FEUILLETON DU
CHRONIQUEUR.
PIERRE VIRET
S'ADRESSANT À L'ÉGLISE EN
PAYERNE.
Mes chers frères et bons amis de
Payerne, Pierre Viret vous désire
grâce et paix en notre Seigneur
Jésus-Christ.
Quand en ce temps-ci, il a plu
à Dieu notre bon Père, de faire par
sa grâce luire la lumière de sa sainte
Parole en ces pays, il vous a fait cet honneur de
vous choisir des premiers sur lesquels il a voulu
faire luire les rayons de cette lumière.
Mais tous, de première arrivée, n'ont
pas pu connaître que c'était la
lumière de Dieu, qui leur était
présentée, pour les tirer des
profondes ténèbres desquelles ils
avaient été si long-temps
détenus sous la tyrannie de
l'Antéchrist, lequel ils pensaient
être vrai vicaire de Dieu, voire Dieu en
terre, comme on nous le faisait à croire
à tous par ci-devant. Car il nous est
à tous advenu en cet abîme comme aux
pauvres prisonniers qui sont mis en la
lumière du soleil, après avoir
été long-temps détenus en
d'obscurs cachots. Car le long séjour qu'ils
ont fait en ces ténèbres, et la
longue accoutumance qu'ils ont eue avec icelles,
est cause qu'ils ne peuvent pas facilement porter
la lumière du soleil. Et si telle chose
advient à ceux-là mêmes qui ont
quelquefois vu le soleil auparavant, ont
été nourris dans sa lumière,
et toujours la désirent; ce n'est pas de
merveille si ceux qui ont été toute
leur vie détenus ès
ténèbres, se trouvent fort
éblouis en leur entendement, quand cette
lumière leur est présentée,
laquelle ils ne virent jamais, et même ne
peuvent pas croire que ce soit lumière, ains
la tiennent pour ténèbres et estiment
vraie lumière les ténèbres par
lesquelles ils sont aveuglés. Ce qui demeure
ainsi jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu
de leur ouvrir les yeux par sa
grâce.
Puisqu'ainsi est, nous ne devons pas
trouver trop étrange si de première
entrée tous les hommes. ne sont pas d'accord
pour recevoir cette lumière divine par
ensemble. Car puisque les hommes sont
ténèbres de leur nature, et fuient la
lumière, ce n'est donc pas chose nouvelle si
plusieurs la rejettent, ni de laquelle nous ayons
occasion de nous émerveiller, ains nous
devons beaucoup plus nous émerveiller quand
nous voyons aucuns qui la reçoivent. Et
quand il plaît à Dieu de s'approcher
des hommes de si près, comme s'il leur
tendait la main du ciel, par le moyen du
ministère et de la prédication de
l'Évangile pour se manifester à eux
en son fils Jésus-christ, il ne se fait pas
connaître du premier coup, et en pareille
mesure, à tous ceux à qui il lui
plaît de se faire connaître; ainsi il
distribue ses grâces a ceux qu'il lui
plaît, en tel temps et telle mesure qu'il lui
semble être expédient. Et pourtant
l'Évangile ne peut être
prêché purement au monde que Satan ne
trouve moyen de mettre les hommes en dissension les
uns avec les autres, comme vous l'avez
éprouvé depuis que le saint
Évangile est prêché parmi
vous.
Vous savez comment à vous et
à nous, il nous suscite des adversaires en
très grand nombre, et dedans et dehors,
lesquels sont bien plus forts, bien plus à
craindre que nous selon le monde sans aucune
comparaison. Vous en avez de toutes parts avec
grandes menaces. Plusieurs néanmoins en
étaient que Dieu a illuminés et
appelés à son service, auquel
maintenant ils se portent tout aussi bien que les
premiers.
Vous donc qui avez été
les premiers auxquels Dieu a fait la grâce de
vous inspirer à recevoir cette
lumière divine, gardez-vous de mettre jamais
en oubli un tel bienfait de Dieu; ains lui en
rendez grâces éternelles, et qu'on ne
puisse pas dire de vous à bon droit ce qui
est écrit dans l'Évangile, savoir:
les premiers seront les derniers.
Et vous lesquels Dieu a puis
appelés, rendez pareillement grâces
à ce bon Dieu de ce qu'il ne vous a pas
voulu laisser périr en cette fange, ou vous
batailliez contre votre salut tant que vous
pouviez; ains vous a fait miséricorde. C'est
à vous maintenant à suivre l'exempte
de St. Paul, lequel a de tant plus grande ardeur
travaillé à avancer l'Évangile
qu'auparavant il avait été plus
affectionné persécuteur d'icelle,
avant qu'il eût été converti
à Jésus-Christ.
