HISTOIRE DE
LA TERRE
CRÉATION DE L'UNIVERS
Au commencement Dieu créa les cieux et
la terre.
On a torturé de diverses manières
ces mots si simples et si clairs.
Les uns ont traduit : « La
matière, les éléments des
cieux et de la terre. » Mais les anciens
interprètes hébreux avaient
déjà fait ressortir la force de
l'article HA et de la particule ETH, qui
précisent tellement la notion de cieux
et celle de terre qu'on ne peut entendre
ces deux mots que d'êtres réels et de
corps qui frappent les sens sous une forme
précise.
Selon d'autres le premier verset serait le simple
titre du récit génésiaque.
Mais le récit se trouverait alors commencer
par un et : Et la terre était
informe !
Des troisièmes, reliant le premier verset au
deuxième et les isolant des suivants, ont
proposé cette traduction : Lorsque
Dieu créa..., la terre était informe
et vide, et les ténèbres... Le
chaos et les ténèbres seraient ainsi
un fait primitif, l'état dans lequel la
matière sortit des mains du
Créateur.
Mais nous avons vu au contraire que ces
ténèbres sont le soir du premier jour
cosmogonique et le résultat d'une
ruine ; il faut donc, bien plutôt,
isoler le deuxième verset du premier, et
dire : « La terre était
informe.... quand Dieu dit que la lumière
soit ? » il faut distinguer
entre le commencement des temps et celui des six
jours, entre la création de l'univers, dont
il ne nous est dit qu'un mot, et celle de notre
terre et du système solaire, qui a
été sans doute séparée
de la première par des milliers de
siècles.
Nous entendons par ces cieux primitifs les
étoiles fixes. Cette interprétation
est fort contestable, mais ce qui ne l'est pas,
d'après le livre de Job, c'est que des
étoiles et les anges existaient
déjà avant la terre.
« Où étais-tu, dit
l'Éternel à son serviteur dans
l'épreuve, quand je fondais la
terre...... alors que les étoiles du matin
poussaient ensemble des cris de joie et que
les enfants de Dieu chantaient en triomphe ?
(Job XXXVIII, 4-7) »
Voilà donc un monde immense antérieur
à celui des six jours, un monde formé
d'astres et de créatures libres et
intelligentes, un monde qui n'a pas eu, comme le
nôtre, pour berceau un informe et
ténébreux chaos, et qui s'est
épanoui, tout resplendissant de
lumière, à la première parole
de Dieu. C'est ce monde, aux espaces et aux
périodes incommensurables, que nous fait
connaître l'astronomie ; c'est ce monde
des anges qui sont pour ainsi dire comme autant de
dieux.
Mais que savons-nous de l'histoire de ces astres et
de ces anges ? La vision
génésiaque ne nous en dit pas un mot,
tandis qu'il circule sur toute la terre, et chez le
peuple de Dieu aussi bien que chez les nations
païennes, le bruit d'une antique
révolte qui aurait éclaté
parmi les intelligences célestes, et aurait
amené l'expulsion des anges rebelles.
Les livres saints des Hébreux ne nous font
point connaître l'origine de cette
tradition ; la comparaison des mythes des
Gentils donne lieu de croire qu'elle remonte plus
haut que la grande dispersion des peuples
(1). Moïse,
qui dans le récit de la séduction de
nos premiers parents tait le nom de Satan pour ne
parler que d'un serpent, n'aurait-il point
supprimé dans la vision cosmogonique, entre
le premier verset et le second, certains
détails qui, en s'altérant dans la
mémoire des nations, avaient fait
naître, ici une crainte des démons,
qui troublait les esprits, là la croyance
qu'ici-bas renaissaient les âmes qui avaient
déchu jadis dans les cieux ?
Quoi qu'il en soit de cette supposition, nous
savons par Jésus-Christ que c'est au
commencement que le diable est devenu
père du mensonge et du meurtre
(Jean VIII.), et nous avons ainsi un
fait au moins à placer, la chute des anges,
entre la création des cieux et
la terre informe.
Cette terre informe n'est pas celle qui a
été créée en même
temps que les cieux du commencement ; car les
étoiles de ces cieux étaient
parfaites dès leur naissance, et la terre,
leur compagne, devait leur être semblable. La
lettre du texte le veut ainsi, nous l'avons
dit ; elle exclut la notion
d'éléments impalpables. La terre
avait été créée
brillante de beauté, et elle est devenue
informe et ténébreuse. Ce
mot : est devenue, ne se trouve sans
doute pas dans l'hébreu, qui dit simplement
était, HAJ' THAH,
et non point TH'HI, qui seul mettrait hors de doute
la vérité de notre hypothèse.
Mais ce verbe : était n'en
démontre pas non plus la
fausseté ; car il y a certainement
après la première ligne une lacune,
laissée avec intention ; et Moïse,
en commençant au second verset l'histoire
des six jours, s'exprime de manière à
ne point s'expliquer sur l'origine du chaos. Il
expose le fait et ne dit rien de plus. C'est une
énigme qu'il propose aux siècles qui
suivront.
Mais son silence même est significatif. Quand
il commence par le nom de Dieu l'oeuvre de chacun
des cinq derniers jours, pourquoi, dans le
récit du premier, ce nom n'apparaît-il
qu'au milieu ?
Si la terre était sortie informe et vide
des mains de Dieu, comment les prophètes
auraient-ils osé choisir ces mêmes
mots pour peindre le dernier degré de ruine
et de désolation où peut être
réduit un pays rebelle
(2) ?
Si les ténèbres du chaos venaient de
Dieu, pourquoi Dieu ne les déclarerait-il
pas bonnes aussi bien que la lumière ?
Et ne sont-elles pas le pendant de ces
ténèbres morales qui apparaissent
à l'improviste dans l'histoire du Verbe
telle que la trace saint Jean (Évangile de
saint
Jean, I, 1-5), qui ne
reçoivent point Celui qui est la
lumière et la vie, et dont on ignore
l'origine, quoiqu'il soit dit que tout a
été fait par Lui
(3) ?
Ce soir par où commence le premier
des six jours, ne suppose-t-il pas
nécessairement un soleil qui s'est
couché ? Le nom même gEREB désigne dans
Job et dans Esaïe les profondes
ténèbres de la nuit et des enfers
(Job X, 21 ;
Esaïe XLII, 7,
XLVII, 2 ;
XLIX, 9), et l'Érèbe
dans la mythologie grecque est le fils du Chaos, le
monde souterrain, le père de la Vieillesse
et de la Mort, de la Discorde et de la
Misère. Cet abîme sur lequel
reposent les ténèbres, ne devient-il
pas, dans le Nouveau Testament, qui seul nous parle
avec quelques détails du royaume infernal,
la demeure des démons ?
