Sermons et
Méditations
Il y a si longtemps !
Il y a si longtemps que je suis
avec vous, et tu ne m'as pas connu,
Philippe ?
Jean
XIV, 9.
Incontestablement, mes frères, les
quelques mots que je viens de citer ont leur accent
de tristesse. Ils sont comme un soupir,
s'échappant du coeur de Jésus et
trahissant une expérience douloureuse par
laquelle il a été appelé
à passer. Ce n'est pas, cette fois, quelque
adversaire de sa personne et de son oeuvre qui lui
a fait de la peine ; c'est l'un de ceux qui
vivaient dans son intimité et qui de sa
cause avaient fait la leur. Mais, circonstance
qu'il faut noter, le coupable, Philippe, le
disciple auquel le Maître parle, ne se doute
pas qu'il a affligé le Seigneur qu'il aime
et qu'il sert C'est involontairement qu'il a
manqué de docilité. Depuis longtemps,
à l'école de Jésus, ses yeux
auraient dû s'ouvrir spirituellement, mais
ils étaient restés fermés.
Comment ? Pourquoi ? Si Philippe avait
dû se prononcer à cet égard, il
eût été embarrassé.
L'interpellation de Jésus fut pour le
disciple une sorte de révélation sur
lui-même, sur des occasions manquées,
sur des négligences, dont jamais il ne
s'était rendu compte, sur son état
d'âme, sur son coeur, sur son passé et
son présent. Il y a si
longtemps que je suis avec vous, et tu ne m'as pas
connu, Philippe ?
Serait-il impossible que notre conduite
ressemblât à celle de cet homme, et
que la parole par laquelle Jésus vint lui
montrer ses torts nous fût nécessaire
à nous aussi ? Ce qui est certain,
c'est que cet appel plein de douceur, d'indulgence
et de tristesse, est bien fait pour être
écouté dans ce jour encore et dans
tout milieu où il retentit.
I
Au nom même des termes dont se sert
Jésus, je vous prierai d'abord, mes
frères, de considérer sa parole comme
s'adressant à chacun de vous
individuellement. Il est hors de doute que plus
d'une prédication chrétienne est
restée sans effet sur nous, parce que nous
avons négligé d'en prendre notre part
personnelle. Il ne suffit pas, pour tirer profit
d'un culte chrétien, d'y assister. Il faut,
pour que l'oeuvre de Dieu se fasse, que le coeur
soit disposé à recevoir l'aiguillon
de la parole annoncée, qu'il se rappelle
qu'elle s'adresse à lui personnellement, et
qu'il laisse le Saint-Esprit de Dieu appliquer ces
choses à ses circonstances spéciales.
Serait-il difficile de comprendre ce devoir
aujourd'hui, en présence de cette
parole : Il y a si longtemps que je suis avec
vous, et tu ne m'as pas connu, Philippe ? Rien
là de vague ni d'impersonnel. Jésus
appelle affectueusement le disciple par son nom.
C'est à lui qu'il en veut ;
c'est à lui qu'il désire faire du
bien. Et nous, bien certains de ne pas abuser de
nos libertés, substituons au nom de Philippe
le nom que nous portons, et que la parole du
Seigneur revête ainsi pour nous aussi un
caractère tout personnel. Il y a si
longtemps que je suis avec vous, - avec vous comme
Église, comme troupeau chrétien, - et
toi dont je connais le nom, dont je prononce le nom
comme, un jour, j'ai prononcé le nom de mon
disciple, tu ne m'as pas connu !
Mais si Jésus nous prend ainsi
à part, s'il se place avec son
avertissement, son appel, son mot de blâme
devant chacun de nous comme si chacun de nous
était seul présent, il importe plus
que jamais de bien comprendre ce qu'il veut nous
dire. Eh quoi ! nous laisserions le bon
Maître s'approcher de nous en vain ?
Nous laisserions cette heure de grâce
s'écouler sans essayer d'apprendre ce
qu'elle doit nous apporter, à vous et
à moi auxquels elle est
destinée ? Il y a si longtemps que je
suis avec vous, et tu ne m'as pas connu,
Philippe ? Seigneur, dis-nous quelle est ici
ta pensée ? Quelle est la chose que tu
as à nous reprocher ? Quel est le point
sur lequel tu voudrais voir un changement salutaire
s'opérer en nous ?
