Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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L'ÉGLISE DE L'UNITÉ DES FRÈRES


CHAPITRE IV

VIE RELIGIEUSE ET ACCROISSEMENT SPIRITUEL

 

Pendant que se poursuivait, au près et au loin de Herrnhut, l'activité que nous venons d'esquisser rapidement, une autre oeuvre non moins importante, plus nécessaire même, s'accomplissait dans les rangs de ce petit peuple, toujours plus nombreux, que la main divine avait amené sur les terres hospitalières de Zinzendorf. L'Esprit de Dieu, continuant son travail régénérateur dans les coeurs, répandant sa lumière toujours plus vive dans les entendements, faisait l'éducation spirituelle des individus comme de l'ensemble de la colonie. D'enfants en Christ qu'ils étaient, les Frères devinrent des hommes faits dans le Seigneur, ayant leur physionomie spirituelle à eux et capables de représenter, dans le cercle des chrétiens protestants, un type particulier et nouveau. Ce fut l'acheminement lent mais certain au-devant de la formation définitive de l'Église de l'Unité renouvelée.

L'on ne saurait dire avec précision quel rôle a joué, dans ce développement, et selon la volonté de Dieu, le contact, plus puissant d'année en année, dans lequel Herrnhut se trouvait avec tant de dénominations religieuses et de peuples divers qu'avaient atteints ses messagers. Ce qui est certain, c'est que la dépense colossale de forces que la colonie morave ne cessait de faire pour ceux du dehors, ne l'a pas appauvrie, mais que plutôt elle a augmenté ses trésors.

Herrnhut, à partir de l'année 1727, offrait le spectacle d'un Etat théocratique en petit. Le domaine spirituel et le domaine social, nécessairement séparés l'un de l'autre dans toute société où se mêlent aux croyants des gens qui ne croient pas, devaient se pénétrer de part et d'autre au sein de ce village formé pour des motifs presque exclusivement religieux. Tout pouvait et devait y être réglé par les directeurs spirituels et placé sous l'influence de l'Evangile. Trois cultes par jour en été, deux en hiver, étaient appelés à sanctifier les seize heures de travail assidu, rude, qui fournissaient aux émigrés, fort pauvres la plupart, leurs moyens d'existence. Le premier, à cinq heures du matin, était destiné au chant et à la prière; le second, dans la matinée, à une étude biblique; le troisième, célébré le soir, au chant et aux communications concernant les intérêts du royaume de Dieu dans le monde entier. S'instruisant et s'enflammant tour à tour, les Moraves se formaient, dans ces réunions du soir surtout, pour l'accomplissement des ministères si variés dont nous parlions tout à l'heure.

Le dimanche, dans ces exercices de piété, occupait sa place marquée. Du matin au soir, il était consacré à l'édification publique. Zinzendorf aimait à en profiter pour parler à tous les âges séparément, exhortant les enfants, les jeunes gens, les jeunes filles, les époux et les épouses, les veufs et les veuves, à puiser dans la personne de Jésus, le Fils de Dieu fait homme, sagesse et force pour glorifier Dieu, chacun dans les conditions spéciales de sa vie.

Au sein de cette atmosphère spirituelle se manifesta, au mois d'août de l'année 1727, après l'important événement raconté plus haut (ch. 2) et comme conséquence de celui-ci, un puissant réveil parmi les enfants de Herrnhut, réveil auquel est demeuré attaché, d'une manière particulière, le nom de Susanne Kühnel. Puissamment saisis par l'Esprit de Dieu, les petits, dans les jardins, dans les champs, dans les bois, priaient Dieu à genoux de leur apprendre à lui plaire et à l'aimer. - Plus tard, le 4 mai de l'année 1728, dix-huit jeunes personnes, parmi lesquelles Anna Nitschmann, traitaient solennellement alliance les unes avec les autres, en vue d'une commune et entière consécration du coeur et de la vie à Christ. Avant cet événement déjà, le 26 août 1727, vingt-quatre frères et vingt-quatre soeurs avaient formé une union de prière, dont les membres augmentèrent rapidement jusqu'au chiffre de soixante-dix-sept. On répartissait entre eux par le sort les vingt-quatre heures de chaque journée, donnant ainsi à chacun la sienne à passer en action de grâces ou en supplications pour l'Eglise. Quelqu'un se trouvait-il empêché par un travail pressant, ou bien quelque faiblesse spirituelle, de consacrer son heure tout entière à la prière, il était autorisé à couper court à son sacerdoce. Belle liberté, absence de contrainte digne d'attention!