Ne pourrait-on pas même demander, d'une part,
pourquoi Moïse, au lieu de dire
simplement : Ce fut le premier jour,
emploie un terme peu usité, celui
d'un jour, qui peut sans doute avoir en
hébreu le même sens que celui de
premier, mais qui permet aussi de supposer
que ce jour a été
précédé de plusieurs
autres ? D'autre part, pourquoi l'Esprit de
Dieu ne fait-il que planer sur l'abîme, et
que le réchauffer du dehors, au lieu de
s'unir intimement à lui comme ce devrait
être le cas si le chaos était
l'embryon et non la ruine d'un monde ?
Principio, dit Virgile, coelum ac
terras... spiritus intus alit.
Enfin, si les ténèbres et les eaux du
chaos venaient de Dieu, comment expliquerait-on que
Dieu ne semble occupé, comme nous l'avons
déjà dit (4),
qu'à les faire
disparaître de plus en plus dans les
transformations successives qu'il fait subir
à la terre ? Dès le premier jour
il enlève aux ténèbres la
moitié de leur empire par la création
de la lumière ; au troisième la
mer doit partager le sien avec les
continents ; au quatrième la lune
apporte la lumière dans le domaine de la
nuit ; et, à la fin des temps, dans
l'éternité, la terre nouvelle se
distingue de la terre actuelle par l'absence de la
nuit et de la mer.
Mais si la terre informe est le
débris de la terre du commencement,
quelle a été la cause de cette
ruine ?
La Bible ne nous le dit pas ; toutefois nous
savons par elle que toute catastrophe physique
provient de quelque grande perturbation qui s'est
passée dans le monde de la liberté
(5). Or, entre
les cieux de l'aurore et le chaos nous avons la
chute des anges. Nous ferons donc de cette chute la
cause de la ruine de la première terre, et
nous supposons que cette terre était la
demeure des anges déchus.
L'oeuvre des six jours devient ainsi la
restauration et la purification d'un monde
détruit et infecté par le
péché. C'est là une
hypothèse d'attente, que nous adoptons
à cause des quelques rayons de
lumière qu'elle jette à nos yeux sur
la doctrine biblique des démons, et sur le
mal physique que la géologie signale sur la
terre avant l'homme et sa chute.
Au reste cette hypothèse, qui est fort
ancienne chez les nations païennes, se
retrouve dans le quatrième livre
d'Esdras : A la mort du Fils de Dieu, le
monde rentrera dans l'ancien silence (le chaos)
des sept jours (ou pendant sept jours)
comme dans les précédents jugements
(de Dieu sur les anges rebelles).
Je ne sais si l'un ou l'autre des Pères de
l'Église s'est approprié cette
opinion. Elle a été pour la
première fois formulée et
développée au dix-septième
siècle par un docteur protestant,
Épiscopius
(6). On la voit
dans les temps modernes mise en honneur par
Saint-Martin en France, par Frédéric
de Meyer en Allemagne, et aujourd'hui elle est
adoptée dans ce dernier pays par un grand
nombre de théologiens de premier
mérite.
CRÉATION DU SYSTÈME
SOLAIRE.
PREMIER JOUR.
Et la terre était désordre et
solitude, et il y avait des
ténèbres sur la face d'un
abîme, et (un Esprit ou)
l'Esprit de Dieu planait sur la face des eaux.
Et Dieu dit : « Qu'il y ait de la
lumière ! » et il y a
de la lumière. Et Dieu voit que la
lumière est bonne. Et Dieu sépare
entre la lumière et entre les
ténèbres. Et Dieu nomme la
lumière jour, et il nomma les
ténèbres nuit. Et il y a un soir, et
il y a un matin : un (ou premier)
jour.
La terre ou le monde s'est offert au Voyant
sous l'aspect d'une immense surface
désordonnée, où nul
objet n'arrêtait ses regards. En la
considérant plus attentivement il a reconnu
qu'elle était tout entière un
abîme sans fond, qui s'agitait
sourdement et dont il croyait entendre le vague
murmure (7).
Enfin il discerne la nature des
substances de ce chaos, et il ne sait les comparer
qu'à des eaux.
Le souvenir de cette partie de la vision se
retrouve dans la coutume des peuples antiques de
compter la nuit avant le jour, et dans leurs
théogonies qui commençaient par la
nuit et le chaos, ou par l'eau
(8).
Cependant Dieu n'a point abandonné
l'abîme à lui-même. Son Esprit
plane sur les eaux, comme un oiseau aux ailes
étendues ; il les couve d'après
le sens propre du verbe hébreu, il les
réchauffe, les pénètre, les
vivifie. Dans le reste de la vision il n'est plus
question de lui ; mais il n'en est pas moins
sans cesse présent. Nous l'avons
déjà dit : c'est lui qui
prépare l'apparition de la
lumière, lui qui donnera à la terre
ferme la puissance de produire les plantes, lui qui
fera que les mers concourront avec Dieu à la
création de leurs habitants
(9). C'est lui
qui, dans l'époque actuelle, fait subsister
et soutient intérieurement tout ce que
nommons la nature ; et son oeuvre physique est
le type de l'oeuvre spirituelle qu'il accomplit
dans le coeur des hommes.
Ôtez-lui sa personnalité, et vous
aurez l'âme du monde des philosophes
païens. Ne retenez de lui que l'image sous
laquelle il s'est offert au Voyant du peuple
primitif : vous aurez l'épervier,
l'aigle, le cygne, symboles du Dieu suprême
dans toute l'antiquité, et le monde que
couve l'oiseau divin, sera l'oeuf cosmique des
religions païennes.
Une parole divine se fait entendre dans la vision,
et la lumière sort, jaillit, des
ténèbres
(2 Corinth. IV, 6), ensuite de
la lente et efficace action de l'Esprit de Dieu.
Dans le langage mythologique le chaos engendre, la
nuit enfante la lumière.
La lumière : telle est donc la
première oeuvre de Dieu dans la restauration
du chaos, et Celui qui, d'un mot, l'avait fait
apparaître, la considérant avec
attention et la scrutant de ses regards
pénétrants, vit qu'elle
était bonne. Car elle est la plus
pure image matérielle du Dieu invisible, qui
se dit lui-même lumière, et qui
habite une lumière inaccessible ;
elle est la plus ancienne production de
l'Esprit de Dieu réchauffant le chaos, et le
signe permanent de sa permanente
présence ; elle est le principe de vie
dont Dieu fera son plus puissant instrument dans
tout le reste de son travail. Déjà
elle vient de remporter sur les
ténèbres une première
victoire, et elle les détruira
complètement au jour qu'il n'y aura plus sur
la terre ni de nuit, ni de mer, ni aucune autre
trace du chaos.
