CHRONIQUE DE LA
QUINZAINE
EMPIRE D'ALLEMAGNE.
Les Anabaptistes
(Continuation).
Les
populations de l'Allemagne méridionale,
soulevées par l'anabaptisme, ne
procédèrent pas à
l'insurrection sans une certaine modération
et un certain ordre.
Dans les
villes dont les paysans prenaient le gouvernement,
ils créaient des magistrats populaires, et
ceux-ci régissaient la cité avec un
sentiment remarquable de justice et
d'égalité sociale. Après avoir
obtenu quelques succès, ils
formulèrent leurs prétentions. Ils
demandaient, d'abord et avant tout, de pouvoir se
choisir des pasteurs qui leur enseignassent la
Parole de Dieu sans mélange de traditions
humaines.
Ils ne
voulaient à l'avenir payer de dîme que
celle du froment, et de cette dîme ils
désiraient qu'il fût fait trois parts,
la première pour leurs pasteurs, la seconde
pour les pauvres, et la troisième pour les
réparations publiques. Ils ne se refusaient
pas d'être soumis aux magistrats dans les
choses honnêtes; mais ils rejetaient toute
servitude, montrant que le sang de Christ leur
avait acquis la liberté. Ils regardaient
comme contraire à l'équité,
qu'on leur défendit de chasser, de
pécher, et qu'il ne leur fût pas
même permis de préserver leurs champs
et leurs moissons contre les bêtes
fauves.
Les
forêts qui n'étaient pas
propriété des particuliers devaient
être rendues à l'usage de tous. Les
censes devaient être réduites, les
redevances foncières déclarées
rachetables, le commerce et les arts rendus
à la liberté. Ils finissaient par
déclarer, que si l'on ne faisait raison
à leurs demandes, ils sauraient
conquérir par les armes ce que la parole de
Christ ne leur refusait pas. Ils protestaient
toutefois que, s'ils se trompaient en quelque chose
sur le sens de l'Écriture, on les trouverait
disposés à suivre de meilleurs
conseils. Ils invitaient tout
particulièrement Luther à juger de la
justice de leurs
réclamations.
Luther leur
répondit Il est vrai que les princes qui ne
permettent pas la prédication de
l'Évangile, et qui accablent le peuple en
tant de manières, méritent les
châtimens, de Dieu. Mais vous, vous n'en
devez pas moins travailler à avoir une
conscience irréprochable; autrement vous
perdrez vos âmes en voulant sauver vos
corps.
Vous couvrez
vos desseins du nom de Dieu; vous donnez à
votre multitude le nom de chrétienne;
ignorez-vous donc ce que Dieu veut? Dieu vous
ordonne d'être soumis à vos magistrats
et il vous déclare que ceux qui s'arrogent
le pouvoir de juger et de punir périront par
l'épée. Les magistrats, dites-vous,
se conduisent d'une manière que vous ne
sauriez tolérer. Cela serait vrai, qu'il ne
vous appartiendrait pas de réprimer le mal;
mais à celui seul à qui a
été donnée la puissance du
glaive. Ce n'est point à vous à
être juges et arbitres dans votre propre
cause.
Que
deviendraient vos congrégations, s'il y
était permis à chacun de venger sa
propre querelle? Sachez qu'en renversant ce droit
que la nature nous enseigne et qui est commun
à tous les hommes, vous vous montrez pires
que les Turcs et que les nations les plus barbares,
tant s'en faut que vous soyez dignes du nom de
chrétiens. Comment donc pourrez-vous
supporter la présence de Christ quand il
viendra pour vous juger? Comme vous n'a pas agi
Luther, puisque vous voulez que Luther vous parle
de lui-même. Luther n'a employé aucune
violence, Luther n'a excité aucun
soulèvement, Luther n'a provoqué
aucune vengeance. S'il avait aimé
l'émeute, il eût pu, lorsqu'il
était à Worms, ébranler
tellement la multitude, qu'on y aurait nagé
dans le sang et que l'Empereur lui-même n'y
eût pas été en
sûreté. Mais toujours j'ai
respecté l'ordre civil, me reposant de tout
entre les mains de Dieu, et c'est en suivant cette
voie que j'ai été
préservé jusqu'à ce jour et
que j'ai vu ma doctrine reçue de tant de
peuples; malgré la rage du pape et
l'opposition de mes
adversaires.
Vous au
contraire, vous excitez des soulèvemens et
croyez réussir par l'épée.
Aveugles, ne voyez-vous pas les obstacles qu'en
agissant ainsi vous apportez à vos desseins?
Pour moi, je vois clairement que le Diable qui n'a
pu me détruire par le pape, cherche à
le faire aujourd'hui par le moyen de vos
prédicateurs sanguinaires. Mais il n'y
réussira pas; je vais
prier, bien certain que je suis de l'issue de vos
entreprises; je vais prier le Seigneur de vous
regarder en pitié et de renverser vos
projets. Que ne vous conduisez-vous de
manière à ce que je n'aie pas
à adresser mes prières contre vous ;
car quoique je ne sois qu'un pécheur, je ne
doute pas que, justes qu'elles sont, elles ne
soient exaucées. Peut-être
subsisterez-vous quelque temps; il se peut
même que vous ayez des succès;
n'importe, vous allez à votre ruine.
»
Un second
écrit de Luther était adressé
aux princes et à la noblesse : « C'est
à vous seuls, leur dit-il, que vous devez
attribuer les troubles qui bouleversent l'Empire.
