Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.

NOUVELLES DE BERNE, SA SITUATION ET SA POLITIQUE.

Nouvelles de Berne, sa situation et sa politique
Pays romand - Genève le 28 janvier
Les commencemens de la Réformation de Genève - Continuation
Farel et le bon père Furbity. Les réformés au couvent de Rive.
Variétés: Propos de table, empruntés à la conversation du Dr. Martin Luther

Noms propres de cette page

FEUILLETON DU CHRONIQUEUR.
- Exemple d'un traité de combourgeoisie entre une ville et un seigneur.
- Les événemens de Genève durant les derniers mois comme on les raconte au couvent de Ste. Claire.

Vers la fin du douzième siècle, quelques rues rangées autour de l'église de la Nydeck, à l'extrémité de la presqu'île de l'Aar, formaient la ville et la république de Berne. Un siècle et demi plus tard, malgré une prospérité croissante, Berne ne possédait encore hors de ses murs que le village de Habstetten, qu'elle avait acquis à prix d'argent. C'était un nid d'aiglons qui ne pouvait demeurer long-temps ignoré. Le quatorzième siècle n'avait pas fini son cours que déjà la voix de Berne était entendue d'Arberg jusques à la Gemmi, des Alpes de l'Emmenthal Jusques à la Singine. Elle a acquis l'Argovie au quinzième siècle, et au seizième la voilà qui parle dans toute l'Helvétie romande la langue du commandement. Au dehors on la compare à la plus illustre des républiques conquérantes. Son origine, ses progrès, sa belliqueuse existence, la mâle gravité de ses sénateurs ne rappellent en vérité pas mal la vieille Rome, et l'on croit qu'elle en a l'ambition. On ne la voit que songeant à s'agrandir encore, et c'est dans cette idée que les Cantons viennent, à la dernière diète de Lucerne, de se prononcer pour Charles III et contre elle; ils ont clairement fait savoir que le cas échéant d'une guerre avec le Duc, ils sépareraient leur cause d'avec celle de leur alliée. À l'étranger, on se représente pareillement Berne préoccupée du dessein d'achever la conquête de l'Helvétie romande. Nourrit-elle en réalité ce projet? nous ne pouvons répondre à cette question qu'en exposant la situation présente de la république, en rapprochant les faits qui peuvent jeter du jour sur sa marche et en liant ce que nous aurons appris à l'histoire de son passé.

Et d'abord mettons Berne en présence de l'Empereur et de l'Empire, Elle est l'alliée de la réforme et des libertés de l'Allemagne. Bien que rejetée, ainsi que les villes zwingliennes, de l'alliance des confédérés de Smalkalde, elle espère, elle craint, elle prie avec eux. Les cités de l'Allemagne méridionale qui ne se sont pas prononcées entre Luther et Zwingli, portent aux villes suisses une affection particulière. Or voulez-vous savoir les nouvelles que Berne reçoit de ses amis de Germanie ? Le fragment suivant d'une lettre de Conrad Zwick, « au digne et illustre Berthold Haller, préposé de l'église de Berne, » est de nature à vous en donner l'idée; sa lettre est du 19 janvier 1535; il écrit :

« Mon ami et mon frère

Je ne veux vous induire à ajouter foi à tout bruit qui court, et crois néanmoins devoir soumettre à vos réflexions les faits suivans :

Il est certain que l'Empereur a fait opérer à Augsbourg de grands mouvemens d'argent ; il est certain aussi que le roi Ferdinand lève tout ce qu'il peut réunir de lansquenets. En veulent-ils au Turc, à la France, au Landgrave, à Ulrich de Wirtemberg? - S'il est vrai, comme on le dit, que les levées filent vers l'Italie, ce n'est pas nous qui serons attaqués. À qui donc en veut l'Empereur? On parle de Genève, et voici le plan qu'on suppose.

L'Empereur et le Duc commenceront par soumettre Genève et par réduire la république de Berne, puis on fera ployer le reste des évangéliques de la Suisse, et la réforme étouffée chez les Confédérés, le tour de l'Allemagne sera venu.

On ne doute pas qu'après avoir anéanti la réforme dans les Cantons, la conquête de la Suisse ne soit chose facile à l'Empereur. Voilà ce dont je sais qu'il est bruit à Berne, comme autour de nous ; je vous mande toutefois ce que j'en connais, n'ignorant pas le point auquel votre mésintelligence avec la Savoie est parvenu et voulant surtout vous rendre attentif à l'intérêt qu'il y aurait pour vous, si vous voyez la guerre s'approcher de vos frontières, à lever dans l'Allemagne protestante de pieux soldats, cavalerie et infanterie, ce qu'avec l'aide de vos bons voisins vous n'aurez pas de peine à faire. Ce sont auxiliaires dont je crois que vous ne devez pas négliger le secours. Je sais, il est vrai, que Dieu peut bénir les armes du petit nombre comme celles d'une grande armée, et je ne doute pas que vos Seigneurs ne finissent par triompher dans une aussi sainte et aussi juste cause. Je prie Dieu de leur donner des coeurs exempts de crainte, de les enseigner à tout supporter pour sa gloire et de les garder en sa sure, sainte et bonne garde. »

Tels sont les avis que Berne vient de recevoir méritent-ils d'être pris en considération? Suivant des bruits de nature bien différente, ce serait contre les rives africaines que se feraient les préparatifs de l'Empereur; mais ces bruits ne couvrent-ils pas le dessein d'endormir les protestans sur les dangers d'une attaque soudaine? Berne n'ignore pas quelle est l'irritation de Charles V contre la réformation, depuis que, par la ligue de Smalkalde, elle a pris à ses yeux la forme et l'allure d'un fait politique et d'une rébellion contre son pouvoir. Et comment en cet état de choses, Berne n'éprouverait-elle pas des craintes sérieuses? Les états du Duc et ceux de l'Empereur l'environnent. Elle sait que, tout l'été dernier, il s'est fait sur les terres de l'abbaye de St. Claude et dans la Haute-Bourgogne des levées et des mouvemens de troupes; que le maréchal de Bourgogne, frère de l'évêque de Genève, et lié d'amitié avec tous les gentils-hommes de Savoie, était au mois de juillet en marche avec 6000 hommes pour venir joindre le Duc devant Genève, lorsque le courage et la vigilance des citoyens ont fait avorter l'entreprise des Savoyards.

