Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...


.

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.

ROYAUME DE FRANCE.

Confédération Suisse - Berne, 5 février
10 février
Pays romand - Genève, Dimanche, 7 février.
Les commencemens de la Réformation de Genève - Première communion
Olivétan
De la première émeute faite en armes par les prêtres
La seconde émeute des prêtres

Noms propres de cette page

FEUILLETON DU CHRONIQUEUR.
MAÎTRE GUILLAUME FAREL

Paris, 5 février.

Nous sommes loin des jours où Louise, mère du Roi, écrivait dans son journal (c'était en 1522) : « Mon fils et moi, par la grâce du St. Esprit, commençons à connaître les hypocrites blancs, noirs, gris, enfumés et de toutes couleurs, desquels Dieu, dans sa bonté, nous veuille défendre. » Ils sont loin derrière nous ces temps où l'Évêque Briçonnet prêchait ouvertement à Meaux les doctrines de l'Évangile, où les Le-Fèvre, les Farel, les Mazurier se pressaient pour l'écouter et où on citait ouvertement à la cour les noms de vingt évêques amis de la réformation. Et qui reconnaîtrait, dans la France telle que nous la voyons, cette France du XVe siècle, si raisonneuse, si populaire, si jalouse de ses libertés ?
Les rois se prêtaient au mouvement; ils consultaient la nation sur l'impôt et sur la coutume, s'associaient à l'opposition du concile de Bâle, repoussaient les dîmes pontificales et se montraient les défenseurs zélés des libertés de l'Église Gallicane. Que fût-il advenu si le protestantisme eût alors pénétré en France? Mais tout a changé à l'avènement au trône d'un prince généreux, mais absolu dans ses volontés comme dans ses passions. François, pour premier acte, a fait le concordat. Il a cédé au Pape les annates et le Pape lui a donné les élections. Convention remarquable.

Ce n'est plus au peuple chrétien qu'appartient le choix de ses conducteurs, comme il se pratiquait dans les premiers temps de l'Église; ce n'est plus le souverain pontife qui distribue, comme au temps de Grégoire, l'autorité dans les divers degrés de la hiérarchie spirituelle; le Pape, oui le Pape lui-même a livré l'Église catholique à la disposition du Roi. Ce fait accompli, quel besoin le prince aurait-il encore de la réforme? Les propriétés et les revenus du clergé dans sa main; il distribue à son gré les bénéfices ecclésiastiques entre ses courtisans ; le clergé est à son obédience ; tout ce que la réforme eût pu faire pour lui, le Roi ne le possède-t-il pas, et ne l'a-t-il pas obtenu par la voie qui pouvait le moins compromettre sa fierté et sa puissance absolue ?

Toutefois, comme je vous le disais, un abri restait à la réforme; elle se cachait sous la protection que François donnait aux lettres. Il y a peu de temps que la plupart des professeurs au nouveau collège de France se faisaient gloire d'appartenir au protestantisme. Clément Marot ne craignait pas de dédier au Roi cette traduction des Psaumes que l'on cherche avidement aujourd'hui pour la livrer aux flammes (1*). Il y a deux mois encore nous goûtions les fruits de cette tolérance. Le reste vous le savez. Je n'ai à vous apprendre si ce n'est que la colère du Roi ne s'est nullement adoucie. Une ordonnance nouvelle enregistrée le 1er février, ajoute à la rigueur de la persécution; elle défend à toute personne de donner asile aux persécutés, sous peine d'être brûlée vive, et cette loi doit avoir un effet rétroactif. Une chambre ardente a été établie dans le parlement, et l'inquisition s'organise sur les divers points du royaume.

