DOROTHÉE
TRUDEL
QUATRIÈME PARTIE
Les méthodes de quelques
guérisseurs par la foi
IV
Le Dowiéisme
Il y a quelque temps que le Dowiéisme
existe en Amérique. Dérivé de
la Christian Science dont Mme Eddy se dit la
fondatrice, il en a gardé toutes les
théories. et les méthodes.
C'est spécialement à Chicago
qu'il a progressé, et le travail de ces deux
dernières années a été
particulièrement récompensé
par une augmentation importante des membres de
l'Eglise. Il est même stupéfiant de
voir le nombre des baptêmes,
administrés par les soins de cette
Église, passer de cinq ou six mille en 1899
à douze mille en 1901, et le chiffre total
des membres qu'on évaluait il y a deux ans
à 42.000, approcher maintenant de
60.000.
Le centre du mouvement se trouve près
de Chicago, dans la cité de Sion, autour du
Tabernacle où M. Dowie, le pape de cette
branche de la Christian Science, prêche
à ses fidèles. Cette cité a
eu, elle aussi, son prodigieux
développement. L'emplacement occupé
aujourd'hui par un bourg de plus de 4.000
âmes n'était, le 15 juillet 1901,
qu'une vaste prairie.
Par suite de l'augmentation de son auditoire
M. Dowie a dû transporter son tabernacle
central de Sion qui pouvait contenir
3.000 personnes, dans
l'Auditorium de Chicago, la plus vaste salle
où l'on puisse se faire entendre dans cette
ville et qui peut offrir 5.000 places assises et
2.000 debout.
Ces quelques faits méritaient
déjà d'être
relevés.
Mais l'attention vient d'être
attirée récemment sur M. Dowie et le
Dowéisme par l'adhésion retentissante
de M. Booth-Clibborn de l' « Armée
du Salut », et aussi par un procès
relatif à la manufacture de dentelles de
Sion (1).
Plus récemment encore, les
progrès surprenants que cette doctrine,
Jusqu'alors inconnue en Europe, vient de faire en
Allemagne, nous font un devoir
de mettre en garde bien des âmes contre ses
procédés baroques, prétentieux
et tout à fait dangereux. La propagande est
même si intense dans ce pays voisin du
nôtre, et le succès si prodigieux, que
l'Empereur s'en inquiète. Il interdit
l'entrée de sa cour à ceux qui font
partie du mouvement scientiste. Les
prédicateurs, les hommes
réfléchis ne savent comment lutter
contre ce terrible fléau qui a pour lui
l'argent, les rites et la superstition.
Le docteur John Dowie se fait passer pour
Elie, « le prophète »
mentionné dans le Deutéronome et le
Messager de l'Alliance annoncé dans
Malachie. Selon lui, Elie le Tisçbite fut le
Destructeur ; le second Elie (Jean-Baptiste) a
été le Précurseur ; quant
à lui, le troisième Elie, il sera le
Restaurateur de toutes choses.
À l'appui de ces hautes
prétentions M. Dowie ne fournit aucune
preuve. Il se contente de proclamer qu'il est Elie
et affirme qu'il a reçu
une révélation d'en haut.
Voilà qui est intéressant
peut-être, mais nullement convaincant. Ne
nous faudrait-il pas aussi, à nous, une
révélation pour persuader notre
esprit sceptique ?
En attendant, le nouveau prophète
accomplit avec dignité son rôle.
Peut-être y mêle-t-il un peu trop de
ridicule ? C'est ainsi qu'il se
présente certains jours, sur la tribune de
son Tabernacle central à Sion, avec une
paire de grandes ailes dorées fixées
à ses épaules. C'est
légèrement puéril et il nous
semble que le vêtement de poil rude et la
ceinture de cuir seraient plus naturellement
indiqués. Ce qu'il y a de certain, c'est
qu'il prêche aujourd'hui en grand costume, en
vêtements de soie garnis de batiste, qui
n'ont rien de commun avec la tenue pauvre et
sévère du Tisçbite. Son
épouse aussi, la surintendante Jane Dowie,
est magnifiquement vêtue de soie et porte une
très élégante coiffure
(2).
