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(REVUE DU PASSE ET SITUATION
POLITIQUE)
LE DUC DE
SAVOIE ET LA VILLE DE GENÈVE.
- « Quel est ton
nom? - Je suis la liberté. -
- Recevez-la remparts
antiques
- Recevez-la
sacrés portiques ;
- Levez-vous ombres
héroïques
- Faites
cortège à soi, côté.
»
C'était encore en 1517.
- Un jeune homme de la ville de
Genève, ayant haine contre un docteur
nommé Claude Crossi, juge des trois
châteaux, coupa les jarrets à sa
mule. Puis ayant soupé avec quelques
siens compagnons il se servit du fou de table de
Monseigneur l'abbé de Bonmont, qui
s'appelait Jean Petitpied, et
lui fit crier par la ville: « Ho ! qui
voudra acheter la peau de la bête, de la
plus grosse bête de la ville, qu'il
s'avance ! » Cette folle émut
querelle entre les officiers épiscopaux
et les syndics; car les épiscopaux
condamnaient les coupables à une amende
de 100 livres, et les syndics disaient que la
peine devait être seulement de 60 sous,
prétendant que ce ne fût cause
criminelle. Pourtant le tout fut apaisé
par l'entremise de Monseigneur
l'archevêque de Turin (de ce même
prélat que nous avons vu faire à
Berne une si belle harangue latine aux
envoyés des Cantons). Il dompta par son
autorité la témérité
des jeunes gens, après les avoir adoucis
par de bonnes paroles. Mais le duc employa ce
fait pour faire voir au Pape et aux cardinaux
que Genève avait besoin d'un berger plus
fort que l'Évêque.
Ce récit, emprunté
d'un contemporain, nous montre qu'en 1517 il y
avait à Genève trois tribunaux,
trois justices, et que ces justices servaient
trois pouvoirs politiques différens. Cet
état de choses remontait à des
temps fort reculés. D'ancienneté,
c'était le comte, chef militaire, et
représentant dit prince qui rendait la
justice ; il la fit mauvaise, et l'on recourut
à l'évêque. Le jour vint que
l'évêque et le comte se
trouvèrent partagés comme suit :
le premier avait la cité, le second le
pays d'alentour; néanmoins dans la
cité; ou à ses portes, le comte
conservait trois châteaux et une part
à la jurisdiction. De ces trois
châteaux celui du Bourg-de-Four, qui
dominait la ville, lui servait jadis de
forteresse ; les citoyens le rasèrent.
Celui de l'Isle, baigné des eaux du
Rhône, était la demeure du
vice-seigneur ou vidomne, qui jugeait au nom du
comte les causes civiles en première
instance; l'évêque
prononçait en dernier ressort. Y avait-il
sentence de condamnation , l'église, qui
ne versait pas le sang,
remettait le coupable au châtelain,
à la porte, du troisième des
châteaux du comte, de celui de Galliard,
et le châtelain. de Galliard faisait
exécuter le patient à Champel, sur
terre de la jurisdiction de
l'évêque. Là en
étaient restés, après de
longs différends, les deux pouvoirs
rivaux.
Cependant un troisième
pouvoir croissait entr'eux, celui de la
communauté. Il commençait à
fleurir sous l'abri que lui prêtait
l'évêque. Quelle situation heureuse
que celle d'une ville située aux portes
de l'Italie, de la France et de l'Allemagne.
Genève était le grand
marché du bassin du Rhône. Aussi la
fortune, l'intelligence et l'ambition de ses
citoyens prirent-elles un rapide accroissement.
Peu à peu s'accrurent aussi leurs
franchises. Ils avaient le droit de juger leurs
pairs en matière criminelle. Ils se
donnèrent des syndics pour veiller
à leurs intérêts et à
la police de leur ville. Leur situation devenait
de jouir en jour plus prospère, lorsque
la famille des comtes de Genève vint
à s'éteindre et que les ducs de
Savoie héritèrent de leurs
domaines, de leurs châteaux et de leur
pouvoir. Dès-lors, comme le dit la
chronique, « ceux de la ville n'eurent plus
de ressource qu'en Dieu et en monsieur
Saint-Pierre auquel Ils se confiaient mieux
qu'à Dieu dans ces temps-là.
»
Ce fut bien pis quand les
chanoines de Genève, qui tous
étaient gens de noble maison, et la
plupart sujets du duc par leur naissance, se
mirent à nommer évêques des
princes de la famille de Savoie.
L'évêché devint l'apanage
des cadets on des enfans illégitimes de
l'illustre maison. Une cour voluptueuse et
brillante s'établit dans Genève.
Des gentils-hommes savoyards s'y fixèrent
en grand nombre. Qui n'eût cru que c'en
était fait de la république
naissante et de ses jeunes
libertés?