Ne vous représentez pas néanmoins le Roi sans inquiétude sur les suites de ce qu'il vient de faire. Qu'en penseront les Protestans d'Allemagne ? c'est la question qui devait des premières se présenter à ses yeux. S'il est vrai, comme on a lieu de le croire, que François songe à renouveler la guerre, que fera-t-il s'il vient de se priver lui-même de ses alliés les meilleurs? Vous savez que son infanterie se compose en très-grande part de Suisses et de lansquenets levés chez les princes allemands. La noblesse française sert à cheval, et la nation ne connaît pas les armes. Il est vrai de dire que le Roi vient d'ordonner la formation de milices nationales. Pour ne plus dépendre des mercenaires étrangers, il crée sept légions de 6,000 hommes chacune. Sur ces 42,000 hommes, on comptera 30,000 hallebardiers et 19,000 arquebusiers. Le Roi se réserve la nomination du colonel et des capitaines, la légion nommera ses officiers subalternes. Mais quel service y a-t-il à attendre de ces bourgeois, de ces artisans, de ces serfs subitement armés en soldats, et que la crainte bien plus que l'enthousiasme rallie sous les drapeaux? À chaque légion un prévôt et quatre sergens pour y rendre justice sévère.
L'ordonnance règle les peines dans beaucoup de cas; à chaque article, elle prodigue celles d'être pendu et étranglé, d'avoir les oreilles coupées ou la langue percée d'un fer chaud, celle enfin d'être fouetté publiquement.
De pareils moyens créeront-ils une armée française'
Donneront-ils la possibilité de réaliser l'institution de la légion au sein d'une nation dont l'honneur et la gloire sont les mobiles? C'est ce dont le Roi lui-même tout absolu qu'il est, commence à douter, en voyant la peine avec laquelle ces milices s'organisent. Il continuera donc, il le sent, d'avoir besoin des bandes allemandes. Aussi vient-il de s'adresser aux princes de la ligue de Smalkalde, dans son souci de les avoir grièvement offensés. Il affirme n'avoir puni que de malheureux rebelles, pareils à ces sacramentaires qui méconnaissent, comme Luther le sait bien, le saint mystère de l'eucharistie, ou semblables à ces Anabaptistes contre lesquels toute l'Allemagne est en armes. Il se félicite de ce qu'il ne s'est trouvé aucun allemand parmi ceux qu'il a dû frapper. Le reproche d'avoir à sa cour des ambassadeurs du Sultan, il le rejette loin de lui comme la plus outrageuse des calomnies. Que s'il devenait nécessaire « de marcher contre le Turc, pour le repos et l'avantage des nations allemandes et pour la cause commune de la chrétienté, il jure qu'il y sera avec 9000 gendarmes et 50,000 hommes d'infanterie, dont 50,000 seront Germains, et que nul autre que le Roi de France ne sera à la pointe de l'armée, et ne commandera l'avant-garde. » Quelle foi l'Allemagne donnera-t-elle à ces paroles? de quelle valeur ce langage paraîtra-t-il après les faits dont Paris vient d'être le théâtre? (1)

CONFÉDÉRATION SUISSE.

BERNE, 5 février.

Le Roi de France a besoin de nous. Nos cantons n'ont cessé, durant l'année qui vient de s'écouler, d'être travaillés par ses envoyés. DuBellay lui-même, après avoir préparé le retour du Duc de Wirtemberg dans ses états, a paru en diète et y a dit les plus belles choses sur l'amitié que ne cessera de nous porter son maître. Il s'est beaucoup étendu, sur le futur Concile et sur les voeux du Roi pour la pacification de la chrétienté et pour l'union des peuples de l'Allemagne. Il n'a parlé qu'en finissant des pensions dues aux Confédérés. Nos réponses lui ont fait entendre clairement que les Suisses aimeraient mieux voir arriver de France moins de belles paroles et plus d'argent comptant. (2)

Vous me demandez quelques détails sur M. Du Bellay, dont le nom se mêle à toutes les négociations du Roi en Allemagne et en Italie. Guillaume Du Bellay-Langey est l'allié de quatre frères, tous des hommes les plus distingués qu'ait la France : On ne sait dire s'il est plus remarquable comme homme d'état, comme homme de lettres, où comme grand capitaine. Après cela, mauvais courtisan, qui ne sait ni quand le Roi se lève, ni quand il se couche, qui se couvre et s'assied devant sa majesté et qui, quand il a chaud, ôte sa fraise et se met en veste. Il a plus de part à l'estime du Roi qu'à ses libéralités. L'Empereur disait un jour qu'il lui avait fait plus de mal que tous les Français ensemble. Entre grand point de capitaine, on dit qu'il dépense fort en espions, en sorte qu'étant en Italie, il avisait le Roi de ce qui se faisait en Flandres, et qu'étant en Angleterre, il lui faisait part de ce qui se faisait en Italie, ce dont sa majesté ne savait rien. Il est fort versé dans les histoires de France et passe pour s'occuper à écrire les mémoires de son temps. - Jean Du Bellay, son frère puîné est l'évêque de Paris. Il fait les affaires de France à Rome, et ne tardera pas d'être nommé cardinal. Comme il a en mission du Roi de chercher à arrêter le schisme d'Angleterre, personne ne connaît mieux que lui ce qui concerne ce schisme et la personne du roi Henri VIII. Il possède à ce sujet une correspondance fort curieuse. Ajoutez qu'il fait de beaux vers, aime les gens d'esprit et que l'auteur de Gargantua est attaché à sa personne, je crois en qualité de physicien (médecin). - Un troisième frère, Martin, suit comme le premier la carrière des armes et cultive aussi grandement les lettres. Le quatrième est homme d'église, savant et fort occupé du soulagement des pauvres. Tous quatre appartiennent au parti modéré et à la réforme lente et politique (3).
.

