LE
PROPHÈTE JONAS
CHAPITRE PREMIER
Un prophète en rupture de
vocation.
Entrons maintenant dans l'étude quelque
peu détaillée du texte. Ce chapitre
premier nous met en présence : 1°
d'un appel de Dieu ; 2° de la
réponse qui y fut donnée et 3°
des conséquences de cette réponse.
I. L'appel d'abord.
Comment se produisit-il ? Que
signifie au juste cette expression :
« la parole de l'Éternel fût
adressée à Jonas » ?
Fut-ce par le moyen d'un songe, ou d'une
apparition, une théophanie ou une vision,
comme on dit en langage théologique ?
Fut-ce plutôt par la voix intérieure
et cachée de l'Esprit ? Nous
l'ignorons, et nul ne peut le dire. Nous l'ignorons
également pour beaucoup d'autres serviteurs
de Dieu de l'ancienne ou de la nouvelle alliance.
Le mode de communication nous
échappe le plus souvent. Qu'importe,
après tout, qu'un mystère
impénétrable plane sur la
méthode dont Dieu a usé autrefois
pour inculquer à ses messagers sa
pensée et sa volonté ?
L'essentiel, c'est le fait même et le contenu
de la communication, et à cet égard,
il ne peut subsister aucun doute, car les choses
communiquées, données, sont des
choses que « l'oeil n'a point vues,
que l'oreille n'a point entendues, et qui ne sont
point montées au coeur de l'homme, des
choses que Dieu a préparées pour ceux
qui l'aiment »
(I Cor. II, 9), or « Dieu
nous les a révélées par son
Esprit. Car l'Esprit scrute toutes choses,
même les profondeurs de Dieu ».
Ces choses ne sont donc pas, comme
d'aucuns voudraient nous le faire croire, le fruit
de l'expérience religieuse de Juifs pieux et
patriotes ; elles ne viennent pas d'en bas,
mais d'en haut ; de la terre, mais du ciel. Ce
n'est pas l'homme qui s'élance vers Dieu et
découvre Dieu, mais c'est Dieu qui descend,
s'approche et se fait connaître tel qu'il
est. Si le comment nous échappe, rien
là d'étonnant. Il existe dans le
monde religieux comme d'ailleurs aussi dans le
monde scientifique, des faits constatés,
décrits et certains.
L'explication de ces faits peut varier, ou ils
peuvent être restés jusqu'ici sans
explication satisfaisante. Ils n'en sont pas moins
des faits devant lesquels nous avons à nous
incliner et dont nous avons à tenir
compte.
Jonas, puisqu'il était
prophète, avait déjà entendu
un appel initial à se vouer au service de
Dieu. Il y avait répondu nettement et
sincèrement, puisque son maître veut
l'employer pour une mission importante et
difficile. Le premier appel devait être suivi
d'une quantité d'autres, particuliers, en
vue du travail spécial, et en quelque sorte
quotidien, que requéraient les circonstances
et les desseins de Dieu. Ainsi en est-il encore
aujourd'hui pour nous : Nous avons entendu
l'appel du Seigneur à nous tourner vers lui
et à nous donner à lui :
« Va-t-en aujourd'hui travailler dans
ma vigne ». Nous y avons
répondu, je l'espère du moins. Mais,
dans la vigne, il y a des moments et des travaux
fort différents. Au matin, le Maître
nous dit : Va labourer. Plus tard, il nous
envoie tailler ou épamprer. À
d'autres moments, il s'agit de sarcler. Vient
ensuite l'heure de recueillir les fruits. Il y a
des besognes dures, ingrates et
fatigantes ; il en est de
faciles et agréables. Il faut qu'elles
soient toutes accomplies, et que, nous reportant
sans cesse à notre dérision
première, nous soyons prêts à
répondre à toute invitation de Celui
auquel nous faisons profession d'appartenir sans
réserve.
L'ordre que reçoit Jonas est
bref, positif et précis. Il ne comporte
aucune hésitation sur la nature de l'oeuvre
à accomplir et aucun doute sur la
volonté expresse de Celui qui l'ordonne.