La vente des livres de Mme Eddy, les cours
suivis, les traitements, les guérisons
opérées remplissent la bourse des
scientistes, et M. Dowie se trouve chaque
année à la tête d'une fortune
immense. Comme on lui reprochait de faire de
l'argent avec la religion, en lui montrant
l'exemple du Christ qui n'avait point reçu
d'honoraires pour les guérisons qu'il avait
opérées, il répondit que le
Christ n'avait pas de frais et que les temps
avaient bien changé.
Il est vrai, qu'après avoir
utilisé pour lui-même une grande
partie de sa fortune, on prête à M.
Dowie l'intention de former un nombre
considérable de missionnaires qu'il lancera
à la conquête du monde. Son but serait
de couvrir chaque continent de cités comme
celle de Sion.
Sion est un grand village étrange.
Pas de débits de boissons, Pas de magasins
de tabac, ni salles de spectacle, ni maisons de
jeu. Pourrait-on en dire autant de beaucoup
d'autres villes ? Mais
pourquoi faut-il que l'exagération
gâte tout et empêche de proposer comme
idéal Sion elle-même ? De sa
cité sainte, le nouveau prophète a
exclu tout hôpital, toute pharmacie, toute
charcuterie. Et il déclare impitoyablement
que ceux qui n'acceptent pas sa doctrine sont
« des apostats à l'égard du
Christ (3). »
Dans cette étrange cité et
dans tous les endroits que M. Dowie ou ses adeptes
vont visiter, des « cliniques de
prière » sont ouvertes. On y
enseigne la doctrine eddyiste, on y vend, outre les
ouvrages « Science et
Santé » et la « Clef des
Écritures » qui sont toujours
considérés comme les moyens les plus
efficaces de guérison, des livres de
prières nécessaires et un autre petit
livre explicatif, de Kimball, au
prix de 50 centimes à un franc. C'est la
préparation.
La clinique de prière est
composée de plusieurs salles luxueuses, dont
les murs sont recouverts de versets bibliques. Tout
y est combiné pour exciter les sentiments
pieux des patients.
Si le mal est rebelle à la lecture de
« Science et Santé »,
à tout l'appareil déployé, au
livre de prière et à la petite
explication de 50 centimes, alors le malade n'a
plus qu'à se soumettre à la
prière des dames de la clinique
(4). Les
honoraires sont de 3 à 4 francs pour les
pauvres et croissent en proportion de la fortune
des clients. « La Science
chrétienne, a écrit quelque part Mme
Eddy, démontre que le patient qui paie tout
ce qu'il est en état de donner pour
être guéri, a plus, de chance de
recouvrer la santé que celui qui refuse un
équivalent si léger pour sa
santé. »
À peine installé dans une des
salles, le traitement commence.
Après avoir écouté sans
grande attention et sans y attacher aucune
importance, le récit de vos douleurs, le
guérisseur prend un visage résolu,
sévère, et, s'asseyant bien en face
de vous, vous regarde fixement pendant une
vingtaine de minutes. C'est à ce
moment-là qu'a lieu le traitement mental. Le
guérisseur cherche à dissiper vos
craintes par l'action intense de sa propre
pensée.
Voici un échantillon
abrégé de ce « traitement
mental » pratiqué par le
guérisseur :
« Je dis en moi-même au
patient : Vous n'avez pas de maladie ; ce
que vous appelez votre maladie est une forme de
votre pensée qui naît de votre absence
de foi dans le bien absolu. Soyez plus fort ;
croyez au bien, absolu ; je vous regarde et je
vois en vous un esprit fort, beau et parfaitement
saint... C'est l'ombre d'un doute qui s'est
répandue sur vous, mais regardez, cette
ombre a disparu... Il n'y a pas dans les
sphères célestes un ange plus sain et
plus divin que vous. - Puis j'ajoute tout
haut : Voilà, votre douleur
est partie et vous ne la
sentirez plus. » L'entrevue se termine
sans qu'il soit question d'ordonnance ;
liberté entière est octroyée
au malade : qu'il se lève, qu'il se
promène, qu'il mange tout ce dont il aura
envie sans songer un instant aux
conséquences possibles ; qu'il ne
s'arrête qu'à ses pensées
agréables et particulièrement
à celle de sa guérison certaine, de
cette guérison qui a déjà
commencé.
Le traitement à distance est
possible, mais c'est l'exception.
