Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.

PAYS ROMAND.

Pays Romand - Aigle le 17 mars -
Payerne le 30 mars
Genève le 30 mars
Nouvelles diverses
La réforme à Aigle (2)

Noms propres de cette page

 

AIGLE, 17 MARS.

Lettre de M. le notaire Jean De-Loës. Nous venons de voir arriver ici maître Michel Dobte, prédicant d'Ormont, en vraiment piteux état. Il n'est parvenu Jusqu'à Aigle qu'à travers une suite de mésaventures, dont M. le notaire Corniollier et moi venons d'entendre et de faire passer à Berne le récit, d'après l'ordre de M. le Gouverneur.

Maître Michel revenait de Genève, où il avait été voir Farel et les prédicans. Passant à son retour par Lutry, il alla boire à l'hôtel de la Croix-Blanche et y trouva une multitude de prêtres et de moines qui voulurent incontinent savoir qui il était. « Je suis sujet et serviteur de MM. de Berne », répondit-il, et il voulut sortir. Mais comme il se levait, voici venir M. de Lutry, (le prieur, de la famille de Montfaucon), une barbe rousse, qui l'interrogea : « Qui es-tu? où vas-tu «? quelle est ta foi? viens-tu nous prêcher? »

Maître Michel répondit qu'il était chrétien, ne cherchait dispute et ne demandait qu'à passer son chemin. Adonc le dit seigneur lui dit : « Va-t'en et je te donnerai mon serviteur pour ta sûreté. « Et comme maître Michel passait sous la porte de la ville, un prêtre le frappa d'un grand coup de poing dans l'estomac et lui dit: « Va, continue ton chemin, et tu trouveras qui t'attend. » Et celui qui le conduisait l'abandonna. Maître Michel voulut alors fuir par les vignes; mais voilà les prêtres et les moines qui se mirent à crier après lui aux vignolans : « Au larron, au larron, » et ils le suivirent de si près qu'ils le contraignirent de se jeter dans les fossés de la ville, et là le battirent de pierres.
Il y avait entr'autres un moine qui assurait vouloir être le bourreau de maître Michel, et lui vouloir couper la tête de sa propre épée qu'il lui avait enlevée. Et le frappant, le rejetèrent dans la ville où ils lui prirent son sac, en sortirent deux Nouveaux Testaments et les jetèrent au feu. Puis courant après lui, petits et grands, jetant pierres et fosseux, ils le poursuivirent fuyant de nouveau par les vignes. Et entre Cully et Grandvaux, il fit la rencontre de deux hommes déguisés, l'un en laquais, l'autre en coquin mal vêtu (mendiant).
Le premier lui dit, en jurant le sang de Dieu : « Tu es un luthérien, » et lui frappa de son épée une plaie si grosse en la tête qu'il y a fallu mettre cinq points d'aiguille, et l'eussent du tout exterminé, n'était survenu un homme qui le tira de leurs mains. Il reprit son chemin, dépouillé de sa robe, de son chapeau et demi-mort, par les vignes. Il entra ainsi fait à Riez, et trouva là un bon gentilhomme nommé Claude Forestey, qui le reçut et logea honnêtement et le revêtit d'une bonne robe fourrée; puis envoya quérir un médecin, qui banda ses plaies, en quoi il l'aidait lui-même. Et voulut payer le médecin. Et le lendemain lui bailla son cheval et lui prêta une robe qu'il porte encore à présent. A Vevey, maître Michel rencontra en arrivant le châtelain Hugonin et certains prêtres et gens de la justice qui le voulurent prendre, disant en avoir charge de Monseigneur de Lausanne. « N'êtes-vous pas celui qu'on nomme Froment? » lui demanda le châtelain. Il répondit que non. « N'avez-vous pas prêché à Genève? » Il dit que non. « Il en a menti par sa gorge, cria l'un des assistans, j'étais présent quand il y a prêché, et survinrent quelques témoins qui affirmèrent l'avoir vu prêcher.

Pourtant ayant reconnu qu'il n'était ni Farel, ni Froment, ni Viret, ils ne le tuèrent pas. Il put donc se remettre en route, entouré de la multitude, et comme il passait sur le pont, vers le Bourg-aux-Favres, ils le voulurent dérocher de dessus son cheval, et le protonotaire frappa d'un coup de poing le médecin de maître Michel et lui brisa les dents. Ils n'arrivèrent pas sans peine au lac, où ils louèrent une nacelle; mais quand ils cuidèrent (crurent) y entrer, elle se trouva percée. Ainsi nous l'a rapporté maître Michel, à nous notaires, nous affirmant être vérité. (1)

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PAYERNE, 30 MARS.

Désirant vous donner l'idée de ce qui se passe dans nos murs, je ne sais faire mieux que de mettre sous vos yeux l'extrait suivant de la correspondance de nos bourgeois avec les Seigneurs de Berne.

Le 4 février, Berne écrit à ses sages, prudens, et singuliers amis et très-chers alliés de Payerne: « Nous avons ouï la requête que les frères vos bourgeois vous ont faite d'avoir l'église de la chapelle pour y entendre la Parole de Dieu, à heure qui ne puisse empêcher les cérémonies. Ensemble avons ouï votre réponse et les menaces des ambassadeurs de Fribourg. Et voulons bien vous avertir et vous prier de donner le lieu demandé dans le temple, vu que celui où la Parole de Dieu a été jusqu'ici annoncée n'est assez grand. »

Le 20 février, Berne écrit au Gouverneur du Pays-de-Vaud : « Nous ne saurions croire que vos menaces faites à nos alliés de Payerne viennent du commandement de votre maître ; à savoir de dire que voulez avertir les Cantons. Car nos alliés nous ont fait, touchant la dite affaire, des promesses lesquelles nous espérons qu'ils tiendront. Et ne mettrons en oubli ce que venez de faire. »

Le 17 février, les « tenans la partie de l'Évangile à Payerne » s'adressent en ces mots aux magnifiques Seigneurs de Berne : « Plaise vous savoir que les Seigneurs de Fribourg ne permettent en aucune manière que l'on prêche en notre temple. Et pourtant le commun a bien déclaré que l'église est nôtre et que l'avons fait bâtir avec les autres habitans de la communauté, contre le vouloir des moines, qui de tout temps se sont montrés contraires aux libertés de la ville. Mes Seigneurs, nous vous supplions de mettre fin à ceci, autrement il nous serait expédient d'abandonner plutôt terres et biens que de voir ainsi blasphémer le nom de Dieu, et reculer son Évangile, ce qui arriverait si nous nous désistions de prêcher en notre temple. Il nous déplaît grandement vous importuner, mais la nécessité nous contraint.

