DOROTHÉE
TRUDEL
TROISIÈME PARTIE
III
Dernière activité
Dorothée Trudel continua donc son oeuvre
de charité sans s'épargner. Dans son
zèle, elle accomplissait, sans s'en
apercevoir, la parole de saint Paul :
« Je traite durement mon corps et je le
tiens en servitude. » Dure pour
elle-même, elle était pleine de
ménagements pour ses
compagnons de travail. Mais tant de fatigues
avaient fini par épuiser sa constitution, et
cette âme ardente allait enfin goûter
le repos.
Le 25 décembre 1861 fut sa
dernière fête de Noël. De
nombreux étrangers étaient venus,
joyeux de pouvoir passer près d'elle ces
moments bénis. Et dans le village
même, les enfants qui, habituellement,
avaient leur école le dimanche à 3
heures de l'après-midi, savaient bien ce qui
se passait dans la salle des réunions de
Mlle Trudel le 24 décembre au soir. Un ami
avait envoyé de jolis cadeaux :
quelques livres, depuis les petits traités
jusqu'aux sermons de Hofacker. Par d'autres mains
libérales, on avait obtenu divers petits
objets que l'on distribua aux enfants. Tout le
monde fut content et cette dernière
fête de Noël laissa dans tous les coeurs
des souvenirs impérissables.
Si le dernier jour de l'an de Mütterli
fut aussi béni pour elle que son dernier
Noël, il fut plus pénible à
supporter. Dans la nuit de la
saint Sylvestre, on avait tiré les textes.
Dorothée Trudel eut pour elle les trois
suivants :
- « Quel est celui d'entre vous
qui se disposera à offrir aujourd'hui
libéralement à l'Éternel
(1 Chron. XXIX, v. 5.
) ? »
- « Car quiconque voudra sauver sa
vie la perdra ; mais quiconque perdra sa vie
pour l'amour de moi et de l'Évangile, la
sauvera.
(Marc VIII, v. 35.) »
- « Si quelqu'un me sert, qu'il me
suive ; et où je serai, celui qui me
sert y sera aussi ; et si quelqu'un me sert,
mon Père l'honorera
(Jean XII, v. 26.). »
On put voir sur sa figure l'impression
qu'ils produisirent, lorsqu'elle les lut et
lorsque, plus tard, le 21 juin, elle les rappela
dans un de ses cultes.
Elle en conclut qu'elle mourrait dans
l'année et elle le dit.
Le passage, tiré à son
intention le jour de Pâques, fut plus
significatif encore, tellement qu'on hésita
un instant à le lui remettre. C'était
la promesse du Crucifié à son
compagnon de supplice :
« Aujourd'hui, tu seras avec moi en
Paradis
(Luc XXIII, v. 43.). »
Sous cette impression, plusieurs mois avant
l'explosion de l'épidémie qui devait
l'emporter, elle mit ordre à ses affaires,
et, conjointement avec sa soeur, elle légua
ses biens à ses aides, qu'elle avait
formés à la vie spirituelle et qui
travaillaient avec elle à la guérison
des malades par l'imposition des mains : M.
Samuel Zeller et Mlle Anna Weber.
Cependant, la perspective d'une fin
prochaine ne pouvait pas effrayer Dorothée
Trudel. Souvent elle avait
répété que son désir
serait d'être avec son Dieu, si elle avait le
droit de se permettre un tel désir. Mais
dans sa grande humilité, elle sentait
qu'elle n'avait pas encore assez
fait, elle voulait être trouvée sur la
brèche à sa dernière heure.
Elle se remit donc au travail avec une plus grande
ardeur, avec une plus grande activité, en
vue de l'oeuvre que l'Éternel lui avait
confiée et dans laquelle elle voulait
être fidèle jusqu'à la
fin.
Elle ne s'occupait plus d'elle-même.
Tellement qu'un soir elle revint assez tard de ses
visites et s'aperçut que depuis le matin de
très bonne heure, elle n'avait pris aucune
nourriture. Comme elle ne trouvait pas de pain, car
tout était fermé, elle voulut
réveiller quelqu'un ; mais
bientôt elle se repentit de l'action qu'elle
allait faire, parce qu'elle n'avait pas auparavant
prié Jésus. Elle s'agenouilla,
demanda pardon et, par cette prière, elle
fût rendue si forte, qu'elle se releva, ne
pensant plus à manger ; aussitôt
elle se dirigea vers un autre malade.