C'est là un précieux
privilège, dont le prophète aurait
dû se montrer reconnaissant. Il n'en est pas
toujours ainsi, en effet. Dieu, dans le but de nous
mettre à l'épreuve, de nous faire
chercher, prier, sonder et approfondir sa
pensée et ses plans, laisse parfois planer
sur ses directions une certaine obscurité et
une certaine incertitude. Comme il connaissait
Jonas, il use de condescendance envers lui et lui
ôte ainsi tout prétexte à se
dérober. Il s'agissait d'ailleurs
d'accomplir une chose à laquelle nul
prophète n'aurait jamais songé :
se rendre dans une cité, toute païenne
et corrompue, et crier contre elle, lui dire que sa
méchanceté, comme jadis celle de
Sodome, était parvenue à son
comble ; et que, montée jusque devant
la face de l'Éternel, et
faisant appel à sa justice, elle ne
tarderait pas à recevoir son terrible
salaire. Il s'agissait, avec la charrue d'une
prédication d'une hardiesse inouïe, de
labourer profondément ce sol durci et plein
de ronces et d'épines. Labeur peu attrayant
et, au premier abord, peu réjouissant. C'est
ce que le coeur de Jonas lui fait bien vite
comprendre. De là sa réponse.
II. Cette réponse est
muette.
Le serviteur ne discute pas avec son
Maître. Il ne lui donne aucun motif de refus.
Et cependant il refuse d'obéir. Il prend la
route opposée à celle qui lui a
été prescrite. Il s'enfuit
lâchement vers l'Occident, prenant le premier
vaisseau qui s'offre à lui, pressé
qu'il était par sa volonté rebelle
d'aller au plus vite où que ce soit, pourvu
que cela l'éloignât du but
assigné. Plus tard, nous le voyons au
chapitre quatrième, dans un mouvement de
mauvaise humeur il donne à l'Éternel
la vraie raison de sa fuite :
« Je savais que tu es un Dieu
miséricordieux et abondant en grâce,
et que tu le repens du mal »
(sous-entendu : que tu as résolu de
faire). Je ne voulais pas m'exposer à ce que
ma prédication de
prophète de malheur
reçut un flagrant démenti de ta part
à la face d'un peuple tout entier. En
d'autres termes, c'est son amour-propre et son
orgueil de Juif et de simple particulier (nous
reviendrons sur ce point) qui l'ont poussé
à la désobéissance ; et
cette miséricorde divine, dont il a
été et dont il restera l'objet, il en
fait un grief à son auteur. Il la veut bien
pour lui, mais elle lui porte ombrage quand elle
s'applique aux autres ! Comme c'est bien
là un trait pris sur le vif de notre pauvre
coeur humain ! Périsse toute une ville
ou tout un peuple, pourvu que
l'événement me donne raison dans mes
prévisions et dans mes menaces, c'est tout
ce qu'il me faut !
On peut donc, remarquons-le, refuser
d'obéir sans prononcer une seule parole,
dire non par sa seule attitude et par ses seuls
actes. Serviteur du Roi des Rois, on n'oserait pas
contester avec un tel Maître et blâmer
ouvertement les ordres reçus ; mais on
n'hésite pas à faire sa propre
volonté et à marcher selon
l'impulsion de son coeur charnel. Que celui qui se
sent indemne juge sévèrement
Jonas ? Ce ne sera pas l'auteur de cette
étude !
Le prophète en rupture de
vocation s'imagine naïvement qu'en voguant
dans la direction de Tarsis, il s'éloigne de
la face, c'est-à-dire de la présence
de Jéhovah. Moralement, oui, il
s'éloigne et se sépare de son Dieu,
mais son Dieu le suit et ne le quitte ni d'une
seconde, ni d'un pas. Il est toujours là,
tout près, veillant sur le rebelle, et lui
préparant les expériences
douloureuses, amères, qui le
ramèneront à Lui. Ainsi, nous aussi,
nous nous écartons de Dieu en suivant avec
ou sans paroles, notre propre chemin, mais il ne
nous abandonne pas à nous-mêmes. Sa
Providence veille sur nous et ourdit la trame des
circonstances qui nous feront rentrer en
nous-mêmes et nous ramèneront à
ses pieds, brisés et soumis.
III. Les conséquences de la
rébellion.
