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TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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(Jean 17.17)
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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.

PAYS ROMAND.

La réforme comme on l'entend et la pratique au Pays-de-Vaud
La réforme à Aigle

Noms propres de cette page

FEUILLETON DU CHRONIQUEUR.
- Les événemems de Genève durant les derniers mois comme on les raconte au couvent de Ste. Claire

GENÈVE (Extrait du registre du Conseil). 2 mars.

Un médecin de la ville donne avis qu'il a ouï dire que l'Évêque doit venir à Gex et que le Duc a une grande armée de lansquenets.

Le 5. On donne au prédicateur de St-Germain 50 fascines et 3 livres de chandelles.

Le 9. Quelques citoyens ont abattu l'image de St-Jean-Baptiste du couvent de Notre-Dame et ont rompu la lampe du grand autel. - Arrêté que M. le Lieutenant en prenne information, après quoi on en fera justice.

- Nouvelles des prédicateurs communiquées par Froment. Je ne veux laisser passer ce jour sans vous parler du nouveau crime de nos adversaires. Et d'abord que je vous dise qu'aussi long-temps que Farel, Viret et moi avons demeuré à l'hôtel de la Tête-Noire, avec les ambassadeurs de Berne, nous étions bien mal agréables à l'hôte, en sorte qu'il eut été content si nous nous en fussions allés sans payer et si loin que jamais il ne nous eût revus. Et voulant nous faire tort, ses gens avaient répandu le bruit qu'il y avait à Genève trois diables, et que ces trois diables avaient logé au corps d'une dame de Chambéry et en avaient été chassés, et que la nuit, quand ils allaient se coucher, on voyait des chats noirs qui couraient dessus les tables et qu'on les avait vus par le pertuis de la porte. Les moines le prêchaient ainsi aux pauvres gens, afin qu'ils ne vinssent pas nous entendre, et disaient de ces trois diables en rime parisienne : « Faret farera, Viret virera et Froment on le moudra; cependant Dieu nous aidera, et le diable les emportera. » Et les pauvres ignorans le croyaient comme chose véritable, de quoi les prêtres et leurs adhérens faisaient leurs choux gras; mais à la fin tout est venu en fumée et chacun a connu que la chose était inventée, comme auparavant, aux lieux où Farel avait prêché, qu'il n'avait point de blanc aux yeux, qu'à chaque cheveu de sa tête se tenait un diable avec des cornes, qu'il avait des pieds comme un boeuf et était fils d'un juif de Carpentras.

Mais après le départ des ambassadeurs de Berne, ne jugeant pas pouvoir habiter davantage chez l'hôte de la Tête-Noire, nous avons été reçus à demeure chez Claude Bernard, l'un des plus apparens citoyens de Genève et des plus affectionnés à la réformation. Et cependant nous continuions de prêcher au milieu de beaucoup d'empêchemens, de maux et de trahisons.

Les Genevois de leur côté, bien que pressés par leurs adversaires et au milieu de grandes menaces de guerre, nous écoutaient non-seulement en public, et dans les assemblées qui se faisaient çà et là; mais aussi dessus les murailles, au guet; et tandis qu'autrefois, dans leurs précédentes guerres, les soldats avaient des femmes de mauvaise vie, la nuit, il y avait aujourd'hui quelqu'un des prêcheurs qui leur enseignait la crainte de Dieu et tout se convertissait en bien. Tellement qu'en ces assemblées on peut dire qu'il a été gagné à l'Évangile plus de citoyens de Genève que dans les prêches publics; car un chacun familièrement et librement objectait, répliquait, en sorte qu'ils étaient plus satisfaits en leurs coeurs des choses sur lesquelles ils doutaient. Et ainsi en grande douceur, ils étaient gagnés à la doctrine évangélique. Et quand il s'en trouvait de fort rebelles, les voisins, les amis, les parens les allaient détirer, les conviaient à boire et à manger pour parler plus familièrement, et appelant les prêcheurs, ils faisaient leur étude de les gagner à la Parole. Et s'il y en avait qui eussent des parens prêtres ou nonnains, ils tâchaient de les en sortir, comme firent Baudichon, Claude Bernard, Pierre Vandel et plusieurs autres. Et ceux qui étaient gagnés se mariaient et vivaient fort honnêtement en mariage.

Le premier qui se maria ce fut Louis Bernard, frère de Claude, un bel homme, excellent chantre et l'un des douze de la Cathédrale. Un jour après avoir assisté au sermon il se leva et dit à haute voix qu'il voulait être de l'Évangile, et soudain, il se dépouilla de sa robe de prêtre, se montre en cape espagnole; tous les réformés lui allèrent faire la révérence, puis il laissa la chaterie et les 900 florins et plus de son bénéfice, et il épousa une jeune veuve.

Ainsi donc les choses avançaient dans Genève malgré les calomnies et les empêchemens des adversaires; mais les prêtres, se voyant frustrés de ce qu'ils espéraient de leurs ruses, ont soudain eu recours à un bien malheureux moyen. Ils ont inventé une entreprise, mieux coloriée que la première, c'est à savoir d'empoisonner les trois prêcheurs, pensant qu'étant les trois morts ils eussent bientôt tout gagné. Ils ont donc, par subtils moyens, attiré à eux la femme de Louis le tondeur, de Bourg en Bresse, nommée Antoina. Ils l'ont fait venir à Genève sous le manteau de Jésus-Christ; et comme les bons fidèles de Genève ne laissent avoir disette de quelque chose aux pauvres étrangers chassés pour la Parole de Dieu, elle fut bien reçue et mise pour servante dans la maison de Claude Bernard, pour servir les prêcheurs et leur apporter à manger. Or elle y sut si bien jouer son rôle, sachant faire sa mine et de la bonne hypocrite, qu'elle était estimée sur toutes les autres femmes l'une des meilleures et des plus ferventes à l'Évangile, tant elle avait été finement instruite de Messieurs les prêtres.

