Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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SERMONS - EUG. BERSIER 

Tome IV


LA PRIÈRE EST-ELLE EFFICACE?

La prière du juste, faite avec zèle, a une grande efficace.

JACQUES V, 16.


Mes frères,

Ne vous est-il pas arrivé, en voyage, de vous arrêter au milieu des ruines d'un ancien édifice, et d'y évoquer, par la pensée, tout un passé disparu ? Et si les pierres qui vous entouraient étaient celles d'une église, si, dans ces débris, vous retrouviez des fragments de voûte ou d'autel, n'avez-vous pas senti une émotion étrange en songeant à toutes les générations qui avaient passé dans cette enceinte, à toutes les paroles, à toutes les prières qui s'y étaient fait entendre, à toutes les larmes qui avaient mouillé ce sol, à tout ce qui s'était concentré de douleurs humaines et d'aspirations divines sur ce coin de terre, entre ces quatre murailles, dont rien n'est resté debout?

Eh bien! dans le monde moral, un spectacle analogue me frappe. Là aussi, nous rencontrons des ruines , tristes ruines que le péché entasse chaque année, ruines d'âmes faites pour la vie supérieure, et dégradées par la vanité, par l'égoïsme, par les convoitises... Mais cherchez bien, et, sous la couche épaisse du vice ou de l'indifférence, vous trouverez les traces d'un sanctuaire, vous reconnaîtrez des vestiges qui vous diront que ces âmes devaient appartenir à Dieu. Les esprits superficiels ou exclusifs, les raisonneurs d'école, les inventeurs de systèmes qui refont l'humanité à la mesure de leur courte sagesse, peuvent les méconnaître, mais ils survivent aux systèmes et reparaissent toujours comme les témoins de notre origine première et de notre véritable destinée. De ces vestiges, je ne veux aujourd'hui signaler qu'un seul : c'est cet instinct de la prière vivant au fond de toute âme d'homme, que toujours et partout l'on retrouve, qui fait tourner vers le ciel, dans leurs douleurs , la figure informe de ces pauvres sauvages, dont la bouche bégaye à peine un langage humain, qui survit, dans nos races civilisées, à toutes les attaques du scepticisme, et fait ployer le genou du père athée près du lit de mort de son enfant.

Qu'il est grand cet instinct, et comment ne pas en admirer la beauté! Voici un être faible, ignorant, qui va disparaître et qui s'unit au Dieu tout-puissant, à l'Auteur de toute vie, de toute intelligence; voici un être jusque-là égoïste et souillé qui revient, en tremblant, à l'Auteur de tout amour et de toute sainteté; il réfléchit dans son âme sa puissance et sa bonté souveraines, il lui renvoie, en actions de grâces, la vie qu'il a reçue de Lui... Quoi! vous admirez la loi silencieuse et puissante qui relie les mondes dans une universelle gravitation , et se fait sentir jusque dans un insaisissable atome; vous admirez la force cachée qui, en une minute, transmet sur un fil, à des milliers de lieues, une vibration que votre main dirige et dans laquelle s'enferme votre pensée, et vous ne sentez pas ce qu'il y. a de grand, d'admirable, de divin dans cet instinct, par lequel l'âme retourne librement à la source de toute vie, rentre dans l'harmonie spirituelle, et, tout en reconnaissant avec adoration qu'elle a tout reçu de Dieu, proclame qu'elle veut tout lui donner!