« Verbum Domini manet in aeternum » (La Parole de Dieu demeure à toujours.) Isaïe, 40.

Les tout votres humbles serviteurs et amis, les frères de Payerne, lesquels désirent ouïr et vivre selon la Parole de Dieu.

Berne répond : « Nous apprenons qu'avez par force ouvert les portes de l'église et fait prêcher, laquelle chose nous déplaît; et vous prions que veuillez vous déporter de la dite chapelle, et vous contenter du lieu où ci-paravant avez ouï l'Évangile, jusqu'à ce que le droit ait eu sa course et que les temps soient plus opportuns. Et croyez que cela servira plus à l'avancement de l'Évangile que si vous persévériez en votre propos. »

Le 6 mars, nouvelle lettre de Berne aux « tenans la partie de l'Évangile : » « A nos avis n'avez guères tenu, ainsi demeurez en votre opinion; vous prions donc de nouveau par celle-ci que veuillez considérer le cas et sa conséquence, et avoir un petit peu de patience. Par là vous éviterez noises, batteries, fâcheries, et ferez votre profit et à nous service. »

Le 12, lettre des évangéliques aux Seigneurs de Berne : « Derechef le commun de Payerne a été assemblé à la requête du Bailli de Vaud et ne nous a point fait connaître que dussions nous déporter d'ouïr la Parole de Dieu dans notre temple. - Ce jourd'hui les Seigneurs de Fribourg ont envoyé une ambassade à notre Conseil, requérant que nous comparussions. Cinq de nous ont comparu au nom de tous. Voulez-vous renoncer à aller à notre temple? nous ont dit les ambassadeurs. - Nos frères ont répondu que le temple est de la ville, laquelle en a joui de tout temps, et les ont priés de ne nous molester non plus que ceux d'Orbe et de Grandson. - Lors les ambassadeurs se sont fâchés tout gros; mais un de nos frères leur a dit qu'ils ne devaient nous menacer, mais nous prendre en droit, et que s'ils se voulaient battre, ils se devaient prendre à quelque Seigneurie puissante; car de se prendre à nous ne pourraient avoir honneur. - Toutes choses considérées nous voyons qu'il leur est insupportable de voir tous les jours le nombre des frères croître dans la ville et au dehors. Le bruit commun est que les Gruyériens doivent sortir sur nous. Ce nonobstant nous persévérons, par la grâce de Dieu, d'ouïr sa Parole en notre temple, et vous supplions, excellens Seigneurs, de nous avoir toujours pour recommandés, car vous êtes aussi puissans à nous maintenir en notre bon droit que les Seigneurs de Fribourg, à maintenir les moines tenant la loi papale. »

Le 15, lettre de J. Turte, prédicant de Morat, aux magnifiques Seigneurs de Berne: « Notre frère, l'annonciateur de l'Évangile à Payerne, m'écrit pour vous en aviser : Cette nuit nous attendons l'assaut de nos ennemis, car les papistes s'enfuient tous. Jean Nardin, officier de la ville, voulant retourner de Fribourg, a été pris. Ceux de Fribourg ont commun cette nuit au château de Montaignye, avec armures, et nous avons veillé tout ce vêpre en oraisons. Notre Seigneur nous soit en aide. - Et voilà, très-honorés Seigneurs, de quoi suis prié vous avertir.»

Le 16, lettre de Berne aux évangéliques : « Sur vos avis, nous avons envoyé nos ambassadeurs à Fribourg et vers vous. Leur rapport entendu, nous vous demandons de nouveau que laissiez le temple et vous retiriez en l'hôpital, jusqu'à ce que vous soyez sûrs que la plupart sont de votre cause. Et ne faites faute, afin que plus grand inconvénient ne survienne. »

Le 23, nouvel avis des Seigneurs de Berne à leurs frères, de se conduire de manière à avoir toujours le bon droit de leur côté.

Le lendemain, réponse des réformés de Payerne: « Vous savez notre bon droit; par quoi nous voudrions vous prier (si c'est votre bon avis) d'informer les Cantons de la violence qui nous est faite. Faites après cela, Messieurs, que ce qu'on nous a promis, de laisser cours à l'Évangile, ait véritablement lieu; car nous expérimentons que l'on abuse de votre douceur. »

Le 28, nouvelle lettre des réformés: « Nous sommes avisés que quantité de poudre d'artillerie doit être envoyée sous bref en Valais, conduite par aucuns de Fribourg. - Sachez, excellens Seigneurs, que ce jour de Pâque, Dieu a donné belle constance à nos frères prisonniers, et que plusieurs qui n'avaient jamais oui sont venus entendre la Parole et prendre la cène avec nous, ensorte que beaucoup n'avaient lieu ni place, et que désirons grandement retourner au temple. Ainsi pensons faire, s'il n'y a fin dans les quinze jours, qu'avez accordés pour délivrer nos frères prisonniers. »

Les évangéliques viennent de recevoir la réponse de Berne. Elle espère que sur l'avis qu'elle a adressé à ses combourgeois de Fribourg et au Conseil de Payerne, la chose sortira à bonne fin, et cependant elle prie ses frères de Payerne de se déporter de toute violence, d'autant plus que, comme ils le disent, ils voient leur nombre s'accroître de jour en jour.

Cette dernière lettre est d'hier. Elle achève de vous mettre au fait de notre situation présente. Peut-être après avoir reçu ces détails écouterez-vous encore avec quelque intérêt le récit de la manière dont l'Évangile s'est établi dans Payerne.

Dès l'été de l'an 1529, la réforme était en progrès. Berne l'avait reçue l'année précédente. Zurich, après avoir surpris les petits Cantons par une brusque attaque, leur avait dicté une paix qui ouvrait à la réforme la porte des baillages que les Cantons possédaient en commun. Il était posé en fait, qu'en matière religieuse, la majorité des suffrages ferait loi à la minorité. Il y avait dans l'adoption de ce principe plus de cordiale simplicité que de respect pour les droits des consciences; il plut à nos Suisses, et Berne et Fribourg le reçurent comme devant régir leurs baillages communs.

