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TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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(Jean 17.17)
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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.

ROYAUME DE FRANCE.

Allemagne
Helvétie romande
Les commencemens de la Réformation de Genève racontés par Antoine Froment
Arrivée de Froment à Genève
La conversion de Claudine, femme du respectable citoyen Aimé Levet.
Le premier sermon public de Froment

Noms propres de cette page

FEUILLETON DU CHRONIQUEUR.
FRANÇOIS BONNIVARD, PRIEUR DE SAINT VICTOR

Paris, 21 janvier au soir.

Comment retracer les scènes de ce jour? comment rendre ce qui vient de se passer sous nos yeux Nous vous avons dit la colère du Roi, soulevée par quelques imprudens qui avaient affiché jusques à sa porte des placards contre la messe. Sa Majesté est arrivée à Paris, résolue à venger cette injure et à faire une expiation publique de l'outrage fait au sacrement.

Le 13, elle a donné un premier témoignage de ce qui l'animait en faisant publier des lettres patentes portant abolition de l'imprimerie, et défendant toute impression de livres dans tout le royaume sous peine de la hart (1). En même temps le lieutenant Morin a reçu de nouveaux ordres de faire arrêter tous les protestans de Paris; puis le Roi a ordonné de préparer, pour le 21 janvier, une procession solennelle et générale dans le but d'apaiser la colère de Dieu. Toute la semaine s'est passée en préparatifs.

Rien n'a été négligé de ce qui pouvait frapper les sens et maîtriser les esprits. Les rues de Paris ont été tapissées. Les Parisiens honorent Ste-Geneviève pardessus tous les saints. Sa châsse, que l'on ne sort que dans les jours de grand péril, a été apportée en pompe. On la considère comme une dernière ancre à laquelle le peuple croit qu'on ne recourt pas en vain. Les boucliers sont ceux qui la portent d'ancienneté, en se disposant à le faire quelques jours à l'avance par jeûnes et prières. À la châsse de Ste-Geneviève, on a joint celle de St-Marcel. Plusieurs personnes observaient que depuis bien long-temps ces deux reliques n'avaient été vues figurer ensemble. De plus on a étalé toutes les reliques de la Sainte Chapelle, la couronne d'épines qui n'avait jamais été portée eu procession, le fer de la sainte lance, le sang de Jésus-Christ, sa robe de pourpre, le lait de la Ste-Vierge, et, que dirais-je encore? rien n'était oublié; on voyait le dessein de montrer une grande vénération, pour ce que les luthériens ne respectent guère.
Le clergé, les écoliers, les magistrats, tout était venu; on remarquait le cardinal de Châtillon, qui est réformé dans le coeur. Il y avait une presse et une gaîté de peuple incroyable. C'était à qui toucherait la châsse de Ste-Geneviève du bout du doigt, ou du bonnet, ou de quelque linge. Les sergens de ville faisaient faire place à grand'peine. La procession est sortie entre 8 à 9 heures de l'église de St-Germain. D'abord on voyait les reliques dont nous avons parlé, et de plus celles de St-Germain, de St-Méry, de St-Marceau, de St-Honoré, de tous les saints de la ville de Paris, tous ceux qui portaient ces reliques allaient nu-pieds, Les cardinaux et tout le clergé suivaient, l'évêque de Paris, Jean Du Bellay, le dernier, portant dans ses mains le saint sacrement. Puis marchait le Roi, ayant sur ses vêtemens tout le faste des grandeurs mondaines, mais la tête nue et tenant une torche de cire vierge à la main ; après lui venaient la reine, MM. les princes, les deux cents gentils-hommes, toute la garde le Parlement et toute la Justice, puis tout Paris. Ils avaient tous à la main, en plein jour, une torche allumée ; je ne pense pas qu'ils en vissent plus clair.
La procession parcourut lentement tous les quartiers de la ville; et, dans les six principales places y avait un reposoir pour le saint sacrement, un échafaud et un bûcher, où furent très-cruellement brûlés vifs six personnages, avec merveilleuses huées du peuple. Celui-ci était tellement ému que peu s'en fallut qu'il ne les arrachât des mains des bourreaux pour les mettre en pièces. Au reste le peuple en les déchirant leur eût épargné des tourmens bien plus cruels; car on avait préparé pour leur donner la mort une machine élevée que l'on nomme estrapade; c'est une solive qui en s'abaissant les plongeait dans la flamme du bûcher et se relevait aussitôt pour prolonger leur supplice, jusqu'à ce que la flamme gagnant enfin les cordes qui les liaient, ils tombassent au milieu du feu. On attendait pour faire jouer l'effroyable balançoire, que le Roi fût arrivé avec la procession. Alors le Roi remettait sa torche au cardinal de Lorraine, joignait les mains et humblement prosterné, implorait la miséricorde divine sur son peuple, jusqu'à ce que la victime eût péri dans d'atroces douleurs.