Mais c'est alors que le nom
suisse vint la couvrir d'un bouclier. Le
commerce des Cantons se faisait par
Genève. Sa prospérité leur
importait. Les négocians genevois avaient
à Fribourg, à Berne, à
Soleure des relations amicales. Ils ne cessaient
d'entretenir leurs amis des périls et du
courage de leurs concitoyens. Et les vainqueurs
de Morat et de Grandson se prirent de compassion
pour la riche et généreuse
cité. Il se forma alors à
Genève un parti d'hommes jeunes pour la
plupart, ayant le langage franc et la parole
hardie, tours armés selon la coutume, et
quoi que le duc voulût entreprendre, il ne
cessa plus de les rencontrer sur son chemin. Ils
avaient pris pour devise, « Un pour
tous» et « qui touche l'un touche
l'autre. » Charles III, à son
avènement, offrait-il aux Genevois de
leur rendre, au prix de leurs franchises, les
foires dont ses prédécesseurs les
avalent dépossédés, ces
jeunes hommes dictaient la réponse :
« Mieux pauvres avec la liberté.
»
L'évêque de
Genève étant venir à
mourir, Ils firent si bien, qu'il lui fut
nommé pour successeur un ami des Suisses
; c'était Aimé de Gingins,
abbé de Bonmont, celui-même dont le
fou, Jean Petitpied, se laissait employer
à crier la peau de la mule du docteur
Grossi. Mais cette fois Charles fit casser
l'élection par le Pape et nommer Jean,
bâtard de Savoie. « Quoi,
s'écrièrent alors les enfans de
Genève, comme s'appelaient
eux-mêmes les zélateurs de
l'indépendance, faudra-t-il que chaque
fois une bataille décide à qui
sera parmi nous évêque du Dieu de
paix, et, malgré nos efforts,
Genève est-elle donc
inféodée à jamais aux fils
illégitimes de cette maison!
»
Le duc venait-il à
Genève. les citoyens s'accordaient
à fermer leurs maisons à ses gens,
leurs écuries à ses chevaux, et le
prince était réduit à
descendre à l'hôtellerie comme un
voyageur ordinaire et comme un étranger.
Fréquemment ses demandes d'argent ou de
soldats étaient repoussées. «
qu'avons-nous à faire de cette grande
bourse vide au milieu de nos petites bourses
bien remplies, disaient les citoyens. »
C'était d'une part luxe,
débauches, insolences; de l'autre une
fronde perpétuelle, des chansons, des
rixes, des coups d'épée
donnés et reçus. La jeunesse de
Genève se formait à ces habitudes
d'une guerre journalière.
Elle avait érigé
l'insurrection en principe ; « Les citoyens
qui craignent violence de la part des
étrangers peuvent
réunir les Genevois, fermer les portes et
faire une congrégation armée; ils
le peuvent en vertu des franchises de la ville,
et ce qu'ils peuvent ils le font. » Ils
avaient à leur tête Philibert
Berthelier.
Bonnivard le portrait dans sa
chronique « un mauvais homme et un grand
citoyen, mutin, fréquentant les pires,
les défendant contre la justice, et
tirant de la ferme d'un bordel le meilleur de
son revenu. » Mais Bonnivard, nous le
verrons, bien qu'ami de la liberté ne la
comprenait pas comme Berthelier, et il
écrivait sous la censure des hommes qui
avaient fait mourir l'un de ses fils et avaient
banni l'autre de la cité. Roset se borne
à dire que Berthelier était grand
entrepreneur parmi ceux qui se faisaient forts
de leurs franchises. Quel que fut Philibert, il
se conduisit de manière que sa vie ne fut
bientôt plus en sûreté dans
Genève. « Ecoutez dit-il alors
à ses compagnons, je fuis à
Fribourg, ; je dirai aux Fribourgeois les
injures qui sont faites à nos franchises
et la commodité qu'il y attrait pour eux,
en devenant nos combourgeois, à
être exempts des péages de
Genève; je vous ramènerai des
alliés. »
Berthelier fit comme il venait de
dire. Il ne tarda pas à rentrer à
Genève avec des ambassadeurs de Fribourg.
Le Conseil était incertain,
partagé. Autour de lui s'agitaient les
deux partis. L'un avait fidélité,
l'autre liberté pour devise.
Celui-là avait pris une crête de
coq pour signe de ralliement, celui-ci la croix
des Confédérés. «
Reconnaissez les traîtres à la
croix des Eidguenots, » disaient les
ducaux. « Reconnaissez les Mamelus à
cette crête, symbole d'orgueil et
d'apostasie, » disaient les
indépendans. Ils se rassemblèrent
pour entendre des députés de
Fribourg, qui leur proposèrent un
traité d'alliance et de combourgeoisie.
Les indépendans se trouvèrent
être de beaucoup en plus grand nombre, et
le traité fut conclu.