Cette règle admise, Berne songea sérieusement à ne rien négliger pour faire prévaloir l'Évangile dans ses baillages et dans les villes ses alliées. La réforme venait de s'asseoir à Aigle, et elle s'y consolidait de jour en jour. Berne se tourna vers Farel et lui donna une mission nouvelle. Elle lui mit en main une lettre par laquelle elle invitait tous ses sujets et amis à le laisser librement annoncer la Parole de Dieu. La prudence lui fat recommandée. L'ordre lui fut donné de ne prêcher qu'aux lieux où on lui aurait témoigné le désir de l'entendre. Muni de ces instructions Farel partit et se rendit à Morat.

Nouvelles luttes, nouveaux périls. Toutefois il fut loin de rencontrer sur ce théâtre une résistance pareille à celle qu'il avait eu à surmonter dans les quatre mandemens. Quelques mois ne s'étaient pas écoulés, qu'une moitié du peuple avait reçu la réforme et dans les derniers jours de l'an 1530, elle fut régulièrement adoptée à la pluralité des suffrages. De Morat, elle se répandit dans les villes et dans les villages voisins. Farel, dans de fréquentes excursions, avait été prêcher à Neuchâtel, à la Neuville, à Bienne, dans les Franches-Montagnes. Il avait rempli le Vully de ses enseignemens. Le jour des villes d'Avenches et de Payerne se trouva à la fin venu,

« Allons à Morat, savoir ce que sont ces prêcheurs, » se disaient, les jours de fête, les gens des deux villes. - « Allons et voyons. » - ils partaient riant, s'encourageant, ou se prémunissant les uns les autres contre les doctrines nouvelles, et ils revenaient discutant et recherchant ce que ces doctrines pouvaient renfermer de vrai. Alors les moines à Payerne, et à Avenches, qui est ville de l'Évêque, les gens de l'évêché avisèrent les Conseils de veiller à ce qui se passait, et défense fut publiée dans les deux villes d'aller au prêche à Morat. Avenches et Payerne sont depuis temps immémorial alliées des villes de Fribourg et de Berne. Fribourg appuya la résolution des Conseils. Berne la blâma et mit au renouvellement de son alliance la condition que l'Évangile pût être librement prêché. « C'est notre devoir, dirent les Seigneurs de Berne, de veiller à ce que de pauvres brebis, avides de la divine pâture, ne meurent pas faute d'aliment. » Et ils firent savoir à Farel, qu'ils le verraient sans déplaisir porter ses pas vers les deux cités.

C'était en mars 1532. Farel arriva dans Avenches muni de la patente qui l'autorisait à prêcher l'Évangile chez les amis de Berne. Quelques personnes se montrèrent disposées à l'écouter; mais le peuple s'émut, le menaça et l'obligea de quitter la ville. Berne ne tarda pas à témoigner sa surprise d'une conduite aussi peu sage. « Elle voulait bien, pour cette fois, laisser la chose être ainsi; ce néanmoins elle priait ses discrets amis d'Avenches, et elle les avertissait très acertes d'y mettre ordre et d'avoir regard à ce que Berne, ni ses serviteurs, ni la foi de Jésus-Christ ne fussent persécutés dans leur ville, autrement y mettrait l'ordre nécessaire. » Fribourg, de son côté, promit aux catholiques bon appui. L'Évêque loua bien fort ses sujets « de s'être montrés vertueux, bons et vrais chrétiens, et pour ne les laisser sans guide, il leur envoyait un sage docteur, qui sût leur montrer ce qui est profitable et leur apprendre à remporter la gloire du paradis. » Mais le docteur ne fut pas plutôt arrivé que Farel se présenta et demanda d'être admis à disputer avec lui; ils se rencontrèrent, se prirent de querelle; le moine traita Farel d'hérétique, Farel voulut le tirer en droit pour avoir occasion de le convaincre d'enseigner une fausse doctrine; l'intervention des Seigneurs de Berne ne réussit qu'avec peine à apaiser le différend.

Cependant des scènes semblables avaient lieu à Payerne où l'Évangile avait aussi pénétré. L'évangéliste qui y avait prêché le premier avait été honni, maltraité et rejeté. Tout s'était réuni pour étouffer dans leur germe les premières semences de la réforme, les magistrats, les moines, l'assistance de Fribourg, les encouragemens du Conseil de Moudon et la sérieuse intervention du Duc et du Bailli de Vaud, qui commandaient au nom de la loi. Le décret des États qui condamnait Luther et ses doctrines avait été publié dans toutes les villes de la patrie de Vaud ; et ce décret, il était dans les devoirs du Bailli de le faire exécuter. Comme il y travaillait, Berne lui écrivit : « Nous distinguons entre deux ordres de choses; nous reconnaissons que dans tout ce qui tient à l'ordre matériel et à biens de la terre, le Duc a, comme seigneur, tout droit sur ses sujets, et nous exhortons ceux-ci à remplir scrupuleusement leurs devoirs envers leur prince; mais dans tout ce qui regarde la conscience et la religion, nous vous prions, et chacun, de laisser en paix quiconque souhaite d'entendre la Parole de Dieu, et spécialement nos frères de Payerne ; car si vous les persécutiez, vous nous mettriez dans le cas de nous souvenir que nous avons avec eux une alliance beaucoup plus ancienne que celle qui nous unit à la maison de Savoie. »

En même temps que les Seigneurs de Berne tenaient ce langage au représentant du duc de Savoie, leurs députés faisaient de graves remontrances aux magistrats de Payerne. On parut les écouter; les Payernois promirent de laisser cours à l'Évangile et liberté à ceux qui le professaient. L'alliance avec Berne fut renouvelée sous cette expresse condition.