D'abord la lumière était
mêlée aux
ténèbres ; elle s'agitait,
palpitait, circulait dans la masse informe et vide.
Mais bientôt Dieu opère une
séparation entre la lumière et les
ténèbres, qui deviennent le
jour et la nuit. Les deux premiers
noms indiquent contradiction, les deux derniers
simple antithèse ou polarité. La
nuit, ce sont les ténèbres du chaos
que Dieu fait entrer comme partie intégrante
dans sa nouvelle création, mais qu'il se
garde toutefois de déclarer bonnes, et qui
finiront par disparaître.
Les termes de nuit et de jour ne sont
d'ailleurs pas pris ici dans leur sens ordinaire.
Il s'agit d'une séparation faite non point
dans le temps (celle-ci est indiquée par le
soir et le matin qui font un
jour), mais dans l'espace. Dieu a
divisé les eaux du chaos où
brille la lumière, en deux parts :
l'une qui deviendra planètes et satellites
et où se perpétuent la nature
ténébreuse de l'abîme et
le nom d'eaux, l'autre qui a pris une forme
nouvelle et qui sera le soleil.
Au soir du chaos a succédé le
lever de la lumière, le matin d'un
premier jour. Dans l'oeuvre de ce jour cosmogonique
nous pouvons lire déjà l'histoire de
l'humanité : son état de chute
et de chaos ; puis la promesse d'un
Rédempteur, laquelle se lève dans ses
ténèbres comme une brillante
aurore ; et plus tard la séparation
entre les enfants de ténèbres et les
enfants de lumière s'opérant depuis
Seth et Caïn, à travers de tous les
siècles, jusqu'au jour du dernier et
définitif jugement.
Quelle que soit d'ailleurs l'explication qu'on
donne du chaos, la distinction entre les cieux de
l'aurore et ceux des six jours subsiste, et elle
nous fournit une réponse pleinement
satisfaisante à une première
objection que fait l'astronomie au récit de
Moïse. « Les voies lactées
découvertes par W. Herschell, a-t-on dit,
sont situées à de
telles distances de nous que les rayons lumineux
qu'elles nous envoient ne nous parviennent qu'au
bout de myriades et de millions
d'années.
Or, d'après la Genèse, elles auraient
été créées le
quatrième jour et fort peu de temps avant
l'homme. L'homme devrait donc voir de siècle
en siècle les cieux se peupler d'astres
nouveaux, tandis que, dès l'origine de
l'histoire, les cieux passent pour être le
domaine de l'immuable. »
Mais, si ces voies lactées sont
antérieures au chaos, l'objection tombe
puisque un temps incommensurable a pu
s'écouler entre la création du monde
de l'aurore et celle de notre terre. D'ailleurs
Herschel lui-même, revenant vers la fin de sa
vie sur ses précédentes
hypothèses, a dit que les nébuleuses
qu'il avait prises d'abord pour des voies
lactées situées à d'immenses
distances, sont bien plutôt toutes comprises
dans les limites de la nôtre. Ainsi le fait
qu'on prétendait opposer à
Moïse, n'est rien moins que certain
(10).
La traduction du texte sacré dans le langage
scientifique moderne, n'offre aucune
difficulté.
L'abîme ténébreux, ce
sont les substances élémentaires du
système solaire à l'état de
gaz, de vapeur ou d'éther.
L'abîme devenu lumineux, c'est la
nébuleuse ou le nuage céleste. Le
nuage est une forme de l'eau, et dans la vision le
chaos se nomme les eaux.
La séparation de la lumière et des
ténèbres, c'est la division de la
nébuleuse en une sphère centrale qui
formera le soleil, et en un très large
anneau qui se partagera (si l'on tire parti de
certaines hypothèses d'Herschel et de
Laplace) en autant de zones qu'il y a de
planètes. On connaît des
nébuleuses qui sont
précisément composées d'un
anneau entourant une sphère. Cette figure
rappelle le passage des Proverbes
de Salomon, qui représentent Dieu
disposant les deux et traçant un cercle
au-dessus des abîmes
(VIII, 27).
L'apparition de la lumière avant la
formation du soleil a été jusqu'au
siècle dernier une énigme insoluble
pour les hommes de foi, une objection puissante
entre les mains des adversaires de la Bible. On
croyait, en effet, que la lumière ne pouvait
provenir que du soleil, et l'on accusait Moïse
de s'être mis en contradiction avec la nature
et avec la raison. Mais Herschel a découvert
que le soleil n'a de lumineux que les nuages qui
enveloppent son corps opaque, rappelé et
prouvé que les cieux renfermaient une
multitude de nuages lumineux, supposé enfin
que la nébuleuse était l'état
primitif ou le berceau de tous les corps
célestes.
Après lui, Arago a démontré
à l'aide du polariscope ce qu'il avait
pressenti : c'est que la lumière qui
émane d'un gaz a d'autres
propriétés que celle qui
procède d'un autre corps. Le texte
sacré s'est trouvé ainsi
justifié, et l'objection s'est
transformée en une preuve éclatante
de l'inspiration.
Il est d'ailleurs, selon M. Beudant, tout à
fait rationnel et pleinement conforme à
l'état de nos connaissances actuelles, quand
il s'agissait de mettre de l'ordre dans la
confusion générale des choses, que de
créer avant tout le fluide au moyen duquel
les phénomènes de la lumière,
de la chaleur, etc., pouvaient se manifester et
porter la vie partout (11).
DEUXIÈME JOUR.
* Et Dieu dit : « Qu'il
y ait une étendue au milieu des eaux,
et qu'elle sépare les eaux d'avec les
eaux. » Et
Dieu fait
l'étendue, et sépare entre les eaux
qui sont au-dessous de l'étendue, et entre
les eaux qui sont au-dessus de l'étendue. Et
il en est ainsi. Et Dieu appelle l'étendue
cieux. Et il y a un soir, et il y a un matin :
deuxième jour.
Le prophète avait vu la lumière
s'affaiblir, s'éclipser et faire place
à un deuxième soir ; puis le
matin avait paru de nouveau, éclairant une
scène toute nouvelle.
