Sermons et
Méditations
Tenté de même que nous en
toutes choses.
Nous n'avons pas un souverain
Sacrificateur qui ne puisse compatir à nos
infirmités, puisqu'il a été
tenté de même que nous en toutes
choses, sans péché. Allons donc avec
confiance au trône la grâce, afin que
nous obtenions miséricorde et que nous
trouvions grâce pour être secourus au
temps opportun.
Héb. IV, 15. 16.
Mes frères, c'est en présence
d'une grâce faite à la foi, que nous
placent ces paroles. Elles nous disent que si
l'enfant de Dieu n'est à l'abri ni de la
tentation, ni de la souffrance, il y a pour lui un
secours assuré, et elles le pressent de s'en
souvenir à l'heure difficile. Il arrive au
chrétien de se faire je ne sais quelle
idée vague des bénédictions
qu'apporte à sa vie l'Évangile auquel
il a cru. Il voit le salut rayonner sur son
existence, mais comme une vertu lointaine
seulement, dont les effets ne se produisent pour
l'âme et le coeur que de temps à
autre, dans telle heure de grâce et au jour
surtout où le pauvre pécheur vient
frapper à la porte du ciel. Mais ce qu'il a
l'air d'oublier, c'est que
Jésus-Christ peut et veut être pour
lui un Sauveur de tous les instants, un Sauveur se
mêlant, avec une infinie bonté et avec
une infinie puissance, à la vie quotidienne
de son racheté, un Sauveur prêt
à lui tendre une main secourable dans
n'importe quelle circonstance, quel embarras, quel
danger, quelle peine - un Sauveur de près,
en un mot, réalisant en plein sa promesse
d'être avec les siens toujours jusqu'à
la fin du monde ! Ah ! qu'ils sont rares
encore, dans les rangs des croyants, ceux qui
savent et qui comprennent ce que Jésus,
après avoir partagé, dans les jours
de sa chair, la vie dont nous vivons, sera pour
l'homme qui regarde à lui !
L'Évangile, par la bouche des
serviteurs du bon Maître, le dit et le
répète. Il nous apprend que si le
Fils de Dieu a voulu connaître notre sort
jusque dans ses détails, c'est afin de
pouvoir compatir à nos infirmités et
secourir ceux qui sont tentés. Mais nous,
tour à tour incrédules et craintifs,
manquant de confiance, nous n'allons pas, comme
nous devrions, au trône de la grâce
pour obtenir miséricorde et trouver
grâce. Secours, forces nouvelles,
consolation, paix et pardon, Dieu a tout
préparé pour nous en
Jésus-Christ. Et nous, troublés,
inquiets, faibles et coupables, nous passons devant
ces dons, sans avoir l'air de les voir!
Instruis-nous donc, Seigneur, parle-nous,
donne-nous des coeurs qui comprennent, des mains
qui sachent prendre ce que tu offres, des
lèvres qui te bénissent de ce que tu
donnes, et que nous disions, nous tous qui sommes
tentés et qui
souffrons : Je me lèverai et j'irai
à Jésus-Christ ! N'avez-vous
jamais eu de la peine, mes frères, à
croire que l'homme, tel que vous le connaissez, a
été créée à
l'image du Dieu vivant ?