Triomphe de courte durée,
et que les Eidguenots devaient payer
chèrement. Un peuple en proie aux
révolutions ressemble à la mer en
tourmente; le flot ne s'enfle et ne
s'élève que pour retomber et pour
s'abîmer aussitôt. Rien de
modéré, rien de prudent, rien de
durable. En cette occasion la joie des
libéraux fut insensée, on les
entendit crier: « Au Rhône, au
Rhône les traîtres. Qu'à
l'avenir les deux Conseils ne décident
rien de ce qui touche aux franchises sans
l'approbation du général. »
Les Mamelus, de leur côté, se
retirèrent vers le duc: «
Secourez-nous, lui dirent-ils, que vous
reste-t-il que de marcher sur Genève et
de travailler à faire rompre par la
diète des Cantons le traité de
combourgeoisie. » Charles s'avança.
Les Cantons intervinrent et contraignirent
Fribourg à renoncer au traité. Le
28 mai 1519, le duc entra dans Genève par
la porte de St-Antoine qu'il avait fait abattre.
Plus de résistance, plus de
fierté. La tête de Berthelier roula
devant le palais de l'évêque; elle
fut clouée à Champel et son corps
fut promené sanglant dans les rues avec
cet avis: « que ceci serve aux
traîtres de leçon. » La
restauration fut entière. On
emprisonnait, on battait., on torturait, on
décapitait; c'était pitié,
dit Bonnivard. Lui-même subit à
Grolée une première
captivité. Les Mamelus se
félicitaient les uns les autres. Charles
qui voulait faire partager sa victoire à
la duchesse, l'appela à venir triompher
de la cité conquise. Ce ne furent que
bals, spectacles et tournois. Quand arriva le
jour des élections et de
l'assemblée annuelle des citoyens, les
cloches s'ébranlèrent, les portes
de St-Pierre s'ouvrirent; on dit que le nombre
des soldats qui entoura l'assemblée
dépassait celui des Genevois qui se
trouvaient réunis. Le chancelier de
Savoie leur parla d'ordre, de liberté, du
respect du duc pour leurs franchises, et il
finit par leur demander s'ils étaient
prêts à jurer obéissance
à leur Seigneur. - « Oi, oi, »
répondirent tous les Mamelus. « Oi,
oi » redirent tristement les voûtes
sacrées, comme si Genève eût
à cette heure fait son adieu à la
liberté.
Mais déjà se
relevait le flot populaire. Genève
possédait un citoyen que je
caractériserai d'un mot en disant que,
né riche, il vécut à servir
gratuitement sa patrie, et
mourut si pauvre qu'il fallut du bien de ses
enfans pour remplir les engagemens qu'il avait
contractés pour la servir.
Besançon Hugues n'était pas un
zélateur comme Berthelier, mais un homme
d'une vue haute et d'un coeur
élevé au-dessus des passions
communes. Il était parti de Genève
quand Charles III y entrait, et fuyant à
pied, par un temps et des chemins affreux,
à travers la Bourgogne et la
Franche-Comté, il était
arrivé à Fribourg par ce long
circuit. Toutes les mains serrèrent sa
main loyale. Tous les coeurs comprirent le sien.
Bientôt il put
écrire à ses concitoyens: «
Tous à Fribourg sont d'une même
opinion et pour nous. » - « A
Genève pareillement, répondit
Porral, le peuple se renforce, Dieu vous donne
de continuer à bien faire de votre
côté. » Mais
déjà Fribourg s'armait à la
voix de Besançon. Il n'y avait fils de
bonne mère qui ne voulût partir.
Fribourg entraînait Berne la politique.
Sans se soucier des Cantons, bien résolue
à défendre ses amis, elle
annonçait le prochain départ de
ses guerriers. 0 joie ! Ô
délivrance! Ô retour
inespéré !
Hugues arrive portant en main le
traité de combourgeoisie avec les deux
républiques. Les rangs de ses concitoyens
s'ouvrent devant lui. Il parle : « Pour
vous le faire court, Messieurs, les seigneurs de
Berne et de Fribourg ne voient nul moyen de nous
mettre en repos, sinon de nous prendre et
accepter pour leurs, sans s'arrêter aux
promesses et transactions de ces gros
maîtres, qui ne sont à
présent de longue durée. Laquelle
bourgeoisie, ayant connu leur bonne
volonté, nous avons pourchassée et
obtenue à nos propres dépens, dont
en voyez ici la lettre bien scellée et
bien bullée. Le traité est fait
pour 25 ans, et se doit faire le serment de cinq
en cinq ans. Ils seront francs ici comme
nous-mêmes, et, nous vers eux comme
eux-mêmes. Ils nous secourront et nous les
secourrons. Lausanne sera le lieu de mi-marche
entr'eux et nous, en cas d'appel, et là,
par devant tels arbitres qu'il plaira aux
parties élire, du pays du Valais ou de
Neuchâtel, se termineront les causes
d'appel dans trois semaines. Or, advisez,
Messieurs, si voulez bien ainsi ratifier,
accepter et approuver la dite bourgeoisie.
» - Six mains seules se levèrent
pour le refus. Ce jour du 24 février
1526, Genève fut acquise à la
Suisse et gagnée pour la liberté.
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GENÈVE
ALLIÉE DE BERNE ET DE FRIBOURG.