On a la coutume en France, de publier les considérans de la sentence de ceux que l'on va faire mourir. Mais on n'en agit point ainsi envers les accusés de luthéranisme, c'est-à-dire envers ceux qui ont parlé de justification par la foi et non par les oeuvres légales, qui se sont élevés contre l'invocation dés saints, ou qui ont mangé de la viande les jours défendus. Leurs fautes ne sont point énumérées en détail, mais on se contente de dire que le patient est criminel de lèse-majesté divine, et qu'il a violé les décrets de la sainte mère Église. C'est pour ce crime qu'ont été sacrifiés les six dont suivent les noms et que pour moi j'estime dignes de perpétuelle mémoire :

Et d'abord Barthélemy Milon, jeune homme perclus de tout son corps, brûlé vif et à petit feu, en place de Grève. Depuis six ans il ne bougeait de son lit. On nous raconte que Morin, écumant de rage, en entrant dans la chambre de ce pauvre paralytique, lui cria : « Sus, lève-toi, » et que Milon répondit en souriant : « Hélas, Monsieur, il me faudrait un plus grand maître que vous pour me faire lever. » Il a fait voir jusqu'au dernier moment la même sérénité.

Nicolas Valeton, receveur de Nantes, brûlé à la Croix du tiroir.

Morin, en effrayant et trompant sa femme, avait réussi à connaître le lieu où se trouvaient son Nouveau-Testament et ses livres. Sa fermeté a été trouvée d'autant plus admirable qu'il avait encore bien peu d'instruction.

Jean Du Bourg, marchand drapier de Paris, demeurant à l'entrée de la rue St-Denis, à l'enseigne du Cheval-Noir, brûlé aux Halles. Ni biens, ni parentage ne l'ont ébranlé.

Étienne de la Forge, de Tournay, mais dès Iong-temps habitué à Paris, brûlé au cimetière de St-Jean. Il était fort riche, n'épargnait pas son bien aux pauvres, et avait en singulière recommandation l'avancement de l'Évangile, dont il faisait réimprimer les livres à ses frais, pour les répandre avec ses aumônes.

Une maîtresse d'école, nommée la Catelle, brûlée vive au bout de la rue de la Huchette.

Enfin Antoine Poille, pauvre maçon, qui avait reçu les commencemens de l'Évangile de l'évêque de Meaux, M. Briçonnet. Il a été béni de Dieu pour remporter le prix, comme ayant été traité le plus cruellement. Outre le supplice du feu, il a eu la langue percée et attachée à sa joue avec une cheville de fer pour qu'il ne pût parler au peuple.

La procession a repris sa route. Pendant qu'elle passait sur le pont de Notre-Dame, on a laissé échapper plusieurs oiseaux, auxquels on avait attaché de petits billets portant ces mots (cruelle parodie de l'un des symboles de la délivrance du genre humain par le Sauveur) : « Ipsi peribunt, Tu autem permanebis.», « Ils mourront et vous vivrez. »

C'est à l'église de Notre-Dame que la procession s'est terminée. Le sacrement y a été déposé sur l'autel et la messe chantée par l'évêque de Paris. Le roi et les princes ont ensuite dîné chez ce prélat. Après le dîner, toute la cour, le parlement et les ambassadeurs se sont rassemblés dans la grand'salle de l'évêché ; le Roi y est monté dans une chaire, et là il a adressé aux assistans un discours, « non, a-t-il dit, comme un roi et un maître le fait à ses sujets, mais comme sujet et serviteur du commun Roi des rois. » Après avoir énuméré les grâces que le ciel a faites au royaume de France, cette terre chrétienne par dessus toutes les autres, il a exprimé son profond déplaisir, de ce que « en ce royaume se soient trouvées de si méchantes et malheureuses personnes que de vouloir maculer son beau nom, en y semant opinions exécrables. Ne laissant à personne le pouvoir de faire pis, c'est à Dieu lui-même, c'est au sacrement des sacremens que se sont attaqués de plein saut ces blasphémateurs, gens de petite condition et de moindre doctrine. Ils ont osé proférer et écrire d'insupportables injures, en usant de termes réprouvés de toutes nations. Notre peuple et cette bonne ville de Paris (qui dès le temps que les études y furent transportées d'Athènes, a toujours été resplendissante de bonnes et saintes lettres) pourraient en être scandalisés et leur lumière obscurcie, s'il n'y était pourvu de manière à ce que chacun puisse reconnaître qu'il n'y a été de ma faute. je veux donc et ordonne que rigoureuse punition soit faite des délinquans. Et je vous prie et admoneste, et tous mes sujets, que chacun prenne garde, non à soi seulement, maïs encore à sa famille, et spécialement à ses enfans, pour les faire si bien endoctriner qu'ils ne puissent tomber en si damnable opinion.»