Mais un fait plus prochain encore frappe les regards de Berne. Le Duc parait ne plus croire à la puissance. de la république et ne plus craindre ses menaces. Il se repose sur les Cantons, il compte sur l'Empereur. Depuis les jours malheureux de la guerre de Cappel, il a cru voir se relever son étoile, et voilà quelques mois qu'il fait paraître une confiance toute nouvelle. Ses troupes tiennent impunément la campagne. Les gentils-hommes, sans se soucier des plaintes répétées de Genève et de Berne, continuent d'infester les routes, d'éloigner le commerce de Genève, de ravager ses terres et de piller ses marchands. Le peuple du Pays-de-Vaud lui-même a commencé à s'émouvoir. Les envoyés de Charles III ont quitté leur humble attitude. À Orbe, à Grandson, à Payerne, Fribourg se montre résolue à ne pas permettre à la réforme de faire un pas de plus.
Tel a été l'accueil fait aux députés fribourgeois dans l'assemblée des États du Pays-de-Vaud que la susceptibilité de Berne en a été vivement offensée. « Cet accueil si gracieux pourrait bien être contre nous, » a-t-elle écrit à ce sujet, « et quoique nous n'en fassions pas grande estime, nous ne pouvons cacher notre surprise d'une conduite qui contrarie si fort notre vieille amitié. » - Lausanne, si je ne me trompe, vient de se laisser entraîner à ce mouvement des populations vaudoises. Elle offrait naguère ses secours à Genève, elle défend aujourd'hui à ses citoyens de la servir. Elle avait avec Fribourg, d'anciens différends; Fribourg, dont elle était l'alliée aussi bien que de Berne, avait été fort irritée de voir, dans la guerre de l'Oberland en 1529, et dans celle de Cappel, les auxiliaires de Lausanne marcher à la défense de Berne et sous les drapeaux de la réformation; Lausanne de son côté n'avait pas éprouvé moins de colère en voyant Fribourg se prononcer contre elle dans ses démêlés avec son Évêque. Mais une conférence tenue à Payerne (le 8 février) vient de mettre un terme à ces rancunes, et les deux cités se sont donné le sceau d'une mutuelle réconciliation. Dans le même temps les Lausannois se sont accommodés avec leur Évêque. Tous ces faits ne se réunissent-ils pas pour donner à Berne de graves inquiétudes? Ne sont-ils pas de nature à la porter à croire que les avis qui lui parviennent d'Allemagne ne sont pas dénués de fondement?

Le roi de France il est vrai l'assure de son amitié. Mais Berne estime à leur valeur les promesses des Français. On dit que las de songer au Milanais et revenant à des projets d'une politique meilleure, le Roi rassemble ses gens d'arme sur la frontière de Bourgogne et que, par la conquête de la Franche-Comté et de la Savoie, il a le dessein de reculer les limites de la France et de s'ouvrir les voies de l'Allemagne et de l'Italie. Mais que deviendraient les républiques suisses en présence de la France agrandie ? qu'en serait-il de Genève du Pays-de-Vaud, de Berne et de la Confédération entière ? Pressés du côté du Roi aussi bien que de celui de l'Empereur, comment les seigneurs de Berne se gouvernent-ils? quelle est leur pensée? quel est leur langage et la marche de leur politique?

Leur conduite est simple, leur marche et leur langage sont faciles à retracer. Ils ressortent clairement de la correspondance du sénat et des actes de ses envoyés. Berne a fait son premier point de protéger en tous lieux la cause de la réformation, de répandre les semences de l'Évangile et de rallier à elle les populations par le commun, par le grand, par le puissant intérêt de la foi. Je ne dis pas que les hommes qui composent les Conseils soient tous amis des doctrines nouvelles, ni qu'ils souhaitent par le même motif le triomphe de la réformation. Mais ce que les uns font par le pressant besoin de leur coeur, d'autres l'acceptent comme une nécessité politique ; nulle incertitude, nul désaccord ; les consciences et les intérêts vont à la même fin.

Tous se montrent donc propagateurs zélés et fermes défenseurs de la religion réformée; ils travaillent à lui frayer le chemin dans Genève, à Lausanne, dans les villes et dans les campagnes de l'Helvétie romande. Ils couvrent de leur égide les fidèles de Montbeillard. Ils ne cessent à Besançon, à Lyon, auprès du Roi d'intercéder pour ces saints personnages incarcérés ou menacés de mort pour le crime d'être de l'Évangile. Dans toute sa conduite Berne se montre persuadée que le salut de la réforme est celui de la république ; c'est la conviction commune, c'est la doctrine à l'ordre du jour, c'est la vérité que tous ont comprise.

Le second point de la politique de Berne est d'observer envers ses voisins et d'exiger de leur part une exacte neutralité. L'Europe n'est plus ce qu'elle était ; les circonstances de la Suisse ont changé; le rôle qui reste à la Confédération est celui de vivre inoffensive et respectée, et nous voyons Berne se ployer insensiblement à cette situation nouvelle. Elle s'adresse dans le même langage au Roi et à l'Empereur: « Nous ne recherchons que la paix; que si votre Majesté entend dire que faisons aucuns préparatifs de guerre contre nos prochains voisins, doit V. M. entendre que ce n'est de rien, et ne voudrions le moins du monde donner à entendre menterie. Bien est vrai que de plusieurs lieux nous viennent grosses menaces a cause de notre foi dont sommes sans nul doute de telle opinion que si aucun, quel qu'il soit, nous voulait blesser, nous ferions contre lui, avec l'aide du vrai Dieu, tout pareillement comme ont fait nos pères. » - Cette fière et paisible attitude, Berne la conserve dans tous ses rapports. À l'ouïe des préparatifs de François 1er contre la Haute-Bourgogne elle lui écrit en peu de mots : « Si comme nous l'apprenons, votre Majesté intrigue en Bourgogne et forme des projets contre les pays de l'Empereur, nous la prions de considérer l'alliance héréditaire qui nous fait un devoir de veiller au repos et à la paix d'iceux. » - Elle écrit au maréchal de Bourgogne, au parlement de Dôle et aux gouverneurs impériaux: « Soyez attentifs à mieux observer la neutralité, car nous n'ignorons aucune de vos démarches.