Tel est l'homme, telle est la
théorie, telle est la méthode qui en
ce moment bouleversent l'Allemagne. On ne peut
comprendre comment des gens sensés se
laissent convaincre par des absurdités
pareilles, comment les classes dirigeantes d'un des
peuples les plus chrétiens du monde - ce
sont elles surtout qui adhèrent au mouvement
- se laissent entamer par une théorie aussi
peu chrétienne et aussi peu scientifique que
la Christian Science.
Lorsqu'on réfléchit un peu sur
la Christian Science et le Dowiéisme on se
prend à hausser les épaules et
à rire. Il nous semble, qu'on devrait
plutôt gémir, comme, l'écrivait
dernièrement le rédacteur d'un de nos
journaux religieux, « gémir de
voir tout ce qu'il y a de vrai et de
vénérable dans les miracles de la
prière et dans la puissance de la foi
mêlé à ces extravagances et
à ce commerce.
On devrait déplorer cette nouvelle
cause de discorde et de divisions dans le peuple de
Dieu, et, plus encore, l'égarement de tant
de bonnes âmes, crédules et peu
affermies. Et, à notre époque
sérieuse, où tout devient grand et
universel, où il faudrait en
réalité, de nouveaux
prophètes, et de nouveaux apôtres,
vrais et authentiques, aussi humbles et aussi sages
que grands, pour raffermir et armer les croyants et
pour évangéliser le monde, on devrait
s'affliger de voir tant de belles forces perdues,
car il en existe certainement dans les rangs du
scientisme et chez Dowie lui-même ; mais
certes elles sont
gaspillées et perdues, si
elles s'emploient a jeter des multitudes dans les
marécages du fanatisme et de la superstition
(5) ».
Si nous avons fait passer devant nos yeux le
triste tableau des exagérations de la
Christian Science et du Dowiéisme, c'est
tout d'abord, afin de montrer, par la
diversité des opinions de quelques
guérisseurs actuels, l'impuissance où
nous sommes de tirer des conclusions nettes et
scientifiques sur le sujet si délicat des
guérisons par la foi et par la
prière. Non seulement dans le domaine
religieux, nous n'avons pu tout connaître ni
tout contrôler, mais dans le domaine
scientifique, nous sommes incompétents.
Aussi bien, une fois de plus, n'avons-nous voulu
qu'apporter ici des faits, qui pourront servir un
jour à étude plus approfondie
(6).
C'est ensuite pour mettre en garde
guérisseurs et malades, contre les dangers
de certains systèmes trop
exagérés. Il faut savoir se garder
des écueils et rester dans un juste
milieu.
C'est surtout afin d'indiquer, aussi
impartialement que possible, tout le chemin
parcouru par les guérisseurs depuis un
demi-siècle. Y a-t-il progrès ou
décadence ? Avons-nous le droit de nous
réjouir ou d'être dans la
crainte ?
Quant à nous, il va sans dire que,
malgré ses petits défauts et ses
légères exagérations, nous
préférons de beaucoup Mütterli
aux Mrs Eddy et aux Dowie, - la simplicité
de ses cultes à leurs
cérémonies pompeuses, - son amour des
âmes à leur appétit des
richesses, - son humilité à leurs
hautes prétentions, - sa confiance enfantine
en Dieu à leur confiance en eux-mêmes,
- sa prière - pleine de soumission à
leur prière pleine d'exigence, - sa Bible
à leur « Science et
Santé », - son Christianisme
à leur Panthéisme obscur et
froid.
C'est que Mütterli n'a jamais
oublié son enfance, sa mère, ses
conversions, c'est que partout
et toujours, son but fut de rester en communion
intime avec son Sauveur et son Dieu ; son
oeuvre de faire la volonté du Père
qui est dans les cieux ; son idéal,
d'amener quelques âmes repentantes au pied de
la Croix de Celui qui était venu dans le
monde pour sauver les pécheurs, faire
grâce aux humbles et justifier ceux qui
croiraient en Lui.
Diverses opinions sur le don de
guérison
Peut-être s'est-on, dans le courant de
cette étude, posé une dernière
question : Dorothée, Trudel et les
autres guérisseurs s'attribuaient-ils une
faculté de guérir Se sentaient-ils
revêtus d'un don spécial :
Laissons parler d'abord Dorothée
Trudel.
Un jour qu'on l'interrogeait sur les
prodiges qu'elle faisait, elle
répondit : « Ce n'est pas que
nous puissions rien faire par nous-mêmes.