10 février.

C'est ici le récit d'un événement qui fait quelque bruit à Berne. Notre ville, comme on le sait, est alliée par des traités de combourgeoisie, non seulement avec beaucoup de cités de l'Helvétie romande; mais elle l'est aussi avec les gentils-hommes les plus puissans de la contrée. Les Valangin, les Vaumarcus, les Vergy, les Châtelard, les Gruyère sont bourgeois de la ville de Berne. On exige qu'ils y aient maison, suivant un antique règlement; on aime à les y voir venir, et pour tout dire, les relations des combourgeois avec la ville ressemblent quelque peu à des rapports de sujétion et de vasselage. Il se rencontre toutefois que parmi ces alliés de la république, la plupart ont d'autres intérêts et d'autres passions qu'elle, le seigneur d'Aubonne entr'autres, fils de M. de Gruyère, et l'un des grands ennemis de Genève.
Ils vont, guerroient, et souvent avec d'autres amis de Berne, qui presque toujours devient l'arbitre du différend. Or, l'année dernière, M. d'Aubonne s'est trouvé avoir à plaider à Berne pour quelque débat. Je crois qu'il s'agissait de mauvais traitemens exercés par le gentilhomme sur des marchands, qu'il avait crus genevois et qui étaient bourgeois des Cantons. M. d'Aubonne, voulant rendre sa cause meilleure, a envoyé à Berne M. d'Aigremont, d'une des branches de la maison de Gruyère, avec l'ordre de répandre certaines sommes parmi les membres des conseils. La chose, il y a quelques années, eût paru naturelle et n'eût fait aucun bruit; telles étaient alors les moeurs des chefs de l'État. Mais la réforme a tout changé, elle a flétri les habitudes vénales, elle a introduit une règle nouvelle des actions. Lors donc qu'on a appris que M. d'Aigremont avait envoyé, aux membres les plus influens des Conseils à chacun 10 couronnes, on s'est fort scandalisé. Quelques-uns des conseillers se sont empressés de faire savoir qu'ils n'avaient rien accepté ; d'autres ont feint de trouver fort mauvais qu'on les empêchât de recevoir les dons de l'amitié. Mais il est un homme que l'offense a blessé au coeur; c'est le plus distingué de nos hommes d'état et de nos capitaines, Sébastien de Diessbach.
Il s'est dès l'abord montré peu favorable à la réformation. Tout Berne l'avait adoptée que sa famille conservait une chapelle selon le culte abandonné. Lors de la guerre de Cappel, en 1531, le choix que l'on fit de Diessbach comme du chef de l'armée a été regardé comme un signe certain que Berne ne prendrait pas une part active à la campagne. Dès lors néanmoins l'habileté de Diessbach l'a fait nommer avoyer; il a rempli honorablement diverses missions à Genève, à Fribourg et il vivait entouré d'une grande considération. Mais l'accusation de s'être laissé corrompre par les Gruyère vient de mettre le comble à l'éloignement qu'il nourrissait en son coeur contre l'ordre de choses qui régit aujourd'hui la république. L'or n'a pas été accepté par lui. De sa campagne du Leuwenherg près de Morat, où il faisait un séjour, il s'est hâté d'écrire à Berne pour laver son honneur et faire voir son innocence; mais il a fait en même temps savoir que, blessé comme il l'a été, il renonce à jamais à sa patrie. Et comme Il avait écrit il vient en effet de faire. Nous apprenons de source certaine qu'il ne reviendra plus à Berne et qu'il fixe sa demeure à Fribourg.
On entend partout dire à Berne avec l'accent de la surprise Il n'y a plus de Diessbach dans le Conseil; point de Diessbach en Conseil ; de mémoire d'homme nous n'avons vu chose semblable. » (4)

 

.

PAYS ROMAND.

Genève, Dimanche, 7 février.