À mesure que la belle saison
s'avançait, le nombre des visiteurs
s'accroissait aussi : ce qui la forçait
à veiller très tard auprès des
malades. À tout cela, se joignit la
construction d'un nouveau
bâtiment pour les aliénés. Mais
la grandeur de la tâche l'avait
déjà tellement épuisée,
qu'elle était obligée de
s'arrêter au milieu de ses discours, pour
demander silencieusement à Dieu la force de
continuer. Elle ne savait même plus parfois
ce dont elle parlait ; aussi lui arrivait-il
d'être tout étonnée lorsqu'on
lui disait : « Mütterli, vous
avez parlé de ceci ou de cela. »
Mais l'Esprit de Dieu la soutenait
merveilleusement, car ses discours étaient
si édifiants, que beaucoup en furent
remués intérieurement et
transformés.
La saison devenait étouffante,
c'était au mois d'août. Une
fièvre nerveuse, fort maligne, sévit
dans le village et atteignit aussi la maison de
Dorothée, où, malheureusement,
l'insuffisance des précautions
hygiéniques lui réservait
naturellement un développement rapide
(1).
Mütterli se multipliait,
allant d'un malade à l'autre. Ses forces
cependant diminuaient à
vue d'oeil, mais son amour allait grandissant. Sa
constante exhortation était
« Soyez fidèles, attachez-vous
à Dieu seul ! Ne vous attachez à
aucune créature, ne vous attachez point
à moi. Pensez à Jésus et non
à ses chétifs instruments qu'il peut
vous retirer d'un instant à
l'autre. »
Le dimanche 10 août 1862 fut le
dernier qu'elle passa entourée de tous ceux
qui l'écoutaient avec autant de plaisir que
d'attention.
Le mardi 12, elle fit sa dernière
visite de malades dans le village.
Enfin, le samedi 16, elle parla encore avec
beaucoup de sérieux et de vie à la
réunion. Après ces dernières
exhortations, elle alla visiter tous les malades,
mais dut renoncer à voir les
aliénés. Elle en exprima le regret en
rentrant : les forces lui avaient
manqué.
Après un peu de repos, elle voulut
encore écrire, mais cela fut impossible.
Elle se coucha. La terrible maladie était
déclarée.
IV
Derniers moments
(2)
Lorsque le pasteur qui devait faire l'oraison
funèbre, et qui avait été
appelé par le télégraphe du
canton de Berne, fut arrivé, il demanda quel
passage de l'Écriture Sainte il devait
prendre pour texte de son discours. On lui indiqua
le psaume CXVI, qui dépeignait le mieux la
disposition d'âme de Dorothée Trudel
pendant les jours de sa maladie.
Vingt et un jours de vives douleurs, mais
aussi d'abondantes bénédictions
s'étaient succédé pour elle.
Dans ses desseins insondables, Dieu avait
trouvé bon qu'elle fit encore
l'expérience décrite au
troisième verset de ce psaume :
« Les cordeaux de la mort m'avaient
environnée et les détresses du
sépulcre m'avaient rencontrée,
j'avais trouvé la détresse et la
douleur ». Cependant, Dieu en soit
loué, le Saint-Esprit la
soutenait, et elle put avec le quatrième
verset, invoquer le nom de l'Éternel et
s'écrier : « Je te prie,
ô Éternel, délivre mon
âme ! »
Sa vie de prière et l'assurance de
son salut, source de sa force, de sa paix et de son
bonheur, ne tardèrent pas à
reparaître, à tel point que, pendant
des heures entières, quelquefois même
pendant plusieurs heures consécutives, elle
prononçait les prières les plus
admirables et louait, d'une voix forte et joyeuse,
le nom du Seigneur. Il lui arriva souvent, sur son
lit de douleurs, de prononcer de vrais discours, en
particulier sur la liberté des enfants de
Dieu, liberté qu'elle exaltait au plus haut
degré et au sujet de laquelle elle exhortait
les assistants de la manière la plus
pressante. Ces discours étaient bien
coordonnés et prononcés avec
vigueur.