Les regards du Voyant se détournaient des
substances du chaos lumineuses et solaires pour se
fixer sur les eaux opaques et nocturnes dont
nous avons dit que les planètes devaient
être formées. Il avait devant lui
comme un épais brouillard, qui
s'étendait à perte de vue et semblait
remplir tout l'espace. Soudain retentit la voix de
l'Éternel, et ce brouillard, ces eaux se
séparent, pour ne plus se réunir, en
eaux inférieures, qui sont les
éléments de notre planète, et
en eaux supérieures, qui, en se
subdivisant, forment la Lune et tous les autres
corps opaques de notre système.
L'étendue qui de la terre
s'élève à des hauteurs
inconnues, c'est le ciel des oiseaux ou l'air,
c'est le ciel des astres ou l'éther, ce sont
les cieux ; c'est le vide
(thohou) sur lequel Dieu a
étendu les étoiles du septentrion, le
néant sur lequel il a suspendu la
terre
(12) ;
et comme cette étendue est
un espace infranchissable et qu'elle maintient les
astres et la terre à leurs distances
respectives, on peut dans un certain sens la nommer
, firmamentum. Le même
nom pourrait se donner à la pesanteur qui
est le ferme support de l'univers.
Il n'est pas dit des cieux que Dieu vit qu'ils
étaient bons, parce qu'ils sont, non point
une chose nouvelle comme l'était la
lumière, mais le simple résultat
d'une disposition autre des antiques eaux du
chaos.
Au deuxième jour Dieu n'a rien
créé ; il n'a fait que
séparer.
Notons que dans plusieurs des cosmogonies
païennes l'idée de séparation
prévaut sur celle de production, et qu'elle
donne en particulier la clef du mythe grec de
Némésis
(13).
Mais si Dieu ne déclare pas l'étendue
bonne, au moins il lui donne un nom nouveau. En
effet, dans la Vision, Dieu nomme les
éléments physiques au jour où
ils entrent en fonctions sous leur vraie forme dans
l'économie de la nature : la
lumière au premier jour, l'air et
l'éther au deuxième, la mer et la
terre ferme au troisième ; et par
là il leur ôte, aux yeux de l'homme
enclin à les adorer, leur fausse apparence
de divinité ; car un dieu se nomme
lui-même et ne se laisse pas imposer son
nom par un autre. Quant aux
êtres particuliers, astres, plantes, animaux,
hommes, qui ne sont que des combinaisons diverses
de ces éléments-là, Dieu
semble avoir laissé à l'homme le soin
de les dénommer.
Cependant l'oeuvre du deuxième jour ne se
borne pas à séparer la terre des
autres corps opaques. On voit par le récit
du troisième jour que notre planète
s'était formée, par la
précipitation de ses diverses substances
élémentaires, en une sphère
solide, dont l'écorce rocheuse était
recouverte uniformément par
l'océan.
En astronomie l'oeuvre du second jour serait,
d'après Laplace, la formation d'anneaux
concentriques dans la nébuleuse solaire qui
va se refroidissant et se condensant de plus en
plus, et dont le mouvement de rotation
s'accélère. Ces anneaux se brisent en
plusieurs masses qui continuent à circuler
à la même distance autour du soleil,
et qui prennent une figure sphéroïdique
avec un mouvement de rotation dans le sens de leur
révolution. Ces masses vaporeuses dans
chaque zone, ou se réunissent en une seule
planète, ou en forment plusieurs, ou
constituent des systèmes de satellites.
Ici encore la correspondance est parfaite entre la
cosmogonie prophétique et l'hypothèse
scientifique : des deux parts, les
planètes ont été à
l'origine des masses aqueuses ou gazeuses ;
des deux parts elles se sont formées dans un
commun nuage qui, en se divisant, a produit
l'espace éthéré ou les
cieux ; des deux parts, enfin, la masse
gazeuse de la terre s'est solidifiée, et ses
divers éléments se sont
combinés entre eux sous leurs formes
actuelles, et distribués du centre de notre
planète à sa surface dans leur ordre
présent.
Si le premier jour est tout astronomique, le
deuxième est plutôt chimique. L'oeuvre
de l'un embrasse toute la nébuleuse ;
celle de l'autre ne concerne que les
planètes.
TROISIÈME JOUR.
Et Dieu dit : « Que les
eaux au-dessous des cieux, se rassemblent (ou,
suivant d'anciens interprètes et une autre
étymologie : se précipitent)
en un seul lieu, et que paraisse le sec (ou la
terre ferme). » Et il en est
ainsi.
Et Dieu nomme le sec terre ; et le
rassemblement (ou la précipitation)
des eaux, il le nomma mers
(14). Et
Dieu voit que c'est bon. »
Arrêtons-nous ici. Le noyau solide de notre
planète existe recouvert par les eaux :
à la parole de Dieu les eaux s'abaissent et
laissent apparaître les rochers qui forment
l'écorce du noyau.
La Bible, au Psaume CIV, nous donne sur cette
révolution des détails fort
remarquables au point de vue scientifique.
« Il assit la terre sur
ses bases,
pour qu'elle ne soit jamais, jamais
ébranlée.
De l'abîme tu la couvris comme d'un
vêtement :
(Alors) sur les monts se tenaient les eaux.
(Puis) à ta menace elles s'enfuient,
à la voix de ton tonnerre elles
reculent ;
les montagnes se dressent, les vallées
s'abaissent
au lieu que tu leur assignas.
Tu leur mis (aux eaux) une borne qu'elles ne
franchiront pas ; elles ne reviendront plus
couvrir la terre
(15). »
L'abîme nous est bien connu ;
c'est celui du chaos ténébreux, dont
le représentant au troisième jour est
l'océan sans limites qui enveloppe notre
globe.
Mais sous ses eaux sont
déjà de grandes
inégalités de terrain, des
élévations semblables à
d'immenses montagnes et des enfoncements
correspondants. Tout à coup la parole toute
puissante du Créateur retentit, comme
l'éclat du tonnerre, sur la
planète, où tout
s'ébranle ; une force inconnue
soulève une partie du sol sous-marin
au-dessus du niveau de l'océan et la met en
rapport avec l'atmosphère ; en
même temps se forment et dans les flots et
sur la terre ferme de profondes vallées.
Mais rien ne se fait que d'après la
volonté de l'éternelle Sagesse, qui
assigne à chaque relief de la surface
terrestre sa forme et sa place, et qui fixe aux
mers leurs limites. Désormais la terre aura
toujours à sa surface des mers et des
continents.
Le Livre de Job,
au chapitre 38e, dépeint d'une
manière saisissante l'état de
l'océan primitif au moment où,
bouleversé par les soulèvements de
son sol, et recouvert de sombres nuées, il
semblait prêt à engloutir les
continents qui apparaissaient et à les
replonger dans ses ténébreux
abîmes.
