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CHRONIQUE DE LA
QUINZAINE.
ROYAUME DE
FRANCE.
Paris, 21 janvier au soir.
Comment retracer les scènes
de ce jour? comment rendre ce qui vient de se
passer sous nos yeux Nous vous avons dit la
colère du Roi, soulevée par quelques
imprudens qui avaient affiché jusques
à sa porte des placards contre la messe. Sa
Majesté est arrivée à Paris,
résolue à venger cette injure et
à faire une expiation publique de l'outrage
fait au sacrement.
Le 13, elle a donné un
premier témoignage de ce qui l'animait en
faisant publier des lettres patentes portant
abolition de l'imprimerie, et défendant
toute impression de livres dans tout le royaume
sous peine de la hart
(1). En
même temps le lieutenant Morin a reçu
de nouveaux ordres de faire arrêter tous les
protestans de Paris; puis le Roi a ordonné
de préparer, pour le 21 janvier, une
procession solennelle et générale
dans le but d'apaiser la colère de Dieu.
Toute la semaine s'est passée en
préparatifs.
Rien n'a été
négligé de ce qui pouvait frapper les
sens et maîtriser les esprits. Les rues de
Paris ont été tapissées. Les
Parisiens honorent Ste-Geneviève pardessus
tous les saints. Sa châsse, que l'on ne sort
que dans les jours de grand péril, a
été apportée en pompe. On la
considère comme une dernière ancre
à laquelle le peuple croit qu'on ne recourt
pas en vain. Les boucliers sont ceux qui la portent
d'ancienneté, en se disposant à le
faire quelques jours à l'avance par
jeûnes et prières. À la
châsse de Ste-Geneviève, on a joint
celle de St-Marcel. Plusieurs personnes observaient
que depuis bien long-temps ces deux reliques
n'avaient été vues figurer ensemble.
De plus on a étalé toutes les
reliques de la Sainte Chapelle, la couronne
d'épines qui n'avait jamais
été portée eu procession, le
fer de la sainte lance, le sang de
Jésus-Christ, sa robe de pourpre, le lait de
la Ste-Vierge, et, que dirais-je encore? rien
n'était oublié; on voyait le dessein
de montrer une grande vénération,
pour ce que les luthériens ne respectent
guère.
Le clergé, les
écoliers, les magistrats, tout était
venu; on remarquait le cardinal de Châtillon,
qui est réformé dans le coeur. Il y
avait une presse et une gaîté de
peuple incroyable. C'était à qui
toucherait la châsse de Ste-Geneviève
du bout du doigt, ou du bonnet, ou de quelque
linge. Les sergens de ville faisaient faire place
à grand'peine. La procession est sortie
entre 8 à 9 heures de l'église de
St-Germain. D'abord on voyait les
reliques dont nous avons parlé, et de plus
celles de St-Germain, de St-Méry, de
St-Marceau, de St-Honoré, de tous les saints
de la ville de Paris, tous ceux qui portaient ces
reliques allaient nu-pieds, Les cardinaux et tout
le clergé suivaient, l'évêque
de Paris, Jean Du Bellay, le dernier, portant dans
ses mains le saint sacrement. Puis marchait le Roi,
ayant sur ses vêtemens tout le faste des
grandeurs mondaines, mais la tête nue et
tenant une torche de cire vierge à la main ;
après lui venaient la reine, MM. les
princes, les deux cents gentils-hommes, toute la
garde le Parlement et toute la Justice, puis tout
Paris. Ils avaient tous à la main, en plein
jour, une torche allumée ; je ne pense pas
qu'ils en vissent plus clair.
La procession parcourut lentement
tous les quartiers de la ville; et, dans les six
principales places y avait un reposoir pour le
saint sacrement, un échafaud et un
bûcher, où furent
très-cruellement brûlés vifs
six personnages, avec merveilleuses huées du
peuple. Celui-ci était tellement ému
que peu s'en fallut qu'il ne les arrachât des
mains des bourreaux pour les mettre en
pièces. Au reste le peuple en les
déchirant leur eût
épargné des tourmens bien plus
cruels; car on avait préparé pour
leur donner la mort une machine
élevée que l'on nomme estrapade;
c'est une solive qui en s'abaissant les plongeait
dans la flamme du bûcher et se relevait
aussitôt pour prolonger leur supplice,
jusqu'à ce que la flamme gagnant enfin les
cordes qui les liaient, ils tombassent au milieu du
feu. On attendait pour faire jouer l'effroyable
balançoire, que le Roi fût
arrivé avec la procession. Alors le Roi
remettait sa torche au cardinal de Lorraine,
joignait les mains et humblement prosterné,
implorait la miséricorde divine sur son
peuple, jusqu'à ce que la victime eût
péri dans d'atroces douleurs.