Au son de la grande cloche, le Conseil général, qui avait été annoncé hier au son de la trompette, est rassemblé selon la coutume dans le cloître de St-Pierre, pour élire les syndics et le trésorier. Viennent d'être élus syndics : Antoine Chicand, Amé Bandière Hudriod du Molard et Jean Philippin ; trésorier CI. Bonna, dit Pertemps. Demain on élira le conseil ordinaire.
.

8 février.

Ont été élus pour faire partie du Conseil avec les quatre nouveaux, les quatre anciens syndics et le trésorier. Jean Coquel, J. L. Ramuel, A. Porral, J. Philippe, F. Favre, E. Pécolat, Ant. Lect, B. Messery, E. Dada, P. Ameaulx, C. Richardet, C. Savoye, J. Balard, J. Lullin, D. Franc, E. Chapeaurouge, L. Dufour, A. Gervais, S. Butini.

Ces élections signalent les progrès de la réforme. Les nouvelles du dehors sont peu rassurantes; le Duc ne dort point, le Pays-de-Vaud nous est hostile, l'amitié de Fribourg s'est changée en colère, et nous apprenons que les Valaisans viennent de promettre au Duc leur secours. Les Bernois, informés de ce dernier fait, ont envoyé des députés à Sion pour savoir s'ils peuvent ou non se reposer sur la vieille amitié qui les unit au Valais (5).

 

SOURCES.

.1. Histoire de Paris. Journal de Louise de Savoie Bouchet, Ann. d'Aquitaine. Sleidan.

.2. Ruchat, V, 195. Stettler.

.3. Legendre, hist. de France, T. Il. Biographie universelle. Brantôme. Mémoires sur l'histoire de France, édit. de Londres , T. XVII.

.4. Stettler. - Arch. Bern. - Leu.

.5. Registres du conseil. Ruchat.

 

.

REVUE DU PASSÉ.

LES COMMENCEMENS DE LA RÉFORME A GENÈVE.
( continuation )

« Pourtant cela nul ne se déconforte;
Mais constamment un chacun son mai porte,
Et eu la main , la main du Dieu tant forte,
Il se remet. »

Première communion.

Après le départ de Froment, le nombre des amis de l'Évangile ne continua pas moins de s'accroître, et ils persévéraient à s'assembler les uns avec les autres çà et là par les maisons. Il y avait parmi eux un bonnetier, nommé maître Guérin, homme savant ès-Écritures, de bonne vie, qui enseignait et prêchait secrètement dans leurs assemblées. Il se joignit à lui un autre savant homme, le ministre Pierre Masneri, qui passant à Genève se trouvait logé chez Claude Paste, et se faisait un devoir de travailler à les instruire. Ensemble ils firent la première cène de notre Seigneur, selon son institution. Ce fut hors de la ville, au courtil d'Étienne Dade, auprès du Pré-l'Evêque; n'osant entreprendre de la faire dans les murs. Il y eut à cette cène un grand nombre de gens, bons citoyens et bourgeois, surtout au regard des empêchemens qu'ils avaient; ce nonobstant, Guérin qui la bailla fut contraint de s'absenter, et de s'en aller de la ville plus vitement que le pas. Il se retira avec sa famille à Yvonand, où Froment s'était rendu, et depuis il a été prêcher à Montbeillard.

.

Olivétan.

Peu de jours après cette cène, un moine prêcha dans l'église des Jacobins, en Plain-Palais. Comme il s'en donnait à plaisir et raillait fort les luthériens, Olivétan, qui était précepteur dans la famille de Jean Chautemps et se rencontrait là, ne put se contenir et le corrigea après le sermon en présence de plusieurs. Le moine furieux le couvrit d'injures et souleva les assistans si, fort qu'ils l'eussent battus, si Claude Bernard et Jean Chautemps, entendant le tumulte, ne fussent accourus et ne l'eussent arraché de leurs mains. Olivétan fut banni. Il se réfugia en un lieu, où il put s'occuper avec plus de tranquillité à continuer sa traduction de la Bible, et ce fut à Neuchâtel. Cet homme a de son vivant beaucoup profité à la Parole de Dieu.

.

De la première émeute faite en armes par les prêtres. (2*)

Cette même année 1533, et le grand vendredi que l'on appelle saint, il y eut à Genève une émeute terrible dont voici quel fut le sujet.