Et qui est-ce qui enferma entre des portes la
mer,
quand elle fit éruption du sein
maternel ;
quand je lui donnai la nuée pour
manteau,
et de sombres vapeurs pour langes ;
quand je lui prescrivis ma loi
et que je lui mis des barres et des
portes ;
et que je dis : « Jusqu'ici tu
viendras et pas plus avant ;
et ici s'arrêtera l'orgueil de tes vagues
(1) ? »
i Traduction de M. Perret-Gentil ( Les
Hagiographes et les Prophètes,
Neuchâtel, 1847). Ce passage ne peut se
rapporter au chaos ; car tout alors
était abîme, eaux, gaz, et il n'y
avait point de terre ferme que la mer pût
briser. Cette éruption des
eaux semblerait plutôt être une
allusion au Déluge. Mais les deux
dernières lignes expriment la même
pensée que le verset
9 du Psaume CIV, et doivent se
rapporter au même fait.
En rapportant à l'oeuvre du troisième
jour, ainsi que l'ont fait avant nous d'anciens
commentateurs (16),
ces deux textes de Job et de
Psaumes, et en les combinant avec celui de la
Vision, nous obtenons de l'oeuvre du
troisième jour une vue d'ensemble que la
géologie ne fait que confirmer. Seulement
elle établit des distinctions où la
Bible n'en fait pas, et suit pas à pas les
progrès d'une oeuvre que les
écrivains sacrés embrassent d'un seul
regard.
D'après la géologie comme
d'après la Genèse, la terre, avant
l'apparition des premiers êtres organiques,
était tout entière recouverte par la
mer. Première concordance, qui n'est pas la
moins remarquable.
En second lieu, la science et la
Révélation rendent compte de la
formation des continents et des montagnes par des
soulèvements. L'harmonie ici encore est
parfaite.
D'après la géologie, les premiers
continents émergés étaient des
terres basses, sans hautes montagnes, sans
profondes vallées, et le relief actuel de la
terre ferme est le résultat d'une longue
série de révolutions dont les
dernières sont postérieures au
Déluge.
Sur ce point même la Genèse,
malgré la première apparence, n'est
point en désaccord avec la science ;
car la Vision marque simplement l'époque
où les continents ont apparu, et garde un
complet silence sur les modifications qu'ils ont
subies.
Mais le soulèvement des terres suppose une
force plutonique, et comment faire concorder cette
action du feu que réclame la
géologie, avec l'origine aqueuse que la
Genèse attribue à la terre ? Il
est incontestable que les Livres sacrés des
Hébreux, que les traditions des
peuples païens, que les plus
anciens philosophes grecs
(17) condamnent
tous à l'envi celle des deux
hypothèses géologiques qui fait de la
terre à son origine un globe incandescent
qui se serait insensiblement refroidi.
La terre était primitivement un globe
d'eaux ; ces eaux se sont sans doute
solidifiées en changeant de formes ;
mais ce qui, sur la terre actuelle y ressemble le
plus, c'est la mer et non le feu.
Le neptunisme a donc pour lui la
Révélation. Mais il se concilie de la
manière la plus simple avec
l'hypothèse des soulèvements
plutoniques ; car le feu, qui est un des
éléments constitutifs de notre nature
terrestre, a dû s'allumer dans les entrailles
de notre globe au moment où se sont
condensées et combinées les eaux
primordiales, c'est-à-dire dans le
courant du second jour, et il était donc en
pleine activité lorsque la mer se rassembla
dans son lieu et que parurent les continents. Il a
manifesté sa puissance, d'abord par ces
montagnes sous-marines dont nous parle le
Psalmiste ; puis, d'après la
Genèse, par l'émersion de la terre
ferme et la retraite des eaux ; dans les temps
postérieurs que nous fait connaître la
géologie, par l'apparition des chaînes
de montagnes, et nous savons que c'est par le feu
que périra la terre à la fin de la
période actuelle.
Avec l'apparition des continents cesse la
création de la nature anorganique, et dans
ce même troisième jour commence par
les végétaux la création des
êtres organiques.
Et Dieu dit : « Que la
terre fasse verdir l'herbe (verte), la
plante portant de la semence, l'arbre à
fruit (18)
faisant du fruit selon son
espèce, qui a sa semence en lui sur la terre
(19). »
Et il en est ainsi ; et
la terre fait sortir l'herbe, la plante
portant de la semence, selon son espèce, et
l'arbre faisant du fruit, qui a sa semence en lui,
selon son espèce. Et Dieu voit que c'est
bon.
Et il y a un soir, et il y a un matin :
troisième jour.
Les regards du Voyant se détournent de la
mer et se fixent sur la terre ferme. La mer
participe de la nature du chaos ; elle est
aride, ou du moins les quelques
végétaux qu'elle produit se
dérobent aux regards de l'homme ;
bientôt elle recevra pour habitants des
monstres informes, d'immenses serpents
(Gen. I, 21 ;
Esaïe XXVII, 1) ; plus
tard elle sera le symbole des Gentils
(Amos VII, 4-6), que bouleversent
sans cesse de violentes révolutions
(Psaumes LXV, 8 ), et du sein
desquels surgiront successivement les monarchies
universelles qui feront la guerre à
l'Église de Dieu
(Daniel VII, 23, et
Apoc. XIII, 1) ; et dans
l'éternité la mer ne sera plus
(Apoc. XXI, 1). La terre ferme, au
contraire, préfigure le peuple élu
(Amos VII, 4-6 ;
Apoc. XIII, 11) ; elle a
été tirée du milieu des mers,
comme il l'a été en la personne
d'Abraham du milieu des Gentils ; elle est la
demeure de l'homme, des animaux les plus parfaits,
de la presque totalité des plantes ;
sans elle notre planète ne serait qu'un
abîme, et « Dieu l'avait
créée non pour qu'elle
restât informe (thohou) comme au temps du
chaos, mais pour qu'elle fût
habitée'
(Esaïe XLV,
18). »
Dans la Vision, la terre à la parole de Dieu
produit, sans doute à trois époques
différentes, des végétaux de
plus en plus grands et surtout toujours plus
parfaits. Ce ne sont d'abord, sur le sol
récemment émergé et
privé encore de tout
humus, que des herbes
(20),
c'est-à-dire de ces
plantes qui recouvrent la terre d'un mince tapis de
verdure, qui n'ont ni graines apparentes, ni
fruits, et que les Grecs appelaient
spontanées,.
Puis vinrent des plantes plus grandes, et
à semences, mais sans fruits, les
végétaux non ligneux, tout
particulièrement ces légumes annuels
que l'homme cultivera plus tard dans ses jardins
(Gen. I, 29).