Vous prêtez secours à l'Évêque, vos gens se joignent aux bandits de Peney, et c'est par vos ordres qu'un homme de Morteau, Nicolas Bise, allait quérir de l'argent et levait des soldats pour nous donner frottée, comme il disait, quand il s'est noyé dans le Doubs, sans jamais remuer; ce dont vous avertissons pour y penser après et y pourvoir de telle sorte que ne vous advienne mal. » - Même langage au duc de Savoie et à ses officiers : «Nous ne nous mettons pas en souci de savoir si c'est l'Évêque, ou d'autres, comme vous nous l'assurez, qui continuent les hostilités contre Genève; nous savons que tout ne peut venir que du prince du pays, contrairement à ses déclarations dernières ; que si vous mettez en oubli les malheurs dont vous ont frappés nos dernières expéditions, et nous obligez à nous remettre en campagne, nous vous promettons que de nos menaces sortiront effet. » - Quant à ses frères en la foi, ses chers et loyaux amis, Berne ne peut assez leur recommander une conduite sage, prudente et étrangère à toute provocation : «Vous voyez, fait-elle savoir à ceux de Genève, qu'après tant de travaux, de coûts et de missions nous n'avons pu jusqu'à présent rien obtenir; à cette cause et pour les grands dangers et grosses pratiques qui sont de présent par le monde, nous voulons bien vous avertir que vous avisiez sagement sur vos affaires, teniez des espies (espions) en Piémont et fassiez provisions nécessaires pour que, si l'on voulait vous faire guerre, vous puissiez faire résistance à vos ennemis; car pour les périls auxquels nous sommes par aventure, ne vous pourrions être en aide ne secourir, pourtant que n'est chose raisonnable que dussions pour aller à vous, délaisser notre pays. Sur ce veillez comme nécessité le requiert à bien délibérer, aviser, et pourvoir. »

Voilà Berne qui vient de nous expliquer sa situation et de nous donner sa pensée. Réforme et neutralité, sa politique se résume en ces deux mots. Je ne dis pas qu'il ne lui arrive de jeter un oeil d'envie sur les champs du Pays-de-Vaud; je ne dis pas que des pensées d'ambition ne fermentent dans son sein; mais Berne discerne les temps et se connaît.

Les circonstances étant ce qu'elles sont, elle veut bien réellement la neutralité et la paix. Elle ne se montre toutefois pas disposée à l'accepter à tout prix. Il se présente deux cas dans lesquels il lui serait difficile de ne pas recourir aux armes.
Le premier arriverait si le Duc continuait à lever la tête, qu'il tentât contre Genève un nouvel assaut, qu'il persévérât à vouloir étouffer chez les populations romandes les germes de la réformation, qu'on le vit relever dans l'Helvétie occidentale un pouvoir ennemi de Berne, ou montrer une confiance et déployer des forces qui ne pourraient lui venir que de l'étranger.
Le second cas est celui ou Genève réduite aux abois, cesserait d'espérer en son alliée et se tournerait vers la France. -
Le jour où l'un ou l'autre de ces deux cas se présenterait serait celui où changerait la conduite de Berne. Elle n'éprouverait pas d'incertitude, elle se souviendrait d'elle-même et de sa vieille énergie, et au nom de Dieu et de ses plus chers intérêts, nous la verrions sans aucun doute déployer ses étendards. (1)

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PAYS ROMAND.

Genève, 28 janvier.

Les deux questions de la réforme et de la liberté continuent d'occuper tous les esprits. Le nombre des réformés s'augmente, soit par des conversions nouvelles, soit par l'arrivée de beaucoup de Français qui fuient la persécution. Déjà même les évangéliques croient être les plus nombreux, et, dans cette conviction, ils témoignent leur chagrin de ce qu'il ne leur est permis de prêcher que dans le seul couvent de Rive, tandis que ceux de l'église romaine ont le reste de la ville pour leur culte et leurs cérémonies. Les Conseils qui voudraient aujourd'hui voir l'oeuvre de la réforme achevée, mais qui craignent les désordres qu'un brusque changement entraînerait après lui, ne parlent que de paix et de modération, et ils font leur possible pour que tout se passe sous leur nom et de leur autorité. Dans ce but ils ont cherché, pour ce carême, un prédicateur qui fut au gré des réformés, et ayant trouvé un cordelier qui a de la réputation, ils l'ont invité à aller demander an chapitre une chaire, afin de ne donner au clergé aucun sujet de plainte. Les chanoines, tenant le prédicateur pour suspect, l'ont renvoyé à Gex, au grand vicaire qui ne l'a point agréé. Le Conseil n'en a pas moins ordonné que le cordelier prêcherait à l'église de St-Germain.

Mais voici que le 13 dernier, les principaux de la paroisse de St-Germain se présentent en Conseil. Ils avaient deux sujets de plainte.
Le premier portait sur l'emploi fait de la cloche déferrée dans leur église, et dont on a employé la matière à faire de l'artillerie.
Leur plainte la plus grave était relative au cordelier. Craignant qu'on ne fit du bruit pour ses prédications, ils demandaient le renvoi du prêtre, et déclaraient vouloir se contenter de la messe pour le présent. Le Conseil leur a répondu: « Vous irez entendre le prédicateur, dans l'espérance qu'il dira bien; que s'il prêche des nouveautés contraires à la Sainte-Écriture on le chassera de la ville. »

Le 14, grand bruit dans l'église au sujet du cordelier, qui y arrivait bien escorté. Des femmes avaient la plus grande part au tumulte. On en remarquait une nommée Dame Pernette dite la Touteronde, qui avait porté à l'église un pilon de bois (unum pictonem nemoreum), dont elle se préparait à frapper ceux qui amèneraient le prédicateur. On l'a condamnée à quelques jours de prison, au pain et à l'eau. D'autres femmes ont été chassées de la ville, parce qu'outre qu'elles ont appelé les luthériens des chiens, elles sont des prostituées. Un citoyen qui reconnaît avoir dit aux paroissiens qu'ils étaient en droit de refuser le prêcheur, a été puni par la cassation de sa bourgeoisie, comme n'ayant fait devoir de bourgeois. Le cordelier est maintenu ; il prêche avec l'assentiment des réformés, et loge chez le curé de St-Germam, qui passe pour tourner à la réforme.