C'est à vous, princes de l'Eglise, qui ne
cessez de persécuter l'Évangile, et
le faites malgré votre conscience. C'est
à vous, magistrats civils, qui ne songez
qu'à faire de l'argent pour fournir à
votre luxe et qui faites peser sur le pauvre peuple
des fardeaux qu'il ne peut tolérer. Les
paysans vous ont fait douze demandes, dont
plusieurs sont si raisonnables que les rejeter vous
couvrirait de honte, et vous avez tout
repoussé.
J'ai lu dans
le livre des Psaumes, qu'il arrive que Dieu rende
les princes méprisables (Ps. 106.) Je vous
ai avertis de vous préserver d'un tel
malheur; mais vous n'y avez point pris garde et
vous vous précipitez à la mort. Allez
donc, les prodiges n'annoncent rien de favorable.
La colère de Dieu se tient prête
à éclater sur vos têtes.
Déjà gronde cette sédition
populaire qui sera la ruine de l'Allemagne, si Dieu
n'écoute mon oraison et n'y met le
remède encore à cette fois. Les
choses y sont maintenant en tel état, que
les hommes ne peuvent, ne veulent, ni même ne
doivent souffrir plus long-temps votre domination.
»
Dans un
dernier avis, Luther s'adressait aux deux partis,
et les conjurait encore de mettre fin à
leurs querelles par une composition. Il remontrait
aux magistrats, combien la fin de toute tyrannie a
toujours été funeste; au peuple,
comment ont péri misérablement la
plupart des séditieux. Il conseillait aux
uns de relâcher quelque chose de leurs
demandes; aux autres, de leurs droits; et il les
exhortait à remettre à un petit
nombre de gens de bien la discussion de leurs
prétentions réciproques. Pour lui,
qui voyait les deux partis courir dans des voies
criminelles, il déclarait pouvoir ne prier
pour l'un non plus que pour l'autre; il ne savait
que demander à Dieu d'incliner les coeurs de
tous à la paix; encore craignait-il que la
colère divine ne pût être
apaisée et que la prière des justes
ne réussît pas à arrêter
les coups qui étaient près de tomber
sur la nation.
Cependant les
paysans s'avançaient par armées
nombreuses. Leurs bandes avaient fini par se livrer
au pillage et par répandre dans les
provinces l'incendie, la dévastation et
l'effroi. Alors Luther s'adressa encore à
l'Allemagne; mais cette fois c'était pour
l'appeler aux armes et pour dévouer à
la mort ces parricides impies qui, sous le nom de
Christ, donnaient l'exemple du vol, du meurtre et
de la sédition.
Le principal
corps des insurgés se trouvait en Franconie,
fort de 30,000 hommes. À sa tête
était Muncer, que les Anabaptistes
regardaient comme le Gédéon
destiné à rétablir, par
l'épée, le royaume de
Jésus-Christ. Il défendait aux
paysans, au nom de Dieu, de payer aucun tribut :
« Hommes du peuple, s'écriait-il, ne
vous laissez pas séduire par les conseils
lâches et insensés des impies ; vous
périrez tous, si vous n'écoutez le
Ciel, qui vous parle par ma bouche. Prêtez
attention, et apprenez que 500,000 paysans sont en
armes sur les bords du Necker. L'Empereur va
commencer la danse, les gens impurs des
châteaux auront leur tour et nous, nous
aurons ce que Dieu nous a promis. Hommes du peuple,
ne vous laissez pas séduire par les
flatteries des Philistins. Dieu veut que vous les
traitiez comme il traita jadis les races
Cananéennes. C'est là ce qu'il m'a
révélé.
»
De jour en
jour l'espoir du butin et celui d'une meilleure
fortune grossissait les rangs des insurgés.
« Plus de lois, plus de magistrats, plus
d'impôts, » criait Muncer; et à
ces paroles magiques accouraient des bandes
nouvelles. Il leur promettait une victoire
certaine, qui ne vint point à leurs essaims
tumultueux.
Il est
près de Frankhuisen une montagne sur
laquelle les paysans s'étaient réunis
et ils y attendaient, dans une grande confusion,
que les nobles vinssent les attaquer. Point d'ordre
ni de commandement. Ils achevaient de chanter un
cantique, lorsque l'assaut commença par le
canon. Alors surpris, stupéfaits, les
malheureux ne surent ni s'enfuir, ni se
défendre; ils attendaient, selon les
promesses de Muncer, leur délivrance du
Ciel. Ne la voyant pas venir, ils finirent par
s'ébranler et par prendre tous ensemble une
fuite précipitée. Ce fut un massacre
et non pas une bataille. Muncer fut pris et mis
à mort.
Plusieurs
semaines durant la noblesse poursuivit sa victoire,
faisant marcher la terreur devant ses pas et
exerçant en tous lieux des vengeances
effroyables. Même après que
l'insurrection fut étouffée, les gens
des châteaux organisèrent et permirent
l'incendie des villages et livrèrent aux
flammes les habitans avec les maisons.
Partout on
rencontrait des paysans pendus aux arbres des
chemins. Une seule division commandée par le
duc de Lorraine fit périr, en huit jours,
Plus de 50,000 personnes et elle en chassait devant
elles des milliers. Ainsi périt par le
glaive, comme Luther l'avait prévu, la
première insurrection des Anabaptistes.