II
Mes frères, c'est tout d'abord un fait
que Jésus rappelle à son
disciple : Il y a si longtemps que je suis
avec vous, lui dit-il, en lui
signalant les trois années qui viennent de
s'écouler. Trois années durant, les
Douze avaient eu l'insigne privilège de
posséder au milieu d'eux celui qui les avait
groupés autour de sa personne ; trois
années qui, bien certainement, doivent avoir
paru, du temps de Jésus, une époque
plus longue qu'ils n'auraient semblé de nos
jours, où le mois, l'année même
passent comme le songe d'une nuit. Mais le
séjour de Jésus parmi ses disciples
avait été long, surtout, parce qu'il
avait eu une immense valeur pour leur âme,
leur coeur et leur esprit. Un maître tel que
Jésus ne laisse pas s'écouler une
heure sans faire du bien à ceux dont il
s'occupe. Il rachète chaque instant pour
faire l'éducation de ses
élèves et pour les instruire. Ses
dons ont l'air de se multiplier à mesure que
ses mains les distribuent à chacun. Il pense
à tout, il pourvoit à tout avec la
sagesse et la puissance du ciel, et, par-dessus
tout le reste, les trésors de sa
charité sont inépuisables. Il y a si
longtemps que je sais avec vous ! ces mots
rappelaient donc à Philippe ces
années qui, pour lui, en valaient dix,
vingt, qui valaient toute une vie !
Aujourd'hui, l'Eglise de Jésus-Christ
est privée de la présence visible de
son Chef. Mais ne pensez pas que, dans ces
circonstances modifiées, Jésus ne
dise plus à ceux qui ont cru en son nom ce
qu'il disait à Philippe. S'ils ne peuvent
plus connaître le Maître selon la,
chair, ils peuvent le connaître selon
l'Esprit. Il y a dix ou vingt ans que, par le
baptême, vous avez été
remis entre les bras du Bon
Berger ! Il y a dix ou vingt ans aussi que le
Bon Berger est avec vous ! Vous comptez
cinquante ans, ou soixante-dix ? Il y a
cinquante ans aussi, ou soixante ou soixante-dix
que Jésus est à vos
côtés. Pas un jour dans lequel il se
soit dit : Ils pourront se passer de moi. Pas
une heure dans laquelle il n'ait veillé sur
son racheté, dont l'éducation morale
et spirituelle lui était confiée. Je
ne dis pas que nous autres, objets de sa
fidélité et de sa sollicitude,
l'ayons toujours laissé faire. Je soutiens
bien moins encore que nous ayons toujours
apprécié, comme elle le
méritait, son incessante activité en
notre faveur. Mais ce qui ne souffre pas de doute,
c'est que Jésus, invisiblement, a
été avec nous, tous les jours de
notre vie. Nous avons été ces
disciples d'Emmaüs auxquels il expliquait les
Écritures, auxquels il reprochait leur
incrédulité et pour lesquels,
néanmoins, il tenait en réserve des
paroles de relèvement et de grâce.
Nous avons été du nombre de ceux
auxquels un apôtre a dit : Vous
êtes le champ que Dieu cultive. Pas d'erreur
qui ait été commise par le divin
cultivateur à l'égard des plantes
dont ses mains étaient appelées
à s'occuper ! La bonté et la
sagesse se sont rencontrées sur notre
route ; la vérité et la
fidélité s'y sont
entre-baisées. Ah ! si nous avions tout
vu ! Si nous avions voulu tout voir ! Si,
à cause de la dureté de notre coeur,
de notre manque de docilité et de gratitude,
de notre résistance à la voix divine,
le Seigneur n'avait pas été
obligé de nous frapper d'aveuglement,
si bien que Jésus a
disparu de devant nous et que nous nous sommes
sentis seuls et malheureux dans ce monde !