Quant à la liberté, on est bien moins partagé que quant à l'Évangile. Ce n'est pas qu'il n'y ait encore dans Genève parmi les catholiques zélés des hommes dévoués au Duc; mais ce parti est aujourd'hui privé de ce qu'il y avait de gens les plus intrépides et les plus dangereux. Vous savez quand ils ont quitté la ville. C'est au mois de juillet dernier, lorsque l'Évêque s'avança avec 8,000 hommes, commandés par le bailli de Chablais et par le bailli de Rolle, jusques au pont de Jargonand. Pendant que ces troupes s'approchaient, les ducaux s'étaient armés secrètement et réunis dans quelques maisons; mais les syndics, avertis à temps, mirent les bourgeois sous les armes et firent échouer le complot. Les Savoyards se retirèrent en disant : « Coup manqué, c'en est fait, il y a eu trahison. » C'est alors que le reste des Mamelus a quitté Genève, et qu'ils sont allés rejoindre les premiers fugitifs.

Je ne sais toutefois si notre situation en a été beaucoup améliorée. Il est à une lieue de la ville, sur une colline baignée par le Rhône, un château appartenant à l'Évêque ; c'est celui de Peney; l'Évêque a livré cette citadelle aux Mamelus, qui s'y sont établis en grand nombre et en ont fait un siège de brigandages, de rapines et de continuelles hostilités. Nos campagnes sont ravagées, nos citoyens saisis et retenus prisonniers.

Le Duc de son côté ne cesse de renouveler ses entreprises, et nous passons tous les jours dans l'attente d'un nouvel assaut. Vous savez quel est Médicis, le cruel ennemi des Suisses, bien connu dans l'histoire de leurs campagnes en Italie, sous le nom de châtelain de Musso. Il commande dans nos environs les bandes ennemies. Sur l'autre rive du lac, lés gentils-hommes du Pays-de-Vaud que la rigueur de l'hiver a seule dispersés ne tarderont pas sans doute à tenir de nouveau la campagne. Berne, il est vrai, continue à nous couvrir de sa main. Neuchâtel et Lausanne, nous ont promis bon secours. Les amis ne manquent pas à Genève. Tous les jours il arrive dans nos murs des mercenaires nous offrant leurs bras ; mais la présence même de ces soldats achève de nous épuiser, et les charité, le Conseil a donné droit à leur plainte et a fait publier défense d'acheter ou de vendre des petits gâteaux, on d'en confectionner en maison particulière.

Ne riez pas, l'ennemi est à nos portes et nos pauvres ont peine à se procurer du pain. (2)

SOURCES :
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(1). Les archives de Genève, Lausanne, Fribourg et surtout celles de Berne. Recès des Diètes Suisses. Ruchat.
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(2). Registres du Conseil. Roset. Savion. Spon. Stettler.

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REVUE Du PASSÉ.

LES COMMENCEMENS DE LA RÉFORME À GENÈVE.

(Continuation)
Ne craignez rien, c'est une oeuvre sublime
Qui s'accomplit sous d'invisibles pas.
Vers le passé ne vous retournez pas;
De l'avenir déjà brille la cime. »

Nouvelle émeute.

Quand l'Évêque se fut éloigné, et que le langage des députés de Berne, mêlé de fermeté et de douceur, eut fait une trêve d'un moment aux inimitiés des partis, Froment n'eut rien de plus pressé que de revenir à Genève. Il y rentra avec Alexandre Canus, appelé aussi Du Moulin, et tous deux, confirmant les frères, ils se mirent de plus belle à prêcher tantôt secrètement dans les maisons, tantôt ouvertement dans les rues et dans les carrefours, au grand avancement de la Parole de Dieu, mais non sans péril pour leurs vies.

Les prêtres et le Conseil étaient fort irrités contre eux; les fidèles de leur côté faisaient grandement leur devoir de les défendre. Dans le nombre de leurs adversaires se trouvaient beaucoup de ces bons Geneveysiens, qui avaient bataillé longtemps pour maintenir les libertés et franchises, mais qui en ruinant la réforme pensaient faire sacrifice à Dieu, tant ils étaient persuadés que c'était fausse doctrine. Or cherchant quelque moyen de fermer la bouche « aux prêcheurs des cheminées, aux crieurs sans rime ni raison, » comme ils appelaient Froment et Du Moulin, ils trouvèrent que le meilleur serait de faire venir un dominicain, docteur de Sorbonne, nommé Guy Furbity, homme célèbre et savant, dont les paroles ne pouvaient manquer d'être reçues comme des oracles.

Le clergé ordonna que Furbity prêcherait dans la cathédrale, contre la coutume qui voulait que ce fût dans le couvent de son ordre. On le conduisit donc en St-Pierre, avec bonne escorte de gens armés. Assuré qu'il était du support des syndics, au Conseil et des prêtres, il se mit à parler à la manière de ces prédicateurs de France qui, lorsque la matière leur défaut, se ruent sur les pauvres hérétiques, et s'en donnent, on sait comment, à débaquer contre eux; ce Furbity pensait y être encore, tant il en disait contre ces sermons fréquentés par des femmes qui n'osent montrer leur face en plein jour; tant il déclamait contre ceux qui déchiraient l'Église, mangeaient de la viande les jours défendus et lisaient les Écritures en langue vulgaire, contre les hérétiques et ceux qui les protégeaient, contre les Ariens, les Sabelliens et les Allemands, gens pires que le Juif et que le Turc infidèle. « Et maintenant où sont-ils, ces beaux prêcheurs? et on leur parlera, s'écria-t-il enfin d'une voix triomphante; ha, ha, ils se garderont bien de se montrer, sinon sous les cheminées et dans les lieux où ils peuvent tromper les ignorans et les pauvres femmes... »

L'entendant ainsi parler, Froment se lève debout au milieu de l'assemblée, fait signe de la main, prie le peuple de l'écouter, pour l'honneur de Dieu, et s'offrant à la mort s'il ne montrait par la Sainte Écriture le contraire de ce que le docteur avait prêché, il redit ce qu'il avait déjà souventes fois déduit et publié dans Genève. Il avait achevé et le docteur ne prenait point la parole : étonné, surpris, il demeurait muet. « Qu'il lui réponde, qu'il lui réponde, disait-on dans la foule.