L'orage tomba, mais. pour se relever. L'anabaptisme
n'avait pas péri; les germes en
étaient demeurés répandus sur
le sol de l'Allemagne, et il se releva
bientôt dans les provinces du nord, pour y
déployer une énergie et une fureur
nouvelles. Nous allons le voir perdre sur cette
scène, ce qu'il avait conservé dans
le midi du calme, du bon sens et du
caractère modéré des
populations; soit qu'il ait dû, dans le nord,
prendre le caractère mystique, entier et
absolu des imaginations, soit que les
tempêtes soulevées par les
idées soient soumises à la loi de
devoir croître
jusqu'à ce qu'elles aient produit toutes
leurs conséquences, jeté toute leur
écume et donné leur dernier
mot.
.
PAYS ROMAND.
Genève, 31 mai. Les
premiers soins, après la malheureuse affaire
de Peney, avaient été pour la
sûreté de la république; on ne
songeait, les jours qui suivirent, qu'à
fondre les cloches en artillerie, à
élever des remparts et à faire
mouvoir les bons alliés de Berne. On a
ensuite levé une troupe soldée de 50
hommes et on leur a donné deux bons
capitaines, Jean Lambert et H. Dolens, pour les
conduire contre les traîtres de Peney et
procurer des vivres aux citoyens; les 50 soldats
sont logés chez autant d'habitans, qui sont
chargés de les nourrir 15 jours,
après quoi d'autres habitans les recevront
à leur tour.
Ces mesures
prises et la première frayeur passée,
les esprits sont revenus à la grande affaire
de nos jours, à la dispute et aux choses de
la religion. Il n'est dès lors conversation
d'autre chose.
Le Conseil,
au dire du peuple, penche aujourd'hui bien fort du
côté de l'Évangile; à
vrai dire, il renferme dans son sein quelques
papistes zélés, quelques
zélés réformateurs, et un
milieu tout politique; celui-ci composé
d'hommes qui ne pensent qu'à tenir les
partis bien en bride, à éviter de
briser le char de la république sur la pente
où il est entraîné, et à
ramener doucement les citoyens sur le chemin de
l'obéissance, de la concorde et de la paix.
Ce sont ces hommes politiques qui dictent les
résolutions du Conseil. Ils savent que
Genève finira par être de la religion
de ses alliés de Berne; mais ils veulent y
façonner insensiblement les esprits. lis
évitent donc de heurter les papistes; ils se
bornent à les surveiller, à les
réprimer, et ils ne les frappent que
lorsqu'ils prêtent à la correction par
des actes dignes du blâme universel.
Un jour, par
exemple, il fût parlé en Conseil des
faux miracles que faisaient les moines dans
l'église de Notre-Dame de Grâce, qui
est au couvent des Augustins. « Savez-vous,
dirent quelques personnes, où gît la
grande vertu de la bonne dame? c'est qu'elle
engraisse ses moines bel et bien; car ils ont tous
la face rouge comme écrevisse et les yeux
comme quassidoine. Or le moyen qu'ils emploient
nous allons vous l'apprendre, le voici.
Les beaux
pères donnent à entendre que cette
image de Notre-Dame de Grâce revicoule et
ressuscite les petits enfans morts sans
baptême, du moins pour autant de temps qu'il
est nécessaire pour les pouvoir baptiser.
Vous n'ignorez pas la doctrine qu'ils
prêchent sur ce sujet : Mieux vaudrait,
disent-ils, que dix cités fussent
péries, qu'un enfant fût mort sans
baptême; car la pauvre petite créature
s'en irait tout droit aux limbes, qui sont les
faubourgs de l'enfer. Et les mères (que ne
donnerait pas une mère pour le rachat de
celui qu'elle aime!), les faibles mères
viennent, apportant de grosses sommes pour procurer
le ciel à leurs enfans. Il en arrive de tous
côtés. C'est comme à Notre-Dame
de Lausanne ou comme à Notre-Dame de Bure,
les idoles les plus renommées pour les
merveilles qu'on leur attribue. Eh bien, apprenez
par quelle fourberie se font ceux de ces miracles
qui se pratiquent dans nos murs.
Il est dans
l'église dont nous parlons certaines
femmelettes que les moines nourrissent; ce sont
elles qui portent les enfans au pied de la statue
de la Vierge. Et là par de subtils moyens,
elles remplissent d'air le corps des petits enfans,
si bien que cet air sortant par la bouche fait
remuer une plume qu'elles y ont placée. Et
aucune fois aussi l'enfant sue et se mouille par le
moyen de pierres qu'elles ont chauffées; et
alors madame la matrone de crier au miracle et les
bons moines de sonner les cloches et de faire
valoir celle-ci. Mais remarquez que jamais le
prodige ne se fait sinon devant les moines et que
jamais enfant n'a été rendu vivant
à son père et à sa
mère; mais qu'il les faut incontinent
ensevelir après ces miracles bien
différens de ceux de Jésus-Christ.
»
Le fait ainsi
récité se trouvant être comme
on le disait, et le Conseil l'ayant fait bien
constater, il n'hésita pas sur ce qu'il
avait à faire; Messieurs les syndics se
rendirent au couvent et ils défendirent aux
moines de faire des miracles à l'avenir,
sous peine de l'indignation de la ville, à
moins qu'ils ne pussent soutenir par les
Écritures que la chose pouvait se
faire.
