.
CHRONIQUE DE LA
QUINZAINE.
PAYS
ROMAND.
AIGLE, 17 MARS.
Lettre de M. le notaire Jean
De-Loës. Nous venons de voir arriver ici
maître Michel Dobte, prédicant
d'Ormont, en vraiment piteux état. Il n'est
parvenu Jusqu'à Aigle qu'à travers
une suite de mésaventures, dont M. le
notaire Corniollier et moi venons d'entendre et de
faire passer à Berne le récit,
d'après l'ordre de M. le
Gouverneur.
Maître Michel revenait de
Genève, où il avait été
voir Farel et les prédicans. Passant
à son retour par Lutry, il alla boire
à l'hôtel de la Croix-Blanche et y
trouva une multitude de prêtres et de moines
qui voulurent incontinent savoir qui il
était. « Je suis sujet et serviteur de
MM. de Berne », répondit-il, et il
voulut sortir. Mais comme il se levait, voici venir
M. de Lutry, (le prieur, de la famille de
Montfaucon), une barbe rousse, qui l'interrogea :
« Qui es-tu? où vas-tu «? quelle
est ta foi? viens-tu nous prêcher? »
Maître Michel répondit
qu'il était chrétien, ne cherchait
dispute et ne demandait qu'à passer son
chemin. Adonc le dit seigneur lui dit : «
Va-t'en et je te donnerai mon serviteur pour ta
sûreté. « Et comme maître
Michel passait sous la porte de la ville, un
prêtre le frappa d'un grand coup de poing
dans l'estomac et lui dit: « Va, continue ton
chemin, et tu trouveras qui t'attend. » Et
celui qui le conduisait l'abandonna. Maître
Michel voulut alors fuir par les vignes; mais
voilà les prêtres et les moines qui se
mirent à crier après lui aux
vignolans : « Au larron, au larron, » et
ils le suivirent de si près qu'ils le
contraignirent de se jeter dans les fossés
de la ville, et là le battirent de pierres.
Il y avait entr'autres un moine qui
assurait vouloir être le bourreau de
maître Michel, et lui vouloir couper la
tête de sa propre épée qu'il
lui avait enlevée. Et le frappant, le
rejetèrent dans la ville où ils lui
prirent son sac, en sortirent deux Nouveaux
Testaments et les jetèrent au feu. Puis
courant après lui, petits et grands, jetant
pierres et fosseux, ils le poursuivirent fuyant de
nouveau par les vignes. Et entre Cully et
Grandvaux, il fit la rencontre de deux hommes
déguisés, l'un en laquais, l'autre en
coquin mal vêtu (mendiant).
Le premier lui dit, en jurant le
sang de Dieu : « Tu es un luthérien,
» et lui frappa de son épée une
plaie si grosse en la tête qu'il y a fallu
mettre cinq points d'aiguille, et l'eussent du tout
exterminé, n'était survenu un homme
qui le tira de leurs mains. Il reprit son chemin,
dépouillé de sa robe, de son chapeau
et demi-mort, par les vignes. Il entra ainsi fait
à Riez, et trouva là un bon
gentilhomme nommé Claude Forestey, qui le
reçut et logea honnêtement et le
revêtit d'une bonne robe fourrée; puis
envoya quérir un médecin, qui banda
ses plaies, en quoi il l'aidait lui-même. Et
voulut payer le médecin. Et le lendemain lui
bailla son cheval et lui prêta une robe qu'il
porte encore à présent. A Vevey,
maître Michel rencontra en arrivant le
châtelain Hugonin et certains prêtres
et gens de la justice qui le voulurent prendre,
disant en avoir charge de Monseigneur de Lausanne.
« N'êtes-vous pas celui qu'on nomme
Froment? » lui demanda le châtelain. Il
répondit que non. « N'avez-vous pas
prêché à Genève? »
Il dit que non. « Il en a menti par sa gorge,
cria l'un des assistans, j'étais
présent quand il y a prêché, et
survinrent quelques témoins qui
affirmèrent l'avoir vu prêcher.
Pourtant ayant reconnu qu'il
n'était ni Farel, ni Froment, ni Viret, ils
ne le tuèrent pas. Il put donc se remettre
en route, entouré de la multitude, et comme
il passait sur le pont, vers le Bourg-aux-Favres,
ils le voulurent dérocher de dessus son
cheval, et le protonotaire frappa d'un coup de
poing le médecin de maître Michel et
lui brisa les dents. Ils n'arrivèrent pas
sans peine au lac, où ils louèrent
une nacelle; mais quand ils cuidèrent
(crurent) y entrer, elle se trouva percée.
Ainsi nous l'a rapporté maître Michel,
à nous notaires, nous affirmant être
vérité.
(1)
.
PAYERNE, 30 MARS.
Désirant vous donner
l'idée de ce qui se passe dans nos murs, je
ne sais faire mieux que de mettre sous vos yeux
l'extrait suivant de la correspondance de nos
bourgeois avec les Seigneurs de Berne.
Le 4 février, Berne
écrit à ses sages, prudens, et
singuliers amis et très-chers alliés
de Payerne: « Nous avons ouï la
requête que les frères vos bourgeois
vous ont faite d'avoir l'église de la
chapelle pour y entendre la Parole de Dieu,
à heure qui ne puisse empêcher les
cérémonies. Ensemble avons ouï
votre réponse et les menaces des
ambassadeurs de Fribourg. Et voulons bien vous
avertir et vous prier de donner le lieu
demandé dans le temple, vu que celui
où la Parole de Dieu a été
jusqu'ici annoncée n'est assez grand.
»
Le 20 février, Berne
écrit au Gouverneur du Pays-de-Vaud : «
Nous ne saurions croire que vos menaces faites
à nos alliés de Payerne viennent du
commandement de votre maître ; à
savoir de dire que voulez avertir les Cantons. Car
nos alliés nous ont fait, touchant la dite
affaire, des promesses lesquelles nous
espérons qu'ils tiendront. Et ne mettrons en
oubli ce que venez de faire. »
Le 17 février, les
« tenans la partie de l'Évangile
à Payerne » s'adressent en ces mots aux
magnifiques Seigneurs de Berne : « Plaise vous
savoir que les Seigneurs de Fribourg ne permettent
en aucune manière que l'on prêche en
notre temple. Et pourtant le commun a bien
déclaré que l'église est
nôtre et que l'avons fait bâtir avec
les autres habitans de la communauté, contre
le vouloir des moines, qui de tout temps se sont
montrés contraires aux libertés de la
ville. Mes Seigneurs, nous vous supplions de mettre
fin à ceci, autrement il nous serait
expédient d'abandonner plutôt terres
et biens que de voir ainsi blasphémer le nom
de Dieu, et reculer son Évangile, ce qui
arriverait si nous nous désistions de
prêcher en notre temple. Il nous
déplaît grandement vous importuner,
mais la nécessité nous contraint.