( Ici signes de componction dans l'assemblée, ce qu'observant le roi : ) « Je rends grâces à Dieu, dit-il, en voyant les plus grands, les plus savans, et sans comparaison le plus grand nombre de mes sujets, se montrer constans à bonne et sainte doctrine. » (Nouveaux signes d'adhésion, soupirs mêlés à des expressions de joie). Alors le Roi, s'enflammant de plus en plus, requit tous ses sujets « de dénoncer ceux qu'ils connaîtraient être complices de ces blasphèmes, sans nul égard d'alliance, de lignage ou d'amitié, jusques à dire que, quant à lui, si son bras était infecté de telle pourriture, il le voudrait séparer de son corps, c'est-à-dire, comme il l'exposa lui-même, que si ses propres enfans étaient si malheureux que de tomber en telles opinions exécrables, il les voudrait bailler pour faire sacrifice à Dieu. » (1*)

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ALLEMAGNE.

Un fait s'est accompli dans le cours de l'année dernière par l'intervention du roi de France; c'est le rétablissement d'un prince réformé dans ses états héréditaires. On connaît bien chez les Suisses et dans l'Helvétie romande les violences et les malheurs d'Ulrich de Wirtemberg. Chassé de ses états en 1519 par ses sujets révoltés, il s'était retiré à Montbeillard, y avait embrassé le protestantisme et y attendait les circonstances. Le roi de France a saisi l'heure à laquelle Charles V était en Espagne et Ferdinand roi des Romains, occupé de la guerre contre les Titres; il a livré l'argent, les confédérés de la ligue de Smalkalde ont donné les soldats, et Ulrich s'est mis en peu de jours, presque sans résistance, en possession du duché de Wirtemberg. On pouvait craindre que Ferdinand ne cherchât à recouvrer par les armes un pays qui lui avait été engagé; mais il a jugé mieux de traiter avec la ligue de Smalkalde. Ulrich conserve le duché comme arrière fief de la maison d'Autriche, ses sujets sont maintenus dans le libre exercice de leur religion, et ses troupes se sont déjà réunies à celles de tous les princes de l'Allemagne pour assiéger dans la ville de Munster les Anabaptistes, qui en ont fait le siège de leur empire. (2*)

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HELVÉTIE ROMANDE.

Résumé des nouvelles du pays.

Genève éprouve quelque relâche. Le froid a dispersé les gentils-hommes qui la tenaient bloquée. Les seigneurs de La-Sarraz, de Berchier, du Chatelard, sont depuis le mois de décembre rentrés dans leurs foyers. Les escarmouches continuent néanmoins dans les alentours de la ville et les fermiers des citoyens se plaignent d'être empêchés de se livrer à leurs travaux. Dans la ville, la trêve de la querelle politique a laissé le champ plus libre au débat religieux; Farel et Viret ne connaissent aucun repos et n'en laissent aucun à leurs adversaires. On assure que les réformés sont bien près de l'emporter en nombre comme déjà ils l'emportent en assurance et en énergie sur les adhérens de la vieille foi.

Il en est bien différemment dans le Pays-de-Vaud. Le peuple y est plus que jamais contraire aux doctrines nouvelles. L'année 1554 a été celle d'un jubilé septénaire ; à cette occasion une pompeuse foire d'indulgences s'est ouverte à Lausanne, et la nation agricole et coutumière y est venue, comme autrefois, en grand'foule acheter le rachat de ses péchés. Ce pays qui avait dès l'abord pris un vif intérêt à la lutte héroïque de Genève, la contemple d'un oeil tout autre depuis que Genève s'est penchée vers la réformation. Naguère le peuple et les bourgeois étaient pour la jeune république. Les gentils-hommes seuls partageaient l'animosité du Duc.
Les États, sollicités par le Prince d'une part, et de l'autre par les seigneurs de Berne, se sont plus d'une fois, dans l'année qui vient de s'écouler, prononcés pour la neutralité et pour le maintien de la paix. Ce faisant, ils écoutaient leurs sympathies aussi bien que leurs intérêts. Ils ont le souvenir des ravages qui ont accompagné les précédentes expéditions des Suisses. Ils savent d'ailleurs qu'une des clauses du traité de St-Julien donne le pays aux seigneurs de Berne dans le cas d'une guerre malheureuse pour Charles III. Deux fois donc ils ont dans le cours de la dernière année paralysé les mesures hostiles du Prince en refusant d'y prendre aucune part.
Mais en adoptant la réforme, Genève a changé ces dispositions. Ce n'est pas vainement aux yeux de ce peuple que le pape a excommunié la cité infidèle. De l'intérêt qu'il avait montré, de la modération qu'il avait fait paraître, il est passé à un excès d'indignation et de zèle. J'entends dire de toutes parts que si les Bernois veulent secourir leur alliée, on s'opposera à leur passage. Témoin de ce changement, le Duc a ordonné une revue générale des milices du pays et c'est partout dans la contrée que l'on s'est montré prompt à répondre à son appel.