Le même
jour, MM. du Conseil n'ont pas hésité
à dépouiller de sa robe et de ses
charges un des guets de la ville, parce qu'il ne se
contentait pas d'être papiste, mais qu'il
n'avait jamais aimé la liberté et le
bien de la république; ains avait toujours
désiré la servitude (en laquelle il
est né hors de Genève), avait
donné son fils pour servir de trompette aux
traîtres et larrons de Peney; et lorsque
Pierre de la Baume, alors évêque de
Genève, incitait contre nous ses
adhérens, le dit guet logeait les
traîtres, les aidait et travaillait à
la mort des citoyens.
Le Conseil a
cru encore devoir user d'autorité à
l'égard des cordeliers et des chanoines,
qui, voyant venir la fin de leurs maisons,
travaillent à n'y rien laisser à
prendre. Il a fait mettre en sûreté
dans la grotte les chasubles et les draps de soie
de St-Pierre ; et parce que les cordeliers vendent
leurs hardes, pour pouvoir vivre, disent-ils, le
duc de Savoie ne leur envoyant plus rien, Messieurs
ont ordonné à Jean Bordon de vendre
les dits effets et on leur en baillera peu à
peu l'argent.
Quelque temps
après on a appris que les châtelains
de St-Germain avaient vendu leurs calices, disant
qu'il ne leur restait autre bien. Sur quoi il a
été ordonné au procureur des
altariens de St-Germain de ne leur payer aucune
distribution qu'ils n'aient donné
l'inventaire de leurs calices.
Le même
jour (c'est le 25 dernier), révérend
Aimé de Gingins, abbé de Bonmont,
ci-devant vicaire, a invité MM. les syndics
à assister à la procession qui devait
se faire, selon la coutume, le jeudi suivant, jour
de la fête de Dieu. Messieurs ont
trouvé que les temps
n'étaient pas propres pour de telles
cérémonies et que les prêtres
devaient faire comme ils avaient accoutumé
en temps de peste. S'étant le lendemain
occupés de nouveau de cette question, ils
ont formulé en ces termes leur
résolution unanime : « Puisqu'il y a
une dispute établie, par laquelle on pourra
connaître si la procession est sainte, on ne
la doit point faire, du moins jusqu'après la
dispute, et s'il se trouve qu'elle soit salutaire,
on la proclamera dévotement à son de
trompe, et on obligera tout le monde à y
venir avec des flambeaux. Cependant afin que les
prêtres ne disent pas que nous voulons
entièrement renverser leurs ordres, s'ils
veulent aller en procession par leurs temples
qu'ils le fassent, pourvu qu'ils n'aillent pas par
la ville. »
Il a aussi
été résolu qu'on ne ferait
point le banquet accoutumé de la
confrérie de la
Fête-Dieu.
Ainsi en
agissent MM. du Conseil envers ceux de la vieille
religion. Ils évitent d'un autre
côté de se montrer trop favorables
à ceux de la nouvelle. Ayant accepté
de laisser tenir une dispute, ils veulent qu'elle
se fasse avec grand ordre et grand appareil
d'impartialité. La trompette a donc fait le
tour de la ville, publiant que nulle injure ne se
fasse, nulle querelle à personne et que tout
le monde, soit de la ville, soit du dehors, puisse
librement disputer. Bonne garde a été
mise aux portes, aux tours et sur les fossés
de St-Gervais. Les secrétaires et les
commissaires de la dispute ont été
choisis également dans les deux partis,
à savoir pour secrétaires : Claude
Roset, André Viennois, Richard Vellut et
François Vuarier notaires, et pour
commissaires : M. Sept, CI. Savoie, J. Balard,
nonobstant la lettre pleine d'injures que cet
honnête papiste vient d'adresser à
Messieurs, Gir. de la Rive, CI. de
Châteauneuf, CI. Richardet, Amy de
Chapeaurouge et J. Amy Curtet. Enfin MM. les
syndics ont de nouveau avisé prêtres
et moines que la conférence aurait lieu en
langue française, afin qu'hommes et femmes,
petits et grands pussent connaître ce qui se
dirait et qu'ils se tinssent prêts à y
venir bien disputer.
Sur ce nous
avons entendu des étrangers faire les
réflexions suivantes : « Ah! si telle
licence était donnée de par tous
princes chrétiens comme MM. de Genève
baillent, l'affaire serait tantôt
définie, sans tant brûler, tuer et
meurtrir de pauvres fidèles
chrétiens. Mais le pape et les siens savent
bien que cette licence baillée, leur cas
serait incontinent découvert; aussi
défendent-ils de disputer de ceci, sinon au
feu et à l'épée. Et ont appris
cette manière de faire du grand Turc qui se
défend étroitement que personne ne
dispute de sa loi, car elle est, dit-il, assez
approuvée, et ne veut avoir gens
lettrés en son pays, afin qu'on n'y
connaisse que l'Alcoran. Voilà pourquoi le
pape et les siens ne craignent rien tant que
disputes et vrais conciles par lesquels tous lisent
dans l'Écriture et apprennent à
connaître la loi, les décrets et les
ordonnances. »
Au milieu de
ces discours et de bien d'autres, et les
préparatifs étant achevés, la
dispute a été enfin dressée,
ce hier dimanche 30 mai 1535, en grande
solennité, et sous l'autorité de la
seigneurie de Genève. Les auditeurs et les
députés ordonnés par le
Conseil se sont assis sur le théâtre
(ou l'échafaud) pour juger et veiller au bon
ordre; les secrétaires ont pris place et la
lice a été déclarée
ouverte aux combattans.