Voyant qu'il persévérait à ne mot dire, et que leur cas se portait mal, les prêtres se chargèrent de l'affaire; il dégainèrent leurs épées : « Au Rhône, au Rhône le méchant, » crièrent-ils tous d'une voix confuse; et certes l'émotion ne fut pas petite. Froment voyant les prêtres venir sur lui, fit sa retraite, et le peuple tout entier se précipita, l'un foulant l'autre sur ses pas. Ils allaient le saisir, quand Baudichon se mit à la grande porte du temple, son épée dégainée, et cria à haute voix : « Si quelqu'un le touche je le tue; laissez cours à la justice, et que celui qui aura eu tort soit puni. » Froment reculait toujours. « Vous avez tout gâté, lui dit Perrin, les choses allaient bien et voilà tout perdu. » - «Tout est gagné, » lui répondit le prêcheur; et ce disant il disparut.

La foule était violemment agitée quand Du Moulin, le compagnon de Froment, qui se trouvait encore au milieu du peuple, se montre sur le haut des degrés du temple, et commence à crier d'une voix forte: « Il l'a bien repris, c'était un faux prophète, et je veux bien aussi vous le montrer. » On ne lui en laissa pas dire davantage ; il fut arrêté et mené en Conseil. Tandis qu'ils étaient occupés de lui, ils laissèrent s'échapper Froment, qui parvint à la maison de Baudichon, et s'y glissa dans une fenière, où le petit Cologny le cacha si bien que les syndics et leurs officiers ne surent le trouver, quelque affectionnés qu'ils fussent à le prendre. Ils s'en vengèrent sur son compagnon, que d'un premier mouvement ils condamnèrent à mort. Mais Michel Balthesard et quelques conseillers qui, s'il faut en croire Froment, faisaient les Nicodémites, obtinrent mutation de la sentence, en montrant que Du Moulin n'avait pas été le provocateur du tumulte, qu'il était sujet du roi de France, et de la religion des bons alliés de Berne. Sur ces représentations, la sentence de mort fut commuée en un arrêt de bannissement. Comme Dumoulin partait, un grand peuple le suivit par curiosité jusqu'à la porte de St-Gervais; arrivés hors des franchises de la ville, auprès de la Monnaie, ils s'arrêtèrent pour prêter encore une fois l'oreille à la voix de l'étranger, et celui-ci leur fit un discours de deux heures qui en gagna plusieurs à l'Évangile. Puis cherchant où il pourrait encore annoncer la Parole de Dieu, il se tourna vers Lyon, où il rencontra le martyre. Froment et Baudichon se rendirent à Berne où ils racontèrent aux Seigneurs de la république ce qu'on prêchait contre eux à Genève et ce qu'on y faisait. MM. de Berne prirent la chose fort à coeur et ils concédèrent à Baudichon des lettres pour les Conseils de Genève.

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Farel et le bon père Furbity. Les réformés au couvent de Rive.
« Approche : - je tiens la balance;
Te voilà nu dans ma présence,
Siècle innocent ou criminel. »

Le trouble fut grand à Genève quand on y apprit le retour de Baudichon, et lorsqu'il eut remis au Conseil les lettres qu'il apportait de Berne (Noël, 1533). Mais la fureur fut bien plus grande encore quand on sut qu'il avait amené Farel avec lui. Les prêtres ayant pris conseil ensemble, envoyèrent ordre de maison en maison de prendre les armes pour la défense de la foi. Bientôt leurs amis se trouvèrent rassemblés, une coupe de vin passa de main en main, et tous promirent que cette fois ils feraient au mieux leur devoir. Les choses en demeurèrent à ce point le dimanche et le lundi jusques après midi, que tous quittèrent le palais de l'Évêque, armés de bâtons, et se mirent à parcourir la place du Molard. Alors plusieurs citoyens se prirent à dire : « Les prêtres et les moines sont-ils devenus gens de guerre? Sont-ce les armes dont ils doivent se couvrir? N'ont-ils pas pour eux la raison et l'Écriture, qu'ils recourent aux armes que voilà? » - Bientôt ceux qui tenaient la part de l'Évangile se rangèrent de leur côté, Farel les exhortant, et ils se mirent à parcourir les rues en bon ordre, bien résolus à donner bataille.

Des ambassadeurs de Berne qui arrivèrent sur ces entrefaites, furent bien surpris de trouver la ville tout entière en armes, et les partis près d'en venir aux mains. Ils amenaient avec eux Viret, l'onctueux prédicateur de la Parole de Jésus-Christ, tout malade et tout faible d'une plaie qu'un prêtre lui avait faite sur le dos dans les environs de Payerne. Froment qui arrivait de son côté ne put passer les ponts, tant la ville était pleine du bruit des armes. Les ambassadeurs s'adressèrent aux réformés: « Promettez-nous, leur dirent-ils, de vous borner à la défensive. » Les réformés donnèrent leur parole qu'ils n'attaqueraient pas les premiers. Puis grâces à l'assistance que les ambassadeurs prêtèrent aux syndics, ceux-ci réussirent à faire entendre leur voix, et ils publièrent l'ordre à chacun de se retirer en sa maison. Les prêtres et leur parti obéirent les premiers. « Nous n'avons, disaient les réformés, fait attaque ni offense; pourquoi ont-ils couru aux armes? pourquoi n'ont-ils pas suivi le cours du droit préférablement à la violence ? Les premiers venus, c'est à eux aussi de partir les premiers. » Ils se retirèrent en tenant ce langage.

Le tumulte apaisé, les ambassadeurs demandèrent d'être ouïs en Conseil-général, et, prenant la parole, ils portèrent leur plainte formelle de l'offense qu'ils avaient reçue de Furbity.