Eh quoi ! cet être qui pleure en
naissant, que la souffrance guette au premier pas
qu'il accomplit sur la terre et qu'elle accompagne
jusqu'à ce que fatigué, brisé,
il s'étende sur sa dernière couche
pour mourir ; cet être constamment
éprouvé et pour lequel les jours de
bonheur même engendrent la tentation et ne
sont jamais sans quelque mélange
d'amertume ; cet être dont, tout bien
compté, la vie entière est un combat
à soutenir contre les ennemis du dedans et
les ennemis du dehors, cet être-là
aurait été fait à la
ressemblance du bienheureux et seul Prince, le Roi
des rois et le Seigneur des seigneurs ? Il n'y
a pas à en douter, toutefois :
l'Écriture nous révèle qu'au
commencement de toutes choses, l'Éternel
Dieu créa l'homme à son image. Mais
il est un fait plus étonnant encore, c'est
que, lorsque le péché eut surgi,
qu'il eut plongé dans la désolation
ceux que Dieu avait destinés au bonheur et
qu'il eut changé toute gloire humaine en
confusion de face, Dieu a pris la ressemblance de
l'homme, non pas de l'homme tel qu'il eût
été sans le péché, mais
de l'homme malheureux, affligé et
humilié à la suite de son
péché. Dans la personne de son Fils
bien-aimé, son autre lui-même, je le
vois s'anéantir, paraître sur cette
terre de péché et de misère,
prendre la forme de serviteur, se rendre semblable
aux hommes en toutes choses. Je
vois Jésus-Christ devenir
tel que je suis, revêtu d'une chair semblable
à la mienne, marchant dans le chemin
épineux ouvert devant nos pas,
épouser mon existence avec tout ce qu'elle a
de pénible et de douloureux. J'apprends
enfin qu'il a souffert, qu'il a été
tenté de même que moi en toutes
choses. Moi, créé un jour à
l'image de Dieu, mais semblable aujourd'hui
à l'enfant prodigue, privé des
douceurs et des grâces de la maison
paternelle ; et Jésus, le Saint et le
Juste, créé à mon image
altérée par le péché,
livré à la souffrance, exposé
à la tentation ! Quel renversement des
destinées !
Je n'ai pas à m'occuper dans ce
moment de ce que la bonté de Dieu aurait
voulu faire de nous avant que, dans un jour
terrible entre tous, le paradis se fermât sur
les premiers coupables. Ma mission, aujourd'hui,
est plus belle et doit avoir un caractère
plus émouvant. Sur la foi de ceux qui l'ont
vu de leurs propres yeux, je dois parler de ce
Sauveur qui, du ciel, est venu vivre sur la terre
de la vie dont nous vivons. Avez-vous cru que,
quoique né dans ce monde, il ait,
malgré tout, voulu être encore
égal à Dieu sous son apparence
humaine, échapper à nos luttes et
à nos misères ?
Détrompez-vous. Il n'est pas
d'épreuve, ni de souffrance qui lui ait
été épargnée ou qu'il
ait essayé de repousser. Tenté de
même que nous en toutes choses, c'est ainsi
que nous le montrent les Évangiles.
Tenté, selon le double sens que peut prendre
ce mot : tenté par la tentation
s'approchant de lui,
l'assaillant à l'heure
propice, se présentant sur sa route dans la
personne du Prince des ténèbres, dans
la personne d'un de ses disciples même ou
dans telle situation de sa vie, - comme Abraham fut
tenté par Dieu, éprouvé par
des dispensations divines obscures et douloureuses,
éprouvé par l'approche d'une coupe
remplie d'amertume qu'il a l'ordre de vider
jusqu'à la lie, éprouvé dans
son âme et dans son corps. - Et à la
tentation s'est jointe la souffrance. Il a
souffert, ceux qui l'ont suivi de près
l'affirment si haut qu'on pourrait résumer
dans ce seul mot l'histoire de sa vie tout
entière. Il a souffert, si bien qu'il n'est
pas de souffrance humaine dont il ait ignoré
les tristesses. Aucune de nos maladies qu'il n'ait
portée, selon la parole du
prophète ! Pas de fardeau qui n'ait
pesé sur ses épaules avant de peser
sur les nôtres ! Pas de combat
destiné à l'homme, où il n'ait
été appelé à
résister jusqu'au sang !