Nous n'avons pas encore touché à l'une des causes qui ont le plus contribué à jeter le peuple dans ces voies d'inimitié contre la doctrine nouvelle; nous voulons parler de la violente agitation qui règne dans les baillages que Berne possède au Pays-de-Vaud et dans les villes dont l'entrée lui a été ouverte par des traités de combourgeoisie à Aigle, à Orbe, à Grandson, à Payerne, à Avenches, à Neuchâtel, à Bienne, à Moutiers, partout où Berne s'est crue en droit de rencontrer de l'obéissance ou des égards, elle s'est montrée résolue à faire prévaloir l'Évangile. Elle a commencé par demander que ceux qui le prêchaient ne fussent pas bannis, puis qu'ils fussent écoutés, et elle, en est déjà à exiger qu'on les croie. Les prédicateurs de leur côté, enhardis par l'appui qu'ils trouvent en elle, oublient que leur seule arme est là parole, et que religion est persuasion. On les voit recourir, à leur tour, à ces moyens de violence dont ils se plaignaient naguère que leurs adversaires usaient envers eux.

Nous aurions à en réciter plus d'un exemple. Nous nous bornons pour aujourd'hui à mettre sous les yeux de nos lecteurs une lettre adressée par « ceux de Grandson qui tiennent à la messe, à MM. des deux villes de Berne et de Fribourg. » Voici cette lettre presque en son entier.


« Nous vous supplions pour l'honneur de Dieu et dans I'attente de son bon vouloir de nous laisser dorénavant vivre et mourir de la manière de nos bons anciens prédécesseurs, sans aucun empêchement; car en nulle autre loi que celle que nous tenons n'entendons pour le présent trouver meilleur salut. Pareillement laissez-nous demeurer en nos anciennes lois, libertés et franchises, et que contrainte ne soit faite à nul de nous contre sa propre conscience ; car à chacun particulier il appartient de penser au salut de son âme.

Et vous plaise ouïr la manière dont ces nouveaux évangélisateurs et leurs adhérens nous ont empêchés, perturbés et scandalisés :

Premièrement ils ont détruit nos autels, épouvanté nos prêtres, appelé nos messes punaises, et fait tel empêchement que nos religieux n'ont osé long-temps, sinon occultement chanter.

Item, Maître Guillaume (Farel) et ses complices se venaient mettre aux formes à l'heure accoutumée du culte pour troubler les bonnes gens qui venaient faire leurs oraisons, et d'autres levaient par dessus leurs têtes une bûche de bois en disant par dérision : Velà votre Dieu; et plusieurs se servaient de paroles des honnêtes, comme de nous appeler idolâtres et autres propos trop prolixes à raconter.

Item, les envoyés de nos Seigneurs avaient fixé les heures de leur service et du notre; mais maître Guillaume a presque toujours prolongé, outre mesure l'heure de ses prédications, et tant qu'ayant prêché lui-même depuis 5 à 9 heures, il en faisait monter un autre et puis un autre après lui, ce qui est procéder par passion et non autrement.

Item, un dimanche, qu'avions prié les religieux de St.-Jean de nous chanter l'office, ils vinrent furieusement jusqu'à l'autel, s'accrochant et s'appuyant dessus, bramant comme des moriaux (insensés).

Item, un autre dimanche maître Guillaume abrévia sa prédication, pour nous venir, ensemble ses complices, sauter et faire empêchement parmi nous, et ils nous eussent déchassés si nous eussions été plus faibles qu'eux en quoi Dieu sait que leur volonté n'est bonne.

Item, dès qu'il a été question de chanter vêpres ou matines sont venus maître Guillaume et ses suivans, aux formes des religieux, à leurs places, arracher le froc à quelques-uns, chanter l'office, criant et brayant tous ensemble et roulant des pierres dans l'église afin de faire plus de bruit. Pensez, très-honorés Seigneurs, si toutes ces matières sont faites selon l'Évangile.

Et pourrions faire encore bien d'autres plaintifs, si nous ne craignions vous attenir; car la matière est orageuse, laquelle, s'il plaît à dieu, mettrez en bonne pacification. »

SOURCES.