« Verbum Domini manet in
aeternum » (La Parole de Dieu demeure à
toujours.) Isaïe, 40.
Les tout votres humbles serviteurs et amis, les
frères de Payerne, lesquels désirent
ouïr et vivre selon la Parole de
Dieu.
Berne répond : «
Nous apprenons qu'avez par force ouvert les portes
de l'église et fait prêcher, laquelle
chose nous déplaît; et vous prions que
veuillez vous déporter de la dite chapelle,
et vous contenter du lieu où ci-paravant
avez ouï l'Évangile, jusqu'à ce
que le droit ait eu sa course et que les temps
soient plus opportuns. Et croyez que cela servira
plus à l'avancement de l'Évangile que
si vous persévériez en votre propos.
»
Le 6 mars, nouvelle lettre de
Berne aux « tenans la partie de
l'Évangile : » « A nos avis n'avez
guères tenu, ainsi demeurez en votre
opinion; vous prions donc de nouveau par celle-ci
que veuillez considérer le cas et sa
conséquence, et avoir un petit peu de
patience. Par là vous éviterez
noises, batteries, fâcheries, et ferez votre
profit et à nous service. »
Le 12, lettre des
évangéliques aux Seigneurs de Berne :
« Derechef le commun de Payerne a
été assemblé à la
requête du Bailli de Vaud et ne nous a point
fait connaître que dussions nous
déporter d'ouïr la Parole de Dieu dans
notre temple. - Ce jourd'hui les Seigneurs de
Fribourg ont envoyé une ambassade à
notre Conseil, requérant que nous
comparussions. Cinq de nous ont comparu au nom de
tous. Voulez-vous renoncer à aller à
notre temple? nous ont dit les ambassadeurs. - Nos
frères ont répondu que le temple est
de la ville, laquelle en a joui de tout temps, et
les ont priés de ne nous molester non plus
que ceux d'Orbe et de Grandson. - Lors les
ambassadeurs se sont fâchés tout gros;
mais un de nos frères leur a dit qu'ils ne
devaient nous menacer, mais nous prendre en droit,
et que s'ils se voulaient battre, ils se devaient
prendre à quelque Seigneurie puissante; car
de se prendre à nous ne pourraient avoir
honneur. - Toutes choses considérées
nous voyons qu'il leur est insupportable de voir
tous les jours le nombre des frères
croître dans la ville et au dehors. Le bruit
commun est que les Gruyériens doivent sortir
sur nous. Ce nonobstant nous
persévérons, par la grâce de
Dieu, d'ouïr sa Parole en notre temple, et
vous supplions, excellens Seigneurs, de nous avoir
toujours pour recommandés, car vous
êtes aussi puissans à nous maintenir
en notre bon droit que les Seigneurs de Fribourg,
à maintenir les moines tenant la loi papale.
»
Le 15, lettre de J. Turte,
prédicant de Morat, aux magnifiques
Seigneurs de Berne: « Notre frère,
l'annonciateur de l'Évangile à
Payerne, m'écrit pour vous en aviser : Cette
nuit nous attendons l'assaut de nos ennemis, car
les papistes s'enfuient tous. Jean Nardin, officier
de la ville, voulant retourner de Fribourg, a
été pris. Ceux de Fribourg ont commun
cette nuit au château de Montaignye, avec
armures, et nous avons veillé tout ce
vêpre en oraisons. Notre Seigneur nous soit
en aide. - Et voilà,
très-honorés Seigneurs, de quoi suis
prié vous avertir.»
Le 16, lettre de Berne aux
évangéliques : « Sur vos avis,
nous avons envoyé nos ambassadeurs à
Fribourg et vers vous. Leur rapport entendu, nous
vous demandons de nouveau que laissiez le temple et
vous retiriez en l'hôpital, jusqu'à ce
que vous soyez sûrs que la plupart sont de
votre cause. Et ne faites faute, afin que plus
grand inconvénient ne survienne.
»
Le 23, nouvel avis des
Seigneurs de Berne à leurs frères, de
se conduire de manière à avoir
toujours le bon droit de leur
côté.
Le lendemain, réponse
des réformés de Payerne: « Vous
savez notre bon droit; par quoi nous voudrions vous
prier (si c'est votre bon avis) d'informer les
Cantons de la violence qui nous est faite. Faites
après cela, Messieurs, que ce qu'on nous a
promis, de laisser cours à
l'Évangile, ait véritablement lieu;
car nous expérimentons que l'on abuse de
votre douceur. »
Le 28, nouvelle lettre des
réformés: « Nous sommes
avisés que quantité de poudre
d'artillerie doit être envoyée sous
bref en Valais, conduite par aucuns de Fribourg. -
Sachez, excellens Seigneurs, que ce jour de
Pâque, Dieu a donné belle constance
à nos frères prisonniers, et que
plusieurs qui n'avaient jamais oui sont venus
entendre la Parole et prendre la cène avec
nous, ensorte que beaucoup n'avaient lieu ni place,
et que désirons grandement retourner au
temple. Ainsi pensons faire, s'il n'y a fin dans
les quinze jours, qu'avez accordés pour
délivrer nos frères prisonniers.
»
Les évangéliques
viennent de recevoir la réponse de Berne.
Elle espère que sur l'avis qu'elle a
adressé à ses combourgeois de
Fribourg et au Conseil de Payerne, la chose sortira
à bonne fin, et cependant elle prie ses
frères de Payerne de se déporter de
toute violence, d'autant plus que, comme ils le
disent, ils voient leur nombre s'accroître de
jour en jour.
Cette dernière lettre est
d'hier. Elle achève de vous mettre au fait
de notre situation présente. Peut-être
après avoir reçu ces détails
écouterez-vous encore avec quelque
intérêt le récit de la
manière dont l'Évangile s'est
établi dans Payerne.