Souffrances physiques, souffrances morales,
ingratitude de la part de ceux qu'il avait
comblés de témoignages de sa
bonté, efforts d'une charité toujours
patiente, constamment renouvelée, mais
échouant sur des coeurs durs comme le roc,
tel a été son lot ! Et dans sa
souffrance, cet homme comme nous nous a
ressemblé si parfaitement que l'oeil des
autres n'a pas découvert tout ce qui l'a
blessé. Sa vie, comme celle du plus petit
d'entre nous, a eu ses secrets de souffrances que
Dieu seul a vus. Ces plaies, dont nul ne se doute
sinon celui qu'elles affligent et qui sont
douloureuses entre toutes,
lui
aussi et lui le premier, il les a connues. C'est
ainsi qu'il a appris ce que c'est que d'être
homme. Entre lui et nous, entre nos conditions et
les siennes, entre sa vie et la nôtre, il n'y
a que cette seule différence, c'est que nous
avons cédé à la tentation, et
que lui, il est resté fidèle ;
c'est que nous, nous avons protesté contre
notre sort, et que lui, il a accepté le sien
avec une soumission parfaite ; c'est que nous
avons péché, et que lui, il est
demeuré juste. Tenté de même
que nous en foules choses, mais sans
péché. Ce qu'a été,
ici-bas, le Fils de Dieu, on n'aurait pu le dire
avec plus de précision et de
vérité.
Or, mes frères, cette existence du
Fils de Dieu dans nos rangs a quelque chose
à nous apprendre. Au nom même de Celui
qui l'a vécue, je place devant elle mes
compagnons d'épreuve et de douleur, ceux qui
sont affligés et qui pleurent. Quel que soit
leur besoin, leur chagrin, leur peine, leur
infirmité, ils trouveront ici
l'encouragement que leur âme attend et
désire. Qu'ils regardent à
Jésus-Christ homme, et que du spectacle que
contemplent leurs yeux, ils laissent
l'écrivain sacré tirer cette
conclusion : Nous n'avons pas un souverain
Sacrificateur qui ne puisse compatir à nos
infirmités, puisqu'il a été
tenté de même que nous en toutes
choses, sans péché. En ce qu'il a
souffert lui-même et été
tenté, il peut aussi secourir ceux qui sont
tentés. Paroles simples, mais grandes pour
le coeur ! Qui ne les comprendrait ? Quel
coeur ne les accueillerait, comme on accueille le
plus bienfaisant des messages ? Elles
établissent entre le
sort, la vie et les expériences de
Jésus, et mon sort, ma vie et mes
expériences à moi, un rapport
touchant. Elles me disent que, si Jésus, au
nom du Père, est venu sentir le feu de la
tentation et goûter les amertumes de la
souffrance, il peut aussi se mettre à ma
place, compatir à ce qui se passe dans ma
vie et dans mon coeur, souffrir avec moi comme nous
souffrons avec celui dont une expérience
personnelle nous a fait comprendre la douleur. Mais
n'y a-t-il pas là un baume sur nos
blessures, un rayon de lumière
répandu sur la route souvent obscure
où nous marchons ? Croyant, dis
à ton âme que dans le sanctuaire
céleste, il est un souverain Sacrificateur
qui a été tenté de même
que toi en toutes choses, afin de pouvoir compatir
à tes infirmités. Crois à ces
compassions dont le coeur de Jésus
déborde et qui te sont garanties par sa vie
sur la terre que tu foules.
Crois à ces compassions aussi tendres
que fidèles qui enveloppent et l'ensemble de
ton existence et chacun de ses détails.
Crois à ces compassions meilleures
que celles du plus dévoué et du plus
excellent d'entre tes frères. Les
compassions humaines peuvent être
stériles, celles de Jésus ne le
seront jamais. À sa commisération
pour celui qui est tenté et qui souffre se
joint le pouvoir de le secourir. Tel est le
privilège que le Père lui a
accordé après l'avoir vu soutenir la
lutte et endurer la souffrance. Crois donc en la
puissance qui lui a été
donnée, après avoir cru à ses
compassions infinies.