Tous ces miracles, son dans l'âme, soit dans
le corps, résultent de la
vertu du sang du Christ. Mais pour cela il ne
suffit pas de dire je crois au sang du
Christ ; il faut encore vivre de la vie que
Christ nous a acquise par son sang ; c'est
là uniquement ce qui me permet de faire ces
miracles
(7). »
Sa simplicité, était
d'ailleurs remarquable. « Ce que je fais,
disait-elle, vous pouvez tous le faire, chacun
à la place où Dieu l'a mis. Si le
Seigneur a daigné me recevoir, moi,
chétive créature, pleine d'orgueil et
de ruse, s'il a détruit ma méchante
volonté pour mettre la sienne à sa
place, comment ne le ferait-il pas pour
vous »
N'avait-elle pas dit devant le tribunal de
Zurich : « Je ne guéris
personne. Tous ceux qui entrent dans notre maison
sont avertis qu'ils se trompent s'ils croient que
je guérisse. Le but de
l'établissement n'est point la
guérison du corps, mais bien plutôt le
complet affranchissement de
l'âme. »
Et son avocat pouvait faire remarquer aux
juges que la masse des témoignages rendus en
faveur de la prévenue disaient assez qu'elle
n'avait jamais pris de malades en traitement dans
le but de les guérir de maux physiques, et
qu'elle ne leur avait jamais promis la
guérison. Elle amenait ses malades à
adopter son point de vue religieux :
« Si tu as la foi, la prière peut
te guérir ; le Seigneur en
décidera
(8) ».
Dorothée Trudel jugeait seulement bon
de joindre à la prière de la foi
l'imposition des mains et parfois l'onction d'huile
(9)
recommandées par l'apôtre Jacques,
afin que « les malades, en voyant ces
pratiques leur faire du bien, soient conduits
à croire sérieusement à la
Parole de Dieu, et se convainquent bien que Christ,
les prophètes et les apôtres
témoignent la vérité
(10) ».
L'argument nous paraît
assez clair et logique. Mais faut-il ajouter
qu'elle n'attachait en somme à ces pratiques
qu'une importance secondaire. Le verset l'avait
frappée ; elle l'avait appliqué
à la lettre dans les premiers temps ;
comme cela avait réussi, elle avait
persisté. Au fond elle savait bien que ce
n'étaient ni l'imposition des mains ni
l'onction d'huile qui guérissaient, mais
Dieu, exauçant la prière,
répondant à la foi.
Dorothée Trudel ne s'attribuait donc
aucun don de guérison.
D'autre part Blumhardt écrit :
« En prenant chez moi des malades, je
n'ai fait que ce qui rentre dans les fonctions d'un
pasteur, car c'est d'après l'ordre
donné par le Seigneur dans
l'épître de Jacques, que je me suis
mis a prier avec foi. Sans compter sur moi et mes
propres, forces, sans me flatter d'avoir, plus que
tout autre pasteur, le don de
guérison ; je me suis mis à
l'oeuvre comme ministre de
l'Évangile, sachant que
comme tel, j'avais le droit de prier
(11). »
Quant à M. Vignes, un jour qu'on lui
demandait s'il ne croyait pas posséder le
don de guérison dont parle Paul dans
1 Cor. XII, 9, il
répondit : « Si vous
désirez le croire, je le veux bien. Mais
Dieu seul le sait
(12) ».
M. Vignes n'a pas du reste la
prétention d'avoir trouvé quelque
chose d'extraordinaire que personne ne pourrait
avoir après lui et comme lui.
Comment avez-vous trouvé le secret de
cette force ? lui demandait quelqu'un.
- Tout simplement dans le Livre. Le psaume
CIII renferme tout. Pour posséder une
pareille force, livrez-vous à la
volonté de Dieu ; confiez-vous en Lui,
sans réserve et sans
arrière-pensée.
- Mais n'avez-vous pas un certain don, au
moyen duquel vous pouvez faire ces miracles ?
- Je ne fais pas de miracles, je fais
seulement la volonté de Dieu. Nous sommes
trop pauvres pour faire des
miracles. »
Ces déclarations sont nettes,
positives.