Dès l'été de
l'an 1529, la réforme était en
progrès. Berne l'avait reçue
l'année précédente. Zurich,
après avoir surpris les petits Cantons par
une brusque attaque, leur avait dicté une
paix qui ouvrait à la réforme la
porte des baillages que les Cantons
possédaient en commun. Il était
posé en fait, qu'en matière
religieuse, la majorité des suffrages ferait
loi à la minorité. Il y avait dans
l'adoption de ce principe plus de cordiale
simplicité que de respect pour les droits
des consciences; il plut à nos Suisses, et
Berne et Fribourg le reçurent comme devant
régir leurs baillages communs.
Cette règle admise, Berne
songea sérieusement à ne rien
négliger pour faire prévaloir
l'Évangile dans ses baillages et dans les
villes ses alliées. La réforme venait
de s'asseoir à Aigle, et elle s'y
consolidait de jour en jour. Berne se tourna vers
Farel et lui donna une mission nouvelle. Elle lui
mit en main une lettre par laquelle elle invitait
tous ses sujets et amis à le laisser
librement annoncer la Parole de Dieu. La prudence
lui fat recommandée. L'ordre lui fut
donné de ne prêcher qu'aux lieux
où on lui aurait témoigné le
désir de l'entendre. Muni de ces
instructions Farel partit et se rendit à
Morat.
Nouvelles luttes, nouveaux
périls. Toutefois il fut loin de rencontrer
sur ce théâtre une résistance
pareille à celle qu'il avait eu à
surmonter dans les quatre mandemens. Quelques mois
ne s'étaient pas écoulés,
qu'une moitié du peuple avait reçu la
réforme et dans les derniers jours de l'an
1530, elle fut régulièrement
adoptée à la pluralité des
suffrages. De Morat, elle se répandit dans
les villes et dans les villages voisins. Farel,
dans de fréquentes excursions, avait
été prêcher à
Neuchâtel, à la Neuville, à
Bienne, dans les Franches-Montagnes. Il avait
rempli le Vully de ses enseignemens. Le jour des
villes d'Avenches et de Payerne se trouva à
la fin venu,
« Allons à Morat, savoir
ce que sont ces prêcheurs, » se
disaient, les jours de fête, les gens des
deux villes. - « Allons et voyons. » -
ils partaient riant, s'encourageant, ou se
prémunissant les uns les autres contre les
doctrines nouvelles, et ils revenaient discutant et
recherchant ce que ces doctrines pouvaient
renfermer de vrai. Alors les moines à
Payerne, et à Avenches, qui est ville de
l'Évêque, les gens de
l'évêché avisèrent les
Conseils de veiller à ce qui se passait, et
défense fut publiée dans les deux
villes d'aller au prêche à Morat.
Avenches et Payerne sont depuis temps
immémorial alliées des villes de
Fribourg et de Berne. Fribourg appuya la
résolution des Conseils. Berne la
blâma et mit au renouvellement de son
alliance la condition que l'Évangile
pût être librement prêché.
« C'est notre devoir, dirent les Seigneurs de
Berne, de veiller à ce que de pauvres
brebis, avides de la divine pâture, ne
meurent pas faute d'aliment. » Et ils firent
savoir à Farel, qu'ils le verraient sans
déplaisir porter ses pas vers les deux
cités.
C'était en mars 1532. Farel
arriva dans Avenches muni de la patente qui
l'autorisait à prêcher
l'Évangile chez les amis de Berne. Quelques
personnes se montrèrent disposées
à l'écouter; mais le peuple
s'émut, le menaça et l'obligea de
quitter la ville. Berne ne tarda pas à
témoigner sa surprise d'une conduite aussi
peu sage. « Elle voulait bien, pour cette
fois, laisser la chose être ainsi; ce
néanmoins elle priait ses discrets amis
d'Avenches, et elle les avertissait très
acertes d'y mettre ordre et d'avoir regard à
ce que Berne, ni ses serviteurs, ni la foi de
Jésus-Christ ne fussent
persécutés dans leur ville, autrement
y mettrait l'ordre nécessaire. »
Fribourg, de son côté, promit aux
catholiques bon appui. L'Évêque loua
bien fort ses sujets « de s'être
montrés vertueux, bons et vrais
chrétiens, et pour ne les laisser sans
guide, il leur envoyait un sage docteur, qui
sût leur montrer ce qui est profitable et
leur apprendre à remporter la gloire du
paradis. » Mais le docteur ne fut pas
plutôt arrivé que Farel se
présenta et demanda d'être admis
à disputer avec lui; ils se
rencontrèrent, se prirent de querelle; le
moine traita Farel d'hérétique, Farel
voulut le tirer en droit pour avoir occasion de le
convaincre d'enseigner une fausse doctrine;
l'intervention des Seigneurs de Berne ne
réussit qu'avec peine à apaiser le
différend.
Cependant des scènes
semblables avaient lieu à Payerne où
l'Évangile avait aussi
pénétré.
L'évangéliste qui y avait
prêché le premier avait
été honni, maltraité et
rejeté. Tout s'était réuni
pour étouffer dans leur germe les
premières semences de la réforme, les
magistrats, les moines, l'assistance de Fribourg,
les encouragemens du Conseil de Moudon et la
sérieuse intervention du Duc et du Bailli de
Vaud, qui commandaient au nom de la loi. Le
décret des États qui condamnait
Luther et ses doctrines avait été
publié dans toutes les villes de la
patrie de Vaud ; et ce
décret, il était dans les devoirs du
Bailli de le faire exécuter. Comme il y
travaillait, Berne lui écrivit : « Nous
distinguons entre deux ordres de choses; nous
reconnaissons que dans tout ce qui tient à
l'ordre matériel et à biens de la
terre, le Duc a, comme seigneur, tout droit sur ses
sujets, et nous exhortons ceux-ci à remplir
scrupuleusement leurs devoirs envers leur prince;
mais dans tout ce qui regarde la conscience et la
religion, nous vous prions, et chacun, de laisser
en paix quiconque souhaite d'entendre la Parole de
Dieu, et spécialement nos frères de
Payerne ; car si vous les persécutiez, vous
nous mettriez dans le cas de nous souvenir que nous
avons avec eux une alliance beaucoup plus ancienne
que celle qui nous unit à la maison de
Savoie. »
En même temps que les
Seigneurs de Berne tenaient ce langage au
représentant du duc de Savoie, leurs
députés faisaient de graves
remontrances aux magistrats de Payerne. On parut
les écouter; les Payernois promirent de
laisser cours à l'Évangile et
liberté à ceux qui le professaient.
L'alliance avec Berne fut renouvelée sous
cette expresse condition.
Mais dès que les
députés furent partis, la
persécution recommença.