«Renoncez au
traité de combourgeoisie. »
-
« Ils
répondirent tous d'une voix: plutôt
mourir. »
Pendant que le duc de Savoie
dominait dans Genève, l'évêque
Jean était venu à mourir, et Charles
lui avait donné pour successeur Pierre de la
Baume, d'une illustre maison de Bourgogne. Le
nouveau prélat, selon le portrait que nous
en fait Bonnivard, « était fort superbe
et ne s'élevait pas par noblesse de vertu,
mais par celle de sa race, et pour entretenir cet
état il lui fallait faire de grandes pompes.
Il estimait que c'était souverain
mérite en un prélat de tenir gros
plat et viande à table avec toutes sortes de
vins excellens, et quand il y était il s'en
donnait jusqu'à passer trente-un.
C'était aussi un cocher
à tout vent, voulant chevaucher l'un et
mener l'autre par la bride, dont il se glorifiait,
voulant en ceci imiter le cardinal de Sion, qui
avait été estimé l'homme le
plus fin de son temps. Il voulait lui ressembler en
finesse, ne le pouvant en vertu, car le cardinal
était savant-ès-lettres, et si
éloquent qu'il pouvait rendre raison de tout
ce qu'il faisait, sobre, chaste et de moeurs, sinon
bonnes, du moins de bon exemple.
L'évêque était
tout le contraire; ce que le cardinal faisait de
sens mur et rassis, celui-ci le faisait
après boire. Il entreprenait une affaire
avant dîner et après dîner il en
faisait une toute contraire. « Qu'un
prélat tel qu'était Pierre de la
Baume n'aimât pas Genève on le
comprend. Son orgueil y avait à souffrir et
de la part du duc et de celle des citoyens. Aussi
faisait-il de
préférence son séjour à
Arbois, dont les vins lui plaisaient, ou à
St.-Claude au milieu de ses bons chanoines, ou dans
quelque autre de ses bénéfices de
Bourgogne. Mais il n'était ni dans les
intentions du duc, ni dans les
intérêts des Genevois de l'y laisser
demeurer en paix. Des deux parts on pressait son
retour à Genève, le duc dans
l'espérance de l'y employer à ses
fins; les conducteurs de la république dans
le but de le faire servir à contenir dans
ses digues un torrent qui débordait de tous
côtés.
Tous les lendemains de
révolution se ressemblent. L'alliance de
Genève avec les Cantons n'avait pas
été plus tôt conclue, que
toutes les passions avaient demandé une
place sur le terrain nouveau que l'on venait
d'occuper.(1)
Tous de vouloir commander, nul d'obéir.
« Le tyran est bien ôté, dit
Bonnivard, mais je nie qu'ils aient
ôté la tyrannie, car ils l'ont
gardée pour eux, et je n'estime
liberté de faire ce que l'on veut, si l'on
ne fait ce que l'on doit. Quelqu'un en hait-il un
autre, il ne fait qu'aller dire à la
maison-de-ville qu'un tel est un traître, et
l'auteur des maux de la ville, et on le mande
quérir, et on le met en prison. » Les
Mamelus, au nombre de quarante, des plus riches et
des plus apparens, s'étaient enfuis,
emportant dans leur coeur leur haine contre la
Genève nouvelle. Bientôt plus de trois
cents Eidguenots se présentèrent pour
demander le fourrage des biens des fugitifs.
Les syndics devenus en un jour les
chefs d'un état, de simples magistrats de
police qu'ils étaient, n'avaient qu'une
autorité faible et empruntée. On
cherchait qui pourrait gouverner ces mouvemens. Or
il se trouva qu'il existait à Genève,
comme dans la plupart des villes et des villages de
la patrie romande, une institution connue sous le
nom de l'abbaie des fous. Elle tirait son revenu du
tribut prélevé sur les veufs et sur
les veuves qui passaient à de secondes
noces. Les princes ne la souffraient pas seulement,
mais l'aimaient et l'autorisaient, afin que leurs
peuples ne devinssent pas plus sages qu'eux.
L'abbé qui la présidait avait pour
office de pourvoir aux jeux, danses et
mômeries.
On conçut la pensée
d'anoblir sa charge en y portant un grand citoyen.
On en fit une dictature. On créa
l'abbé capitaine général de la
république, et sous ce double titre on
confia à Besançon Hugues le soin
dangereux de défendre la ville et de faire
régner dans ses murs l'ordre et la
modération. Besançon accepta un
pouvoir qui devait le dépopulariser. Du
fourrage et de la condamnation à mort des
Mamelus, il ne fut plus question. Le mâle
caractère de Hugues en imposait à
l'Évêque; fasciné, soumis, il
rentra dans Genève, rêvant, il est
vrai, aux moyens de faire servir le noble citoyen
à réduire la ville sous son
autorité. Mais qu'il la trouva
différente de ce qu'il l'avait
laissée! Le gouvernement s'était
organisé. Un conseil des Deux-Cents avait
été créé à
l'exemple des villes suisses. Les citoyens avaient
arrêté entr'eux de ne plus plaider
devant le vidomne ni devant la cour
épiscopale, mais de porter leurs causes
devant les syndics. Hugues, faisant servir au salut
de la cité la fièvre qui la
dévorait, s'était mis en tête
des populations, et il travaillait lui le premier
à renverser l'abattoir de St.-Germain et
à élever les remparts de Palais. Sa
grande âme électrisait
tout.