Enfin interrogez M. Zeller, le successeur de
Mütterli, et ses aides, ils vous
répondront toujours qu'ils ne
possèdent personnellement aucun don de
guérison. « C'est la foi,
diront-ils, c'est la confiance en la puissance de
Dieu qui agissent ici. C'est lui qui opère,
les guérisons selon son bon plaisir. Pour
nous, nous ne sommes autre chose que des
pécheurs rachetés par Christ,
cherchant à obéir à cet
ordre : Tu aimeras ton prochain comme
toi-même. Il n'est pas nécessaire de
venir à Maennedorf pour recevoir la
guérison et de l'âme et du corps. Il
suffit de croire sans réserve aux promesses
de Dieu, et dans toutes les parties du monde, on
verra s'accomplir des oeuvres pareilles
(13). »
Tel est le témoignage important de
ceux que la multitude sacra un
jour du nom de guérisseurs par la
prière.
Ajoutons à leur témoignage,
celui des visiteurs de Mütterli, de M. Vignes
et du pasteur Blumhardt. Quelle impression ont-ils
ressentie auprès d'eux ?
Évidemment, lorsqu'on se trouvait en
présence de cette grande croyante
qu'était Dorothée Trudel, on se
sentait devant une âme d'élite, qui ne
pouvait tarder à prendre sur votre âme
une influence de plus en plus grande. Sa
volonté était extraordinaire, son
amour dépassait les bornes de ce que l'on
pouvait concevoir, sa foi s'élevait bien
au-dessus des aspirations les plus hardies.
Cependant rien ne prouve que les malades
aient découvert en elle une puissance
surnaturelle, un don miraculeux. Ils sont bien
plutôt frappés de son immense
charité, de sa foi intense, de la puissance
de sa vie intérieure qui la rendait
confiante, calme, joyeuse,
même au, moment des plus
grands soucis, en particulier pendant son long
procès
(14) ; ils
s'étonnaient de voir combien une conversion
pouvait changer une âme, et le Saint-Esprit
produire de fruits dans un coeur qui avait su
s'abandonner entièrement, s'immoler, se
sacrifier pour les autres à l'exemple du
Maître. Dorothée Trudel restait la
grande croyante, l' « âme
juste », celle qui faisait tout
« pour la gloire de Dieu » et
dont Dieu se servait dans son amour pour sauver les
âmes perdues, consoler les coeurs
brisés, guérir les corps meurtris.
Comme Marie, elle était la
« Servante du Seigneur » dans
toute la force et la beauté du terme.
Une dame de Schaffhouse que Dorothée
serra dans ses bras à son arrivée,
s'écria - « Qu'est-ce que
cela ! Je me sens comme si j'étais
auprès du pasteur
Blumhardt. »
D'autre part, Tholuck, le professeur de
Halle, revenant de chez
Mütterli, dit à M. F.
Chaponnière : « Sic hat ein
Charisma, elle a un charisme » ;
mais Tholuck n'envisageait pas, paraît-il,
les charismes comme des dons proprement ou
absolument surnaturels.
Le philosophe Charles Secrétan
écrivit aussi : « Je puis
m'abuser, mais il me semble que le précepte
de l'apôtre sur l'imposition des mains avait
réveillé en Dorothée une
disposition naturelle ; que l'impulsion de sa
charité la portait immédiatement
à chercher le soulagement des personnes
souffrantes, comme la mère presse son enfant
pour calmer ses douleurs ; que sa pratique
était en grande partie le résultat de
ses expériences, et que les raisonnements
théologiques sur lesquels elle l'appuyait,
n'étaient venus qu'après
coup. »
Nous pouvons aussi citer le
témoignage du pasteur F. Schlachter de
Bienne qui raconte qu'à son entrée
dans la petite salle où M. Vignes
réunit ses malades, il sentit
quelque chose de ce que Luc
exprime en ces mots : « La puissance
du Seigneur était là, pour les
guérir ». Il rapporta de son
voyage à Vialas l'impression que Dieu avait
placé cet homme comme une colonne de granit
et qu'en lui se réalisait cette foi dont
Jésus-Christ nous parle et qu'il recommande
à ses disciples.
Nous avons eu enfin le privilège de
recevoir une lettre. d'un pasteur français
nous disant l'impression qu'avait produite sur lui
le pasteur Blumhardt. Donnons-lui la parole :
« J'ai eu l'occasion, dit-il, de
passer le jour de l'Ascension en 1878 à
Baden-Boll et de voir le vieux Blumhardt. Je l'ai
entendu prêcher sur Jésus notre
souverain Sacrificateur pouvant sympathiser avec
nous. Cette prédication, dans cette
Église à peu près remplie de
personnes malades, énervées,
fatiguées, étendues sur des
chaises-longues, m'a laissé une grande
impression : certainement cet homme
était le confesseur de tous ceux auxquels il
s'adressait, et il avait une grande
autorité.