C'était en 1532. Les réformés
avaient été malheureux dans la guerre
de Cappel. La paix, qui l'avait suivie, avait
été dictée par les
catholiques. Au mois de juin, le Duc de Savoie
visita son Pays-de-Vaud et vint jusques à
Payerne donner encouragement aux défenseurs
de la vieille foi. Alors les Payernois
cessèrent de s'inquiéter des menaces
de Berne; ils chassèrent un cordelier qui
prêchait dans leurs murs contre les erreurs
de l'église romaine ; ils bannirent le
pasteur des évangéliques,
jetèrent quelques-uns d'entr'eux en prison
et renvoyèrent de nouveaux
députés de Berne avec de bonnes
paroles. « Ils sont trois fois plus que nous,
écrivirent en ces temps fâcheux
à leurs frères de Genève les
amateurs de la Sainte Évangile en Payerne,
et tout ce qui nous entoure nous est contraire;
nous n'en avons pas moins mis tous une plume de coq
à nos bonnets à l'arrivée du
Duc, pour lui bien faire connaître ce que
nous sommes; et quoique pressés de jour en
jour davantage, nous n'abandonnons pas
l'espérance que, ni vous, ni Messieurs de
Berne ne sauraient abandonner ceux qui veulent
vivre selon l'Évangile. »
Le secours vint, mais non de Berne,
d'où ils l'attendaient. Un homme leur
arriva, vers la fin de septembre, sans pouvoir et
sans apparence. C'était le fils d'un tondeur
de drap de la ville d'Orbe. Il avait nom Pierre
Viret. Né en 1511, il avait 20 ans lorsque,
touché de la malheureuse situation de ceux
de Payerne, il porta ses pas vers eux. Il avait
achevé à Paris ses études
commencées dans sa ville natale. Faible de
corps, Viret a dans l'esprit une richesse et une
facilité singulières. Puis il y a
chez lui tant de douceur, tant de persuasion, tant
de grâce, qu'il est tout d'abord le bien venu
d'un chacun. Sa grande instruction se répand
dans sa conversation sans recherche et sans effort.
Farel a été l'instrument dont la
Providence de Dieu s'est servie pour lui faire
connaître l'Évangile, et dès
qu'il a eu reçu ce trésor,
abandonnant volontiers le reste, il n'a plus
songé qu'à le répandre. Il a
commencé par sa ville natale, où il a
prêché pour la première fois le
6 mai 1531. Puis, répondant au désir
de MM. de Berne de voir l'Évangile de la
réforme annoncé parmi leurs sujets et
parmi leurs alliés, il s'est rendu à
Grandson et le voici maintenant qui vient à
Payerne comme messager de Jésus-Christ. Il
calme, il relève, il console, Il donne
l'exemple de la douceur unie à un grand
courage.
Les temples lui étant
fermés, c'est dans les maisons qu'il
enseigne. Une sédition s'étant
élevée, il se retire pour un peu de
temps et revient dès que le calme a reparu.
Tous les jours il explique l'Évangile; tous
les jours il dispute avec les moines. Dès
lors nous avons vu l'Église réparer
ses brèches et ne cesser de
s'accroître malgré les
persécutions. Depuis le départ de
Viret (janvier 1533), ses progrès ne se sont
pas ralentis. Un jour Farel est venu, et trouvant
les temples fermés, il s'est mis à
prêcher sur le cimetière au peuple
réuni; mais le Conseil s'étant
présenté, le banderet en tête,
a mis promptement un terme à son
prêche et l'a jeté lui-même en
prison (juin 1533). Depuis lors, à Avenches
comme à Payerne, l'état des choses
n'a que peu changé. On a continué
dans les deux villes de persécuter
l'Évangile. À Avenches, on menace
Antoine Bonjour et le reste des
réformés de les exclure, s'ils
persévèrent, des droits de la
bourgeoisie. À Payerne, on impose de fortes
amendes à qui se marie ou fait baptiser son
enfant selon la loi de Dieu. Tous les jours des
députés vont à Berne, ou en
viennent, pour remédier à quelque
nouveau différend. La présence de
Viret est venue mainte fois consoler et raffermir
son église, jusques à ces derniers
temps, que MM. de Berne l'ont cédé
aux évangéliques de Genève,
qui le leur demandaient avec d'instantes
sollicitations. Les lettres dont je vous ai
donné l'extrait achèvent de vous
retracer notre état présent.
(2)
.
GENÈVE, 30 MARS.
Nouvelles des Conseils. Ce sont
hommes fort sages et fort prudens que MM. des
Conseils de Genève. De MM. les syndics,
trois passent pour amis de la réforme; mais
vous ne les verrez rien faire
témérairement, ni d'eux-mêmes,
sans bon avis de leurs collègues.
Placés entre les prêtres et les
prêcheurs, entre ce qui était et ce
qui sera, ils mettent un grand soin à tenir
la réforme bien en bride et à ne pas
se laisser emporter à son mouvement. Mais je
n'ai grand besoin de vous dire ce que les faits se
chargeront de vous montrer.
(3)
Trois affaires ont, durant cette
quinzaine, occupé plus
particulièrement l'attention des Conseils,
celle des bouchers, celle de la
vénéfique qui a tenté
d'empoisonner Viret, et les provocations de
quelques-uns de ceux de la
réforme.
Les bouchers à Genève,
comme ailleurs, sont pour la
plupart mécontens de la réforme et de
tout ce qui se passe. Comme les fêtes de
Pâque approchent, on les a fait venir et on
leur a demandé s'ils fourniraient la ville
de viande et à quel prix? - «Nous
fournirons la viande, ont-ils répondu, mais
dire à quel prix nous ne le pouvons, parce
qu'on ne trouve pas de bêtes. » -
Là-dessus on a avisé de publier que
qui voudrait donner le boeuf pour 6 deniers
vînt ce faire inscrire et on a résolu
d'assembler les Deux-Cents.
Le même jour, 16 mars,
Pierre Levet, Claude Curtet, Pierre de Verrier,
Magnin, Monnet, Collomb et d'autres en grand nombre
sont venus demander d'avoir un prédicateur
pour leur prêcher tous les jours
l'Évangile en St-Gervais, où ils
demeurent; « parce que, disent-ils, il y a du
danger que les ennemis, répandus autour de
la ville, n'exécutent quelque entreprise
pendant qu'ils écoutent le sermon à
Rive; il ne leur importe que M. le vicaire nomme le
prêcheur, pourvu qu'il leur soit
agréable. » - On répond qu'on y
avisera.