Lorsque les rêveries survenaient, le
nom du Seigneur Jésus et son grand amour
pour nous en étaient encore le thème
habituel. Ainsi elle s'écriait une
fois : « Il est vainqueur,
sur Golgotha il est
demeuré vainqueur ; gloire, gloire,
gloire ! Rendez grâce de ce que le
Seigneur est victorieux. O Sauveur, fais de mes
enfants des vainqueurs, détache-les de tout
ce qui n'est pas de toi, détache-les tout
à fait. » Une autre fois
« Seigneur, garde-nous dans tes blessures
oh ! oui, dans tes blessures, nous sommes bien
protégés ! »
Elle appelait son temps de maladie une forge
dans laquelle le Seigneur amollissait et purifiait
son âme par le feu, où il la serrait
dans l'étau, puis la forgeait et la limait
pour en faire un instrument convenable. Elle
communiquait volontiers quelques-unes des
expériences que lui faisait faire le
Seigneur ; tantôt elle recommandait la
charité à ceux qui
l'entouraient : « Aimez-vous les uns
les autres de cette charité qui se donne,
s'oublie, se sacrifie soi-même »
Tantôt elle les suppliait, disant :
« Oh ne vous ménagez pas ; si
Dieu me rend la santé, personne ne doit plus
me dire : ménage-toi ! »
D'autres fois, elle insistait surtout sur ce que
nous ne devons pas prononcer
tant de paroles inutiles ou frivoles dans nos
discours.
Elle offrait une belle image de la paix des
enfants de Dieu ; l'image d'une âme qui
se repose dans la volonté de son Dieu, qui
lui a volontairement tout abandonné et qui
accepte avec joie toutes ses dispensations et
toutes ses épreuves. Le deuil de ses
compagnons de travail et de tous ceux qui avaient
trouvé asile chez elle était
naturellement bien grand ; jour et nuit, on
recourait à la prière ; les
services en commun avaient à peu près
cessé, mais on priait d'autant plus.
Dans le village même, la sympathie et
l'affliction étaient
générales, car il n'y avait pour
ainsi dire pas une maison où elle
n'eût laissé un monument de son
infatigable dévouement.
Des témoignages de vive sympathie
parvinrent de bien des pays
différents ; ainsi par exemple, le jour
même de l'ensevelissement, il arrivait encore
d'Italie une petite caisse de raisins.
Ce qui caractérisa la dernière
semaine, ce fut le silence. Quelques mots seulement
tombèrent dans les coeurs comme des grains
de semence : « Transportez les
montagnes », dit-elle à l'un de
ses enfants. « Deviens un
imitateur », dit-elle à un
autre.
Le vendredi 5 septembre, ses traits
s'altérèrent subitement. Les siens
entourèrent son lit pour chanter son
cantique de prédilection :
- Laissez-moi, laissez-moi
- Aller à Jésus, mon Roi
- Je languis d'impatience
- De jouir de sa présence,
- De n'obéir qu'à sa loi.
La nuit se passa presque toute en prière.
Sur le matin du samedi, 6 septembre 1862, la malade
se mit à répandre à haute voix
son coeur devant le Seigneur en prières de
louange et d'intercession ; sa voix
s'élevait de plus en plus, au point que M.
Zeller en fut éveillé et courut
auprès d'elle à quatre heures.
D'autres personnes vinrent, et
cherchèrent à lui
prouver leur affection en lui arrangeant ses
oreillers et en lui offrant des boissons
rafraîchissantes ; mais elle ne voulut
pas se laisser interrompre ; elle continua de
la sorte pendant plusieurs heures, puis peu
à peu la voix perd de sa force ; - elle
devient de plus en plus basse, on ne peut plus
comprendre les derniers mots, mais elle prie
encore, et la prière sur les lèvres
et la prière dans le coeur, Dorothée
Trudel s'endort pour la vie éternelle.
