HISTOIRE DE
LA TERRE
CHAPITRE DEUXIÈME
La Création d'après la Bible et la
géologie.
La Bible commence l'histoire de
l'humanité par celle de la nature. Herder,
en faisant des sciences physiques le majestueux
propylée de l'histoire de l'humanité,
exécutait simplement le plan qui plus de
trente siècles auparavant avait
été tracé en tête de la
Genèse.
Cette première page qui contient le
récit de la création des cieux
même et de la terre, est si simple, qu'il ne
s'y trouve pas un mot que l'intelligence la moins
exercée ne puisse comprendre ; si
sublime que les païens en admiraient la
beauté ; si profonde que chaque
siècle en recommence l'étude sans
jamais l'achever. L'enfant qui épelle ces
deux mots de la première ligne, Dieu
créa, ne se doute pas qu'il suce, comme
avec le lait, une sagesse qui surpasse celle des
Platon et des Aristote ; et le géologue
s'étonne de voir tous les grands
résultats de ses longues recherches
consignés déjà dans le plus
ancien et le moins scientifique de tous les
livres.
Moïse nous y raconte comment Dieu a
créé l'univers. C'est une page
d'histoire. Mais l'histoire suppose un
témoin, et comment l'homme a-t-il su ce qui
se passait avant lui au ciel et sur la terre ?
Il n'a pu le savoir d'une science positive et
certaine que par une révélation, et
l'on sent en lisant la première page de la
Genèse l'accent de la prophétie qui
parle avec une extrême
simplicité et une
naïve assurance de choses qui sont
inaccessibles à l'intelligence humaine.
Il est bien vrai que de faux prophètes,
prenant leurs rêves ou leurs
hypothèses pour des
révélations d'en haut, ont
imité le ton et le langage de l'inspiration
divine. Mais quand l'homme se met à deviner
l'histoire, soit passée, soit future, il
fait tant de bévues qu'a sa seconde phrase
on reconnaît déjà qu'il parle
de lui-même et que Dieu n'est pour rien dans
tous ses discours.
Il est vrai encore que de nos jours on tente de
reconstruire l'histoire de la création de la
terre par l'étude des roches et des
fossiles. Mais nul ne prétendra que c'est
par la géologie que Moïse est
arrivé à composer son tableau des
sept jours de la création.
Ainsi donc la Bible, qui finit par une apocalypse
de l'avenir, commence par une apocalypse du
passé.
Celle-ci est d'ailleurs beaucoup plus ancienne que
Moïse ; car elle se retrouve, par
fragments plus ou moins mutilés, chez tous
les peuples anciens. Ces fragments sont une des
preuves les plus fortes de la commune origine des
nations, et supposent que lors de leur dispersion
toutes connaissaient déjà la vision
cosmogonique des sept jours
(1).
Elle formait même, si nous ne faisons erreur,
leur dogme fondamental, la base de toute leur
religion, la grande révélation de
Dieu au peuple primitif, et elle avait
été pour l'humanité
antédiluvienne ce que plus tard la loi de
Moïse fut pour Israël, ou la venue du
Christ pour l'Église. Nous inclinons
à croire que c'est Adam lui-même
à qui l'Éternel a fait
connaître l'oeuvre progressive de la
création du monde et imposé la loi
d'un jour de repos après six jours de
travail.
Mais les révélations
prophétiques ne s'interprètent pas
d'après les mêmes règles que
les livres historiques.
1° S'agit-il des destinées des nations,
la prophétie, quels que soient les
détails où elle entre, a toujours
pour base les lois générales de la
nature humaine et de la justice de Dieu, et comme
ces lois sont vraies des individus aussi bien que
des nations, et des siècles présents
aussi bien que des âges les plus
reculés, tout dans le domaine de
l'humanité devient type et figure. Il en est
de même de la vision des sept jours.