Enfin, le sol accru et fertilisé par les
débris de ces plantes et de ces herbes,
produisit de hauts arbres, qui portent des
fruits, qui d'année en année laissent
tomber de leurs branches élevées
autour d'eux leurs semences, et dont la vie se
prolonge pendant des siècles. Leurs fruits
sont charnus, et cette chair, qui n'est ni
nécessaire ni même utile à leur
reproduction, annonçait à l'avance
l'homme, qui en fera sa nourriture
(Gen. I, 29)
.
Avec les végétaux commence
l'espèce, ou l'être organique
qui, une fois créé, se
perpétue de siècle en siècle
sans que jamais son caractère propre se
détruise. Dieu n'intervient plus d'une
manière directe dans son histoire, il
l'abandonne en quelque manière à
lui-même, et la différence radicale
entre la création et la conservation
apparaît ici dans tout son jour.
En même temps cette quasi-indépendance
de la plante présage la liberté de
l'homme, qui est non plus seulement une
espèce, mais une personne, et qui dans sa
vie individuelle a reçu de Dieu la
faculté de faire tout ce qui lui
plaît, si ce n'est de cesser d'être
homme.
La terre, en produisant les végétaux,
est arrivée au plus haut degré de
gloire qui lui soit assigné pour la
première partie de son existence. Elle le
doit à l'action de l'Esprit de Dieu qui la
pénétrait et vivifiait sans
relâche, et à la
condescendance toute gratuite du Créateur
qui a voulu l'associer à son oeuvre. La
voilà parée de mille et mille plantes
diverses avant même que le soleil la
réchauffe de ses ardents rayons.
Il y a là comme un type de cette portion de
la vie humaine que l'Écriture désigne
par le nom de psychique ou naturelle, et qui
se termine au temps où la pure
lumière du Christ se fait jour dans notre
coeur. Avant ce moment déjà
l'âme humaine peut faire sortir d'elle,
même dans son état actuel de chute,
bien des oeuvres grandes et belles.
Mais que signifient ces végétaux plus
anciens que le soleil ?
Pour répondre à cette question,
remontons au chaos. Nous y avons vu confondu dans
une même masse gazeuse tout ce qui est
aujourd'hui le système solaire.
Après l'éveil de la lumière,
les éléments constitutifs du soleil
ont été séparés de ceux
des astres opaques, qui formaient un seul et vaste
anneau.
Au deuxième jour, l'anneau se divise en un
grand nombre de sphères qui deviennent
planètes et satellites, et dont l'une est
notre terre, qui se solidifie et forme un globe
dont le noyau est enveloppé d'un
océan sans limites, qu'enveloppe à
son tour l'atmosphère.
Le troisième jour ne concerne dans la Vision
que notre terre ; mais il est évident
que les autres planètes pendant cette
même période, et le soleil à
dater de la première, poursuivent chacun
leur développement propre et parcourent
à peu près les mêmes phases que
notre terre.
La lumière qui fait croître les
plantes du troisième jour est donc celle de
ce grand corps central qui va devenir notre soleil,
et qui pourrait déjà en porter le
nom, mais qui n'en a point encore l'éclat
éblouissant (21).
C'est une lumière plus
pâle, plus douce, moins
énergique que celle qui nous éclaire
aujourd'hui, telle peut-être qu'il la fallait
précisément pour que des plantes
pussent germer et croître sur les rochers nus
qui venaient de sortir du sein des eaux.
L'existence d'une flore antésolaire est sans
doute fort étrange ; mais il y a dans
cette étrangeté même la preuve
que le récit génésiaque n'est
pas un mythe. C'est là une imagination qui
ne serait venue à l'esprit d'aucun homme, de
même que jamais on n'aurait placé la
lumière trois jours avant le soleil.
À ces traits on reconnaît le doigt de
Dieu, et la science vient plus tard justifier le
texte sacré
(22).
C'est ce qu'elle a fait récemment pour la
lumière du premier jour ; c'est ce
qu'elle fera sans doute bientôt pour les
végétaux antérieurs au soleil
et aux animaux. La géologie actuelle ne les
a pas encore signalés dans les couches de
l'écorce terrestre ; la flore la plus
ancienne que l'on connaisse aujourd'hui est celle
des terrains de transition et de la houille, qui
renferment une foule d'animaux marins. Le
désaccord entre la Genèse et la
science est donc complet sur ce point, et toute
tentative de les concilier ne se
fait qu'aux dépens du texte
sacré ; car on ne le sauve qu'en lui
prêtant des inexactitudes qu'on ne
pardonnerait pas à l'écrivain le plus
ordinaire, et qui deviennent le motif d'objections
sans réplique.
Mais il est permis de supposer que les plantes du
troisième jour ont entièrement
disparu, soit dans la nuit cosmogonique du jour
suivant, par quelque grande conflagration de la
terre primitive, soit bien plutôt par la
submersion des îles ou des continents peu
étendus qui portaient cette antique
flore.
Surtout on est en droit de répéter
que la géologie est une science toute
moderne qui n'a point encore dit son dernier mot,
et d'en appeler de sa première sentence
à son jugement définitif. La
géologie du reste n'est pas la seule science
physique qui soit intéressée dans la
question.
La chimie et la physiologie, qui naguère
encore disaient que l'existence des plantes et
celle des animaux étaient indissolublement
unies l'une à l'autre, ont reconnu que
l'oxygène que les plantes exhalent et que
les animaux empruntent à l'air par la
respiration, et l'acide carbonique qu'expirent les
animaux et que les plantes prennent à elles
et décomposent, existent dans
l'atmosphère en une telle abondance que
l'une de ces deux classes d'êtres pourrait ne
point exister du tout sans que l'autre en
souffrît aucunement.
Ces deux sciences ne s'opposent donc point à
l'hypothèse d'une flore se
développant avant la création des
animaux. Il semble bien, au contraire,
nécessaire que ceux-ci n'apparaissent
qu'après les végétaux, dont la
principale fonction est de leur préparer
leur nourriture en élaborant les substances
anorganiques ; car si les plantes venaient
à être supprimées, ils
périraient bientôt tous d'une affreuse
disette
(23).
Enfin les sciences naturelles s'étonneront
peut-être de voir la création des
êtres organiques commencer au
troisième jour pour être suspendues au
quatrième et ne continuer qu'au
cinquième. Le végétal se
trouve ainsi isolé par l'astre de l'animal.
Nous pourrions répondre que ces êtres
sont rangés dans la Vision selon l'ordre de
leur perfection relative :
Le minéral est.
Le végétal est et croît.