.1. Gaillard, histoire de François I, T. VI. Carnier, XXII. Daniel, V, Beaucaire, L. XXII. - Bouchet, annales d'Aquitaine. L. IV. - Bèse, hist. des églises réformées, I. Sleidan, L. IX. Crespin, hist. des martyrs. - Dulaure, hist de Paris, IV. Sismondi, XVI. - La plupart par erreur transposent ces faits à la date du 29 janvier.

.2 Sleidan, L. IX. Hottinger, continuation de J. Muller. I, V.

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ENCORE LA REVUE DU PASSÉ.

LES COMMENCEMENS DE LA RÉFORMATION DE GENÈVE
RACONTÉS PAR ANTOINE FROMENT.
(2)

Arrivée de Farel et de Saulnier à Genève.

L'an de notre Seigneur courant 1532, maître Guillaume Farel avec Antoine Saulnier, tous deux de Dauphiné, et ministres sous la république de Berne, s'étaient rendus à la requête de Georges Mourel de Freyssinières et de Pierre Masson de Bourgogne députés des Vaudois au synode qui se tint en Piémont pour se concerter des mesures propres à avancer le règne de Christ. Leur délibération surabonda à l'avantage des chrétiens d'autres contrées, car ils formèrent le plan de traduire la Bible en français; ce dont ils chargèrent Pierre, Robert Olivétan, de la ville de Noyon en Picardie. Retournant de cette expédition, Farel et Saulnier passèrent par Genève et logèrent à la Tour-Perse. Ils y trouvèrent diverses personnes qui avaient quelque peu de sentimens à l'Évangile; mais encore froids, charnels et du monde ; n'entendant presque rien, si ce n'est à manger de la chair les vendredis, et à dire mal des prêtres. Comme cependant ils étaient disposés à écouter l'instruction, les deux étrangers leur parlèrent de l'Évangile, et leur montrèrent, par les Écritures, comment ils s'étaient laissés tromper par le clergé romain. Les noms de ceux-là du commencement qui désiraient d'apprendre, et avaient grande affection et grand zèle de soi manifester, mais non pas encore selon science parfaite d'enseignement, étaient Ami Perrin, Claude Paste, Claude Bernard, Jean Chautemps, Dominique d'Arlod, Claude Savoie, Ami Porralis, Robert et Pierre Vandelis frères, Claude Roset, Jean Golle, Étienne Dade, Jean Sonnet, Baudichon, Claude de Genève, avec certains autres petits compagnons. Mais des femmes ne s'en trouvait dans ce moment pas seulement une qui eut quelque étincelle de vouloir connaître la vérité. Au contraire elles faisaient grande opposition à ceux qui tentaient de leur parler, et c'était à l'instigation des prêtres, parmi lesquels elles avaient des frères, des amis, des voisins, des compères; je ne parle pas plus avant pour cette heure pour sauver l'honnêteté des dames.

Les prêtres donc après avoir tenu conseil, d'un commun accord, étant les uns assemblés dans la maison du grand vicaire, M. de Bonmont, et les autres de çà de là parmi les rues, armés dessous leurs robes, ils amenèrent Farel, Saulnier et Olivetanus en conseil épiscopal, pour parlementer avec eux et savoir s'ils voulaient maintenir contre les prêtres ce qu'ils avaient dit et prêché en leur hôtellerie. Ils ne les amenèrent pas sans grandes menaces et moqueries, principalement des femmes; criant après eux

« Ce sont des cagnes, ce sont des cagnes, » ce qui veut autant à dire que « ce sont des chiens. » Et étant arrivés dans leur assemblée, ils pensaient disputer; mais l'un des principaux des prêtres, Étienne Piard, juge des excès, leur persuada de ne le point faire, disant : « Si disputeur totum ministerium nostrum destructur. » « Si nous disputons, tout notre cas est perdu. » Mais les principaux argumens qu'ils eurent, ce furent injures et outrages, disant : « Viens-çà, méchant diable de Farel, que vas-tu faisant çà et là troublant toute la terre? D'où viens-tu? Qu'es-tu venu faire ici? Qui t'a fait venir en cette ville? Dis-nous de quelle autorité prêches-tu? Pourquoi es-tu venu troubler cette ville?