Le lendemain 17, les
Deux-Cents se sont assemblés à
l'occasion de ceux de St-Gervais qui demandaient un
prédicateur et à cause des bouchers.
La première affaire ayant été
longuement discutée, on a
arrêté que pour le moment, il suffit
de ceux qui prêchent; quant aux bouchers, qui
ne veulent pas servir convenablement la ville, on a
décidé de faire une crie selon la
proposition du Conseil ordinaire.
Le 19, les bouchers ont
déclaré ne pouvoir fournir la viande
au prix demandé; alors sont entrés
des citoyens en grand nombre promettant de la
donner à ce prix; mais bientôt les
bouchers de la grande boucherie ont fait savoir
qu'ils acceptaient les conditions qu'on leur avait
faites, et la ferme leur a été
accordée.
Le 17, Jean Sourd, prisonnier
pour avoir détruit une image, a
été condamné à en payer
la valeur.
Le 29, Cologny et Claude
Jaquard ont été condamnés
à la même peine et mis au pain et
à l'eau, pour avoir abattu le
St-Grégoire du couvent des Cordeliers. On a
de plus fait des remontrances à Cologny,
qui, les jours de fête, travaille et tient sa
boutique ouverte.
En même temps le Conseil,
prenant la voix publique ou considération,
s'occupe du choix d'un logement pour les
prédicateurs. On parle de leur donner un
appartement au couvent de Rive.
Passons au procès d'Antoina,
la vénéfique. Le Conseil s'est
formé en cour de justice pour interroger la
malheureuse, pour la torturer et pour la faire
confesser. L'enquête a présenté
les résultats suivans :
Elle avoue avoir commis plusieurs
larcins.
Item, elle déclare qu'un
nommé Jérôme, barbier,
(chirurgien), de l'évêque de
Maurienne, après plusieurs paroles, l'avait
engagée à empoisonner les
prédicateurs.
Item, elle confesse que le samedi, 8
mars, elle bouta du sublimé dans la soupe de
maître Viret, qu'elle lui avait cuisue
d'épinards à part, pour son estomac;
lequel Viret en mangea devant elle, ainsi
accoutrée, combien que jamais ne lui
eût fait déplaisir.
Item, en voulait bien faire autant
à maître Guillaume; mais pour ce qu'il
voulut de la soupe du ménage qui
était claire, elle n'osa y mettre du
poison.
Item, elle avoue qu'ayant
été déchassée pour
quelques larcins, elle s'était
retirée chez le chanoine Gruet, qui lui
avait précédemment donné cet
avis : « Fais, fais hardiment et ne te soucie;
» mais le chanoine n'était plus en sa
maison. »
Interrogée si elle avait
jamais usé, ni vu user auparavant de ce
poison, elle a raconté trois histoires des
plus lamentables, de maris empoisonnés par
leurs femmes et de maîtres par leurs
serviteurs, et elle a conclu par inviter MM. de
Genève à être sur leurs gardes
contre leurs serviteurs, parce qu'il se
démène beaucoup de
pratiques.
Ce sont les confessions de cette
pauvre femme. Nous n'essaierons pas d'en sortir le
vrai. On dit qu'elle fait grand bruit contre les
bonnets ronds qu'elle accuse de sa perte. Le peuple
est fort indigné contre elle. Les
réformés sont persuadés que
leurs adversaires avaient eu d'abord le projet
d'empoisonner le pain de la cène, pour les
faire tous périr à la fois; ils
croient aussi que le Conseil, dans le but de
ménager encore l'Évêque, garde
le secret sur une partie des
révélations d'Antoina.
(4)
- À ces nouvelles nous
ajoutons celles que nous recevons par Froment et
par la soeur de Ste-Claire. La soeur nous raconte
les bruits du couvent pendant la semaine sainte.
« Jeudi, vendredi et samedi, nous dit-elle,
sonnèrent leurs prêches plus
longuement qu'en aucun autre temps, pour ce que les
cloches ne devaient point sonner ces
jours-là, selon l'ordonnance de la sainte
mère Église. Le jour de Pâque
tous ces hérétiques ont
été faire leur cène le matin
au couvent, les hommes y menant leurs femmes. Mais
il y a beaucoup d'entr'eux que leurs femmes sont
bonnes chrétiennes, et pour maintenir la
sainte foi celles-ci sont plus que martyres, car
elles sont grièvement battues et
tourmentées. De tout temps les femmes, et
surtout les jeunes, se sont montrées plus
fermes et plus constantes en la foi que les hommes
et se montrent viriles contre ces
luthériens. Parmi lesquelles il en est trois
que leurs maris avaient enfermées, tandis
qu'ils allaient au sermon, et qui, d'un vertueux
courage, sont descendues les unes après les
autres d'une fenêtre, et toutes trois sont
allées recevoir la messe en grande
dévotion, et jamais leurs maris n'en sauront
rien. »
- Froment écrit: « Nous
voici au troisième acte des trahisons faites
dessous terre par les prêtres, et
déjà deux fois' ils se sont
trouvés, comme le dit le prophète,
n'avoir tissu que des toiles d'araignées.
L'automne dernier que nous étions faibles
encore, ils avaient donné à entendre
au menu peuple que Notre-Dame
avait apparu au curé de St-Léger, et
lui avait dit que si l'on faisait une grande
procession, jusques à notre
Dame-de-Grâce (au confluent du Rhône et
de l'Arve), les luthériens en
crèveraient. Ils firent venir des gens de
trois lieues à la ronde et de plus loin, de
tous côtés, des Savoisiens beaucoup.
Les pauvres gens, hommes, femmes, enfans arrivaient
de toutes parts, chantant en langue savoisienne:
« Mare dé Di, prié per no;
» et Baudichon les voyant passer, se mit
à chanter aussi et disait : « Frare
Farel, prezy todzo. » Tout à coup
certaine procession venant du côté de
Thonon, de l'abbaie de Filly et lieux
circonvoisins, entra dans la ville; c'était
l'heure que le sermon se disait, et ils
arrivèrent jusqu'à l'Eglise de
Ste-Claire; mais là (nous avions eu avis) se
rencontrèrent des nôtres, Ami Perrin,
Jean Golle et bien d'autres qui les
repoussèrent si rudement qu'ils
pensèrent en être tous morts de la
frayeur qu'ils en eurent: leurs gonfanons furent
déchirés, leurs croix et reliques
jetés à terre; et les firent bel et
bien passer hors de la ville, tout autour des
murailles, et aller faire leurs dévotions
à Notre-Dame-de-Grâce, se
déportant pour lors de ce qu'ils avaient
délibéré contre
nous.