Crois en la souveraine vertu de ses mains,
meurtries un jour pour toi sur
la croix, et qui se tendent vers toi, aujourd'hui,
de la gloire du ciel. Et s'il ne se trouvait dans
ce monde personne pour te comprendre, personne non
plus auquel tu pusses confier ce qui t'humilie,
t'éprouve et t'afflige ; personne pour
te secourir et personne pour te sauver, crois
toujours, crois fermement en Celui dans lequel Dieu
lui-même s'est abaissé jusqu'à
toi ; crois en Jésus-Christ, le Sauveur
compatissant et le Sauveur puissant ; crois en
lui de cette foi qui est une pleine confiance, et
va chercher auprès de lui ton salut!
À nous, en effet, à nous
maintenant, d'apprendre pour notre bonheur une
leçon suprême. Pour le pécheur
tenté et éprouvé, elle se
dégage des instructions que Dieu
lui-même lui donne par la personne et la vie
de Jésus-Christ, homme au milieu des hommes.
Allons donc avec confiance au trône de la
grâce, dit l'Écriture, afin que nous
obtenions miséricorde et que nous trouvions
grâce pour être secourus dans le temps
opportun !
Doux appel ! Il me montre mon chemin,
il m'autorise à faire ce que, moi, pauvre
pécheur, je devrais craindre de faire. Il me
dit que le trône de la justice est devenu
pour moi le trône de la grâce, puisque
Jésus s'y tient et qu'il y fait
prévaloir l'efficace perpétuelle de
son sacrifice. Il me presse d'y porter par la foi,
avec une entière confiance, mes embarras, ma
peine, mon fardeau, mon coeur tenté, mon
âme éprouvée, ma misère,
ma perdition, tout ce qui me tourmente et me
blesse, ce qui me prive de la gloire qui
vient de Dieu, me couvre de
honte et me condamne ; et, en retour de mes
aveux, de mes supplications, il me promet
miséricorde et grâce, secours dans le
temps opportun. Quelle est, mes frères, la
vie chrétienne qui ignore ces jours,
douloureux entre tous, où Dieu semble cacher
sa face, fermer son oreille, frapper au lieu de
bénir, et où le coeur doit convenir
en tremblant que le châtiment qui l'atteint
est mérité ? Mais dans cette
extrémité même, dans cette
extrémité surtout, il y a
miséricorde et grâce pour qui les
cherche en Jésus-Christ. À lui donc,
qui est plus grand que notre coeur. À lui,
nous les faibles pour trouver la force !
À lui, nous qui sommes
découragés, il nous rendra le
courage ! À lui, nous qui
succombons ; il nous donnera la
victoire ! À lui, nous qui sommes
coupables : il pardonne ! À lui,
nous qui sommes perdus ; il sauve !
À lui, afin d'obtenir miséricorde et
de trouver sous quelque forme que ces dons nous
soient nécessaires ! À lui,
prêt à nous faire selon les
compassions de son coeur et la puissance de son
bras ! À lui, rendu semblable à
nous un jour, afin que par son oeuvre d'amour, il
rétablît dans ses frères
l'image du Dieu saint et vivant, qu'il les
ramenât au Père et leur rendit le
bonheur ! Amen.
Portez les
fardeaux les uns des
autres
et accomplissez ainsi la loi de Christ.
Gal.
VI, 2.