Mais en montrant ce qu'il y a d'admirable dans cet instinct de la prière, comment ne pas songer avec douleur à la manière dont on l'a perverti? Qu'est devenue, presque partout, la prière? Un acte extérieur, une routine religieuse, et rien de plus. L'esprit a disparu, et la forme seule est restée. Voyez le bouddhiste dévidant les grains de son chapelet, fatiguant ses lèvres à de vaines redites, pendant que son esprit demeure fixé dans une contemplation stupide. Où est, chez lui, l'élan? où est l'amour? où est l'âme qui cherche Dieu? où est la prière, enfin? Voyez le Japonais assis devant le moulin à prières qu'il s'est construit; le vent en fait tourner l'aile, et autour de l'axe de la machine s'enroulent les bandelettes de parchemin sur lesquelles il a écrit ses requêtes. Si le vent est favorable, c'est par centaines, c'est par milliers qu'il comptera les prières qui doivent lui procurer la faveur de ses dieux... Vous le raillez! Hélas! que voyez-vous dans nos propres contrées? Malgré l'ordre formel de Jésus-Christ, qui nous défend les vaines redites, n'est-ce pas à la répétition de la même prière qu'on attache une valeur méritoire? On va plus loin encore, et on fait de la prière, de cette effusion de l'âme, de cet élan de repentir et d'amour, on en fait un acte de pénitence, on l'impose, et à sa récitation extérieure, on rattache le pardon des péchés. Ne croit-on pas, en effet, être agréable à Dieu, avoir effacé ses fautes, sauvé son âme du purgatoire, quand, cinquante ou cent fois chaque jour, on a répété la prière du Seigneur ou la salutation que l'ange adresse à Marie? Déplorable perversion de la vie religieuse! Quel est le père d'entre nous qui demanderait à son enfant de venir, dans une phrase apprise et cent fois répétée, lui exprimer son amour? Quel est le père qui ne repousserait un tel hommage et ne préférerait un mot, un seul mot sortant d'un coeur aimant et vraiment ému, et quelle idée se fait-on du vrai Dieu, de ce Dieu qui regarde au coeur, parce que c'est le coeur qu'il réclame, si on prétend le fléchir par un vain bruit de lèvres, par une répétition dérisoire de formules et de génuflexions?

Laissons là cette erreur. D'ailleurs, pour nous, disciples de l'Evangile, le danger n'est pas là. Tous nous sommes d'accord pour croire que la prière est un acte de l'âme; disons mieux, qu'elle est un entretien de l'âme avec Dieu. Je ne dirai point aujourd'hui ce que cet entretien doit être, et pourtant j'aimerais à montrer cette âme, sous l'action de l'Esprit-Saint, s'éveillant au sentiment de sa misère, et recourant à la miséricorde divine, recevant de Jésus-Christ l'assurance du pardon qu'il est venu apporter au monde, et appelant , pour la Première fois, Dieu son père; j'aimerais à montrer les sentiments de reconnaissance, d'humiliation, de filiale confiance, qui doivent remplir l'âme chrétienne, l'âme rachetée qui se présente devant la face de Dieu. Mon texte me suggère un autre sujet, c'est celui de l'efficacité de la prière, et c'est sur ce point seul que je veux attirer toute votre attention.

La prière est-elle efficace? Etrange question! me direz-vous, car, pourquoi prierait-on si l'on croyait accomplir un acte inutile? Cela est évident, mais il faut nous entendre. Dans un sens général, tous accorderont que la prière agit; mais sur qui agit-elle? Est-ce simplement sur nous? Telle est la question. Beaucoup d'hommes parleront de la prière avec éloquence, avec un certain enthousiasme. A les entendre, la prière élève, sanctifie, purifie, mais comment? Parce qu'elle est un exercice spirituel, parce qu'elle nous place en présence de Dieu, parce qu'elle arrache notre âme à tout ce qui passe, à tout ce qui est terrestre, vil et mesquin, parce que, dans cette âme calmée l'image de Dieu peut alors mieux se réfléchir. Tout cela est vrai, sans doute, mais est-ce là tout ? Non ! il s'agit de savoir si la prière n'est pas aussi une demande qui attend sa réponse, si elle ne doit pas prétendre agir sur Dieu, modifier les événements, changer le cours des choses. C'est sur ce point qu'il nous faut une certitude absolue, car il s'agit ici de l'essence de notre vie religieuse, il s'agit de savoir si nous ne serions pas, en priant, les victimes d'une illusion mensongère. Eh bien! on nous dit, et vous avez tous entendu ce langage, qu'il est, de notre part, puéril et présomptueux de prétendre modifier, par nos prières, les événements arrêtés par Dieu, et que la prière la plus digne de ce nom est celle qui renonce à demander et qui se borne à se soumettre, qu'elle ne peut changer à notre égard les événements extérieurs, parce que ce serait vouloir changer la volonté divine, et que son but unique c'est de nous disposer nous-mêmes à accepter ce qui est. Voilà l'idée que je veux examiner aussi nettement que possible, et je crois que cet examen nous est à tous nécessaire, car cette idée nous a parfois troublés peut-être; elle a paralysé nos élans, glacé notre confiance. Est-elle vraie? est-elle fausse? A cette question, il faut une réponse. Dieu veuille nous l'accorder dans sa bonté !