On a la coutume en France, de
publier les considérans de la sentence de
ceux que l'on va faire mourir. Mais on n'en agit
point ainsi envers les accusés de
luthéranisme, c'est-à-dire envers
ceux qui ont parlé de justification par la
foi et non par les oeuvres légales, qui se
sont élevés contre l'invocation
dés saints, ou qui ont mangé de la
viande les jours défendus. Leurs fautes ne
sont point énumérées en
détail, mais on se contente de dire que le
patient est criminel de lèse-majesté
divine, et qu'il a violé les décrets
de la sainte mère Église. C'est pour
ce crime qu'ont été sacrifiés
les six dont suivent les noms et que pour moi
j'estime dignes de perpétuelle
mémoire :
Et d'abord Barthélemy Milon,
jeune homme perclus de tout son corps,
brûlé vif et à petit feu, en
place de Grève. Depuis six ans il ne
bougeait de son lit. On nous raconte que Morin,
écumant de rage, en entrant dans la chambre
de ce pauvre paralytique, lui cria : « Sus,
lève-toi, » et que Milon
répondit en souriant : « Hélas,
Monsieur, il me faudrait un plus grand maître
que vous pour me faire lever. » Il a fait voir
jusqu'au dernier moment la même
sérénité.
Nicolas Valeton, receveur de Nantes,
brûlé à la Croix du tiroir.
Morin, en effrayant et trompant sa
femme, avait réussi à connaître
le lieu où se trouvaient son
Nouveau-Testament et ses livres. Sa fermeté
a été trouvée d'autant plus
admirable qu'il avait encore bien peu
d'instruction.
Jean Du Bourg, marchand drapier de
Paris, demeurant à l'entrée de la rue
St-Denis, à l'enseigne du Cheval-Noir,
brûlé aux Halles. Ni biens, ni
parentage ne l'ont
ébranlé.
Étienne de la Forge, de
Tournay, mais dès Iong-temps habitué
à Paris, brûlé au
cimetière de St-Jean. Il était fort
riche, n'épargnait pas son bien aux pauvres,
et avait en singulière recommandation
l'avancement de l'Évangile, dont il faisait
réimprimer les livres à ses frais,
pour les répandre avec ses
aumônes.
Une maîtresse d'école,
nommée la Catelle, brûlée vive
au bout de la rue de la Huchette.
Enfin Antoine Poille, pauvre
maçon, qui avait reçu les
commencemens de l'Évangile de
l'évêque de Meaux,
M. Briçonnet. Il a été
béni de Dieu pour remporter le prix, comme
ayant été traité le plus
cruellement. Outre le supplice du feu, il a eu la
langue percée et attachée à sa
joue avec une cheville de fer pour qu'il ne
pût parler au peuple.
La procession a repris sa route.
Pendant qu'elle passait sur le pont de Notre-Dame,
on a laissé échapper plusieurs
oiseaux, auxquels on avait attaché de petits
billets portant ces mots (cruelle parodie de l'un
des symboles de la délivrance du genre
humain par le Sauveur) : « Ipsi peribunt, Tu
autem permanebis.», « Ils mourront et
vous vivrez. »
C'est à l'église de
Notre-Dame que la procession s'est terminée.
Le sacrement y a été
déposé sur l'autel et la messe
chantée par l'évêque de Paris.
Le roi et les princes ont ensuite dîné
chez ce prélat. Après le dîner,
toute la cour, le parlement et les ambassadeurs se
sont rassemblés dans la grand'salle de
l'évêché ; le Roi y est
monté dans une chaire, et là il a
adressé aux assistans un discours, «
non, a-t-il dit, comme un roi et un maître le
fait à ses sujets, mais comme sujet et
serviteur du commun Roi des rois. »
Après avoir énuméré les
grâces que le ciel a faites au royaume de
France, cette terre chrétienne par dessus
toutes les autres, il a exprimé son profond
déplaisir, de ce que « en ce royaume se
soient trouvées de si méchantes et
malheureuses personnes que de vouloir maculer son
beau nom, en y semant opinions exécrables.