On contribuait de la bourse et des
bras. Les bouchers ne se refusaient plus à
payer la gabelle de la chair, qui devait servir
à acquitter les dettes de la ville. Au
premier son du grand tambour d'Allemagne, tous les
citoyens se trouvaient sous les armes, chacun au
poste assigné. Il n'y avait plus qu'un parti
dans Genève. Les Favre, d'une famille venue
d'Echallens, les Vandel, originaires de Savoie, les
Offischer, descendus du Gessenay, donnaient
l'exemple du dévouement à leur
nouvelle patrie. Il suffisait d'un mot de ces
derniers, pour que des montagnes qu'ils avaient
quittées de nombreux mercenaires vinssent
accroître les rangs des défenseurs de
Genève. Tout ce qui aimait la liberté
était pour elle, et Genève le savait
bien; elle n'avait pas oublié ce mot de
l'ambassadeur de Berne, Sébastien de
Diessbach : « Nous venons vous faire à
savoir le bon vouloir de nos supérieurs de
vous maintenir de toute leur puissance envers et
contre tous en vos libertés et franchises,
et aussi en votre bon droit. » L'ambassadeur
avait ajouté: « Toutefois vous prions
que vous ne soyez que plus humbles, plus sages et
plus paisibles, ne voulant maltraiter ceux
d'opinion contraire, sachant qu'il n'est si beau
blé qui n'ait quelque ordure. » Mais
ces dernières paroles, on ne les avait
écoutées qu'à demi; on acheva
de les oublier lorsque les Mamelus, faisant
irruption aux portes de la ville, se mirent
à maltraiter qui ils pouvaient saisir, et
à piller les terres de leurs ennemis. Alors
il fut de nouveau question de leur condamnation.
Les zélateurs se relevèrent. Le nom
de Hugues et un reste de respect pour
l'évêque les
contenaient encore. Voilà
qu'un jour l'évêque fait enlever une
jeune fille, et que le peuple ameuté court
l'arracher de son palais dès-lors plus de
considération, plus d'honneurs plus
d'autorité. Un syndic vint demander au
prélat, pour abréger Justice, d'en
faire renonciation formelle à Messieurs du
conseil.
Une autre fois les citoyens, se
retirant après boire, avec un tambourin,
prirent plaisir à frapper en présence
de l'évêque un homme qui lui
était attaché, et
l'évêque dut dévorer cet
affront, parce que plusieurs de ceux qui avaient
fait l'injure étaient du conseil, et qu'ils
ne se fussent jamais punis eux-mêmes. Les
citoyens montraient moins de haine aux ducaux
qu'aux évêquais. Enfin n'y pouvant
tenir davantage, le prélat fit un beau soir
donner une fausse alarme, et tandis que le peuple
courait l'un çà, l'autre là,
pour garder la ville, un bateau le conduisit aux
Paquis, d'où, montant un cheval qui
l'attendait, il s'enfuit chez ses Bourguignons. Ce
jour de sa fuite mit fin au règne du parti
modéré. L'heure approchait où
Hugues lui-même devait être
appelé à donner sa démission,
et à quitter Genève, si l'on en croit
Bonnivard. Les hommes du mouvement
signalèrent leur triomphe, en
précipitant du château de l'Isle dans
le Rhône, la pierre qui portait les armoiries
du duc de Savoie. Ils répondirent à
l'excommunication de l'Eglise par une procession
burlesque à la tête de laquelle figura
Baudichon de la Maison-Neuve, qu'à l'avenir
nous verrons reparaître chaque fois qu'il y
aura un tumulte nouveau. On n'hésita plus
à mettre la main sur les biens des Mamelus
et à prononcer leur sentence de mort. La
révolution avait repris sa
marche.
Mais cet orage dans son cours
rencontra un autre orage, qui, après avoir
grondé long-temps autour de Genève,
vint enfin tout-à-coup tumultueusement
l'assaillir.
La terre qui se déploie
autour de Genève, semée aujourd'hui
de belles et riantes maisons de campagne,
l'était alors de châteaux,
(2) séjour
d'une noblesse nombreuse et élevée
dans les armes. Les châteaux s'y touchaient.
Les nobles se donnaient la main. C'est vers eux que
la plupart des Mamelus s'étaient
réfugiés. La passion des uns et des
autres étant la haine du populaire, ils
n'avaient eu même besoin de s'entendre, et
une ligue s'était trouvée
formée. L'évêque de Lausanne en
était. Celui de Genève s'y
était joint avec ses Bourguignons. Des
gentils-hommes du Pays-de-Vaud je ne sais qui n'y
prit quelque part. Quand les marchands de
Genève, dont ils étaient les
débiteurs, leur envoyaient demander de
l'argent, ils ne savaient plus que battre les
messagers. Une fois qu'ils banquetaient ensemble au
château de Bursinel, et
déchiquetaient, Dieu sait comme, ceux de
Genève, l'un d'eux, levant haut sa cuiller :
« Si vrai que je la tiens, dit-il, nous
avalerons Genève ; » et tous de placer
aussitôt leur cuiller en sautoir, comme signe
de leur confrérie. On les appela
dès-lors les Gentils-hommes de la Cuiller.