Je n'avance rien de nouveau, mes frères,
en disant que le monde, toujours en quête de
reproches à faire à l'Évangile
de Jésus-Christ, prête aux disciples
du Seigneur les dispositions de ce pharisien qui,
debout dans le temple, se vantait de ne pas
être comme le reste des hommes. Cette
accusation, nous la repoussons, parce qu'elle est
fausse. La Bible que nous lisons,
l'Évangile, Jésus-Christ dont nous
reconnaissons l'autorité sur nos âmes
et dans lequel nous saluons notre seul Sauveur, nos
expériences chrétiennes aussi, nos
souvenirs d'hier et nos souvenirs d'aujourd'hui,
tout s'unit pour nous dire, sans ménagement
pour notre orgueil, que nous sommes de pauvres
pécheurs, et, convaincus de la justesse de
ce verdict, nous acceptons l'humiliation. En un
sens, cependant, le monde ne se trompe pas :
ce même Évangile qui nous abaisse,
nous autres chrétiens, nous
élève aussi, crée pour nous,
parmi nos semblables, une situation à part,
nous met sous le régime
d'une loi d'exception, nous investit de charges qui
ne sont pas pour tous. Vous êtes, nous dit-il
par la bouche de Saint-Pierre, la race
élue ; vous êtes sacrificateurs
et rois, vous êtes la nation sainte, le
peuple acquis, afin que vous annonciez les vertus
de Celui qui, des ténèbres, vous a
appelés à sa merveilleuse
lumière. Et si frappés de la
beauté et de la grandeur de ces titres, nous
demandons quel est le ministère auquel ils
nous destinent, je veux dire quelles sont les
fonctions royales et sacerdotales que nous avons
à remplir, St-Paul nous les signale dans
cette ligne qu'il écrivait aux
chrétiens de la Galatie : Vous qui
êtes spirituels, portez les fardeaux les uns
des autres et accomplissez ainsi la loi de
Christ.
Jésus-Christ a pris sur lui nos
fardeaux : Venez à moi, vous tous qui
êtes travaillés et chargés et
moi, je vous soulagerai; voilà son appel, sa
vocation, sa joie. « Il naquit pour
servir, et servir fut sa gloire. »
Dès lors, la route est tracée devant
nos pas, à nous qui croyons en son saint nom
et qui avons accepté son salut. Faire comme
le Maître, lui ressembler dans son oeuvre de
secours, de soulagement, de miséricorde,
accourir vers ce frère que nous voyons
courbé. sous quelque fardeau, lui aider
à le porter, en charger nos épaules,
ce sera là notre mission, la mission du
chrétien ; ce seront là les
conditions nouvelles et exceptionnelles où
nous place, sur cette terre, l'Évangile de
Jésus-Christ.
I
Portez les fardeaux les uns des autres !
Ordre étrange, en effet, étrange
aussi longtemps que je l'envisage des yeux de
l'homme irrégénéré qui
ne connaît que les faiblesses et les lois de
ce monde. Cet être que la Bible appelle
l'homme naturel (par où elle entend l'homme
qui ne connaît ni Jésus-Christ, ni les
vertus régénératrices de
l'Évangile), cet homme naturel ne songe
qu'à lui-même et ne connaît que
sa peine. Demandez-lui de se souvenir de celle du
frère qui est à ses
côtés et, presque toujours, il la
déclarera plus supportable que la sienne
propre, moins réelle, moins pénible,
moins digne de compassion que celle qui pèse
sur ses épaules. Il ajoutera que sa force ne
suffit point pour porter son propre fardeau ;
comment lui servirait-elle à porter celui
des autres ? Et si cet homme, jaloux,
malgré tout, de se faire la
réputation d'être bon, serviable,
compatissant, généreux, ne refuse pas
toujours son aide ; si cet homme, dans telle
occasion qui appelle la compassion à grands
cris, prête à quelque malheureux
l'appui de son bras ; s'il tient à ce
que, de temps à autre, un fruit excellent
apparaisse sur l'arbre de sa vie, une vertu, un
acte de charité, un sacrifice qui fasse
parler de lui, non, ce ne sera pas là ce que
St-Paul entend par cette parole : Portez les
fardeaux les uns des autres. Cet homme dont je vous
parle, sera toujours sous la loi de ce monde qui
admet et protège l'égoïsme du
coeur naturel. Il ne sera pas
sous la loi de Jésus-Christ qui ordonne
cette chose nouvelle, inouïe partout où
l'Évangile ne règne pas, impossible
là où Jésus n'a pas
été reçu et où
Jésus n'est pas aimé, cette chose qui
se nomme l'oubli journalier et incessant de
soi-même au service du
frère !