Elle commença, comme l'on dit, par bailler du poison à la femme de Claude Bernard, sa maîtresse, afin qu'elle put avoir plus de crédit et d'avancement et gouverner tout dans la maison. Puis prit du sublimé en une boite, chez Michel Varro, apothicaire, et le mit dans le potage qu'elle nous servit, à chacun sa soupe à part. Or Farel ne voulut point, ce jour, manger de potage; j'en voulus manger, mais on m'apprit la nouvelle que ma femme et mes enfans arrivaient à cette heure à Genève, et je sortis pour les aller retirer. Ce pauvre Viret en mangea donc seul, et la misérable le voyant manger, pleurait amèrement et ne put demeurer en sa présence, ains de regret s'en alla pleurer et jeter larmes de crocodile, en la cuisine, ne voulant dire ce qu'elle avait. Mais tous pensaient qu'elle pleurait la mort de sa maîtresse ou quelque autre chose. Et elle grandement regrettait d'avoir fait si lâche tour à cet homme et lui fit boire un verre d'eau sans vouloir dire la cause pourquoi.

Nonobstant tout cela, on ne se fût douté de rien; mais elle déroba du linge à son maître, lequel s'en étant aperçu lui donna son congé. Et cependant Viret est tombé fort malade au lit, dont on attend plus la mort que la vie. Ce voyant, Claude Bernard a eu soupçon et a dit: «Puisqu'elle m'a dérobé, elle pourrait bien avoir joué de finesse à Viret» et vite il a fait aller après et on l'a arrêtée sur la rive du lac, comme elle partait avec son petit bagage; et elle a été mise en prison. Viret cependant a été mené bien malade en la maison de Michel Balthesard, là où il est bien traité par les médecins et par la femme du conseiller. la dame Pernette, qui lui fait de grandes humanités. Mais Dieu sait les regrets qu'ont au coeur les fidèles, les soupirs qu'ils jettent, voyant l'Église menacée de perdre une telle perle que celle-ci. Certes, s'il eut plu à Dieu, il avait bien assez de mal du coup d'épée que le prêtre lui avait baillé ces jours passés sur son dos, sans y ajouter le poison. Mais ce sont les salaires, les bénéfices et les prébendes de ceux qui prêchent l'Évangile, auxquels il revient plus de coups et d'outrages que de bons repas.

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La réforme comme on l'entend et la pratique au Pays-de-Vaud.

Lausanne, 14 mars.

Voici l'un des signes du temps, le croiriez-vous? c'est à qui réformera dans le Pays-de-Vaud. Qui y pensait naguère? qui songeait à se plaindre? qui, à corriger? Nous tirions gloire des cinquante couvens et du clergé nombreux qui couvraient notre sol. Montrant tant de têtes tonsurées, tant de chasubles, tant d'églises, tant de chapelles, tant de croix : quel peuple, disions-nous, plus religieux et partant plus heureux que le nôtre?
La preuve, on eût pu la chiffrer.

Vingt chapelains à Yverdon. À Grandson... Mais Je vous vois prendre peur, eh bien, je me bornerai à vous présenter un exemple et, parmi les dix décanats de l'Évêché, c'est celui de Lausanne que je choisirai.

Nous avons à Lausanne d'abord la Cathédrale, l'Évêché et le Collège de St.-Maire; la Cathédrale, qui nous occupera plus tard; l'Évêché, résidence de Monseigneur, lorsqu'il n'est pas à Turin, à Rome ou à la cour de l'Empereur; le Collège, demeure de trente-deux chanoines, tous gens de noble maison, jadis des Neuchâtel, des Gruyère, de Kibourg, des Grandson; aujourd'hui encore des Estavayer, des Praromand, des Challand, des Blonay. Les prébendes des chanoines sont de 4,000 écus d'or; on porte à 50,000 le revenu du Prince (1*). Ajoutez que Messieurs du Chapitre possèdent mainte seigneurie et ont la collation de maints bénéfices. On sait qu'ils ont leur secrétaire et leur jurisdiction particulière. C'est état dans l'état, imperium in imperio (2*). Vingt-quatre chapelains bien rentés les assistent. Voilà notre haut clergé et notre suprême autorité diocésaine.

Passons au clergé de la ville de Lausanne. La ville comprend six paroisses, sous l'invocation de la Sainte Croix, de St-Pierre, de St-Paul, de St-Étienne, de St-Laurent et de St-Maire. Elle a deux couvens dans ses murs et quatre au dehors. Celui des Franciscains ou frères mineurs de St-François, situé auprès de la porte de Rive, a vu, en 1449, les quatre sessions du Concile transporté de Bâle à Lausanne par le pape Félix V. Le couvent de l'ordre rival des Dominicains, ou frères-prêcheurs, porte le nom de Ste-Madelaine.

Hors de la ville habitent les moines noirs de St-Sulpice, les religieux de l'abbaye de Montheron, les soeurs de Belles-Vaux et les hospitalières de Ste-Catherine. Ces dernières ont leur pauvre et froide demeure sur la route de Lausanne à Moudon, au sommet du Jorat, dans les bois qui ont caché il y a cinq à six ans l'arrestation de Bonnivard. Chaque année de nombreux brigandages ajoutaient à l'impression de terreur sous laquelle on faisait ce chemin. C'est un climat glacé, un sol duquel de sombres forêts forment la seule parure. Il n'y existait dans le dernier siècle nulle trace d'habitation, nul hospice, nul refuge pour le voyageur. L'homme avait abandonné ces lieux à l'effroi qu'ils inspiraient. Mais ce qu'aucun intérêt de ce monde n'eût conseillé, il appartenait à la religion de le faire ; une main haute et puissante a prit la main de faibles soeurs ; elle les a conduites dans ce désert, elle le leur a fait aimer en leur montrant du bien à faire, et c'est ainsi que le couvent de Sainte-Catherine s'est trouvé fondé sur le col âpre et solitaire du Jorat. Il se peut qu'un jour un ami de la réforme aille demander un abri aux pauvres soeurs. Je ne sais, peut-être aura-t-il à leur enseigner une religion à quelques égards plus intelligente et des doctrines plus pures; mais saura-t-il se borner à leur apporter ce secours, et se gardera-t-il de toucher à la flamme sainte de laquelle se nourrit leur charité?