Réunis à Nyon, ils firent
bénir leurs armes par l'Eglise. Ils avaient
à leur tête Messire François de
Pontvoire, homme qui ne savait vivre qu'en guerre;
il se prit de querelle aux portes de Genève,
tira l'épée et tomba percé de
coups. Ce fut Michel Mangerod seigneur de La-Sarraz
qui prit sa place. (On distinguait après lui
le jeune de Gruyère, le baron de Rolle, fils
de M. de Vergi, les deux seigneurs de St.-Martin,
et le sieur de la Bâtie.
Les enfans de Genève avaient
pris pour devise : «qui touche l'un touche
l'autre; » les gentilshommes
s'appelèrent les « enfans de la
noblesse » et se jurèrent inviolable
fidélité. Que ne recevaient-ils de la
part du duc le signal qu'attendait leur impatience:
ils pillaient cependant, détruisaient,
ravageaient, donnaient des coutelades, troublaient
le commerce des Cantons et ruinaient celui de
Genève. Un beau soir ils se
trouvèrent avec près de quatre mille
hommes réunis à Gaillard, munis
d'échelles et prêts à livrer
l'assaut : le duc leur signifia l'ordre de se
disperser.
C'était à la voie des
négociations que Charles comprenait qu'il
devait avoir recours. Il n'était pas de
force à lutter contre les Cantons: mais
sachant les Suisses divisés, il travaillait
à faire rompre par la diète le
traité de combourgeoisie que Berne et
Fribourg avaient fait avec Genève. Il se
faisait appuyer par le roi de France. Il faisait
écrire par l'empereur.
Ses envoyés donnaient des
banquets, répandaient de l'argent.
Besançon Hugues de son côté,
présent en tous lieux, employait le reste de
ses forces et de sa fortune à plaider la
cause de sa patrie. Les conférences
succédaient aux conférences. Il s'en
tint à Bienne, à Soleure, à
Berne, à Brouck, à Payerne, et sans
amener de résultat. Enfin de lassitude les
Cantons se décidèrent à faire
les démarches que le duc ne cessait
d'implorer d'eux; Berne, Fribourg, Zurich,
Bâle et Soleure envoyèrent leurs
ambassadeurs inviter Genève à se
départir de la bourgeoisie, et à
traiter avec le duc : « Arrangez-vous, dirent
les envoyés de Berne, car nous ne voulons
point de guerre et nous ne vous secourrons pas.
» - « Faites pour le mieux, dirent les
députés de Fribourg, mais quelle que
soit votre résolution nous serons
fidèles à nos promesses. » La
réponse du peuple fut unanime:
« Plutôt mourir que de
renoncer à l'alliance. » -
« Eh bien! dit l'ambassadeur
bernois, je rapporterai votre réponse
à mes seigneurs, et au nom de Dieu, ils
feront ce qui leur plaira. » C'était en
1528. Les seigneurs de Berne étaient dans
des circonstances difficiles. Ils firent
néanmoins savoir à Genève
qu'ils demeureraient fidèles à la
bourgeoisie, et sacrifieraient au besoin leurs
personnes et leurs biens pour maintenir la foi
jurée.
Dès lors un an
s'écoula tout entier en querelles, en
escarmouches et en brigandages. La noblesse
dévorait son frein. Enfin écumante de
rage, elle le rompit, et
rassemblant de toutes parts ses mercenaires, elle
se précipita sur Genève. Un
siècle au deux plus tôt la victoire
lui eut appartenu. Alors quelques chevaliers,
bardés de fer, décidaient du sort des
batailles. Ils ne rencontraient ni canons, ni
phalanges bien disciplinées.
Mais depuis les armes avaient
changé, et l'enthousiasme et la victoire
avaient passé dans de nouveaux rangs.
Genève le fit bien voir par sa belle et
prompte résistance ; et dès que les
troupes Suisses se mirent en campagne, l'on vit se
dissiper les gentils-hommes, avec les essaims
d'aventuriers et de valets, de la multitude
desquels ils s'imaginaient avoir fait une
armée. Les Confédérés
s'avancèrent pillant, saccageant, faisant la
guerre de la manière cruelle dont on la
faisait alors. Les Bernois, qui depuis peu avaient
échangé la messe contre le sermon
(3), insultaient
aux croix et aux images, et portaient le ravage
dans les couvents. À Morges ils se
logèrent en grand nombre dans la maison des
frères Mineurs, et s'étant fait
ouvrir l'église ils y allumèrent un
grand feu, et y jetèrent avec le ciboire les
statues et les tableaux. Vint ensuite le tour des
castels. Celui de M. de Vufflens, celui d'Allamand,
celui de Perroy, celui de Begnins, une maison du
sire Adrien Feste châtelain, de Nyon, tout
fut brûlé. À Rolle ils mirent
aussi le feu au château, qui était
d'une beauté remarquable. À Nyon, ils
pillèrent les temples et le couvent de
St.-François. On nous raconte qu'ils
voulurent brûler plusieurs églises ;
mais que notre Seigneur ne permit pas que le feu
pût prendre étant mis par des mains
hérétiques. Les moines et les pauvres
nonnes s'enfuyaient déguisés, chacun
en la maison de ses parens.