Le second moyen que les
prêtres ont secrètement mis en oeuvre
contre les prêcheurs et leurs
adhérens, vous le savez, c'est de les
empoisonner pour les faire tous mourir; or Dieu n'a
voulu qu'ils parvinssent à exécuter
telle entreprise.
Sur ce, se sentant fort
pressés de la Parole de Dieu que l'on
prêche à Genève, et voyant leur
ruine approcher, ils ont fait comme ces malins
esprits que notre Seigneur chassait du corps des
démoniaques, et ils ont imaginé un
troisième et dernier refuge pour
détruire la ville, qui est de lui faire la
guerre. Ils se sont donc adjoints à
l'Évêque et aux autres ennemis de
Dieu. L'Évêque a attiré
à lui tous les citoyens compris au catalogue
des traîtres de Genève, et il a pris
la charge de commencer la guerre en son nom,
à la suasion du duc de Savoie. Il a tout
d'abord transporté son siège
épiscopal à Gex; puis il y a fait
grande assemblée de prêtres, non pour
disputer de la Ste-Écriture, mais pour
excommunier ceux qui entendent prêcher ou qui
parlent aux prêcheurs, et pour se cotiser
afin de soutenir les frais, missions et charges de
guerre. Puis, petit à petit, il a
assemblé des gens à ses deux
châteaux de Jussi et de Peney, aux deux
côtés de la ville. Les gentilshommes
du Duc ont de leur part mis garnison à son
château de Gaillard; si que l'on ne peut plus
sortir de Genève, que le chemin n'est
assuré à personne à 3 ou 4
lieues alentour et que nul n'ose plus passer, pas
même les postes du roi de France. Des
marchands du Valais, sans parler de tant d'autres,
viennent d'être détroussés et
leurs marchandises pillées. Ainsi font ces
Peneysans. J'aurai bientôt à vous
raconter ce qu'auront fait les Genevois pour punir
et arrêter leurs brigandages.
.
NOUVELLES
DIVERSES.
L'illustre Bullinger, pasteur de Zurich, vient
de faire parvenir à son ami, le bailli
Haller, de Lentzbourg, une lettre qu'il a
reçue de Coire, du 14 mars. Suivant cette
lettre, de nombreux lansquenets filent vers
l'Italie. Le châtelain de Musso a
été à Inspruck, il est
à Hohen-Embs; il est partout, infatigable
dans sa haine contre les Suisses. Les Grisons
craignent pour la Valteline. Les nouvelles
d'Allemagne font mention de la levée de
20,000 soldats. Berne continue d'observer avec
inquiétude les mouvemens des troupes
impériales.
Les craintes de Berne expliquent sa
circonspection. Ses alliés, qui ne sont pas
accoutumés à la voir lente ni timide,
en ont conçu beaucoup de défiance.
Nous savons, de bonne part, que MM. du Conseil de
Genève, à la lecture de la
dernière lettre de Berne, qui les invitait
à ne point compter sur elle « vu les
périls où elle se trouvait
elle-même par aventure », (voyez
Chroniqueur page 44) ont éprouvé une
grande surprise et une grande frayeur. Ils se sont
demandé si la seule ressource humaine qui
leur restait allait leur manquer et,
détournant déjà les regards de
Berne, ils les ont secrètement portés
vers la France. Nous sommes bien informés
qu'ils négocient avec le Roi par l'entremise
de quelques particuliers. Les négociateurs
ont été fort bien reçus et le
Roi leur a offert, 1° d'être
déclaré Protecteur de Genève ;
2° de livrer 2,000 écus aux Genevois
pour les aider dans leur nécessité;
3° de leur donner annuellement 2,000
écus d'or pour la réparation de leurs
murs; 4° de leur laisser leurs magistrats et
leurs coutumes, et enfin de les laisser vivre en
leur religion, jusqu'à la conclusion du
concile qui se prépare.
À l'intérieur Berne
est gravement occupée de la question des
Anabaptistes ou dissidens. Tout se rencontre dans
l'anabaptisme. Le même nom sert à
désigner ces hommes simples qui ne
réclament la séparation du civil et
du religieux que pour offrir plus librement
à Dieu le culte du coeur, ces hommes au
coeur ardent pressés de voir les doctrines
de l'Évangile appliquées au
soulagement des classes souffrantes, et ces
fanatiques insensés qui, après avoir
troublé la Suisse et l'Allemagne
méridionale, prêchent aujourd'hui dans
le Nord, la communauté des biens,
l'abolition du mariage et le renversement de
l'ordre social.
Le peuple gémit presque en
tous lieux sous un joug si pesant, son ignorance
est si grossière, son sommeil était
si profond , que son réveil a dû tenir
du délire. Aussi que d'états
déjà ébranlés, que de
sang, répandu, que de ruines
amassées! Il n'est pas surprenant qu'on
voie, à ce seul nom d'Anabaptistes, les
Gouvernemens s'émouvoir et recourir aux
mesures les plus sévères. Berne, il y
a cinq mois, voyant le nombre des dissidens
s'accroître, appela dans son
inquiétude les ministres de la capitale, et
les trente-cinq baillis de ses terres à
venir délibérer mûrement sur
les moyens à employer pour la
sûreté de l'état.
« Que ferons-nous pour nous
débarrasser des sectaires, demanda-t-elle
d'abord aux pasteurs?» Elle s'attendait qu'ils
opineraient pour la peine de mort, mais ils furent
d'un tout autre avis. « La première
cause du mal, dirent-ils, est dans les vices de
l'Église. Que l'Église
s'épure, que les magistrats se
réforment, et les sectaires cesseront
d'appeler les pasteurs de faux
prophètes et d'affirmer
qu'un chrétien ne peut occuper de charge
dans l'état. Usez donc de douceur, ne
montrez pas envers les Anabaptistes une
sévérité que vous
déployez pas contre les sectateurs de
l'Église de Rome; n'oubliez pas que la foi
est un don de Dieu et réservez la rigueur
des châtimens pour les cas où les
dissidens se seront montrés transgresseurs
de la loi civile. » - La manière de
voir des pasteurs et celle des magistrats, qui
inclinaient pour la sévérité
se fondirent tant bien que mal dans un
décret (8 novembre 1534) qui
commençait par le respect des Conseils pour
la liberté de conscience et pour
l'élection de Dieu, et qui finissait par
ordonner à tout sujet de Berne d'aller
écouter son pasteur, de
célébrer la cène trois fois
l'an, de faire bénir son mariage dans le
temple et de faire recevoir son enfant, par le
baptême, dans l'église
extérieure. La peine était celle du
bannissement. La difficulté était de
la mettre à exécution. Les
Anabaptistes ne veulent ni se soumettre, ni quitter
le pays. Il fallait donner force à la loi.