Oui, si nous avions tout vu, s'il nous était
possible de nous rappeler tout ce que le bon
Maître nous a dit et tout ce qu'il a fait
pour nous, directement, indirectement, par sa
Parole, par son Esprit, par les circonstances, par
le moyen de nos frères : sous quel jour
nouveau ne nous apparaîtrait-elle pas, et
dans quelle admiration de la miséricorde de
Jésus-Christ envers nous ne nous
jetterait-elle pas, cette parole qui résume
tout notre passé : Il y a si longtemps
que je suis avec vous !
III
Si longtemps ! J'ai dit que pour nous
autres, cela signifie la durée de notre vie
jusqu'à ce jour qui nous réunit sous
le regard de Dieu. Pourquoi donc l'accent de
tristesse que je crois surprendre dans ces quelques
mots ? Ils trahissent une déception.
J'y sens quelque chose qui rappelle
l'insuccès, l'inutilité des efforts
et le temps perdu. Jésus aurait-il à
se plaindre de ceux pour lesquels il a
été si bon ? Lui serait-il
arrivé de ne pas atteindre le but qu'il
s'était proposé ? Aurait-il eu
du chagrin, au lieu de pouvoir éprouver de
la satisfaction et de la joie. ?
En effet ! Écoutez-le encore et
vous apprendrez qu'il en est ainsi. Il y a si
longtemps que je suis avec vous, et tu ne m'as pas
connu, Philippe ? Voilà la
vérité, telle
qu'elle éclate, pour
Jésus, dans les paroles et dans la conduite
de Philippe. Philippe aurait-il pu se prononcer
comme il vient de le faire ; aurait-il pu dire
cette étonnante parole : Seigneur,
montre-nous le Père et cela nous
suffit ? Aurait-il fait preuve de tant
d'inintelligence des choses de Dieu, s'il avait
vraiment tiré profit des leçons du
Maître ? Non, Philippe n'a pas permis
à Jésus de lui ouvrir l'entendement
et le coeur, Philippe n'a pas reçu les
instructions de Jésus, Philippe a perdu les
heures favorables qui lui avaient été
accordées, nombreuses, excellentes, choisies
par Dieu lui-même ! Les trois
années pendant lesquelles Jésus s'est
occupé de lui n'ont point amené le
résultat voulu. Tu ne m'as pas connu,
Philippe ! Malgré tout ce que j'ai fait
pour toi, malgré tout ce que tu as entendu
de ma bouche, malgré toutes les oeuvres de
ma main que tu as vues, tu n'es pas arrivé
à me connaître !
Peut-être, mes frères,
serions-nous disposés à nous
étonner d'un tel manque de docilité,
à blâmer Philippe, à le trouver
inexcusable. Mais sommes-nous bien sûrs
d'être moins coupables que lui et de ne pas
mériter à notre tour que Jésus
nous dise : Tu ne m'as pas connu !
Jésus a voulu se faire connaître
à nous, non pas vaguement,
superficiellement, sous le nom que chacun lui
donne, mais d'une manière personnelle et
intime, avec son appel à la repentance, avec
la grâce qu'il apporte au pécheur,
avec son amour et sa puissance. Jésus a
voulu nous apprendre à l'aimer et à
lui donner la première place dans nos
pensées, dans nos
ambitions, dans notre activité. Jésus
a voulu que, sous son influence, notre vie, nos
habitudes, nos désirs se transformassent, et
que, selon l'expression de Saint-Paul, l'efficace
de sa résurrection parût en nous.
Est-ce ainsi que nous l'avons connu ? Ou bien
nous dirait-il, à nous qui sommes ici,
à l'un ou à l'autre de ceux qui se
sont rencontrés dans cette chapelle :
Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne
m'as pas connu ? Je demande si Jésus a
perdu sa peine en s'occupant de nous ; si,
malgré tout ce qu'il a fait en notre faveur,
nous sommes encore les mêmes ; s'il y a
en nous des défauts de caractère, des
habitudes condamnables, des paroles dures, des
sentiments mauvais que nous avons mis à
l'abri de la puissance de l'Évangile ?