Mais dès que les députés furent partis, la persécution recommença. C'était en 1532. Les réformés avaient été malheureux dans la guerre de Cappel. La paix, qui l'avait suivie, avait été dictée par les catholiques. Au mois de juin, le Duc de Savoie visita son Pays-de-Vaud et vint jusques à Payerne donner encouragement aux défenseurs de la vieille foi. Alors les Payernois cessèrent de s'inquiéter des menaces de Berne; ils chassèrent un cordelier qui prêchait dans leurs murs contre les erreurs de l'église romaine ; ils bannirent le pasteur des évangéliques, jetèrent quelques-uns d'entr'eux en prison et renvoyèrent de nouveaux députés de Berne avec de bonnes paroles. « Ils sont trois fois plus que nous, écrivirent en ces temps fâcheux à leurs frères de Genève les amateurs de la Sainte Évangile en Payerne, et tout ce qui nous entoure nous est contraire; nous n'en avons pas moins mis tous une plume de coq à nos bonnets à l'arrivée du Duc, pour lui bien faire connaître ce que nous sommes; et quoique pressés de jour en jour davantage, nous n'abandonnons pas l'espérance que, ni vous, ni Messieurs de Berne ne sauraient abandonner ceux qui veulent vivre selon l'Évangile. »

Le secours vint, mais non de Berne, d'où ils l'attendaient. Un homme leur arriva, vers la fin de septembre, sans pouvoir et sans apparence. C'était le fils d'un tondeur de drap de la ville d'Orbe. Il avait nom Pierre Viret. Né en 1511, il avait 20 ans lorsque, touché de la malheureuse situation de ceux de Payerne, il porta ses pas vers eux. Il avait achevé à Paris ses études commencées dans sa ville natale. Faible de corps, Viret a dans l'esprit une richesse et une facilité singulières. Puis il y a chez lui tant de douceur, tant de persuasion, tant de grâce, qu'il est tout d'abord le bien venu d'un chacun. Sa grande instruction se répand dans sa conversation sans recherche et sans effort. Farel a été l'instrument dont la Providence de Dieu s'est servie pour lui faire connaître l'Évangile, et dès qu'il a eu reçu ce trésor, abandonnant volontiers le reste, il n'a plus songé qu'à le répandre. Il a commencé par sa ville natale, où il a prêché pour la première fois le 6 mai 1531. Puis, répondant au désir de MM. de Berne de voir l'Évangile de la réforme annoncé parmi leurs sujets et parmi leurs alliés, il s'est rendu à Grandson et le voici maintenant qui vient à Payerne comme messager de Jésus-Christ. Il calme, il relève, il console, Il donne l'exemple de la douceur unie à un grand courage.
Les temples lui étant fermés, c'est dans les maisons qu'il enseigne. Une sédition s'étant élevée, il se retire pour un peu de temps et revient dès que le calme a reparu. Tous les jours il explique l'Évangile; tous les jours il dispute avec les moines. Dès lors nous avons vu l'Église réparer ses brèches et ne cesser de s'accroître malgré les persécutions. Depuis le départ de Viret (janvier 1533), ses progrès ne se sont pas ralentis. Un jour Farel est venu, et trouvant les temples fermés, il s'est mis à prêcher sur le cimetière au peuple réuni; mais le Conseil s'étant présenté, le banderet en tête, a mis promptement un terme à son prêche et l'a jeté lui-même en prison (juin 1533). Depuis lors, à Avenches comme à Payerne, l'état des choses n'a que peu changé. On a continué dans les deux villes de persécuter l'Évangile. À Avenches, on menace Antoine Bonjour et le reste des réformés de les exclure, s'ils persévèrent, des droits de la bourgeoisie. À Payerne, on impose de fortes amendes à qui se marie ou fait baptiser son enfant selon la loi de Dieu. Tous les jours des députés vont à Berne, ou en viennent, pour remédier à quelque nouveau différend. La présence de Viret est venue mainte fois consoler et raffermir son église, jusques à ces derniers temps, que MM. de Berne l'ont cédé aux évangéliques de Genève, qui le leur demandaient avec d'instantes sollicitations. Les lettres dont je vous ai donné l'extrait achèvent de vous retracer notre état présent. (2)

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GENÈVE, 30 MARS.

Nouvelles des Conseils. Ce sont hommes fort sages et fort prudens que MM. des Conseils de Genève. De MM. les syndics, trois passent pour amis de la réforme; mais vous ne les verrez rien faire témérairement, ni d'eux-mêmes, sans bon avis de leurs collègues. Placés entre les prêtres et les prêcheurs, entre ce qui était et ce qui sera, ils mettent un grand soin à tenir la réforme bien en bride et à ne pas se laisser emporter à son mouvement. Mais je n'ai grand besoin de vous dire ce que les faits se chargeront de vous montrer. (3)

Trois affaires ont, durant cette quinzaine, occupé plus particulièrement l'attention des Conseils, celle des bouchers, celle de la vénéfique qui a tenté d'empoisonner Viret, et les provocations de quelques-uns de ceux de la réforme.

Les bouchers à Genève, comme ailleurs, sont pour la plupart mécontens de la réforme et de tout ce qui se passe. Comme les fêtes de Pâque approchent, on les a fait venir et on leur a demandé s'ils fourniraient la ville de viande et à quel prix? - «Nous fournirons la viande, ont-ils répondu, mais dire à quel prix nous ne le pouvons, parce qu'on ne trouve pas de bêtes. » - Là-dessus on a avisé de publier que qui voudrait donner le boeuf pour 6 deniers vînt ce faire inscrire et on a résolu d'assembler les Deux-Cents.

Le même jour, 16 mars, Pierre Levet, Claude Curtet, Pierre de Verrier, Magnin, Monnet, Collomb et d'autres en grand nombre sont venus demander d'avoir un prédicateur pour leur prêcher tous les jours l'Évangile en St-Gervais, où ils demeurent; « parce que, disent-ils, il y a du danger que les ennemis, répandus autour de la ville, n'exécutent quelque entreprise pendant qu'ils écoutent le sermon à Rive; il ne leur importe que M. le vicaire nomme le prêcheur, pourvu qu'il leur soit agréable. » - On répond qu'on y avisera.

Le lendemain 17, les Deux-Cents se sont assemblés à l'occasion de ceux de St-Gervais qui demandaient un prédicateur et à cause des bouchers. La première affaire ayant été longuement discutée, on a arrêté que pour le moment, il suffit de ceux qui prêchent; quant aux bouchers, qui ne veulent pas servir convenablement la ville, on a décidé de faire une crie selon la proposition du Conseil ordinaire.

Le 19, les bouchers ont déclaré ne pouvoir fournir la viande au prix demandé; alors sont entrés des citoyens en grand nombre promettant de la donner à ce prix; mais bientôt les bouchers de la grande boucherie ont fait savoir qu'ils acceptaient les conditions qu'on leur avait faites, et la ferme leur a été accordée.