C'est ce que leurs Excellences viennent de faire
par une déclaration du 14 mars, qui condamne
les réfractaires, anabaptistes ou papistes,
à 8 jours de prison à Berne, à
être conduits ors du Canton s'ils
persévèrent dans leur
désobéissance, et à la peine
de mort s'ils enfreignent leur arrêt de
bannissement. Les hommes auront la tête
tranchée et les femmes seront jetées
à l'eau.
(5)
- SOURCES:
- .
- 1. Archives de Berne. -
- .
- 2. Ibid. Archives de
Genève. Ruchat. Ses manuscrits. -
- .
- 3. Ces réflexions
sont de Froment. -
- .
- 4 Archives de Berne. Rapport
des ambassadeurs bernois. -
- .
- 5 Ruchat. Arch. Bern. Vie de
Haller.
.
REVUE DU
PASSE.
LA
RÉFORME A AIGLE.
(SECOND ARTICLE.)
« Et certes, ne
nous semble raisonnable que nos sujets soient si
présomptueux de vouloir nous gouverner
»
L'édit de réformation avait
été publié ; mais le peuple
presque entier des quatre mandemens le rejetait.
Ses voisins du Valais et des pays de Savoie
l'encourageaient dans sa
désobéissance, et Félix de
Diessbach et Jean de Rovéréa,
gouverneurs de la province, manquaient ou de la
bonne volonté ou de la force
nécessaire pour faire exécuter la loi
de leurs Seigneurs. Farel de retour de Berne monta
la chaire; mais comme il prêchait, le tambour
se fit entendre; les citoyens s'assemblèrent
autour du temple, et leurs cris tumultueux
couvrirent la voix du prédicateur. Le syndic
d'Aigle animait les citoyens et le vicaire, Gme
Orsinier, opposait à Farel toute la force de
sa voix. Des députés ne
tardèrent pas à arriver de Berne; ils
exprimèrent la surprise de leurs Seigneurs
de ce que « leurs gens d'Alie tournaient leurs
ordres en dérision et leurs mandemens en
mépris. Qu'est-ce que ces secrètes et
féroces assemblées où l'on
machine contre nous ? Qui sont-ils ces hommes qui
détournent le simple peuple par dol et par
menaces, qui le dévient de soi faire
obéissant et semblable à nous, en
ouyant la Parole de Dieu et en déposant la
messe et les idoles? Ce sont choses qui exorsent
d'un mauvais fondement et que nous ne permettrons
pas. Nous voulons que Farel soit tenu en
sûreté, qu'il prêche
libéralement (librement) la Parole de Dieu,
que des biens d'église il soit pourvu
à sa chevance, en boire et manger,
accoutrement de son corps et autres choses
nécessaires. Et certes, ne semble
raisonnable à nos Seigneurs que leurs
sujets, hommes et femmes, prêtres et
laïques, s'opposent à eux et soient si
présompteux de vouloir les gouverner, ce que
nullement ne souffriront. Nous vous avons dit leur
vouloir. »
Les députés
convoquèrent ensuite le peuple des quatre
mandemens, et l'invitèrent à se
prononcer sur la question de l'édit. De
quelle manière recueillirent-ils les
suffrages? Nous l'ignorons; mais dans les paroisses
d'Aigle, d'Olon et de Bex, la réforme obtint
la pluralité des voix. Les Ormonans ne se
laissèrent pas ébranler. Dans les
trois paroisses qui venaient d'accepter
l'édit, on se hâta de procéder
au renversement des autels et des images. Puis les
députés se retirèrent. Ils
étaient à peine de retour à
Berne que des envoyés de Noville, de Chessel
et des quatre mandemens, s'y
présentèrent, demandant comme une
grâce spéciale de pouvoir conserver
les sacremens et la messe.
On apprit bientôt après
qu'une émeute avait eu lieu à Olon,
et que les femmes du village avaient assailli et
maltraité Farel. Des gens de Bex
s'opposaient au renversement des images. Ce
n'était qu'un cri dans la contrée sur
la tyrannie de Berne. Farel, après avoir
été long-temps seul au combat, avait
écrit en divers lieux et demandé des
compagnons d'oeuvre ; se rendant à ses
sollicitations, des amis de l'Évangile
étaient venus se joindre à lui;
c'étaient Déodat, Caméral,
Guillaume Du Moulin, Simon Robert; ce dernier,
homme éprouvé par l'affliction, avait
laissé sa femme alitée et les chances
d'un meilleur avenir pour accourir à la voix
de Farel; mais ces nouveaux prédicateurs
étaient repoussés en tout lien. Farel
lui-même était interrompu quand il
prêchait. « Faites-moi connaître
le notaire qui a signé l'Évangile?
» lui demandait le sieur Claude Melliat.
Antoine Nicodey alla jusqu'à renverser la
chaire. Le fils Veillon disait à haute voix,
en plein marché, que « les dix articles
ne renfermaient que menteries et que les
adversaires de la réforme n'avaient joui
d'aucune liberté à la dispute de
Berne. » Les envoyés bernois avaient eu
pitié des pauvres gens des Ormonts et leur
avaient donné jusques à
Pentecôte pour se déterminer à
recevoir l'édit. quand la Pentecôte
fut arrivée les Ormonans
déclarèrent qu'ils prendraient
plutôt un autre seigneur que de renoncer
à leur foi. Les mécontens
s'assemblaient en grand nombre et prenaient les
résolutions les plus hostiles. On persuadait
aux citoyens que les derniers députés
de Berne avaient été les
envoyés de trois ou quatre
conseillers, sectateurs de Luther, et que le
sénat se garderait de les appuyer; on
affirmait le savoir de la bouche d'Adrien de
Boubenberg. Les moeurs continuaient d'être
déréglées, sans qu'on se
mît en peine du mandat de réformation.
Des personnes en grand nombre allaient hors du pays
écouter la messe, se confesser et
présenter leurs enfans au baptême.