Le premier syndic s'adressa au docteur : « Bon père, lui dit-il, qu'avez-vous à répondre à ces Messieurs? » Il répondit: « Je n'ai jamais parlé contre nos Excellences de Berne, que j'estime hommes honorables, et à l'égard desquels je ne voudrais pas lâcher un mot de méchanceté. Je prie qu'on veuille me faire connaître les noms de ceux qui vous ont rapporté le cas, et qui, je n'en doute pas, sont du méchant peuple. D'une autre part, Messieurs, je suis ecclésiastique et docteur de Paris; je ne puis ni ne dois répondre devant vous, qui n'êtes pas mes juges, que je n'en aie permission du prélat qui est mon supérieur. Je manquerais à mon ordre, à la faculté de théologie de Paris et à l'Église en général, si j'agissais différemment. » Un des Seigneurs de Berne lui fit une observation : «Vous n'avez pas demandé la permission de vos supérieurs pour parler contre la vérité; qu'en avez vous besoin maintenant ? Défendez votre cause, comme vous avez promis de le faire. » Un des ministres prit la parole: Où avez-vous trouvé, Maître, dans la Sainte-Écriture, qu'un prédicateur, qu'un apôtre ou que Jésus lui-même ait jamais demandé d'être référé à son juge spirituel? ignorez-vous que toute âme doit être soumise à l'épée? que Jésus a répondu à Pilate et devant le Conseil des Juifs, que les apôtres l'ont fait devant des juges étrangers à la loi, et que Paul, quand Festus prit la résolution de l'envoyer à Jérusalem, préféra un juge infidèle et temporel à ces Juifs qui avaient la loi pour les guider. Maintenez donc ce que vous avez offert de défendre : personne ne veut vous fermer la bouche ; que dis-je il nous voici tous prêts à écouter votre justification. »

Le bon maître dit qu'il n'avait pas à faire avec les ministres, et que, plutôt que d'entrer en lice avec eux, il irait prêcher dans toute la France, où il trouverait liberté complète de parler. - « En effet, répliqua l'un des Seigneurs, les prêcheurs de mensonge y ont la voix libre; mais les amis de la vérité y trouvent difficile accès, et ne peuvent la proclamer sans grand péril; la mort récente de plusieurs d'entr'eux le dit assez. » Furbity continua à déclarer qu'il ne disputerait pas, qu'il l'avait assez fait à Paris, « où l'on ne passait point pour bête » et que quand il serait appelé à soutenir sa cause, il le ferait devant des hommes instruits, docteurs et non devant une cour séculière sachant la soumission qu'il devait à l'épée spirituelle. Un des ministres, c'était Viret, lui répondit: «St. Pierre nous commande de rendre avec douceur raison de notre foi, et ce qu'il dit de l'obéissance à l'épée, il le rapporte aux princes, aux ducs et aux puissances et non aux gouverneurs spirituels; ni Paul, ni Étienne, ni aucun de ces hommes n'ont jamais demandé d'être entendus à la cour de St. Pierre; mais ils se sont présentés de bon coeur devant les juges temporels, se confiant à la parole du Seigneur, qui leur avait promis de leur donner une bouche et une sagesse à laquelle leurs adversaires ne sauraient résister. Vous qui dites avoir la vérité, et pouvoir la défendre par la Ste. Écriture, vous ne devez donc éprouver aucune crainte, et puisque vous avez disputé avec des ecclésiastiques aussi instruits, il vous sera bien plus aisé de venir à bonne fin n'ayant à faire qu'à nous, petit peuple que nous sommes. » Le bon père se contenta de répliquer qu'il n'entrerait jamais en lice sans la permission de ses supérieurs, et qu'il n'avait en rien offensé Messieurs de Berne.

On envoya demander au conseil épiscopal de donner des aides à Furbity; mais il refusa d'intervenir; et, comme les députés persévéraient à demander justice, on renvoya l'affaire au 29 janvier. Le bon maître prit son parti de faire savoir qu'il répondrait aux articles allégués à sa charge. Les députés prirent acte de ce qu'il confessait et demandèrent de pouvoir donner la preuve des points qu'il niait encore. Le 29, ils produisirent leurs témoins. Pour Furbity, il demeura longtemps dans le silence. Enfin se remettant, il se dit prêt à défendre sa cause par des motifs puisés dans la Ste. Écriture. - « J'en rends grâces à Dieu, s'écria l'un des ministres ; eh bien, puis que tous nous avons été créés à l'image de Dieu, et que Christ est mort pour nous, je vous conjure pour l'honneur de ce bon Père et de Jésus notre Rédempteur, de traiter sérieusement une matière d'une aussi grande importance. Ne recherchons que la gloire de Dieu et le salut des âmes. Ne cherchons point à nous surpasser l'un l'autre, mais à arriver à la vérité; car victoire plus excellente ne peut nous être donnée, que celle dans laquelle la vérité triomphera. Pour moi, je donnerais ma vie pour que tous parvinssent à sa connaissance. » Et l'auditoire témoigna son désir que la discussion eut lieu dans cet esprit. Prirent place les députés de Berne, le Petit et le Grand-Conseil et plusieurs hommes instruits dans les lois et dans la médecine.

Le sujet qui dans ce temps se présentait toujours le premier, lors d'une dispute, était celui de l'autorité qu'il était permis d'invoquer en matière de foi. Furbity posa celle de l'Église, Farel celle de la Ste. Écriture. «Je ne puis, dit le docteur catholique, me représenter une église sans un chef qui lui donne la loi. - Je ne le puis non plus répondit Farel; mais ce chef est à mes yeux Jésus-Christ, et non le Pape. Après Jésus-Christ, reprit Furbity, les apôtres ont parlé le langage de l'autorité, et à leur tour ils ont laissé aux conciles, à l'Église et au pape la charge de l'enseignement et le pouvoir de fermer et d'ouvrir. - Ce pouvoir est dans l'Évangile, répartit le réformateur ; le possède qui a l'Évangile dans le coeur ; aucun homme, fût-il apôtre, fût-il Pierre lui-même, n'a d'autorité que celle qu'il emprunte de cette Parole divine; car seule elle fait l'envoyé de Dieu. C'est elle qui met la différence entre l'église des Apôtres et certaine église qui, pour dernier argument, ne sait que renvoyer au bourreau. De ces deux Églises, l'une se reconnaît à ce qu'elle est douce, humble, aimante comme son Chef; l'autre est celle qui met le pied dessus la tête des rois. »

Furbity appliqua la règle de Farel à ce qu'il avait sous les yeux; il chercha où se rencontrait l'humilité, la douceur; mais il la trouvait partout ailleurs que chez des hommes qu'il voyait s'élever présomptueusement contre la loi et la règle commune de la chrétienté. - Telle fut la matière traitée dans le premier débat. Le docteur de Sorbonne se plaignit d'avoir à faire à des adversaires qui ne savaient que prêcher en ignoraient les formes de la dispute; toutefois se confiant en son adresse, il se montra prêt à redescendre dans l'arène et à recommencer le combat.