À quoi répondit Farel : « Je ne suis point diable. J'annonce Jésus-Christ crucifié mort pour nos péchés, et ressuscité pour notre justification, tellement que celui qui croira en lui aura la vie éternelle ; mais qui ne croira point sera damné. À cette fin je suis envoyé de Dieu notre bon Père, ambassadeur de Jésus-Christ, et ne Lâche autre chose sinon qu'on le reçoive partout le monde, et suis venu en cette ville pour essayer, s'il y a personne qui me veuille ouïr, et suis devant vous prêt de rendre raison de ma foi, et de ce que je prêche s'il vous plaît m'ouïr patiemment, et maintenir ce que je dirai jusqu'à la mort, n'ayant autorité que de Dieu, duquel je suis envoyé. »

L'un d'eux se leva en courroux et dit en latin : « Blasphemavit, non amplius indigemus testibus. Reus est mortis. - Il a blasphémé, qu'avons-nous plus besoin de témoins ? Il est digne de mort. -

Au Rhône, au Rhône, il vaut beaucoup mieux que ce méchant Luther meure, que de troubler ainsi tout le peuple. »

Farel lui dit: « Parle les paroles de Dieu, et non pas de Caïphe. » Alors tous par ensemble confusiblement se levèrent, criant à haute voix : « Tue, tue ce Luther; tue, tue cette cagne. »

Mais un nommé Don Bergeri, procureur de leur chapitre, pensant ou voulant parler plus sagement que tous les autres, disait en leur langue savoisienne : « Tappa, tappa, c'est-à-dire : frappe, et le plus sourd de la compagnie entendit incontinent ce langage; car soudainement la sentence fut mise en exécution, et ils se montrèrent plus diligens à les battre et à les frapper qu'à les défendre. Ils apostèrent même le serviteur du grand-vicaire de l'évêque, nommé François Olard, dit Ginin, avec une arquebute pour tuer Farel ; mais comme Dieu n'avait pas encore ordonné son heure, en la déchargeant, l'arquebute rompit et ne fit de mal à personne, et Farel dit : « Je ne tremble pas pour un peu de bruit : le bruit ne me fait point de peur, » Les prêcheurs furent embarqués sur le lac conduits par Perrin, Bernard, Golle et Vernes. Ils abordèrent entre Morges et Lausanne, et se rendirent à Grandson ou ayant trouvé Froment qui prêchait dans ces quartiers, ils obtinrent de lui qu'il se rendrait à Genève.

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Arrivée de Froment à Genève

Peu de jours après que Farel et ses compagnons furent partis de Genève, Froment s'y en alla avec prières et oraisons, se commettant du tout à Dieu, lui remettant la cause, le priant qu'il la dût conduire, vu qu'elle était sienne, ne se fiant à nulle puissance humaine, sachant bien que par les petites choses, faibles et débiles de ce monde, il vient à confondre les grandes, comme il l'a fait, car Froment n'était de l'âge que de 22 à 23 ans, et plusieurs de ses frères le recommandèrent au Seigneur.

Or son premier département fut le 1er jour de novembre 1539, il arriva dans Genève le 5 du dit mois. Il n'y connaissait personne et n'avait nul lieu de sûreté, où il pût s'abriter. Ceux qui semblaient vouloir ouïr l'Évangile étaient si intimidés par l'accueil qu'avaient rencontré Farel et Saulnier qu'ils n'osaient ni faire connaître leurs vrais sentimens, ni se compromettre en se réunissant. Dans cet état de choses le coeur de Froment lui manqua, et il songea grandement à S'en retourner. Toutefois il reprit courage à louer d'un nommé le Patu la grande salle de chez Boitet, auprès de la grande place du Molard, et de mettre des billets par tous les carrefours de la ville (qu'on appelle écriteaux), afin qu'il pût commencer à prêcher dans Genève. La teneur des billets était telle : « Il est venu un homme en cette ville qui veut enseigner à lire et à écrire en français dans un mois à tous ceux et celles qui jamais ne furent à l'école, et si dans le dit mois, ne savent lire et écrire, ne demande rien de sa peine; lequel trouveront en la grande salle de Boitet, près du Molard à l'enseigne de la Croix-d'or. Et s'y guérit beaucoup de maladies pour néant. »

Quand ces écriteaux furent plaqués et mis parmi la ville, un chacun selon son avis en jetait sa sentence, les uns en bien, les autres en mal. Les uns disaient : « Je l'ai ouï parler, mais il dit bien. » D'autres : « Il ne demande rien de sa peine. » D'autres: « C'est un de ces méchans Luthériens qui nous veut abuser, » et d'autres : « C'est un diable qui enchante tous ceux qui le vont ouïr. »

Néanmoins ils ne purent tant faire qu'il n'eut beaucoup d'enfans à enseigner, auxquels il montrait non seulement à lire et à écrire, mais sa religion, leur faisant tous les jours un ou deux sermons de la Sainte-Écriture. Les enfans tout surpris le racontèrent à leurs parens, et plusieurs vinrent l'ouïr prêcher, les uns par curiosité et moquerie, les autres pour être instruits; mais non pas sans grand murmure et contradiction. Toutefois leur nombre augmentait grandement, et plusieurs en s'en retournant louaient et glorifiaient Dieu, lesquels aussi tâchaient d'amener des prêtres à notre Seigneur, et il y en eut qui furent gagnés. D'autres le méprisèrent et dirent au peuple : « Que peut savoir ce petit foulaton, » Il s'en trouva un qui répondit : « Ces fous vous apprendront à être sages. » Mais ils demeurèrent plus obstinés, disant : « Ne vous arrêtez à lui, car ce ne sont qu'enchanteries que ce qu'il prêche. »

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La conversion de Claudine, femme du respectable citoyen Aimé Levet.