Là, sous la lettre du texte, gît
cachée la grande loi du progrès,
d'après laquelle Dieu a créé
notre monde, et la formule de cette loi, une fois
découverte, s'appliquera à tout ce
qui progresse dans le domaine de la nature
terrestre : aux continents, à la
plante, à l'animal, et même au peuple
et à l'humanité ; car l'univers
est un, et le monde moral est régi par des
lois analogues à celles du monde
physique.
2° Les prophètes voient l'avenir en
raccourci et selon les lois de la
perspective : une longue série
d'événements s'offrent parfois
à leurs regards comme un fait unique, et
d'un seul mot ils résument toute une
époque. S'ils discernent plusieurs plans,
ces plans, pareils à ceux des
différentes chaînes des Alpes vues
depuis le Jura, se rapprochent au point qu'au
premier abord ils semblent se confondre ; mais
en étudiant attentivement les livres
prophétiques, on se convainc que l'ordre
chronologique des siècles futurs n'y est
jamais interverti. La vision
génésiaque nous offre pareillement
l'immense histoire de la création
résumée en sept tableaux, d'une
extrême simplicité, qui n'ont chacun
qu'une ou deux figures.
Si l'on veut se faire une juste idée de
l'intuition prophétique, qu'on examine
comment les nombreux détails que le
deuxième chapitre de la Genèse donne
sur la création d'Adam et d'Ève,
disparaissent dans le premier qui
n'a conservé que le fait
capital. Et cependant, en étudiant avec une
scrupuleuse attention et comme à la loupe le
texte de la vision cosmogonique, on y discerne
certains traits qui font déjà
pressentir tout ce qui se lit à la page
suivante : l'homme en effet est d'abord
nommé seul et la femme ne vient qu'en
seconde ligne. Cet exemple nous montre avec quel
soin a été pesé chaque mot du
récit apocalyptique.
Ainsi il ne serait point impossible qu'au
troisième jour les arbres n'aient
été créés
qu'après les herbes, et au cinquième
les oiseaux après les poissons ; ou du
moins nous pouvons être certains que s'ils
n'ont pas tous reçu au même moment
l'existence, ceux qui sont nommés les
derniers n'ont pas été formés
avant les autres.
3° Dans la vision le temps est une valeur
indéterminée, et le mot de
jour désigne d'ordinaire une longue
période, un jour de Dieu.
Cette simple considération suffit pour fixer
le vrai sens des jours cosmogoniques. C'est
d'ailleurs ainsi que les ont entendus les nations
païennes qui en faisaient des règnes
immenses de leurs dieux
(2) ; et le
développement si lent de l'humanité
qui n'a vu descendre vers elle son Sauveur
qu'après quatre mille ans d'attente, suppose
par analogie une transformation non moins lente du
chaos en une terre très bonne.
Comment d'ailleurs les six jours de la
création seraient-ils de vingt-quatre
heures, quand le soleil n'a été
fait qu'au quatrième, quand la
première nuit est celle du chaos, et quand
le septième jour n'est point encore
terminé maintenant ? Au
quatrième verset du second chapitre, enfin,
les six jours cosmogoniques n'en forment plus qu'un
seul, « celui où l'Éternel
Dieu fit la terre et les
cieux. »
4° Toute révélation ayant pour
but, non de satisfaire la curiosité et
d'avancer les sciences, mais de sauver l'homme par
la vérité divine, le prophète,
dans l'extase, voit la nature telle qu'elle se
présente à lui dans la vie ordinaire
avec toutes les erreurs des sens. De même,
Moïse, dans le récit de la
création, divise l'univers en deux parties,
la terre et les cieux, ne nous enseigne point le
système de Copernic, ignore également
la nature du noyau de notre globe, et ne nous
raconte des phases de l'oeuvre créatrice que
ce qu'en aurait pu voir un témoin
oculaire.
En résumé, la vision cosmogonique est
un livre qu'un savant du plus haut mérite a
commencé à l'usage des ignorants, et
dont il a tracé le plan en le divisant en
sept chapitres. En tête de chacune de ces
sections il a écrit le sujet qui devait y
être traité, et il a laissé
à ses successeurs le soin de remplir toutes
les pages blanches, dont le nombre est fort
grand.