Le 17, Jean Sourd, prisonnier pour avoir détruit une image, a été condamné à en payer la valeur.

Le 29, Cologny et Claude Jaquard ont été condamnés à la même peine et mis au pain et à l'eau, pour avoir abattu le St-Grégoire du couvent des Cordeliers. On a de plus fait des remontrances à Cologny, qui, les jours de fête, travaille et tient sa boutique ouverte.
En même temps le Conseil, prenant la voix publique ou considération, s'occupe du choix d'un logement pour les prédicateurs. On parle de leur donner un appartement au couvent de Rive.

Passons au procès d'Antoina, la vénéfique. Le Conseil s'est formé en cour de justice pour interroger la malheureuse, pour la torturer et pour la faire confesser. L'enquête a présenté les résultats suivans :

Elle avoue avoir commis plusieurs larcins.

Item, elle déclare qu'un nommé Jérôme, barbier, (chirurgien), de l'évêque de Maurienne, après plusieurs paroles, l'avait engagée à empoisonner les prédicateurs.

Item, elle confesse que le samedi, 8 mars, elle bouta du sublimé dans la soupe de maître Viret, qu'elle lui avait cuisue d'épinards à part, pour son estomac; lequel Viret en mangea devant elle, ainsi accoutrée, combien que jamais ne lui eût fait déplaisir.

Item, en voulait bien faire autant à maître Guillaume; mais pour ce qu'il voulut de la soupe du ménage qui était claire, elle n'osa y mettre du poison.

Item, elle avoue qu'ayant été déchassée pour quelques larcins, elle s'était retirée chez le chanoine Gruet, qui lui avait précédemment donné cet avis : « Fais, fais hardiment et ne te soucie; » mais le chanoine n'était plus en sa maison. »

Interrogée si elle avait jamais usé, ni vu user auparavant de ce poison, elle a raconté trois histoires des plus lamentables, de maris empoisonnés par leurs femmes et de maîtres par leurs serviteurs, et elle a conclu par inviter MM. de Genève à être sur leurs gardes contre leurs serviteurs, parce qu'il se démène beaucoup de pratiques.

Ce sont les confessions de cette pauvre femme. Nous n'essaierons pas d'en sortir le vrai. On dit qu'elle fait grand bruit contre les bonnets ronds qu'elle accuse de sa perte. Le peuple est fort indigné contre elle. Les réformés sont persuadés que leurs adversaires avaient eu d'abord le projet d'empoisonner le pain de la cène, pour les faire tous périr à la fois; ils croient aussi que le Conseil, dans le but de ménager encore l'Évêque, garde le secret sur une partie des révélations d'Antoina. (4)

- À ces nouvelles nous ajoutons celles que nous recevons par Froment et par la soeur de Ste-Claire. La soeur nous raconte les bruits du couvent pendant la semaine sainte. « Jeudi, vendredi et samedi, nous dit-elle, sonnèrent leurs prêches plus longuement qu'en aucun autre temps, pour ce que les cloches ne devaient point sonner ces jours-là, selon l'ordonnance de la sainte mère Église. Le jour de Pâque tous ces hérétiques ont été faire leur cène le matin au couvent, les hommes y menant leurs femmes. Mais il y a beaucoup d'entr'eux que leurs femmes sont bonnes chrétiennes, et pour maintenir la sainte foi celles-ci sont plus que martyres, car elles sont grièvement battues et tourmentées. De tout temps les femmes, et surtout les jeunes, se sont montrées plus fermes et plus constantes en la foi que les hommes et se montrent viriles contre ces luthériens. Parmi lesquelles il en est trois que leurs maris avaient enfermées, tandis qu'ils allaient au sermon, et qui, d'un vertueux courage, sont descendues les unes après les autres d'une fenêtre, et toutes trois sont allées recevoir la messe en grande dévotion, et jamais leurs maris n'en sauront rien. »

- Froment écrit: « Nous voici au troisième acte des trahisons faites dessous terre par les prêtres, et déjà deux fois' ils se sont trouvés, comme le dit le prophète, n'avoir tissu que des toiles d'araignées. L'automne dernier que nous étions faibles encore, ils avaient donné à entendre au menu peuple que Notre-Dame avait apparu au curé de St-Léger, et lui avait dit que si l'on faisait une grande procession, jusques à notre Dame-de-Grâce (au confluent du Rhône et de l'Arve), les luthériens en crèveraient. Ils firent venir des gens de trois lieues à la ronde et de plus loin, de tous côtés, des Savoisiens beaucoup. Les pauvres gens, hommes, femmes, enfans arrivaient de toutes parts, chantant en langue savoisienne: « Mare dé Di, prié per no; » et Baudichon les voyant passer, se mit à chanter aussi et disait : « Frare Farel, prezy todzo. » Tout à coup certaine procession venant du côté de Thonon, de l'abbaie de Filly et lieux circonvoisins, entra dans la ville; c'était l'heure que le sermon se disait, et ils arrivèrent jusqu'à l'Eglise de Ste-Claire; mais là (nous avions eu avis) se rencontrèrent des nôtres, Ami Perrin, Jean Golle et bien d'autres qui les repoussèrent si rudement qu'ils pensèrent en être tous morts de la frayeur qu'ils en eurent: leurs gonfanons furent déchirés, leurs croix et reliques jetés à terre; et les firent bel et bien passer hors de la ville, tout autour des murailles, et aller faire leurs dévotions à Notre-Dame-de-Grâce, se déportant pour lors de ce qu'ils avaient délibéré contre nous.

Le second moyen que les prêtres ont secrètement mis en oeuvre contre les prêcheurs et leurs adhérens, vous le savez, c'est de les empoisonner pour les faire tous mourir; or Dieu n'a voulu qu'ils parvinssent à exécuter telle entreprise.