Il y avait en la ville une honnête femme, nommée Claudine, femme d'un honnête citoyen, sachant bien lire, superstitieuse à merveille, faisant conscience d'ouïr prêcher Froment, l'estimant être diable, pensant être damnée si seulement l'avait ouï prêcher, et l'avait en si grande horreur qu'elle ne le voulait voir ni ouïr, craignant à être enchantée.

Toutefois sa belle-soeur, fort fervente à la parole, réussit à la persuader de l'ouïr à tout le moins, dit-elle, une fois, pour l'amour d'elle ; ce qu'elle obtint à grand'peine.

Et venant ouïr cet homme, elle entra dans la chambre faisant de grandes croix, se signant par plusieurs fois, se recommandant à Dieu, et elle se vint asseoir auprès de lui, le regardant et l'écoutant fort affectueusement. Quand il eut achevé le sermon, elle lui dit à haute voix : « Ce que vous avez dit, est-il véritable? - Oui, dit-il. - Se prouvera-t-il tout par l'Évangile ? - Oui. - La messe ne s'y trouve-t-elle point? - Non. - Et votre livre est-il vrai Nouveau-Testament? - C'est mon. »

Elle l'emprunta, et le commença à lire, se tenant à part dans une chambre de sa maison, trois jours, trois nuits, avec jeûne et prières, oubliant le boire et le manger, tant y était affectionnée. Quand elle eut parachevé, elle envoya quérir cet homme en sa maison, lequel la trouva si résolue et de tel propos qu'elle lui fut en grande admiration. L'entendant parler ainsi qu'elle parlait, et lui voyant jeter ses larmes jusqu'en terre, il rendit grâces à Dieu qui l'avait illuminée. Et de fait et de parole elle commença à suivre l'Évangile, en sorte que tous ceux de la ville étaient étonnés de la voir sitôt changée, et de l'ouïr disputer contre les prêtres, leur montrant bénignement par les Écritures ce qui était nécessaire. Elle gagna à notre Seigneur son mari qui était alors bien adversaire, et plusieurs femmes. Celles-ci l'entendant parler tout autrement qu'elle ne faisait, la laissèrent bien pour un certain temps, disant l'une à l'autre : « Elle a été enchantée, elle a ouï cette cagne, cette charope ; » parlant par compassion qu'elles avaient. Toutefois la voyant si bien persévérer, et être en modèle de sainte conversation, elles aussi furent gagnées à la parole; lesquelles étaient la Pernette Balthesarde, femme d'un des premiers conseillers de la ville, la femme de Baudichon, la dame grand'mère d'Ami Perrin, et la Guillaume sa fille, la femme de Jean Marcourt et plusieurs autres honnêtes femmes, dont la grande charité qu'elles avaient au commencement contraignait les adversaires mêmes à bien dire de l'Évangile.

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Le premier sermon public de Froment.

Le nombre des auditeurs de Froment s'accroissant toujours, il advint que le jour de l'an, 1553, une telle multitude se jeta dans la salle où il prêchait qu'il ne pût parvenir jusques dans la chambre; car la maison, les degrés, le porche et les rues étaient si pleins que l'un foulait l'autre, et tous commencèrent à crier à haute voix : « Au Molard, au Molard, » et ils le mirent sur un banc de poissonnière et crièrent encore plus fort, hommes et femmes : « Prêchez-nous, prêchez-nous la parole de Dieu. » Il leur répondit : « C'est aussi celle qui demeurera éternellement. » Et leur ayant fait signe de la main qu'ils fissent silence , Il mit les genoux en terre, invoqua Dieu, et se mit à les prêcher sur le texte : « Donnez-vous garde des faux prophètes, qui viennent à vous en vêtemens de brebis, et par dedans sont des loups ravissans. Vous les connaîtrez à leurs fruits. »