Descendons à la plaine et continuons notre énumération. Voilà Belmont, voilà Savigny, dont les curés sont à la présentation du prieur de Lutry. Les religieux de Lutry habitaient autrefois Savigny, c'était au moyen âge; les bons pères se sont hâtés de se rapprocher du lac et du vignoble dès qu'une apparence de sécurité a reparu dans la plaine. La petite ville de Lutry compte 200 feux; son curé est à la présentation du prieur, et le prieur lui-même est nommé par le St-Bernard. Villette compte aussi 200 feux; son pasteur l'est à la fois de Cully, d'Epesse, de Riez et de Grandvaux. L'abbé de Payerne nomme au poste de Pully. Un peu plus haut, sur ce pont, entre Lausanne et Pully, vous voyez l'hospice de St-Vaulcher. Au nord de Lausanne, l'Évêque nomme aux cures de Prilly, de Crissier et de Mex. Ouchy a une chapelle. Vidy compte 36 feux; le curé de ce village est à la nomination du chapitre de Lausanne. Ecublens est une filiale de St-Sulpice. Le curé de St-Germain dessert les chapelles d'Echandens et de Préverenge; celui de Wufflens-la-ville dit la messe dans la chapelle du village de même nom. Si je ne me trompe voilà tout le doyenné. Je vous ai promis de n'en pas sortir et il est vrai de dire que le coup-d'oeil que nous venons d'y jeter suffit pour nous donner l'idée de l'ordre de choses qui régit l'ensemble du diocèse.

Donnons cependant un regard au nombre de monastères qui couvrent la face du pays. Voilà des maisons religieuses à Cossonay, à Bettens, à Vullierens, à Wufflens, à Gimel, à Bières. Voici le prieuré d'Etoy; voici le beau prieuré de noble Claude de Senarclens, neveu du prieur de Cerlier, c'est Perroy; l'oncle et le neveu ont dût leur nomination à l'amitié de Berne qui les a recommandés au souverain pontife. M. le prieur de Perroy vient d'accorder à la petite ville de Rolle de pouvoir élever une chapelle sur un terrain que lui a donné en 1519 la noble dame de Mont. Vous voyez cet édifice récemment achevé. Mais je m'aperçois que nous venons de passer la rivière d'Allamand, oubliant que ses eaux forment la limite de l'évêché de Genève.

Hâtons-nous donc de rentrer dans l'évêché de Lausanne. Là, derrière la montagne et sur les bords poissonneux du lac de Joux, les Prémontrés ont leur abbaye. De l'abbaye, un rapide sentier nous ramène en une vallée riante et nous conduit au prieuré de Valorbes; ou bien prenant un autre chemin, nous descendons dans un vallon nouveau, qui réunit le spectacle de la fertilité à la sauvage majesté des sites et à la paix de la solitude; c'était lieu, s'il en est un, à recevoir un monastère; aussi qui ne connaît l'antique Moûtier de St-Romain, ses moines noirs, leur appétit et leur opulence? Passons auprès des baillages de MM. de de Berne et de Fribourg; à la Chaux nous rencontrons les chevaliers du Temple, en Crausaz ceux de Jérusalem; les chevaliers possèdent encore des rectorats à Moudon, à: Vevey, à Villars-Ste-Croix, à Lausanne, à Entremont, à Fribourg. Vous savez que les moines de Haut - Crêt défrichèrent jadis de leurs mains les pentes du Désaley; leurs successeurs se contentent d'en recueillir les vins. Mais que cherché-je à vous faire connaître tous les monastères épars dans la contrée? La fatigue nous a gagnés et nous ne sommes qu'à moitié chemin; je ne vous ai parlé encore ni des prieurés de Montpreveyres, de Blonay, de Bury, de Rougement, de la Part-Dieu, de l'Épine, de la Thorentéca, ni des soeurs de Ste-Claire de Vevey, ni du clos de la Ste-Vierge à Estavayer, où sont renfermées tant de nobles damoiselles, la soeur Catherine de Blonay, la soeur Jeannette de St-Martin, la soeur Isabelle d'Estavayer, la soeur Jaqueline de Bionens.

Je n'ai rien dit encore de l'illustre abbaye de Payerne, de celle d'Hauterive, des moines noirs de Baulmes, des Bernardins de Sermuz, et de bien d'autres maisons encore. Nous n'avons pas encore compté les habitans de tant de monastères. Je crois pourtant en avoir dit assez pour mettre sous vos yeux l'aspect du pays. On dit, la chose peut avoir été, que les religieux furent naguère le sel de la terre ; ils enseignaient à la cultiver, ils répandaient l'instruction, leurs prières qui étaient celles du coeur appelaient la rosée du ciel. Je n'ai pas à vous apprendre ce qu'ils sont aujourd'hui; vous savez si rien est demeuré saint pour eux ; vous savez s'il est acte coupable qu'ils n'aient encouragé par leurs indulgences, hormis ceux par lesquels leurs intérêts se sont trouvés blessés. Douterez-vous de leur ignorance, quand je vous aurai fait lire sur le livre des titres d'admission à la prêtrise quelques articles comme le suivant « B. lit passablement, il récite avec facilité, chante mal, et ne sait pas l'arithmétique; il est admis à la consécration. »