« Et je me rappelle aussi la
prière qu'il fit avant le déjeuner du
matin. Il mentionna très simplement le nom
des amis présents ou absents dont ce jour
était le jour de naissance.
« Blumhardt, avec son cigare, son
rire facile, sa bonne grosse figure réjouie,
m'a laissé le souvenir d'une
personnalité très humaine ;
mais, son regard ! ! Cet homme
était un homme de Dieu, puissant en oeuvres
et en paroles. »
Conclusion
Nous n'avons désiré qu'une chose,
durant tout le cours de cette étude :
apporter des faits. Les résumer maintenant
en manière de conclusion, ce serait les
amoindrir en les dénaturant.
Mais quelles leçons en
tirerons-nous ? quels enseignements ?
quelles directions ?
Il nous semble, tout d'abord, que la vie de
Dorothée Trudel présente certains
côtés capables d'intéresser la
psychologie religieuse, et que nous n'avons pu
qu'indiquer bien à la hâte.
Cette carrière si belle et si bien
remplie n'offre-t-elle pas déjà un
intérêt tout particulier ? Si
cela n'était pas, c'est que nous n'aurions
pas su reproduire en ces pages l'impression que
nous avions nous-mêmes ressentie
profondément.
Mais il y a plus.
Il serait intéressant, pour le
psychologue, de voir tout le rapport qu'il y a
entre la jeunesse de Dorothée et son oeuvre.
On découvrirait peut-être ainsi
l'explication de son inébranlable confiance,
dans l'exemple que lui avait laissé sa
pieuse mère ; le thème de ses
prédications, dans les expériences de
ses conversions et le secret de sa connaissance
approfondie des Saintes Écritures dans
l'éducation fortement chrétienne
qu'elle avait reçue au foyer
d'Hombrechtikon.
D'autre part, en voyant Mütterli vivre,
aimer, consoler, prier et guérir, qui
pourrait encore accuser ses méthodes d'un
charlatanisme quelconque ? Tout, chez elle,
est sincère, franc, loyal. Ce qu'elle dit,
elle le pense ; ce qu'elle prêche, elle
le sent ; ce qu'elle fait, elle le croit
nécessaire et utile. Sa communion avec son
Dieu n'est pas un trompe-l'oeil, c'est le principe
même de toute sa vie. Il serait
intéressant de savoir vraiment si cette
communion avec Dieu fut l'unique
mobile de ses actions, la seule
puissance qui produisit les guérisons
merveilleuses dont Maennedorf fut le
théâtre.
Enfin, la dernière année de
l'activité de Dorothée Trudel, sa
mort ne nous parleraient-elles pas aussi ? Or
voici ce qu'elles semblent déjà nous
dire : comment aimer ses ennemis, comment
espérer contre toute espérance,
comment lutter contre la fatigue et la souffrance,
comment s'éteindre paisiblement à la
vie d'ici-bas sans la vision des choses invisibles,
sans l'assurance de son bonheur éternel,
sans une transformation radicale et complète
du coeur ? Si l'existence de Dorothée
Trudel n'eut été qu'hypocrisie et
mensonge, son oeuvre que charlatanisme et son
dévouement qu'un vain étalage
destiné à cacher des hontes et des
interdits secrets, eut-elle prié pour un
calomniateur, supplié avec tant d'ardeur les
âmes de se consacrer au service de
Jésus-Christ, passé ses jours et ses
nuits à consoler, à aimer, à
guérir ? La science peut ajouter ce
témoignage puissant
à tous ceux qui prouvent
déjà la réalité et la
profondeur de sa conversion.
Et c'est ainsi qu'en creusant, qu'en faisant
des recherches persévérantes et
méthodiques l'on pourrait découvrir
encore, ce nous semble, bien des trésors
cachés dans cette vie si courte mais si bien
remplie.
- Et pourtant, que de richesses nous avons
déjà recueillies !
Le foyer d'Hombrechtikon nous a appris
comment une mère chrétienne doit
élever ses enfants et s'inquiéter
avant toutes choses de leur intérêt
éternel.