Voici tout d'abord une réflexion qui doit vous frapper. Si la prière ne peut et ne doit agir que sur celui qui prie, je demande quel est le sens de toutes les prières que nous adressons à Dieu pour les autres. Quand vous priez pour une âme qui vous est chère, quand vous demandez à Dieu de conserver une vie qui vous est plus précieuse que la vôtre, il se trouverait qu'en réalité votre prière se réduirait à demander que, quoi qu'il arrive, vous soyez prêts à l'accepter. En effet, si je ne puis agir sur autrui, si je ne puis rien changer à ses destinées, je ne sais vraiment dans quel but je prierais pour lui. Dès lors, l'intercession est impossible, elle doit être reléguée parmi les illusions religieuses, car en intercédant pour les autres, je n'agirais que dans mon propre intérêt, je ne ferais que développer ma vie intérieure. C'est donc l'égoïsme qui est le dernier mot de ce système, l'égoïsme dans la prière, où tous mes élans ne se rapporteront qu'à moi.

Cette remarque faite, j'interroge l'âme humaine dans cet élan instinctif et universel qui la porte à prier. Je l'interroge, non lorsque les raisonnements l'ont formée ou déformée, dirai-je, je l'interroge quand elle prie spontanément et sans réflexion. Que veut-elle alors? S'élever simplement à Dieu, s'unir à la source de tout bien, se calmer dans la contemplation de l'ordre universel, apprendre à se résigner devant l'inflexible nécessité? Eh! qui l'oserait dire sans mentir à la réalité des choses? Quoi! ce naufragé qui jette vers Dieu un regard d'anxieuse attente, cette mère dont le coeur est déchiré à la vue de son enfant à l'agonie, ou cette autre qui tremble à la pensée des tentations qui vont perdre son fils; quoi! ce père qui voit que. le, pain va manquer demain à sa famille, ce pécheur qui sent que le mal l'entraîne et lui donne le vertige; quoi! tous ces êtres qui prient comme on a toujours prié, comme on priera toujours, vous croyez qu'ils ne demandent pas, vous croyez qu'ils n'ont pas la confiance ardente et profonde qu'ils vont agir sur la volonté divine, qu'ils vont modifier le cours des choses ? Mais vous ne pouvez pas, vous n'osez pas le dire, et vous voilà réduits à soutenir que tous ils sont victimes d'une présomptueuse illusion. Une illusion! mais d'où vient-elle cette illusion que je retrouve partout et toujours, cette illusion que ni l'éducation, ni l'influence, ni l'exemple, n'ont pu planter dans ces profondeurs de l'âme humaine, d'où elle reparaît aux heures décisives? Ce serait donc Dieu qui l'aurait mise en nous, ce serait Dieu qui aurait créé dans notre âme cette faim sans nourriture, cette soif sans apaisement; Dieu qui aurait dit à sa créature : « Tu me demanderas toujours, mais je ne te répondrai jamais. » Non, non, j'en crois ce témoignage spontané de l'âme; à ce désir, Dieu veut, Dieu doit répondre, et quand, pour soutenir un système, on est obligé ou d'appeler illusion un sentiment profond et universel de l'âme, ou de fausser ce sentiment et d'en dénaturer le caractère, je me défie du système qui passe, et je crois au sentiment qui ne passe pas.