Eh bien, jusques il y a peu de temps cette corruption frappait nos yeux sans les offenser. Nous vivions dans une atmosphère fangeuse qui énervait les coeurs et aveuglait les regards, et faute d'avoir l'idée d'un état meilleur nous n'aspirions pas même à en sortir. Alors quelques hommes obscurs, étrangers pour la plupart, se sont mis à parcourir le pays, tenant l'Évangile à la main. C'étaient de faibles rayons qui déchiraient un ciel obscur; mais à ces naissantes clartés que de désordres se sont révélés, que de confusion, que de honte! Un petit nombre d'hommes ont porté leurs regards sur eux-mêmes; mais qui ne les a portés sur la difformité de son voisin? Et dès lors que de soulèvemens, que d'agitations, que de plaintes! On ne sait si la nation montre plus de haine pour la réforme, qui a révélé tant de plaies, ou de mécontentement contre le clergé qui l'a retenue si longtemps sous le poids de tant de chaînes.
Quelle est celle de nos villes qui n'ait été dans ces derniers temps en différend avec son clergé? Les unes, comme Yverdon, parce qu'elles ne veulent plus permettre que les hommes d'église soient exempts des charges communes; Moudon, les bonnes villes et tout le pays, parce qu'on ne veut pas être excommuniés, pour avoir interdit aux ecclésiastiques de tracer des actes notariaux; Lausanne parce que les débordemens de son clergé ont dépassé ce qu'elle pouvait souffrir. Lausanne a formulé ses plaintes contre son chapitre, et les a publiées à haute voix; elle représente la vie des hauts personnages comme une longue orgie; nul bordel, nul lieu, fût-il le plus mauvais, à comparer à leurs demeures ; on les montre pris de vin, descendant le soir de la Cité, par fois déguisés en soldats, l'épée nue et frappant les citoyens, puis pénétrant furtivement dans les maisons, et y portant la séduction et l'adultère ; aucune crainte, aucune honte ; ils n'ont pas même la sagesse de savoir garder le secret de ce que la confession leur a révélé ; plus d'une fois les lieux saints ont été les témoins de leurs désordres, de leurs violences et de leurs bruyans débats; au milieu même de l'office, dans le temple, on les a vus se prendre de querelle et se frapper à grands coups. Tel est le portrait que les Lausannois font des conducteurs de l'église. Je ne vous fatiguerai pas du récit de leurs démêlés avec l'Évêque, qui n'ont jamais été plus répétés que depuis ce jour de l'an 1518, où ils lui ont prêté solennellement hommage comme à leur souverain. En voilà assez pour que vous puissiez juger des dispositions dont les citoyens de nos villes sont animés envers le clergé.

Mais à dire vrai, le visage austère et les moeurs graves de la réforme leur inspirent plus d'éloignement encore. Tout cède à l'aversion qu'ils lui portent. La crainte de la réforme vient de réconcilier Lausanne avec Fribourg et d'opérer le rapprochement des citoyens et de l'Évêque. Ce point est celui sur lequel toutes nos petites villes sont d'accord ; c'est à qui d'entr'elles fermera le mieux ses portes aux prédicateurs de l'Évangile, c'est à qui se défendra contre des idées nouvelles, par les mesures les plus propres à les refouler. Parmi ces mesures, il en est une à laquelle, en de pareils momens, les gouverneurs des cités ont coutume de recourir; c'est celle de chercher à prévenir la révolution en corrigeant le mal à leur manière; nous ne manquons pas de l'employer à notre tour. Voilà donc nos villes qui, les unes après les autres, se mettent à réformer à leur façon. Lausanne, par un décret des Deux-Cents du 98 février dernier, défend de manger en carême de la viande, du beurre et du fromage, et par le même décret, elle défend de blasphémer, sous peine de devoir baiser la terre pour la première fois, de 5 sols d'amende pour la seconde, et du carcan pour là troisième Moudon prépare une ordonnance qui doit punir les prêtres qui vivent dans la débauche et commander à ceux qui ne savent que chanter messe, d'expliquer au moins au peuple, chaque dimanche après la messe dite, les dix commandemens de la loi de Dieu. Vevey, il y a déjà quelque temps, a publié un ordre aux femmes de mauvaise vie de vider la ville dans trois jours, elle a interdit les jeux durant le service divin et fait quelques autres réglemens « de bonne et chrétienne police. » Morges a dès long-temps opéré sa réforme; son honorable clergé, réuni sous la présidence d'Urbain du Soleil, vice-doyen du décanat d'Outre-Venoge, et considérant que précédemment il avait été procédé avec assez de légèreté à l'égard des services et cérémonies, a résolu d'y remédier par les statuts suivans :

« Nous statuons et ordonnons qu'à l'avenir personne ne sera fait participant des émolumens du clergé de Morges s'il n'a donné 10 florins, petit poids, pour être affectés à la réparation et à l'embellissement de la chapelle récemment érigée dans l'église de Morges, en l'honneur de la conception de la Ste-Vierge. Nous voulons aussi que le récipiendaire ne soit admis qu'après avoir fait connaître qu'il chante de manière à donner de la pompe au culte divin. Item, nous ordonnons que les chapelains soient obligés d'endosser leur soutane pour célébrer l'office. Fait par acceptation du clergé et du conseil de la ville de Morges, le jour de St-Nicolas, notre patron, l'an du Seigneur 1512. »

Qui ne connaît la réforme du couvent de Romainmôtier essentiellement dirigée contre le vorace appétit des moines; elle règle la quantité de viande qui devra couvrir la table des religieux les jours gras et la quantité de gelée qui leur sera servie les jours maigres et en carême; elle réduit les bons pères à deux pains de 4 livres, et un pot et demi de vin par repas; puis se souvenant d'eux dans leurs jours de maladie, elle établit pour ces deux jours une exception et ordonne que le moine malade recevra un pain blanc, outre son ordinaire, et que s'il se fait saigner on ne manquera pas de lui donner une double portion de vin. Voilà comment jusqu'à ce jour nous comprenons et pratiquons la réforme dans le Pays-de-Vaud; de bonnes gens trouvent cela fort bien, d'autres murmurent tout bas la parole de l'Évangile : « Pièce neuve à un vieil habit, la déchirure n'en sera que plus grande. » On accuse, il est vrai, ceux qui tiennent ce langage d'être luthériens.