Ne laissant à personne le pouvoir de faire
pis, c'est à Dieu lui-même, c'est au
sacrement des sacremens que se sont attaqués
de plein saut ces blasphémateurs, gens de
petite condition et de moindre doctrine. Ils ont
osé proférer et écrire
d'insupportables injures, en usant de termes
réprouvés de toutes nations. Notre
peuple et cette bonne ville de Paris (qui
dès le temps que les études y furent
transportées d'Athènes, a toujours
été resplendissante de bonnes et
saintes lettres) pourraient en être
scandalisés et leur lumière
obscurcie, s'il n'y était pourvu de
manière à ce que chacun puisse
reconnaître qu'il n'y a été de
ma faute. je veux donc et ordonne que rigoureuse
punition soit faite des délinquans. Et je
vous prie et admoneste, et tous mes sujets, que
chacun prenne garde, non à soi seulement,
maïs encore à sa famille, et
spécialement à ses enfans, pour les
faire si bien endoctriner qu'ils ne puissent tomber
en si damnable opinion.»
( Ici signes de componction dans
l'assemblée, ce qu'observant le roi : )
« Je rends grâces à Dieu, dit-il,
en voyant les plus grands, les plus savans, et sans
comparaison le plus grand nombre de mes sujets, se
montrer constans à bonne et sainte doctrine.
» (Nouveaux signes d'adhésion, soupirs
mêlés à des expressions de
joie). Alors le Roi, s'enflammant de plus en plus,
requit tous ses sujets « de dénoncer
ceux qu'ils connaîtraient être
complices de ces blasphèmes, sans nul
égard d'alliance, de lignage ou
d'amitié, jusques à dire que, quant
à lui, si son bras était
infecté de telle pourriture, il le voudrait
séparer de son corps, c'est-à-dire,
comme il l'exposa lui-même, que si ses
propres enfans étaient si malheureux que de
tomber en telles opinions exécrables, il les
voudrait bailler pour faire sacrifice à
Dieu. »
(1*)
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ALLEMAGNE.
Un fait s'est accompli dans le cours de
l'année dernière par l'intervention
du roi de France; c'est le rétablissement
d'un prince réformé dans ses
états héréditaires. On
connaît bien chez les Suisses et dans
l'Helvétie romande les violences et les
malheurs d'Ulrich de Wirtemberg. Chassé de
ses états en 1519 par ses sujets
révoltés, il s'était
retiré à Montbeillard, y avait
embrassé le protestantisme et y attendait
les circonstances. Le roi de France a saisi l'heure
à laquelle Charles V était en Espagne
et Ferdinand roi des Romains, occupé de la
guerre contre les Titres; il a livré
l'argent, les confédérés de la
ligue de Smalkalde ont donné les soldats, et
Ulrich s'est mis en peu de jours, presque sans
résistance, en possession du duché de
Wirtemberg. On pouvait craindre
que Ferdinand ne cherchât à recouvrer
par les armes un pays qui lui avait
été engagé; mais il a
jugé mieux de traiter avec la ligue de
Smalkalde. Ulrich conserve le duché comme
arrière fief de la maison d'Autriche, ses
sujets sont maintenus dans le libre exercice de
leur religion, et ses troupes se sont
déjà réunies à celles
de tous les princes de l'Allemagne pour
assiéger dans la ville de Munster les
Anabaptistes, qui en ont fait le siège de
leur empire.
(2*)
.
HELVÉTIE
ROMANDE.
Résumé des nouvelles du
pays.
Genève éprouve quelque
relâche. Le froid a dispersé les
gentils-hommes qui la tenaient bloquée. Les
seigneurs de La-Sarraz, de Berchier, du Chatelard,
sont depuis le mois de décembre
rentrés dans leurs foyers. Les escarmouches
continuent néanmoins dans les alentours de
la ville et les fermiers des citoyens se plaignent
d'être empêchés de se livrer
à leurs travaux. Dans la ville, la
trêve de la querelle politique a
laissé le champ plus libre au débat
religieux; Farel et Viret ne connaissent aucun
repos et n'en laissent aucun à leurs
adversaires. On assure que les
réformés sont bien près de
l'emporter en nombre comme déjà ils
l'emportent en assurance et en énergie sur
les adhérens de la vieille foi.
Il en est bien différemment
dans le Pays-de-Vaud. Le peuple y est plus que
jamais contraire aux doctrines nouvelles.
L'année 1554 a été celle d'un
jubilé septénaire ; à cette
occasion une pompeuse foire d'indulgences s'est
ouverte à Lausanne, et la nation agricole et
coutumière y est venue, comme autrefois, en
grand'foule acheter le rachat de ses
péchés. Ce pays qui avait dès
l'abord pris un vif intérêt à
la lutte héroïque de Genève, la
contemple d'un oeil tout autre depuis que
Genève s'est penchée vers la
réformation. Naguère le peuple et les
bourgeois étaient pour la jeune
république. Les gentils-hommes seuls
partageaient l'animosité du Duc.