Mais voici
que de tant de prêtres et de moines qu'il y a
dans Genève, aucun ne se présente.
Ceux-ci, se dit-on, ont absenté la ville
pour leur plaisir; ceux-là s'en sont
allés sans prendre congé et ceux qui
sont demeurés ne viendront, car
l'Évêque a défendu aux
ecclésiastiques de se rencontrer à la
dispute, et le duc de Savoie a fait la même
défense à ses sujets, de sorte que
nous n'en verrons guère.
Quelqu'un
raconte que de tous les religieux il en est un seul
qui ait fait mine de vouloir venir, c'est un
jacobin de Palais, citoyen de Genève, et du
nom de Pierre Chapuis, le plus instruit de son
ordre si l'on dit vrai, « Pourtant, a-t-il
fait observer à MM. du Conseil, nous vous
prions de considérer que nous n'avons parmi
nous aucun homme lettré; nous vous supplions
donc qu'on nous relâche frère Guy
Furbity, pour qu'il puisse se trouver à la
dispute. Messieurs ont trouvé bonne son
observation et considérant qu'on a promis au
frère Guy de le libérer dès
qu'il aurait payé ses dépens, ils ont
ordonné qu'il fût mis au large pour
paraître à la dispute, et qu'il
retournerait en prison après la
conférence, jusqu'à ce qu'il ait
satisfait à son jugement. Mais, ajoute-t-on,
Furbity s'est excusé.
On parle
encore de deux étrangers qui doivent venir;
l'un est un docteur de la Sorbonne nommé
Pierre Caroli, homme chaud et subtil, et dont on
attend l'arrivée. L'autre, nommé de
Cornibus, aussi de Paris et le plus renommé
de la Sorbonne, s'est vanté de vouloir se
montrer; Farel lui a écrit à Lyon
pour le prier, et l'on avait
délibéré de le recevoir fort
honnêtement; mais il ne parait vouloir se
mettre en chemin. Les réformés de
leur côté ne sont pas sans embarras
voyant tous leurs adversaires faire défaut.
Farel conseille de contraindre les prêtres
à venir librement se justifier. Messieurs,
qui voudraient atteindre au mieux leur but,
viennent de se décider à faire
auprès des moines et des prêtres une
dernière tentative, et les syndics iront en
personne au chapitre de St-Pierre chercher à
amener des combattans dans la lice. Je vous
raconterai ce qu'ils auront
obtenu.
- SOURCES. Celles
de nos articles précédens.
-
.
REVUE DU PASSÉ.
LES SUITES DE LA RÉFORME A
NEUCHÂTEL.
« Le
vent continua de souffler avec violence, et
cependant les uns voulaient d'une manière et
les autres d'une autre, ensorte qu'ils ne
s'entendaient point. Dans cette confusion et
malgré cette obscurité, on
distinguait pourtant toujours la croix.
»
(Ancien
voyage).
L'héritage des chanoines :
1° leurs biens et ceux des abbaies et des
cures; 2° leurs places aux audiences; 3°
leur ministère dans la société
chrétienne. Prétentions
opposées des pasteurs, de la seigneurie et
des bourgeois. Ce que dit le peuple. Consolation
réelle.
Un champ
couvert de débris, tout autour des regards
avides, des fortunes, des pouvoirs
dispersés, dépouilles dont chacun
veut une part, voilà le lendemain de toutes
les révolutions et il n'en sera pas
différemment dans la Principauté. Nos
lecteurs, à qui nous n'avons sur ce sujet
rien à apprendre, consentiront-ils à
reprendre avec nous le chemin de Neuchâtel
?
Les
chanoines, en se retirant, laissaient un triple
héritage à recueillir. Ils laissaient
des biens, des pouvoirs dans l'État, et dans
l'église tout un ordre de choses à
reconstruire. Voyons d'abord ce qu'il advint de
leurs biens et de ceux des abbaies, des
prieurés et des cures.
Dans la
plupart des pays où la réforme s'est
établie, on a jugé que ces biens,
donnés par la piété, devaient
être consacrés à un saint
usage; on les a appliqués aux besoins de
l'Eglise, à la fondation des écoles
et à l'entretien des indigens. Farel et ses
collègues parurent ne pas se douter
qu'à Neuchâtel il pût en
être fait un autre emploi; mais la seigneurie
ne jugea point comme eux. Elle commença par
prendre en séquestre la fortune de l'Eglise,
en attendant le jour où les
Neuchâtelois, revenus d'un premier
entraînement , retourneraient à la
religion de leurs pères. Puis elle sut
trouver des motifs pour ne pas s'en désaisir
: « Toute propriété
abandonnée revient à l'État,
c'est-à-dire au seigneur. Les comtes ont un
droit d'autant mieux fondé sur les
propriétés de l'Eglise, qu'elles se
composent en grande partie des offrandes faites par
la piété de leurs pères.