Je demande si, en dépit de tout ce que nous
avons entendu, notre coeur ignore encore que
Jésus est la perle de grand prix, qu'il ne
nous servirait à rien de gagner le monde
entier, si, en même temps, nous perdions ce
Sauveur, et que la paix, le ciel ne sont que
là où Jésus est aimé,
adoré, servi avec
fidélité ? Il y a si longtemps
que je sais avec vous, et tu ne m'as pas connu,
Philippe ? O parole humiliante pour ce
disciple, auquel elle rappelait tout un
passé riche en instructions reçues,
en appels entendus, en faveurs de toutes sortes
accordées par le Maître, mais pauvre
en fruits, en progrès spirituels, en
grâces vraiment acceptées par le
coeur, en vertus transformant l'homme
pécheur ! Il y a si longtemps que je
suis avec vous, et tu ne m'as pas connu ?
Parole humiliante pour nous
aussi, peut-être !
Avoir eu près de nous, depuis tant
d'années, un maître, un
éducateur si bon, si sage, si fidèle,
un Rédempteur, un Sauveur si puissant,
l'Envoyé même du Seigneur des cieux et
de la terre, et en être toujours, quant
à la connaissance du Fils de Dieu et quant
à la vie chrétienne, au point
où nous en sommes : mes frères,
il y a là de quoi nous faire rentrer en
nous-mêmes ! Ah ! quel bonheur de
savoir aussi que Jésus ne veut pas nous
laisser et que, malgré tout, à
l'avenir comme par le passé, il poursuivra
en nous son oeuvre ! Amen.
Sur le chemin d'Emmaüs.
Luc 24, 13-35.
Mes frères, si jamais vous avez
réuni, pour les placer les uns à
côté des autres, les noms de ces
privilégiés auxquels Jésus
ressuscité est venu accorder quelque faveur
particulière, vous devez avoir
été frappés d'une chose, c'est
qu'il s'est approché de
préférence des faibles et des malades
quant à la foi. Prenez Marie-Madeleine,
prenez les apôtres Pierre et Thomas, prenez
ces deux hommes dont St-Luc rappelle
l'expérience sur la route d'Emmaüs. Ce
sont là autant de gens sincères, sans
doute, autant de coeurs donnés à
Christ ; mais, en même temps, dans
chacune de ces vies, quelles obscurités,
quelles défaillances, quels doutes ! Et
comme pour nous prouver qu'il n'a jamais
cessé et qu'il ne cessera jamais
d'appartenir, en tout premier lieu, à ceux
d'entre les siens qu'accable la tristesse ou que
menace la tentation ; comme pour affirmer aux
croyants de tous les temps qu'il est toujours Celui
qui redresse les genoux chancelants et qui console
le coeur troublé, le Berger allant à
la recherche de la brebis
égarée ; comme pour nous
apprendre que c'est là sa belle et douce
vocation de Sauveur à
laquelle il tient dans la
gloire
comme il y a tenu pendant les jours de son
abaissement ; - pour apprendre, dis-je, ces
choses à l'âme fatiguée et
découragée, le divin
Ressuscité s'est donné, avant tout,
à ces quelques-uns, dont nous avons
cité les noms. Dites-moi que leurs
dispositions ne vous sont pas
étrangères, que votre état
d'âme n'est pas sans analogie avec le leur,
que vous passez par où ils ont passé,
et je vous répondrai que leur Sauveur est
aussi le vôtre et que, par son intervention,
votre histoire ressemblera à la leur. C'est
de vous que s'approchera, comme un jour de
Cléopas et de son compagnon de route
inconnu, ce Maître miséricordieux et
sage, pour vous parler, vous relever et affermir
vos pas dans la voie chrétienne.
I
Dans la personne des deux hommes cheminant
côte à côte, vers le soir du
jour de la résurrection de
Jésus-Christ, sur le chemin conduisant de
Jérusalem au bourg d'Emmaüs, nous avons
devant nous deux pauvres découragés.