Mais, vous entends-je dire, le nombre de ces derniers est-il grand? N'existe-t-il pas dans le pays les germes d'une réformation plus profonde ? Quelles sympathies y trouve-t-on pour l'Évangile et pour la liberté? - Je chercherai à m'en instruire et je ne négligerai pas dans une prochaine feuille de vous faire part de ce qu'il m'aura été donné de découvrir.

SOURCES :
Registres du Conseil. Froment. Roset.
Archives de Lausanne, de Berne, et les collections diverses concernant le Pays-de-Vaud déposées à la Bibliothèque de la ville de Berne, celles de Gruner, de Sinner et de Hermann entr'autres.

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REVUE DU PASSÉ.

LA RÉFORME A AIGLE.

« Le zèle de ta maison m'a dévoré. »

Le Rhône, des lieux où il quitte le Valais jusques à ceux où il verse au Léman les flots limoneux de ses eaux, arrose une longue belle et fertile vallée. Les hautes Alpes l'enceignent. À leurs pieds l'oranger fleurit; sur la coupe herbeuse des monts, dans leurs replis et jusques à leurs crêtes menaçantes le berger fait paître ses troupeaux. Tous les aspects, tous les climats, toutes les productions de la nature semblent se réunir dans cette contrée de quelques lieues d'étendue. La flore n'est nulle part plus riche et plus belle, le marbre et l'albâtre paraissent n'attendre que le réveil du génie. On croit que des minéraux de grand prix gisent cachés dans le sein des montagnes, et l'on a vu, l'an 1494, un habitant du Hasli arriver à Aigle, avec une permission des seigneurs de Berne de creuser jusqu'à la retraite des métaux ; nous ne savons s'il a été arrêté, dans ses efforts, par le défaut de science on par le manque de fonds. Il est aux environs de Panex des eaux salées, vers lesquelles les troupeaux se portent avec avidité; qui sait si le sel ne repose point en mines cachées dans les profondeurs des monts, et si ce nouveau trésor ne viendra point un jour verser sa richesse à la contrée ? Terre féconde, admirable nature, peuple heureux, s'il savait reconnaître ce que le ciel a fait pour lui.

Mais au commencement du seizième siècle, le peuple des quatre mandemens d'Aigle, d'Olon, des Ormonts et de Bex était encore inculte et grossier, et les torrens tumultueux des hautes Alpes troublaient moins souvent, par le débordement de leurs flots, le calme de la contrée que ne le faisaient le caractère inquiet et les moeurs turbulentes des habitans. Lorsqu'il y a cinquante ans, Berne rangea ce pays sous son obéissance, ce n'avait pas été par ses propres armes. Occupée à combattre Charles-le-Hardi, elle avait donné le signal à ses combourgeois du Gessenay et du Château-d'Oex, toujours pauvres, toujours prompts à descendre en armes dans la plaine, et ce furent les hordes des montagnards qui s'emparèrent d'Aigle et des quatre mandemens. (3*) La conquête achevée, Berne en disposa, elle se réserva les deux tiers du revenu et la souveraineté du pays, c'était la part du lion ; le tiers restant du revenu, elle daigna l'abandonner aux conquérans en les renvoyant dans leurs foyers. Dès lors les longues inimitiés des Gruyériens et des vignerons. Le Château-d'Oex, le Rougemont, et le Gessenay formaient partie du petit empire des rois-pasteurs de la Gruyère.

Jadis les troupeaux du Château d'Oex rencontraient en paix aux alentours des chalets des charbonnières, les troupeaux des Ormonts, et ceux des montagnes d'Aigle, en des lieux où nulles limites n'avaient encore été tracées. Mais tout à coup le bâton noueux du berger et la hache naguère paisible du bûcheron, se transforment en armes meurtrières, les gens du Château-d'Oex se jettent sur les Ormonts, les pillent et les ravagent.

Les Ormonans de leur côté préparaient une vengeance terrible, lorsque Berne intervint, commanda la paix et fit restituer le butin enlevé sur ses sujets. La plaine avait d'autres débats. Il y existait plusieurs familles féodales, les Chivron, les Blonay, les Tavel, les Du Crêt de Rovéréa; Berne nomma, en 1525, Jaques de Rovéréa Gouverneur du pays. Elle voulait s'attacher la nouvelle province; mais les habitans, pour qui l'idée d'appartenir à la Suisse s'alliait à des pensées d'affranchissement et de démocratie, se montrèrent impatiens de toute autorité. Le Gouverneur les ayant gourmandés avec rudesse, ils se plaignirent à Berne d'avoir été injuriés. Les seigneurs de Berne, ainsi que les monarques, de l'époque, travaillaient à réprimer la démocratie. Occupés à resserrer le pouvoir entre les mains d'un petit nombre, ils ne purent qu'être fort mécontens de la conduite de leurs nouveaux sujets; néanmoins ils répondirent avec ménagement et douceur: « Le Gouverneur n'a mal dit que des méchans d'entre vous.»

L'Église n'offrait pas aux regards une situation meilleure. Le pays, jusques à la Grande-eau, faisait partie de l'évêché de Sion. Les cures appartenaient à des étrangers, celle des Ormonts à un chanoine de Lausanne, celles d'Aigle et de Bex à Nicolas de Diessbach, coadjuteur de l'évêché de Bâle ; le prieuré d'Aigle dépendait du couvent de St. Maurice en Valais : Berne venait de l'obtenir pour Pierre de Graffenried, l'un de ses jeunes citoyens. Ces pasteurs éloignés abandonnaient à des vicaires ignorans, et pauvres la conduite des troupeaux. Quelle culture le peuple pouvait-il recevoir du clergé en un pareil état de choses? Aussi demeurait-il indompté, grossier, irritable. Tels étaient le pays et les habitans lorsque, vers les derniers jours de l'an 1526, un étranger vint sous le nom d'Ursinus s'asseoir à Aigle en qualité de maître d'école et offrir aux habitans le tribut de ses connaissances. Ce maître d'école n'était autre que Farel.