Nous ne pouvons ici admettre l'opinion des
géologues tels que M. Buckland, ou des
théologiens tels que M. Victor de Bonald
(3), qui
rejettent avant le chaos de la Genèse toutes
les époques de la terre qu'a
découvertes la géologie, et font du
récit des six jours celui de la
réorganisation de la surface de notre
planète lors du dernier cataclysme universel
et de la création de l'homme. À ce
point de vue la terre informe et vide serait
simplement la terre déjà toute
formée et depuis fort longtemps couverte de
végétaux et d'animaux, laquelle
aurait été pour un peu de temps
submergée par les eaux ; les six jours
seraient des jours de vingt-quatre heures, et
l'oeuvre de chacun d'eux aurait été
si prompte qu'il serait
impossible à la
géologie d'en retrouver la moindre trace.
Cette interprétation a l'avantage, fort
équivoque, de rendre impossible tout
contact, tout contrôle, toute lutte entre la
Bible et la science, et c'est probablement ce qui a
valu à cette opinion l'empressement avec
lequel on l'a accueillie dans les deux camps. Mais
elle n'est plausible qu'à la condition de
prendre au rabais toutes les expressions du texte
sacré, qui devient ainsi emphatique et
puéril, inexact et fautif.
Le tableau des origines de la terre et des deux
au jour qu'ils furent créés,
n'est plus que celui des petits incidents de la
dernière réorganisation de la surface
terrestre.
Une autre interprétation qui n'a
été encore exposée dans aucun
livre, et qui appartient à M. le professeur
Th. de Genève, consiste à transporter
toute la géologie dans le sixième
jour génésiaque : les animaux du
cinquième jour, les plantes du
troisième auront été
détruits si complètement par les
nuits cosmogoniques, qu'il ne reste aujourd'hui
aucune trace de leur existence, et au
sixième jour ils auront été
créés de nouveau à peu
près selon l'ordre de leur primitive
apparition.
Avec cette explication le récit des six
jours, restant celui de la création du
monde, conserve le seul sens que lui donnera tout
esprit non prévenu, et la géologie ne
pourrait jamais se trouver en conflit avec les
quelques lignes du texte sacré relatives au
sixième jour.
Mais ce sixième jour qui embrasserait
à lui seul toute la série des
révolutions géologiques, acquerrait,
ce semble, une durée
démesurée ; et par analogie
chacun des cinq jours antérieurs devrait
comprendre pareillement des myriades
d'années.
Il se peut que l'avenir amène quelque grande
réforme dans les systèmes actuels des
géologues. Il se peut aussi que
l'intelligence que notre siècle a acquise de
la vision génésiaque, soit aussi
inférieure à celle qu'en
possédera l'Église
future, qu'elle est supérieure aux vues de
saint Basile et de saint Augustin. En attendant, je
tenterai ici de mettre en parallèle les six
jours de la Genèse et les révolutions
géologiques, et de démontrer que
l'accord entre la Bible et la science est
dès maintenant assez grand pour qu'il soit
permis d'affirmer qu'un jour il sera complet.
Déterminons, d'abord, le sens de quelques
mois qui y figurent pour ainsi dire à chaque
ligne : créer, BARA, et
faire, gASAH ; terre,
ARETS, et CIEUX, SCHAMAJIM ;
jour, JOM, soir, gEREB, matin,
BOKER.
BARA a dans toute la Bible une signification
très relevée, qu'on a voulu ravilir
et nier en disant que étymologiquement ce
mot a le sens de couper et
façonner, de forger et
fabriquer, de séparer ou
ordonner.
Mais on oublie que l'hébreu est une
langue profane que les patriarches et les
prophètes ont trouvée tout
achevée, et dont ils ont fait un idiome
sacré en purifiant les anciens sens des
mots.