Sur ce, se sentant fort pressés de la Parole de Dieu que l'on prêche à Genève, et voyant leur ruine approcher, ils ont fait comme ces malins esprits que notre Seigneur chassait du corps des démoniaques, et ils ont imaginé un troisième et dernier refuge pour détruire la ville, qui est de lui faire la guerre. Ils se sont donc adjoints à l'Évêque et aux autres ennemis de Dieu. L'Évêque a attiré à lui tous les citoyens compris au catalogue des traîtres de Genève, et il a pris la charge de commencer la guerre en son nom, à la suasion du duc de Savoie. Il a tout d'abord transporté son siège épiscopal à Gex; puis il y a fait grande assemblée de prêtres, non pour disputer de la Ste-Écriture, mais pour excommunier ceux qui entendent prêcher ou qui parlent aux prêcheurs, et pour se cotiser afin de soutenir les frais, missions et charges de guerre. Puis, petit à petit, il a assemblé des gens à ses deux châteaux de Jussi et de Peney, aux deux côtés de la ville. Les gentilshommes du Duc ont de leur part mis garnison à son château de Gaillard; si que l'on ne peut plus sortir de Genève, que le chemin n'est assuré à personne à 3 ou 4 lieues alentour et que nul n'ose plus passer, pas même les postes du roi de France. Des marchands du Valais, sans parler de tant d'autres, viennent d'être détroussés et leurs marchandises pillées. Ainsi font ces Peneysans. J'aurai bientôt à vous raconter ce qu'auront fait les Genevois pour punir et arrêter leurs brigandages.

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NOUVELLES DIVERSES.

L'illustre Bullinger, pasteur de Zurich, vient de faire parvenir à son ami, le bailli Haller, de Lentzbourg, une lettre qu'il a reçue de Coire, du 14 mars. Suivant cette lettre, de nombreux lansquenets filent vers l'Italie. Le châtelain de Musso a été à Inspruck, il est à Hohen-Embs; il est partout, infatigable dans sa haine contre les Suisses. Les Grisons craignent pour la Valteline. Les nouvelles d'Allemagne font mention de la levée de 20,000 soldats. Berne continue d'observer avec inquiétude les mouvemens des troupes impériales.

Les craintes de Berne expliquent sa circonspection. Ses alliés, qui ne sont pas accoutumés à la voir lente ni timide, en ont conçu beaucoup de défiance. Nous savons, de bonne part, que MM. du Conseil de Genève, à la lecture de la dernière lettre de Berne, qui les invitait à ne point compter sur elle « vu les périls où elle se trouvait elle-même par aventure », (voyez Chroniqueur page 44) ont éprouvé une grande surprise et une grande frayeur. Ils se sont demandé si la seule ressource humaine qui leur restait allait leur manquer et, détournant déjà les regards de Berne, ils les ont secrètement portés vers la France. Nous sommes bien informés qu'ils négocient avec le Roi par l'entremise de quelques particuliers. Les négociateurs ont été fort bien reçus et le Roi leur a offert, 1° d'être déclaré Protecteur de Genève ; 2° de livrer 2,000 écus aux Genevois pour les aider dans leur nécessité; 3° de leur donner annuellement 2,000 écus d'or pour la réparation de leurs murs; 4° de leur laisser leurs magistrats et leurs coutumes, et enfin de les laisser vivre en leur religion, jusqu'à la conclusion du concile qui se prépare.

À l'intérieur Berne est gravement occupée de la question des Anabaptistes ou dissidens. Tout se rencontre dans l'anabaptisme. Le même nom sert à désigner ces hommes simples qui ne réclament la séparation du civil et du religieux que pour offrir plus librement à Dieu le culte du coeur, ces hommes au coeur ardent pressés de voir les doctrines de l'Évangile appliquées au soulagement des classes souffrantes, et ces fanatiques insensés qui, après avoir troublé la Suisse et l'Allemagne méridionale, prêchent aujourd'hui dans le Nord, la communauté des biens, l'abolition du mariage et le renversement de l'ordre social.

Le peuple gémit presque en tous lieux sous un joug si pesant, son ignorance est si grossière, son sommeil était si profond , que son réveil a dû tenir du délire. Aussi que d'états déjà ébranlés, que de sang, répandu, que de ruines amassées! Il n'est pas surprenant qu'on voie, à ce seul nom d'Anabaptistes, les Gouvernemens s'émouvoir et recourir aux mesures les plus sévères. Berne, il y a cinq mois, voyant le nombre des dissidens s'accroître, appela dans son inquiétude les ministres de la capitale, et les trente-cinq baillis de ses terres à venir délibérer mûrement sur les moyens à employer pour la sûreté de l'état.

« Que ferons-nous pour nous débarrasser des sectaires, demanda-t-elle d'abord aux pasteurs?» Elle s'attendait qu'ils opineraient pour la peine de mort, mais ils furent d'un tout autre avis. « La première cause du mal, dirent-ils, est dans les vices de l'Église. Que l'Église s'épure, que les magistrats se réforment, et les sectaires cesseront d'appeler les pasteurs de faux prophètes et d'affirmer qu'un chrétien ne peut occuper de charge dans l'état. Usez donc de douceur, ne montrez pas envers les Anabaptistes une sévérité que vous déployez pas contre les sectateurs de l'Église de Rome; n'oubliez pas que la foi est un don de Dieu et réservez la rigueur des châtimens pour les cas où les dissidens se seront montrés transgresseurs de la loi civile. » - La manière de voir des pasteurs et celle des magistrats, qui inclinaient pour la sévérité se fondirent tant bien que mal dans un décret (8 novembre 1534) qui commençait par le respect des Conseils pour la liberté de conscience et pour l'élection de Dieu, et qui finissait par ordonner à tout sujet de Berne d'aller écouter son pasteur, de célébrer la cène trois fois l'an, de faire bénir son mariage dans le temple et de faire recevoir son enfant, par le baptême, dans l'église extérieure. La peine était celle du bannissement. La difficulté était de la mettre à exécution. Les Anabaptistes ne veulent ni se soumettre, ni quitter le pays. Il fallait donner force à la loi. C'est ce que leurs Excellences viennent de faire par une déclaration du 14 mars, qui condamne les réfractaires, anabaptistes ou papistes, à 8 jours de prison à Berne, à être conduits ors du Canton s'ils persévèrent dans leur désobéissance, et à la peine de mort s'ils enfreignent leur arrêt de bannissement. Les hommes auront la tête tranchée et les femmes seront jetées à l'eau. (5)

 

SOURCES:
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1. Archives de Berne. -
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2. Ibid. Archives de Genève. Ruchat. Ses manuscrits. -
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3. Ces réflexions sont de Froment. -
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4 Archives de Berne. Rapport des ambassadeurs bernois. -
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5 Ruchat. Arch. Bern. Vie de Haller.