Avisez donc tous ensemble de vous
bien disposer à rendre votre devoir à
ce bon Père céleste, lequel vous a
fait tant de bien à tous, et priez-le qu'il
vous donne de persévérer à ce
que vous puissiez mettre encore meilleur ordre
là où il y a du désordre et
redresser ce qui demeure encore ruiné. Car
c'est une oeuvre laquelle n'est pas faite en un
jour et à laquelle notre vie ne peut
suffire. Mettons-y donc tous la main en notre
endroit, afin que nous ne défaillions en
notre office: ne laissons pas à faire
à d'autres ce que nous pouvons faire
nous-mêmes; car nous ne savons quel devoir
auront ceux qui viendront après nous. La
nature du monde est d'aller plutôt en
empirant qu'en amendant, parquoi avisons tous, non
pas à ce que les autres doivent faire; mais
à ce que nous devons faire de notre part,
pour nous en acquitter fidèlement envers
Dieu.
Je dis ceci du grand désir
que j'ai de voir Dieu glorifié encore
davantage parmi vous et je ne pense pas que vous
trouviez étrange que je vous sollicite,
comme si j'étais un homme que vos
intérêts n'attouchassent que
faiblement et qui ne me dusse que peu soucier de
votre Église, de sa ruine ou de son
édification. Car quand il n'y attrait
d'autre raison pour m'émouvoir à
faire ce que je fais, sinon que je suis d'un
même pays avec vous et que je suis voire
voisin bien prochain, si aurais-je assez suffisante
cause en cela. Car si je dois désirer que
Dieu soit glorifié entre les hommes,
où dois-je désirer qu'il le soit plus
et plus tôt qu'au pays de ma naissance et
entre mes circonvoisins? et si je suis tenu de
souhaiter et de travailler à avancer le
salut d'un chacun, autant qu'à me sera
possible, de qui dois-je avoir plus de soin que de
ceux-là de mon pays?
Que si mon ministère n'a pas
tant profité envers tous que je le
désirais de bon coeur, j'en suis fort
déplaisant; je ne m'en étonne
toutefois pas, me souvenant que les apôtres
du Seigneur eux-mêmes ont peu fait de profit
chez ceux de leur nation et que tous les serviteurs
de Dieu ont expérimenté quelque chose
de cette ingratitude, voire entre leurs plus
prochains parens. Si est-ce toutefois que de ma
part, j'ai encore grande occasion de louer Dieu en
cet endroit, à savoir, en ce qu'il lui a plu
faire cet honneur, non pas à moi, qui en
suis par trop indigne, mais à ce saint
ministère lequel il m'a commis, de ne le
laisser dutout demeurer oiseux et sans fruit. Car
j'ai rencontré beaucoup de bonnes brebis du
Seigneur, lesquelles ne me rejettent pas, ains me
reconnaissent pour ministre de la grâce de
Dieu, par lequel il lui a plu les appeler à
sa connaissance. Et quand ainsi ne serait, si
aurais-je bien grande occasion de rendre
grâces à ce bon Dieu, de ce qu'il lui
a plu se servir de mon ministère, pour
amener mon père et ma mère à
la connaissance du Fils de Dieu, et de me faire le
témoin de la profession chrétienne
qu'ils en font. Quand ce bon Dieu n'aurait fait
servir mon ministère à autre chose,
si aurais-je occasion de le bénir d'une tant
grande grâce.
Mais il lui a plu m'en faire encore
davantage envers plusieurs, parmi lesquels vous
êtes des premiers. Vous savez comment le
Seigneur m'a appelé parmi vous; vous savez
quels travaux et quels combats nous avons soutenus
par ensemble, non pas par notre force et vertu;
mais de Dieu qui nous a toujours assistés.
Vous savez en combien de dangers nous avons
été et mes compagnons et moi, qui
avons travaillé en votre Église, les
uns après les autres. Et quant à moi
vous savez quel témoignage et quelle
enseigne de mon ministère je porte encore en
mon corps, et combien Dieu m'a assisté en ce
grand danger de mort; vous savez comment de ceux
qui pour lors étaient mes ennemis sont
devenus mes amis et mes frères en la maison
de Dieu.
Puis donc qu'il a plu à notre
bon Dieu de nous conjoindre ensemble par une tant
sainte conjonction, pour soutenir sa querelle,
parmi tant d'assauts et de dangers, c'est à
bon droit que je désire de voir
croître et mûrir le fruit de vos
labeurs et de ceux de mes compagnons et des miens,
en ce en quoi il a plu à Dieu (le souverain
ouvrier, qui a fait toute l'oeuvre) se servir de
nous, comme de bien pauvres instrumens de sa
grâce; par lesquels toutefois il a voulu
être glorifié.
MIETTE.
Il ne mérite pas le nom
d'homme, celui qui dévoye l'aveugle
dé sa voie et n'ôte pas la pierre de
dessous ses pas ; mes frères, travaillons
à lui rendre bien unie la voie par laquelle
Dieu l'appelle à soi.
VIRET.
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