Farel était arrivé à Berne le coeur tout à Dieu, et tout au désir d'être employé au ministère de l'Évangile. « Eh bien, lui dirent ses amis, rendez-vous à Aigle, dans les mandemens de nos Seigneurs, et allez-y prêcher la bonne nouvelle au peuple qui parle votre langue. » Ainsi disaient les amis de la réforme; le Conseil laissait faire, et Farel saisissant de nouveau le bâton du pèlerin, partit sans laisser paraître d'autre crainte, que celle de n'être pas toujours trouvé prêt à faire la volonté de son Dieu. Personne à cette époque n'avait encore prêché l'Évangile à l'Helvétie romande; elle ne le connaissait que par les haines que la réforme avait soulevées en tout lieu. Les États du Pays-de-Vaud, dès qu'ils avaient eu connaissance que des écrits de Luther commençaient à circuler, avaient, tout d'une voix, condamné au feu « les fausses et déloyales écritures de ce maudit hérétique Martin Luther, qui avait fait de si gros esclandres ès lieux circonvoisins, » Ce décret (du 23 mai 1525) avait fait grand bruit; Farel le savait, il n'ignorait pas ce qui pouvait l'attendre; il se voyait marchant seul contre un peuple entier; ses amis, Oecolampade entr'autres, qui s'attachaient d'ordinaire à modérer son ardeur, lui adressaient cette fois des paroles d'encouragement. Mais du jour que Farel avait reçu Jésus-Christ il avait cessé de s'appartenir à lui-même; il marcha donc le pas ferme et le coeur en paix vers le lieu de sa nouvelle destination.

Nos jours difficiles deviennent nos jours de prières et se changent en nos temps les meilleurs. Pour Farel aussi ce furent de beaux momens que ceux de son premier séjour à Aigle. Jamais peut-être plus de prudence jamais plus de douceur ne se montrèrent unis à son zèle. Il s'imposa contrainte, il renferma, dans son coeur plus d'une parole prête à s'en échapper. Pour la première fois peut-être, il couvrait d'un voile sa pensée et n'allait pas de front à l'ennemi. Il commença par combattre la doctrine du purgatoire et celle de l'adoration des saints. Aux objections qu'il élevait, les vicaires dans leur ignorance ne savaient opposer que l'ancienneté de la foi que le peuple avait héritée de ses pères, et qu'il devait transmettre entière à leurs neveux. Ils montraient si peu d'habileté, et Farel déployait tant de sagesse et d'éloquence que bien des personnes commencèrent à se détacher d'eux et à se ranger autour de lui. Après quelques mois de travaux, il s'était formé à Aigle un petit troupeau d'amis de l'Évangile.

Farel cependant se conduisait toujours avec mesure et ne prêtait à ses adversaires aucun motif de l'attaquer. Alors Berne lui donna la permission d'expliquer à Aigle les Saintes-Écritures jusqu'à ce que le coadjuteur, Nicolas de Diessbach, y eût conféré le soin des âmes à un pasteur capable de prêcher. Berne publia en même temps un mandat contre les dérèglemens des laïques et des clercs, et elle punit selon la sévérité de la loi les vicaires d'Olon et de Bex qui, sans se soucier de l'édit, continuaient à vivre dans leurs débordemens.
C'était pour le pays chose bien, extraordinaire. C'était aussi chose bien nouvelle que d'entendre un prédicateur s'élever dans la chaire contre la corruption des moeurs. Le peuple s'émut grandement, les préposés des communes et le Gouverneur lui-même se soulevèrent et sans égard pour le mandat des Seigneurs de Berne, ils défendirent à Farel de prêcher. Alors il arriva de nouveaux ordres du Sénat et des Conseils de la république, ils demandaient obéissance et nommaient définitivement Farel à la place de maître d'école et de prédicateur à Aigle. Les amis de la réformation étaient dans la joie d'avoir rencontré en lui, pour l'adresser aux populations romandes, un homme d'un aussi grand coeur, d'un caractère aussi pur et d'un aussi grand savoir.

Farel, nommé pasteur d'Aigle, crut recevoir une consécration nouvelle, et se sentit un nouveau besoin de glorifier Dieu. « Vainement, écrivit-il à ses amis, le père du mensonge se glisse dans mes membres, et voudrait me persuader d'abandonner un Dieu dont le règne n'est pas de ce monde; mon Sauveur est plus puissant que lui. Confiant en sa Parole, j'attaque hardiment l'ennemi, je foule aux pieds sa puissance et, invite à haute voix les âmes travaillées et chargées à venir recevoir la paix auprès de Jésus-Christ. »

Mais à ce déploiement de zèle, il se manifesta dans toute la contrée une violente agitation. Le peuple s'assembla, les magistrats et les prêtres l'excitaient à chasser Farel et à ne point obéir à Berne : « Qu'est-ce, disaient les prêtres, que cette prétendue Parole de Dieu, qui apporte en tous lieux la guerre. » - « Le Pape, l'Empereur, le roi de France et les Cantons la condamnent, ajoutaient les magistrats, ils se réuniront bientôt pour faire la guerre à Berne; qu'avons-nous à faire d'obéir aux Bernois s'ils veulent nous imposer des lois qu'il ne leur appartient pas de faire. » Alors on courut aux portes des églises déchirer l'édit de leurs Excellences; on afficha au lieu qu'il occupait, et l'on publia, avec grand bruit de fanfares et grand accompagnement de peuple, un mandement de l'évêque de Sion qui excommuniait «certains prêcheurs vagans, lesquels, sans approbation du supérieur, faisaient leurs sermons dans le diocèse. » Bien peu s'en fallut que la multitude, en sa fureur, ne massacrât dans ce jour le petit nombre des réformés. Et cependant Farel ne se montra nullement ébranlé. Il prêchait à Aigle, à Olon, à Bex et dans les divers lieux du pays.