Les États, sollicités
par le Prince d'une part, et de l'autre par les
seigneurs de Berne, se sont plus d'une fois, dans
l'année qui vient de s'écouler,
prononcés pour la neutralité et pour
le maintien de la paix. Ce faisant, ils
écoutaient leurs sympathies aussi bien que
leurs intérêts. Ils ont le souvenir
des ravages qui ont accompagné les
précédentes expéditions des
Suisses. Ils savent d'ailleurs qu'une des clauses
du traité de St-Julien donne le pays aux
seigneurs de Berne dans le cas d'une guerre
malheureuse pour Charles III. Deux fois donc ils
ont dans le cours de la dernière
année paralysé les mesures hostiles
du Prince en refusant d'y prendre aucune part.
Mais en adoptant la réforme,
Genève a changé ces dispositions. Ce
n'est pas vainement aux yeux de ce peuple que le
pape a excommunié la cité
infidèle. De l'intérêt qu'il
avait montré, de la modération qu'il
avait fait paraître, il est passé
à un excès d'indignation et de
zèle. J'entends dire de toutes parts que si
les Bernois veulent secourir leur alliée, on
s'opposera à leur passage. Témoin de
ce changement, le Duc a ordonné une revue
générale des milices du pays et c'est
partout dans la contrée que l'on s'est
montré prompt à répondre
à son appel.
Nous n'avons pas encore
touché à l'une des causes qui ont le
plus contribué à jeter le peuple dans
ces voies d'inimitié contre la doctrine
nouvelle; nous voulons parler de la violente
agitation qui règne dans les baillages que
Berne possède au Pays-de-Vaud et dans les
villes dont l'entrée lui a été
ouverte par des traités de combourgeoisie
à Aigle, à Orbe, à Grandson,
à Payerne, à Avenches, à
Neuchâtel, à Bienne, à
Moutiers, partout où Berne s'est crue en
droit de rencontrer de l'obéissance ou des
égards, elle s'est montrée
résolue à faire prévaloir
l'Évangile. Elle a commencé par
demander que ceux qui le prêchaient ne
fussent pas bannis, puis qu'ils fussent
écoutés, et elle, en est
déjà à exiger qu'on les croie.
Les prédicateurs de leur côté,
enhardis par l'appui qu'ils trouvent en elle,
oublient que leur seule arme est là parole,
et que religion est persuasion. On les voit
recourir, à leur tour,
à ces moyens de violence dont ils se
plaignaient naguère que leurs adversaires
usaient envers eux.
Nous aurions à en
réciter plus d'un exemple. Nous nous bornons
pour aujourd'hui à mettre sous les yeux de
nos lecteurs une lettre adressée par «
ceux de Grandson qui tiennent à la messe,
à MM. des deux villes de Berne et de
Fribourg. » Voici cette lettre presque en son
entier.
« Nous
vous supplions pour l'honneur de Dieu et dans
I'attente de son bon vouloir de nous laisser
dorénavant vivre et mourir de la
manière de nos bons anciens
prédécesseurs, sans aucun
empêchement; car en nulle autre loi que celle
que nous tenons n'entendons pour le présent
trouver meilleur salut. Pareillement laissez-nous
demeurer en nos anciennes lois, libertés et
franchises, et que contrainte ne soit faite
à nul de nous contre sa propre conscience ;
car à chacun particulier il appartient de
penser au salut de son
âme.
Et vous
plaise ouïr la manière dont ces
nouveaux évangélisateurs et leurs
adhérens nous ont empêchés,
perturbés et scandalisés
:
Premièrement ils ont
détruit nos autels, épouvanté
nos prêtres, appelé nos messes
punaises, et fait tel empêchement que nos
religieux n'ont osé long-temps, sinon
occultement chanter.
Item,
Maître Guillaume (Farel) et ses complices se
venaient mettre aux formes à l'heure
accoutumée du culte pour troubler les bonnes
gens qui venaient faire leurs oraisons, et d'autres
levaient par dessus leurs têtes une
bûche de bois en disant par dérision :
Velà votre Dieu; et plusieurs se servaient
de paroles des honnêtes, comme de nous
appeler idolâtres et autres propos trop
prolixes à raconter.
Item, les
envoyés de nos Seigneurs avaient fixé
les heures de leur service et du notre; mais
maître Guillaume a presque toujours
prolongé, outre mesure l'heure de ses
prédications, et tant qu'ayant
prêché lui-même depuis 5
à 9 heures, il en faisait monter un autre et
puis un autre après lui, ce qui est
procéder par passion et non
autrement.
Item, un
dimanche, qu'avions prié les religieux de
St.-Jean de nous chanter l'office, ils vinrent
furieusement jusqu'à l'autel, s'accrochant
et s'appuyant dessus, bramant comme des moriaux
(insensés).