Au reste, nous sommes chrétiens : ce que nous savons sur Dieu de meilleur et de plus élevé, nous le devons à Jésus-Christ. C'est Jésus qui nous a révélé l'amour de Dieu, qui nous a rouvert l'accès auprès du Père, qui a banni de nos relations avec lui les idées grossières, superstitieuses, le calcul intéressé du mercenaire. Qui oserait dire que Jésus ait jamais développé chez ses disciples, dans leurs rapports avec Dieu, l'esprit d'orgueil et de présomption? Eh bien! j'en appelle avec confiance à chacun de vous. Quelle idée Jésus veut-il nous donner de la prière? Est-elle simplement, à ses yeux, une élévation de l'âme, un exercice spirituel, et, s'il y a une idée qui lui soit familière, qui revienne à chaque instant sur ses lèvres, n'est-ce pas celle que la prière est une demande réelle qui obtient sa réponse, qu'elle agit sur Dieu, qu'elle peut modifier les événements, que son action dépend de l'intensité de la foi ? Jésus, pour inculquer cette pensée, se sert d'images qui nous étonnent tout à la fois par leur familiarité et par leur hardiesse. C'est un juge inique qui se laisse fléchir par la persévérance d'une pauvre veuve, c'est un homme dont l'égoïsme doit céder à l'obstination d'un ami. Je ne crois pas que jamais la prière ait été présentée plus directement, plus clairement comme ayant une puissance efficace... Et d'ailleurs , ce que nous enseigne ici Jésus, c'est ce qui ressort de l'Ecriture tout entière, avec une évidence qu'aucune explication ne pourra affaiblir. Rappelez-vous la scène sublime où Abraham intercède auprès de Dieu pour retarder le châtiment de Sodome, rappelez-vous la lutte de Jacob avec l'ange, et ce nom d'Israël, qui signifie «vainqueur de Dieu lui-même, » puis, franchissant les siècles, voyez la Cananéenne aux pieds de Jésus-Christ, lui arrachant, par ses supplications, ses larmes, son admirable foi, la guérison qu'il semble d'abord lui refuser, et dites-nous si la prière, telle que l'Ecriture nous la présente, n'est pas un acte souverain qui agit sur nous tout d'abord, mais aussi, en dehors de nous, sur les autres, sur les événements, sur le monde, et, pour employer le hardi paradoxe de l'Ecriture, jusque sur Dieu lui-même.

Avoir pour soi et le cri de la nature et la parole divine, n'est-ce pas l'essentiel, et que faut-il de plus à des chrétiens? C'est sur ce terrain que je me place pour aborder les objections par lesquelles on cherche à ébranler notre foi.

La première, la plus ancienne, vous la connaissez, mes frères. On nous dit que la prière ne peut être efficace, parce qu'elle changerait les lois de la nature. Dieu a d'avance arrêté ce qui doit être. La permanence des lois, nous dit-on, est le fait qui ressort, avec une souveraine évidence, de tous les progrès de la science. Il serait aussi Puéril qu'insensé de prétendre qu'un astre modifiera sa course, parce que, sur notre petite planète, un être qui demain va rentrer dans la poudre s'aviserait de le demander à Dieu. Mais, ajoute-t-on, ce n'est pas dans les cieux seulement que règne un ordre inflexible. Vous priez pour que la pluie inonde des champs desséchés; or, la météorologie tend de plus en plus à établir que les vents et les orages obéissent à des lois régulières. Vous priez pour que Dieu conserve une vie qui va &éteindre; or, la statistique établit le chiffre invariable des morts et des naissances. « Que pouvez-vous contre ces faits? qu'y changerez-vous? » nous demande-t-on avec une sereine confiance, et l'on nous dit qu'il faut laisser la prière à ces ignorants qui croient que les cieux sont faits pour charmer le regard de l'homme, ou à ces enfants qui pensent que Dieu fait lever le soleil d'un beau jour de printemps pour éclairer leurs fêtes.

