J'offre ces quelques pages, comme à l'un des derniers auditeurs survivants de Mütterli.
Qu'il veuille bien excuser l'imperfection du portrait, en tenant compte de la jeunesse du biographe.

L'une des questions les plus délicates parmi celles qui touchent, en même temps qu'au domaine religieux, à plusieurs autres domaines dont il importe de tenir compte si on veut lui donner une solution précise et scientifique, c'est bien celle des guérisons par la foi.

Les guérisons par la foi appartiennent en première ligne au domaine religieux. Justement parce qu'elles n'ont pu encore être définies, elles paraissent effleurées par le surnaturel et échappent ainsi à toute explication strictement scientifique.
Or, en ce moment où la psychologie religieuse fait de sensibles progrès et offre toujours plus d'intérêt aux savants et aux chercheurs chrétiens, il serait bon de lui confier une telle étude, capable d'être traitée par elle avec la méthode scientifique la plus rigoureuse, et de devenir, entre ses mains, un puissant moyen d'apologétique chrétienne. À la psychologie religieuse appartient, nous le croyons fermement, la solution définitive du problème des guérisons par la foi.

Cependant, nous hâterons-nous d'ajouter, cette question intéresse aussi l'exégèse et la critique sacrée, étant donnée l'importance des récits de guérison et des passages bibliques invoqués par les guérisseurs et leurs adversaires, - la théologie biblique, - enfin l'histoire des religions, dont une étude approfondie ferait ressortir ce qu'il y a de religieux dans les guérisons opérées au sein d'autres religions que le Christianisme.

Mais les guérisons par la foi ressortissent aussi, par certains côtés, au domaine purement scientifique. Car il n'est pas douteux, comme le fait très justement remarquer Léon Pilatte, (1) que « la ferme confiance du sujet, l'ébranlement produit sur lui par certains milieux, actes, discours, formules, contacts, cérémonies, détermine dans une multitude de cas où les nerfs surtout sont intéressés, une crise violente qui modifie salutairement son état ». La science médicale a donc le droit d'intervenir et de contrôler aussi les données et les faits.

Peut-être serait-il utile aussi de réclamer une étude particulière de l'hypnotisme tel qu'il est pratiqué par M. Charcot, et de la suggestion mentale ainsi que l'école de Nancy avec le docteur Bernheim. la comprend, afin de distinguer nettement leurs rapports de ressemblance et de différence avec les guérisons par la foi, peut-être même afin de marquer l'impossibilité où l'on se trouve de les concilier.

Alors, tenant compte des lumières apportées par ces différentes sciences, - nous ne pensons pas d'ailleurs avoir épuisé la liste de celles qu'intéresse ce sujet, - peut-être pourra-t-on démêler, dans les cas mis a l'étude, « ce qui est de la nature de ce qui est de la grâce, ce qui est physiologique de ce qui est divin, ce qui prouve ou confirme quelque chose de ce qui ne prouve ou ne confirme rien au-delà du phénomène lui-même (2) ».

Notre travail n'a donc pas la prétention d'apporter la solution du problème des guérisons par la foi, ce qui, dans l'état actuel de la question, nous paraîtrait téméraire et prématuré. Avant d'essayer de conclure, la psychologie religieuse doit amasser des faits en assez grand nombre, pour pouvoir les comparer avec fruit et en dégager les lois.
Ce sont justement des faits que nous apportons à la psychologie religieuse, dans l'espoir qu'elle pourra bientôt les soumettre, avec d'autres, à ses méthodes, à ses instruments de précision et à son labeur.
Aussi bien, avons-nous pensé que la biographie de Dorothée Trudel répondait à notre désir. Sa personnalité si fortement marquée a, en effet, beaucoup contribué, au milieu du siècle dernier, à attirer l'attention sur les guérisons par la foi.

Cette biographie est d'ailleurs très peu connue en France, quelques ouvrages allemands ayant seuls raconté avec quelques détails l'oeuvre accomplie par Dorothée à Maennedorf.
Ce que nous avons en vue, c'est moins d'apporter ici des récits de guérison, impossibles à contrôler aujourd'hui, que de tracer le portrait vrai de cette femme, de mettre en saillie la puissance de sa vie intérieure et les méthodes qu'elle préconisa pour guérir.

Peut-être aurons-nous ainsi contribué en quelque mesure, si minime soit-elle, à hâter la réponse définitive que la science religieuse donnera, après des recherches persévérantes et méthodiques à la question qui nous occupe.
Et d'ailleurs notre peine ne serait pas perdue, si cette étude historique intéressait quelques lecteurs à la personnalité si douce et si attachante de Dorothée Trudel, et si cette vie pleine d'amour, de confiance, de zèle et de dévouement conduisait quelques âmes sur l'étroit sentier du renoncement et de l'obéissance.