***
Tel fut le départ de cette servante
bénie du Seigneur. Elle est entrée
dans la joie de son Dieu ; elle s'est
réveillée auprès de Celui en
qui elle avait cru avec tant de fermeté,
qu'elle avait aimé d'un si ardent amour et
qu'elle avait servi jusqu'à la mort. Ce
coeur fidèle avait cessé de battre,
ces yeux aimants s'étaient fermés,
cette bouche qui avait tant prié restait
muette. Elle reposait bienheureuse et
transfigurée ; un reflet de
l'éternelle lumière illuminait son
visage...
Cependant la louange et l'action de
grâces remplissaient tous les coeurs, et la
paix de cette chambre mortuaire se communiquait
à tous les habitants de la maison. Sachant
que Jésus peut remplacer toutes choses, ils
quittèrent ce lit de mort, consolés
et fortifiés pour soigner avec un nouveau
zèle les malades abandonnés.
Le 9 septembre 1862 réunit une
dernière fois, sur cette terre, tous les
amis et les malades des trois maisons de Maennedorf
autour des dépouilles de celle qui leur
avait ouvert si largement son amour, apporté
tant de bienfaits, de consolations,
d'espérance et donné enfin la paix et
la joie de l'âme eu les menant, avec cette
grande confiance qui la caractérisait, aux
pieds du Jésus qui sauve et délivre,
du Maître qui possède tout : la
guérison, le salut, la vie.
Au milieu du silence et du recueillement, on
conduisit le cercueil au cimetière voisin.
Un pasteur rappela avec simplicité la
carrière si abondamment bénie de
Dorothée Trudel. On
chanta le cantique composé pour cette
cérémonie par son fils adoptif M. S.
Zeller. Puis on laissa au champ du repos ce corps
fatigué par le travail, mais dont
l'âme continuait à s'épanouir
là-haut, dans les cieux, auprès du
Sauveur et du Père qu'elle avait appris
à connaître et à servir avec
confiance et fidélité.
V
Un article de Charles
Secrétan (3)
En manière de conclusion, citons une
partie du magnifique article que Charles
Secrétan, l'un de ses auditeurs les plus
assidus (4), a
bien voulu consacrer à la mémoire de
Mütterli.
« Dorothée Trudel n'a pas
atteint cinquante ans, mais elle semblait plus
âgée. Petite,
contrefaite, maigre et
ridée, son visage resplendissait la joie et
la charité, riaient dans ses regards et sur
sa bouche. Autant l'expression plaintive et
doucereuse d'une dévotion affectée
inspire de répulsion, autant chacun se
trouvait ému et enseigné par la
puissance de vie qui éclatait dans tout son
être.
« Enseigner, prier, consoler,
guérir.., voilà quelle était
sa vie. Ses jours et ses nuits n'appartenaient-ils
pas tout entiers au Sauveur qu'elle imitait ?
Lui en a-t-elle dérobé quelques
heures en plusieurs années ? et
n'est-ce pas en lui qu'elle puisait la force de
veiller, d'agir et de parler sans relâche,
l'étonnante sûreté du coup
d'oeil moral, la naïve sublimité de ses
préceptes, la sanglante énergie de
ses censures et l'indicible intimité de son
amour ?
« Véritable missionnaire au
milieu de la chrétienté, elle ne
voulait au fond qu'une chose, conduire ses
frères à la sainteté. Elle
cherchait à guérir les maladies
corporelles suivant les pratiques en usage dans
l'Eglise apostolique, afin,
disait-elle dans son interrogatoire, que les
malades soient conduits à la foi par cette
expérience personnelle de l'accomplissement
des promesses bibliques : « Qu'on
lui impose les mains et il
guérira. »
Le rite n'était pourtant à ses
yeux, qu'un élément secondaire du
traitement, comme la guérison n'avait pour
elle qu'une importance secondaire. À tort ou
à droit, elle était persuadée
que les maux du corps sont une dispensation de
l'amour divin envers celui qui en souffre,
dispensation dont le but est de l'amener à
se mieux connaître lui-même et à
chercher la guérison de son âme dans
la prière et dans le repentir. Elle pensait
donc que la cause cessant, l'effet cesserait aussi
et que la sanctification du dedans rendrait la
santé au dehors. Cependant elle ne
promettait la guérison à personne,
elle se bornait à dire : « Si
vous vous convertissez, Dieu vous donnera la
santé qui vous est bonne il vous fournira
les moyens de le glorifier ».