Item, un
autre dimanche maître Guillaume
abrévia sa prédication, pour nous
venir, ensemble ses complices, sauter et faire
empêchement parmi nous, et ils nous eussent
déchassés si nous eussions
été plus faibles qu'eux en quoi Dieu
sait que leur volonté n'est
bonne.
Item,
dès qu'il a été question de
chanter vêpres ou matines sont venus
maître Guillaume et ses suivans, aux formes
des religieux, à leurs places, arracher le
froc à quelques-uns, chanter l'office,
criant et brayant tous ensemble et roulant des
pierres dans l'église afin de faire plus de
bruit. Pensez, très-honorés
Seigneurs, si toutes ces matières sont
faites selon
l'Évangile.
Et
pourrions faire encore bien d'autres plaintifs, si
nous ne craignions vous attenir; car la
matière est orageuse, laquelle, s'il
plaît à dieu, mettrez en bonne
pacification. »
SOURCES.
.1. Gaillard, histoire de François
I, T. VI. Carnier, XXII. Daniel, V, Beaucaire, L.
XXII. - Bouchet, annales d'Aquitaine. L. IV. -
Bèse, hist. des églises
réformées, I. Sleidan, L. IX.
Crespin, hist. des martyrs. - Dulaure, hist de
Paris, IV. Sismondi, XVI. - La plupart par erreur
transposent ces faits à la date du 29
janvier.
.2
Sleidan, L. IX. Hottinger, continuation de J.
Muller. I, V.
.
ENCORE LA REVUE
DU PASSÉ.
LES COMMENCEMENS
DE LA RÉFORMATION DE
GENÈVE
RACONTÉS
PAR ANTOINE FROMENT.
(2)
Arrivée de Farel et de Saulnier
à Genève.
L'an de notre Seigneur courant 1532,
maître Guillaume Farel avec Antoine Saulnier,
tous deux de Dauphiné, et ministres sous la
république de Berne, s'étaient rendus
à la requête de Georges Mourel de
Freyssinières et de Pierre Masson de
Bourgogne députés des Vaudois au
synode qui se tint en Piémont pour se
concerter des mesures propres à avancer le
règne de Christ. Leur
délibération surabonda à
l'avantage des chrétiens d'autres
contrées, car ils formèrent le plan
de traduire la Bible en français; ce dont
ils chargèrent Pierre, Robert
Olivétan, de la ville de Noyon en Picardie.
Retournant de cette expédition, Farel et
Saulnier passèrent par Genève et
logèrent à la Tour-Perse. Ils y
trouvèrent diverses personnes qui avaient
quelque peu de sentimens à
l'Évangile; mais encore froids, charnels et
du monde ; n'entendant presque rien, si ce n'est
à manger de la chair les
vendredis, et à dire mal des prêtres.
Comme cependant ils étaient disposés
à écouter l'instruction, les deux
étrangers leur parlèrent de
l'Évangile, et leur montrèrent, par
les Écritures, comment ils s'étaient
laissés tromper par le clergé romain.
Les noms de ceux-là du commencement qui
désiraient d'apprendre, et avaient grande
affection et grand zèle de soi manifester,
mais non pas encore selon science parfaite
d'enseignement, étaient Ami Perrin, Claude
Paste, Claude Bernard, Jean Chautemps, Dominique
d'Arlod, Claude Savoie, Ami Porralis, Robert et
Pierre Vandelis frères, Claude Roset, Jean
Golle, Étienne Dade, Jean Sonnet, Baudichon,
Claude de Genève, avec certains autres
petits compagnons. Mais des femmes ne s'en trouvait
dans ce moment pas seulement une qui eut quelque
étincelle de vouloir connaître la
vérité. Au contraire elles faisaient
grande opposition à ceux qui tentaient de
leur parler, et c'était à
l'instigation des prêtres, parmi lesquels
elles avaient des frères, des amis, des
voisins, des compères; je ne parle pas plus
avant pour cette heure pour sauver
l'honnêteté des dames.