Sans imposer à personne un même
type de conversion, nous avons senti qu'une
conversion implique non seulement le sentiment du
pardon, de Dieu, mais aussi le baptême du
Saint-Esprit, un commencement de sanctification et
procure souvent une joie intense.
Puis, - car tout vrai chrétien ne
peut rester inactif, - nous avons assisté au
début de cette oeuvre, avec ses
hésitations et ses
craintes, oeuvre presque
forcée, mais où Dorothée
Trudel aperçut le doigt même de
Dieu.
Au sein de cette oeuvre toujours
grandissante, cet amour, cette confiance, cette
joie que nous avions déjà
admirés en Dorothée, nous les avons
vus se développer, se fortifier et
s'épanouir enfin en fleurs
merveilleuses.
Et dans ce tourbillon continuel d'allants et
de venants, de riches et de pauvres, de malades et
de bien portants, au milieu des cris, des soupirs,
des gémissements, des cantiques, nous avons
écouté, étonnés et
humiliés, ces lectures de la Bible, ces
méditations, ces prières, dont
Mütterli avait fait son unique méthode
de guérison spirituelle et corporelle.
Enfin, pour terminer, la clarté,
l'éclatante lumière, le rayonnement
triomphal. Et nous nous sommes approchés de
cette fin de vie, couronnée par l'amour des
ennemis, la foi dans le succès final et
l'espérance de la vie éternelle
auprès du Père. Y a-t-il tableau plus
touchant, plus édifiant, plus sublime que
celui de Mütterli au soir de sa vie ?
Tous ces souvenirs font encore tressaillir
nos coeurs et nous serions tentés de
contempler et d'admirer toujours, silencieux et
humiliés.
- Mais, pour nous chrétiens, la vie
de Dorothée Trudel est plus qu'une page
intéressante, où le savant est
impatient de découvrir quelque trésor
inconnu, plus même qu'un récit
passionnant que l'on aime à relire, que l'on
quitte à regret et dont le souvenir
entretient et berce longtemps nos rêves.
Il y a dans cette vie tout un enseignement,
disons même toute une
prédication.
Dorothée Trudel a fait une oeuvre
merveilleuse. Qui le contesterait ? Or, pour
accomplir cette oeuvre, elle ne se servit, à
notre connaissance, que de moyens purement
spirituels. C'est d'ailleurs ce que toujours elle
affirma elle-même. Ses armes ne furent pas
des armes humaines ; ce furent essentiellement
les armes bibliques : la foi,
l'espérance et la charité, trouvant
leur point de départ dans
la Parole de Dieu et la cause de leur
développement dans la prière. Et
c'est pourquoi l'oeuvre de Dorothée Trudel
fut merveilleuse, féconde et durable.
L'oeuvre des nouveaux guérisseurs,
dont nous avons, à la fin de ce travail,
relevé les méthodes, sera-t-elle
aussi durable, aussi bienfaisante ? - Pour
nous, nous croyons fermement que l'avenir en fera
justice, et, dès maintenant, nous ne nous
dissimulons point les dangers de semblables
théories. Nous déplorons même
l'apparition de ces pratiques excentriques qui nous
paraissent devenir plus dangereuses pour l'esprit
et le coeur humains à mesure qu'elles
s'éloignent davantage du centre même
de toute vie : Christ, ses enseignements et
son Esprit ; et qui peuvent, nous semble-t-il,
conduire aux plus irréparables
malheurs : la perte du corps et celle de
l'âme.
À cette grande leçon de
fidélité au Christ et à
l'Évangile, Dorothée Trudel ajoute
une grande leçon d'humilité.
« Ce que je fais,
disait-elle, vous pouvez tous le
faire, chacun à la place où Dieu l'a
mis. » Elle ne pensait pas avoir
reçu quelque don spécial,
particulier, qui l'aurait placée au-dessus
des autres chrétiens. Elle ne se jugeait en
rien supérieure à ses frères
en la foi, bien plus, elle suppliait les âmes
de progresser dans la sanctification, afin de
devenir, entre les mains de Dieu, des instruments
utiles pour son service. Et, sur son lit de mort,
elle donna à l'un de ses enfants, cette
recommandation suprême :
« Deviens un imitateur. »
« Deviens un
imitateur. » Cette recommandation de
Mütterli, nous voudrions que beaucoup s'en
emparent pour en faire la devise et le programme de
leur vie, en ce début de siècle
où la foi s'obscurcit, où la Parole
de Dieu n'est plus méditée au foyer
domestique, où la prière devient
facilement une litanie et les convictions
religieuses un haillon que l'on cache avec crainte,
à cette époque où l'on se rit
de ceux qui se disent chrétiens et qui
parlent encore de conversion, de
sanctification, de péché, de salut et
de Christ.