Habitaient-ils l'endroit où ils allaient, ou
bien avaient-ils choisi, pour leur course, cette
route écartée où,
échappant aux regards des hommes, ils
étaient seuls avec leur chagrin ? Qui
le dira ? Le fait est qu'ils étaient du
nombre de ces malheureux dont les espérances
les plus chères se sont
évanouies sous les coups d'un impitoyable
destin. De ce Jésus dans lequel leur coeur
avait salué le libérateur
d'Israël, il ne leur restait qu'un souvenir
bien doux, sans doute, mais assombri par la
mémoire de l'épouvantable catastrophe
du Vendredi-Saint. Une pensée, douloureuse
entre toutes, les domine, c'est qu'ils l'ont perdu,
lui qui avait été leur force et leur
consolation, et les bruits même de la
journée de Pâques ne
réussissent pas à ramener en eux un
rayon d'espoir. Quel abattement, quelle tristesse
dans ces paroles que nous entendons tomber de leurs
lèvres et qui aboutissent à ce
dernier mot : Mais ils ne l'ont point
vu !
Et cependant, remarquez-le, pendant que ces
hommes tiennent ce langage, s'affligent de la perte
et de l'absence de l'ami et du Maître, il
marche à leurs côtés, leur
parle, les interroge, les écoute ! Il
est là, sous la forme de ce voyageur qui
s'est associé à eux, Jésus de
Nazareth, le prophète puissant en oeuvres et
en paroles, qu'ils disent avoir perdu à
jamais ! Pourquoi donc ne le reconnaissent-ils
pas ? Pourquoi leurs yeux sont-ils retenus, et
pourquoi leur coeur ne devine-t-il pas sa
présence ? Leurs vêtements
frôlent le sien, leurs oreilles
perçoivent sa voix, et ils continuent
à le pleurer comme on pleure un
mort !
Mais ces choses ne sont pas demeurées
rien qu'un souvenir du premier jour de
Pâques ; elles se sont
retrouvées, plutôt, dans la vie de
plusieurs. Parmi les amis de Jésus-Christ,
parmi les chrétiens dont se composent nos
Églises, parmi les plus fidèles
même, combien n'ont-ils
pas été nombreux ceux qui ont
ressemblé aux deux hommes en chemin pour
Emmaüs ! Vous rappellerai-je, mes
frères, les expériences qui,
peut-être, ont été les
vôtres ? Ferai-je revivre le souvenir de
ces heures sombres, pleines de mystères pour
le coeur et l'intelligence, où, sous le coup
de l'épreuve, de la déception, de la
souffrance, dans le sentiment d'un pénible
isolement, vous vous êtes crus
abandonnés des hommes non seulement, mais
surtout de ce Jésus en qui vous aviez mis
votre confiance ! Pour vous aussi, le Sauveur
était alors comme mort et enseveli, et votre
bouche redisait cette plainte d'Israël :
l'Éternel m'a délaissé, le
Seigneur m'a oublié ! Cependant, il
était près de vous, comme, un jour,
il fut près de ses amis affligés.
Votre désolation l'avait attiré. il
vous parlait par sa Parole, par ses serviteurs, par
les événements, de mille
manières, mais votre oeil spirituel ne
l'apercevait pas, vous ne le reconnaissiez pas, et
votre coeur ne comprenait pas ses intentions. En
effet, mes frères, auquel d'entre nous ne
serait-il arrivé de marcher comme s'il
était seul. délaissé et perdu,
tandis qu'invisible aux yeux de la chair, mais
prêt à paraître aux regards de
l'âme et du coeur, Jésus marchait
à ses côtés ? Qui n'aurait
jamais oublié qu'il est toujours là,
fidèle à la promesse qu'il a faite
à ses rachetés, et connaissant leurs
circonstances mieux qu'ils ne les connaissent
eux-mêmes ? Le chemin d'Emmaüs avec
ses larges ombres et ses paroles de
découragement et de tristesse, nous nous y
sommes trouvés et nous
avons répété, sous quelque
forme nouvelle qui les appliquait à notre
situation, ces mots d'autrefois : Nous
espérions que ce serait lui qui
délivrerait Israël !