« Si la médecine biblique
de l'amie que nous pleurons
avait un caractère exclusif, qui s'explique
aisément par les circonstances de sa vie, sa
manière de comprendre le christianisme
lui-même était d'une singulière
grandeur.
Elle insistait particulièrement sur
la sainteté. Les marques distinctives de la
sainteté, d'après elle,
c'était l'abandon de toute justice propre,
un complet anéantissement de l'âme
devant Dieu, dans le sentiment de sa profonde
misère et de l'absolue gratuité du
salut, le mépris de sa propre chair pour le
service de Dieu, et par-dessus tout l'amour des
pécheurs et le dévouement à
leur salut, à l'imitation de Celui qui nous
a aimés malgré nos
péchés, et qui est mort pour nous
arracher au joug du péché.
« Dorothée Trudel ne
prétendait pas à
l'impeccabilité ; simplement elle
rendait gloire à Dieu de ce que, depuis un
temps plus ou moins long, il l'avait
préservée de chute. Elle ne
prétendait pas non plus à un
état où il n'y eût plus
à combattre, mais elle estimait que le
chrétien doit être vainqueur, et qu'il
n'est vraiment chrétien
que s'il est vainqueur. « Elle pensait
aussi que nous avons quelque chose à faire
dans l'oeuvre de notre conversion, quoique la
conversion elle-même soit un pardon. Nous ne
vivons point si nous ne mourons à
nous-mêmes, et si l'Esprit ne vient vivre en
nous, mais il faut que nous travaillions pour faire
place à l'Esprit.
« En général, les
mêmes idées revenaient
fréquemment dans ses homélies, il
faut l'avouer, et l'on pouvait bien s'y attendre,
de la part d'une ouvrière de la campagne
dont la culture était exclusivement
religieuse, d'une personne si profondément
convaincue et qui prêchait plusieurs fois
chaque jour, sur des chapitres entiers, que le sort
lui désignait au moment même. Mais ces
répétitions plaisaient, après
tout, à ceux qui l'aimaient, et, comment
eût-il été possible de ne pas
l'aimer, lorsqu'on avait subi l'étreinte de
cette dilection si forte, si pure,
universelle ! Elle reproduisait toujours les
mêmes idées favorites, mais toujours
en des tours nouveaux, avec des
récits nouveaux, car son trésor
d'expérience était
inépuisable. Son art était la
simplicité, la vérité de
l'impression immédiate. Elle
possédait un très haut degré
de cette éloquence qui se moque de
l'éloquence.
« Toute son existence se
résumait dans l'oraison. Je n'essaierai
point de rendre par des mots l'impression qu'elle
produisait en priant. Je dirai seulement qu'elle
unissait la raison, le sang-froid, le
sérieux réel, au plus entier abandon,
à la plus brûlante énergie.
Elle rendait sensible la réalité des
choses divines : on ne saurait parler ainsi
qu'à quelqu'un qui vous entend, qui vous
répond et dont vous entendez les
réponses.
« Le nom de Dorothée
signifie don de Dieu ; elle a fait honneur
à ce nom en se donnant elle-même. Le
don complet de soi-même me semble le trait
essentiel de cette admirable figure. Elle a
prouvé aux indifférents, aux
incrédules d'alentour, que le christianisme
n'est pas une forme, une simagrée, mais une
réalité. Aux personnes qui avaient
déjà
prêté l'oreille à
l'Évangile et qui pensaient faire de la
religion leur intérêt essentiel, elle
a donné précisément la
même leçon, qui ne leur était
peut-être pas moins nécessaire. Par
ses discours incisifs et bien mieux encore par la
fin de sa vie, elle a montré que
l'idéal ne nous a pas été
donné pour le contempler seulement, mais
pour le vivre ; qu'il n'y a pas besoin de
laisser une si grande distance entre le discours et
la conduite ; elle a montré avec une
conscience très exacte de son oeuvre, la
vérité du renoncement, la
vérité de
l'obéissance ».
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