Portez les fardeaux les uns des autres, vous
qui êtes spirituels ! Quel ordre !
Il établit entre les croyants une communion
de peines, de souffrance même, qu'ils auront
à accepter volontairement et joyeusement,
dans la force que Jésus-Christ leur donnera.
Jusqu'où s'étendront ces
obligations ? Où
s'arrêteront-elles ? Il serait difficile
de le dire. Partout où le chrétien
voit un frère marchant sous le poids de
quelque fardeau, partout où il devine une
peine, une souffrance, il se doit à cette
infortune. Sa mission ne finira pas même
là où il sort des rangs de ceux qui
confessent avec lui leur foi au Sauveur du monde.
Pourrions-nous croire l'Évangile
étroit à tel point qu'il nous
permît de ne secourir que les membres de nos
Églises ? Serait-ce là l'exemple
que Jésus a laissé aux siens ?
N'a-t-il pas pris sur lui n'importe quel fardeau et
le fardeau de n'importe qui ? À nous de
nous souvenir de sa manière d'agir, et de
l'imiter.
Il est, mes frères, une
catégorie d'hommes que leur vocation
terrestre place, bien particulièrement, en
présence de ce devoir commun à tous
les chrétiens, et qui sont appelés,
j'allais dire d'office, à porter les
fardeaux de leurs frères. Ce sont les
ministres de la Parole, les
pasteurs du troupeau, les serviteurs de
Jésus-Christ dans son Église. Leur
tâche, s'ils la comprennent, s'ils ont
à coeur de l'accomplir, est grande,
infiniment plus lourde qu'on ne le croit
communément, beaucoup plus riche qu'on ne le
pense en humiliations journalières. Ce sont
eux qui, les premiers, éprouvent tous les
jours à quel point il est difficile à
l'homme de porter, avec son propre fardeau, celui
des autres, et à quel point la force
naturelle de l'homme est insuffisante pour ces
choses.
Ah ! je ne m'étonne pas qu'un
St-Paul même, fléchissant sous le
poids de son ministère, ait demandé
les prières de ces Églises,
auxquelles il adressait ses lettres. En
réclamant ce secours, il était
incontestablement dans son droit. Si le pasteur
doit porter le fardeau de l'Eglise, l'Eglise aussi
doit porter le fardeau du pasteur. Elle manquerait
à son devoir, elle s'écarterait de la
voie de Jésus-Christ, si elle se contentait
d'être servie, de recevoir, d'être
soulagée. Elle a, vis-à-vis de son
conducteur spirituel, des obligations
sacrées. Et plus le fardeau est pesant sur
les épaules de celui qui est appelé
à la guider, plus elle sera jalouse de le
porter avec lui.
Et ceci nous amène au cercle de ceux
qu'une commune foi unit à un Sauveur commun
à tous, à la famille de
Jésus-Christ dans son ensemble. Au sein de
ce troupeau, mis à part, au milieu de la
génération perverse et
incrédule d'un monde qui n'a pas connu Dieu,
ni gardé sa Parole, au sein de l'Eglise
chrétienne que je ne
confonds avec aucune de nos dénominations
spéciales, doit être constamment
rappelé et fidèlement pratiqué
cet ordre apostolique : Portez, les fardeaux
les uns des autres. Il serait bon qu'on le
gravât sur les murs de tout intérieur
chrétien, afin que l'oeil
l'aperçût dès le matin et que
le coeur n'eût jamais la possibilité
de dire pour son excuse qu'il l'a oublié.
Sur les murs d'abord qui abritent la famille
chrétienne. Quelque incroyable que cela
puisse paraître, il n'en est pas moins vrai
que les membres de la famille même selon la
chair ne songent pas toujours à porter les
fardeaux les uns des autres, eux auxquels les lois
de la nature prêchent ce devoir avant
même que l'Évangile le leur signale.