Le samedi était jour de marché; le lundi, 2 février, celui de la Purification; le lendemain jour de St-Blaise, quelques catholiques avaient formé le projet d'une émeute, mais ils ne se rencontrèrent pas à l'heure convenue et se bornèrent à tuer un pauvre chapelier, qui s'était pris de paroles avec l'un d'eux. On procéda ensuite à l'élection des syndics , ensorte que rien ne fut fait concernant Furbity jusqu'au vendredi 11 février que la dispute recommença. Les parties allaient reprendre le sujet qu'elles n'avaient pas achevé de traiter; mais le Conseil les invita à procéder à d'autres articles, comme à celui des jours où il était permis de manger viande.

Le maître prit la parole : « Messieurs, je sais que notre Seigneur n'a nulle part défendu de manger viande; mon guide en cette matière est St-Thomas; je vous prie de considérer le cas, sans que je songe à blâmer personne. » Les ministres rappelèrent leur adversaire aux Écritures, et l'invitèrent à s'avouer vaincu s'il ne pouvait défendre par elles les doctrines de l'Église. Furbity pria Messieurs de Berne de prendre la chose en bonne part, n'étant pas le premier qui eût avancé telle opinion. Les députés prirent acte de ce langage, et se tournant vers le Conseil : « Vous l'entendez, Messieurs, il avoue ce dont il est chargé ; nous demandons justice. » Puis s'adressant à Furbity : « Vous dites avoir prêché purement la Parole de Dieu, et vous venez vous reconnaître prédicateur de rêveries et des décrets de Thomas. » Le bon père vit qu'il ne lui restait qu'à se remettre au bon plaisir de Messieurs du Conseil et se confiant à leur honneur, il demanda à prêcher le dimanche suivant, déclarant qu'il le ferait de manière à contenter Messieurs de Berne. Les ambassadeurs ne cessant de demander que justice leur fût rendue, le Conseil décréta que le dimanche après-midi, en St-Pierre, Furbity reconnaîtrait les articles à sa charge qu'il avouerait avoir parlé faussement contre l'honneur de Dieu et contre Messieurs de Berne puis, qu'il serait banni sous peine de mort.

Le dimanche 15 février, le bon père marcha à St-Pierre, pâle, mais le pas ferme; il monta dans la chaire ; mais voici qu'au lieu de la rétractation à laquelle il avait été condamné, il se mit à faire son apologie, finement et en donnant aux choses un malin tour. Alors une clameur puissante s'éleva, et l'auditoire demanda qu'il accomplît sa sentence. Il s'y refusa. Les syndics le firent conduire en prison, et le bon père y est encore. Hâtons-nous de dire toutefois que, Dieu merci, il n'y a faute de rien; car il est fort en grâce des dames, comme il y a toujours été. La femme du geôlier, qui aime grandement l'Église, lui fait tout service; il est gras, en bon point, nourrissant sa barbe et attendant d'être brièvement délivré, ce que plusieurs désirent comme lui.

Après avoir mis ainsi leur adversaire hors du chemin, les envoyés de Berne ne tardèrent pas à faire un pas de plus; ils demandèrent un temple pour leur prédicateur. Nouveau cas, nouvelle inquiétude en Conseil. « Vous nous demandez plus qu'il ne nous est possible de faire, » répondirent enfin les syndics. - Chaque fois que les ambassadeurs recevaient un refus à quelque demande, ils reprenaient le sujet des sommes dues à la république de Berne par les Genevois; ils ne manquèrent pas de toucher à cette question; puis ils firent de nouveau la demande au Conseil de permettre, qu'au moins pendant leur séjour, un de leurs prédicateurs pût prêcher dans l'une des paroisses ou dans un couvent. Les syndics répondirent : « Nous n'oserions vous accorder ce que vous demandez; toutefois voyez ce que vous avez à faire; vous êtes puissans et si vous prenez vous-mêmes une place, nous ne tenterons pas de résister. »

Ils n'en dirent pas davantage. C'était le 1er mars 1534; après le dîner, une troupe de réformés courut prendre Farel et le conduisit dans la salle du couvent des Cordeliers. Ce couvent était à l'angle que fait la rue Verdaine avec celle de Rive; on l'appelait aussi le couvent de Rive, parce qu'il était (alors) situé sur le rivage du lac. C'est dans ces murs que l'Évangile de la réformation fut, pour la première fois, prêché publiquement dans Genève. Le lendemain grand murmure parmi les catholiques; Ducrest, De la Rive et vingt autres citoyens se présentèrent en Conseil et demandèrent par quel ordre Farel avait prêché. - « Ce n'est point par le nôtre, répondirent les députés de Berne, qui s'étaient hâtés d'arriver, la chose que nous avons si long-temps demandée s'est faite par l'inspiration de Dieu, sans que nous en sussions rien, et nous lui en rendons grâces. Nous vous prions maintenant de laisser nos prédicateurs au lieu où la Providence les a mis, et nous demandons notre congé. » La résolution du Conseil fut portée aux ambassadeurs à leur logis : on les priait d'emmener avec eux leurs prédicateurs. Les Bernois répartirent : « Mais veuillez considérer que ce n'est pas nous, que c'est la Parole de Dieu que nous vous avons recommandée; vous voyez votre peuple animé du désir d'entendre l'Évangile dans sa pureté, ne vous opposez pas à une chose bonne ; vous savez d'ailleurs que qui aime Berne n'est pas contraire à ceux qui recherchent la Parole de Dieu. » - Les ministres demeurèrent et continuèrent à prêcher dans le couvent de Rive.

Dès-lors toutes choses tournèrent dans Genève à l'avantage des réformés : chaque mois fut marqué pour eux par quelque démarche nouvelle et par une nouvelle conquête. Le jour de la Pentecôte, neuf statues qui étaient sous le portail du couvent des Cordeliers furent trouvées mutilées, rompues et leurs débris dispersés. L'enquête sur ce délit n'était pas arrivée à son terme que les prêcheurs avaient réussi à faire voir que la loi de Dieu défend les images et que la première indignation se trouva calmée. Au mois de juin, Farel et Viret commencèrent à administrer les sacremens dans la salle du couvent de Rive. À la fin de juillet, les évangéliques démolirent l'autel du couvent. Berne apprenait avec joie la nouvelle de ces progrès de la réforme; Fribourg en avait conçu une jalousie amère et une profonde indignation. Son alliance avec un peuple infidèle à sa religion et à sa parole ne se trouvait-elle pas rompue par le fait? que lui restait-il que de le déclarer sans retour? C'est ce qu'elle fit dans une conférence qui se tint à Lausanne à la fin d'avril; ses députés ne s'y présentèrent que pour prononcer que l'alliance n'existait plus et pour arracher le sceau du traité. Ainsi finit, huit ans après qu'elle eût été contractée, la combourgeoisie de Genève avec Fribourg. Dès-lors la réforme ne rencontre plus dans Genève qu'une résistance affaiblie et que des adversaires à moitié découragés.