Voilà bien l'objection sous laquelle il semble que la foi écrasée doive demeurer sans réponse. La réponse, cependant, elle existe, et je la trouve dans l'objection même. Vous me dites que la nature est absolument immuable, que je ne puis rien changer au cours des choses. Est-ce vrai? Eh bien, ô raisonneur! pourquoi donc agissez-vous ? Pourquoi faîtes-vous un pas, un seul? Pourquoi cherchez-vous votre nourriture? Pourquoi semez-vous? Pourquoi construisez-vous ? Chacun de vos actes est la contradiction la plus flagrante apportée à votre système. Vous ne pouvez modifier la nature, et à chaque instant vous la modifiez ! Vous soulevez une pierre sur le rivage, et vous suspendez la loi de la gravitation qui l'attachait au sol.

Vous inoculez à un membre malade et prêt à se décomposer un principe de vie qui va le transformer, vous greffez sur un arbre une branche que la nature seule n'en aurait jamais fait sortir, vous transformez en instruments de travail et de vie des puissances brutales qui , abandonnées à elles-mêmes, auraient porté partout la dévastation, vous extrayez des poisons même un élément qui fera reculer la mort : vous faites tout cela; sans cesse et tous les jours, vous agissez sur le monde et sur les autres : il y a plus, vous avez la redoutable puissance de résister à Dieu lui-même par votre liberté déréglée, et, quand je veux prier, vous arrêtez mon élan en m'opposant l'éternelle inflexibilité de la nature. De quel droit? Quoi ! ma main peut modifier la nature; quoi! mon intelligence peut faire servir à mon salut ses forces aveugles, et mon âme seule resterait devant elle impuissante et désarmée ! Car enfin, les faits que je cite, vous ne pouvez pas les nier. Et si vous les admettez, tout votre système de fatalisme s'écroule; il est faux que la nature soit invincible, il est faux que nous ne puissions pas la dompter. Eh bien! cela me suffit, et mon âme, affranchie de ce système qui l'asservit et la méprise, peut désormais prier dans la certitude absolue que, suivant la parole de Jésus-Christ, tout est possible à la foi. Je sais ce que l'on nous répondra. On dira que, lorsque l'homme agit sur la nature, il le fait d'une manière visible, extérieure que chacun peut apprécier, et qu'il n'y a nul rapport entre cette action et la prétendue action de la prière. Mais là n'était pas la question. Il s'agissait, vous le savez, d'établir que l'homme peut modifier la nature; or, nous avons vu qu'il le pouvait. On me dit maintenant qu'on ne peut concevoir comment cette action aura lieu sous l'influence de la prière. Mais combien y a-t-il de ces comment que nous puissions comprendre et résoudre? Concevez-vous comment la volonté qui est spirituelle peut agir sur la matière? Savez-vous comment ma main obéit à mon intelligence? Le mystère ici ne vous entoure-t-il pas de toutes parts, et les plus savants le pénètrent-ils mieux que les plus simples? Quand le laboureur jette dans le sillon sa semence, sait-il par quel procédé elle germera, par quel secret étrange la vie sortira d'un grain décomposé? Il l'ignore comme vous l'ignorez vous-mêmes, comme l'ignore le plus savant des hommes, mais il confie son grain à la terre. Eh bien ! j'ignore, moi aussi, comment ma prière agit; je laisse à Dieu le comment, mais je prie, certain que cette semence spirituelle trouvera son sillon et germent pour l'éternité.

Il est une autre objection que l'on nous oppose lorsque nous affirmons que nous pouvons, par la prière, modifier le cours des événements et agir sur Dieu lui-même. On nous dit que c'est mettre en doute la sagesse et la bonté de Dieu, que c'est substituer notre action à la sienne, qu'il y a là un orgueil inconcevable, et que la seule attitude qui nous convienne vis-à-vis de lui, c'est l'attente et la soumission à sa volonté.