Ainsi, quoi de plus panthéiste, de plus
païen que le terme THOLDOTH,
générations, pour
désigner les origines du monde !
Ne se croirait-on pas en Égypte où
les principaux objets de la nature
personnifiés et divinisés
étaient les pères ou les enfants les
uns des autres ? Mais aussi Moïse a-t-il
soin d'ajouter un second mot qui corrige le
premier : « Telles sont les
générations des cieux et de la terre,
quand ils furent
créés. »
Ainsi encore RAQIAg,
l'étendue, a beau venir d'un verbe
qui signifie étendre un métal
à coups de marteau, et être
traduit dans les LXX par, et dans la
Vulgate par firmamentum : Moïse
sait bien donner à ce mot le sens d'un
espace libre et vide ; tout comme il emprunte
au langage vulgaire les expressions de
fenêtres ou d'écluses,
et de portes des cieux, sans croire que
les cieux sont d'airain et ont des ouvertures
pareilles à celles de nos maisons. Nos
astronomes s'astreignent-ils donc
à ne jamais parler de la voûte
céleste ?
Pour revenir à BARA, nous dirons que ce
verbe reçoit son vrai sens de l'idée
que les écrivains inspirés se
faisaient de la toute-puissance de Dieu, qui est
pour eux illimitée : « Il
dit, et la chose est ; il retire son souffle,
et tout rentre dans le néant ; les
montagnes tremblent et se fondent devant
lui. »
Aussi ne mettent-ils pas de différence entre
tirer une chose du néant, et la former d'une
matière préexistante ; le
premier n'est pas plus difficile que le second pour
un Dieu à qui tout est possible.
Créer, c'est faire apparaître
quelque chose d'entièrement nouveau, que ce
soient ou les astres appelés du rien
à l'existence, ou les premiers animaux et
l'homme dont les éléments
étaient déjà là, ou de
simples événements historiques que
nous dirions inouïs, ou des faits spirituels
et intérieurs, ou même un peuple qui
ne ressemble à aucun autre
(4).
Faire, ASAH, dans la vision
génésiaque, indique un acte
subséquent à celui de créer,
ainsi que paraît l'indiquer l'expression de
II, 3 : BARA LA gASOTH,
créé pour faire, ou
plutôt créé en faisant,
créé et fait.
Dieu crée la terre qui devient
eau et chaos, et, en séparant les eaux, il
fait l'étendue qui n'est que le
résultat de leur disposition nouvelle.
Il crée la terre ou le monde qui
contient les éléments de tous les
astres du système solaire, et au
quatrième jour il fait le soleil et
la lune qui étaient depuis longtemps en
construction.
Il crée au cinquième jour les
poissons, qui sont les premières
âmes vivantes ; les
quadrupèdes de l'époque suivante ne
sont plus qu'une modification du type de l'animal,
et aussi Dieu les fait.
Le moment est-il venu où l'homme doit
apparaître : quand Dieu se parle
à lui-même, il dit :
Faisons ; car rien n'est nouveau pour
Celui dont les décrets sont
éternels ; mais, quand il
réalise son idée, il crée
l'homme, qui ne continue pas le règne
animal et par qui commence sur la terre le monde de
la liberté.
Cependant Dieu ne crée et ne fait pas toutes
choses seul et par lui-même ; il veut
que la terre concoure avec lui à son oeuvre.
Il est si grand qu'il aime à relever le plus
possible ses créatures et à leur
communiquer de sa puissance et de sa gloire. Mais
ce n'est pas moins chose étrange que cette
part assignée à la nature dans la
création, et, ce qui est plus admirable
encore, c'est le soin avec lequel sa part est
délimitée.
La terre n'est co-ouvrière avec Dieu que
parce qu'il l'a pendant le chaos
pénétrée, vivifiée par
son Esprit. Il lui commande de produire, de
faire sortir d'elle les
végétaux, et, sans autre intervention
divine, elle pousse son jet. Il dit à
la terre de faire sortir de son sein les
quadrupèdes ; mais il est seul à
les faire. Enfin, pour l'homme, il s'adresse
non point à la nature, mais à
lui-même, et le crée et forme de ses
propres mains.