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REVUE DU PASSE.

LA RÉFORME A AIGLE.
(SECOND ARTICLE.)

 

« Et certes, ne nous semble raisonnable que nos sujets soient si présomptueux de vouloir nous gouverner »

L'édit de réformation avait été publié ; mais le peuple presque entier des quatre mandemens le rejetait. Ses voisins du Valais et des pays de Savoie l'encourageaient dans sa désobéissance, et Félix de Diessbach et Jean de Rovéréa, gouverneurs de la province, manquaient ou de la bonne volonté ou de la force nécessaire pour faire exécuter la loi de leurs Seigneurs. Farel de retour de Berne monta la chaire; mais comme il prêchait, le tambour se fit entendre; les citoyens s'assemblèrent autour du temple, et leurs cris tumultueux couvrirent la voix du prédicateur. Le syndic d'Aigle animait les citoyens et le vicaire, Gme Orsinier, opposait à Farel toute la force de sa voix. Des députés ne tardèrent pas à arriver de Berne; ils exprimèrent la surprise de leurs Seigneurs de ce que « leurs gens d'Alie tournaient leurs ordres en dérision et leurs mandemens en mépris. Qu'est-ce que ces secrètes et féroces assemblées où l'on machine contre nous ? Qui sont-ils ces hommes qui détournent le simple peuple par dol et par menaces, qui le dévient de soi faire obéissant et semblable à nous, en ouyant la Parole de Dieu et en déposant la messe et les idoles? Ce sont choses qui exorsent d'un mauvais fondement et que nous ne permettrons pas. Nous voulons que Farel soit tenu en sûreté, qu'il prêche libéralement (librement) la Parole de Dieu, que des biens d'église il soit pourvu à sa chevance, en boire et manger, accoutrement de son corps et autres choses nécessaires. Et certes, ne semble raisonnable à nos Seigneurs que leurs sujets, hommes et femmes, prêtres et laïques, s'opposent à eux et soient si présompteux de vouloir les gouverner, ce que nullement ne souffriront. Nous vous avons dit leur vouloir. »
Les députés convoquèrent ensuite le peuple des quatre mandemens, et l'invitèrent à se prononcer sur la question de l'édit. De quelle manière recueillirent-ils les suffrages? Nous l'ignorons; mais dans les paroisses d'Aigle, d'Olon et de Bex, la réforme obtint la pluralité des voix. Les Ormonans ne se laissèrent pas ébranler. Dans les trois paroisses qui venaient d'accepter l'édit, on se hâta de procéder au renversement des autels et des images. Puis les députés se retirèrent. Ils étaient à peine de retour à Berne que des envoyés de Noville, de Chessel et des quatre mandemens, s'y présentèrent, demandant comme une grâce spéciale de pouvoir conserver les sacremens et la messe.

On apprit bientôt après qu'une émeute avait eu lieu à Olon, et que les femmes du village avaient assailli et maltraité Farel. Des gens de Bex s'opposaient au renversement des images. Ce n'était qu'un cri dans la contrée sur la tyrannie de Berne. Farel, après avoir été long-temps seul au combat, avait écrit en divers lieux et demandé des compagnons d'oeuvre ; se rendant à ses sollicitations, des amis de l'Évangile étaient venus se joindre à lui; c'étaient Déodat, Caméral, Guillaume Du Moulin, Simon Robert; ce dernier, homme éprouvé par l'affliction, avait laissé sa femme alitée et les chances d'un meilleur avenir pour accourir à la voix de Farel; mais ces nouveaux prédicateurs étaient repoussés en tout lien. Farel lui-même était interrompu quand il prêchait. « Faites-moi connaître le notaire qui a signé l'Évangile? » lui demandait le sieur Claude Melliat. Antoine Nicodey alla jusqu'à renverser la chaire. Le fils Veillon disait à haute voix, en plein marché, que « les dix articles ne renfermaient que menteries et que les adversaires de la réforme n'avaient joui d'aucune liberté à la dispute de Berne. » Les envoyés bernois avaient eu pitié des pauvres gens des Ormonts et leur avaient donné jusques à Pentecôte pour se déterminer à recevoir l'édit. quand la Pentecôte fut arrivée les Ormonans déclarèrent qu'ils prendraient plutôt un autre seigneur que de renoncer à leur foi. Les mécontens s'assemblaient en grand nombre et prenaient les résolutions les plus hostiles. On persuadait aux citoyens que les derniers députés de Berne avaient été les envoyés de trois ou quatre conseillers, sectateurs de Luther, et que le sénat se garderait de les appuyer; on affirmait le savoir de la bouche d'Adrien de Boubenberg. Les moeurs continuaient d'être déréglées, sans qu'on se mît en peine du mandat de réformation. Des personnes en grand nombre allaient hors du pays écouter la messe, se confesser et présenter leurs enfans au baptême. À Pâque, Jean Bioley s'enhardit jusqu'à dire la messe de nouveau. Pour surcroît de désordre, quelques réformés crurent lire dans l'Évangile le précepte de la communauté des biens et se refusèrent à payer les censés et les dîmes; à les entendre c'était Farel qui les avait enseignés ainsi.

Alors, il en était temps, Berne comprit que la situation de la province demandait l'emploi de mesures sévères et l'envoi d'un gouverneur qui aimât la réformation et réunit le tact à l'énergie. Or Berne avait dans les frères Sébastien, Jean Rodolphe et Franz Naegueli, trois hommes sages, prudens et fermes. Leur père avait fait son chemin à la tête de ces bandes intrépides qui, dans les guerres d'Italie, ont élevé si haut la réputation de courage des Confédérés; il avait perdu la vie à la Bicoque.
Ses fils, suivant ses traces, ont pris place au Conseil et dans les camps parmi ce que la république a de plus illustre. Franz et Sébastien ne tarderont pas à se faire connaître à nos lecteurs.

