; mais Neuchâtel
se rapproche du sommet du triangle que forme
l'Helvétie romande et qui s'appuie au
Léman; Berne et la France l'enserrent; aussi
a-t-elle bien plus d'élémens
français et bien plus du caractère
allemand que Lausanne et que les villes du
Pays-de-Vaud. Elle a quelque chose de cette trempe
ferme, de ce génie politique et positif qui
caractérise Berne. Mais Berne, née
d'une révolution, a grandi par la
liberté, tandis que Neuchâtel s'est
détachée insensiblement du moyen-Age
et est demeurée monarchique. De là sa
physionomie. De là ce mélange de
féodalité et de vie municipale,
d'habitudes domestiques et de vie d'aventures,
d'élégance et de rudesse, de
cordialité républicaine et de moeurs
des cours, de fine bonhomie bourguignonne et
d'helvétique franchise, d'idées
nouvelles et d'antiques traditions. Il y a pour
l'ambition et pour la soif d'égalité.
Il y a pour le coeur du Suisse et pour le
dévouement et l'honneur. Les soldats du
prince ne sont pas ceux de la république ;
il a ses fidèles, troupe choisie, toujours
prête à voler à son
commandement. Les bourgeois de leur
côté, dès que Berne appelle
leur secours, se rangent sous leur
helvétique bannière, ils chargent
quelques voitures du vin et des provisions qui
doivent alimenter la troupe jusqu'à ce
qu'elle puisse se nourrir aux dépens de
l'ennemi, et ils courent gaîment
réunir leurs enseignes aux drapeaux
héroïques des
Confédérés. Tout s'arrange,
tout s'accorde avec assez de bonheur, tout se
concilie... j'excepte le jour où les
Confédérés
rencontrèrent sur les champs de bataille les
couleurs et l'épée du prince de
Neuchâtel; nos lecteurs savent qu'à ce
jour les Suisses prirent la chose un peu plus
sérieusement.
SOURCES.
Châteaux suisses de
Hottinger, Tome II. Annales de Boive. Chronique des
Chanoines par De Pury Chambrier, sur la Mairie de
Neuchâtel. Mémoires sur
l'église collégiale et le Chapitre de
Neuchâtel dans le Schweitz.
Geschichtiorscher, Tome VI. Kirchhofer.
Müller. Archives de Berne.
PETITE CHRONIQUE
Le 11 avril, S. A. épouse du duc
d'Orléans, est accouchée d'un fils,
l'héritier de la principauté.
L'enfant aura nom François. - Nous apprenons
que LL. EE. de Berne ont vendu, le 26
février, à J. J. de Watteville; leur
avoyer, la terre de Villars-le-Moine et
Clavelières. près Morat, pour le prix
de 6500 livres. - Des députés de
Fribourg sont arrivés à Moudon dans
le but de réconcilier cette ville avec
Yverdon. Le prix du vin se maintient à 25
flor. le char et 10 d. le
pot.
|