Quelques bourgeois, des plus zélés pour la réformation, voyant que nul d'entre les évangéliques ne pouvait élever la voix qu'il ne fut aussitôt banni de la cité, se rendirent à Berne, implorer la protection de la république. Les Seigneurs de Berne écrivirent à Genève, mettant leur bonne amitié à la condition que l'Évangile pût être librement prêché. À la lecture de cette lettre, tout le Conseil fut troublé et grand tumulte s'en suivit. Les prêtres s'assemblèrent en Saint-Pierre. Thomas Moine, Barthélemy Fonchon, Perceval de Pesme, François Ducrest et plus de 200 catholiques entrèrent dans la salle du Conseil. Moine se plaignit en leur nom de quelques-uns qui s'efforçaient de semer une loi et une foi nouvelle, et qui même avaient cherché à mettre Berne de leur côté. « Nous vous prions, » dit-il, « de nous faire connaître les noms de ceux qui ont été vers Messieurs de Berne, et de nous faire savoir s'ils y ont été députés par le Conseil et ce qu'ils en ont apporté, afin que nous puissions juger s'ils n'ont rien fait contre le bien commun et à la ruine de la république. » Les syndics répondirent qu'ils s'occupaient de l'affaire et ne cesseraient qu'elle ne fût faite. « Eh bien! » s'écria Moine, « que l'on fasse justice ! » - « Que l'on fasse justice, » s'écria après lui la multitude ; nous avons promis à Messieurs de Fribourg que nous continuerions à vivre comme nos pères; que l'on songe à mettre à exécution cette promesse. » - « Faites justice, redirent-ils tous encore, en levant haut les mains, et nous vous soutiendrons; faites que nous ne soyons pas injuriés par ceux qui nous appellent papistes, pharisiens et font bande à part parmi nous. Faites qu'il n'y ait plus dans Genève de bandes, ni de partis. »
Ils se retirèrent après avoir reçu quelques remontrances et la défense d'offenser personne. Ainsi les choses se passèrent le mardi 25 mars.

Le vendredi 28, comme le Conseil délibérait sur la réponse qu'il ferait à Messieurs de Berne, entrèrent Girardin de la Rive et Barthélemy Fonchon; ils exposèrent que les prêtres et leurs adhérens s'étaient réunis en Saint-Pierre, tandis que les réformés s'assemblaient en armes dans la maison de Baudichon, et dans la rue basse des Allemands, où demeuraient un grand nombre d'entr'eux. La foule cependant se portait tumultueusement au Molard. Un poignard frappa Pierre Vandel qui voulut faire entendre des paroles de paix. « Au feu, au feu, » criait-on ici; « halassaud! alarme! alarme! » criait-on ailleurs. Alors les prêtres, qui savaient l'affaire, sonnèrent le tocsin et descendirent par grandes troupes et bien armés, au Molard, chantant le vexilla regis prodeunt, se recommandant à la Vierge Marie, incitant le peuple à venir, après eux et criant : « Au Molard, aux Luthériens, au Molard. » On dit, j'ai peine à le croire, qu'ils étaient plus de 600; la soeur Jeanne dit 460. Sur leurs pas s'assembla presque toute la ville. On apprêta l'artillerie. Claude Baud, l'un des syndics, s'avança portant son grand chapeau de plumes, et Perceval de Pesme avec le grand étendard. Pour qu'aucun des luthériens n'échappât, ils attendirent que ceux de Saint-Gervais arrivassent par les ponts et qu'une troisième bande, conduite par le dans la bataille. L'attaque commença lorsque ceux de St-Gervais, un enragé, nommé Balessard, à leur tête, se mirent à déboucher par les ponts. Mais Claude de Genève et quelques autres les accueillirent à grands coups d'épée, les repoussèrent et les rejetèrent, fort navrés, en leurs maisons à St-Gervais. Les voyant fuir, le chanoine de Végia et sa bande, qui devaient descendre de la cité et venir par la rue des Trois-Rois mettre le feu à la maison de Baudichon, craignirent rencontre, et n'osant exécuter leur vouloir ils s'en allèrent joindre les bandes du Molard.