De Genève on reconnaissait
l'approche des Suisses aux progrès des
flammes. Bien que le temps fut beau, les airs
étaient offusqués par la grande
fumée ; placés sur les murailles, les
citoyens contemplaient cet incendie; quelques uns
en étaient piteux, les autres joyeux, et se
moquaient. Enfin le 7 octobre, les
Confédérés entrèrent
dans Genève sans avoir rencontré
l'ennemi.
Ils s'assirent au nombre de 15000
dans une ville épuisée. Les uns
étaient catholiques zélés,
d'autres venaient d'embrasser la réforme ;
ceux-ci vont brisant les croix, maltraitant les
religieux ; les prêtres n'osent aller
à l'office que leur robe sous le bras ; les
Fribourgeois, eux-mêmes, quoique
écoutant volontiers messe n'endommagent pas
moins les pauvres gens comme les autres ; qui
délivrera Genève de ses
amis?
Vainement elle supplie les
capitaines d'aller camper sur terre ennemie ; ils
promettent et ne bougent pas. On leur parle de
retour dans leurs foyers.
Nous partirons,
répondirent-ils dès que nous aurons
reçu les frais de la campagne » et ils
demandèrent 15000 écus d'or. Quelle
ne fut pas la stupeur des Genevois! ils
cherchèrent, ils réussirent â
faire 2000 écus. Les ornemens des
églises fournirent une valeur de 1000
écus encore. On fit du reste une obligation.
Restait à attendre l'issue des
conférences qui se tenaient à
St.-Julien.
Genève et le Duc en
pressaient également le terme ; mais le Duc
l'éloignait en persévérant
à nier d'avoir eu part à
l'échauffourée des gentils-hommes, et
Berne en se montrant résolue à ne pas
le croire. Enfin Charles céda ; il promit de
laisser Genève en paix, laissa peser sur lui
les frais de la guerre, et pour gage de sa promesse
donna aux Cantons la plus belle part de son
héritage, le Pays-de-Vaud en
hypothèque. Les Suisses reprirent alors le
chemin de leurs foyers ; ils partirent en laissant
Genève à-peu-près dans
l'état où elle se trouvait lors de la
levée de boucliers de la noblesse ; ni paix,
ni guerre. C'était comme avant;
n'était que la petite république, par
la dette qu'elle venait de contracter, était
devenue la tributaire des Cantons, et que Berne qui
avait le ton du commandement, s'était
habituée à le prendre envers la
faible cité.
Les rixes, les querelles sanglantes,
les escarmouches recommencèrent. Le Duc
n'abandonna pas la pensée de surprendre
Genève. Il continua de la harceler, et de la
fatiguer par de continuelles alarmes. Il lui
fermait l'arrivage des vivres
(4), puis
rouvrait les marchés dès que Berne se
montrait. Une nouvelle conférence, qui se
tint à Payerne, ne changea ni la situation,
ni les dispositions des parties.
La sentence de St.-Julien se trouva
confirmée, et de ce que les
médiateurs y ajoutèrent il ne sortit
nul effet. Il condamnait Genève à
rétablir le Vidomne ; « Que le duc,
dirent les Genevois, commence par nous rendre les
prisonniers qu'il nous retient. » Ils
ordonnaient au duc de relâcher les captifs;
« Je le ferai, disait le prince a son tour,
quand Genève aura reçu mon Vidomne.
» Et cependant les hostilités
continuaient, et de deux parts on ne cessait de
fatiguer les Confédérés du
bruit de ses plaintes. Les choses en étaient
à ce point, quand un fait d'une
singulière gravité se fit jour
à Genève. À peine
aperçu d'abord, il développa
insensiblement ses conséquences, et
renouvela en peu de temps la république dans
sa religion, dans sa politique et dans ses moeurs.
On comprend que c'est de la Réformation que nous
voulons parler.
.
ENCORE LA REVUE
DU PASSÉ
SITUATION
RELIGIEUSE.
« Nous avons
Abraham pour père.
»
Je vous dis
que de ces pierres même Dieu peut faire
naître des enfans à Abraham.
»
Il vivait en Suisse, vers le milieu
du XVe siècle, un homme de beaucoup
d'esprit, de savoir et de piété et
qui à ces trois titres était fort mal
vu des gens d'église ses confrères.