Les prêtres donc après
avoir tenu conseil, d'un commun accord,
étant les uns assemblés dans la
maison du grand vicaire, M. de Bonmont, et les
autres de çà de là parmi les
rues, armés dessous leurs robes, ils
amenèrent Farel, Saulnier et Olivetanus en
conseil épiscopal, pour parlementer avec eux
et savoir s'ils voulaient maintenir contre les
prêtres ce qu'ils avaient dit et
prêché en leur hôtellerie. Ils
ne les amenèrent pas sans grandes menaces et
moqueries, principalement des femmes; criant
après eux
« Ce sont des cagnes, ce sont
des cagnes, » ce qui veut autant à dire
que « ce sont des chiens. » Et
étant arrivés dans leur
assemblée, ils pensaient disputer; mais l'un
des principaux des prêtres, Étienne
Piard, juge des excès, leur persuada de ne
le point faire, disant : « Si disputeur totum
ministerium nostrum destructur. » « Si
nous disputons, tout notre cas est perdu. »
Mais les principaux argumens qu'ils eurent, ce
furent injures et outrages, disant : «
Viens-çà, méchant diable de
Farel, que vas-tu faisant çà et
là troublant toute la terre? D'où
viens-tu? Qu'es-tu venu faire ici? Qui t'a fait
venir en cette ville? Dis-nous de quelle
autorité prêches-tu? Pourquoi es-tu
venu troubler cette ville?
À quoi répondit Farel
: « Je ne suis point diable. J'annonce
Jésus-Christ crucifié mort pour nos
péchés, et ressuscité pour
notre justification, tellement que celui qui croira
en lui aura la vie éternelle ; mais qui ne
croira point sera damné. À cette fin
je suis envoyé de Dieu notre bon
Père, ambassadeur de Jésus-Christ, et
ne Lâche autre chose sinon qu'on le
reçoive partout le monde, et suis venu en
cette ville pour essayer, s'il y a personne qui me
veuille ouïr, et suis devant vous prêt
de rendre raison de ma foi, et de ce que je
prêche s'il vous plaît m'ouïr
patiemment, et maintenir ce que je dirai
jusqu'à la mort, n'ayant autorité que
de Dieu, duquel je suis envoyé. »
L'un d'eux se leva en courroux et
dit en latin : « Blasphemavit, non amplius
indigemus testibus. Reus est mortis. - Il a
blasphémé, qu'avons-nous plus besoin
de témoins ? Il est digne de mort.
-
Au Rhône, au Rhône, il
vaut beaucoup mieux que ce méchant Luther
meure, que de troubler ainsi tout le peuple. »
Farel lui dit: « Parle les
paroles de Dieu, et non pas de Caïphe. »
Alors tous par ensemble confusiblement se
levèrent, criant à haute voix :
« Tue, tue ce Luther; tue, tue cette cagne.
»
Mais un nommé Don Bergeri,
procureur de leur chapitre, pensant ou voulant
parler plus sagement que tous les autres, disait en
leur langue savoisienne : « Tappa, tappa,
c'est-à-dire : frappe, et le plus sourd de
la compagnie entendit incontinent ce langage; car
soudainement la sentence fut mise en
exécution, et ils se montrèrent plus
diligens à les battre et à les
frapper qu'à les défendre. Ils
apostèrent même le serviteur du
grand-vicaire de l'évêque,
nommé François Olard, dit Ginin, avec
une arquebute pour tuer Farel ; mais comme Dieu
n'avait pas encore ordonné son heure, en la
déchargeant, l'arquebute rompit et ne fit de
mal à personne, et Farel
dit : « Je ne tremble pas pour un peu de bruit
: le bruit ne me fait point de peur, » Les
prêcheurs furent embarqués sur le lac
conduits par Perrin, Bernard, Golle et Vernes. Ils
abordèrent entre Morges et Lausanne, et se
rendirent à Grandson ou ayant trouvé
Froment qui prêchait dans ces quartiers, ils
obtinrent de lui qu'il se rendrait à
Genève.
.
Arrivée
de Froment à
Genève
Peu de jours après que Farel et ses
compagnons furent partis de Genève, Froment
s'y en alla avec prières et oraisons, se
commettant du tout à Dieu, lui remettant la
cause, le priant qu'il la dût conduire, vu
qu'elle était sienne, ne se fiant à
nulle puissance humaine, sachant bien que par les
petites choses, faibles et débiles de ce
monde, il vient à confondre les grandes,
comme il l'a fait, car Froment n'était de
l'âge que de 22 à 23 ans, et plusieurs
de ses frères le recommandèrent au
Seigneur.