Cette fois ce fut Rodolphe que le Conseil choisit pour remplacer à Aigle J. de Rovéréa, pour y ramener l'ordre et pour y faire recevoir l'édit de réformation. On lui adjoignit une députion choisie, de laquelle faisaient partie Jaques de Watteville, Jaq. Wagner et Nicolas Manuel. Ils arrivèrent à Aigle avec le mois de Juillet (1528). Une enquête sévère leur fit connaître les auteurs des troubles et Berne ne fit grâce à aucun d'eux. Ceux des préposés des communes qui avaient favorisé les assemblées séditieuses furent déposés de leurs charges. Ces assemblées furent défendues sous les peines les plus graves. Les femmes qui avaient maltraité Farel et les hommes qui les avaient excitées furent frappés d'une amende de 5 florins par personne. Le sieur Melliat fut puni de la même peine. Nicodey avait pris la fuite. Gamant, qui avait dit avoir appris de la bouche de Farel que l'Évangile affranchissait le peuple des censés et des dîmes, fut condamné à se rétracter et à payer 10 florins. Les vicaires furent chassés du pays. Les propriétaires des bénéfices furent déclarés dépossédés par le principe de la réforme de ne pas permettre à un pasteur d'avoir plus d'une paroisse.

« Il est mal à vous, écrivirent les Seigneurs de Berne à l'un d'eux qui était le chanoine Grand de Lausanne, propriétaire de la cure des Ormonts, il est mal à vous de sommeiller tandis que vous abandonnez votre troupeau, et de tondre les brebis que vous laissez errer à l'aventure, sans pâture et sans berger. » Les cures furent données à des ministres de l'Évangile; celle de Bex à Simon Robert, celle de Noville à Guillaume Du Moulin, celle des Ormonts à Jaques Caméral. Berne laissa aux pasteurs le choix d'une paie de 200 florins de Savoie, ou du revenu que retiraient leurs prédécesseurs des censés, dîmes et fonds de terre qu'ils possédaient ; ils choisirent la dernière part. Pour enlever au peuple tout espoir d'un retour à l'ancien ordre de choses, le Gouverneur acheva de raser les autels, de livrer aux flammes les idoles et de faire enlever les tableaux qui décoraient les murs des temples. Ainsi s'exécuta l'édit de réformation; Bex ploya la première, puis Aigle, puis Olon. La plaine était soumise, mais les Ormonans continuaient à refuser d'obéir, aucun d'eux ne voulait prêter l'oreille au pasteur qu'on leur avait envoyé. Ce pasteur écrivait à Farel ; « Je n'y puis tenir, j'y perds et mon temps et ma peine, je n'attends que le jour où il plaira au Seigneur de me sortir d'ici. » Aux yeux des montagnards, aucun crime n'égalait celui d'avoir renversé un autel ou brisé une image. C'était vainement que le Gouverneur employait tour à tour envers eux la douceur et les menaces; ses messages étaient méprisés, ses envoyés ne remportaient que trufferies et grosses paroles.
Les conseils qu'il faisait donner aux Ormonans par leurs bons frères de la plaine ne trouvaient aucune entrée. Il ne lui resta que de faire savoir à Berne l'inutilité de ses efforts. Les Seigneurs de Berne écrivirent eux-mêmes « aux syndics et tous patriotes (paysans) des Ormonts de dessus et de dessous la Joux : » (Ob und Nid dent Wald) « Nous vous mandons et commandons que vous vous fassiez conformes à nous et à nos autres sujets, en acceptant l'Évangile et délaissant les cérémonies des hommes, qui n'ont pas de fondement en la Sainte Écriture, ains ont été controuvées par l'avarice des prêtres, à la grande perdition des hommes. Nous ne voudrions vous commander chose qui fût contre Dieu. Serait donc bien étrange que dussiez demeurer en désobéissance et vous montrer rebelles à Dieu premièrement et à nous vos supérieurs. Quel profit pour vous s'ensuivrait, ce pouvez considérer. » - Nouvel effort qui ne brisa point l'obstination des hommes de la montagne. Enfin, cependant, le temps, l'instruction, la sévérité et la patience finirent par triompher de leur attachement à leurs coutumes et à leurs superstitions; les idoles de Ste-Marie, de St-Théodore, de St-Maurice et de St-Hillaire disparurent les unes après les autres et furent remplacées par les vivantes images que le pasteur empruntait aux récits de l'Ancien et du Nouveau-Testament.

Voilà donc la réforme assise dans les quatre Mandemens; la force lui avait frayé le chemin; mais elle ne tarda pas à se légitimer par des bienfaits; les intelligences se développèrent, les moeurs s'épurèrent et s'adoucirent, l'Évangile ouvrit ses sources de paix et lorsque, deux ou trois ans après, les gens du Pays-de-Vaud venaient à Aigle, curieux de savoir ce qu'étaient les doctrines nouvelles, ils étaient fort surpris d'entendre dire, que ces doctrines, si décriées, n'étaient autres que celles de l'Évangile, dégagées de ce que le cours des temps y avait apporté d'alliage.


Table des matières

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Noms propres de cette page:

Adrien - Aigle - Alie - Allemagne - Anabaptistes - Antoina - Antoine - Arve - Avenches -

Baudichon - Bern - Berne - Bex - Bioley - Blanche - Bonjour - Boubenberg - Bullinger -

Caméral - Cappel - Chessel - Christ - Claude - Cordeliers - Corniollier - Cully -

Déodat - Diessbach - Dieu - Dobte -

Embs - Évangile -

Farel - Favres - Félix - Filly - Forestey - France - Franches - Franz - Fribourg - Froment -

Gaillard - Gamant - Genève - Genevois - Gervais - Gex - Golle - Grandson - Grandvaux - Grisons - Gruet - Gruyériens - Guillaume -

Haller -

Isaïe - Italie -

Jaquard - Jaques - Jean - Jérôme - Jésus - Joux - Jussi -

Lentzbourg - Levet - Loës - Lutry -

Magnin - Maurice - Maurienne - Melliat - Michel - Montaignye - Montfaucon - Morat - Moudon - Moulin -

Naegueli - Nardin - Neuchâtel - Neuville - Nicodey - Nicolas - Noville -

Orbe - Ormonans - Ormont - Ormonts -

Paris - Payerne - Payernois - Peney - Peneysans - Pentecôte - Perrin - Pierre -

Rhône - Riez - Robert - Rodolphe - Rome - Rovéréa - Ruchat -

Savoie - Savoisiens - Sébastien - Simon -

Testament - Théodore - Thonon - Turte -

Valais - Valteline - Veillon - Vevey - Viret - Vully -

Wagner - Watteville -

Zurich -

 

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