II
Mes frères, il y aurait un conseil
à donner à celui pour lequel
reviennent de tels moments, c'est de ne pas
s'isoler dans sa tristesse. Cléopas et son
compagnon de route ont certainement
éprouvé je ne sais quel soulagement,
en versant chacun son coeur dans celui de son ami.
Ils ont éprouvé les bienfaisants
effets de l'amitié chrétienne avec
son échange de pensées, ses
confidences intimes, comme les éprouvera
encore celui qui les cherche sous le regard de
Dieu. Tout bien compté, cependant, le
pouvoir de l'homme, la où il s'agit de se
venir en aide à lui-même, le pouvoir
du chrétien même, trouve bien vite sa
limite. Compatir adoucir la douleur, nous le
pouvons, mais ôter la tristesse, là
où elle pèse sur l'âme comme un
lourd fardeau, non, nous ne le pouvons pas. Ce
miracle de bonté, de puissance et de
relèvement, ce retour au bonheur et à
la paix, un seul l'opérera, et ce seul, ce
sera ce Jésus qui, dans le chemin
d'Emmaüs, se joignit aux deux
Israélites attristés.
Avez-vous jamais observé de bien
près les procédés pleins de
délicatesse, de sagesse, de douceur,
de condescendance qu'il a
employés ? Voyez-le s'approcher des
voyageurs et leur adresser la parole, reconnaissez
en lui Celui duquel le prophète a dit qu'il
ne romprait pas tout à fait le roseau
froissé et qu'il n'éteindrait point
le lumignon encore fumant.
- De quoi vous entreteniez-vous dans le
chemin et pourquoi êtes-vous si
tristes ? O le doux appel adressé au
coeur affligé ! Que me dit-il, à
moi, auquel il parvient aujourd'hui, sinon que
Jésus demande que je lui parle, que je lui
expose mon cas, que j'entre avec lui dans les
détails comme si tout ce que je pourrais
dire lui était inconnu, et que je lui donne
cette preuve de confiance qu'il veut bien chercher
en moi. Pourquoi si tristes ? L'entendez-vous
de sa bouche de Sauveur, vous sur lesquels son oeil
s'est arrêté à ce moment, parce
qu'il sait que vous avez besoin de lui et que nul
autre ne pourra vous être
véritablement utile ?
Pourquoi si tristes ? Ne refusez pas de
répondre. Videz, devant Celui qui vous parle
par son Esprit, ce coeur dont il sait d'avance
toute la pensée, mais qu'il veut
connaître encore par vos aveux. Ne cachez
rien, aucun mouvement d'incrédulité,
aucune plainte, aucun désir. Donnez-vous
tels que vous êtes, et le Sauveur, comme pour
vous récompenser, vous parlera à son
tour.
Vous l'entendez parler, en effet, aux deux
hommes qu'il a rejoints. Pourra-t-il le faire, lui
qui s'appelle la vérité même,
sans leur donner à sentir d'abord leur
erreur ? Eh quoi ? Ces deux disciples
n'avaient-ils pas été au
bénéfice de ses enseignements, ne
possédaient-ils pas les
Écritures, n'avaient-ils pas lu les paroles
des prophètes et n'auraient-ils pas pu
échapper à cette heure d'humiliation
et d'affaissement spirituel et moral ?
O gens sans intelligence et d'un coeur
tardif à croire tout ce qu'ont dit les
prophètes ! Ne fallait-il pas que le
Christ souffrît ces choses et qu'il
entrât dans sa gloire ? Reproche,
oh ! combien peu sévère encore,
mais mille fois mérité par ceux
auxquels il s'adresse ! Aurons-nous le droit
de dire qu'il ne saurait nous atteindre ?
N'avons-nous pas été instruits, nous
aussi, par la Parole et l'Esprit du Seigneur, par
l'expérience de l'Eglise de
Jésus-Christ et par notre expérience
personnelle, des promesses, des engagements, de la
fidélité et de la puissance du
Maître ? Pourquoi donc n'avons-nous pas
vu, pourquoi n'avons-nous pas entendu ?