L'astre est, croît et se meut.
L'animal est, croît, se meut et sent.
L'homme est, croît, se meut, sent et pense.
Mais tel n'est pas le point de vue de la
Genèse. Elle place d'une part dans la
période des trois première jours et
sous l'action de la lumière diffuse, le
minéral et le végétal, qui
n'ont point en eux une substance spirituelle qui se
distinguerait de leurs corps, et d'autre part, dans
la période des trois derniers jours et sous
l'action du soleil, l'animal et l'homme, ou les
âmes vivantes.
Là, la création du monde
inorganique aboutit à la plante, par
laquelle le minéral se fait aux phases du
développement vital. Ici s'ouvre une
ère toute nouvelle par l'apparition de
l'âme, qui, s'enrichissant de facultés
de plus en plus nombreuses, aboutit à la
conscience et à la liberté,
c'est-à-dire à l'immortalité,
et tout le règne animal est
l'échafaudage créé de Dieu
pour supporter l'homme.
QUATRIÈME JOUR.
Et Dieu dit : « Qu'il y
ait des luminaires dans l'étendue des cieux
pour séparer entre le jour et entre la nuit,
et qu'ils soient à signes et à
époques et à jours et années,
et qu'ils soient à luminaires dans
l'étendue des deux pour luire sur la
terre. » Et il en est
ainsi.
Et Dieu fait les deux grands luminaires, le grand
luminaire pour dominer sur le jour, et le petit
luminaire pour dominer sur la nuit, et les
étoiles. Et Dieu les place dans
l'étendue des cieux pour luire sur la terre,
et pour dominer sur le jour et sur la nuit, et pour
séparer entre le jour et entre les
ténèbres. Et Dieu voit que c'est
bon.
Et il y a un soir, et il y a un matin :
quatrième jour.
Au quatrième jour Dieu reprend et
achève l'oeuvre du premier : avec la
lumière il fait des luminaires et il la
sépare complètement des
ténèbres, ou dans le langage de la
science moderne, il donne aux astres du
système dont le soleil fait partie, leurs
formes, leurs positions et leurs relations
actuelles.
Il ne les crée pas ni ne les nomme, car ils
sont en formation depuis longtemps, et tout
être a son nom depuis le moment de sa
naissance. Mais il les fait ce qu'ils seront
et resteront jusqu'à la fin du temps
présent.
Il les fait simples luminaires ; ils ne
font que porter la lumière, tels que des
chandeliers allumés dans le temple
des cieux (24).
La lumière qui les a
précédés de trois jours a
été comme rassemblée dans ces
vases façonnés pour elle, ainsi que
les eaux subsistaient avant les mers qu'elles ont
formées par leur rassemblement.
La lumière est donc indépendante des
astres lumineux ; elle a brillé avant
et sans eux, elle peut se détacher d'eux,
briller de nouveau sans eux et après eux, et
elle le fera dans les nouveaux cieux
(Esaïe LX, 19-20 ;
Apoc. XXI, 23).
Mais n'est-ce pas chose surprenante que la science
moderne vienne confirmer en plein l'intuition
biblique, par ses découvertes sur la nature
du soleil ? L'astre du jour n'est point un
globe d'une substance toute
lumineuse, auquel on ne pourrait
enlever son éclat sans le
détruire ; c'est une sphère
opaque, analogue à notre terre ou à
la lune, et qui ne doit sa clarté
resplendissante qu'à une couche de nuages
lumineux qui l'enveloppe de toutes parts ;
c'est un chandelier sphérique qui porte au
lieu de lampe une photosphère.
Le but de Dieu en faisant les luminaires
était de triple nature.
Et d'abord Dieu voulait séparer d'une
manière définitive la
lumière des ténèbres, le jour
de la nuit. La séparation en avait donc
été imparfaite du premier jour
à la fin du troisième.
En quoi consistait cette imperfection ?
Nous ne pouvons ni donner à la terre une
photosphère : ce serait abolir la
séparation faite au premier jour entre les
substances opaques des planètes et la masse
du soleil ; ni supposer que notre globe
brillât par le fait de son incandescence
primitive : ce serait déserter le
neptunisme biblique pour le vulcanisme. Mais
peut-être l'atmosphère lumineuse du
soleil était-elle encore si peu
condensée qu'elle dépassait l'orbite
de la terre et qu'elle éclairait de tous les
côtés notre planète ; ou
plutôt encore celle-ci répandait-elle
une douce et pâle lueur qui tempérait,
sur l'hémisphère opposé
à l'embryon solaire, l'absence de la
lumière centrale, et dont les derniers
restes seraient les aurores polaires.
Au quatrième jour, la terre et les autres
planètes auront perdu leur phosphorescence
(25), en
même temps que le soleil qui s'achevait se
mettait à leur envoyer d'immenses torrents
de lumière ; et dès lors ces
astres auront eu, à chaque instant, par
suite de leur mouvement de rotation, un
hémisphère vivement
éclairé et un
hémisphère plongé dans de
vraies
ténèbres.
La nuit prit ainsi sa forme définitive, et
le Dieu qui, au premier jour, n'avait pas
déclaré bonnes les
ténèbres, vit au
quatrième que sa dernière oeuvre
était bonne, y compris la nuit.
L'alternative des heures de lumière, de
veille, d'activité, et des heures
d'obscurité, de sommeil et de repos, est
devenue le moule auquel a dû s'habituer la
vie de la plante antésolaire, et dans lequel
sera jetée celle de l'animal et de
l'homme.
En deuxième lieu, le Créateur a voulu
que les luminaires fussent pour les hommes, d'abord
des signes de sa toute puissance, puis les
hérauts de leurs fêtes
religieuses, et enfin les instruments qui, dans
leur vie civile, leur indiquent les jours et
les années.
Les astres sont, par leur éclat et leur
beauté, par leur disposition dans l'espace,
par la régularité de leurs
mouvements, des signes, toujours visibles et
toujours nouveaux, de la présence du Dieu
dont les cieux nous racontent la gloire, la
force et la sagesse ; par leurs
éclipses ou leurs défaillances, par
les taches du soleil, par la marche errante de la
lune et des planètes, par leurs variations
d'éclat, des signes de
l'infirmité de la créature ; par
l'apparition imprévue et les formes
étranges des comètes, des signes
des mystérieux décrets de
l'Éternel qui fait surgir à
l'improviste, dans la vie des individus et dans
celle des peuples, des bénédictions
ou des châtiments, des fléaux ou des
délivrances, auxquels nul ne songeait.