Ecartons de cette objection ce qu'elle a de spécieux, Lorsque nous disons que l'homme agit, par sa prière, sur Dieu lui-même, nous balbutions, dans la langue des hommes, des choses qui nous dépassent, la volonté divine ne pouvant céder à la nôtre, et demeurant le dernier mot et l'explication de tout. Cela dit, nous ferons remarquer que l'objection qu'on nous pose se détruit, comme la précédente, par elle-même. La sagesse et la bonté de Dieu doivent nous empêcher de lui adresser nos demandes, nous dit-on; mais que répondriez-vous à celui qui, au nom du même principe, prétendrait condamner le travail de l'homme? « Vous travaillez, nous dirait-il, mais n'est-ce pas douter de la prévoyance divine, N'est-ce pas prétendre substituer votre action à celle de Dieu? Dieu est bon, il veut apparemment que vous viviez. Laissez-lui le soin de votre existence. » A cela, que répondrait-on, mes frères? On répondrait : « Oui, assurément, Dieu veut que je vive, mais il veut que je vive en travaillant, et c'est pour cela qu'il a mis en moi l'instinct du travail; or si je n'obéissais pas à cet instinct, sa volonté, quelque bonne qu'elle fût, ne se réaliserait pas à mon égard. Il dépend donc de moi, de mon travail, que la volonté de Dieu s'accomplisse. » Je crois qu'on ne pourra rien opposer à une telle réponse. Eh bien! ce qui est vrai du travail est vrai de la prière aussi. Oui, Dieu veut que tel but soit atteint, que tel résultat se produise, mais il y a mis une condition, c'est le travail de l'âme, c'est la prière, en un mot. Si je ne prie pas, cette volonté divine ne s'accomplira point. Si je ne prie pas, telle bénédiction ne descendra point sur les miens, sur l'Eglise et sur le monde; si je ne prie pas, tel malheur, tel accident ne nous sera point épargné. En priant, est-ce que je prétends être plus sage que Dieu, modifier sa volonté d'après la mienne? Absurde et révoltante prétention! Non, je prétends répondre, au contraire, à sa volonté et la rendre possible; et quand, suivant l'expression de l'Ecriture, j'aurais, comme Jacob, lutté avec Dieu, quand je l'aurais vaincu, je n'aurais fait, et c'est là ma gloire suprême, que le servir, que réaliser ses desseins.

Reste, mes frères, l'objection la plus souvent répétée et la plus populaire; c'est celle que l'on prétend tirer de l'expérience. « Si la prière était réellement efficace, nous dit-on, si elle agissait sur les autres, sur les événements, sur le monde, on en verrait les effets. » Or , les voit-on? Voit-on le croyant délivré de l'épreuve? Le voit-on Plus épargné que les autres? Voit-on, comme autrefois en Egypte, l'ange de la mort passer, sans l'atteindre, à côté de son premier-né? Voit-on ceux qu'il aime gardés au moins de la tentation et du mal? Nous avons entendu vos prières, mais avons-nous vu la réponse? Chrétiens, victimes d'une illusion généreuse, qu'a donc fait votre Dieu?

Vous reconnaissez ce langage, mes frères. Que de fois ne vous l'a-t-on pas adressé! Que de fois le sceptique ne l'a-t-il pas mêlé à ses cruelles railleries ! Que de fois ces doutes cruels ne sont-ils pas venus s'abattre sur votre âme , et briser votre confiance naïve et sincère en la protection de Dieu! Mais ceux qui prétendent juger ainsi les résultats des prières de la foi, qui sont-ils donc pour les discerner? Savent-ils si ces prières furent véritables et sincères? Savent-ils quel sentiment les a dictées? Ils s'étonnent de leur peu d'efficacité, mais il faudrait d'abord savoir si elles pouvaient monter jusqu'à Dieu. Que pensez-vous de ces prières égoïstes ou vicieuses que l'intérêt ou la passion seule ont inspirées? Voyez ces deux nations en présence. Une rivalité stupide, une haine inconcevable les ont armées, et ceux qui dirigent leurs destinées sont enflammés d'une mesquine ambition. Dans les camps rivaux retentissent des prières. De chaque côté, on demande à Dieu la victoire; et demain, quand le champ de carnage aura été abreuvé du sang de milliers d'hommes, les vainqueurs célébreront leurs Te Deum. Ah! Dieu n'était pas là; le Dieu de la croix n'est pas le Dieu du succès et des forts, c'est le Dieu de la justice et du bon droit... Il n'a pas entendu ces prières, mais, dans cette sanglante mêlée, ceux-là n'ont pas en vain compté sur son amour qui, sous des drapeaux différents, sont morts en lui demandant grâce, en implorant son pardon, et plus d'un a senti, à son heure dernière, descendre sur son coeur repentant, comme une rosée céleste, la bénédiction que sa mère implorait à genoux pour lui.