Tout ce que l'Éternel a créé
et fait, l'univers, est désigné dans
la vision génésiaque par les deux
mots de cieux et de terre. En
étudiant le texte de la vision, on se
convaincra aisément que le mot de terre
est pris dans un sens multiple, comme c'est le
cas en français pour le monde qui
s'entend tour à tour des continents ou de la
demeure des hommes, de notre globe
planétaire, du système solaire, et de
toute la création. Il s'agit donc de
déterminer exactement le domaine de la
nature qu'embrasse dans la vision l'expression de
terre ; ce qui restera en dehors, sera les
cieux.
Or, en lisant : Au commencement Dieu
créa les deux et la terre, et la terre
était informe, il est évident
qu'ici les cieux n'étaient pas informes, et
que le chaos ne concerne que la
terre.
On est ainsi tenté au premier abord
d'entendre par les cieux du commencement tous les
astres sans exception, et par la terre notre seule
patrie. Mais en poursuivant la lecture du texte
sacré, on voit la terre informe ou les eaux
du chaos former, en se séparant, un espace
libre qui se nomme cieux, et qui
reçoit plus tard le soleil, la lune et
les étoiles ; le chaos semble donc
avoir contenu le monde entier, et la terre informe
n'être rien moins que l'univers.
Cependant elle ne renfermait certainement pas les
cieux du commencement. Il faut donc tracer une
limite quelconque entre ces cieux et ceux des six
jours.
Cette limite ne peut être
déterminée avec certitude. Toutefois
si l'on considère que l'hébreu n'a
pas de mot spécial pour les planètes,
il n'est pas absolument impossible d'entendre de
ces astres seuls les mots du texte : ETH HA
COCABIM (et les étoiles).
Les premiers cieux seront ainsi pour nous le
monde des étoiles fixes, et les autres le
système solaire. Cette interprétation
a du moins le mérite de la simplicité
et de la clarté ; elle va d'ailleurs
à la taille de notre petite foi. Mais il
serait plus conforme au texte de rapporter à
l'oeuvre des six jours la création des
étoiles fixes et de notre système
solaire, de toute l'armée des vieux,
et d'entendre par les cieux du premier verset
les voies lactées inconnues, les cieux des
anges, les cieux des cieux où est le
trône de l'Éternel.
Reste à déterminer le sens des
mots : jour, soir et matin.
Les jours de la vision, avons-nous vu, sont de
longues périodes. Chaque jour a donc son
histoire propre, bien distincte de celle qui
précède et de celle qui suit. Ainsi
les plantes de la troisième période,
vivant dans un temps où la lumière
qui les éclairait n'était pas celle
de notre soleil, et où il n'y avait ni jours
et nuits, ni saisons, ont dû
nécessairement former une flore
spéciale, qui aura disparu
et fait place à une flore toute nouvelle
lorsque la terre est devenue une planète.
C'est aussi ce que confirme d'une manière
tout à fait inattendue le
deuxième chapitre de la
Genèse, qui nous décrit avec
beaucoup de détails tout ce qui s'est
passé au moment de la création de
l'homme, et qui nous apprend entre autres qu'alors,
c'est-à-dire à la fin du
sixième jour, les plantes actuelles
n'existaient point toutes encore.
Dieu n'avait donc pas créé au
troisième jour tous les
végétaux, et la création des
arbres et des autres plantes, qui a
été l'oeuvre de cette période
antésolaire, ne s'est terminée qu'aux
approches du sabbat divin.
Ce qui est vrai des plantes doit l'être des
animaux : ceux du cinquième jour ne
sont pas nos poissons ni nos oiseaux, ils auront
fait place dans la période suivante à
des espèces nouvelles ; et aussi
lisons-nous dans ce même deuxième
chapitre que les oiseaux contemporains de l'homme
n'ont été créés
qu'après lui.