La
société à laquelle ces dons
avaient été faits, se trouvant
éteinte, les fonctions auxquelles ils
étaient destinés à pourvoir
étant venues à cesser, le retour est
naturel. Ou penserait-on que cette richesse,
donnée pour entretenir le culte de la sainte
mère Eglise, pût être
employée légitimement à solder
les ennemis de ce culte? qu'elle doive appartenir
à ceux qui l'ont détruit? La
seigneurie estime que ce serait déraison d'y
songer. Mais, toujours juste et loyale, elle est
prête à faire ce que demande
l'équité; selon
l'équité les dons doivent être
restitués aux donateurs et les legs pies aux
héritiers de ceux qui les ont faits; que les
héritiers, que les donateurs se
présentent, qu'ils viennent munis de bonnes
preuves, qu'ils justifient leur droit et ils
retireront ce qu'ils auront montré leur
appartenir. Ce qui n'aura pas trouvé son
légitime propriétaire demeurera aux
mains de la seigneurie. »
Ce fut le
moyen que les princes de Neuchâtel
trouvèrent de colorer des apparences de la
justice une spoliation évidente. Ils
instituèrent une justice légataire
pour reconnaître et juger de la restitution
des legs pies. Il n'y eut qu'un petit nombre de
personnes qui purent apporter les titres attestant
les offrandes faites par elles ou par leurs
ancêtres. Il existait bien un livre dans
lequel ces dons se trouvaient portés avec le
nom des donateurs; mais un eut garde d'en ouvrir
les pages devant les particuliers. Lors donc que
quelques restitutions eurent été
faites, la seigneurie s'attribua, avec toutes les
formes de justice, le reste de ce qui avait
appartenu au corps religieux. On n'omit pas de
réserver les droits de l'Eglise catholique,
le cas advenant que Neuchâtel revint à
son ancien culte; mais cette phrase mise sur le
papier, le prince, nous l'avons vu, se garda de
travailler au rétablissement de la religion
des chanoines
(1*).
Mais MM. de
Neuchâtel n'avaient pas vu sans une vive
peine le riche héritage passer tout entier
dans les mains de la seigneurie. Eux aussi
parlaient de droits, eux aussi faisaient valoir les
convenances et, puissans comme ils sont devenus, ce
n'était pas par le mépris que l'on
pouvait répondre à leurs
réclamations. Il fallut donc enfin que le
prince et les bourgeois s'entendissent. Le prince
accorda aux Neuchâtelois de nouvelles
franchises; il leur fit une part aux biens de
l'Eglise : « C'était, fut-il dit, pour
réparer l'appauvrissement de la ville,
occasionné par dix années de
révolution.» Le Gouverneur mit ensuite
en vente les propriétés en litige;
plusieurs des citoyens les plus riches en firent
l'acquisition.
Jean
Merveilleux acheta des dîmes du chapitre et
de celle de Fontaine-André pour une valeur
de 700 livres. Tous les pouvoirs se
trouvèrent dès lors
intéressés à maintenir
l'oeuvre de la
révolution.
Restaient les
prêcheurs, restait l'Eglise
nouvelle.
Dans ce sac
d'une fortune qui avait été
destinée à entretenir dans le pays
une institution religieuse et morale, n'y aura-t-il
aucune part pour les ministres de la religion? Ne
leur réservera-t-on pas même les
moyens de la plus chétive existence? Ils
réclamèrent et ne furent pas
écoutés. Ces hommes de Dieu, d'une
voix si nette et si puissante
quand il s'agissait de publier le salut, ne
savaient que bégayer dès qu'il
était question de leurs
intérêts présents. Leur
attitude devenait timide, embarrassée; ils
ne savaient pas se faire chemin à travers
les subtils détours dont s'enveloppent les
hommes intéressés. Ils eussent cru se
rendre criminels en donnant à ces
débats, d'un intérêt
secondaire, un temps qu'ils devaient à leur
haute mission. La plupart, ils étaient sans
fortune, quelques - uns sans moyens d'existence ;
on abandonna aux personnes pieuses la charge de
leur entretien. « Le peuple a fait la
révolution, que le peuple la paie et
nourrisse ses pasteurs, » dirent les hommes
qui s'étaient partagé les
dépouilles des chanoines; et ces grands
briseurs d'images, et ces hommes qui avaient
secrètement secondé l'oeuvre des
zélateurs se retirèrent les uns
après les autres, lorsqu'il fut question de
pourvoir aux besoins de l'Eglise
régénérée.
À
Neuchâtel, il fallut l'intervention de Berne
pour que Farel fût défrayé de
la dépense qu'il avait faite durant le temps
qu'il avait prêché l'Évangile
et pour qu'une pension fût enfin
assurée aux pasteurs. Les gens des
campagnes, fort mécontens de la charge
nouvelle qu'on faisait peser sur eux,
élevèrent leurs plaintes de toutes
parts; mais sans beaucoup de succès. Le
Gouverneur adressait les villageois à
Messieurs, Messieurs les renvoyaient au Gouverneur,
et cependant l'entretien des prêcheurs
demeurait aux frais des communes et à ceux
des personnes pieuses, qui y pourvoyaient par leurs
offrandes et par leurs subventions.
Il est tel
pasteur qui, se trouvant dans
l'impossibilité de subsister par ce moyen, a
dû quitter sa paroisse. À grand' peine
a-t-on abandonné aux ministres les
presbytères des anciens curés; encore
leur laisse-t-on la charge des reconstructions et
le soin de l'entretien. À Pontareuse, MM. de
Neuchâtel avaient dans les commencemens
exigé qu'il fût fait une pension au
prédicateur; il lui fut assigné par
an deux muids de blé, trois de vin, 30
livres d'orge et 4 livres pour une maison; «
ce qui n'était raisonnable, observait-on, vu
les grands revenus de la cure de Pontareuse; »
mais le pasteur ne reçoit pas même ce
qui lui a été assigné. Telle
est à ce jour la condition de ceux qui
prêchent l'Évangile dans la
Principauté. Ils vivent de foi, de
piété, et des miettes tombées
de la table de ceux qu'ils nourrissent du pain de
vie.