« Deviens un
imitateur », c'est-à-dire
l'imitateur de Dorothée Trudel ;
l'imitateur de sa foi, de sa confiance, de son
amour, de son humilité, de sa
persévérance. Comme elle, cherche
dans la lecture de la Bible et la prière les
réponses à tes angoisses, les
consolations à tes afflictions, le secret
d'être vainqueur, la seule et vraie
méthode pour fonder une oeuvre solide et
durable. Comme elle, cherche la communion du
Christ, ton Sauveur et ton Roi. Il y a tant de
spectateurs, il y a tant d'admirateurs ; il y
a si peu d'imitateurs !
- Mais surtout, t'élevant au-dessus
de la terre, et regardant plus haut que les hommes
qui passent et s'évanouissent dans la nuit
du souvenir, - « deviens
l'imitateur » de Celui qui seul demeure
aujourd'hui et éternellement - de Celui qui
seul a le droit d'être imité, car,
seul ici-bas, il a vécu sans
péché, - de Celui qui seul pardonne
les péchés et, par
son Esprit, rend l'homme capable
de l'imiter, - de Celui enfin, que seul
Dorothée Trudel a tâché de
suivre pas à pas : Jésus-Christ,
le grand Médecin.
Appendice.
Résumons les principales données
du précédent travail dans les
quelques thèses suivantes :
La biographie des grands serviteurs de Dieu est
une source d'édification et
d'apologétique chrétienne.
« La vie des Hommes de Dieu est
une Parole de Dieu. » A. VINET
C'est à la psychologie religieuse
qu'il appartient de résoudre
scientifiquement le problème des
guérisons par la foi.
Les méthodes essentiellement
spirituelles et bibliques sont les seules
efficaces.
Sainteté et santé ne sont pas
deux termes corrélatifs, la maladie
n'étant pas toujours le châtiment du
péché.
Les théories et les méthodes
des guérisseurs anglais présentent
donc les graves dangers de méconnaître
la liberté, de Dieu, de mettre en doute la
foi du malade chrétien et de refuser
à l'organisme les soins
médicaux.
La « Christian Science »
est anti-scientifique et
anti-chrétienne.
La maladie est une épreuve
destinée à rapprocher l'homme de son
Dieu. Elle devrait donc l'amener toujours à
prier pour sa guérison.
Lorsqu'un membre de l'Eglise est malade,
gravement ou non, son premier devoir serait
d'appeler les pasteurs ou les anciens pour prier
avec lui, suivant le précepte de
l'apôtre Jacques. Il faut
décidément réagir contre
« le préjugé qui à
fait des pasteurs des précurseurs de la
mort » (Thraen).
La prière de la foi a une grande
efficace.
« La guérison par la foi
doit rester un humble recours à la
grâce de Christ ; elle ne constitue
point un droit absolu au même titre que le
pardon et le salut. » L. VASSEROT
On ne peut imposer un même type de
conversion à tous les hommes.
En tout cas, toute conversion
véritable doit produire ses fruits.
Mais il faut prendre garde que
l'oeuvre ne tue pas en nous la vie
intérieure.
Au service du Christ, le chrétien
doit abandonner son âme et ses affections, sa
pensée et ses facultés, son corps et
ses membres, sa personne tout entière.
Une triple expérience est
indispensable au salut de tout homme :
recevoir
- 1° la révélation de
l'idéal moral,
- 2° le pardon des péchés
qui ont détrône cet idéal
dans le passé,
- 3° la force de le réaliser dans
l'avenir.
Donc, un Jésus-Modèle ne me suffit
pas ; il me faut encore, et un
Jésus-Sauveur et un Jésus-Roi.
FIN
Quelqu'un
parmi vous est-il malade? Qu'il appelle les anciens
de l'Église, et que les anciens prient pour
lui, en l'oignant d'huile au nom du Seigneur; la
prière de la foi sauvera le malade, et le
Seigneur le relèvera; et s'il a commis des
péchés, il lui sera pardonné.
Jacques V,14 v. 15
N'impose les mains
à personne avec précipitation.
1 Timothée V, v.22
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