Chaque soir, aussi, tantôt un groupe d'hommes ou de femmes, tantôt un autre, se réunissait pour échanger, dans l'intimité, des expériences spirituelles. On aimait à s'offrir également pour veiller la nuit et pour porter aux maisons où se trouvait quelque malade ou quelque personne empêchée de dormir, l'encouragement du chant d'un cantique. De toute façon, on cherchait la communion fraternelle et l'appui mutuel, autant de forces et de bénédictions qui faisaient défaut dans d'autres dénominations et qui, notamment, disparaissaient de plus en plus du milieu des cercles piétistes de Halle.

Dans le but de régler et de, surveiller la vie spirituelle et sociale de Herrnhut - le village comptait en 1735 un millier d'habitants - on maintint ou créa une foule de charges, dont la plupart n'ont pas survécu à l'époque qui les avait rendues nécessaires. La plus importante d'entre elles, était celle des Anciens, dont Herrnhut, en 1730, ne comptait plus que deux et auxquels incombait le devoir purement spirituel de représenter l'Eglise devant le Seigneur, comme le souverain sacrificateur de l'Ancienne alliance portait sur son coeur les noms des douze tribus d'Israël. Une discipline sérieuse, et parfois sévère, s'exerçait par le moyen des directeurs spirituels. On interdisait la participation à la Cène à quiconque refusait de se convertir de tout son coeur à Dieu. On excluait de la communauté naissante quiconque manquait de droiture ou se rendait coupable d'hypocrisie. On veillait avec une sainte jalousie sur la pureté des moeurs, et, dans le désir d'élever toute vocation dans l'Eglise à la hauteur d'un ministère, exercé an nom de Christ, on alla, en 1731, jusqu'à accorder l'imposition des mains à deux frères appelés à diriger le modeste hôtel de Herrnhut.

D'ailleurs, il n'y avait, à l'époque dont nous parlons, rien de stable dans les formes que revêtait la vie spirituelle de la colonie. Tout y était en ébullition. Vigoureuse, débordante, la sève de la jeunesse y faisait pousser, à côté de fruits excellents, des sauvageons qu'il fallait retrancher. Mais cela aussi ne témoignait-il pas de l'existence de forces nouvelles dont Dieu avait besoin pour l'édification de son Règne ?

Qu'on ne pense pas non plus que la vie spirituelle et sociale de Herrnhut ait été marquée au coin d'un piétisme anxieux ou bien d'un mysticisme maladif. On y rencontrait la joie et la sobriété du chrétien, la lutte contre les étroitesses de Halle et l'absence de tout particularisme ecclésiastique. L'individu, à vrai dire, se trouvait appelé à sacrifier une partie de ses libertés, pour accepter le joug d'une organisation ecclésiastique de plus en plus serrée. Mais le sacrifice pour chacun s'accomplissait sans contrainte et dans un esprit de charité. Cela ne valait-il pas mieux que cet individualisme outré qu'on a vu se faire jour dans telle autre dénomination religieuse et qui n'a jamais manqué de saper l'édifice à sa base?

L'on comprendra mieux encore ces choses, quand nous aurons fait remarquer le trait distinctif de la piété telle que, sous l'influence de Zinzendorf, elle s'était développée à Herrnhut. Le comte s'était efforcé de mettre chacun des arrivants en rapport direct et intime avec Christ, « l'ami de l'âme», et de suppléer par là à une grande lacune qu'il avait observée dans le christianisme des émigrés moraves. C'était ce que le piétisme allemand avait de mieux à donner à ces courageux témoins de la vérité évangélique. Cela les remplit d'un bonheur qu'ils avaient ignoré jusqu'alors et les rendait capables de renoncements devant lesquels reculait leur nature. Deux types de cette piété méritent d'être relevés. Le 30 juin 1732, mourut Mathieu Linner, jeune homme de 18 ans qui avait exercé un ministère béni parmi ses compagnons d'âge. Quand sa mère, peu de jours avant sa mort, lui dit: « Penses-tu au Sauveur? » « Chère mère », répliqua-t-il, « on pense à ceux qui sont absents; quant au Sauveur, il est tout près de moi. » Un an plus tard, Herrnhut perdit, dans la personne de Martin Linner, un de ses Anciens les plus distingués. Silencieux de nature, puissant quand il parlait, cet homme possédait à un haut degré le secret de la cure d'âmes.