Sur les murs, ensuite, entre lesquels
s'écoulent les existences solitaires qui
poussent au service de soi-même, parce
qu'elles ne connaissent pas les obligations
naturelles. Qu'en pensez-vous ? ne
seront-elles pas également privées de
contentement d'esprit, de paix, de bonheur et de
joie, jusqu'au jour où se
révélera à elles,
illuminée d'un rayon d'en haut,
expliquée par le St-Esprit, cette parole de
l'apôtre : Portez les fardeaux les uns
des autres ? Ah ! la belle, la grande
vocation que celle-là ! Combien digne
du chrétien, combien digne de remplir notre
temps, d'occuper nos pensées, combien propre
à donner de la valeur à notre vie en
la rendant utile ! Dites donc aux jeunes,
dites aux vieux, dites à tous les âges
représentés dans l'Eglise du
Seigneur, dites à tous ceux qui, avec nous,
courent au-devant du même but,
dites-leur,quelles que soient
d'ailleurs leurs circonstances et leurs
occupations, dites-leur qu'ils sont appelés
à porter les fardeaux les uns des autres, et
que c'est par l'obéissance à cet
ordre qu'ils accompliront la loi de Christ.
Oui, mes frères, plus les membres de
l'Eglise de Jésus-Christ auront compris par
le coeur, et mieux ils pratiqueront la règle
divinement établie pour le bien de tous,
plus aussi ils éprouveront cette
satisfaction intime que l'Évangile seul
procure, soit qu'il ordonne, soit qu'il donne. Et
plus, à l'exemple de leur Maître, ils
seront larges et généreux dans
l'exercice de leurs fonctions sacrées, plus
aussi ils seront bénis et
récompensés par grâce. Autour
d'eux, dans le monde que déchirent les
envies et les jalousies, où chacun suit son
propre chemin, où les épreuves
frappent sans qu'il y ait une consolation
apportée par l'Évangile, dans ce
monde, chrétien de nom seulement, que de
fardeaux lourds à porter, que
d'épaules qui fléchissent, parce
qu'il n'y a personne pour les soulager ! Un
champ d'activité immense s'ouvre ici pour le
chrétien. Qui aura pitié, qui aidera,
si ce n'est lui, par lequel seul peut se
perpétuer le ministère de Celui qui
s'écriait : J'ai compassion de cette
foule ! Qui, si ce n'est lui, mettra la main
à l'oeuvre, là où, d'avance,
il faut renoncer à rencontrer quelque
réciprocité de service, d'affection
ou de sacrifice, là où il faut donner
sans rien attendre en retour, se donner sans
même pouvoir espérer être
compris ni remercié !
Portez les fardeaux les uns des
autres ! Mes frères,
voilà notre tâche.
Il ne nous appartient pas, à nous qui sommes
spirituels, de demander avant tout qui nous aidera
à porter notre fardeau, à nous, faire
cela, ce serait tenir le langage du monde. Non,
l'Évangile nous élève ;
l'Évangile nous réserve une vocation
qui n'est pas d'ici-bas, bien qu'elle doive
s'exercer sur cette terre de peines et de
fatigues ; l'Évangile nous dit de
prendre le fardeau des autres et de le porter.
Comment faire pour lui obéir ?