L'artillerie était là braquée, les arquebutes chargées, les hallebardes en bas, prêtes à tailler choc; et personne qui osât parler de paix, craignant de passer pour luthérien et d'avoir le sort de Pierre Vandel. L'air retentissait d'injures, de cris et de lamentations, quand Dieu amena là d'honnêtes marchands de Fribourg. Voyant le danger où l'on était de se tuer les uns les autres, ils allèrent de l'un à l'autre parti, firent entendre les noms « d'amis, de combourgeois, » et tout plein de belles remontrances. Les réformés furent les premiers à leur prêter l'oreille. Les prêtres et leurs adhérens persévéraient à vouloir en finir. « Messieurs, leur dirent les moyenneurs, nous vous en prions, ne soyez pas tant fiers, car si l'on venait à se battre nous aimerions mieux être de leur côté que du vôtre; car ce sont autres gens que vous et en meilleur ordre pour gens de guerre que vous n'êtes. » À ces mots la frayeur en gagna plus d'un, et passant deçà, delà, plusieurs se mirent à dire : « qu'on appointe ceci; qu'on appointe ceci. » Claude Baud, Nicolas Ducrest et Pierre Malbuisson, syndics tous les trois, et d'entre les chefs des catholiques, s'avancèrent alors pour traiter de la paix. On reçut et donna des otages. Puis ils firent une paix fourrée, en vertu de laquelle on publia, au son des trompes , les articles suivans :

« Au nom de Dieu Créateur et Rédempteur, Père, Fils et Saint-Esprit. Amen. Et pour bien de paix soit résolu.

« Que tous colères, rancunes, batteries et outrages soient totalement pardonnés, et que tous nos citoyens, bourgeois et habitans, tant ecclésiastiques que séculiers, vivent d'ici en avant en bonne paix, sans faire nouveauté de parole ni de fait jusqu'à ce qu'il en ait été généralement ordonné.

« Item. Que nul ne soit si osé ni si hardi de parler contre les saints sacremens de l'Église; mais qu'en cette chose chacun soit laissé à la liberté de conscience, sans se reprocher quoi que ce soit.

« Item. Que nul ne soit si osé ni si hardi de prêcher sans licence de supérieur; et que prêchant ne dise chose qui ne soit prouvée par la Ste-Écriture.

« Item. Que nul ne soit si osé ni si hardi de manger de la chair le vendredi ni le samedi, ni faire chose qui puisse scandaliser son prochain et frère.

« Item. Que nul ne soit si osé de chanter ni faire chanter chansons les uns des autres, ni touchant la foi ni la loi.

« Et afin que la paix dure perpétuellement, Dieu aidant, que chacun soit appelé à lever la main, en faisant serment à Dieu d'observer l'appointement sus écrit; sous peine de 60 sols pour la première contravention, de 60 sols et trois jours de prison pour la et pour la tierce de 60 sols et d'être banni de la ville pour un an et un jour.

« Et que gens mariés notifient ceci à leurs femmes et enfans, afin qu'ils n'y contreviennent. »

Après que ces articles eurent été publiés, les otages furent rendus de part et d'autre. Tous jurèrent d'observer la paix, les séculiers rangés sous leurs capitaines et leurs dizeniers, et les ecclésiastiques à l'entour du vicaire de l'Évêque. Puis fut faite une procession générale par la ville, à laquelle les luthériens assistèrent; tous rendant louange à Dieu de ce que cette journée s'était passée sans effusion de sang. Il ne restait qu'à donner réponse à Messieurs de Berne. Sommés de faire connaître si des membres du Conseil ne les avaient pas exhortés à aller à Berne, Baudichon et Salomon déclarèrent « qu'à eux seuls appartenait le mérite ou la peine de ce qu'ils avaient fait. » Alors se levèrent Dominique d'Arlod et Claude Bernard, qui dirent volontairement « qu'ils avaient su que Salomon et Baudichon devaient aller à Berne, mais qu'ils s'étaient bornés à leur dire: « faites ce que Dieu vous inspirera. » Sur cela, les deux luthériens reçurent défense d'écrire ou faire écrire à l'avenir à Messieurs de Berne ce qui se passait dans la ville; et deux députés furent envoyés prier les alliés de Genève de la laisser vivre selon ses coutumes, sans cesser de lui être favorables.

.

La seconde émeute des prêtres. Les Fribourgeois ramènent l'Évêque qui, ayant eu peur, s'en retourne. Berne parle mieux et de plus haut que Fribourg.

«Posteri, posteri, vestra res agitur.
- « C'est ici la cause des âges qui viendront. »