À Pâque, Jean Bioley s'enhardit
jusqu'à dire la messe de nouveau. Pour
surcroît de désordre, quelques
réformés crurent lire dans
l'Évangile le précepte de la
communauté des biens et se refusèrent
à payer les censés et les
dîmes; à les entendre c'était
Farel qui les avait enseignés
ainsi.
Alors, il en était temps,
Berne comprit que la situation de la province
demandait l'emploi de mesures sévères
et l'envoi d'un gouverneur qui aimât la
réformation et réunit le tact
à l'énergie. Or Berne avait dans les
frères Sébastien, Jean Rodolphe et
Franz Naegueli, trois hommes sages, prudens et
fermes. Leur père avait fait son chemin
à la tête de ces bandes
intrépides qui, dans les guerres d'Italie,
ont élevé si haut la
réputation de courage des
Confédérés; il avait perdu la
vie à la Bicoque.
Ses fils, suivant ses traces, ont
pris place au Conseil et dans les camps parmi ce
que la république a de plus illustre. Franz
et Sébastien ne tarderont pas à se
faire connaître à nos lecteurs.
Cette fois ce fut Rodolphe que le
Conseil choisit pour remplacer à Aigle J. de
Rovéréa, pour y ramener l'ordre et
pour y faire recevoir l'édit de
réformation. On lui adjoignit une
députion choisie, de laquelle faisaient
partie Jaques de Watteville, Jaq. Wagner et Nicolas
Manuel. Ils arrivèrent à Aigle avec
le mois de Juillet (1528). Une enquête
sévère leur fit connaître les
auteurs des troubles et Berne ne fit grâce
à aucun d'eux. Ceux des
préposés des communes qui avaient
favorisé les assemblées
séditieuses furent déposés de
leurs charges. Ces assemblées furent
défendues sous les peines les plus graves.
Les femmes qui avaient maltraité Farel et
les hommes qui les avaient excitées furent
frappés d'une amende de 5 florins par
personne. Le sieur Melliat fut puni de la
même peine. Nicodey avait pris la fuite.
Gamant, qui avait dit avoir appris de la bouche de
Farel que l'Évangile affranchissait le
peuple des censés et des dîmes, fut
condamné à se rétracter et
à payer 10 florins. Les vicaires furent
chassés du pays. Les propriétaires
des bénéfices furent
déclarés
dépossédés par le principe de
la réforme de ne pas permettre à un
pasteur d'avoir plus d'une paroisse.
« Il est mal à vous,
écrivirent les Seigneurs de Berne à
l'un d'eux qui était le chanoine Grand de
Lausanne, propriétaire de la cure des
Ormonts, il est mal à vous de sommeiller
tandis que vous abandonnez votre troupeau, et de
tondre les brebis que vous laissez errer à
l'aventure, sans pâture et sans berger.
» Les cures furent données à des
ministres de l'Évangile; celle de Bex
à Simon Robert, celle de Noville à
Guillaume Du Moulin, celle des Ormonts à
Jaques Caméral. Berne laissa aux pasteurs le
choix d'une paie de 200 florins de Savoie, ou du
revenu que retiraient leurs
prédécesseurs des censés,
dîmes et fonds de terre qu'ils
possédaient ; ils choisirent la
dernière part. Pour enlever au peuple tout
espoir d'un retour à l'ancien ordre de
choses, le Gouverneur acheva de raser les autels,
de livrer aux flammes les idoles et de faire
enlever les tableaux qui décoraient les murs
des temples. Ainsi s'exécuta l'édit
de réformation; Bex ploya la
première, puis Aigle, puis Olon. La plaine
était soumise, mais les Ormonans
continuaient à refuser d'obéir, aucun
d'eux ne voulait prêter l'oreille au pasteur
qu'on leur avait envoyé. Ce pasteur
écrivait à Farel ; « Je n'y puis
tenir, j'y perds et mon temps et ma peine, je
n'attends que le jour où il plaira au
Seigneur de me sortir d'ici. » Aux yeux des
montagnards, aucun crime n'égalait celui
d'avoir renversé un autel ou brisé
une image. C'était vainement que le
Gouverneur employait tour à tour envers eux
la douceur et les menaces; ses messages
étaient méprisés, ses
envoyés ne remportaient que trufferies et
grosses paroles.
Les conseils qu'il faisait donner
aux Ormonans par leurs bons frères de la
plaine ne trouvaient aucune entrée. Il ne
lui resta que de faire savoir à Berne
l'inutilité de ses efforts. Les Seigneurs de
Berne écrivirent eux-mêmes « aux
syndics et tous patriotes (paysans) des Ormonts de
dessus et de dessous la Joux : » (Ob und Nid
dent Wald) « Nous vous mandons et commandons
que vous vous fassiez conformes à nous et
à nos autres sujets, en acceptant
l'Évangile et délaissant les
cérémonies des hommes, qui n'ont pas
de fondement en la Sainte Écriture, ains ont
été controuvées par l'avarice
des prêtres, à la grande perdition des
hommes. Nous ne voudrions vous commander chose qui
fût contre Dieu. Serait donc bien
étrange que dussiez demeurer en
désobéissance et vous montrer
rebelles à Dieu premièrement et
à nous vos supérieurs. Quel profit
pour vous s'ensuivrait, ce pouvez
considérer. » - Nouvel effort qui ne
brisa point l'obstination des hommes de la
montagne. Enfin, cependant, le temps,
l'instruction, la sévérité et
la patience finirent par triompher de leur
attachement à leurs coutumes et à
leurs superstitions; les idoles de Ste-Marie, de
St-Théodore, de St-Maurice et de St-Hillaire
disparurent les unes après les autres et
furent remplacées par les vivantes images
que le pasteur empruntait aux récits de
l'Ancien et du Nouveau-Testament.
Voilà donc la réforme
assise dans les quatre Mandemens; la force lui
avait frayé le chemin; mais elle ne tarda
pas à se légitimer par des bienfaits;
les intelligences se développèrent,
les moeurs s'épurèrent et
s'adoucirent, l'Évangile ouvrit ses sources
de paix et lorsque, deux ou trois ans après,
les gens du Pays-de-Vaud venaient à Aigle,
curieux de savoir ce qu'étaient les
doctrines nouvelles, ils étaient fort
surpris d'entendre dire, que ces doctrines, si
décriées, n'étaient autres que
celles de l'Évangile, dégagées
de ce que le cours des temps y avait apporté
d'alliage.
|