Passons
à la seconde part de l'héritage des
chanoines; nous voulons parler de leur pouvoir et
de la place qu'ils occupaient dans les audiences du
pays.
Leurs
sièges y sont demeurés vacans ; qui
les occupera ? Sera-ce le clergé nouveau ?
Mais les pasteurs du culte réformé
sont pour la plupart des étrangers, des
religieux sortis des monastères, pauvres,
sans autorité, ignorant les choses du monde
et qui se fussent sentis fort
déplacés dans une assemblée de
juges séculiers et de législateurs.
De leur côté, ni le prince, ni les
bourgeois n'étaient disposés à
relever l'Eglise comme corps indépendant et
comme pouvoir entre les pouvoirs de l'État.
Des égards, du respect, c'était toute
la part qu'ils voulaient faire aux ministres de
l'Évangile. Ils leur ont conservé les
premières places, qui étaient celles
que les chanoines occupaient dans les repas, dans
les fêtes et dans les
cérémonies. Ils souhaitent de voir la
religion redevenir un moyen d'ordre, la
conseillère du peuple et la
régulatrice de ses moeurs; mais ils se
gardent de faire davantage pour elle et de
favoriser l'accroissement d'une puissance
populaire, rivale de leur propre puissance.
La question
de savoir qui héritera de la place
laissée vide dans les audiences demeurait
donc tout entière, lorsque la seigneurie a
pris sur elle d'y répondre. Un jour le
Gouverneur et Messire Olivier de Hochherg se
présentent devant les États, le
Gouverneur tenant le bâton et
représentant la personne d'illustre et
excellente Dame la princesse de Neuchâtel :
« Nobles Seigneurs et Messires, dit-il, pour
plusieurs causes Madame a été
pressée de tenir les audiences
générales et mêmement pour le
fait des ecclésiastiques à quoi ni
elle, ni Monseigneur le Duc son fils n'ont voulu
contrevenir. Et pource qu'il est plus que
nécessaire, vu le déplaisir qu'ils
ont eu de voir les ecclésiastiques
déchassés, d'accomplir le nombre des
trois États, ils se sont vus contraints d'y
appeler pour quelque temps les quatre banderets de
Neuchâtel, de Landeron, de Boudry et de
Vau-Travers, et vous prient de ne le vouloir
prendre à male part; car ce qui a
été fait ne l'a été
sinon pour obvier à scandale, et pour que le
comte ne demeure dépourvu de justice. »
À quoi
les États ont répondu, « que
puisqu'ainsi il a plu à Madame et à
Monseigneur, attendu les importunités et
occurrences de par deçà, de
substituer les banderets pour nouvel état,
ils laissent la chose ainsi pour cette fois,
néanmoins protestent n'y avoir consenti, et
que ci-après il ne soit préjudiciable
à leurs libertés, usances et
droitures, avec ce qu'ils ne se doivent tenir
être perpétuel état. Ains
Monsieur le Marquis de son autorité absolue
l'a voulu de cette façon jusqu'à ce
qu'il en soit plus amplement advisé. »
De ce jour
donc les hommes du prince, juges et banderets des
quatre villes se sont aussi aux sièges des
chanoines dans l'assemblée des trois
États (2*). n'admettre et de
n'envoyer aucun ministre, qu'il n'ait
été examiné par les
frères de la congrégation, en la
présence de la seigneurie et conseigneurie,
et de jurer de l'élire fidèlement,
sans aucune faveur ni amitié charnelle, ni
du pays, n'ayant égard à autre chose
qu'à l'honneur de Dieu et au salut des
âmes, et aussi de ne laisser prêcher
aucun duquel ne puissent rendre raison de sa vie et
de sa foi. C'est tout ce que les pasteurs jugent
pouvoir accorder à un prince dont la
religion n'est pas celle que le pays a
embrassée. Ils demandent de leur
côté d'être
préservés envers et contre tous dans
leur bon droit, selon l'équité, et
d'être tenus quittes de la main morte
à laquelle étaient sujets les
curés du pays par le passé. Quant aux
biens de l'Eglise, il en a été
disposé; il ne leur reste donc plus de voeux
à former sur ce qu'ils eussent
considéré comme en étant le
légitime emploi.
Le
différent des pasteurs avec les bourgeois
porte sur d'autres points. Les bourgeois sont de la
religion réformée; ils ne s'opposent
pas à ce que les ministres de
l'Évangile soient consacrés par le
synode; mais ils voudraient être en droit de
choisir leurs pasteurs, de les censurer s'il y a
lieu, et de les renvoyer s'ils le trouvent à
propos. Ils ne leur refusent point de pouvoir
nommer les maîtres d'école. Les
parties ne sont point encore d'accord sur la
composition des consistoires. Quant au reste, le
Conseil et la Communauté de Neuchâtel
ont fait, il y aura bientôt deux ans, des
ordonnances qu'il nous parait intéressant de
donner dans leur entier. Ces ordonnances portent ce
qui suit :
«
Voulons et statuons par ces présentes que
désormais nul de nos ministres n'ait
à tenir, dans ses sermons et prêches,
paroles, dits et propos, termes, comparaisons,
similitudes ou autres cas semblables que facilement
il ne puisse montrer par la Parole de Dieu ;
autrement lui sera remontré
bénignement en Conseil, jusqu'à la
troisième fois ; et si icelui voulait
persister, tellement qu'il ruine plus
qu'édifie, sera par nous toute
l'église, sans tumulte, alors avisé
par un avis et mûre
délibération de lui donner un
congé honorable, sans offenser Dieu ni
scandaliser notre prochain.