(1533.) La paix avait été jurée le 30 mars. Tous les citoyens étaient ensuite allés faire leurs Pâques, les réformés chez l'un d'entr'eux et selon la simplicité de l'institution du Sauveur, les catholiques en Saint-Pierre autour de leurs riches autels. Ils y avaient assisté en armes, ce qui ne s'était jamais vu. Un mois s'écoula néanmoins sans que le repos de la ville fût de nouveau sérieusement troublé. Arriva le mois de mai et l'époque de la foire de Lyon; les réformes, qui étaient marchands pour la plupart, s'y rendirent en grand nombre; alors les débats recommencèrent entre ceux d'entr'eux qui étaient demeurés et les amis les plus ardens des prêtres. Un soir, c'était le 4 mai, des citoyens qui se promenaient en attendant d'aller boire, se querellèrent et il y eut des épées tirées; cependant la réconciliation fut prompte et l'on convint d'aller boire ensemble pour la cimenter. Cependant, un catholique, qui avait été le provocateur du différend, monte chez le grand vicaire où plusieurs prêtres étaient assemblés : « Venez, venez, leur dit-il, on maltraite les catholiques. » À ce mot, Marc Versonay court faire sonner le tocsin, et Messire Pierre Vernly, fribourgeois, et l'un des plus apparens des chanoines, saisissant sa hallebarde et la brandissant dans sa main, court au Molard en criant : « Où sont les chrétiens ? qu'ils viennent après moi ; qu'ils viennent. » La hallebarde lui fut ôtée. Dégainant alors une large épée, il se mit à en frapper à droite, à gauche, et ce jusqu'à ce que se sentant blessé, il s'enfuit et reçut en fuyant un coup qui fut celui de la mort.

Grande inquiétude au Conseil. Messire Pierre était fribourgeois; on se hâta de promettre aux seigneurs de Fribourg que justice sévère serait faite de l'assassin. Ce néanmoins on ne tarda pas à voir arriver à Genève un héraut fribourgeois, avec Garpard Vernly,

Bientôt de nouveaux députés de Fribourg arrivèrent à Genève. Cette fois c'était pour demander justice, et « si bonne que ces Messieurs en fussent contens. » On ne savait, ou l'on ne voulait pas savoir qui avait porté le coup de mort à Vernly, mais les Fribourgeois demandaient vengeance, et le Conseil chercha une victime. Pierre l'Hoste, un pauvre chartier, fut enivré et torturé si cruellement qu'il s'avoua l'assassin ; ce fut sa tête qui satisfit à la soif de sang des Fribourgeois.

Mais ce n'était pas tout ce qu'avaient à demander les alliés de Genève catholique ; l'évêque, Jean de la Baulme, avait abandonné une ville, où l'on rencontrait à chaque pas l'hérésie associée à l'esprit de liberté; Fribourg commanda son rappel. Après s'être fait quelque temps attendre, il arriva le 1er juillet, à 5 heures après-midi. À ses côtés chevauchaient les seigneurs de Praromand, l'un ancien, l'autre moderne avoyer de Fribourg.

Le Conseil avait ordonné que tous les citoyens qui possédaient des chevaux allassent au devant du prince ; mais qu'il ne se fit aucune bande pédestre ; néanmoins 40 arquebusiers se portèrent à sa rencontre et se joignirent aux cavaliers. Une artillerie puissante salua l'heure de sa venue. Le lendemain procession générale avec grande dévotion ; puis tout le peuple s'assembla devant l'église de St.-Pierre, Il se mit en place en silence et Monsieur de Genève leur demanda d'une belle et claire voix, en langage intelligible à chacun, s'ils le tenaient pour leur prince et pour leur vrai seigneur; à quoi tous répondirent qu'oui. Alors pour se décharger et pour le salut de leurs âmes (comme le rapporte Jeanne de Jussie), il leur fit une sainte exhortation, que désormais ils demeurassent en paix les uns avec les autres, comme bons citoyens, bons voisins et bons amis, et le dit d'une si humble et si pieuse façon que chacun se prit à pleurer, et cela fut fait sans trouble, dont on loua Dieu.

Cependant les conseils de Genève avaient repris confiance à la voix de députés de Berne et à la vue des périls qui menaçaient leurs libertés. Ils tirèrent de la grotte (les archives) le livre des franchises de la ville, et pour premier acte, il le présentèrent à l'Évêque qui se hâta de le leur renvoyer. Bientôt les conflits de jurisdiction, les querelles et les hostilités recommencèrent. L'Évêque était soutenu par Fribourg, Berne appuyait les citoyens. Tout le peuple, qui était déshabitué du joug, faisait entendre des murmures. Pierre de la Baulme prit de nouveau Genève en dégoût, et le 15 juillet il se départit de la ville. Il n'y est oncques depuis revenu.