Pour apprécier l'effet visible des prières, il faudrait donc, mes frères, juger ce que valent les prières elles-mêmes; et quel est le regard d'homme qui pourrait en discerner la valeur? Le sectaire qui, en demandant à Dieu les progrès de l'Evangile, ne songe qu'à lui-même, aux intérêts de son Eglise, au triomphe de ses idées et de son parti; le père qui, en priant pour ses enfants, ne pense qu'à leur bonheur terrestre, et d'un oeil orgueilleux contemple leur brillant avenir; l'affligé qui, oublieux de Dieu jusqu'à ce jour, comme il le sera de nouveau demain, ne songe à lui que pour lui demander une égoïste délivrance, et, sans souci pour la détresse des autres, se croira l'objet privilégié de sa faveur; le vicieux qui demande que la tentation lui soit épargnée, et qui conserve dans son coeur un criminel interdit; tous ces hommes-là ont-ils vraiment prié, et vous étonnerez-vous que tant de demandes restent sans réponse? Encore une fois, vous' qui jugez les voies divines, avez-vous le regard pénétrant de Dieu?

Voilà ce qu'il fallait d'abord rappeler; et maintenant, voyons de plus près l'objection qu'on nous oppose. On nous montre des prières qui restent sans réponse, des prières des plus croyants, des plus pieux, des plus humbles rachetés de Jésus-Christ, et l'on nous dit qu'il est impossible, en face d'un tel fait, d'affirmer encore, avec mon texte, que la prière soit efficace.

Eh bien! à cet argument de l'expérience, l'expérience pourrait répondre. J'en appelle à ceux-là qui savent prier, et qui sont apparemment les meilleurs juges en cette affaire. J'en appelle à eux avec confiance, et je sais qu'ils attesteront fermement que la prière est efficace. Ici même, dans cet auditoire; ici comme partout sur la terre, partout où l'Eglise se rassemble, partout où Dieu est connu comme un Père par la rédemption et par la médiation de Jésus-Christ, la même réponse se ferait entendre. C'est une expérience aussi que celle de ces millions de croyants de toute condition, de tout caractère, qui comptent parmi eux les âmes les plus saintes, les plus détachées des illusions et des mensonges, celles qui ont le plus aimé la vérité, et qui tous nous disent : « La prière est efficace, et nous nous levons pour l'attester. »

D'ailleurs, il y a des résultats visibles de la prière qui s'imposent avec une telle évidence, que nul ne pourrait les nier. Quand, il y a quarante siècles, nous aurions vu, dans les plaines de la Chaldée, le chef obscur d'une tribu ignorée fléchir le genou devant Jéhovah, et l'invoquer pour son fils, dans la persuasion où il était que toutes les nations de la terre seraient bénies en son nom; quand, deux mille ans plus tard, nous aurions entendu une poignée de Galiléens priant dans une chambre haute de Jérusalem, et se figurant que le monde serait vaincu par la foi dont ils étaient les témoins, nous aurions été tentés de sourire devant la prière d'Abraham et devant celle des premiers disciples du Christ. Aujourd'hui, qui oserait dire qu'ils se sont trompés? Aujourd'hui, le tiers de l'humanité voit en Abraham le père des croyants, et la prière des apôtres est répétée par l'Eglise grandissante sur tous les points de l'univers.

Cependant, si, pour un regard qui embrasserait les siècles, les victoires de la foi sont évidentes, il n'en est pas de même dans la vie de chaque jour. Ici, l'action de la prière est presque toujours cachée : c'est au regard de l'âme seulement qu'elle devient manifeste. A ne voir que l'extérieur, rien ne distingue les destinées du croyant de celles de l'incrédule. Tout arrive également à tous, dit l'Ecclésiaste. Un même accident, une même fatalité apparente, frappent celui qui prie et celui qui blasphème. Cela nous étonne et nous trouble, mais vous êtes-vous demandé, mes frères, s'il pouvait en être autrement?