Or son premier département
fut le 1er jour de novembre 1539, il arriva dans
Genève le 5 du dit mois. Il n'y connaissait
personne et n'avait nul lieu de
sûreté, où il pût
s'abriter. Ceux qui semblaient vouloir ouïr
l'Évangile étaient si
intimidés par l'accueil qu'avaient
rencontré Farel et Saulnier qu'ils n'osaient
ni faire connaître leurs vrais sentimens, ni
se compromettre en se réunissant. Dans cet
état de choses le coeur de Froment lui
manqua, et il songea grandement à S'en
retourner. Toutefois il reprit courage à
louer d'un nommé le Patu la grande salle de
chez Boitet, auprès de la grande place du
Molard, et de mettre des billets par tous les
carrefours de la ville (qu'on appelle
écriteaux), afin qu'il pût commencer
à prêcher dans Genève. La
teneur des billets était telle : « Il
est venu un homme en cette ville qui veut enseigner
à lire et à écrire en
français dans un mois à tous ceux et
celles qui jamais ne furent à
l'école, et si dans le dit mois, ne savent
lire et écrire, ne demande rien de sa peine;
lequel trouveront en la grande salle de Boitet,
près du Molard à l'enseigne de la
Croix-d'or. Et s'y guérit beaucoup de
maladies pour néant. »
Quand ces écriteaux furent
plaqués et mis parmi la ville, un chacun
selon son avis en jetait sa sentence, les uns en
bien, les autres en mal. Les uns disaient : «
Je l'ai ouï parler, mais il dit bien. »
D'autres : « Il ne demande rien de sa peine.
» D'autres: « C'est un de ces
méchans Luthériens qui nous veut
abuser, » et d'autres : « C'est un diable
qui enchante tous ceux qui le vont ouïr.
»
Néanmoins ils ne purent tant
faire qu'il n'eut beaucoup d'enfans à
enseigner, auxquels il montrait non seulement
à lire et à écrire, mais sa
religion, leur faisant tous les jours un ou deux
sermons de la Sainte-Écriture. Les enfans
tout surpris le racontèrent à leurs
parens, et plusieurs vinrent l'ouïr
prêcher, les uns par curiosité et
moquerie, les autres pour être instruits;
mais non pas sans grand murmure et contradiction.
Toutefois leur nombre augmentait grandement, et
plusieurs en s'en retournant louaient et
glorifiaient Dieu, lesquels aussi tâchaient
d'amener des prêtres à notre Seigneur,
et il y en eut qui furent gagnés. D'autres
le méprisèrent et dirent au peuple :
« Que peut savoir ce petit foulaton, » Il
s'en trouva un qui répondit : « Ces
fous vous apprendront à être sages.
» Mais ils demeurèrent plus
obstinés, disant : « Ne vous
arrêtez à lui, car ce ne sont
qu'enchanteries que ce qu'il prêche. »
.
La conversion
de Claudine, femme du respectable citoyen
Aimé Levet.
Il y avait en la ville une honnête femme,
nommée Claudine, femme d'un honnête
citoyen, sachant bien lire, superstitieuse à
merveille, faisant conscience d'ouïr
prêcher Froment, l'estimant être
diable, pensant être damnée si
seulement l'avait ouï prêcher, et
l'avait en si grande horreur qu'elle ne le voulait
voir ni ouïr, craignant à être
enchantée.
Toutefois sa belle-soeur, fort
fervente à la parole, réussit
à la persuader de l'ouïr à tout
le moins, dit-elle, une fois, pour l'amour d'elle ;
ce qu'elle obtint à grand'peine.
Et venant ouïr cet homme, elle
entra dans la chambre faisant de grandes croix, se
signant par plusieurs fois, se recommandant
à Dieu, et elle se vint asseoir
auprès de lui, le regardant et
l'écoutant fort affectueusement. Quand il
eut achevé le sermon, elle lui dit à
haute voix : « Ce que vous avez dit, est-il
véritable? - Oui, dit-il. - Se prouvera-t-il
tout par l'Évangile ? - Oui. - La messe ne
s'y trouve-t-elle point? - Non. - Et votre livre
est-il vrai Nouveau-Testament? - C'est mon. »
Elle l'emprunta, et le
commença à lire, se tenant à
part dans une chambre de sa maison, trois jours,
trois nuits, avec jeûne et prières,
oubliant le boire et le manger, tant y était
affectionnée. Quand elle eut
parachevé, elle envoya quérir cet
homme en sa maison, lequel la trouva si
résolue et de tel propos qu'elle lui fut en
grande admiration. L'entendant parler ainsi qu'elle
parlait, et lui voyant jeter ses larmes jusqu'en
terre, il rendit grâces à Dieu qui
l'avait illuminée. Et de fait et de parole
elle commença à suivre
l'Évangile, en sorte que tous ceux de la
ville étaient étonnés de la
voir sitôt changée, et de l'ouïr
disputer contre les prêtres, leur montrant
bénignement par les Écritures ce qui
était nécessaire. Elle gagna à
notre Seigneur son mari qui était alors bien
adversaire, et plusieurs femmes. Celles-ci
l'entendant parler tout autrement qu'elle ne
faisait, la laissèrent bien pour un certain
temps, disant l'une à l'autre : « Elle
a été enchantée, elle a
ouï cette cagne, cette charope ; »
parlant par compassion qu'elles avaient. Toutefois
la voyant si bien persévérer, et
être en modèle de sainte conversation,
elles aussi furent gagnées à la
parole; lesquelles étaient la Pernette
Balthesarde, femme d'un des premiers conseillers de
la ville, la femme de Baudichon, la dame
grand'mère d'Ami Perrin, et la Guillaume sa
fille, la femme de Jean Marcourt et plusieurs
autres honnêtes femmes, dont la grande
charité qu'elles avaient au commencement
contraignait les adversaires mêmes à
bien dire de l'Évangile.