Pourquoi avons-nous douté ? Pourquoi
avons-nous craint ? Quelles excuses
alléguerons-nous ? Mieux vaut nous
taire et nous humilier sous la sentence qui vint
frapper Cléopas et son
collègue : O gens sans intelligence et
d'un coeur tardif à croire ce qu'ont dit,
les prophètes !
Mes frères, jamais
Jésus-Christ ne fera son entrée dans
quelque coeur dont il voudrait dissiper les
ténèbres et qu'il voudrait remplir de
sa bienfaisante lumière, par un chemin autre
que celui de l'humiliation. Quoi qu'en dise notre
orgueil si facilement blessé, c'est
là la route royale sur laquelle le Prince de
la paix pénètre dans la demeure qu'il
se propose de remplir de sa présence et de
son bonheur. - Je ne trouve sur
les lèvres des voyageurs d'Emmaüs
aucune protestation contre la parole de blâme
qu'ils ont entendue. Leur conscience donne raison
à cet étranger qui les reprend, leurs
têtes se courbent sous son verdict et,
à l'instant même, se lève sur
eux un jour nouveau. En commençant par
Moïse et continuant par tous les
prophètes, il leur expliquait dans toutes
les Écritures ce qui le regardait. C'est
dire que, de sa main divine, Jésus retire le
voile couvrant, pour ces hommes, le volume
sacré.
Ces pages qu'ils avaient lues cent fois sans
les comprendre, maintenant ils les comprennent.
Telle parole, qu'ils avaient à peine
remarquée, prend pour eux la valeur d'une
révélation. Le nom, la personne,
l'oeuvre de Celui qu'ils avaient nommé le
prophète de Nazareth, apparaissent à
leurs regards inondés d'une lumière
inattendue. Il se dévoile pour eux, le grand
mystère de la doctrine et de la vie
chrétiennes : c'est que seul le chemin
de la croix conduit à la gloire. La croix du
Calvaire ne sera pour eux dorénavant ni
folie, ni scandale., mais elle sera la puissance,
et la sagesse de Dieu. Attendez encore quelques
instants, et vous verrez le dernier bandeau tomber
de ces yeux auxquels Jésus a appris à
voir. Ils le reconnurent, lui, qui, depuis si
longtemps déjà, était avec
eux, partageant leur chagrin, s'occupant de leurs
âmes, faisant en eux son oeuvre, à
leur insu, en les conduisant pas à pas du
doute à la foi ! Ils le
reconnurent : O l'insigne bonheur ! Et
nous ne connaîtrions, en songeant à
notre passé, aucune expérience
semblable à celle qui
firent ces heureux ? Mes frères,
lorsque, à l'heure où nous avions
accepté une humiliation salutaire, le
St-Esprit nous a signalé telle portion de
l'Ecriture à laquelle nous n'avions pas pris
garde ; lorsque, grâce à son
enseignement, cette page a pris pour nous un sens
nouveau ; lorsque nous avons appris à
appliquer à nos vies, à nos luttes et
à nos épreuves, des paroles que
jusqu'alors nous avions mal
interprétées ; lorsque nous
avons vraiment compris Jésus ; lorsque
nous avons cesse de nous étonner de ce que
la volonté de Dieu, journellement, nous
courbe sous quelque fardeau ; lorsque
Jésus-Christ nous a dit que le suivre sur la
voie du Calvaire, ce sera le suivre au ciel ;
lorsque, dans ces moments de
révélation et de grâce, nous
avons senti le Maître tout près de
nous et que nous avons reconnu sa voix, son coeur,
son plan d'amour à notre égard ;
alors, consolés, réjouis, nous avons
refait, sur notre chemin d'Emmaüs,
l'expérience des disciples de la
première heure, et notre bonheur a
ressemblé au leur.
Vous me direz que ces instants de fête
n'ont pas duré. Ils ont été
courts aussi pour Cléopas et son ami. Il
disparut de devant eux. Mais leur âme a
conservé la leçon qu'il leur avait
donnée, et leur coeur a continué
à jouir de se savoir aimé et connu
par lui. Ils n'ont pas oublié que leur
Maître était vivant, et cette
conviction, née en eux à
l'école de Jésus-Christ, les a rendus
forts pour le combat de la vie. Amen.
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