Vous voudriez que la prière fût visiblement efficace, mais à quel prix le serait-elle? Vous demanderiez la délivrance de la maladie et de la tentation , et aussitôt votre prière serait exaucée , et la souffrance et le mal s'enfuiraient comme une ombre, et sur votre route aplanie s'effaceraient toutes les aspérités. Vos souhaits, à peine formés, seraient visiblement accomplis... Et ne voyez-vous pas que tous voudront être chrétiens comme vous, que tous, comme vous prieront? Par amour? Oh! non pas, mais par intérêt bien entendu. Et comment ne pas le prier, ce Dieu qui répond aussitôt à qui l'invoque, ce Dieu qui entoure les siens d'une protection immédiate et visible? Venez, ô mercenaires! venez, habiles calculateurs; venez, et fléchissez le genou. La récompense vous est promise. A vous le ciel et, en attendant, à vous le bonheur ici-bas! Plus de croix, plus de douleur, plus de sacrifice Si c'est là ce que vous voulez, eh bien! le Dieu de l'Evangile ne l'a pas voulu. Il n'a jamais promis à ceux qui le suivraient la délivrance visible, il leur a dit qu'ils auraient à souffrir comme hommes, tout d'abord, et, par surcroît, comme chrétiens. Il semble les abandonner à l'apparente fatalité des circonstances; rien ne les distingue aux yeux de la chair. Frappés comme les autres, souvent plus que les autres, ils souffrent, ils meurent; mais, sous ce hasard apparent, ils discernent une main divine, ils marchent par la foi et non par la vue, et c'est sous cette austère discipline que se produit ce qu'il y a de plus grand, de plus beau sur la terre, l'amour qui sert Dieu sans se chercher lui-même, l'amour qui sacrifie à Dieu son bonheur, sa sécurité, sa joie, et qui descend jusqu'à la plus sublime abnégation.

Sévère dispensation! Education douloureuse, mais sous laquelle on apprend toujours mieux à discerner l'action d'un Dieu d'amour. Il semblait d'abord que nos prières étaient stériles, il semblait que Dieu ne les entendît pas. Puis nous avons compris qu'il les exauçait à sa manière, qui n'est pas la nôtre, et qu'il nous préparait quelque chose de meilleur que ce que nous lui demandions. O mon frère! vous à qui Dieu a donné la pauvreté en partage, et qui savez ce que coûte le pain de chaque jour, ne vous est-il pas arrivé de souffrir quand un de vos enfants venait, avec sa naïve confiance, vous demander ce que l'argent seul pouvait lui procurer? Pourquoi n'aurait-il pas ce que possédaient tant d'autres? Pourquoi cette cruelle pensée de l'inégalité qui vient sitôt froisser son coeur ? Vous alliez peut-être lui céder, mais en le faisant, vous auriez été faible et lâche, car en réjouissant son coeur, vous auriez satisfait son caprice, développé ses désirs, et vous l'auriez mal préparé pour les luttes de la vie. Vous avez refusé, malgré sa douleur, malgré son irritation, qui risquait de vous aliéner son coeur. - Or, c'est ainsi que Dieu nous traite. Sous ses refus apparents, sous son silence étrange, il y a une volonté sainte, mais paternelle, qui veut nous élever pour le ciel. Ne dites donc plus que votre prière est restée sans effet. Elle a agi, mais d'une autre manière que vous ne l'auriez voulu; elle a fait retomber sur vous ou sur ceux que vous aimiez une bénédiction meilleure; pour eux et pour vous, vous aviez rêvé le bonheur de la terre, Dieu vous a donné une autre couronne; vous aviez voulu la délivrance, Dieu vous a donné la sanctification par la douleur; mais, quoi qu'il en soit, votre prière est allée jusqu'à Dieu : visible ou non, la réponse est descendue; un jour vous le saurez, un jour vous bénirez sa fidélité.


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