.
Le premier
sermon public de
Froment.
Le nombre des auditeurs de Froment s'accroissant
toujours, il advint que le jour de l'an, 1553, une
telle multitude se jeta dans la salle où il
prêchait qu'il ne pût parvenir jusques
dans la chambre; car la maison, les degrés,
le porche et les rues étaient si pleins que
l'un foulait l'autre, et tous commencèrent
à crier à haute voix : « Au
Molard, au Molard, » et ils le mirent sur un
banc de poissonnière et crièrent
encore plus fort, hommes et femmes : «
Prêchez-nous, prêchez-nous la parole de
Dieu. » Il leur répondit : « C'est
aussi celle qui demeurera éternellement.
» Et leur ayant fait signe de la main qu'ils
fissent silence , Il mit les genoux en terre,
invoqua Dieu, et se mit à les prêcher
sur le texte : « Donnez-vous garde des faux
prophètes, qui viennent à vous en
vêtemens de brebis, et par dedans sont des
loups ravissans. Vous les connaîtrez à
leurs fruits. »
Comme il prolongeait son sermon, et
continuait à frapper du couteau de la parole
de Dieu les faux apôtres, les scribes et les
pharisiens, voici venir Pétreman Falquet, le
grand sautier de la ville, qui lui fit commandement
de ne plus prêcher. Froment lui
répondit, sans rompre son propos à
plus haute voix qu'il ne prêchait : « Il
vaut mieux obéir à Dieu qu'aux
hommes. » Et s'adressant au peuple: Ne vous
troublez point, mes amis, leur dit-il, mais
écoutez ce que notre Seigneur
Jésus-Christ dit : « Qu'on se donne
garde des faux prophètes. » Et tout
aussitôt il se remit à prêcher,
et à montrer du doigt ces hommes à
longues robes, qui dévoraient les veuves,
vendaient le salut, mangeaient le troupeau, et ne
craignaient sinon de perdre leurs soupes grasses.
« Envoyés pour nous enseigner la voie,
que nous ont-ils donné que mensonges, que
rêveries, fausses doctrines, défenses
de mariage, et des viandes, et tout plein de
badinages, comme si ce fussent choses saintes et
bonnes?...
À ce propos fut interrompu le
sermon sans qu'il pût achever. Car voici
venir Claude Bernard fort échauffé,
l'un des principaux qui pour lors favorisaient
l'Évangile, disant à haute voix :
« Pour l'honneur de Dieu descendez de dessus
ce banc, et que l'on vous sauve la vie, car voici
tous les prêtres qui viennent en armes. Le
procureur-fiscal, et le lieutenant de la ville y
sont aussi. Je vous en prie, sauvez-vous. »
Mais Froment ne voulait descendre : « Pour
l'honneur de Dieu, lui dit-on, évitez
l'effusion du sang. »
Et on le descendit de dessus le
banc, et le fit passer par une petite allée
dans la maison d'un citoyen nommé Jean
Chautemps. La nuit venant, pour éviter la
grande fureur des adversaires, il passa chez Ami
Perrin. Les prêtres et quelques-uns du
Conseil l'ayant su, menacèrent son
hôte voire de brûler sa maison, s'il ne
baillait congé à ce luthérien.
« Nous avons liberté, leur
répondit Perrin, fort prudemment, de pouvoir
tenir un serviteur homme de bien en nos maisons,
sans contradiction de personne. Je le tiens pour
mon serviteur. » Et Froment vécut
quelque temps à labourer, à
travailler de ses mains, à faire des rubans.
Toutefois il fut bientôt contraint à
se retirer dans une troisième maison, chez
Ami Levet, le mari de Claudine, faisant de
l'apothicaire. Mais les citoyens leur ayant fait
grands tumultes et grands maux, et jeté des
pierres par les fenêtres et de la boue dans
la boutique, Froment se vit réduit à
quitter la ville. Il partit de nuit,
accompagné de Claude Magnin, et se retira
à Yvonand, près du lac d'Yverdon,
sous le gouvernement des deux villes de Berne et de
Fribourg.
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