Comme il prolongeait son sermon, et continuait à frapper du couteau de la parole de Dieu les faux apôtres, les scribes et les pharisiens, voici venir Pétreman Falquet, le grand sautier de la ville, qui lui fit commandement de ne plus prêcher. Froment lui répondit, sans rompre son propos à plus haute voix qu'il ne prêchait : « Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. » Et s'adressant au peuple: Ne vous troublez point, mes amis, leur dit-il, mais écoutez ce que notre Seigneur Jésus-Christ dit : « Qu'on se donne garde des faux prophètes. » Et tout aussitôt il se remit à prêcher, et à montrer du doigt ces hommes à longues robes, qui dévoraient les veuves, vendaient le salut, mangeaient le troupeau, et ne craignaient sinon de perdre leurs soupes grasses. « Envoyés pour nous enseigner la voie, que nous ont-ils donné que mensonges, que rêveries, fausses doctrines, défenses de mariage, et des viandes, et tout plein de badinages, comme si ce fussent choses saintes et bonnes?...

À ce propos fut interrompu le sermon sans qu'il pût achever. Car voici venir Claude Bernard fort échauffé, l'un des principaux qui pour lors favorisaient l'Évangile, disant à haute voix : « Pour l'honneur de Dieu descendez de dessus ce banc, et que l'on vous sauve la vie, car voici tous les prêtres qui viennent en armes. Le procureur-fiscal, et le lieutenant de la ville y sont aussi. Je vous en prie, sauvez-vous. » Mais Froment ne voulait descendre : « Pour l'honneur de Dieu, lui dit-on, évitez l'effusion du sang. »

Et on le descendit de dessus le banc, et le fit passer par une petite allée dans la maison d'un citoyen nommé Jean Chautemps. La nuit venant, pour éviter la grande fureur des adversaires, il passa chez Ami Perrin. Les prêtres et quelques-uns du Conseil l'ayant su, menacèrent son hôte voire de brûler sa maison, s'il ne baillait congé à ce luthérien. « Nous avons liberté, leur répondit Perrin, fort prudemment, de pouvoir tenir un serviteur homme de bien en nos maisons, sans contradiction de personne. Je le tiens pour mon serviteur. » Et Froment vécut quelque temps à labourer, à travailler de ses mains, à faire des rubans. Toutefois il fut bientôt contraint à se retirer dans une troisième maison, chez Ami Levet, le mari de Claudine, faisant de l'apothicaire. Mais les citoyens leur ayant fait grands tumultes et grands maux, et jeté des pierres par les fenêtres et de la boue dans la boutique, Froment se vit réduit à quitter la ville. Il partit de nuit, accompagné de Claude Magnin, et se retira à Yvonand, près du lac d'Yverdon, sous le gouvernement des deux villes de Berne et de Fribourg.


Table des matières

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(1)Sous peine d'être pendus.
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(2) Extrait d'un manuscrit intitulé : « les Actes et Gestes merveilleux de la cité de Genève, nouvellement convertie à l'Évangile, » par Antoine Froment. Voyez aussi Spanheim , Geneva restitula, Roset et Savion.


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Noms propres de cette page:

Aigle - Aimé - Allemagne - Anabaptistes - Antoine - Aquitaine - Arlod - Athènes - Autriche - Avenches

Balthesarde - Barthélemy - Baudichon - Beaucaire - Bellay - Berchier - Bergeri - Bernard - Berne - Bernois - Bèse - Bible - Bienne - Boitet - Bonmont - Bouchet - Bourg - Bourgogne - Briçonnet

Caïphe - Carnier - Catelle - Charles - Chatelard - Châtillon - Chautemps - Claude - Conseil

Dade - Daniel - Dauphiné - Denis - Dieu - Dominique - Dulaure

Écriture - Évangile

Falquet - Farel - Ferdinand - Forge - France - François - Freyssinières - Froment

Gaillard - Genève - Geneviève - Georges - Ginin - Grandson - Guillaume

Helvétie - Honoré - Hottinger - Huchette

Jésus - Julien

Lausanne - Levet - Lorraine - Luther - Luthériens

Magnin - Majesté - Marceau - Marcel - Marcourt - Masson - Meaux - Méry - Milon - Missivenbücher - Molard - Montbeillard - Morges - Mourel - Moutiers - Muller - Munster

Neuchâtel - Nicolas - Noyon

Olard - Olivétan - Olivetanus - Orbe

Paris - Patu - Payerne - Pernette - Perrin - Perse - Pétreman - Piard - Picardie - Piémont - Pierre - Poille - Porralis

Rhône - Robert - Roset - Ruchat

Sarraz - Saulnier - Sauveur - Savion - Savoie - Seigneur - Sismondi - Sleidan - Smalkalde - Sonnet - Spanheim - Suisses

Tournay

Ulrich

Valeton - Vandelis - Vaud - Vaudois - Velà - Vernes - Vierge - Viret

Wirtemberg

Yverdon - Yvonand

 

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