Mais si en vertu de l'harmonie que Dieu a mise
entre la nature et le monde de la liberté,
les astres peuvent devenir les signes de
quelque grand événement, tel que la
naissance du Messie qu'annonça
l'étoile des Mages, ils n'en sont nullement
les causes, et toutes les superstitions de
l'astrologie proviennent de ce que l'on a
substitué ce dernier terme à celui de
la Vision, qui les réfutait et les
condamnait avant même qu'elles fussent
nées.
Les astres qui parlent de Dieu aux hommes leur
rappellent en outre les temps où ils doivent
lui adresser leurs prières. Le soleil, d'un
solstice à l'autre, fixe l'époque des
grandes fêtes annuelles ; les
phases de la lune marquent la semaine avec son jour
de repos et de culte ; et les moments du jour
et de la nuit que l'homme a réservés
pour l'adoration, lui sont annoncés par la
révolution diurne des cieux.
On traduit d'ordinaire, il est vrai, MOgADIM par saisons ;
mais ce mot signifie avant tout :
assemblée du peuple, jour de
fête, et les saisons sont
indiquées par les deux termes
suivants : jours et années.
Cependant la religion ne remplit pas la vie
entière de l'homme, et les astres
règlent toutes ses occupations
terrestres ; ils sont pour lui, comme le
disait Platon, les instruments du temps, ils lui
donnent son calendrier. Ce n'est que d'eux qu'il
apprendra à calculer le nombre des jours
que dure l'année avec ses
saisons, et le nombre d'années terrestres
qu'embrassent, soit les révolutions des
planètes, soit les cycles de dix-neuf et de
six cents ans, qui ramènent au même
point du ciel la lune et le soleil, soit cette
immense période de vingt-six mille ans,
pendant laquelle l'axe de la terre décrit un
cercle complet autour des pôles de
l'écliptique.
Mais le dernier et grand but de Dieu en formant les
luminaires des cieux, c'était de donner
à la terre une lumière plus
intense que celle qui l'avait
éclairée jusqu'alors, et telle que la
réclamaient les animaux et l'homme, qu'il
allait appeler à l'existence.
Il fait donc pour dominer sur le jour le
grand luminaire, le soleil, soit que cet astre
fût demeuré, jusqu'à cette
époque tardive, dans un état informe
et embryonique, soit que le noyau opaque
existât depuis longtemps, mais que les
substances de sa photosphère ne formassent
encore qu'une nébulosité pâle
et diffuse. Désormais le
soleil sera pour la terre,
pendant le jour, l'unique source de lumière,
il éclipsera chaque matin, par son
éclat, tous les autres astres, et le jour
trouvera en lui un maître unique.
Mais la nuit aura aussi son grand luminaire.
Car il faut que les ténèbres qui
régnaient seules au temps du chaos, et qui
se sont vues dépossédées
déjà par la lumière, de la
plus grande partie de leur domaine, soient
poursuivies par leur ennemie jusqu'au coeur
même de leur empire. Cependant la lune, qui
est la rivale du soleil par sa grandeur, et comme
sa soeur par sa douce et paisible clarté,
fait plus que de transformer la sombre nuit en un
demi-jour : elle annonce, par le pouvoir
souverain avec lequel elle domine sur la nuit,
qu'un jour viendra où les vieilles
ténèbres du chaos disparaîtront
sans laisser la moindre trace de leur
présence sur la terre, qui sera tout
lumière.
La Vision ne révèle pas sans doute
que l'astre des nuits emprunte à celui du
jour sa clarté ; mais elle ne dit pas
non plus le contraire, puisqu'elle fait de la lune
un simple vase de lumière. La science
viendra plus tard compléter le récit
sacré sans avoir rien à y
rectifier.
Le texte ne fait que nommer en passant les
étoiles, qui ne sont, d'après
notre interprétation, que les
planètes. Mais il ajoute au tableau du
quatrième jour un trait dont on n'a pas
compris d'ordinaire toute la portée :
Dieu plaça ces astres dans
l'étendue des cieux
(26).
Ils n'étaient donc pas jusqu'alors
à leurs places définitives, et l'on
ne peut condamner absolument les écrivains
qui ont supposé que pendant les trois jours
antérieurs la terre avait été
une comète et un satellite. Au moins est-il
certain que la présente organisation du
système solaire ne date que de
la quatrième
période, et que jusqu'alors la terre n'avait
ni ses jours de vingt-quatre heures, ni ses
années de douze mois, ni ses climats
astronomiques, ni ses vents, ni ses courants
océaniques, ni ses marées.
Ainsi les astres de notre système solaire,
dont les éléments, identiques pour
tous (27),
avaient été
confondus dans le même chaos, et qui
s'étaient développés plus ou
moins isolément, ou du moins dont les
relations mutuelles avaient été
incertaines et variables, sont devenus au
quatrième jour les membres d'un corps
unique, les organes d'un grand tout dont
l'unité n'est plus une masse informe et
vide, et la diversité une apparente
anarchie.
Telle est l'oeuvre de ce quatrième jour, que
d'anciens commentateurs juifs voulaient
déjà confondre avec celle du premier
jour, et où des géologues n'ont vu
que le moment, fort insignifiant, où, les
épais nuages qui entouraient la terre,
venant à se dissiper, les astres ont apparu
en leur lieu dans le ciel. Mais le texte, dont
chaque terme est d'une parfaite clarté,
entend bien que le soleil est plus jeune que la
terre, « moins ancien que le jour, moins
âgé qu'une fleur, moins
nécessaire qu'aucun des effets qu'on lui
attribue
(28). »
Par là l'humanité était
prémunie contre le culte des astres et tout
spécialement du soleil. Mais le
péché l'a emporté sur la
prévoyance de Dieu, et les païens ont
adoré le dieu du jour sans toutefois oublier
qu'il était né après les
montagnes, après la terre
(29). »
Dans le langage symbolique de la Bible, les astres
qui dominent sur le jour et la nuit,
figurent les autorités qui dominent soit sur
l'État, soit sur l'Église ; et
dans la doctrine des types, il en est peu de plus
frappants que celui du soleil du
quatrième jour, auquel correspond dans
l'histoire de l'humanité le Messie, le
soleil de justice, qui, après avoir
dès l'origine éclairé d'une
lumière pâle et diffuse tous les
hommes, s'est levé enfin sur eux tout
resplendissant de grâce et de
vérité.
L'astronomie garde un complet silence sur l'oeuvre
du quatrième jour, et la géologie qui
n'a point encore trouvé les plantes
antésolaires, ne connaît point la
longue période qui devrait séparer
ces plantes des premiers animaux, et pendant
laquelle la nature organique ne s'est point
enrichie d'êtres nouveaux.
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