Dans ses lettres à ses amis il traitait les plus hautes questions de la théologie. Son esprit conservait assez de liberté pour que l'ensemble du champ de la réforme continuât d'attirer ses regards, son coeur assez de calme pour qu'il ne négligeât pas les occasions d'étendre au-delà de ses alentours le cercle de ses travaux. Un jour on parla devant lui d'un théologien de l'évêque de Lausanne, Natalis Galéot, comme d'un homme distingué par l'intelligence et le savoir, mais que le nom seul de Farel suffisait pour enflammer de la plus violente fureur. « Eh, qui sait, se dit Farel, cet homme ignore sans doute ce que je prêche et ce que je suis; c'est à moi de l'en instruire. Il est savant, il vit honoré au sein d'une société brillante et je suis un homme de rien vivant parmi les campagnards, n'importe; je le conjurerai de m'écouter à l'exemple de Christ qui ne dédaignait pu d'ouvrir ses oreilles aux pécheurs. » Et prenant aussitôt la plume, Farel fit à Natalis le récit sincère de ses convictions, de la manière dont elles s'étaient formées dans son coeur, de la force qu'elles avaient acquise; il lui montra l'Eglise en ruines, le sanctuaire profané, le saint nom de Dieu voué partout au déshonneur ; puis, «si nous n'avons pas abandonné la foi, lui dit-il, si le sang de Christ nous parle encore, si l'Esprit-Saint n'a pas cessé de nous instruire de la miséricordieuse bonté de notre Dieu, s'il est un avenir, un compte à rendre, et s'il est vrai que le Seigneur doit un jour redemander au pasteur infidèle les âmes des hommes qu'il aura laissées se perdre dans les sentiers du mal, ah! comprenons que nous n'avons plus de temps à perdre, et que le jour est venu où nous devons au peuple de lui dire la vérité.

Prêchons Christ, le modèle et la perfection de la vie du Chrétien. Faisons de ce qu'il enseignait à ses apôtres le sujet de nos propres enseignemens. Qui sauvera, qui régénérera, qui nous portera dans la route de la vertu, si la Parole de Christ ne sait le faire? Si cette Parole n'est parfaite, où la perfection se trouve-t-elle en vérité? Qui saurait ajouter à son excellence? À quelle sagesse appartiendrait-il de corriger la sagesse de Dieu? Pour moi, je ne veux savoir, ni ne veux prêcher qu'elle. Je ne veux autre que Dieu pour mon maître, et que sa Parole pour ma loi. Bien résolu à ne me pas départir de cette voie, mon ardent désir est de vous y avoir pour guide et de vous y voir marcher devant mes pas, faisant servir à réconcilier les hommes avec le ciel les beaux dons que vous avez reçus de Dieu. »

Cette lettre n'arriva pas au coeur de Galéot: elle demeura sans réponse. Farel ne se lassa point; il en écrivit une seconde, une troisième; toutes respiraient la même douceur. À la troisième Natalis s'émut; mais ce fut de colère, et pour mettre un terme aux instances du réformateur: «J'obéirai, dit Farel. Vous continuerez (si c'est bien vous qui m'avez écrit et si quelque ennemi de l'Évangile n'a pas emprunté votre nom) vous continuerez à présenter à l'adoration des peuples le serpent corrupteur qui reçoit les hommages de Babylone; et nous, que vous dévouez à la colère du monde, nous courberons le genou devant le trône de l'Agneau. Une dernière fois pourtant voyez qui de nous a choisi la meilleure part. Une dernière fois considérez si la simplicité de l'Évangile n'est pas préférable au levain des Pharisiens. Ce n'est, vous l'avez compris, ce n'est pas sur moi, ni sur mes paroles que je veux arrêter votre attention, c'est sur l'Évangile, c'est sur la Parole de Dieu ; c'est le nom du Sauveur, ce n'est pas le mien, que je souhaite avec ardeur de voir honoré par vous. »

Cependant l'orage continuait de gronder autour de la tête de Farel. Le peuple, il est vrai, paraissait s'être calmé les jours qui suivirent ceux de l'émeute que nous avons retracée. C'est une loi de nature que le silence, la stupeur et la honte succèdent à l'agitation et aux excès. Mais peu à peu le ciel recommença à s'obscurcir et l'irritation à se montrer par des actes hostiles; les périls de Farel allaient croissant, lorsqu'un fait nouveau vint fixer les regards et porter quelque temps sur Berne toute l'attention des esprits. Berne, dans le but d'arriver au vrai sur les questions qui divisaient la chrétienté, avait organisé une Dispute de religion ; elle y invitait étrangers et nationaux ; le clergé de la république avait ordre de s'y rencontrer. Farel et tous les pasteurs des quatre mandemens se rendirent donc à Berne.

Jours de rafraîchissement pour notre réformateur que ceux où ses mains serrèrent celles de Zwingli, d'Oecolampade, de Bucer et de ce que la cause évangélique avait d'hommes les plus distingués. Deux conférences s'ouvrirent; l'une en langue allemande, qui fut grave, prolongée et eut pour résultat l'adoption de la réforme par la plupart des ecclésiastiques du canton de Berne; l'autre en langue latine pour les prêtres d'Aigle et de Grandson et qui présenta un spectacle bien différent. Le parisien, docteur en Sorbonne, qui y vint tenir tête à Farel, se montra si furieux dans son emportement, si plaisant dans son absurdité, que les rires, les cris et le désordre eurent bientôt mis fin au débat.