Toujours plein de charité, toujours en prière, courageux jusqu'à censurer le comte lui-même, il avait pris sur tous un grand ascendant. On oubliait, en le voyant, l'homme de basse condition - il s'était fait cardeur, après avoir cédé à un plus pauvre que lui une boulangerie qu'il avait dirigée avec succès. On oubliait aussi sa jeunesse - il n'avait, lors de sa mort, que 30 ans. On ne voyait en lui que l'instrument choisi de Dieu. Cinq jours avant sa fin, il traça, à l'adresse de l'Eglise, les lignes suivantes: « Quand je pense à vous, mes frères, mon coeur tressaille de joie. je sais que la voix de Jésus vous a enseignés et vivifiés. je sais aussi que vous m'avez appuyé, moi, qui ai été votre Ancien par obéissance et dans la crainte. Aujourd'hui, devant rendre compte de mon ministère, je m'abaisse dans la poussière devant le Seigneur et devant l'Eglise... » A ces mots, la plume tomba de ses mains tremblantes. Il refusa cependant de se faire porter au lit. Assis sur sa chaise, il attendait le dernier moment, serein et ferme dans la foi. «Mon Sauveur », dit-il à plusieurs reprises, « tu sais que je n'aime rien en dehors de toi; je t'aime de tout mon coeur; tu le sais. » Mais la fin tardait à venir. Elle ne survint que le 26 février 1733,

Une circonstance remarquable rendit témoignage, quelques mois après ce décès, de la grande puissance morale qu'exerçait alors la colonie de Herrnhut. Elle s'était vue dans la nécessité de bannir de son sein Frédéric Kühnel, homme riche et influent. Bravant l'arrêt, le coupable s'était écrié: « Nous allons voir, maintenant, s'il y a de la force apostolique à Herrnhut. Ou bien c'en est fait de moi, ou bien Herrnhut ne vaut rien. ,> Et une autre voix, celle du pasteur Schaefer avait ajouté: « Si Herrnhut est une Eglise de Dieu, Kühnel y reviendra humilié, dût-on être obligé de l'y porter. » Or, le 12 août 1733, jour de prière et de fête pour l'Eglise, Kühnel, brisé de corps et d'esprit, revint au milieu de ses frères d'autrefois, réclamant avec larmes son pardon.

Tel était le degré de développement du coeur et de l'âme auquel avaient atteint les habitants de Herrnhut, quand Dieu leur donna de faire le pas décisif qui acheva d'imprimer à l'Eglise en formation son caractère distinctif. Il se servit pour cela de celui qui, à tant d'égards déjà, avait été le conducteur spirituel des émigrés, savoir de Zinzendorf.

Une transformation frappante s'était produite peu à peu dans les vues dogmatiques du comte. Né au sein du piétisme et disciple convaincu des doctrines de cette école, il avait conservé jusqu'en 1729 la pensée qu'il fallait, pour être sauvé, passer par les contritions et les violentes luttes morales de la repentance, telles que les prescrivait le catéchisme de Halle. Mais ces convictions commencèrent à s'ébranler. Le croyant n'était-il pas enfant de Dieu pour l'amour de Christ, dès sa jeunesse, au lieu de le devenir seulement à travers la crise qu'exigeaient les piétistes? Accusé d'hérésie, ouvertement condamné, Zinzendorf se mit en 1734 à étudier à fond les textes bibliques ainsi que les doctrines des Réformateurs sur lesquelles la polémique du sectaire Dippel avait attiré son attention. Une grande lumière se fit alors dans son âme. Dieu le plaça en face de la rançon payée, une fois pour toutes, par le Rédempteur. Dieu, tout en lui laissant la conviction la plus profonde de la culpabilité de l'homme, lui donna de saisir le mystère de la grâce gratuite manifestée en Jésus-Christ. A ce moment, Zinzendorf reconnut, comme l'erreur la plus pernicieuse, la doctrine qui exige de la part du pécheur, avant de le conduire à la croix de Christ, un acte d'expiation dans l'ardeur d'une lutte morale. N'était-ce pas là vouloir faire un salut accompli dès longtemps? N'était-ce pas vouloir offrir, là, ou Dieu avait résolu de donner? Et tout le devoir du chrétien ne se résumait-il pas dans une humble acceptation d'un acte de grâce miséricordieusement arrêté par Dieu ?