Malléolus, c'était son nom s'imagina
voir un jour descendre du ciel un envoyé des
saints du paradis, et à l'entendre, cet
envoyé aurait tenu à peu près
ce langage aux chanoines de sa patrie : «
Comment se fait-il que de vos rangs il ne vienne
plus d'élus accroître le nombre des
bienheureux et partager leur béatitude ?
oisiveté.... luxure .... ignorance.... Ah!
je le vois et je le déplore, vous avez
entièrement abandonné les traces des
hommes pieux qui vous ont
précédés. » -
Ainsi s'exprimait Malléolus;
c'était sans pitié qu'il fouettait
les vices de son siècle. Un jour les
chanoines ses collègues lui donnèrent
une commission pour l'Évêque. Il
partit. Mais voici que sur sa route il rencontra un
homme, la lance au poing, qui se précipita
sur lui en disant : « Reçois ce que tu
as mérité pour avoir injurié
tes confrères. » Malléolus
eût succombé si des paysans
n'étaient survenus. Bientôt on apprit
qu'un des chanoines avait trahi, par ses craintes,
l'auteur de cet attentat. Il s'était enfui
vers l'Italie; mais il ne tarda pas à
reparaître après avoir reçu les
indulgences de l'Eglise. Pour Malléolus il
n'en fut pas quitte à si bon compte. On
célébrait le carnaval quand le
vicaire de l'Évêque
pénétra dans sa maison, fit
opérer saisie de sa bibliothèque, et
le jeta lui-même garrotté sur un
cheval. Plus de trois mille personnes furent les
témoins muets de cette arrestation qui
n'avait aucun des caractères de la
légalité. Le conseil se tut. Les
Confédérés laissèrent
faire.
L'évêque de Lausanne,
au pape, et à Garillat lui-même.
À l'Évêque : « Cet homme a
osé s'attaquer à notre avoyer. O
crime! il le poursuit jusques après sa mort.
Il veut le faire déterrer comme on le ferait
d'un vil animal ; et c'est au sein de votre
église que se publient ses mandemens. En
vérité nous ne pouvons en
témoigner assez notre surprise. Ne
sommes-nous plus les vainqueurs de
Charles-le-Hardi? N'avons-nous pas fait voir assez
clairement la vigueur avec laquelle nous savons
venger notre gloire outragée ? et
pensez-vous que nous soyons gens à supporter
de tels mépris?- »
Au Pape : « Notre nom n'est-il
que de hier ? Est-il de si peu d'éclat? Un
homme de rien l'emporterait-il sur nous? Que votre
Sainteté nous voie les genoux dans la boue
et le coeur touché d'humilité la
supplier d'assurer à jamais paix aux cendres
de notre héros. » -
À Garillat : « Prenez-y
garde, et pour vous le dire en un mot, ne nous
faites pas froncer davantage le sourcil, sinon vous
sentirez que nos flancs n'ont pas été
mordus impunément. »
Tout inutilement. L'orgueil du
prêtre triompha de celui de la fière
cité. Garillat fut si loin de ployer,
qu'insultant de nouveau à la gloire de
Berne, il osa demander au pape le prieuré du
Mont-Richer (Ruggisberg), situé sur les
terres de la république, et Berne fût
réduite à le supplier de vouloir, par
pitié, se désister de ses
prétentions. « Notre
révérend Père, notre
bienfaiteur chéri, lui écrivit-elle,
nous espérons en votre humanité.
Rendez-nous amour pour amour. Achevez de pardonner
à Boubenberg, et que votre bonté
fasse produire à nos prières les
fruits que nous en souhaitons. »
Un brevet n'en arriva pas moins de
Rome, qui maintenait Garillat dans la possession de
Mont-Richer, et Berne, fille soumise, ne sut que
s'incliner et qu'obéir. Elle écrivit
au souverain pontife : « Nous nous entendons
mieux à manier les armes qu'à plaider
une cause. Nous ploierons, comme nos pères
nous ont appris à le faire. Elle essaya bien
encore, mais en vain, de faire agir un
étranger de haut lieu pour faire donner le
prieuré à quelque prêtre qu'il
protégeât. Il ne lui resta enfin
qu'à supplier Garillat, qui ne devait point
résider dans le bénéfice que
la faveur de Rome venait de lui confier, d'y placer
un administrateur qui ne fût pas hostile au
gouvernement du pays. Elle ne cessa de le caresser,
de l'appeler son bourgeois, son patron à
Rome, son singulier ami, jusqu'à ce que, par
son crédit à la cour de Savoie, elle
réussit à se débarrasser de
lui en le faisant nommer à
l'évêché
d'Yvrée.
Telle était encore à
la fin du XVe siècle l'influence de la cour
de Rome dans l'Helvétie. Tel y était
le pouvoir du haut clergé. S'enrichissant
à chaque génération par des
donations nouvelles ; se dérobant aux
charges et aux impôts, ne courant point,
comme les propriétaires laïcs, les
chances de guerre et de confiscation, recevant
toujours et n'aliénant jamais.
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