Alors il arriva à Genève une députation de Fribourg plus nombreuse qu'aucune de celles qu'on y eût encore envoyées. Elle était composée de membres du Petit-Conseil, de celui des Soixante et de celui des Deux-Cents, de citoyens de la communauté et même d'habitans du canton. Les députés demandèrent au Conseil d'assembler le général, et de faire prêter à la bourgeoisie le serment de garder la bonne ancienne religion. On s'attendait à voir bientôt arriver les envoyés de Berne ; en effet Frantz Naegueli et Jean Augsbourguer ne tardèrent pas à se présenter et à faire entendre au peuple de Genève le bienveillant langage de leurs Seigneurs ? « Nous ne vous proposons pas, dirent-ils, de vous attacher à une religion plutôt qu'à une autre; nous ne faisons que vous prier, en charité chrétienne et fraternelle, de vivre unis ensemble et de laisser conscience libre à chacun.

C'est la seule demande que nous ayons à vous faire pour le présent. » En cas de réponse défavorable, les députés avaient l'ordre d'exiger des Genevois le paiement de la somme qu'ils devaient à leurs Excellences.

Du jour que les députés eurent fait entendre ce langage, la cause de Berne l'emporta dans Genève sur celle de Fribourg; les Conseils et les citoyens crurent voir dans les seigneurs de Berne les vrais amis de la république et, sans que la plupart s'en fussent rendu compte clairement, la réformation se trouva avoir posé si fortement le pied dans Genève, qu'il ne devait plus être possible de l'en expulser.


Table des matières

.
(1*) « 0 donques, Roy, prens l'oeuvre de David,
Oeuvre plutôt de Dieu, qui le ravit.
D'autant que Dieu son Apollon était
Qui lui eu train et sa harpe mettait. »
Et plus tard:
« Puisque voulez que je poursuive, o Sire,
L'oeuvre royal du Psautier commencé
Et que tous ceux aimant Dieu le désire
D'y besogner m'y tient tout disposé. »
.
(2*) Pour continuer notre narration, le récit de Froment ne nous suffit plus. La réforme n'avait pas seulement donné naissance à une église, elle avait crée des partis dans Genève. Froment, appartenait à l'un de ces partis. Il raconte comme les réformés ont vu. Pour compléter et souvent pour rectifier ce qu'il dit, nous prenons en main, entr'autres documens, les Registres du Conseil et le narré de la soeur Jeanne de Jussie.
La soeur Jeanne était religieuse au couvent de Sainte-Claire de Genève, et elle voyait comme les prêtres lui récitaient les choses. Les Registres nous placent à un point de vue intermédiaire et presque sur une terre neutre; car quelles que fussent les passions qui divisaient les membres du Conseil, il n'était permis à la plume du secrétaire que de retracer simplement et les faits.
Ajoutons que ce secrétaire était l'honnête Claude Roset.


.

Noms propres de cette page:

Aigremont - Aimé - Allemagne - Allemands - Ameaulx - Anabaptistes - Angleterre - Antoine - Apollon - Aquitaine - Arch - Arlod - Aubonne - Augsbourguer

Balard - Bâle - Balessard - Bandière - Barthélemy - Baud - Baudichon - Baulme -Bellay - Bern - Bernard - Berne - Bernois - Bible - Bonna -Bouchet - Brantôme - Briçonnet -Butini

Chapeaurouge - Châtelard - Chautemps - Chicand - Claire - Claude - Claudine - Clément - Confédération - Conseil - Coquel

David - Diessbach - Dieu - Dominique - DuBellay - Ducrest - Dufour

Empereur - Étienne

Farel - Favre - Flandres- Fonchon - Franc - Français - France - François - Frantz - Fribourg - Fribourgeois - Froment

Gallicane - Gargantua - Garpard - Genève - Genevois - Germains - Gervais - Girardin - Grégoire - Gruyère - Guillaume

Henri - Hoste - Hudriod

Jacobins - Jean - Jeanne

Langey - Legendre - Leuwenherg - Levet - Louise - Lullin - Luther - Lyon

Malbuisson - Marc - Marie - Marot - Martin - Masneri - Mazurier - Meaux - Messery - Molard - Montbeillard - Morat

Olivétan

Pape - Pâques - Pécolat - Perceval - Pertemps - Philippe - Philippin - Pierre - Porral - Posteri - Praromand - Psautier

Rédempteur - Richardet - Rome - Roset

Salomon - Savoie - Savoye - Sébastien - Sion - Sleidan - Smalkalde - Suisse

Thomas

Valais - Valaisans - Valangin - Vandel - Vaud - Vaumarcus - Végia - Vergy - Vernly - Versonay - Vierge

Wirtemberg

Yvonand

 

- haut de page -