Une parole de Luther, imprimée sur une feuille de papier à moitié brûlée que le comte retira un jour des cendres d'une cheminée, le confirma puissamment dans ses vues nouvelles. C'étaient deux lignes d'un cantique dans lesquelles le Réformateur prie le Christ de lui faire comprendre, par le regard sur ses meurtrissures, que grâce lui a été faite. A partir de ce moment, Zinzendorf ne douta plus. Aux yeux de sa foi se dressa la ,croix de Christ, lieu de jugement, où l'homme criminel, condamné à la mort à cause de ses fautes, reçoit sa lettre de grâce pour l'amour du Sauveur exécuté à sa place. Embrasser cette croix par la foi, ne rien y apporter, si ce n'est un immense fardeau de misères et de culpabilité; tout y trouver: pardon, paix, vie éternelle; tout y apprendre : la douleur d'avoir offensé Dieu et le secret de pouvoir lui plaire, voilà dorénavant le grand thème qu'il traita dans ses discours, qu'il chanta dans ses cantiques, qu'il prêcha par sa vie. A l'amour ardent qu'il avait éprouvé pour Jésus, «l'ami divin de l'âme», à l'admiration qu'il avait vouée à Christ, «le héros triomphant de ses ennemis », s'était jointe la foi du coeur en Christ, le Souverain sacrificateur expiant le péché et jetant le pécheur dans les bras de la grâce divine.

Une fois cette évolution accomplie dans Zinzendorf, ses frères de Herrnhut ne tardèrent pas à en bénéficier. Ceux-ci le suivirent sur le terrain spirituel si solide où il avait appris à se placer. En cela, sans s'en douter d'abord, ils passèrent par dessus le piétisme de Halle, pour se rattacher aux confessions du siècle de la Réforme et spécialement à la doctrine du salut par grâce, sans les oeuvres de la loi, telle que Luther l'avait prêchée. La Confession d'Augsbourg devint leur confession à eux aussi, si bien que l'Eglise des Frères, renouvelée à Herrnhut, loin de mériter le reproche de vues sectaires, a mille fois raison de se dire étroitement unie par une seule et même foi à ce que le protestantisme possède de plus franchement évangélique et de plus fidèle à l'enseignement de St-Paul.

Il n'est pas aisé de dire, d'un autre côté, quel aspect spirituel et ecclésiastique la colonie de Herrnhut aurait fini par prendre, si tous les éléments de vie qui s'y trouvaient réunis, n'avaient pas été groupés autour de la doctrine centrale de la Réforme. Dépourvue de cet appui et de cette lumière, aurait-elle pu, sans faire un naufrage complet, traverser les écueils qu'elle allait rencontrer sur son chemin? Aurait-elle accompli sa mission dans le monde? Aurait-elle compté de grandes victoires remportées au nom de Christ? Le fait est que la Parole de la grâce gratuite de Dieu en Jésus, le Crucifié, a été sa force et son succès jusqu'aux bouts de la terre. Allant au devant des remparts du monde païen, elle les a vus tomber devant l'Evangile de la croix du Rédempteur, seule source du salut, bonheur suprême (lu pécheur, joie de l'âme rachetée. Etrangère à tout prosélytisme, son ambition s'est bornée à grouper les pécheurs autour de Celui qui a payé leur rançon.

Un détail mérite de ne pas être oublié. Plus d'une fois, dans la suite des temps, l'Eglise de Herrnhut vit éclater, entre elle et le comte, des divergences de vues plus ou moins marquées. Il est à supposer qu'une rupture se serait réalisée si, de part et d'autre, les coeurs n'avaient pas été affermis dans le centre de la doctrine évangélique. Mais ce point de ralliement, jusqu'au milieu des heures les plus critiques, n'a jamais fait défaut et ceux qui avaient été en danger de se séparer, se sont toujours retrouvés au pied de la croix de Christ.

A l'heure qu'il est encore, l'Eglise des Frères, répandue sur toute la surface de la terre, renferme les éléments les plus divers et des nuances de doctrine plus ou moins accentuées. Mais le fil d'or ne manque pas, unissant les coeurs les uns aux autres. Nous le rencontrons partout, sous la forme de cette conviction que chaque pécheur doit être en rapport direct et intime avec Jésus-Christ, l'Agneau de Dieu offert en expiation de nos fautes, et qu'il n'y a ni pardon, ni renouvellement moral, ni vie éternelle, qu'en la seule grâce de Dieu faite à tous, sans le concours de l'homme, pour l'amour du sacrifice de la croix. C'est dans cette confession de l'Eglise des Frères que s'allient aux grandes acquisitions spirituelles de l'époque de la Réforme, les vues du piétisme allemand, corrigées et enrichies les secondes par les premières. Magnifique don de Dieu, confié à la colonie de Herrnhut il y a plus de 150 ans déjà et conservé jusqu'à aujourd'hui, à travers toutes les vicissitudes de son histoire et toutes ses défaillances morales, à l'Eglise renouvelée des Frères de l'Unité.



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