II
Il faudrait donner ici autant de réponses
qu'il y a de cas particuliers, de circonstances
individuelles. Les fardeaux que nous apercevons et
dont nous soupçonnons l'existence sont de
nature infiniment diverse. Depuis le fardeau du
péché oppressant une conscience
réveillée sous l'action du St-Esprit,
depuis les tourments d'une âme
angoissée au sujet de son salut, jusqu'au
fardeau d'un embarras momentané, d'une
santé affaiblie, d'une tâche
journalière trop grande ou peu conforme aux
goûts de celui auquel elle est
confiée, d'une épreuve domestique,
d'une situation difficile, quelle
variété de peines et de
souffrances ! Et si je me dis que, parmi tous
ceux qui vivent à mes côtés, il
n'en est pas un seul qui n'ait sa part, grande ou
petite, connue ou inconnue, du fardeau
commun ; pas un non plus dont les besoins de
secours soient les mêmes que ceux de tel
autre, je serai tenté de reculer
devant l'appel de Dieu et
de me
déclarer incapable de faire ce qu'il me
demande. Porter les fardeaux les uns les
autres ? Mais, pour vaquer à ce
ministère, il faudrait la sagesse du ciel et
la charité de Jésus-Christ
même ! Et nous ne sommes, les uns et les
autres, que des hommes remplis d'infirmités,
manquant de savoir-faire, et pauvres, toujours
pauvres en compassion !
On pourra nous dire, sans doute, que Dieu
donne ce qu'il ordonne et que plus nous apprendrons
à connaître Jésus-Christ par le
coeur, par une foi personnelle et vivante, plus
aussi nous serons rendus capables de marcher sur
ses traces. Mais en attendant, et pour être
encouragés, souvenons-nous d'une chose,
c'est que jamais, pour ceux qui prendront au
sérieux la vocation que l'Évangile
leur donne, il ne s'agira d'accomplir ce qui serait
vraiment au-dessus de leur pouvoir. Dans aucune de
ses pages, la Bible ne nous demande l'impossible.
Jamais Dieu n'est ce maître
sévère qui voudrait moissonner
là où il n'a pas semer. Pourvu donc
que nous nous disions à quoi nous sommes
destinés, et que nous nous laissions
arracher à la torpeur spirituelle dans
laquelle nous sommes facilement plongés, le
Maître nous montrera ce que nous devons et ce
que nous pouvons faire.
Portez les fardeaux les uns des autres, vous
qui êtes spirituels : Ce sera ouvrir les
yeux pour voir ce qui pèse sur le coeur et
sur la vie de ceux qui nous entourent ; ce
sera nous laisser attendrir ; ce sera apporter
un témoignage de sympathie, d'amour
fraternel, de compassion
chrétienne ; ce sera être
prêt, sans doute, à accomplir quelque
sacrifice digne de ce nom, mais ce sera
déjà ce serrement de main dans lequel
on sent le coeur. Quelquefois cependant, fort
souvent même, ce que le Seigneur nous
demande, ce n'est pas l'acte visible, c'est cet
acte invisible plutôt qui s'appelle la
prière. Qui donc, d'entre tous ceux qui ont
le droit de se nommer chrétiens, ne saurait
pas prier ? Et la prière, ne l'oublions
pas, c'est une puissance qui allège les
fardeaux les plus lourds, qui roule les pierres,
qui abaisse les montagnes, qui comble les
abîmes. Prie, mon frère, prie pour
ceux qui s'affaissent sous leurs fardeaux, prie
pour les autres, prie pour tous ceux que cette
prédication a rappelés à ton
souvenir et, pour ta part, tu porteras leurs
fardeaux, accomplissant ainsi la loi de Christ,
prouvant par ta conduite qu'il a vécu et
qu'il a laissé dans ce monde des imitateurs
qui prêchent son saint et grand nom, et
avancent son règne de paix et de
bonheur !
Portez les fardeaux les uns des
autres ! Oui, mes frères, croyons-le,
il nous est possible, en Jésus-Christ, de
renoncer à la vie dont vivent les enfants de
ce monde, eux qui se compliquent l'existence par
leur égoïsme et leur orgueil. Le
Maître veut et peut nous donner d'être
au service les uns des autres, unis par un
même désir, celui de porter chacun le
fardeau de son frère. Cela ne rapportera
rien selon le monde, mais ce sera accomplir la loi
de Christ, le Sauveur et le juste Juge de tous.
Amen.
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