Il fallait à Jonas ni plus ni
moins qu'une tempête
déchaînée par Celui qui fait
des vents ses serviteurs et des flammes de feu ses
ministres, tempête dans laquelle sombrent son
orgueil. et sa volonté propre. Tandis que
les marins crient chacun à leur dieu, lui,
devenu étranger au sien, dort
profondément. Première humiliation,
lorsque viendra le réveil.
L'équipage se rend compte que cet
événement inattendu, peut-être
tout à fait extraordinaire et anormal pour
la saison où l'on était, pourrait
bien être un châtiment, tandis que lui
demeure inerte et muet. Il importe de souligner
à ce propos que chez les païens les
plus enracinés dans leur idolâtrie on
rencontre souvent des mouvements de conscience et
des éclairs de vérité et de
sincérité bien propres à
rabaisser nos prétentions de gens à
la tête de toutes les lumières. Elle
se tourne souvent contre nous cette parole de
Jésus aux pharisiens - « Les
péagers et les gens de mauvaise vie vous
devancent dans le royaume de
Dieu. »
Jonas ne se réveille
complètement de sa torpeur physique et
spirituelle que lorsque le sort le désigne,
à la grande stupéfaction de tous,
mais non à la sienne, comme le coupable.
Nous voyons par là que Dieu peut se servir
du sort pour donner des indications. Nous savons
aussi qu'il peut s'en passer, et qu'il s'en passe
le plus souvent. En user en dehors de cas tout
à fait exceptionnels, nous paraît
dangereux. C'est souvent tenter Dieu pour lui faire
dire, en quelque sorte malgré lui, ce qu'il
a résolu de ne pas dire. En cela, comme
en toutes choses, il faut
être guidé et gardé par le
Saint-Esprit. Ce moyen de consulter la
divinité se comprend mieux chez les
compagnons de Jonas que nous ne l'admettrions chez
Jonas lui-même. Tout dépend de la
nature et du degré de lumière
intérieure que l'on possède.
Secoué et
réprimandé par le capitaine :
Que fais-tu dormeur ? lève-toi.
(Quel sujet d'exhortation et d'appel pour la
chrétienté d'aujourd'hui !)
pressé de questions, il est appelé
à confesser, en même temps que son
Dieu, créateur, et par conséquent
souverain Maître des éléments,
ce qu'il aurait dû faire spontanément
depuis bien des heures, sa
désobéissance et l'état
d'interdit dans lequel il se trouve
vis-à-vis de Celui auquel il était
sensé appartenir corps et âme. Seconde
humiliation, plus profonde que la première.
- Enfin, consulté sur ce qu'il y a à
faire pour que la mer, qui redouble de fureur,
s'apaise, il déclare que pour que le navire
soit sauvé, lui doit être
rejeté. Il devient donc son propre juge et
est appelé à prononcer sa propre
sentence motivée « car je sais
que c'est à cause de moi que cette grande
tempête est venue sur vous. »
Troisième humiliation, plus volontaire, et
aussi plus complète, que
les deux autres. Elle en est le
couronnement.
Quel avertissement pour nous dans cette
parole du prophète ! Un seul homme de
Dieu, infidèle à son mandat, peut
devenir la cause de grands malheurs atteignant ceux
au milieu desquels il vit. « Aucun de
nous ne vit pour soi-même. »
Tout ce que nous sommes, tout ce que nous faisons
et disons, influe sur ceux qui nous entourent. Une
solidarité étroite nous unit à
eux, et à l'humanité tout
entière, qui se ressent
nécessairement de notre attitude et de notre
conduite. Insensé celui qui dit : si
j'agis ainsi, cela ne regarde que moi. Cela regarde
tout le monde, et tout particulièrement ceux
qui nous touchent de plus près. Quelle
portée et quelle valeur cela ne donne-t-il
pas à toutes nos résolutions,
à toutes nos démarches et à
toutes nos actions ! Et quelle sérieuse
responsabilité ce fait ne crée-t-il
pas pour nous ! Pensons-y ! Nous sommes
malédiction ou bénédiction
suivant que nous sommes dans la voie de la
désobéissance à Dieu ou dans
celle de la soumission.