» Item,
ordonnons et statuons que pour le présent,
nos dits ministres et pasteurs ne s'entremettent
à nous introduire la pratique et usage
d'excommunication, qu'ils apellent autrement la
correction ou discipline de l'Eglise, puisque sur
les vices et péchés avons ordonnances
et statuts portant punition corporelle et
pécuniaire, passée par la seigneurie
et conseigneurie, et ce jusqu'a ce que voyions
autres églises voisines de notre
réformation recevoir la dite discipline
ecclésiastique, ou que le Seigneur notre
Dieu nous ait plus amplement touché le coeur
et fortifiés en la foi de son saint nom,
pour icelle recevoir et admettre, autrement leur
sera remontré bénignement et puis en
user comme dit est, s'ils
persévèrent.
»
Ordonnons de plus que nos dits ministres ne
s'entremettent en rien, sinon en tant que
l'Écriture Sainte portera, de la seigneurie
et conseigneurie, ains seulement de ce qui
procède de leur ministère
évangélique.
»
Ordonnons en outre et statuons que nos pasteurs
dorénavant n'aient à refuser la
sainte cène à personne de suffisant
âge, et qui de sa foi rende bonne confession,
réservé que ce ne fût
d'exprès commandement de la seigneurie, ou
que dans le personnage n'y eut causes et raisons
manifeste, de quoi il fût indigne pour icelle
recevoir.
Ce
néanmoins par les articles susdits
n'entendons aucunement vouloir fermer la bouche de
nos ministres en la prédication de la
Parole, qu'ils ne puissent ouvertement, sans
contredit en leurs sermons et prêches,
admonester, reprendre, corriger, crier,
blâmer et détester les vices et
péchés en général, sans
nommer lieux et personnes, et entièrement
exercer ce que leur ministère porte, autant
que Dieu par son Esprit leur en fera la grâce
et qu'ils connaîtront être
expédient pour le bien de l'Eglise et la
correction des vices. »
Il y aurait
bien des observations à faire sur ces
ordonnances et sur les rapports dans lesquels
entraient l'Eglise et l'État; mais ces
observations se développeront plus tard;
elles naîtront du simple narré des
faits qu'amènera cet ordre de choses. Allons
maintenant au peuple et recueillons son jugement
sur les conséquences de la
révolution.
Le peuple se
plaint de ce que pour un pape qu'il avait, il lui
en soit arrivé trois : le gouverneur
d'abord, qui, depuis qu'il s'est remis de sa
frayeur, a mis la main sur les biens du
clergé, s'est emparé du pouvoir des
chanoines, s'arroge le gouvernement de l'Eglise et
parle plus haut qu'autrefois; qui vient de
contraindre le corps de la ville à implorer
grâce pour les insolences
proférées et les méfaits
commis dans les jours de la révolution; qui
ne veut plus permettre ces assemblées
populaires, lesquelles naguères avaient lieu
en toute liberté ; qui défend aux
paysans de faire des ordonnances et d'imposer des
amendes, disant qu'ils ne savent que se les
approprier et les boire ; qui enfin, dès
qu'on hésite à lui rendre ce qu'il
appelle justice parle de se retirer vers MM. de
Berne, dont Madame, dit-il fièrement, est
aussi la combourgeoise. -
Le second
pape au dire du peuple, ce sont MM. les bourgeois
de Neuchâtel - ils sont aussi entrés
en partage des biens du clergé ; ils veulent
aujourd'hui se mettre en tête des
églises; ils ont fait leur paix avec la
seigneurie enfin ils se sont, depuis la
réformation, alliés plus
étroitement que jamais avec l'aristocratie
de Berne, et ne tiennent aujourd'hui le menu peuple
pour grand chose. -
Enfin le
peuple aura bientôt un troisième pape
dans la personne des pasteurs, qui
déjà se mettent à dominer sur
les autres, qui leur prescrivent des règles
de foi et de culte, les obligent à se
conformer à leur manière de sentir et
persécutent ceux qui ne s'y soumettent pas
aveuglément.
Ainsi parlent
et agissent les pasteurs, le peuple, les bourgeois
et la seigneurie. Tout bruit, tout gronde encore,
comme alors qu'une tempête a
bouleversé les champs, transporté des
terres fertiles, ruiné plus d'une
espérance et emporté dans son cours
les bornes des propriétés. Mais comme
il arrive aussi après l'orage, tout se meut
à la face du sol, tout se déploie,
tout fait paraître une activité
nouvelle.
La nature se
trouve avoir été
fécondée et le ciel se tourne vers la
terre, dans sa grandeur, dans sa
sérénité, dans sa
pureté et dans sa paix. Tel du moins se
montre aujourd'hui le ciel aux hommes droits de
coeur, altérés de justice et avides
du pardon de Dieu; de quelque pesans nuages que
l'horizon soit encore chargé, ils ont vu par
dessus les nues se lever le soleil de gloire.
Âmes chrétiennes, j'en appelle
à votre témoignage, le jour où
vous l'avez vu se lever n'a-t-il pas
été votre beau jour ?
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