Farel adhéra seul aux articles de réformation. Le pasteur de Noville et les vicaires d'Aigle, d'Olon de Bex et des Ormonts se retirèrent après avoir protesté contre les doctrines nouvelles. Jean Grandis, chanoine de Lausanne et propriétaire de la cure des Ormonts, n'avait pas attendu la fin de la Dispute pour s'enfuir d'un pied léger. Les conférences arrivées à leur terme, Berne publia son Édit de réformation, et s'adressant à tous ses ressortissans nés et à naître, elle leur fit savoir ce qui suit:

«Les dix articles de la dispute ayant été reconnus vrais, par la Parole de Dieu, nous ordonnons à tous nos prédicateurs, à la ville comme à la campagne d'y conformer leurs enseignemens. Nous rejetons à jamais le joug des évêques qui n'ont su que nous tondre et non pas nous paître. Les chefs de paroisses sont affranchis du serment qu'ils leur ont prêté et qu'ils ne prêteront dorénavant qu'à nous. Qui se montrera contraire à la doctrine évangélique sera remplacé par un pasteur pieux et fidèle. La messe et le culte des images sont abolis à jamais, toutefois les changemens se feront avec les égards dus aux faibles, que Dieu veuille éclairer par sa Parole. Compte nous sera rendu des biens de l'Église. Les moines continueront à jouir en paix de leurs revenus jusqu'à leur mort; mais ils ne recevront pas de nouveaux frères. La liberté de se marier dont les prêtres ont été privés contrairement aux Écritures leur est rendue. Les peines sont réservées, pour être appliquées sévèrement, à la débauche et à l'intempérance. Et pour que notre peuple soit bien instruit des motifs de cette ordonnance, la messe sera remplacée dans tout le pays par une prédication assidue de la Parole de Dieu. »

Tels furent les termes de l'édit de réformation. Dès qu'il nous sera donné de reprendre notre récit, nous raconterons l'accueil qu'il reçut à Aigle, le changement qui se fit dans la position de Farel et la manière dont la réforme finit par s'asseoir dans le pays des quatre mandemens.

SOURCES. Kirchhofer. Ruchat. Archives de Berne. Manuscrits sur le Pays-de-Vaud déposés à la bibliothèque de Berne.


Table des matières

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1* La valeur des monnaies changeait à Lausanne d'une année à l'autre. Elle était inférieure de moitié à ce qu'elle était au commencement du quinzième siècle. En 1406 l'écu
d'or de France avait cours à 22 sols, le florin à 16 sols ; le sol valait à peu près 5 de nos batz. Le petit florin était une monnaie idéale qui valait toujours. 12 sols. La coupe de blé se vendait alors 5 sols.
En 1506, le sol ne valait plus que 6 kreutzers, soit 112 batz.
En 1527, Sébastien de Montfaucon fit une refonte des monnaies et les baissa d'un tiers. Le marc d'argent fut taxé 23 florins, 4 sols. Sept sols en valaient 24 des nôtres. Le florin équivalait à 14 batz.
Les batz datent de l'an 1528. Berne ayant embrassé la réformation ôta de ses monnaies le nom de Saint-Vincent et le remplaça par celui de Berthold et par l'Ours, qui donna son nom à la monnaie nouvelle. Sept batz et demi faisaient la livre bernoise, 15 le florin et 24 l'écu.
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2* Lisez leurs droits dans la pièce du cartulaire qui commence par les mots: « Quam jus exigit, etc. »
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3* Suivant une autre version (qui pourrait jusqu'à un certain point se concilier avec celle que nous avons suivie), le peuple des quatre mandemens, las de la tyrannie dit seigneur de Torrens et de celle des nombreux gentils-hommes du Pays, aurait pris les armes (1464), aurait chasse ses tyrans, puis se serait de son plein gré soumis à Berne, la priant de les décharger de la taillabilité et de les gouverner comme le reste (les sujets. La révolution accomplie, les gentils-hommes seraient revenus, les uns après les autres, faire leur soumission, les Duyn les premiers 1 puis les Tavelli, puis Jean de Bex puis d'autres encore. Berne leur aurait rendu leurs biens mais non leur jurisdiction qu'elle se réserva, ni la taillabilité dont elle affranchit les peuples. Ceux des gentils-hommes qui ne se présentèrent pas auraient perdu leurs biens. De ce nombre, les Valèze, dont Berne donna les terres aux gens du Gessenay ; les Chivron, dont le domaine échut aux trois communautés de Rougemont, de Château-d'Oex et de Rossinières, ; et le seigneur de Torrens, s'enfuit emportant les archives du pays. Il finit par être contraint à les restituer et par se réconcilier avec Berne, qui l'admit à sa bourgeoisie.
Sa famille s'éteignit avec lui. (Mémoires et tradition).


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Noms propres de cette page:

Aigle - Allamand - Alpes - Antoina -

Babylone - Bâle - Balthesard - Baptiste - Baudichon - Baulmes - Belmont - Bernard - Bernardins - Berne - Bernois - Berthold - Bex - Bières - Bionens - Bonnivard - Bourg - Bresse - Bucer - Bury -

Cerlier - Challand - Chambéry - Chivron - Claire - Concile - Cossonay - Crêt - Crissier -

Désaley - Diessbach - Dieu - Dispute - Dominicains -

Echandens - Empereur - Entremont - Estavayer - Étienne - Etoy - Évangile - Évêché -

Farel - Faret - Félix - France - Franciscains - François - Fribourg - Froment - Furbity -

Genève - Genevois - Germain - Gessenay - Gex - Gimel - Graffenried - Grandson - Grandvaux - Gruner - Gruyère - Gruyériens -

Hasli - Helvétie - Hermann -

Jaqueline - Jaques - Jean - Jeannette - Jérusalem - Jésus -

Kibourg - Kirchhofer -

Laurent - Lausanne - Lausannois - Léman - Luther - Lutry -

Madelaine - Maire - Martin - Mex - Montfaucon - Montheron - Montpreveyres - Morges - Moudon - Moûtier -

Natalis - Neuchâtel -

Oecolampade - Ormonans - Ormonts - Ouchy -

Paul - Payerne - Pernette - Perroy - Pharisiens - Praromand - Prémontrés - Prilly - Pully -

Rhône - Rolle - Romain - Romainmôtier - Rome - Roset - Rossinières - Rougemont - Rovéréa - Ruchat -

Savigny - Sébastien - Senarclens - Sénat - Sermuz - Sinner - Sion - Sorbonne - Suisse -

Thorentéca - Turin -

Valèze - Valorbes - Vandel - Varro - Vaud - Vaulcher - Vaux - Venoge - Vevey - Vidy - Vierge - Villars - Villette - Vincent - Viret - Vullierens -


Wufflens -

Yverdon -

Zwingli -

 

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