Elle est bien touchante la confiance que
témoigne l'équipage à ce
rebelle, en le consultant comme il le fait. Cela
montre bien qu'il restait en lui
des traces visibles de son contact avec Dieu. C'est
pour cela aussi qu'après tous les efforts
humainement possibles, mais vains, on lui
obéit en exécutant sur lui la
sentence qu'il vient de prononcer. Toutefois ces
pauvres gens, dont le coeur est à la bonne
place, se justifient en quelque sorte de l'acte
qu'ils vont accomplir comme d'une
nécessité qui leur est imposée
par le Dieu de Jonas lui-même. Il faut
obéir, quoi qu'il leur en coûte, et
ils obéissent, en implorant la grâce
de l'Éternel. sur cet acte
nécessaire. - « Et la fureur de
la mer s'apaisa ». C'était
donc bien le remède qu'il fallait à
la situation. Il fallait, en effet, que la
désobéissance de l'homme de Dieu,
reçut son salaire, et le reçut d'une
manière éclatante et publique. Ce fut
pour tous, équipage et passagers, une
prédication puissante et inoubliable de la
sainteté et de la justice du Dieu
d'Israël. Ils apprirent ainsi qu'on ne se joue
pas de ce Dieu. Et cela était d'autant plus
nécessaire qu'il s'agissait d'un de ses
représentants attitrés. Le jugement
de Dieu doit commencer par sa propre maison, par
les siens, par son peuple, vis-à-vis
desquels il doit se montrer plus
sévère que vis-à-vis du monde,
à cause même des
grâces et des privilèges qu'ils ont
reçus, et auxquels il ne veut et ne doit
rien laisser passer, soit dans leur propre
intérêt spirituel et éternel,
soit dans celui du monde, qui les considère
de près et juge du Maître par les
serviteurs.
Un homme jeté par-dessus bord, un
homme à la mer, pour sauver le vaisseau et
tous ceux qu'il porte ! Ne voyez-vous pas dans
ce fait un rapprochement qui s'impose à
l'attention ? Bien des siècles plus
tard, un homme aussi a été
jeté dehors, englouti au plus profond de
l'abîme de la colère de Dieu, pour
arracher à la mort et à la perdition
éternelle ce navire qui s'appelle la terre
et ses passagers qui s'appellent les hommes.
« Vous n'y entendez rien, dit
Caïphe au Sanhédrin, et vous ne
considérez pas qu'il nous importe qu'un seul
homme meure pour le peuple et que toute la nation
ne périsse pas ». Or, ajoute
l'Évangéliste, il ne dit pas cela de
son propre mouvement, mais étant souverain
sacrificateur cette année-là, il
prophétisa que Jésus devait mourir
pour la nation. Jonas, lui aussi, prophétise
en acte qu'il faut qu'un seul meure pour que tous
échappent à la ruine. Nous n'oublions
pas toutefois, qu'une
différence essentielle sépare
Jésus de Jonas : Jésus
était le Saint fait péché pour
nous et se sacrifiant volontairement pour les
coupables, et Jonas était un serviteur
coupable subissant un châtiment
mérité.
Plus tard, nous assistons, dans le livre
des Actes, à un autre naufrage. Parmi les
passagers se trouvait aussi un serviteur de Dieu,
celui-là allant où Dieu l'envoyait
pour délivrer le message que son Dieu lui
avait confié. C'est grâce à lui
que tous ses compagnons de voyage furent
sauvés. « Un ange du Dieu
à qui je suis et que je sers m'est apparu
cette nuit et m'a dit : Paul, ne crains
point... Dieu t'a donné tous ceux qui
naviguent avec toi ». Ici, le sauveur
de ses compagnons reste vivant et les sauve par sa
présence et son intercession. Les deux
images se complètent et embrassent le salut
tout entier tel qu'il fut réalisé par
Christ.
Une impression profonde demeure de ce
chapitre du livre de Jonas : Toute
désobéissance, toute
infidélité, est un obstacle radical
au témoignage du serviteur, de la servante
du Seigneur, du vôtre, du mien. Il faut que
sans tarder le mal soit reconnu,
confessé et
répudié ; il faut que l'interdit
disparaisse au plus vite, que la relation entre le
serviteur et son Maître puisse ne plus
rencontrer d'empêchement. Mais pour cela il
faut que le serviteur soit jeté à la
mer et descende dans les profondeurs où l'on
crie au Seigneur. C'est ce que nous allons voir au
chapitre suivant.
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