Le sens du récit génésiaque se
dévoile ainsi à nos yeux, et tout
nous prouve que nous avons bien ici une vision, et
non une histoire ordinaire. Les six tableaux nous
montrent l'ordre exact dans lequel chaque
élément physique, chaque type
d'êtres apparaît, mais ils gardent un
complet silence sur les nombreux changements que
ces éléments et ces types, une fois
formés, éprouvent dans les
périodes subséquentes, soit que ces
changements proviennent, comme pour les plantes et
les animaux, d'actes directs de la Toute-Puissance
créatrice, soit qu'ils s'opèrent
spontanément par les lois ordinaires de la
nature. Ce dernier cas est celui de
l'atmosphère qui, formée au
deuxième jour, s'est successivement
modifiée par l'apparition des plantes
d'abord, puis du soleil, et enfin des animaux.
Quand nous disons que chacun des six jours avait
son atmosphère, ou sa flore, ou sa faune, eu
un mot, son histoire, nous supposons que la fin
d'une de ces périodes et
le commencement de la suivante étaient
marqués par quelque grande crise. Ces crises
sont les soirs, gERED, de la vision. Mais
que Faut-il entendre par ces soirs ?
Tous doivent se ressembler, car ce terme
reparaît identique à la fin du
récit de chaque jour. Les cinq derniers sont
donc ce qu'était le premier, et le premier,
chose étrange, ne vient point clore le
premier jour, mais l'ouvre au contraire et le
commence.
Or, ce soir-là, c'est le chaos avec ses
ténèbres, et les cinq autres sont
ainsi autant d'irruptions que les
ténèbres du chaos font dans l'oeuvre
divine de la création.
Mais le chaos de la vision, qu'est-il ?
Un temps où la terre était
incomposée, désordonnée, vide
de tout être, morte ; peut-être
même était-elle alors une ruine, les
débris d'un monde antérieur. Les cinq
soirs qui ont suivi le premier ont donc
été autant d'époques où
le désordre reprenait le dessus dans la
nature, où la terre se voyait de nouveau
dépouillée de ses productions et de
ses habitants, où tout mourait, et
peut-être où tout était
détruit par d'effroyables catastrophes.
La formule du texte, six fois
répétée : il y eut un
soir, et un matin, ce fut le... jour, signifie
donc que chacun des six jours comprenait une
époque de repos, de mort, de trouble, de
ruine, et une époque d'énergie, de
vie, d'ordre, de création, ou de
restauration. Ce sont là, dans la religion
de l'Inde, les temps de sommeil de Brahma et ses
temps de veille.
Si le récit cosmogonique n'était pas
une vision, nous devrions penser que le matin et le
soir divisaient chaque jour en deux parties
égales, et que rien de ce qui appartenait au
soir ne devrait se trouver dans l'autre
moitié. Mais dans l'extase
prophétique, avons-nous vu, tous les
événements semblables se
résument en une figure unique, et
l'expression de soir et de matin désigne
simplement la double nature de
chaque période qui peut comprendre plusieurs
temps de désordre et plusieurs temps de
création ou de paix. C'est du moins ce qui
résulte de ce même deuxième
chapitre dont la comparaison avec le premier est si
riche en instructions.
Nous y voyons que les quadrupèdes qui
avaient été créés au
matin du sixième jour, avaient, pendant ce
même matin, disparu de la terre ou du
moins du pays d'Éden au temps où fut
créé l'homme ; car ce n'est
qu'après la formation d'Adam que Dieu fit
les quadrupèdes et les oiseaux qui devaient
entourer le roi de la terre.
L'oeuvre des six jours présente donc, du
chaos par la terre bonne à la terre
très bonne, un progrès
interrompu par six grandes crises et par un nombre
indéterminé de plus petites. Mais le
chaos n'est pas le commencement des oeuvres de
Dieu, et en tête de la vision est la
création du monde de l'aurore.
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