SOURCES.
Ces deux articles sont puisés aux mêmes sources que les précédens. Il y faut ajouter un écrit publié d'abord à Neuchâtel, et réimprimé par François Manget, en 1634, avec une traduction latine, et dans lequel la dispute de Farel avec Furbity est retracée avec détail. C'est l'écrit dont parle Haller dans sa Bibliothèque d'histoire suisse, III, 573; il l'attribue d'après Turretin, Scultetus et d'après tous les écrivains qui en ont fait mention à un catholique romain, qu'il loue de soit impartialité; mais le catholique romain n'est autre que Farel lui-même.
Voulant donner plus de cours à son récit et faire tomber plus sûrement les bruits calomnieux qui circulaient dans la foule, Farel se laissa aller à user d'une fraude pieuse; il mit sa relation sous le nom d'un notaire de Genève qu'il suppose écrire à Vienne à un ami. L'imprimeur, à la demande de Farel, se prête à ce mensonge, et dans un avant-propos au lecteur, il suppose à son tour que l'ami de Vienne lui a donné communication de l'écrit. La lettre de Farel au typographe et une seconde lettre adressée à Fabry, le 22 mai 1535, ne laissent pas de doute sur un fait que nous aimerions à ne pas rencontrer dans la vie du réformateur.
Ces hommes d'une admirable foi, qui, au péril de leur vie, ont conquis pour nous l'Évangile, nous voudrions pouvoir nous les représenter sans reproche; et l'histoire ne peut nous les montrer tels. Ils sortaient d'un monde où l'intolérance était la loi commune, où la morale avait été séparée de la foi et où les fraudes pieuses étaient un moyen que l'on employait tous les jours. Leurs pieds y étaient encore enlacé.
Pour n'être pas scandalisés par leurs chutes, souvenons-nous de la condition humaine; l'homme ne demeure debout, qu'autant que Dieu le soutient.
Une relation de la dispute publiée en 1611 à Chambéry, présente les faits sous un jour évidemment faux et de manière à mériter peu de foi.

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VARIÉTÉS.

Propos de table, empruntés à la conversation du Dr. Martin Luther.

- Vous voyez cette pomme; le beau fruit! Où était-il il y a six mois? Bien bas sous terre. Et quel est le Dieu qui l'a tiré de son obscurité? Celui qui manifeste sa gloire dans les dernières de ses créatures et qui a fait naître la réforme de rien. »

L'on se mit à disserter sur les moyens qui avaient secondé l'oeuvre de la réformation. Luther laissa dire quelque temps, puis : « Vouloir discerner les moyens de la sagesse divine, c'est, dit-il, vouloir mesurer le vent à la cuiller ou peser le feu à la balance. » Et il se mit à faire un récit. « Je me souviens d'avoir vu dans l'histoire qu'un puissant roi de Perse, s'étant mis en campagne avec toutes ses forces, fut vaincu par une merveilleuse armée que Dieu envoya contre lui, c'était une armée de mouches et de cousins. Voilà comment notre Seigneur Dieu se plaît à vaincre; c'est par la faiblesse et non par la force. À la fin la victoire appartient à qui s'est humilié de tout son coeur; car Dieu ne peut-être que miséricordieux envers ceux qui s'humilient.

A ce mot Luther se tourna vers Mme de Bora son épouse - « Dis-le-nous, ma Kaethe, Dieu traite-t-il ses serviteurs moins tendrement que tu ne traites ton petit Martin Kaethe? dis-le-nous, arracherais-tu l'oeil à ton fils, ou lui couperais-tu la tête? » - « Ah! Monsieur le Docteur; pas plus que vous. » - « A plus forte raison Dieu sauvera-t-il ses enfans et les tirera-t-il du mal. Croyons, croyons seulement. Il nous a donné son Fils pour que nous ayons un coeur plein de confiance. Voici, je veux vous offrir un modèle de la conduite qu'il nous faut tenir, ou plutôt c'est notre très-excellent prince, l'électeur Jean lui nous le donnera. Il était, il y a cinq ans, à la fameuse assemblée d'Augsbourg, tout entouré d'hommes qui tremblaient, qui craignaient d'irriter l'Empereur qui ne cherchaient qu'à temporiser et qu'a mettre en accord la faveur de l'homme avec la volonté de Dieu.

Qu'il eût bronché seulement, tous ses conseillers laissaient aller pieds et mains et faisaient foin de l'Évangile. Mais il se tint ferme à Dieu, disant et redisant autour de lui que nos théologiens ne s'inquiètent que de dire et d'écrire ce qui est juste et vrai, sans songer à me mettre à l'abri de la tempête. - La prudence n'exige-t-elle donc aucun égard? demanda le chevalier de Mingwitz.- Eh, mon cher, lui répondit le prince, ton père avait coutume de dire : Droit en avant, c'est ce qui fait le bon coureur. (Gleich zu, gibt einen guten Renner.)

- Courage donc, mes amis, le coeur à Dieu et droit au but. » (Un convive du Docteur.)

SOURCE. Tischreden, ou propos de table du Docteur Luther. Halle, 1743, in-4° de 2400 pages.


Table des matières

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Noms propres de cette page:

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Diètes - Dieu - Dôle - Doubs - Ducrest - Dumoulin -

Églises - Emmenthal - Empereur - Empire - Étienne - Europe - Évangile -

Fabry - Farel - Festus - Français - France - Franche - François - Fribourg - Froment - Furbity -

Gemmi - Genève - Geneveysiens - Genevois - Germain - Germam - Germanie - Guy -

Habstetten - Halle - Haller - Helvétie -

Jargonand - Jean - Jérusalem - Jésus -

Kaethe -

Lausanne - Lausannois - Luther - Lyon -

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Neuchâtel - Nydeck -

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